Vies de saints - SAINT ALEXANDRE, ÉVEQUE DE JÉRUSALEM

SAINT ALEXANDRE, ÉVEQUE DE JÉRUSALEM

(L'an de Jésus Christ 251, sous l'empire de Décius)

fêté le 12 décembre

Nous n'avons point les actes de saint Alexandre, évêque de Jérusalem et martyr; mais nous avons cru pouvoir y suppléer en quelque sorte par ce recueil de diverses particularités concernant sa vie et sa mort, que nous avons tirées d'Eusèbe, et des autres anciens auteurs de l'Histoire ecclésiastique.

On ne sait rien de positif de son pays, ni de la manière qu'il passa les premières années de sa vie; et les historiens nous le montrent tout d'un coup dans les fers,combattant pour Jésus Christ, sous le règne et durant la persécution de Sévère, environ, l'an 204. Au reste, nous aurions assez de penchant à croire qu'il était pour lors évêque dans la province de Cappadoce, si ce sentiment pouvait s'accorder avec une lettre qu'il écrivit en ce temps-là de sa prison au peuple d'Antioche, au sujet de l'ordination d'Asclépiade, dans laquelle il ne prend pas la qualité d'évêque, mais simplement celle de serviteur et de prisonnier de Jésus Christ.

Après la mort de Sévère, la paix ayant été rendue à l'Église, Alexandre étant déjà évêque en Cappadoce, mais d'une Église dont on ignore le nom, fit un voyage à Jérusalem pour y rendre ses voeux au tombeau de notre Seigneur. Il y arriva dans le temps que Narcisse, évêque de cette ville sainte, et de retour depuis peu dans son Église après une fort longue absence, la gouvernait à l'âge de près de cent ans. Ce saint vieillard, croyant n'avoir plus assez de force pour soutenir lui seul le pesant fardeau de l'épiscopat, jeta les yeux sur Alexandre, pour s'en décharger sur lui d'une partie. La chose réussit comme il l'avait projeté. Alexandre fut retenu à Jérusalem, et avec l'applaudissement du clergé et du peuple placé sur le même trône avec Narcisse par les évêques de la province. A la vérité, il fut nécessaire que le ciel se déclarât en faveur de cette élection par des révélations divines, qui portèrent le peuple et le clergé à la faire, et par divers miracles qui la confirmèrent. Et certainement une chose aussi extraordinaire que celle-là, et si formellement opposée aux canons et à l'usage, devait avoir de pareils garants pour n'être pas condamnée par les autres Églises. Rufin s'étant beaucoup sur ces révélations; car, après avoir parlé de l'arrivée de saint Alexandre à Jérusalem: il ajoute que le ciel déclara sa volonté évidemment par des révélations et des signes miraculeux: non-seulement au bienheureux Narcisse, mais aussi à plusieurs personnes du peuple; que celui qui parut le plus manifeste et le plus éclatant fut celui-ci. Le jour qu'Alexandre devait arriver à Jérusalem, plusieurs fidèles étant sortis hors d'une des portes de la ville pour le recevoir, l'on entendit distinctement une voix venant du ciel qui proféra ces paroles: "Recevez pour votre évêque celui que Dieu Lui-même vous a destiné.

Mais ce ne furent pas seulement ces prodiges et ces révélations qui contribuèrent à élever saint Alexandre sur le trône épiscopal de Jérusalem; la glorieuse confession qu'il avait faite du nom de Jésus Christ ne fut pas un motif moins puissant pour y déterminer les évêques et le peuple. Eusèbe a pris soin de nous marquer ce motif, en même temps qu'il nous marque l'année de cet événement. Sévère, dit cet historien, ayant tenu l'empire dix-huit ans, le laissa par sa mort à son fils Antonin, surnommé Caracalla, par la manière bizarre dont il s'habillait ordinairement.Ce fut pour lors qu'Alexandre, du nombre de ceux qui avaient généreusement combattu durant la persécution, et qui par une providence particulière avaient survécu à la cruauté des bourreaux et à la rigueur des tourments fut élevé à l'épiscopat en considération de cette généreuse et fidèle persévérance à confesser Jésus Christ, quoique Narcisse qui en était évêque fût encore en vie.

