1996 Vita Consecrata 81

La nouvelle évangélisation

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Pour répondre efficacement aux grands défis lancés par l'histoire contemporaine à la nouvelle évangélisation, il est avant tout nécessaire que la vie consacrée se laisse continuellement interpeller par la Parole révélée et par les signes des temps (204). Le souvenir des grands évangélisateurs et des grandes évangélisatrices, qui furent d'abord de grands évangélisés, montre que, pour s'adresser au monde d'aujourd'hui, il faut des personnes données avec amour au Seigneur et à son Evangile. "Par leur vocation spécifique, les personnes consacrées sont appelées à faire naître l'unité entre l'auto-évangélisation et le témoignage, entre le renouveau intérieur et le renouveau apostolique, entre l'être et l'agir, faisant apparaître que le dynamisme vient toujours du premier élément du binôme" (205).

204-
EN 15
205- Synode des évêques, IXe Assemblée générale ordinaire, Rapport avant la discussion, n 22 : La Doc. Cat. 91 (1994), p 951.


La nouvelle évangélisation, comme celle de toujours, ne sera efficace que si elle sait proclamer sur les toits ce qui a d'abord été vécu dans l'intimité avec le Seigneur. Elle a besoin de solides personnalités, animées de la ferveur des saints. La nouvelle évangélisation exige des personnes consacrées une pleine conscience du sens théologique des défis de notre temps . Ces défis doivent être analysés attentivement et dans un discernement commun, en vue du renouveau de la mission. Il faut avoir le courage d'annoncer le Seigneur Jésus et, en même temps, faire confiance à l'action de la Providence, qui agit dans le monde et qui "dispose tout pour le bien de l'Eglise, même les événements contraires" (206).

206- Jean XXIII, Discours à l'ouverture du Concile Vatican II (11 octobre 1962) : AAS 54 (1962), p 789.


Parmi les éléments importants qui permettent une insertion fructueuse des Instituts dans le processus de la nouvelle évangélisation, il y a la fidélité au charisme fondateur, la communion avec ceux qui, dans l'Eglise, sont engagés au service de la même cause, spécialement les Pasteurs, et la coopération de tous les hommes de bonne volonté. Cela exige un sérieux discernement des appels adressés par l'Esprit à chaque Institut, dans les régions où d'importants progrès ne sont pas prévisibles dans l'immédiat comme dans celles où s'annonce une renaissance réconfortante. En tout lieu et en toute situation, que les personnes consacrées annoncent le Seigneur Jésus avec ardeur, prêtes à répondre avec la sagesse de l'Evangile aux questions que leur posent aujourd'hui l'inquiétude du cour humain et l'urgence de ses nécessités!

La prédilection pour les pauvres

et la promotion de la justice

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Au début de son ministère, dans la synagogue de Nazareth, Jésus proclame que l'Esprit l'a consacré pour porter aux pauvres un message de joie, pour annoncer aux prisonniers la délivrance, rendre la vue aux aveugles, libérer les opprimés et prêcher une année de grâce du Seigneur (cf.
Lc 4,16-19). L'Eglise, qui fait sienne la mission du Seigneur, annonce l'Evangile à tout homme et à toute femme, car elle s'engage en vue de leur salut intégral. Mais, avec une attention spéciale, une véritable "option préférentielle", elle se tourne vers ceux qui se trouvent dans une situation de plus grande faiblesse, et donc de plus grand besoin. Les "pauvres", dans les multiples dimensions de la pauvreté, ce sont les opprimés, les marginaux, les personnes âgées, les malades, les petits, tous ceux qui sont considérés et traités comme les "derniers" dans la société.

