Introduction a la vie devote - CHAPITRE X
DE L'EXERCICE DU SOIR ET DE L'EXAMEN DE CONSCIENCE
Comme devant vostre disner temporel vous ferés le disner spirituel par le moyen de la meditation, ainsy avant vostre souper il vous faut faire un petit souper, au moins une collation devote et spirituelle. Gaignes donq quelque loysir un peu devant l'heure du souper, et, prosternee devant Dieu, ramassant vostre esprit aupres de Jesus Christ crucifié (que vous vous representerés par une simple consideration et oeillade interieure), rallumés le feu de vostre meditation du matin en vostre coeur, par une douzaine de vives aspirations, humiliations et eslancemens amoureux que vous ferés sur ce divin Sauveur de vostre ame; ou bien en repetant les pointz que vous aures plus savourés en la meditation du matin, ou bien vous excitant par quelque autre nouveau sujet, selon que vous aymeres mieux.
Quant a l'examen de conscience qui se doit tous-jours faire avant qu'aller coucher, chacun sçait comme il le faut prattiquer.
1. On remercie Dieu de la conservation qu'il a faite de nous en la journee passee.
2. On examine comme on s'est comporté en toutes les heures du jour; et pour faire cela plus aysement, on considerera ou, avec qui, et en quelle occupation on a esté.
3. Si l'on treuve d'avoir fait quelque bien, on en fait action de graces a Dieu; si au contraire l'on a fait quelque mal, en pensees, en paroles ou en oeuvres, on en demande pardon a sa divine Majesté, avec resolution de s'en confesser a la premiere occasion et de s'en amender soigneusement
4. Apres cela, on recommande a la Providence divine son cors, son ame, l'Eglise, les parens, les amis; on prie Nostre Dame, le bon Ange et les Saintz de veiller sur nous et pour nous; et avec la benediction de Dieu, on va prendre le repos qu'il a voulu nous estre requis.
Cet exercice ici ne doit jamais estre oublié, non plus que celuy du matin; car par celuy du matin vous ouvres les fenestres de vostre ame au Soleil de justice, et par celuy du soir, vous les fermes aux tenebres de l'enfer.
28. - Variante: Sçaches encor qu'il vous arrivera (Ms A-B).
DE LA RETRAITTE SPIRITUELLE
C'est ici, chere Philothee, ou je vous souhaitte fort affectionnee a suivre mon conseil; car en cet article consiste l'un des plus asseurés moyens de vostre avancement spirituel.
Rappelles le plus souvent que vous pourres parmi la journee vostre esprit en la presence de Dieu par l'une des quatre façons que je vous ay remarquees; regardes ce que Dieu fait et ce que vous faites vous verres ses yeux tournés de vostre costé, et perpetuellement fichés sur vous par un amour incomparable. O Dieu, ce dires vous, pourquoy ne vous regarde-je tous-jours, comme tous-jours vous me regardes? Pourquoy penses-vous en moy si souvent, mon Seigneur, et pourquoy pense-je si peu souvent en vous? Ou sommes-nous, o mon ame? nostre vraye place, c'est Dieu, et ou est ce que nous nous treuvons?
Comme les oyseaux ont des nids sur les arbres pour faire leur retraitte quand ilz en ont besoin, et les cerfz ont leurs buissons et leurs fortz dans lesquelz ilz se recelent et mettent a couvert, prenans la fraischeur de l'ombre en esté; ainsy, Philothee, nos coeurs doivent prendre et choisir quelque place chaque jour, ou sur le mont de Calvaire, ou es playes de Nostre Seigneur, ou en quelque autre lieu proche de luy, pour y faire leur retraitte a toutes sortes d'occasions, et la s'alleger et recreer entre les affaires exterieures, et pour y estre comme dans un fort, affin de se defendre des tentations. Bienheureuse sera l'ame qui pourra dire en venté a Nostre Seigneur: Vous estes ma mayson de refuge (29), mon rempart asseuré, mon toit contre la pluye et mon ombre contre la chaleur (30).