A la vérité, Alexandre doit plutôt être nommé successeur que coadjuteur de Narcisse comme Alexandre semble l'insinuer lui-même dans sa lettre au peuple d'Antinoé. Narcisse, leur dit-il, vous salue, cet illustre vieillard âgé de cent seize ans, qui avant moi a rempli si dignement le siège de Jérusalem; d'où l'on pourrait conclure qu'on aurait conservé à Narcisse le nom d'évêque et les honneurs de l'épiscopat, mais qu'Alexandre en aurait eu l'autorité et la juridiction: qu'il aurait exercée non pas au nom de l'ancien évêque, mais en son propre nom et par le droit de son élection et de sa consécration. Après tout: il faut avouer de bonne foi que presque tous les anciens auteurs ont dit qu'Alexandre avait été l'adjoint de Narcisse et son collègue dans l'évêché de Jérusalem.

Dieu couronna d'un glorieux martyre les travaux qu'Alexandre avait essuyés durant plusieurs années dans le gouvernement de ses deux Églises; car Philippe qui fut toujours favorable aux chrétiens après avoir tenu l'empire sept ans, ayant eu pour successeur Décius, ce nouvel empereur, en haine de Philippe, excita contre l'Église une nouvelle persécution. Elle enleva d'abord à Rome le pape saint Fabien, à la place duquel on élut saint Corneille. S'étant ensuite étendue dans la Palestine, Alexandre fut cité devant le président de la province. La, ayant remporté une nouvelle gloire pour avoir confessé Jésus Christ une seconde fois, il fut jeté en prison, quoique ses cheveux blancs et la pureté de ses moeurs le rendissent vénérable à tout le monde: il y expira, après avoir persévéré jusqu'à la fin dans le témoignage authentique qu'il rendit plus d'une fois en plein tribunal à la vérité de la religion chrétienne.


LES ACTES DE SAINTE CRISPINE, MARTYRE

(L'an de Jésus Christ 304)

fêtée le 5 décembre


Dioclétien et Maximien étant consuls, le jour des nones de décembre, à la colonie thébestine, dans la chambre du conseil, le proconsul Anulinus étant assis sur son tribunal. Le greffier a dit: "On peut interroger, si tu le veux: Crispine de Thagaré, qui a méprisé les lois des empereurs nos maîtres." Le proconsul Anulinus a dit: "Qu'on l'amène." La bienheureuse Crispine a été amenée, et le proconsul Anulinus a dit: "Tu sais déjà ce que commandent les lois sacrées ?" La bienheureuse Crispine a répondu:

