1996 Vita Consecrata
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La Vie consacrée, profondément enracinée dans l'exemple et dans l'enseignement du Christ Seigneur, est un don de Dieu le Père à son Eglise par l'Esprit. Grâce à la profession des conseils évangéliques, les traits caractéristiques de Jésus chaste, pauvre et obéissant deviennent "visibles" au milieu du monde de manière exemplaire et permanente et le regard des fidèles est appelé à revenir vers le mystère du Royaume de Dieu, qui agit déjà dans l'histoire, mais qui attend de prendre sa pleine dimension dans les cieux.
Au cours des siècles, il y a toujours eu des hommes et des femmes qui, dociles à l'appel du Père et à la motion de l'Esprit, ont choisi la voie d'une sequela Christi particulière, pour se donner au Seigneur avec un cour "sans partage" (cf. 1Co 7,34). Eux aussi, ils ont tout quitté, comme les Apôtres, pour demeurer avec lui et se mettre, comme lui, au service de Dieu et de leurs frères. Ainsi, ils ont contribué à manifester le mystère et la mission de l'Eglise par les multiples charismes de vie spirituelle et apostolique que leur donnait l'Esprit Saint, et ils ont aussi concouru par le fait même à renouveler la société.
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Le rôle joué par la vie consacrée dans l'Eglise est si important que j'ai décidé de convoquer un Synode pour en approfondir le sens et les perspectives d'avenir, en vue du nouveau millénaire désormais imminent. J'ai voulu que, avec les Pères, de nombreuses personnes consacrées soient présentes à l'assemblée synodale, afin que la réflexion commune bénéficie de leur contribution.
Nous sommes tous conscients de la richesse que constitue pour la communauté ecclésiale le don de la vie consacrée avec la variété de ses charismes et de ses institutions. Ensemble, nous rendons grâce à Dieu pour les Ordres et les Instituts qui s'adonnent à la contemplation et aux ouvres d'apostolat, pour les Sociétés de vie apostolique, pour les Instituts séculiers et pour d'autres groupes de consacrés, de même que pour tous ceux qui, dans le secret de leur cour, se donnent à Dieu par une consécration spéciale.
Au Synode, on a pu toucher du doigt la diffusion universelle de la vie consacrée, présente dans les Eglises en tout lieu de la terre. Cette vie stimule et accompagne le développement de l'évangélisation dans les différentes régions du monde où l'on ne se contente pas de recevoir avec reconnaissance des Instituts venus de l'extérieur, mais où il s'en constitue de nouveaux, dans une grande variété de formes et d'expressions.
Si donc, en certaines régions de la terre, les Instituts de vie consacrée semblent traverser une période difficile, dans d'autres, ils se développent avec une surprenante vigueur, montrant que le choix d'un don total à Dieu dans le Christ n'est nullement incompatible avec la culture et avec l'histoire de chaque peuple. Cette floraison ne concerne pas seulement l'Eglise catholique, mais elle est aussi particulièrement vive dans le monachisme des Eglises orthodoxes, dont elle constitue un trait essentiel. Elle est en train de naître ou de renaître dans les Eglises et les Communautés ecclésiales issues de la Réforme, comme signe d'une grâce commune aux disciples du Christ. Une telle constatation donne un élan à l'oecuménisme, qui nourrit le désir d'une communion toujours plus grande entre les chrétiens, "afin que le monde croie" (Jn 17,21).
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La présence universelle de la vie consacrée et le caractère évangélique de son témoignage montrent clairement, s'il en était besoin, qu'elle n'est pas une réalité isolée et marginale, mais qu'elle intéresse toute l'Eglise. Au Synode, les Evêques l'ont plusieurs fois répété: "De re nostra agitur ", "c'est une question qui nous concerne" (1).En réalité, la vie consacrée est placée au cour même de l'Eglise comme un élément décisif pour sa mission, puisqu'elle "fait comprendre la nature intime de la vocation chrétienne" (2) et la tension de toute l'Eglise-Epouse vers l'union avec l'unique Epoux (3). Il a été plusieurs fois affirmé au Synode que la vie consacrée n'a pas seulement joué dans le passé un rôle d'aide et de soutien pour l'Eglise, mais qu'elle est encore un don précieux et nécessaire pour le présent et pour l'avenir du Peuple de Dieu, parce qu'elle appartient de manière intime à sa vie, à sa sainteté et à sa mission (4).