L'option pour les pauvres se situe dans la logique même de l'amour vécu selon le Christ. Tous les disciples du Christ doivent donc la faire, mais ceux qui veulent suivre le Seigneur de plus près, en imitant son comportement, ne peuvent que se sentir concernés par elle de manière toute particulière. La sincérité de leur réponse à l'amour du Christ les conduit à vivre en pauvres et à embrasser la cause des pauvres. Cela comprend pour chaque Institut, selon son charisme spécifique, l'adoption d'un style de vie, tant personnel que communautaire, humble et austère . Fortes de ce témoignage vécu, les personnes consacrées pourront, de manière conforme à leur choix de vie et en restant libres à l'égard des idéologies politiques, dénoncer les injustices perpétrées contre bien des fils et des filles de Dieu et s'engager pour la promotion de la justice dans le champ social où elles travaillent (207). De cette façon, même dans les situations actuelles, on verra se renouveler, par le témoignage d'innombrables personnes consacrées, le don de soi des fondateurs et des fondatrices qui offrirent leur vie pour servir le Seigneur présent dans les pauvres. En effet, "ici- bas, le Christ est pauvre dans la personne de ses pauvres (...). Dieu, il est riche, homme, il est pauvre. De fait, le même homme déjà riche est monté au ciel et il est assis à la droite du Père. Mais, en même temps, il reste ici-bas le pauvre qui a faim, qui a soif, qui est nu" (208).

207- Proposition 18.
208- S. Augustin, Sermon 123,3-4 : PL 38,685-686.


L'Evangile devient opérant par la charité, qui est la gloire de l'Eglise et le signe de sa fidélité au Seigneur. C'est ce que montre toute l'histoire de la vie consacrée, que l'on peut considérer comme une exégèse vivante de la parole de Jésus: "Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25,40). De nombreux Instituts, surtout à l'époque moderne, sont nés précisément pour répondre à tel ou tel besoin des pauvres. Et même lorsque cette finalité n'a pas été déterminante, l'attention et l'intérêt portés aux plus démunis et exprimés par la prière, l'accueil et l'hospitalité, ont toujours été naturellement présents dans les différentes formes de vie consacrée, y compris la vie contemplative. Comment pourrait-il en être autrement, dès lors que le Christ contemplé dans la prière est Celui-là même qui vit et souffre dans les pauvres? Dans ce sens, l'histoire de la vie consacrée est riche d'exemples merveilleux et parfois géniaux. Saint Paulin de Nole, qui avait distribué ses biens aux pauvres pour se consacrer pleinement à Dieu, fit construire les cellules de son monastère au-dessus d'un hospice destiné précisément aux indigents. Il se réjouissait à la pensée de cet "échange de dons" singulier: les pauvres, assistés par lui, affermissaient par leur prière les "fondations" mêmes de sa maison, tout entière vouée à la louange de Dieu (209). Saint Vincent de Paul, pour sa part, aimait dire que, lorsqu'on est contraint d'interrompre la prière pour assister un pauvre dans le besoin, en réalité, on ne l'interrompt pas, parce que c'est "quitter Dieu pour Dieu" (210).

209- Chant XXI, vv 386-394 : PL 61,587.
210- Correspondance, Entretetiens, Documents, Conférence " Sur les Règles " (30 mai 1647) : éd. Coste IX, Paris (1923), p 319.


Pour la vie consacrée, le service des pauvres est un acte d'évangélisation et, en même temps, il scelle la fidélité à l'Evangile et invite à la conversion permanente, puisque comme le dit saint Grégoire le Grand - "la charité s'élance merveilleusement vers les hauteurs quand elle se laisse miséricordieusement attirer en bas vers les misères du prochain; et plus elle descend avec amour vers les faiblesses, plus elle reprend avec vigueur sa course vers les sommets" (211).

211- Règle pastorale 2,5 : SC 381, p 201.


Le soin des malades

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En suivant une glorieuse tradition, un grand nombre de personnes consacrées, surtout des femmes, exercent leur apostolat dans les milieux sanitaires, selon le charisme de leur Institut. Au cours des siècles, nombreuses ont été les personnes consacrées qui ont fait le sacrifice de leur vie en se mettant au service des victimes de maladies contagieuses, et qui ont ainsi montré que le don de soi jusqu'à l'héroïsme fait partie du caractère prophétique de la vie consacrée.