"Je ne sais ce que disent ces lois sacrées." Le proconsul Anulinus a dit: "Elles ordonnent que tu sacrifies à tous nos dieux pour le salut des empereurs, selon la loi rendue par nos maîtres Dioclétien et Maximien, très-pieux augustes, et Constance, très-noble césar." La bienheureuse Crispine a répondu: "Je n'ai jamais sacrifié, et je ne sacrifie qu'au seul vrai Dieu et à son Fils Jésus Christ notre Seigneur, qui est né et a souffert pour nous." Le proconsul Anulinus a dit: "Rejette loin de toi ces superstitions, et courbe le front devant les images de nos dieux." La bienheureuse Crispine a répondu: "Chaque jour j'adore mon Dieu; je n'en connais pas d'autre." Le proconsul AnuIinus a dit: "Tu es pleine d'arrogance et de mépris; tu vas donc commencer à sentir malgré toi la rigueur des lois." La bienheureuse Crispine a répondu: "Quoi qu'il arrive, je souffrirai tout avec joie pour ma foi." Le proconsul Anulinus a dit: "Ta folie est-elle donc si grande, que tu refuses encore d'abandonner tes superstitions et d'adorer les dieux ?" La bienheureuse Crispine a répondu: "J'adore tous les jours un Dieu, et c'est mon Seigneur; je ne connais que Lui." Le proconsul Anulinus a dit: "Je vais te montrer les lois sacrées auxquelles tu dois obéir." La bienheureuse Crispine a répondu: "J'observe des lois, mais celles de mon Seigneur Jésus Christ. " Le proconsul Anulinus a dit: "On te tranchera la tête, si tu n'obéis pas aux ordres des empereurs nos maîtres; nous saurons te forcer à subir une loi que toute l'Afrique accepte; au reste, tu le sais toi-même." La bienheureuse Crispine a répondu: "Jamais vous ne me ferez sacrifier aux démons; car je sacrifie au Seigneur, qui a fait la terre, la mer, le ciel et tout ce qu'ils contiennent." Le proconsul Anulinus a dit: "Tu ne veux donc pas de ces dieux, que nous te forcerons à honorer, afin qu'arrachée à la mort tu leur rendes ensuite de sincères hommages ?" La bienheureuse Crispine a répondu: "Ils ne sont pas sincères, les hommages qu'extorque la violence." Le proconsul Anulinus a dit: "Puissions-nous te voir revenue à des sentiments de religion, offrant à genoux dans les temples de l'encens aux dieux des Romains !" La bienheureuse Crispine a répondu: "Je ne l'ai jamais fait depuis que je suis au monde; je ne sais ce que c'est, et je refuserai de le faire tant qu'il me restera un souffle de vie." Le proconsul Anulinus a dit: "Fais-le cependant, si tu veux échapper à la sévérité des lois." La bienheureuse Crispine a répondu: "Je ne crains pas tes menaces; tes tourments ne sont rien; mais si je méprisais mon Dieu qui est au ciel, je serais sacrilège. Il me perdrait, et je ne reparaîtrais pas au dernier jour." Le proconsul Anulinus a dit: "Tu ne seras pas sacrilège en obéissant à des lois sacrées." La bienheureuse Crispine a répondu: "Que veux-tu donc? Que je sois sacrilège aux yeux de mon Dieu, pour ne l'être pas aux yeux des empereurs? Il n'en sera pas ainsi. Mon Dieu est le grand Dieu tout-puissant, qui a fait la terre, la mer et les plantes verdoyantes; quant aux hommes, c'est Lui qui les a créés; que peuvent-ils me faire ?" Le proconsul Anulinus a dit: "Tu blasphèmes, et tu continues des discours qui ne sont pas propres à te sauver." Le proconsul Anulinus a ajouté, s'adressant au greffier: "Qu'elle soit châtiée par un honteux supplice; qu'on lui rase d'abord les cheveux, afin que son visage prenne le premier part à la fête." La bienheureuse Crispine a répondu: "Que tes dieux parlent eux-mêmes, et je croirai. Si je ne cherchais pas mon salut, je ne serais pas devant ton tribunal." Le proconsul Anulinus a dit: "Que désires tu? Vivre longtemps ou mourir dans les supplices, comme tes compagnes Maxime Domitille et Seconde ?" La bienheureuse Crispine a répondu a si je voulais mourir et livrer mon âme à sa perte, en la précipitant dans le feu éternel, je me soumettrais à tes démons." Le proconsul Anulinus a dit: "Je te trancherai la tête, si tu refuses avec mépris d'adorer les dieux immortels." La bienheureuse Crispine a répondu: "Je rendrai grâces à mon Dieu, si tu me traites de la sorte. Le seul danger que puisse courir ma tête est d'offrir de l'encens aux idoles." Le proconsul Anulinus a dit: "Tu persistes donc toujours dans tes absurdes rêveries ?" La bienheureuse Crispine a répondu: "Mon Dieu, qui est et qui a toujours été, m'a fait venir à la vie. Il m'a donné le salut par l'eau du saint baptême. Il est en moi, afin que je ne consente pas, comme tu le vomirais, à un sacrilège. Le proconsul Anulinus a dit: "Pourquoi supporter plus longtemps les impiétés de cette Crispine? Qu'on relise les actes sur le registre ?" Ils ont été relus, et le proconsul a lu la sentence: "Crispine, qui persiste dans ses honteuses superstitions et refuse de sacrifier à nos dieux, selon les lois des Augustes, sera punie par le glaive." La bienheureuse Crispine a répondu: "Je rends grâces au Christ, je bénis le Seigneur qui daigne me délivrer ainsi de tes mains."

La bienheureuse Crispine a souffert dans la colonie thébestine le jour des nones de décembre, par les ordres du proconsul Anulinus, notre Seigneur Jésus Christ régnant dans l'unité du saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.


LE MARTYRE DE SAINTE EULALIE

fêtée le 10 décembre

(L'an de Jésus Christ 304)

Eulalie, vierge sacrée, noble de race, plus noble encore dans son courageux trépas, favorise de sa protection Mérida, qui lui donna le jour et qui garde son tombeau.

C'est aux régions où le soleil se couche qu'est située la ville qui a produit cette illustre héroïne; cité puissante et habitée par un peuple nombreux, mais plus fière encore du sang de la martyre et du sépulcre de la vierge.