Resouvenés vous donq, Philothee, de faire tous-jours plusieurs retraittes en la solitude de vostre coeur, pendant que corporellement vous estes parmi les conversations et affaires; et cette solitude mentale ne peut nullement estre empeschee par la multitude de ceux qui vous sont autour, car ilz ne sont pas autour de vostre coeur, ains autour de vostre cors, si que vostre coeur demeure luy tout seul en la presence de Dieu seul. C'est l'exercice que faisoit le roy David parmi tant d'occupations qu'il avoit, ainsy qu'il le tesmoigne par mille traitz de ses Pseaumes, comme quand il dit (31): O Seigneur, et moy je suis tous-jours avec vous.Je vois mon Dieu tous-jours devant moy(32). J'ay eslevé mes yeux a vous, o mon Dieu, qui habites au Ciel (33). Mes yeux sont tous-jours a Dieu (34). Et aussi les conversations ne sont pas ordinairement si serieuses qu'on ne puisse de tems en tems en retirer le coeur pour le remettre en cette divine solitude.
Les pere et mere de sainte Catherine de Sienne luy ayans osté toute commodité du lieu et de loysir pour prier et mediter, Nostre Seigneur l'inspira de faire un petit oratoire interieur en son esprit, dedans lequel se retirant mentalement, elle peust parmi les affaires exterieures vaquer a cette sainte solitude cordiale. Et despuis, quand le monde l'attaquoit, elle n'en recevoit nulle incommodité, parce, disoit elle, qu'elle s'enfermoit dans son cabinet interieur, ou elle se consoloit avec son celeste Espoux. Aussi des lhors elle conseilloit a ses enfans spirituelz de se faire une chambre dans le coeur et d'y demeurer (35).
Retirés donques quelquefois vostre esprit dedans vostre coeur, ou, separee de tous les hommes, vous puissies traitter coeur a coeur de vostre ame avec son Dieu, pour dire avec David (36): J'ay veillé et ay esté semblable au pelican de la solitude; j'ay esté fait comme le chat-huant ou le hibou dans les masures, et comme le passereau solitaire au toit. Lesquelles paroles, outre leur sens litteral (qui tesmoigne que ce grand Roy prenoit quelques heures pour se tenir solitaire en la contemplation des choses spirituelles), nous monstrent en leur sens mystique trois excellentes retraittes et comme trois hermitages, dans lesquelz nous pouvons exercer nostre solitude a l'imitation de nostre Sauveur, lequel sur le mont de Calvaire fut comme le pelican de la solitude, qui de son sang ravive ses poussins mortz; en sa Nativité dans une establerie deserte, il fut comme le hibou dedans la masure, plaignant et pleurant nos fautes et pechés; et au jour de son Ascension, il fut comme le passereau, se retirant et volant au ciel qui est comme le toit du monde; et en tous ces trois lieux, nous pouvons faire nos retraittes emmi le tracas des affaires. Le bienheureux Elzear, comte d'Arian en Provence, ayant esté longuement absent de sa devote et chaste Delfine, elle luy envoya un homme expres pour sçavoir de sa santé, et il luy fit response: " Je me porte fort bien, ma chere femme; que si vous me voules voir, cherches-moy en la playe du costé de nostre doux Jesus, car c'est la ou j'habite et ou vous me treuveres; ailleurs, vous me chercheres pour neant (37)." C'estoit un chevalier chrestien,celuy la!
29. - Ps 30,3
30. - Qo 34,19
31. - Ps 72,23
32. - Ps 15,8
33. - Ps 122,1
34. - Ps 24,15
35. - B.Raym. De Capoue Vita S.Cath Sen. I,2. Le titre de Bienheureux est donné à Raymond de Capoue d'après une ancienne tradition de l'Ordre de saint Dominique.
36. - Ps 101,7
37. - In vita B.Elz. 30, (Apud Surium, die 27 sept.)
DES ASPIRATIONS, ORAYSONS JACULATOIRES ET BONNES PENSEES
On se retire en Dieu parce qu'on aspire a luy, et on y aspire pour s'y retirer; si que l'aspiration en Dieu et la retraitte spirituelle s'entretiennent l'une l'autre, et toutes deux proviennent et naissent des bonnes pensees.
Aspires donq bien souvent en Dieu, Philothee, par des courtz mais ardens eslancemens de vostre coeur: admires sa beauté, invoques son ayde, jettes-vous en esprit au pied de la Croix, adores sa bonté, interroges-le souvent de vostre salut, donnes-luy mille fois le jour vostre ame, fiches vos yeux interieurs sur sa douceur, tendes-luy la main, comme un petit enfant a son pere, affin qu'il vous conduise, mettes-le sur vostre poitrine comme un bouquet delicieux, plantes- le en vostre ame comme un estendart, et faites mille sortes de divers mouvemens de vostre coeur pour vous donner de l'amour de Dieu, et vous exciter a une passionnee et tendre dilection de ce divin Espoux.