1- Cf. Proposition 2.
2- AGD 18
3- LG 44 EN 69
4- LG 44
Les difficultés que rencontrent actuellement un certain nombre d'Instituts dans plusieurs régions du monde ne doivent pas amener à mettre en doute le fait que la profession des conseils évangéliques est une partie intégrante de la vie de l'Eglise, à laquelle elle donne un élan précieux pour une cohérence évangélique toujours plus grande. Dans l'histoire, on pourra rencontrer par la suite des formes différentes, mais sans changement de la nature d'un choix qui s'exprime dans le radicalisme du don de soi par amour du Seigneur Jésus et, en lui, de chaque membre de la famille humaine. Le peuple chrétien continue à avoir cette assurance, qui a animé d'innombrables personnes au cours des siècles, en sachant bien qu'il peut recevoir de l'apport de ces âmes généreuses le plus fort des soutiens dans son chemin vers la patrie du ciel.
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Répondant volontiers au désir exprimé par l'Assemblée générale ordinaire du Synode des Evêques réunie pour réfléchir sur le thème "la vie consacrée et sa mission dans l'Eglise et dans le monde", je me propose de présenter dans cette Exhortation apostolique les fruits de la démarche synodale (6) et de montrer à tous les fidèles, Evêques, prêtres, diacres, personnes consacrées et laïcs, comme à tous ceux qui voudront y prêter attention, les merveilles que le Seigneur veut accomplir aujourd'hui encore par la vie consacrée.
Ce Synode, à la suite de ceux qui ont été consacrés aux laïcs et aux prêtres, complète l'examen systématique des données particulières qui caractérisent les états de vie voulus par le Seigneur Jésus pour son Eglise. En effet, si le Concile Vatican II a souligné la grande réalité de la communion ecclésiale où convergent tous les dons en vue de la construction du Corps du Christ et de la mission de l'Eglise dans le monde, au cours de ces dernières années, il a paru nécessaire de mieux expliquer l'identité des différents états de vie, leur vocation et leur mission spécifique dans l'Eglise.
Dans l'Eglise, en effet, la communion n'est pas uniformité, mais elle est un don de l'Esprit qui passe à travers la variété des charismes et des états de vie. Ceux-ci seront d'autant plus utiles à l'Eglise et à sa mission que l'on respectera davantage leur identité. De fait, tout don de l'Esprit est accordé afin qu'on le fasse fructifier pour le Seigneur (7), dans le progrès de la fraternité et l'avancée de la mission.
6- Cf. Proposition 1
7- Cf. S. François de Sales, Introduction à la vie dévote, Ier partie, ch. 3, Oeuvre, Bibliothèque de la Pléiade, Paris (1969), pp. 36-37.
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Comment ne pas faire mémoire avec reconnaissance envers l'Esprit de l'abondance des formes historiques de vie consacrée suscitées par Lui et présentes aujourd'hui dans le tissu ecclésial? Ces formes ont l'aspect d'une plante aux multiples rameaux (8), qui plonge ses racines dans l'Evangile et produit des fruits abondants à tous les âges de l'Eglise. Quelle extraordinaire richesse! A la fin du Synode, j'ai moi-même éprouvé le besoin de souligner la présence constante de cet élément dans l'histoire de l'Eglise, le cortège de fondateurs et de fondatrices, de saints et de saintes qui ont choisi le Christ dans la radicalité évangélique et dans le service de leurs frères, spécialement des pauvres et des délaissés (9). Ce service montre à l'évidence combien la vie consacrée manifeste l'unité du commandement de l'amour, dans le lien indissoluble entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain.
8- LG 43
9- Cf. Jean Paul II, Homélie de la concélébration solennelle au terme de la IXè Assemblée générale ordinaire du Synode des Evêques (29 octobre 1994), n.3 : AAS 87 (1995), p. 580.
