Introduction a la vie devote - CHAPITRE XXXVIII
DE L'HONNESTETÉ DU LICT NUPTIAL
Le lict nuptial doit estre immaculé; comme I'Apostre l'appelle (274), c'est a dire exempt d'impudicités et autres souïlleures prophanes. Aussi le saint Mariage fut premierement institué dedans le Paradis terrestre, ou jamais, jusques a l'heure, il n'y avoit eu aucun desreglement de la concupiscence, ni chose deshonneste.
Il y a quelque ressemblance entre les voluptés honteuses et celles du manger, car toutes deux regardent la chair, bien que les premieres, a rayson de leur vehemence brutale, s'appellent simplement charnelles. J'expliqueray donques ce que je ne puis pas dire des unes, par ce que je diray des autres.
1. Le manger est ordonné pour conserver les personnes: or, comme manger simplement pour nourrir et conserver la personne est une bonne chose, sainte et commandee, aussi ce qui est requis au mariage pour la production des enfans et la multiplication des personnes est une bonne chose et tressainte, car c'est la fin principale des noces.
2.Manger, non point pour conserver la vie mais pour conserver la mutuelle conversation et condescendance que nous nous devons les uns aux autres, c'est chose grandement juste et honneste et de mesme, la reciproque et legitirne satisfaction des parties au saint Mariage est appellee par saint Paul devoir (275); mais devoir si grand, qu'il ne veut pas que l'une des parties s'en puisse exempter sans le libre et volontaire consentement de l'autre, non pas mesme pour les exercices de la devotion (276), qui m'a fait dire le mot que j'ay mis au chapitre de la sainte Communion pour ce regard combien moins donq peut-on s'en exempter pour des capricieuses pretentions de vertu ou pour les choleres et desdains.
3.Comme ceux qui mangent pour le devoir de la mutuelle conversation doivent manger librement et non comme par force, et de plus s'essayer de tesmoigner de l'appetit, aussi le devoir nuptial doit estre tous-jours rendu fidellement, franchement, et tout de mesme comme si c'estoit avec esperance de la production des enfans, encor que pour quelque occasion on n' eust pas telle esperance.
4. Manger non point pour les deux premieres raysons, mais simplement pour contenter l'appetit, c'est chose supportable mais non pas pourtant louable; car le simple playsir de l'appetit sensuel ne peut estre un objet suffisant pour rendre une action louable, il suffit bien si elle est supportable.
5. Manger non point par simple appetit, mais par exces et desreglement, c'est chose plus ou moins vituperable, selon que l'exces est grand ou petit.
6. Or, l'exces du manger ne consiste pas seulement en la trop grande quantité, mais aussi en la façon et maniere de manger. C'est grand cas, chere Philothee, que le miel si propre et salutaire aux abeilles leur puisse neanmoins estre si nuisible que quelquefois il les rend malades, comme quand elles en mangent trop au printems, car cela leur donne le flux de ventre, et quelquefois il les fait mourir inevitablement, comme quand elles sont emmiellees par le devant de leur teste et de leurs aislerons.
A la verité, le commerce nuptial qui est si saint, si juste, si recommandable, si utile a la republique, est neanmoins en certain cas dangereux a ceux qui le prattiquent; car quelquefois il rend leurs ames grandement malades de peché veniel, comme il arrive par les simples exces, et quelquefois il les fait mourir par le peché mortel, comme il arrive lhors que l'ordre establi pour la production des enfans est violé et perverti, auquel cas, selon qu'on s'esgare plus ou moins de cet ordre, les pechés se treuvent plus ou moins execrables, mais tous-jours mortelz. Car d'autant que la procreation des enfans est la premiere et principale fin du mariage, jamais on ne peut loysiblement se departir de l'ordre qu'elle requiert, quoy que pour quelque autre accident elle ne puisse pas pour Ihors estre effectuee, comme il arrive quand la sterilité ou la grossesse des-ja survenue empesche la production et generation; car en ces occurrences le commerce corporel ne laisse pas de pouvoir estre juste et saint, moyennant que les regles de la generation soyent suivies, aucun accident ne pouvant jamais prejudicier a la loy que la fin principale du mariage a imposee. Certes, l'infame et execrable action que Onan faisoit en son mariage estoit detestable devant Dieu, ainsy que dit le sacré Texte du trente huitiesme chapitre de Genese; et bien que quelques heretiques de nostre aage (277), cent fois plus blasmables que les Cyniques desquelz parle saint Hierosme sur l'Epistre aux Ephesiens*, ayent voulu dire que c'estoit la perverse intention de ce meschant qui desplaisoit a Dieu, l'Escriture toutefois parle autrement, et asseure en particulier que la chose mesme qu'il faisoit estoit detestable et abominable devant Dieu.