On fait ainsy les oraysons jaculatoires, que le grand saint Augustin conseille si soigneusement a la devote dame Proba (38). Philothee, nostre esprit s'addonnant a la hantise, privauté et familiarité de son Dieu, se parfumera tout de ses perfections; et si, cet exercice n'est point malaysé, car il se peut entrelacer en toutes nos affaires et occupations, sans aucunement les incommoder, d'autant que, soit en la retraitte spirituelle, soit en ces eslancemens interieurs, on ne fait que des petitz et courtz divertissemens qui n'empeschent nullement, ains servent de beaucoup a la poursuite de ce que nous faysons. Le pelerin qui prend un peu de vin pour res-jouir son coeur et rafraischir sa bouche, bien qu'il s'arreste un peu pour cela, ne rompt pourtant pas son voyage, ains prend de la force pour le plus vistement et aysement parachever, ne s' arrestant que pour mieux aller.
Plusieurs ont ramassé beaucoup d'aspirations vocales, qui vrayement sont fort utiles; mais par mon advis, vous ne vous astreindres point a aucune sorte de paroles, ains prononcerés ou de coeur ou de bouche celles que l'amour vous suggerera sur le champ, car il vous en fournira tant que vous voudres. Il est vray qu'il y a certains motz qui ont une force particuliere pour contenter le coeur en cet endroit, comme sont les eslancemens semés si dru dedans les Pseaumes de David, les invocations diverses du nom de Jesus, et les traitz d'amour qui sont imprimés au Cantique des Cantiques. Les chansons spirituelles servent encor a mesme intention, pourveu qu'elles soyent chantees avec attention.
En fin, comme ceux qui sont amoureux d'un amour humain et naturel ont presque tous-jours leurs pensees tournees du costé de la chose aymee, leur coeur plein d'affection envers elle, leur bouche remplie de ses louanges, et qu'en son absence ilz ne perdent point d'occasion de tesmoigner leurs passions par lettres, et ne treuvent point d'arbre sur l'escorce duquel ilz n'escrivent le nom de ce qu'ilz ayment; ainsy ceux qui ayment Dieu ne peuvent cesser de penser en luy, respirer pour luy, aspirer a luy et parler de luy, et voudroyent, s'il estoit possible, graver sur la poitrine de toutes les personnes du monde le saint et sacré nom de Jesus. A quoy mesme toutes choses les invitent, et n'y a creature qui ne leur annonce la louange de leur Bienaymé; et, comme dit saint Augustin (39) après saint Anthoine (40), tout ce qui est au monde leur parle d'un langage muet mais fort intelligible en faveur de leur amour; toutes choses les provoquent a des bonnes pensees, desquelles par après naissent force saillies et aspirations en Dieu. Et voyci quelques exemples: Saint Gregoire, Evesque de Nazianze, ainsy que luy mesme racontoit a son peuple (41), se promenant sur le rivage de la mer, consideroit comme les ondes s 'avançans sur la greve laissoyent des coquilles et petitz cornetz, tiges d'herbes, petites huistres et semblables brouilleries que la mer rejettoit, et par maniere de dire crachoit dessus le bord; puis, revenant par des autres vagues, elle reprenoit et engloutissoit derechef une partie de cela, tandis que les rochers des environs demeuroyent fermes et immobiles, quoy que les eaux vinssent rudement battre contre iceux. Or sur cela, il fit cette belle pensee: que les foibles, comme coquilles, cornetz et tiges d'herbes, se laissent emporter tantost a l'affliction, tantost a la consolation, a la merci des ondes et vagues de la fortune, mais que les grans courages demeurent fermes et immobiles a toutes sortes d'orages; et de cette pensee, il fit naistre ces eslancemens de David (42): O Seigneur, sauves-moy, car les eaux ont penetré jusques a mon ame; O Seigneur, delivres-moy du profond des eaux; Je suis porté au profond de la mer et la tempeste m'a submergé. Car alhors il estoit en affliction pour la malheureuse usurpation que Maximus avoit entreprise sur son evesché.