La jeune fille ne comptait que douze années, lorsqu'on la vit effrayer par son courage les bourreaux tremblants, braver la flamme pétillante du bûcher et mettre sa joie dans le supplice.

Déjà on l'avait vue prendre son essor vers la patrie où règne le Père souverain; résolue à l'hymen céleste, elle avait repoussé les joies et les amusements du jeune âge. Les parfums, les roses, les riches parures, n'obtinrent que son mépris; grave dans ses traits, modeste dans sa démarche, dès l'âge le plus tendre on trouvait en elle cette sagesse que la vieillesse seule peut donner.

Tout à coup une fureur impie s'anime contre les serviteurs de Dieu; on ordonne aux chrétiens de brûler un sacrilège encens, avec le foie des victimes, devant des dieux mortels.

L'âme sainte d'Eulalie en frémit; sa noble fierté se prépare à repousser un tel assaut; son coeur intrépide, épris de l'amour d'un Dieu, sollicite la jeune fille à braver le glaive des tyrans.

En vain la tendre sollicitude d'une mère veille à retenir la vierge généreuse dans le secret de la maison, à la campagne et loin de la ville, de peur que l'amour d'un trépas glorieux ne l'entraîne à sacrifier son sang. Elle, dédaignant un repos qui lui semble une lâcheté, fatiguée d'un retard qui la déshonore, force les portes, la nuit, sans témoins; dans sa fuite, elle ouvre les barrières qui la retenaient, et bientôt elle prend sa route par des sentiers détournés. De ses pieds déchirés, elle franchit des lieux couverts de ronces et d'épines; mais un choeur d'anges l'accompagne; la sombre nuit l'environne de son silence; mais une lumière céleste la guide.

Telle l'on vit la troupe courageuse des Hébreux, nos pères, marcher à la suite de la colonne lumineuse qui brisait les ombres de la nuit, et traçant par ses feux une voie éclatante, anéantissait l'obscurité. Ainsi la vierge pieuse, suivant sa voie durant la nuit, obtint du ciel la clarté du jour, et n'eut point à lutter avec les ténèbres, à cette heure où elle fuyait aussi l'Égypte et commençait une route qui devait la conduire bien au delà des astres. D'un pas hardi et prompt elle a su franchir plusieurs milles, avant que l'aurore vienne illuminer le ciel; dès le matin elle est rendue au pied du tribunal, et, dans une sainte fierté, elle vient se placer au milieu des faisceaux.

"Quelle fureur vous anime? s'écrie-t-elle. Pourquoi perdre vos âmes imprudentes, en les abaissant devant des pierres taillées par le ciseau? Pourquoi renier le Dieu tout-puissant? Infortunés, vous poursuivez les chrétiens; moi aussi, je suis ennemie du culte des démons, je foule sous mes pieds les idoles; de mon coeur et de ma bouche, je confesse Dieu. Isis, Apollon, Vénus, ne sont rien. Maxime aussi n'est que néant: vos idoles, parce qu'elles sont faites de la main des hommes; lui, parce qu'il les adore; tout cela est nul et ne doit être compté pour rien. "Que Maxime, ce prince opulent, et pourtant l'humble serviteur de ces pierres, dévoue et sacrifie jusqu'à sa tête à de telles divinités; mais pourquoi persécute-t-il des coeurs généreux? Cet empereur plein de bonté, ce maître excellent, il lui faut du sang innocent pour se nourrir. Dans sa faim, il déchire les corps des saints, et jusqu'à leurs entrailles accoutumées au jeûne; son bonheur est de torturer jusqu'à leur foi. Allons, bourreau, emploie le fer et le feu; divise ces membres sortis du limon de la terre; il est aisé de détruire une chose si fragile: mais au dedans vit une âme que la douleur n'abattra pas."

Un tel discours fait monter au comble la colère du préteur. "Licteur, s'écrie-t-il, saisis cette furieuse, et dompte-la par les tortures. Fais-lui sentir ce que c'est que les dieux de la patrie, et qu'on ne méprise pas en vain les édits du prince.