L'Eglise regarde avec admiration et gratitude les très nombreuses personnes consacrées qui, portant assistance aux malades et à ceux qui souffrent, contribuent à sa mission de manière significative. Elles prolongent le ministère de miséricorde du Christ, qui "a passé en faisant le bien et en guérissant" (
Ac 10,38). Sur les traces du Samaritain divin, médecin des âmes et des corps (212), et à l'exemple de leurs fondateurs et de leurs fondatrices, que les personnes consacrées, qui y sont destinées par le charisme de leur Institut, persévèrent dans leur témoignage d'amour à l'égard des malades, en se donnant à eux avec une profonde compréhension et en prenant part à leur souffrance! Qu'elles privilégient dans leurs choix les malades les plus pauvres et les plus délaissés, comme les personnes âgées, les handicapés, les marginaux, les malades en fin de vie, les victimes de la drogue et des nouvelles maladies contagieuses! Qu'elles aident les malades à offrir leur souffrance en communion avec le Christ crucifié et glorifié pour le salut de tous (213) et qu'elles restent conscientes d'être, par la prière et par le témoignage de la parole et du comportement, des sujets actifs de la pastorale grâce au charisme particulier de la croix! (214)

212- SD 28-30
213- SD 18 CL 52-53
214- PDV 77


En outre, l'Eglise rappelle aux personnes consacrées qu'il entre dans leur mission d'évangéliser les milieux de la santé où elles travaillent, en cherchant à éclairer, par la diffusion des valeurs évangéliques, la façon de vivre, de souffrir et de mourir des hommes de notre temps. C'est leur devoir de s'employer à l'humanisation de la médecine et à l'approfondissement de la bioéthique, au service de l'Evangile de la vie. Qu'elles cherchent donc à promouvoir d'abord le respect de la personne et de la vie humaine, de sa conception à son terme naturel, en pleine conformité avec l'enseignement moral de l'Eglise (215), par la fondation de centres de formation (216) et par la collaboration fraternelle avec les organismes ecclésiaux de la pastorale sanitaire!

215- EV 78-101
216- Proposition 43.



II. UN TEMOIGNAGE PROPHETIQUE FACE AUX GRANDS DEFIS


Le prophétisme de la vie consacrée

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Le caractère prophétique de la vie consacrée a été fortement mis en relief par les Pères synodaux. Il se présente comme une forme spéciale de participation à la fonction prophétique du Christ, communiquée par l'Esprit à tout le Peuple de Dieu. Ce prophétisme est inhérent à la vie consacrée comme telle, du fait qu'il engage radicalement dans la sequela Christi et il appelle donc à s'investir dans la mission qui la caractérise. La fonction de signe, que Vatican II reconnaît à la vie consacrée (217), s'exprime par le témoignage prophétique du primat de Dieu et des valeurs de l'Evangile dans la vie chrétienne. En vertu de ce primat, rien ne peut être préféré à l'amour personnel pour le Christ et pour les pauvres en qui il vit (218).

217-
LG 44
218- Jean Paul II, Homélie lors de la concélébration solennelle en conclusion de la IXe Assemblée ordinaire du Synode des Evêques (29 octobre 1994), n 3 : AAS 87 (1995), p 580.


La tradition patristique a reconnu dans la personne d'Elie, prophète audacieux et ami de Dieu une figure de la vie religieuse monastique (219). Elie vivait en présence de Dieu et contemplait son passage dans le silence, il intercédait pour le peuple et proclamait la volonté divine avec courage, il luttait pour les droits de Dieu et se dressait pour défendre les pauvres contre les puissants du monde (cf. 1R 18-19). Dans l'histoire de l'Eglise, à côté d'autres chrétiens, il y a toujours eu des hommes et des femmes consacrés à Dieu qui, par un don particulier de l'Esprit, ont exercé un authentique ministère prophétique, parlant au nom de Dieu à tous et même aux Pasteurs de l'Eglise. La véritable prophétie naît de Dieu, de l'amitié avec lui, de l'écoute attentive de sa Parole dans les diverses étapes de l'histoire. Le prophète sent brûler dans son cour la passion pour la sainteté de Dieu et, après avoir accueilli sa parole dans le dialogue de la prière, il la proclame par sa vie, ses lèvres et ses gestes, se faisant le héraut de Dieu contre le mal et le péché. Le témoignage prophétique exige une recherche permanente et passionnée de la volonté de Dieu, une communion ecclésiale indispensable et généreuse, l'exercice du discernement spirituel, l'amour de la vérité. Il s'exprime aussi par la dénonciation de ce qui est contraire à la volonté divine et par l'exploration de voies nouvelles pour mettre en pratique l'Evangile dans l'histoire, en vue du Royaume de Dieu (220).

219- S. Athanase, Vie de saint Antoine, 7 : PG 26,854.
220- Proposition 39, A.