Saint Fulgence, Evesque de Ruspe, se treuvant en une assemblee generale de la noblesse romaine que Theodoric roy des Gots haranguoit, et voyant la splendeur de tant de seigneurs qui estoyent en rang chacun selon sa qualité: " O Dieu, " dit-il, " combien doit estre belle la Hierusalem celeste, puisqu'ici bas on voit si pompeuse Rome la terrestre! Et si en ce monde tant de splendeur est concedee aux amateurs de la vanité, quelle gloire doit estre reservee en l'autre monde aux contemplateurs de la venté (43)! "
On dit que saint Anselme, Archevesque de Cantorberi (44), duquel la naissance a grandement honnoré nos montagnes (45), estoit admirable en cette prattique des bonnes pensees. Un levreau pressé des chiens accourut sous le cheval de ce saint Prelat, qui pour lhors voyageoit, comme a un refuge que le peril eminent de la mort luy suggeroit; et les chiens clabaudans tout autour n'osoyent entreprendre de violer l'immunité a laquelle leur proye avoit eu recours; spectacle certes extraordinaire, qui faisoit rire tout le train, tandis que le grand Anselme, pleurant et gemissant: Ha, vous ries, disoit-il, mais la pauvre beste ne rit pas; les ennemis de l'ame, poursuivie et mal menee par divers destours en toutes sortes de pechés, l'attendent au destroit de la mort pour la ravir et devorer, et elle, toute effrayee, cherche par tout secours et refuge; que si elle n'en treuve point, ses ennemis s'en moquent et s'en rient. Ce qu'ayant dit, il s'en alla souspirant (46).
Constantin le Grand escrivit honnorablement a saint Anthoine, dequoy les religieux qui estoyent autour de luy furent fort estonnés, et il leur dit: " Comme admires-vous qu'un Roy escrive a un homme? Admires plustost dequoy Dieu eternel a escrit sa loy aux mortelz, ains leur a parlé bouche a bouche en la personne de son Filz (47). " Saint François voyant une brebis toute seule emmi un troupeau de boucz: " Regardes, " dit il a son compaignon , " comme cette pauvre petite brebis est douce parmi ces chevres; Nostre Seigneur alloit ainsy doux et humble entre les Pharisiens (48). " Et voyant une autre fois un petit aignelet mangé par un pourceau: Hé, petit aignelet, dit-il tout en pleurant, que tu representes vivement la mort de mon Sauveur (49).
Ce grand personnage de nostre aage, François Borgia, pour lhors encores duc de Gandie, allant a la chasse faisoit mille devotes conceptions: " J'admirois, " disoit il luy mesme par apres, " comme les faucons reviennent sur le poing, se laissent couvrir les yeux et attacher a la perche, et que les hommes se rendent si revesclies a la voix de Dieu (50). Le grand saint Basile dit que la rose emmi les espines fait cette remonstrance aux hommes: " Ce qui est de plus aggreable en ce monde, o mortelz, est meslé de tristesse; rien n'y est pur: le regret est tous-jours collé a l'allegresse, la viduité au mariage, le soin a la fertilité, l'ignominie a la gloire, la despense aux honneurs, le degoust aux delices et la maladie a la santé. C'est une belle fleur, " dit ce saint personnage, " que la rose; mais elle me donne une grande tristesse, m'advertissant de mon peché, pour lequel la terre a esté condamnee de porter les espines (51)."
Une ame devote regardant un ruysseau, et y voyant le ciel representé avec les estoiles en une nuit bien sereine: O mon Dieu, dit-elle, ces mesmes estoiles seront dessous mes pieds quand vous m 'aures logee dans vos saintz tabernacles; et comme les estoiles du ciel sont representees en la terre, ainsy les hommes de la terre sont representés au ciel en la vive fontaine de la charité divine. L'autre voyant un fleuve flotter s'escrioit ainsy: Mon ame n'aura jamais repos qu'elle ne se soit abismee dedans la mer de la Divinité qui est son origine; et sainte Françoise, considerant un aggreable ruysseau sur le rivage duquel elle s'estoit agenouillee pour prier, fut ravie en extase, repetant plusieurs fois ces paroles tout bellement: " La grace de mon Dieu coule ainsy doucement et souefvement comme ce petit ruysseau (52). " Un autre voyant les arbres fleuris souspiroit: Pourquoi suis-je seul defleuri au jardin de l'Eglise? Un autre voyant des petitz poussins ramassés sous leur mere: O Seigneur, dit il, conserves nous sous l'ombre de vos aisles (53). L'autre, voyant le tourne-soleil dit: Quand sera ce, mon Dieu, que mon ame suivra les attraitz de vostre bonté? Et voyant des pensees de jardin, belles a la veuë mais sans odeur: Hé, dit il , telles sont mes cogitations, belles a dire, mais sans effect ni production.