"Jeune fille égarée, plutôt que de t'envoyer à la mort, je voudrais, s'il est possible, t'arracher à tes erreurs perverses. Ta famille dans les larmes te recherche en ce moment; cette famille d'une si illustre noblesse se désole de te voir périr à la fleur de tes ans, à la veille des pompes nuptiales. La splendeur d'un hyménée opulent n'est-elle donc rien pour toi? Dans ta présomption, veux-tu donc ébranler la piété filiale? Eh bien ! considère ces instruments d'un cruel trépas. Ou ta tête tombera sous le glaive, ou tes membres vont être déchirés par la dent des bêtes féroces, ou les torches embrasées vont les consumer à petit feu; partout c'est la mort et le tombeau qui t'attendent; ce sont les pleurs et les cris de tes parents autour du bûcher. Et quel si grand effort as-tu à faire pour éviter un sort si affreux? Daigne seulement, jeune fille, toucher du bout de tes doigts un peu de sel et quelques grains d'encens, et ces supplices terribles ne te regardent plus."

La martyre garde le silence; mais elle frémit à un tel discours; dans son indignation, elle crache aux yeux du tyran, renverse d'un coup de pied les idoles, les gâteaux sacrés et l'encens.

Aussitôt deux bourreaux déchirent la chair délicate de la vierge; ses flancs sont sillonnés jusqu'aux os par les ongles de fer. Eulalie compte ses glorieuses blessures.

"C'est ton Nom, Seigneur, que l'on trace sur mon corps. Que j'aime à lire ces caractères qui racontent tes victoires, ô Christ ! La pourpre de mon sang sert à écrire ton Nom sacré."

C'est ainsi qu'elle chantait dans sa joie, la vierge intrépide; pas une larme, pas un soupir; de si cruelles souffrances sont pour elle comme si elles n'étaient pas; et cependant ses membres sont arrosés à chaque instant par un nouveau jet de son sang qui jaillit tiède sous les ongles de fer.

Mais ce n'est pas la dernière de ses tortures; il ne leur suffit pas d'avoir labouré tout son corps de sillons cruels; c'est maintenant le tour de la flamme; des torches ardentes parcourent avec fureur ses flancs et sa poitrine. La chevelure embaumée d'Eulalie s'était détachée; flottant sur les épaules, elle était venue descendre comme un voile appelé à protéger la pudeur de la vierge. Mais la flamme pétillante des torches est montée jusqu'à la tête; en un instant elle prend à sa chevelure, et bientôt s'élève au-dessus du visage. La vierge avide de mourir ouvre ses lèvres, et aspire ce feu qui la consume.

On vit soudain une colombe plus blanche que la neige s'élancer de la bouche de la martyre, et monter vers les cieux; c'était l'âme d'Eulalie, toute pure, toute vive, tout innocente.

La tête s'incline au moment où l'âme s'est enfuie; le feu des torches s'éteint tout à coup; les membres endoloris ont cessé de souffrir; le souffle qui animait la vierge monte joyeux à travers les airs, et se dirige, semblable à l'innocent oiseau vers les temples du ciel.

Le bourreau l'a vu s'élancer de la bouche de la jeune fille; saisi de terreur, il s'est enfui loin du théâtre de sa barbarie; le licteur lui-même a disparu tremblant.

Tout à coup une neige inattendue se forme dans l'air glacial et descend sur le Forum; comme un blanc linceul, elle vient couvrir le corps d'Eulalie, qui demeurait exposé aux injures de la saison. Les larmes humaines accompagnent les funérailles d'un être chéri; ici ces témoignages de regret sont dépassés; les éléments eux-mêmes, ô vierge, ont reçu de Dieu I ordre d'accomplir envers toi les devoirs suprêmes.

Aujourd'hui Mérida, ville célèbre de la Vettonie, s'honore de posséder son sépulcre; cité florissante que traverse le fleuve Ana, qui, dans son cours rapide et ombragé d'arbres toujours verts, vient baigner son élégante enceinte.

C'est là que, dans un sanctuaire où la lumière est réfléchie par l'éclat des marbres étrangers et indigènes, un tombeau digne de tout respect garde les cendres sacrées d'Eulalie. Au-dessus étincelle un lambris tout resplendissant d'or; le pavé du temple, formé de pierres délicatement taillées, semble un jardin émaillé de fleurs et des roses les plus vermeilles. Cueillez la violette pourprée, moissonnez des fleurs éclatantes, l'hiver, malgré sa rigueur ! en produit encore; le sol glacé qu'échauffe le soleil en fournira de quoi remplir vos corbeilles.

Jeunes filles, jeunes hommes, en présentant cette offrande, n'oubliez pas de l'entourer d'un épais feuillage; ma guirlande à moi sera ces vers dactilyques que j'offre pour les choeurs; ils sont humbles, ils se ressentent de ma vieillesse, cependant ils conviennent à la fête.