Son importance pour le monde contemporain

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Notre monde, dans lequel les traces de Dieu semblent souvent perdues de vue, éprouve l'urgent besoin d'un témoignage prophétique fort de la part des personnes consacrées. Ce témoignage portera d'abord sur l'affirmation du primat de Dieu et des biens à venir, telle qu'elle se révèle dans la sequela Christi et dans l'imitation du Christ chaste, pauvre et obéissant, totalement consacré à la gloire de son Père et à l'amour de ses frères et de ses soeurs. La vie fraternelle elle-même est une prophétie en acte dans une société qui, parfois à son insu, aspire profondément à une fraternité sans frontières. La fidélité à leur charisme amène les personnes consacrées à offrir partout leur témoignage avec la franchise du prophète qui ne craint pas d'aller jusqu'à risquer sa vie.

La cohérence entre l'annonce et la vie confère une force de persuasion particulière à la prophétie. Les personnes consacrées seront fidèles à leur mission dans l'Eglise et dans le monde, si elles sont capables de s'examiner elles-mêmes continuellement à la lumière de la Parole de Dieu (221). Ainsi, elles pourront communiquer aux autres fidèles la richesse des charismes reçus, tout en se laissant à leur tour interpeller par les provocations prophétiques venues des autres composantes ecclésiales. Dans cet échange des dons, authentifié par le plein accord avec le Magistère et la discipline de l'Eglise, se manifestera avec éclat l'action de l'Esprit qui "unifie (l'Eglise) dans la communion et le service, la pourvoit de dons divers, hiérarchiques et charismatiques, la dirige grâce à ces dons" (222).

221- Proposition 15, A et 39, C.
222-
LG 4 PO 2


Fidélité jusqu'au martyre

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En ce siècle, comme à d'autres époques de l'histoire, des hommes et des femmes consacrés ont rendu témoignage au Christ Seigneur par le don de leur vie . Ils sont des milliers, ceux qui, contraints à se réfugier dans les catacombes à cause de la persécution de régimes totalitaires ou de groupes violents, entravés dans leur activité missionnaire, dans l'action en faveur des pauvres, dans l'assistance aux malades et aux marginaux, ont vécu et vivent leur consécration au prix de souffrances prolongées et héroïques, et souvent en versant leur propre sang, étant ainsi pleinement configurés au Seigneur crucifié. L'Eglise a déjà reconnu officiellement la sainteté de certains d'entre eux en les honorant comme des martyrs du Christ. Ils nous éclairent par leur exemple, ils intercèdent pour notre fidélité, ils nous attendent dans la gloire.

Vif est le désir que la mémoire de tant de témoins de la foi demeure dans la conscience de l'Eglise comme une invitation à les célébrer et à les imiter. Que les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique contribuent à cette ouvre en recueillant les noms et les témoignages de toutes les personnes consacrées qui peuvent être inscrites au Martyrologe du vingtième siècle! (223)

223-
TMA 37


Les grands défis de la vie consacrée

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La mission prophétique de la vie consacrée répond à trois défis principaux adressés à l'Eglise elle-même: ce sont des défis de toujours qui, sous une forme nouvelle et peut-être plus radicale, sont lancés par la société contemporaine, au moins dans certaines parties du monde. Ils concernent directement les conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, et incitent l'Eglise, en particulier les personnes consacrées, à faire apparaître leur profonde signification anthropologique et à en témoigner. Le choix de ces conseils, en effet, loin de constituer un appauvrissement de valeurs authentiquement humaines, se présente plutôt comme leur transfiguration. Les conseils évangéliques ne doivent pas être considérés comme une négation des valeurs inhérentes à la sexualité, au désir légitime de posséder et de décider de sa vie de manière indépendante. Ces inclinations, dans la mesure où elles sont fondées dans la nature, sont bonnes en elles- mêmes. Toutefois, la créature humaine, affaiblie par le péché originel, est exposée au risque de les mettre en ouvre sous le mode de la transgression. La profession de chasteté, de pauvreté et d'obéissance devient un avertissement afin que ne soient pas sous-estimées les blessures provoquées par le péché originel, et, tout en affirmant la valeur des biens créés, elle les relativise en montrant que Dieu est le bien absolu. Ainsi, tandis qu'ils cherchent à acquérir la sainteté pour eux-mêmes, ceux qui suivent les conseils évangéliques proposent pour ainsi dire, une "thérapie spirituelle" à l'humanité, puisqu'ils refusent d'idolâtrer la création et rendent visible en quelque manière le Dieu vivant. La vie consacrée, surtout pendant les périodes difficiles, est une bénédiction pour la vie humaine et pour la vie de l'Eglise elle-même.