Le Synode a fait mémoire de cette ouvre constante de l'Esprit Saint, qui déploie au cours des siècles les richesses de la pratique des conseils évangéliques grâce aux multiples charismes et qui rend ainsi perpétuellement présent le mystère du Christ dans l'Eglise et dans le monde, dans le temps et dans l'espace.
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Les Pères synodaux des Eglises catholiques orientales et les représentants des autres Eglises de l'Orient ont mis en relief les valeurs évangéliques de la vie monastique (10), apparue dès les débuts du christianisme et florissante aujourd'hui encore sur leur territoire, surtout dans les Eglises orthodoxes.
10- Cf. Synode des évêques, IXè Assemblée générale ordinaire, Message final du Synode (27 octobre 1994), VII : La Documentation Catholique 91 (1994), p. 984.
Depuis les premiers siècles de l'Eglise, des hommes et des femmes se sont sentis appelés à imiter la condition de serviteur du Verbe incarné et ils se sont mis à sa suite en vivant de manière spécifique et radicale, par la profession monastique, les exigences qui découlent de la participation baptismale au mystère pascal de sa mort et de sa résurrection. En portant la Croix (staurophóroi), ils se sont ainsi engagés à devenir témoins de l'Esprit (pneumatophóroi), hommes et femmes authentiquement spirituels, capables de féconder secrètement l'histoire par la louange et l'intercession continuelles, par les conseils ascétiques et les ouvres de charité.
En voulant transfigurer le monde et la vie dans l'attente de la vision définitive du visage de Dieu, le monachisme oriental privilégie la conversion, le renoncement à soi-même et la componction du cour, la recherche de l'hésychia, c'est-à-dire de la paix intérieure, et la prière continuelle, le jeûne et les veilles, le combat spirituel et le silence, la joie pascale dans la présence du Seigneur et dans l'attente de sa venue définitive, l'offrande de soi et de ses propres biens, vécue dans la sainte communion du monastère ou dans la solitude érémitique (11).
11- Cf. Proposition 5, B.
L'Occident lui aussi a pratiqué la vie monastique dès les premiers siècles de l'Eglise, et il en a connu une grande variété d'expressions dans les domaines cénobitique et érémitique. Dans sa forme actuelle, inspirée surtout de saint Benoît, le monachisme occidental est l'héritier d'hommes et de femmes nombreux qui, après avoir quitté la vie selon le monde, cherchèrent Dieu et se donnèrent à lui, "sans rien préférer à l'amour du Christ" (12). Aujourd'hui encore, les moines s'efforcent de concilier harmonieusement la vie intérieure et le travail dans l'engagement évangélique de la conversion des moeurs, de l'obéissance et de la stabilité, ainsi que dans la pratique assidue de la méditation de la Parole (lectio divina ), de la célébration de la liturgie, de la prière. Les monastères ont été et sont encore, au cour de l'Eglise et du monde, un signe éloquent de communion, une demeure accueillante pour ceux qui cherchent Dieu et les réalités spirituelles, des écoles de la foi et de vrais centres d'études, de dialogue et de culture pour l'édification de la vie ecclésiale et de la cité terrestre elle-même, dans l'attente de la cité céleste.
12- RB 4,21 RB 72,11
7
C'est un motif de joie et d'espérance que de voir à notre époque le retour de l'antique ordre des vierges, dont nous avons trace dans les communautés chrétiennes depuis les temps apostoliques (13). Les vierges consacrées par l'Evêque diocésain entrent dans une relation étroite avec l'Eglise et elles se mettent à son service, tout en restant dans le monde. Seules ou associées, elles constituent une image eschatologique de l'Epouse céleste et de la vie future, dans laquelle l'Eglise vivra finalement en plénitude l'amour pour le Christ son Epoux.
13- Cf. Proposition 12.
Les ermites, hommes et femmes, appartenant à des Ordres anciens ou à des Instituts nouveaux, ou encore en dépendance directe de l'Evêque, témoignent de la fugacité du temps présent par leur séparation intérieure et extérieure du monde; ils attestent par le jeûne et la prière que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de la Parole de Dieu (cf. Mt 4,4). Cette vie "au désert" est une invitation pour leurs semblables et pour la communauté ecclésiale elle-même à ne jamais perdre de vue la vocation suprême, qui est de demeurer toujours avec le Seigneur.