C'est ainsi que nous offrirons nos hommages aux restes sacrés de la martyre et à l'autel qui couvre son tombeau: du ciel où elle repose aux pieds de Dieu, elle agrée l'offrande, et rendue propice par nos chants, elle répand sa protection sur un peuple qui est le sien.


LES ACTES DE SAINTE LUCIE, VIERGE

(Sous la persécution de Dioclétien)

fêtée le 13 décembre

La renommée qu'avait acquise la bienheureuse martyre Agathe s'était déjà répandue dans toute la province de Sicile, et les habitants de Syracuse se rendaient en foule à la cité de Catane, éloignée pourtant de près de cinquante milles afin d'y vénérer le sépulcre où reposait cette vierge très sainte, lorsque la bienheureuse Lucie, issue elle-même d'une des plus nobles familles de Syracuse, voulut à l'occasion de la fête de la martyre, visiter ses restes précieux. Elle s'y rendit avec sa mère Eutychia, qui, depuis quatre années, souffrait d'un flux de sang que tout l'art des médecins n'avait pu arrêter. Pendant la célébration des mystères, on vint à lire ce passage de l'Évangile, où il est rapporté qu'une femme fut guérie d'un flux de sang, en touchant seulement la frange du manteau du Christ. Durant cette lecture, la bienheureuse Lucie disait à Eutychia: "Mère, si tu crois à la vérité de ce que l'on vient de lire, crois aussi que la martyre Agathe, qui a souffert pour le Christ, le possède maintenant pour toujours; approche avec foi de son sépulcre, et tu seras délivrée."

Après les saints mystères, quand tout le peuple s'était déjà retiré, la mère et la fille se prosternèrent sur la tombe d'Agathe, suppliant avec larmes que leur demande fût exaucée. Elles prièrent longtemps; et le sommeil ayant surpris la vierge Lucie, elle vit en songe la bienheureuse Agathe parée de riches vêtements et entourée des Anges, qui lui dit: "Ma soeur Lucie, ô vierge toute dévouée au Seigneur, pourquoi me demander ce que tu peux toi-même si promptement obtenir? Ta foi a déjà sauvé ta mère, et la voilà guérie. Sache aussi que tu seras un jour l'honneur de la ville de Syracuse, de même que j'ai illustré la cité de Catane; et cela parce que tu as préparé dans la pureté de ton coeur et dans ta virginité une demeure très-agréable au Christ." A ces mots, Lucie toute tremblante s'éveilla, et dit à Eutychia: "Ma mère, ma mère, tu es guérie. Maintenant, je t'en prie au nom de celle qui t'a rendu la santé par ses prières, promets-moi de ne jamais me parler d'époux ! et de renoncer à recevoir de moi une postérité sur cette terre. Quant à ces biens que tu me destinais pour m'unir à un homme mortel qui m'enlèverait la fleur de ma virginité, laisse-les à ma disposition dès maintenant, puisque j'ai résolu de me consacrer à Jésus Christ, le gardien de ma vertu."

Sa mère Eutychia lui répondit: "J'ai gardé fidèlement toute la fortune de ton père, qui est mort il y a bientôt neuf ans, et, loin d'avoir diminué ton patrimoine, je crois, au contraire, qu'il s'est augmenté entre mes mains. D'ailleurs tu connais mieux que moi encore tout ce que je peux posséder. Reste donc auprès de moi pour me fermer les yeux, et après ma mort tu pourras faire de ces biens tout ce qu'il te plaira." Lucie dit à sa mère: "Écoute, ô ma mère, le conseil que je vais t'adresser. Celui qui ne donne à Dieu que ce qu'il ne peut emporter, et seulement les biens dont il ne peut plus jouir, ne saurait lui être bien cher. Si donc tu veux être agréable au Seigneur, abandonne-Lui maintenant ta fortune, quand tu peux encore en user durant cette vie. Si tu la donnes au dernier moment, lorsque tu ne pourras plus t'en servir, tu sembleras Lui laisser seulement ce qu'il n'est plus en ton pouvoir de garder avec toi. Je te le répète, ô ma mère, offre au Christ dès cette vie ce que tu possèdes, et commence ton offrande par ces biens que tu pensais à me laisser à moi-même."

La bienheureuse vierge entretenant ainsi chaque jour sa mère de ces projets, ils commencèrent à s'exécuter; et l'on fit une première disposition de ces richesses pour les pauvres, qui en reçurent de grands soulagements dans leurs nécessités.