Le défi de la chasteté consacrée

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La première provocation est celle d'une culture hédoniste qui délie la sexualité de toute norme morale objective, en la réduisant souvent à un jeu et à un bien de consommation, et en cédant à une sorte d'idolâtrie de l'instinct avec la complicité des moyens de communication sociale. Les conséquences de cet état de fait sont sous les yeux de tous: des transgressions diverses, qui s'accompagnent d'innombrables souffrances psychiques et morales pour les individus et pour les familles. La réponse de la vie consacrée réside d'abord dans la pratique joyeuse de la chasteté parfaite, comme témoignage de la puissance de l'amour de Dieu dans la fragilité de la condition humaine. La personne consacrée atteste que ce que la majorité tient pour impossible devient, avec la grâce du Seigneur Jésus, possible et authentiquement libérant. Oui, dans le Christ il est possible d'aimer Dieu de tout son cour, en le plaçant au- dessus de tout autre amour, et d'aimer ainsi toute créature avec la liberté de Dieu! Voilà l'un des témoignages qui sont aujourd'hui plus nécessaires que jamais, précisément parce qu'il est si peu compris par le monde. Il est offert à toute personne aux jeunes, aux fiancés, aux époux, aux familles chrétiennes - pour montrer que la force de l'amour de Dieu peut opérer de grandes choses à l'intérieur même des vicissitudes de l'amour humain. C'est un témoignage qui répond aussi à un besoin croissant de transparence dans les rapports humains.

Il est nécessaire que la vie consacrée présente au monde d'aujourd'hui des exemples de chasteté vécue par des hommes et des femmes qui font preuve d'équilibre, de maîtrise d'eux- mêmes, d'initiative, de maturité psychologique et affective (224). Dans ce témoignage, l'amour humain trouve un point d'appui solide, que la personne consacrée retire de la contemplation de l'amour trinitaire, qui nous est révélé par le Christ. Parce qu'elle est plongée dans ce mystère, elle se sent capable d'un amour radical et universel, qui lui donne la force de la maîtrise de soi et de la discipline nécessaires pour ne pas tomber dans l'esclavage des sens et des instincts. La chasteté consacrée apparaît ainsi comme une expérience de joie et de liberté. Eclairée par la foi au Seigneur ressuscité et par l'attente des cieux nouveaux et de la terre nouvelle (cf.
Ap 21,1), elle constitue aussi un stimulant précieux pour l'éducation à la chasteté, nécessaire dans d'autres états de vie.

224- PC 12


Le défi de la pauvreté

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Une autre provocation actuelle provient d'un matérialisme avide de possession, indifférent aux besoins et aux souffrances des plus faibles et même dépourvu de toute considération pour l'équilibre des ressources naturelles. La réponse de la vie consacrée se trouve dans la pauvreté évangélique, vécue sous différentes formes et souvent accompagnée d'un engagement actif dans la promotion de la solidarité et de la charité.

Combien d'Instituts se consacrent à l'éducation, à l'instruction et à la formation professionnelle, en rendant des jeunes et des moins jeunes capables de devenir les acteurs de leur avenir! Combien de personnes consacrées se dépensent sans mesurer leurs forces pour les plus humbles de la terre! Combien d'entre elles s'emploient à former de futurs éducateurs et de futurs responsables dans la vie sociale, pour qu'ils s'efforcent d'éliminer les structures d'oppression et de promouvoir des programmes de solidarité en faveur des pauvres! Elles combattent pour vaincre la faim et ses causes, elles animent les activités bénévoles et les organisations humanitaires, elles sensibilisent les organismes publics et privés pour favoriser une distribution équitable des aides internationales. Les nations doivent vraiment beaucoup à ces hommes et à ces femmes, acteurs entreprenants de la charité, qui, par leur générosité inlassable, ont contribué et contribuent encore notablement à l'humanisation du monde.