On assiste aujourd'hui au retour de la consécration des veuves (14), connue depuis les temps apostoliques (cf. 1Tm 5,5 1Tm 5,9-10 1Co 7,8) , ainsi que de celle des veufs. Par leur voeu de chasteté perpétuelle pour le Royaume de Dieu, ces personnes se consacrent dans leur condition pour se donner à la prière et au service de l'Eglise.
14- CIO 570
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Les Instituts totalement ordonnés à la contemplation, composés de femmes ou d'hommes, sont pour l'Eglise un motif de gloire et une source de grâces célestes. Par leur vie et par leur mission, les personnes qui en font partie imitent le Christ en prière sur la montagne, elles témoignent de la seigneurie de Dieu sur l'histoire, elles anticipent la gloire future.
Dans la solitude et dans le silence, par l'écoute de la Parole de Dieu, la pratique du culte divin, l'ascèse personnelle, la prière, la mortification et la communion de l'amour fraternel, elles orientent toute leur vie et toute leur activité vers la contemplation de Dieu. Elles offrent ainsi à la communauté ecclésiale un témoignage unique de l'amour de l'Eglise pour son Seigneur et elles contribuent, avec une mystérieuse fécondité apostolique, à la croissance du Peuple de Dieu (15).
15- PC 7 AGD 40
Il est donc légitime de souhaiter que les différentes formes de vie contemplative connaissent une diffusion croissante dans les jeunes Eglises comme expression du plein enracinement de l'Evangile, surtout dans les régions du monde où les autres religions sont le plus répandues. Cela permettra de témoigner efficacement de la vigueur des traditions d'ascèse et de mystique chrétiennes et cela favorisera même le dialogue inter - religieux (16).
16- Cf. Proposition 6.
9
En Occident, on a vu fleurir au long des siècles de nombreuses autres expressions de vie religieuse, qui ont permis à d'innombrables personnes, renonçant au monde, de se consacrer à Dieu par la profession publique des conseils évangéliques selon un charisme spécifique et une forme de vie commune stable, pour les différentes formes d'apostolat auprès du Peuple de Dieu (17). Il en va ainsi pour les diverses familles de Chanoines réguliers, les Ordres mendiants, les Clercs réguliers et, de manière générale, les Congrégations religieuses d'hommes et de femmes qui s'adonnent à l'activité apostolique et missionnaire ainsi qu'aux ouvres multiples suscitées par la charité chrétienne.
17- Cf. Proposition 4.
C'est un témoignage magnifiquement varié, qui reflète la multiplicité des dons communiqués par Dieu aux fondateurs et aux fondatrices. Ceux-ci, ouverts à l'action de l'Esprit Saint, ont su interpréter les "signes des temps" et répondre de manière éclairée aux exigences qui apparaissaient progressivement. Sur leurs traces, bien d'autres personnes ont cherché par la parole et par l'action à incarner l'Evangile dans leur existence, pour manifester en leur temps la vivante présence de Jésus, le Consacré par excellence et l'Apôtre du Père. Les religieux et les religieuses doivent continuer à prendre le Christ Seigneur pour modèle à toute époque, nourrissant dans la prière une profonde communion de sentiments avec Lui (cf. Ph 2,5-11), afin que toute leur vie soit animée d'un esprit apostolique et que toute leur action apostolique soit pénétrée d'un esprit de contemplation (18).
18- Cf. Proposition 7.
10
L'Esprit Saint, admirable artisan de la variété des charismes, a suscité en notre temps de nouvelles expressions de la vie consacrée; cela paraît répondre, selon un dessein providentiel, aux besoins nouveaux que rencontre aujourd'hui l'Eglise pour accomplir sa mission dans le monde.