Voyla, ma Philothee, comme l'on tire les bonnes pensees et saintes aspirations de ce qui se presente en la varieté de cette vie mortelle. Malheureux sont ceux qui destournent les creatures de leur Createur pour les contourner au peché; bienheureux sont ceux qui contournent les creatures a la gloire de leur Createur, et employent leur vanité a l'honneur de la verité. Certes, dit saint Gregoire Nazianzene (54), j 'ay accoustumé de rapporter toutes choses a mon prouffit spirituel Lisés le devot Epitaphe que saint Hierosme a fait de sa sainte Paule (55); car c'est belle chose a voir comme il est tout parsemé des aspirations et conceptions sacrees qu'elle faisoit a toutes sortes de rencontres.
Or, en cet exercice de la retraitte spirituelle et des oraysons jaculatoires gist la grande oeuvre de la devotion: il peut suppleer au defaut de toutes les autres oraysons, mais le manquement d'iceluy ne peut presque point estre reparé par aucun autre moyen. Sans iceluy, on ne peut pas bien faire la vie contemplative, et ne sçauroit-on que mal faire la vie active; sans iceluy, le repos n'est qu'oysiveté, et le travail, qu'embarrassement; c'est pourquoy je vous conjure de l'embrasser de tout vostre coeur, sans jamais vous en departir.
38. - Ep.130,10
39. - Enarrat. II in Ps 26,12 et alibi.
40. - Socrates, Hist. 4,23
41. - Orat. 26,8
42. - Ps 68,1-15
43. - Vita S.Fulgen. a quodam discipulo co,nscripta, 13
44. - Les anciennes éditions écrivent Cantorbie, faste qui existait primitivement dans le Ms., où cette bévue du copiste est corrigée de la main du Saint.
45. - S. Anselme naquit à Aoste, sur les confins de la Savoie et du Piémont.
46. - Eadmer., in libro de S.Anselmi similitud. 189
47. - S.Athan. Vita S.Ant. 81
48. - Thom. De Celano, Legenda antiqua S.Franc., I,9
49. - S.Bonavent., Vita S.Franc., 8
50. - Ribadeneyra, Vita S.Franc. Borgiae, I,5
51. - Orat. De Paradiso, 4 (hodie in Appendice).
52. - And. Valladierus, Panegyr.S.Franc.Rom. 8
53. - Ps 16,8
54. - voir liv II ch 13
55. - voir liv I ch 24
DE LA TRESSAINTE MESSE ET COMME IL LA FAUT OUIR
1. Je ne vous ay encor point parlé du soleil des exercices spirituelz, qui est le tressaint, sacré et tres-souverain Sacrifice et Sacrement de la Messe, centre de la religion chrestienne, coeur de la devotion, ame de la pieté, mystere ineffable qui comprend l'abisme de la charité divine, et par lequel Dieu s'appliquant reellement a nous, nous communique magnifiquement ses graces et faveurs.
2. L'orayson faitte en l'union de ce divin Sacrifice a une force indicible, de sorte, Philothee, que par iceluy, l'ame abonde en celestes faveurs comme appuyee sur son Bienaymé (56), qui la rend si pleine d'odeurs et suavités spirituelles, qu'elle ressemble a une colomne de fumee de bois aromatique, de la myrrhe, de l'encens et de toutes les poudres du Parfumeur, comme il est dit es Cantiques (57)
Faites donques toutes sortes d'effortz pour assister tous les jours a la sainte Messe, affin d'offrir avec le prestre le sacrifice de vostre Redempteur a Dieu son Pere, pour vous et pour toute l'Eglise. Tous-jours les
Anges en grand nombre s'y treuvent presens, comme dit saint Jean Chrysostome (58), pour honnorer ce saint mystere; et nous y treuvans avec eux et avec une mesme intention, nous ne pouvons que recevoir beaucoup d'influences propices par une telle societé. Les choeurs de l'Eglise triomphante et ceux de l'Eglise militante se viennent attacher et joindre a Nostre Seigneur en cette divine action, pour, avec luy, en luy et par luy ravir le coeur de Dieu le Pere et rendre sa misericorde toute nostre. Quel bonheur a une ame de contribuer devotement ses affections pour un bien si pretieux et desirable!