La pauvreté évangélique au service des pauvres

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En réalité, avant même d'être un service des pauvres, la pauvreté évangélique est une valeur en soi, car elle évoque la première des Béatitudes par l'imitation du Christ pauvre (225). En effet, son sens primitif est de rendre témoignage à Dieu qui est la véritable richesse du cour humain. C'est précisément pourquoi elle conteste avec force, l'idolâtrie de Mammon, en se présentant comme un appel prophétique face à une société qui, dans de nombreuses parties du monde riche, risque de perdre le sens de la mesure et la valeur même des choses. Ainsi, aujourd'hui plus qu'à d'autres époques, la pauvreté évangélique suscite aussi l'intérêt de ceux qui, conscients des limites des ressources de la planète, réclament le respect et la sauvegarde de la création en réduisant la consommation, en pratiquant la sobriété et en s'imposant le devoir de mettre un frein à leurs désirs.

225- Proposition 18, A.


Il est donc demandé aux personnes consacrées de donner un témoignage évangélique renouvelé et vigoureux d'abnégation et de sobriété, par un style de vie fraternel caractérisé par la simplicité et l'hospitalité, ne serait-ce que comme exemple pour ceux qui restent indifférents aux besoins de leur prochain. Ce témoignage s'accompagnera naturellement de l'amour préférentiel pour les pauvres et il se manifestera tout spécialement par le partage des conditions de vie des plus déshérités. Bien des communautés vivent et travaillent au milieu des pauvres et des marginaux, elles adoptent leurs conditions de vie et partagent leurs souffrances, leurs problèmes et leurs dangers.

De grandes pages dans l'histoire de la solidarité évangélique et du dévouement héroïque ont été écrites par des personnes consacrées, en ces années de changements profonds et de grandes injustices, d'espoirs et de déceptions, de conquêtes importantes et d'amers échecs. Non moins significatives sont les pages qu'ont écrites et qu'écrivent encore d'innombrables autres personnes consacrées, qui vivent en plénitude leur vie "cachée avec le Christ en Dieu" (
Col 3,3) pour le salut du monde, à l'enseigne de la gratuité, de l'engagement de toute leur vie dans des causes peu reconnues et moins encore appréciées. Sous ces formes diverses et complémentaires, la vie consacrée participe à la pauvreté extrême vécue par le Seigneur, et elle remplit son rôle spécifique dans le mystère salvifique de l'Incarnation et de la mort rédemptrice du Christ (226).

226- PC 13


Le défi de la liberté dans l'obéissance

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La troisième provocation est celle qui provient des conceptions de la liberté qui soustraient cette prérogative humaine essentielle à son rapport constitutif avec la vérité et avec la norme morale (227). En réalité, la culture de la liberté est une valeur authentique, étroitement liée au respect de la personne humaine. Mais qui ne voit les graves injustices et même les terribles violences qui résultent d'un usage dévié de la liberté dans la vie des personnes et des peuples?

227-
VS 31-35


L'obéissance qui caractérise la vie consacrée est une réponse efficace à cette situation. Elle présente comme modèle, d'une manière particulièrement forte, l'obéissance du Christ à son Père et, à partir de son mystère, elle témoigne de ce qu'il n'y a pas de contradiction entre l'obéissance et la liberté. En effet, l'attitude du Fils révèle que le mystère de la liberté humaine est une voie d'obéissance à la volonté du Père et que le mystère de l'obéissance est une voie de conquête progressive de la vraie liberté. La personne consacrée désire exprimer ce mystère précisément par ce voeu. Elle entend montrer par là sa conscience d'un rapport de filiation, en vertu duquel elle accueille la volonté paternelle comme sa nourriture quotidienne (cf. Jn 4,34), son roc, sa joie, son bouclier et son refuge (cf. Ps 18,3). Elle fait apparaître ainsi qu'elle grandit dans la pleine vérité de son être, demeurant attachée à la source de son existence et donnant donc ce message très consolant: "Grande est la paix de qui aime ta loi, jamais il ne trébuche" (Ps 119,165).