7. C'est une vraye marque d'un esprit truant, vilain, abject et infame de penser aux viandes et a la mangeaille avant le tems du repas, et encores plus quand apres iceluy on s'amuse au playsir que l'on a pris a manger, s'y entretenant par parolles et pensees, et vautrant son esprit dedans le souvenir de la volupté que l'on a euë en avalant les morceaux, comme font ceux qui devant disner tiennent leur esprit en broche et apres disner dans les platz; gens dignes d'estre souillars de cuisine, qui font, comme dit saint Paul (278), un dieu de leur ventre. Les gens d'honneur ne pensent a la table qu'en s'asseant, et apres le repas se lavent les mains et la bouche pour n'avoir plus ni le goust ni l'odeur de ce qu'ilz ont mangé. L'elephant n'est qu'une grosse beste, mais la plus digne qui vive sur la terre et qui a le plus de sens; je vous veux dire un trait de son honnesteté: il ne change jamais de femelle et ayme tendrement celle qu'il a choisie, avec laquelle neanmoins il ne parie que de trois ans en trois ans, et cela pour cinq jours seulemeut et si secrettement que jamais il n'est veu en cet acte; mais il est bien veu pourtant le sixiesme jour auquel avant toutes choses il va droit a quelque riviere en laquelle il se lave entierement tout le cors, sans vouloir aucunement retourner au troupeau qu'il ne se soit auparavant purifié (279). Ne sont-ce pas de belles et honnestes humeurs d'un tel animal, par lesquelles il invite les mariés a ne point demeurer engagés d'affection aux sensualités et voluptés que selon leur vocation ilz auront exercees, mais icelles passees de s'en laver le coeur et l'affection, et de s'en purifier au plus tost, pour par apres avec toute liberté d'esprit prattiquer les autres actions plus pures et relevees.
En cet advis consiste la parfaitte prattique de l'excellente doctrine que saint Paul donne aux
Corinthiens: (280) Le tems est court, dit-il; reste que ceux qui ont des femmes soyent comme n'en ayans point. Car, selon saint Gregoire (281), celuy a une femme comme n'en ayant point qui prend tellement les consolations corporelles avec elle que pour cela il n'est point destourné des pretentions spirituelles; or, ce qui se dit du mari s'entend reciproquement de la femme. Que ceux qui usent du monde, dit le mesme Apostre (282), soyent comme n'en usans point. Que tous donques usent du monde, un chacun selon sa vocation, mais en telle sorte que n'y engageant point l'affection, on soit aussi libre et prompt a servir Dieu comme si l'on n'en usoit point. " C'est le grand mal de l'homme, " dit saint Augustin (283), "de vouloir jouir des choses desquelles il doit seulement user er de vouloir user celles desquelles il doit seulement jouir: " nous devons jouir des choses spirituelles et seulement user des corporelles; desquelles quand l'usage est converti en jouissance, notre ame raysonnable est aussi convertie en ame brutale et bestiale.
Je pense avoir tout dit ce que je voulois dire, et fait entendre sans le dire ce que je ne voulois pas dire.
274. - He 13,4
275. - 1Co 7,3
276. - 1Co 7,5
277. - Le Saint fait probablement allusion aux sectes des Illuminés et des nouveaux Adamites. Voir le P. Archange Ripault, L'abomination des abominations des fausses devotions de ce tems (Paris, 1632), Traités I, Il.
278. - Ph 3,19
279. - Pline Hist nat. 8,5
280. - 1Co 7,29
281. - Hom in Evang. 2, hom 16,12
282. - 1Co 7,31
283. - De octoginta tribus quaest. 30
ADVIS POUR LES VEFVES
Saint Paul instruit tous les prelatz, en la personne de son Timothee (284), disant: Honnore les vefves qui sont vrayement vefves. (285) Or, pour estre vrayement vefve ces choses sont requises:
1. Que non seulement la vefve soit vefve de cors, mais aussi de coeur, c'est a dire qu'elle soit resolue d'une resolution inviolable de se conserver en l'estat d'une chaste viduité; car les vefves qui ne le sont qu'en attendant l'occasion de se remarier ne sont separees des hommes que selon la volupté du cors, mais elles sont des-ja conjointes avec eux selon la volonté du coeur.
Que si la vraye vefve, pour se confirmer en l'estat de viduité, veut offrir a Dieu en voeu son cors et sa chasteté, elle adjoustera un grand ornement a sa viduité et mettra en grande asseurance sa resolution; car voyant qu'apres le voeu il n'est plus en son pouvoir de quitter sa chasteté sans quitter le Paradis, elle sera si jalouse de son dessein qu'elle ne permettra pas seulement aux plus simples pensees de mariage d'arrester en son coeur un seul moment, si que ce voeu sacré mettra une forte barriere entre son ame et toute sorte de projetz contraires a sa resolution.