On pense d'abord aux Instituts séculiers, dont les membres entendent vivre la consécration à Dieu dans le monde par la profession des conseils évangéliques dans le cadre des structures temporelles, pour être ainsi levain de la sagesse et témoins de la grâce à l'intérieur de la vie culturelle, économique et politique. Par la synthèse de la vie séculière et de la consécration qui leur est propre, ils entendent introduire dans la société les énergies nouvelles du Règne du Christ, en cherchant à transfigurer le monde de l'intérieur par la force des Béatitudes. De cette façon, tandis que leur totale appartenance à Dieu les consacre pleinement à son service, leur activité dans les conditions laïques ordinaires aide, sous l'action de l'Esprit, à donner une âme évangélique aux réalités séculières. Les Instituts séculiers contribuent ainsi à assurer à l'Eglise, selon le caractère propre de chaque Institut, une présence efficace dans la société (19).
19- Cf. Proposition 11.
Les Instituts séculiers cléricaux exercent eux aussi une fonction très utile: des prêtres appartenant au presbytérium diocésain, même lorsque certains d'entre eux sont autorisés à être incardinés dans leur Institut, s'y consacrent au Christ par la pratique des conseils évangéliques selon un charisme spécifique. Ils trouvent dans les richesses spirituelles de l'Institut dont ils font partie une aide importante pour vivre intensément la spiritualité propre au sacerdoce et être ainsi des ferments de communion et de générosité apostolique parmi leurs confrères.
11
Il convient de mentionner spécialement les Sociétés de vie apostolique ou de vie commune, masculines et féminines, qui poursuivent avec leur style propre une fin spécifique apostolique ou missionnaire. Chez nombre d'entre elles, les conseils évangéliques sont assumés par des liens sacrés que l'Eglise reconnaît expressément. Toutefois, même en pareil cas, la particularité de leur consécration les distingue des Instituts religieux et des Instituts séculiers. Il faut sauvegarder et promouvoir la spécificité de cette forme de vie qui, au cours des derniers siècles, a produit tant de fruits de sainteté et d'apostolat, notamment dans le domaine de la charité et de la diffusion missionnaire de l'Evangile (20).
20- Cf. Proposition 14.
12
L'éternelle jeunesse de l'Eglise continue à se manifester aujourd'hui encore: dans les dernières décennies, après le Concile oecuménique Vatican II, on a vu apparaître des formes de vie consacrée nouvelles ou renouvelées. Dans de nombreux cas, il s'agit d'Instituts semblables à ceux qui existent déjà, mais nés de nouveaux élans spirituels et apostoliques. Leur vitalité doit être confirmée par l'autorité de l'Eglise, à laquelle il revient de procéder aux évaluations nécessaires, tant pour éprouver l'authenticité de la finalité qui les a inspirés que pour éviter la multiplication excessive d'institutions similaires, avec le risque d'une fragmentation nocive en groupes trop petits. Dans d'autres cas, il s'agit d'expériences originales, qui sont à la recherche d'une identité propre dans l'Eglise et attendent d'être officiellement reconnues par le Siège apostolique, à qui seul revient le jugement définitif (21).
21- CIC 605 CIO 571; Proposition 13.
Ces nouvelles formes de vie consacrée, qui s'ajoutent aux anciennes, témoignent de la puissance d'attraction que le don total au Seigneur, l'idéal de la communauté apostolique et les charismes de fondation continuent d'exercer sur la génération actuelle. Elles sont aussi le signe de la complémentarité des dons de l'Esprit Saint.
Toutefois, dans la nouveauté, l'Esprit ne se contredit pas! La preuve en est que les nouvelles formes de vie consacrée n'ont pas supplanté les précédentes. Malgré une telle variété, on a pu conserver l'unité fondamentale, car il n'y a qu'un seul appel à suivre Jésus chaste, pauvre et obéissant, dans la recherche de la charité parfaite. Cet appel, comme c'est le cas dans toutes les formes de vie consacrée déjà existantes, doit être présent également dans celles qui se proposent comme nouvelles.
13
Recueillant la moisson des travaux du Synode, je désire par cette Exhortation apostolique m'adresser à toute l'Eglise pour présenter non seulement aux personnes consacrées, mais aussi aux Pasteurs et aux fidèles, les fruits d'une stimulante confrontation, sur les développements de laquelle l'Esprit Saint n'a pas manqué de veiller par ses dons de vérité et d'amour.