Faire ensemble la volonté du Père

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Ce témoignage des personnes consacrées revêt aussi une signification particulière, à cause de la dimension communautaire qui caractérise la vie religieuse. La vie fraternelle est le lieu privilégié pour discerner et pour accueillir la volonté de Dieu, et pour avancer ensemble en union d'esprit et de cour. L'obéissance, vivifiée par la charité, unit les membres d'un Institut dans le même témoignage et dans la même mission, bien que dans la diversité des dons et dans le respect de chaque individualité. Par la vie fraternelle animée par l'Esprit, chacun entretient avec les autres un dialogue précieux pour découvrir la volonté du Père, et tous reconnaissent en celui qui est responsable l'expression de la paternité de Dieu ainsi que l'exercice de l'autorité reçue de Dieu, mise au service du discernement et de la communion (228).

228- Proposition 19, A :
PC 14


Dans l'Eglise et dans la société, la vie de communauté est encore particulièrement le signe du lien que constitue la volonté commune d'obéir au même appel, au-delà de toutes les diversités de race ou d'origine, de langue ou de culture. A l'encontre de l'esprit de discorde et de division, autorité et obéissance donnent un signe lumineux de la paternité unique qui vient de Dieu, de la fraternité née de l'Esprit, de la liberté intérieure des personnes qui s'en remettent à Dieu malgré les limites humaines de ceux qui le représentent. Par cette obéissance, que certains admettent comme une règle de vie, on fait l'expérience de la béatitude promise par Jésus à "ceux qui écoutent la Parole de Dieu et l'observent" (Lc 11,28) et on l'annonce pour le bien de tous. En outre, celui qui obéit est assuré d'être vraiment en mission, à la suite du Seigneur et non porté par ses propres désirs ou ses propres aspirations. Il est ainsi possible de se savoir conduit par l'Esprit du Seigneur et soutenu par sa main ferme, même au milieu de grandes difficultés (cf. Ac 20,22-24).

Un ferme engagement dans la vie spirituelle

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L'une des préoccupations maintes fois manifestée au Synode a été celle d'une vie consacrée nourrie aux sources d'une spiritualité solide et profonde . Il s'agit, en effet, d'une exigence prioritaire, inscrite dans l'essence même de la vie consacrée, du fait que, comme tout autre baptisé, et même pour des raisons encore plus contraignantes, celui qui professe les conseils évangéliques est tenu de tendre de toutes ses forces vers la perfection dans la charité (229). C'est un devoir que rappellent fortement les exemples innombrables des saints et des saintes fondateurs et de nombreuses personnes consacrées qui ont rendu témoignage de leur fidélité au Christ jusqu'au martyre.

229- Proposition 15.


Tendre vers la sainteté: voilà en bref le programme de toute vie consacrée, également dans la perspective de son renouveau au seuil du troisième millénaire. Le point de départ de ce programme se trouve dans le fait de tout quitter pour le Christ (cf.
Mt 4,18-22 Mt 19,21 Mt 19,27 Lc 5,11), Le préférant à tout, afin de pouvoir participer pleinement au Mystère pascal.

Saint Paul l'avait bien compris, lui qui s'écriait: "Je considère tout comme désavantageux à cause de la supériorité de la connaissance du Christ Jésus (...). Le connaître, Lui, avec la puissance de sa résurrection" (Ph 3,8 Ph 3,10). C'est le chemin que les Apôtres ont montré dès le commencement, comme l'exprime la tradition chrétienne en Orient et en Occident: "Ceux qui suivent Jésus aujourd'hui, abandonnant tout pour lui, rappellent les Apôtres qui, répondant à son invitation, renoncèrent à tout. Traditionnellement, on parle donc de la vie religieuse comme d'une apostolica vivendi forma" (230). La même tradition a aussi mis en évidence, dans la vie consacrée, son aspect d'alliance unique avec Dieu, et même d'alliance sponsale avec le Christ, que saint Paul enseigna par son exemple (cf. 1Co 7,7) et sa prédication, proposés sous la conduite de l'Esprit (cf. 1Co 7,40).

230- Jean Paul II, Discours à l'audience générale (8 février 1995), n 2 : La Doc. Cat. 92 (1995), p 255.


Nous pouvons dire que la vie spirituelle, comprise comme la vie dans le Christ et la vie selon l'Esprit, se définit comme un itinéraire de fidélité croissante, où la personne consacrée est conduite par l'Esprit et configurée par lui au Christ, en pleine communion d'amour et de service dans l'Eglise.