4. Si, par quelque force forcee, vous ne pouves pas vous rendre presente a la celebration de ce souverain Sacrifice, d'une presence reelle, au moins faut-il que vous y porties vostre coeur pour y assister d'une presence spirituelle. A quelque heure donq du matin, allés en esprit, si vous ne pouves autrement, en l'eglise; unisses vostre intention a celle de tous les Chrestiens, et faites les mesmes actions interieures au lieu ou vous estes, que vous feries si vous esties reellement presente a l'office de la sainte Messe en quelque eglise.
5. Or pour ouïr, ou reellement ou mentalement, la sainte Messe comme il est convenable: 1. Des le commencement jusques a ce que le prestre se soit mis a l'autel, faites avec luy la preparation, laquelle consiste a se mettre en la presence de Dieu, reconnoistre vostre indignité et demander pardon de vos fautes. 2. Despuis que le prestre est a l'autel jusques a l'Evangile, considerés la venue et la vie de Nostre Seigneur en ce monde, par une simple et generale consideration. 3. Despuis l'Evangile jusques apres le Credo, considerés la predication de nostre Sauveur; protestes de vouloir vivre et mourir en la foy et obeissance de sa sainte parole et en l'union de la sainte Eglise Catholique. 4. Despuis le Credo jusques au Pater noster, appliques vostre coeur aux mysteres de la Mort et Passion de nostre Redempteur, qui sont actuellement et essentiellement representés en ce saint Sacrifice, lequel avec le prestre et avec le reste du peuple, vous offrirés a Dieu le Pere pour son honneur et pour vostre salut. 5. Despuis le Pater noster jusques a la Communion, efforces-vous de faire mille desirs de vostre coeur, souhaittant ardemment d'estre a jamais jointe et unie a nostre Sauveur par amour eternel. 6. Despuis la Communion jusques a la fin remercies sa divine Majesté de son Incarnation, de sa vie, de sa Mort, de sa Passion et de l'amour qu'il nous tesmoigne en ce saint Sacrifice, le conjurant par iceluy de vous estre a jamais propice, a vos parens, a vos amis et a toute l'Eglise; et vous humiliant de tout vostre coeur, receves devotement la benediction divine que Nostre Seigneur vous donne par l'entremise de son officier.
Mais si vous voules pendant la Messe faire vostre meditation sur les mysteres que vous alles suivant de jour en jour, il ne sera pas requis que vous vous divertissies a faire ces particulieres actions; ains suffira qu'au commencement vous dressies vostre intention a vouloir adorer et offrir ce saint Sacrifice par l'exercice de vostre meditation et orayson, puisqu'en toute meditation se treuvent les actions susdites, ou expressement ou tacitement et virtuellement.
56. - Ct 8,5
57. - Ct 3,6
58. - De Sacerd. 6,4
DES AUTRES EXERCICES PUBLICZ ET COMMUNS
Outre cela, Philothee, les festes et Dimanches il faut assister a l'office des Heures et des Vespres, tant que vostre commodité le permettra; car ces jours-la sont dediés a Dieu, et faut bien faire plus d'actions a son honneur et gloire en iceux que non pas es autres jours. Vous sentirés mille douceurs de devotion par ce moyen, comme faisoit saint Augustin, qui tesmoigne en ses Confessions (59) que oyant les divins Offices au commencement de sa conversion, son coeur se fondoit en suavité, et ses yeux, en larmes de pieté. Et puis (affin que je le die une fois pour toutes), il y a tous-jours plus de bien et de consolation aux offices publicz de l'Eglise, que non pas aux actions particulieres, Dieu ayant ainsy ordonné que la communion soit preferee a toute sorte de particularité.
Entres volontier aux confrairies du lieu ou vous estes, et particulierement en celles desquelles les exercices apportent plus de fruit et d'edification; car en cela vous ferés une sorte d'obeissance fort aggreable a Dieu, d'autant qu'encor que les confrairies ne soient pas commandees, elles sont neanmoins recommandees par l'Eglise, laquelle, pour tesmoigner qu'elle desire que plusieurs s'y enroolent, donne des indulgences et autres privileges aux confreres. Et puys, c'est tous-jours une chose fort charitable de concourir avec plusieurs et cooperer aux autres pour leurs bons desseins. Et bien qu'il puisse arriver que l'on fist d'aussi bons exercices a part soy comme l'on fait aux confrairies en commun, et que peut estre l'on goustast plus de les faire en particulier, si est-ce que Dieu est plus glorifié de l'union et contribution que nous faisons de nos bienfaitz avec nos freres et prochains.