Pendant que les terres étaient mises en vente, ainsi que les joyaux de la famille, le fiancé de la bienheureuse vierge, informé des ces aliénations, commença à se livrer à l'inquiétude, et s'informa auprès de la nourrice de Lucie, pour savoir quel était le but de ces ventes subites de terres et de joyaux de prix. La nourrice, femme avisée, lui fit cette réponse adroite: "Ta future épouse a trouvé l'occasion d'acheter à vil prix des possessions de la valeur de mille sous d'or et plus; voulant les acquérir en ton nom, elle a été obligée de se défaire de ses terres." L'insensé crut à la réalité de ce marché tout terrestre, et libre alors de toute inquiétude, il s'offrit lui-même pour aider l'opération de la vente. Mais bientôt ayant appris que tout l'argent qu'elle avait produit venait d'être distribué à des pauvres, à des veuves, à des orphelins, à des voyageurs, il en appela au tribunal du consulaire Paschasius, disant que sa fiancée pratiquait avec zèle, contre les ordres des empereurs, toutes les observances des chrétiens. Paschasius se fit amener la vierge Lucie, et lui commanda de sacrifier aux démons. La bienheureuse Lucie lui dit: "Que parles-tu de sacrifier ! Un sacrifice vivant, immaculé et agréable à Dieu, notre Père, c'est de visiter et de secourir les veuves et les orphelins dans leurs nécessités. Depuis trois années, je n'ai pas fait autre chose; et c'est là le sacrifice que j'offre au Dieu éternel. Maintenant, comme il ne me reste plus rien à Lui sacrifier, je me présenterai moi-même au Seigneur comme une hostie vivante. Si cette offrande Lui plaît, qu'il consomme Lui-même le sacrifice." Paschasius reprit: Ç"Tu pourrais tenir de pareils discours à des compagnons de ta secte, à un chrétien; mais pour moi qui dois veiller à l'exécution des décrets des princes, ils ne peuvent me toucher." Lucie répondit: "Tu observes les lois de l'empire, et moi celles de mon Dieu; tu redoutes les princes, moi je crains le Seigneur; tu ne voudrais pas offenser la majesté impériale, ni moi celle du Très-Haut; tu désires surtout plaire aux empereurs, moi je ne cherche qu'à être agréable aux yeux du Christ. Fais donc ce que tu jugeras convenable; pour moi, j'agirai comme je crois le devoir pour mon bien."

Paschasius dit alors: "Tu as dilapidé ton patrimoine avec ceux qui t'ont corrompue; voilà pourquoi tu parles comme une vile courtisane." Lucie répondit: "Mon patrimoine est en lieu sûr, et jamais je n'ai laissé approcher de mon esprit ou de ma personne aucun corrupteur." Paschasius dit: "Quels sont les corrupteurs de l'esprit et ceux du corps ?" Lucie répondit: "Vous autres, vous êtes de ces corrupteurs de l'esprit dont parle l'Apôtre, en disant: "Ils corrompent les bonnes moeurs par leurs mauvais entretiens." En effet, vous conseillez aux âmes humaines la fornication, afin qu'elles abandonnent leur époux qui est leur créateur, pour suivre le diable, en sacrifiant à ces idoles honteuses et sans puissance. Quant aux corrupteurs du corps, ce sont ceux qui préfèrent la jouissance du temps à celle de l'éternité, et une joie passagère à un bonheur sans fin." Paschasius dit: "Ces belles paroles cesseront, quand les verges résonneront." Lucie répondit: "Les paroles de Dieu ne cesseront jamais." Paschasius dit: "Tu es donc Dieu toi-même ?" Lucie répondit: "Je suis la servante du Seigneur, et voilà pourquoi je prononce les paroles du Seigneur; car c'est Lui qui a dit: "Lorsque vous parlerez en présence des juges, c'est l'Esprit saint Lui-même qui parlera en vous." Paschasius reprit: "L'Esprit saint est donc en toi, et il parle par ta bouche ?" Lucie répondit: "L'Apôtre a dit: Ceux qui vivent chastement sont les temples de Dieu,et l'Esprit de Dieu vit dans leurs âmes." Paschasius ajouta: "Je te ferai conduire au lupanar afin qu'après que tu auras été violée, l'Esprit saint t'abandonne." Lucie répondit: "Le corps ne contracte aucune souillure, s'il n'y a pas le consentement de l'esprit; et même lorsque tu placerais de l'encens dans ma main, pour offrir un sacrifice par cette main, Dieu, à qui rien n'échappe, se rirait de cette violence; car il juge seulement le consentement de l'esprit et la volonté du coeur. Il souffre les impudiques, comme il souffre les serpents, les voleurs et les meurtriers. Si donc tu me fais outrager, ma chasteté recevra une double couronne." Paschasius irrité dit: "Si tu ne veux pas consentir à l'instant à ces rites prescrits par les Augustes, tu seras conduite dans un lieu de débauche, et tu y périras sous le poids de l'opprobre et de l'infamie." Lucie répondit: "Je te l'ai déjà dit: jamais tu ne pourras me faire consentir au péché. Quant au traitement odieux que tu veux faire subir à ce corps qui semble être en ton pouvoir, il ne peut atteindre la servante du Christ.