En ces années de renouveau, la vie consacrée a traversé une période délicate et difficile, comme d'ailleurs d'autres formes de vie dans l'Eglise. Ce fut une période riche d'espérances, de tentatives et de propositions novatrices qui tendaient à donner une nouvelle force à la profession des conseils évangéliques. Mais ce fut aussi un temps marqué par des tensions et des épreuves, où des expériences pourtant généreuses n'ont pas toujours été couronnées par des résultats positifs.
Les difficultés, toutefois, ne doivent pas pousser au découragement. Il faut plutôt s'engager avec un nouvel élan, car l'Eglise a besoin de l'apport spirituel et apostolique d'une vie consacrée renouvelée et renforcée. Par la présente Exhortation post-synodale, je désire m'adresser aux communautés religieuses et aux personnes consacrées dans l'esprit même qui animait la lettre envoyée aux chrétiens d'Antioche par le Concile de Jérusalem, et je nourris l'espérance que puisse aujourd'hui se renouveler la même expérience qu'alors: "Lecture en fut faite et l'on se réjouit de l'encouragement qu'elle apportait" (Ac 15,31). De plus, je nourris également l'espérance de faire grandir la joie de tout le peuple de Dieu qui, mieux informé sur la vie consacrée, pourra rendre grâce au Tout-Puissant pour ce grand don en toute connaissance de cause.
Dans une attitude de cordiale ouverture à l'égard des Pères synodaux, j'ai tiré profit des précieuses contributions qui ont vu le jour pendant les travaux approfondis de l'assemblée, auxquels j'ai voulu être constamment présent. Durant cette période, j'ai eu le souci d'offrir à tout le Peuple de Dieu des catéchèses systématiques sur la vie consacrée dans l'Eglise. J'y ai proposé à nouveau les enseignements contenus dans les textes du Concile Vatican II, qui fut un point de référence éclairant pour les développements doctrinaux ultérieurs et pour la réflexion menée par le Synode durant les semaines de ses travaux intenses (22).
22- Cf. Propositions 3 ; 4 ; 6; 7 ; 8; la ; 13 ; 28; 29; 30 ; 35 ; 48
Certain que les fils de l'Eglise, et en particulier les personnes consacrées, tiendront à accueillir cette Exhortation avec l'adhésion du cour, je souhaite que la réflexion se poursuive pour permettre l'approfondissement du grand don de la vie consacrée dans la triple dimension de la consécration, de la communion et de la mission, et que les personnes consacrées, hommes et femmes, en plein accord avec l'Eglise et avec son Magistère, trouvent ainsi une ardeur nouvelle pour faire face spirituellement et apostoliquement aux défis qui se présentent.
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Le fondement évangélique de la vie consacrée est à chercher dans le rapport spécial que Jésus, au cours de son existence terrestre, établit avec certains de ses disciples, qu'il invita non seulement à accueillir le Royaume de Dieu dans leur vie, mais aussi à mettre leur existence au service de cette cause, en quittant tout et en imitant de près sa forme de vie.
Cette existence "christiforme", proposée à tant de baptisés au long de l'histoire, ne peut être vécue que sur la base d'une vocation spéciale et en vertu d'un don particulier de l'Esprit. En elle, la consécration baptismale est amenée à donner une réponse radicale par la sequela Christi, grâce à la pratique des conseils évangéliques, dont le premier et le plus grand est le lien sacré de la chasteté pour le Royaume des cieux (23). Cette forme de la sequela Christi, dont l'origine est toujours l'initiative du Père, a donc une connotation essentiellement christologique et pneumatologique; cela lui permet d'exprimer de manière particulièrement vive le caractère trinitaire de la vie chrétienne, en quelque sorte anticipation de l'accomplissement eschatologique vers lequel tend toute l'Eglise (24).
23- Cf. Proposition 3, A et B.
24- Cf. Proposition 3, C.