Certes, saint Augustin conseille extremement ce voeu a la vefve chrestienne (286); et l'ancien et docte Origene passe bien plus avant (287), car il conseille aux femmes mariees de se voüer et destiner a la chasteté viduale en cas que leurs maris viennent a trespasser devant elles, affin qu'entre les playsirs sensuelz qu'elles pourront avoir en leur mariage, elles puissent neanmoins jouir du merite d'une chaste viduité par le moyen de cette promesse anticipee. Le voeu rend les oeuvres faittes en suite d'ice-luy plus aggreables a Dieu, fortifie le courage pour les faire, et ne donne pas seulement a Dieu les oeuvres, qui sont comme les fruitz de nostre bonne volonté, mais luy dedie encores la volonté mesme, qui est comme l'arbre de nos actions. Par la simple chasteté nous prestons nostre cors a Dieu, retenans pourtant la liberté de le sousmettre l'autre fois aux playsirs sensuelz; mais par le voeu de chasteté nous luy en faisons un don absolu et irrevocable, sans nous reserver aucun pouvoir de nous en desdire, nous rendans ainsy heureusement esclaves de Celuy la servitude duquel est meilleure que toute royauté. Or, comme j'appreuve infiniment les advis de ces deux grans personnages, aussi desirerois-je que les ames qui seront si heureuses que de les vouloir employer le facent prudemment, saintement et solidement, ayans bien examiné leurs courages, invoqué l'inspiration celeste et prins le conseil de quelque sage et devot directeur, car ainsy tout se fera plus fructueusement.
2.Outre cela, il faut que ce renoncement de secondes noces se face purement et simplement pour, avec plus de pureté, contourner toutes ses affections en Dieu, et joindre de toutes pars son coeur avec celuy de sa divine Majesté; car si le desir de laisser les enfans riches ou quelqu 'autre sorte de pretention mondaine arreste la vefve en viduité, elle en aura peut estre la loüange, mais non pas certes devant Dieu (288), puisque devant Dieu rien ne peut avoir une veritable loüange que ce qui est fait pour Dieu.
3.Il faut de plus que la vefve, pour estre vrayement vefve, soit separee et vdontairement destituee des contentemens prophanes. La vefve qui vit en delices, dit saint Paul (289) , est morte en vivant(290). Vouloir estre vefve et se plaire neanmoins d'estre muguettee, caressee, cajolee; se vouloir treuver aux balz, aux danses et aux festins; vouloir estre parfumee, attifee et mignardee, c'est estre une vefve vivante quant au cors, mais morte quant a l'ame. Qu'importe-il, je vous prie, que l'enseigne du logis d'Adonis et de l'amour prophane soit faite d'aigrettes blanches perchees en guise de pennaches, ou d'un crespe estendu en guise de retz tout autour du visage? ains souvent le noir est mis avec advantage de vanité sur le blanc pour en rehausser la couleur. La vefve ayant fait essay de la façon avec laquelle les femmes peuvent plaire aux hommes, jette de plus dangereuses amorces dedans leurs espritz. La vefve donq qui vit en ces folles delices, vivante est morte, et n'est a proprement parler qu'une idole de viduité.
Le tems de retrancher est venu, la voix de la tourterelle a esté ouïe en nostre terre, dit le Cantique (291). Le retranchement des superfluités mondaines est requis a quicomque veut vivre pieusement; mays il est sur tout necessaire a la vraye vefve qui, comme une chaste tourterelle, vient tout fraischement de pleurer, gemir et lamenter la perte de son mari. Quand Noémi revint de Moab en Bethleem, les femmes de la ville qui l'avoyent conneuë au commencement de son mariage s'entredisoyent l'une a l'autre: N'est-ce point ici Noémi? Mais elle respondit: Ne m'appelles point, je vous prie, Noëmi, car Noëmi veut dire gracieuse et belle, ains appelles moy Mara, car le Seigneur a rempli mon ame d'amertume (292): ce qu'elle disoit d'autant que son mari luy estoit mort. Ainsy la vefve devote ne veut jamais estre appellee et estimee ni belle ni gracieuse, se contentant d'estre ce que Dieu veut qu'elle soit, c'est a dire humble et abjecte a ses yeux (293).