J'en dis le mesme de toutes sortes de prieres et devotions publiques, ausquelles, tant qu'il nous est possible, nous devons porter nostre bon exemple pour l'edification du prochain, et nostre affection pour la gloire de Dieu et l'intention commune.
59. - Liv 9, ch. 6 et 7
QU'IL FAUT HONNORER ET INVOQUER LES SAINTZ
Puisque Dieu nous envoye bien souvent les inspirations par ses Anges, nous devons aussi luy renvoyer frequemment nos aspirations par la mesme entremise. Les saintes ames des trespassés qui sont en Paradis avec les Anges et, comme dit Nostre Seigneur (60), esgales et pareilles aux Anges, font aussi le mesme office, d'inspirer en nous et d'aspirer pour nous par leurs saintes oraysons. Ma Philothee, joignons nos coeurs a ces celestes espritz et ames bienheureuses; comme les petitz rossignolz apprennent a chanter avec les grans, ainsy, par le sacré commerce que nous ferons avec les Saintz, nous sçaurons bien mieux prier et chanter les loüanges divines: Je psalmodieray, disoit David (61), a la veuë des Anges.
Honnores, reveres et respectes d'un amour special la sacree et glorieuse Vierge Marie: elle est mere de nostre souverain Pere, et par consequent nostre grand'mere. Recourons donq a elle, et, comme ses petitz enfans, jettons-nous a son giron avec une confiance parfaitte; a tous momens, a toutes occurrences reclamons cette douce Mere, invoquons son amour maternel, et, taschans d'imiter ses vertus, ayons en son endroit un vray coeur filial.
Rendes-vous fort familiere avec les Anges; voyes-les souvent invisiblement presens a vostre vie, et sur tout aymes et reveres celuy du diocese auquel vous estes, ceux des personnes avec lesquelles vous vives, et specialement le vostre; supplies-les souvent, loües-les ordinairement, et employes leur ayde et secours en toutes vos affaires, soit spirituelles soit temporelles affin qu'ilz cooperent a vos intentions.
Le grand Pierre Favre, premier prestre, premier predicateur, premier lecteur de Theologie de la sainte Compaignie du nom de Jesus, et premier compaignon du bienheureux Ignace, fondateur d'icelle, venant un jour d'Allemagne, ou il avoit fait des grans services a la gloire de Nostre Seigneur, et passant en ce diocese, lieu de sa naissance, racontoit qu'ayant traversé plusieurs lieux heretiques, il avoit receu mille consolations d'avoir salué en abordant chaque paroisse les Anges protecteurs d'icelles, lesquelz il avoit conneu sensiblement luy avoir esté propices, soit pour le garantir des embusches des heretiques, soit pour luy rendre plusieurs ames douces et dociles a recevoir la doctrine de salut. Et disoit cela avec tant de recommandation, qu'une damoiselle (62), lhors jeune, l'ayant ouï de sa bouche, le recitoit il n'y a que quatre ans, c'est a dire plus de soixante ans apres, avec un extreme sentiment. Je fus consolé cette annee passee de consacrer un autel (63) sur la place en laquelle Dieu fit naistre ce bienheureux homme, au petit village du Villaret, entre nos plus aspres montagnes.
Choisissés quelques Saintz particuliers, la vie desquelz vous puissies mieux savourer et imiter, et en l'intercession desquelz vous ayes une particuliere confiance: celuy de vostre nom vous est des-ja tout assigné des vostre Baptesme.
60. - Mt 22,30
61. - Ps 137,2
62. - Noble Guil1elmine d'Arenthon d'Alex, femme de noble Humbert Critan ou Critain, et mère de Révérend Pierre Critan, plébain de Thônes grand ami du Saint. ( Vie du B. Pierre Lefévre, par le P. A. Maurel, S. J. Liv. Il, chap. vii; Beatif. et Canonis. Francisci de Sales, Process. remiss. Gebenn.(I), Déposition de Rév. Pierre Critan, ad interrog. 2.)
63. - Selon toute probabilité, la consécration de cet autel eut lieu le 7 octobre 1607, jour auquel le Saint visita l'église paroissiale de Saint-Jean-de-Sixt et la chapelle du Villaret qui en dépend.