Dans l'Evangile, nombreux sont les gestes et les paroles du Christ qui éclairent le sens de cette vocation spéciale. Toutefois, pour en saisir les traits essentiels dans une vision d'ensemble, il est particulièrement utile de fixer le regard sur le visage rayonnant du Christ dans le mystère de la Transfiguration. C'est à cette "icône" que se réfère toute une tradition spirituelle ancienne, qui relie la vie contemplative à la prière de Jésus "sur la montagne" (25). En outre, les dimensions "actives" de la vie consacrée peuvent elles-mêmes y amener aussi dans une certaine mesure, puisque la Transfiguration n'est pas seulement une révélation de la gloire du Christ, mais une préparation à accepter sa Croix. Elle suppose une "ascension de la montagne" et une "descente de la montagne": les disciples qui ont joui de l'intimité du Maître, un moment enveloppés par la splendeur de la vie trinitaire et par la communion des saints, sont comme emportés dans l'éternité. Puis ils sont soudain ramenés à la réalité quotidienne; ils ne voient plus que "Jésus seul" dans l'humilité de la nature humaine et ils sont invités à retourner dans la vallée, pour partager ses efforts dans la réalisation du dessein de Dieu et pour prendre avec courage le chemin de la Croix.
25- Cf. Cassien : "Secessit tamen solus in monte orare, per hoc scilicet nos instruens suae secessionis exemplo (...) ut similiter secedamus", "Il partit à l'écart seul sur la montagne pour prier, en nous donnant l'exemple de cette mise à l'écart pour que nous allions de même à l'écart", (Conlat. 10, 6: SC 54, pp. 80-81); S. Jérôme: "Et Christum quæras in solitudine et ores solus in monte cum Iesu", "Recherche le Christ dans la solitude et prie seul sur la montagne avec Jésus", ( ad Paulinum 58, 4, 2: PL 22, 582); Guillaume de Saint-Thierry: "(Vita solitaria) ab ipso Domino familiarissime celebrata, ab eius discipulis ipso præsente concupita: cuius transfigurationis gloriam cum vidissent qui cum eo in monte sancto erant, continuo Petrus...optimum sibi iudicavit in hoc semper esse", "(La vie solitaire) a été pratiquée très souvent par le Seigneur lui-même, et désirée par ses disciples même en sa présence; ceux qui étaient avec lui sur la montagne sainte ayant vu la gloire de sa transfiguration, Pierre jugea immédiatement ... que le mieux était pour lui de demeurer toujours en ce lieu", (Ad fratres de Monte Dei 11-12: SC 223, pp. 150-153).
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"Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et les emmène à l'écart, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux: son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici que leur apparurent Moïse et Elie, qui s'entretenaient avec lui. Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus: "Seigneur, il est heureux que nous soyons ici; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie". Comme il parlait encore, voici qu'une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu'une voix disait de la nuée: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le". A cette voix, les disciples tombèrent la face contre terre, tout effrayés. Mais Jésus, s'approchant, les toucha et leur dit: "Relevez-vous, et n'ayez pas peur". Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre: "Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l'homme ne ressuscite d'entre les morts" " (Mt 17,1-9).
L'épisode de la Transfiguration marque un moment décisif dans le ministère de Jésus. C'est un événement révélateur qui affermit la foi dans le cour des disciples, les prépare au drame de la Croix et anticipe la gloire de la Résurrection. Ce mystère est continuellement revécu par l'Eglise, peuple en marche vers la rencontre eschatologique avec son Seigneur. Comme les trois apôtres choisis, l'Eglise contemple le visage transfiguré du Christ, pour être fortifiée dans la foi et ne pas risquer d'être désemparée devant son visage défiguré sur la Croix. Dans les deux cas, elle est l'Epouse devant l'Epoux, elle participe à son mystère, elle est entourée de sa lumière.