Tous ces éléments, bien intégrés dans les différentes formes de vie consacrée, constituent une spiritualité particulière, c'est-à-dire un projet concret de relation avec Dieu et avec le milieu, caractérisé par des accents spirituels et des choix d'action déterminés, qui font ressortir et représentent l'un ou l'autre aspect de l'unique mystère du Christ. Quand l'Eglise reconnaît une forme de vie consacrée ou un Institut, elle confirme que dans le charisme spirituel et apostolique se trouvent toutes les conditions objectives pour atteindre la perfection évangélique personnelle et communautaire.

La vie spirituelle doit donc être en première place dans le projet des familles de vie consacrée, en sorte que tous les Instituts et toutes les communautés se présentent comme des écoles de spiritualité évangélique authentique. De cette option prioritaire, développée dans l'engagement personnel et communautaire, dépendent la fécondité apostolique, la générosité dans l'amour pour les pauvres, ainsi que la capacité de faire naître des vocations dans les nouvelles générations. C'est précisément la qualité spirituelle de la vie consacrée qui peut ébranler les personnes de notre temps, elles aussi assoiffées de valeurs absolues, et devenir un témoignage attirant.

A l'écoute de la Parole de Dieu

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La Parole de Dieu est la première source de toute spiritualité chrétienne. Elle nourrit une relation personnelle avec le Dieu vivant et avec sa volonté salvifique et sanctifiante. C'est pourquoi la lectio divina, dès la naissance des Instituts de vie consacrée, et spécialement dans le monachisme, a été l'objet de la plus haute estime. Grâce à elle, la Parole de Dieu entre dans la vie, sur laquelle elle projette la lumière de la sagesse qui est le don de l'Esprit. Bien que toute l'Ecriture Sainte soit "utile pour enseigner" (
2Tm 3,16) et "source pure et intarissable de vie spirituelle" (231), les écrits du Nouveau Testament méritent une vénération particulière, surtout les Evangiles, qui sont "le coeur de toutes les Ecritures" (232). Il sera donc bon pour les personnes consacrées de méditer assidûment les textes évangéliques et les autres écrits néotestamentaires, qui traduisent les paroles et les exemples du Christ et de la Vierge Marie ainsi que la apostolica vivendi forma . Les fondateurs et les fondatrices s'y sont constamment référés dans la réponse à leur vocation et dans le discernement du charisme et de la mission de leur Institut.

231- DV 21 PC 6
232- CEC 125 DV 18


La méditation communautaire de la Bible a une grande valeur. Pratiquée suivant les possibilités et les circonstances de la vie de communauté, elle invite à partager avec joie les richesses puisées dans la Parole de Dieu, grâce auxquelles des frères et des soeurs progressent ensemble et s'aident à avancer dans la vie spirituelle. Il convient même que cette pratique soit proposée également aux autres membres du Peuple de Dieu, prêtres et laïcs, en promouvant d'une manière adaptée à leurs charismes des écoles de prière, de spiritualité et de lecture priante de l'Ecriture dans laquelle Dieu "s'adresse aux hommes comme à des amis (cf. Ex 33,11 Jn 15,14-15) et est en relation avec eux (cf. Ba 3,38), pour les inviter à la vie en communion avec lui et les recevoir en cette communion" (233).

233- DV 2


La méditation de la Parole de Dieu et des mystères du Christ en particulier, comme l'enseigne la tradition spirituelle, est à l'origine de l'intensité de la contemplation et de l'ardeur dans l'action apostolique. Dans la vie religieuse contemplative comme dans la vie apostolique, ce sont toujours des hommes et des femmes de prière qui ont réalisé de grandes ouvres, en étant des interprètes authentiques de la volonté de Dieu et en la mettant en pratique. De la fréquentation de la Parole de Dieu, ils ont reçu la lumière pour le discernement individuel et communautaire qui les a aidés à chercher les voies du Seigneur dans les signes des temps. Ils ont ainsi acquis une sorte d'instinct surnaturel qui leur a permis de ne pas se conformer à la mentalité du monde, mais de renouveler leur esprit, afin de pouvoir "discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait" (Rm 12,2).


1996 Vita Consecrata 81