COMME IL FAUT OUIR ET LIRE
LA PAROLE DE DIEU
Soyes devote a la parole de Dieu: soit que vous l'escouties en devis familiers avec vos amis spirituelz, soit que vous l'escouties au sermon, oyes-la tous-jours avec attention et reverence; faites en bien vostre prouffit et ne permettes pas qu'elle tombe a terre, ains receves-la comme un pretieux baume dans vostre coeur, a l'imitation de la Tressainte Vierge, qui conservoit soigneusement dedans le sien toutes les paroles que l'on disoit a la loüange de son Enfant (64). Et souvenés-vous que Nostre Seigneur recueille les paroles que nous luy disons en nos prieres, a mesure que nous recueillons celles qu'il nous dit par la predication.
Ayes tous-jours aupres de vous quelque beau livre de devotion, comme sont ceux de saint Bonaventure (65), de Gerson (66), de Denis le Chartreux (67), de Louys Blosius (68), de Grenade (69), de Stella (70), d'Arias, de Pinelli (71), de Du Pont, d'Avila, le Combat spirituel, les Confessions de saint Augustin, les Epistres de saint Hierosme, et semblables; et lises en tous les jours un peu avec grande devotion, comme si vous lisies des lettres missives que les Saintz vous eussent envoyees du Ciel, pour vous monstrer le chemin et vous donner le courage d'y aller.
Lises aussi les histoires et Vies des Saintz, esquelles, comme dans un mirouër, vous verres le pourtrait de la vie chrestienne, et accommodes leurs actions a vostre prouffit selon vostre vacation. Car bien que beaucoup des actions des Saintz ne soyent pas absolument imitables par ceux qui vivent emmi le monde, si est-ce que toutes peuvent estre suivies ou de pres ou de loin: la solitude de saint Paul premier ermite est imitee en vos retraittes spirituelles et reelles, desquelles nous parlerons (72), et avons parlé ci dessus (73); l'extreme pauvreté de saint François, par les prattiques de la pauvreté telles que nous les marquerons (74), et ainsy des autres. Il est vray qu'il y a certaines histoires qui donnent plus de lumiere pour la conduitte de nostre vie que d'autres, comme la Vie de la bienheureuse Mere Therese, laquelle est admirable pour cela, les Vies des premiers Jesuites, celle de saint Charles Borromee, Archevesque de Milan (75), de saint Louys, de saint Bernard, les Chroniques de saint François et autres pareilles. Il y en a d'autres ou il y a plus de sujet d'admiration que d'imitation, comme celle de sainte Marie Egyptienne, de saint Simeon Stylite, des deux saintes Catherine de Sienne et de Gennes, de sainte Angele et autres telles, lesquelles ne laissent pas neanmoins de donner un grand goust general du saint amour de Dieu.
64. - Lc 2,19
65. - Variante: de saint Bernard (Ms).
66. -Gerson (de Gerson) Jean, Chancelier de l'Université de Paris (1362-1429). L'intention de saint Francois de Sales est vraisemblablement de recommander en général les uvres de cet écrivain, dont il parle avec éloge dans le Traité de l'Amour de Dieu (préface et liv. VII, chap. IX) et ailleurs; néanmoins, il doit avoir spécialement en vue le livre de l'Imitation de Jésus-Christ, qu'on avait coutume de désigner à cette époque sous le nom de l'auteur auquel il était fréquemment attribué. C'est ainsi que le Père Pinelli, ci-dessus nommé intitule Gersone della Perfezione Chriatiana, un traité qu'il a composé sur le plan du célèbre ouvrage. On sait du reste combien le Saint appréciait I'Imitation (voir l'Esprit de saint Français de 5ales, par J.-P. Camus, Partie III, $ 12, VII, $ 7, XIV, $ 16), et il n'aurait certainement pas manqué de la recommander nommément à Philotbée, s'il n'avait été sûr de se voir bien compris en la désignant simplement sous le nom de Gerson. Il est à remarquer qu'on pouvait employer ce titre sans pourtant se prononcer sur le véritable auteur de l'Imitation.
67. -Denis le Chartreux (Denis de Rickel), allemand (1402-1471).
68. - Blosius Louis (Louis de Blois), Bénédictin flamand (1506-1566).
69. - Grenade et Arias, voir notes liv 1 ch 6; Du Pont, voir note liv 2 ch 1; Jean d'Avila voir note liv 1 ch 4
70. - Stella Diego, Franciscain portugais (1524-1598).
71. - Pinelli Luca, Jésuite italien, mort en 1607.
72. - liv 5
73. - liv 2 ch 12.
74. - Liv 3, ch 15
75. - Variante: du bienheureux Cardinal Borromee (Ms.-A-B); Saint Charles fut canonisé le1er novembre 1610.
Introduction a la vie devote - CHAPITRE X