Cette lumière éclaire ses fils, tous également appelés à suivre le Christ en fondant sur Lui le sens ultime de leur vie, au point de pouvoir dire avec l'Apôtre: "Pour moi, vivre, c'est le Christ!" (Ph 1,21). Les personnes appelées à la vie consacrée font certainement une expérience unique de la lumière qui émane du Verbe incarné. En effet, la profession des conseils évangéliques fait d'eux des signes prophétiques pour la communauté de leurs frères et pour le monde; dès lors, ils doivent nécessairement vibrer de manière particulière aux paroles enthousiastes de Pierre: "Il est heureux que nous soyons ici!" (Mt 17,4). Ces paroles disent l'orientation christologique de toute la vie chrétienne. Toutefois, elles expriment avec vigueur le caractère radical qui donne son dynamisme profond à la vocation à la vie consacrée: comme il est beau pour nous de rester avec Toi, de nous donner à Toi, de concentrer de manière exclusive notre existence sur Toi! En effet, celui qui a reçu la grâce de cette communion d'amour spéciale avec le Christ se sent comme saisi par son éclat: Il est le "plus beau des enfants des hommes" (Ps 45,3), l'Incomparable.
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Les trois disciples en extase reçoivent l'appel du Père à se mettre à l'écoute du Christ, à placer en Lui toute leur confiance, à faire de Lui le centre de leur vie. La parole venue d'en haut donne une nouvelle profondeur à l'invitation à le suivre que Jésus lui-même, au début de sa vie publique, leur avait adressée, en les arrachant à leur vie ordinaire et en les accueillant dans son intimité. C'est précisément de cette grâce spéciale d'intimité que proviennent, dans la vie consacrée, la possibilité et l'exigence du don total de soi par la profession des conseils évangéliques. Ces derniers, avant d'être un renoncement et même davantage, permettent d'accueillir le mystère du Christ d'une manière spécifique, vécue à l'intérieur de l'Eglise.
Dans l'unité de la vie chrétienne, en effet, les différentes vocations sont comme les rayons de l'unique lumière du Christ " qui resplendit sur le visage de l'Eglise" (26).Les laïcs, en vertu du caractère séculier de leur vocation, reflètent le mystère du Verbe incarné surtout en ce qu'il est l'Alfa et l'Oméga du monde, fondement et mesure de la valeur de toutes les réalités créées. Les ministres sacrés, de leur côté, sont de vivantes images du Christ chef et pasteur, qui guide son peuple dans le temps du "déjà là et du pas encore", en attendant sa venue dans la gloire. La vie consacrée a le devoir de montrer le Fils de Dieu fait homme comme le terme eschatologique vers lequel tout tend, la splendeur face à laquelle pâlit toute autre lumière, la beauté infinie qui peut seule combler le cour de l'homme. Dans la vie consacrée, il ne s'agit donc pas seulement de suivre le Christ de tout son cour, en l'aimant " plus que son père ou que sa mère, plus que son fils ou que sa fille " (cf. Mt 10,37) , comme il est demandé à chaque disciple, mais de vivre et d'exprimer cela par une adhésion qui est " configuration " de toute l'existence au Christ, dans une orientation radicale qui anticipe la perfection eschatologique, selon les différents charismes et pour autant qu'il est possible d'y parvenir dans le temps.
26- LG 1
En effet, à travers la profession des conseils, la personne consacrée ne se contente pas de faire du Christ le sens de sa vie, mais elle cherche à reproduire en elle-même, dans la mesure du possible, "la forme de vie que le Fils de Dieu a prise en entrant dans le monde" (27).Embrassant la virginité, elle fait sien l'amour virginal du Christ et affirme au monde qu'Il est Fils unique, un avec le Père (cf. Jn 10,30 Jn 14,11); imitant sa pauvreté, elle Le reconnaît comme Fils qui reçoit tout du Père et lui rend tout par amour (cf. Jn 17,7 Jn 17,10); adhérant par le sacrifice de sa liberté au mystère de son obéissance filiale, elle Le reconnaît comme infiniment aimé et aimant, comme Celui qui ne se complaît que dans la volonté du Père (cf. Jn 4,34), auquel Il est parfaitement uni et dont Il dépend tout entier.
27- LG 44
Par cette identification et cette "configuration" au mystère du Christ, la vie consacrée réalise à un titre spécial la confessio Trinitatis qui caractérise toute la vie chrétienne, reconnaissant avec admiration la sublime beauté de Dieu Père, Fils et Esprit Saint, et témoignant avec joie de sa condescendance aimante pour tout être humain.
1996 Vita Consecrata