Le consulaire ordonna d'appeler de ces hommes qui font un métier de la débauche, et leur livra la vierge Lucie en disant: "Exposez-la au public, et que tous ceux qui voudront la violer le puisse faire, jusqu'à ce qu'elle périsse." Mais dès que ces abominables voulurent l'entraîner au lupanar, l'Esprit saint la fixa à terre par un si grand poids, qu'il leur fut impossible de la mouvoir. Ils s'approchèrent. Mais ce fut en vain, et la vierge du Seigneur demeura immobile à sa place. Ils voulurent encore l'entraîner en attachant des cordes à ses pieds et à ses mains, mais tout fut inutile: elle était aussi inébranlable qu'un rocher. Paschasius, outré de dépit, et ne sachant plus comment vaincre cette résistance miraculeuse, fit appeler des mages, des aruspices et les prêtres de tous les temples, et ceux-ci employèrent tous leurs sortilèges et toutes leurs superstitions contre la vierge du Christ, afin de l'ébranler; mais elle demeurait toujours plus solidement attachée à sa place, sans que l'on pût la faire avancer d'un seul pas. Paschasius ordonna alors de répandre une eau infecte sur toute sa personne; car il pensait que c'étaient ses secrets magiques qui la rendaient ainsi immobile. Enfin il fit venir plusieurs paires de boeufs, que l'on attela ensemble pour la forcer à changer de place; mais tous leurs efforts ne purent seulement la faire chanceler. Paschasius lui dit en ce moment: "Quels sont donc les maléfices que tu emploies ?" Lucie répondit: "Les maléfices ne viennent pas de moi; mais les bénéfices, Dieu daigne me les accorder." Paschasius reprit: "Comment se peut-il faire qu'une faible jeune fille, tirée avec effort par un millier d'hommes, ne puisse pas même être ébranlée ?" Lucie répondit: "Tu en amènerais dix mille, qu'ils pourraient entendre et éprouver ces paroles de l'Esprit saint: "Ils tomberont, mille à ta gauche et dix mille à ta droite."

Cependant le consulaire Paschasius, tourmenté toujours plus par l'insuccès de ses tentatives contre la vierge du Christ, e plaignait hautement de ne pouvoir vaincre cette jeune fille. Lucie lui dit alors: "Pourquoi te troubler ainsi? Pourquoi te livrer au dépit et à la colère. Si tu as reconnu que mon corps était véritablement le temple du Seigneur, crois désormais au Christ; si tu ne l'a pas reconnu, éprouve-moi de nouveau pour savoir où est la vérité." Mais Paschasius ne se possédait plus; car il sentait qu'il faisait rire de lui-même. Il ordonna enfin d'allumer un grand feu autour de la vierge, et de jeter sur tous ses membres de la poix, de la résine et de l'huile, pour activer les flammes. Mais Lucie, invoquant le Nom du Seigneur Jésus Christ, demeurait immobile et inaccessible à l'ardeur du bûcher, et elle dit au juge: "J'ai prié mon Seigneur et mon Dieu Jésus- Christ. afin que ce feu ne pût me nuire, et que les serviteurs du Christ en prennent occasion de triompher et insulter à leurs ennemis. Je lui ai demandé aussi de prolonger mon martyre, afin d'enlever la crainte des tourments à ceux qui croient, et de faire taire les paroles méprisantes et les sarcasmes de ceux qui n'ont pas la foi."


Vies de saints - SAINT ALEXANDRE, ÉVEQUE DE JÉRUSALEM