Les lampes desquelles l'huyle est aromatique jettent une plus suave odeur quand on esteint leurs flammes: ainsy les vefves desquelles l'amour a esté pur en leur mariage respandent un plus grand parfum de vertu de chasteté quand leur lumiere, c'est a dire leur mari, est esteinte par la mort. D'aymer le mari tandis qu'il est en vie, c'est chose asses triviale entre les femmes; mais l'aymer tant qu'apres la mort d'iceluy on n'en veuille point d'autre, c'est un rang d'amour qui n'appartient qu'aux vrayes vefves. Esperer en Dieu tandis que le mari sert de support, ce n'est pas chose si rare; mais d'esperer en Dieu quand on est destitué de cet appuy, c'est chose digne de grande loüange c'est pourquoy on connoist plus aysement en la viduité, la perfection des vertus que l'on a euës au mariage (294)
La vefve laquelle a des enfans qui ont besoin de son addresse et conduitte , et principalement en ce qui regarde leur ame et l'establissement de leur vie, ne peut ni doit en façon quelconque les abandonner; car l'apostre saint Paul dit clairement (295) qu'elles sont obligees a ce soin la, pour rendre la pareille a leurs peres et meres, et d'autant encores que si quelqu'un n'a soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il est pire qu'un infidelle (296). Mais si les enfans sont en estat de n'avoir pas besoin d'estre conduitz, la vefve alhors doit ramasser toutes ses affections et cogitations pour les appliquer plus purement a son avancement en l'amour de Dieu (297).
Si quelque force forcee n'oblige la conscience de la vraye vefve aux embarrassemens exterieurs, telz que sont les proces, je luy conseille de s'en abstenir du tout, et suivre la methode de conduire ses affaires qui sera plus paisible et tranquille, quoy qu'il ne semblast pas que ce fust la plus fructueuse. Car il faut que les fruitz du tracas soyent bien grans, pour estre comparables au bien d'une sainte tranquillité; laissant a part que les proces et telles brouilleries dissipent le coeur et ouvrent souventefois la porte aux ennemis de la chasteté, tandis que, pour complaire a ceux de la faveur desquelz on a besoin, on se met en des contenances indevotes et desaggreables a Dieu.
L'orayson soit le continuel exercice de la vefve; car ne devant plus avoir d'amour que pour Dieu, elle ne doit non plus presque avoir des parolles que pour Dieu. Et comme le fer qui estant empesché de suivre l'attraction de l'aymant a cause de la presence du diamant, s'eslance vers le mesme aymant soudain que le diamant est esloigné, ainsy le coeur de la vefve, qui ne pouvoit bonnement s'eslancer du tout en Dieu, ni suivre les attraitz de son divin amour pendant la vie de son mari, doit soudain apres le trespas d'iceluy courir ardemment a l'odeur des Parfums celestes, comme disant, a l'imitation de l'Espouse sacree (298): O Seigneur, maintenant que je suis toute mienne, recevés-moy pour toute vostre; tirés-moy apres vous, nous courrons a l'odeur de vos onguens.
L'exercice des vertus propres a la sainte vefve sont ]a parfaitte modestie, le renoncement aux honneurs, aux rangs, aux assemblees, aux tiltres et a telles sortes de vanités; le service des pauvres et des malades, la consolation des affligés, l'introduction des filles a la vie devote, et de se rendre un parfait exemplaire de toutes vertus aux jeunes femmes. La netteté et la simplicité sont les deux ornemens de leurs habitz, l'humilité et la charité les deux ornemens de leurs actions, l'honnesteté et debonnaireté les deux ornemens de leur langage, la modestie et la pudicité l'ornement de leurs yeux, et Jesus Christ crucifié, l'unique amour de leur coeur.
Bref, la vraye vefve est en l'Eglise une petite violette de mars, qui respand une suavité nompareille par l'odeur de sa devotion, et se tient presque tous-jours cachee sous les larges feuilles de son abjection, et par sa couleur moins esclatante tesmoigne la mortification; elle vient es lieux frais et non cultivés, ne voulant estre pressee de la conversation des mondains, pour mieux conserver la fraischeur de son coeur contre toutes les chaleurs que le desir des biens, des honneurs ou mesme des amours luy pourroit apporter. Elle sera bien heureuse, dit le saint Apostre (299), si elle persevere en cette sorte.
J'aurois beaucoup d'autres choses a dire sur ce sujet; mais j'auray tout dit quand j'auray dit que la vefve jalouse de l'honneur de sa condition lise attentivement les belles epistres que le grand saint Hierosme escrit a Furia et a Salvia, et a toutes ces autres dames qui furent si heureuses que d'estre filles spirituelles d'un si grand Pere, car il ne se peut rien adjouster a ce qu'il leur dit, sinon cet advertissement que la vraye vefve ne doit jamais ni blasmer ni censurer celles qui passent aux secondes ou mesme troisiesmes et quatriesmes noces; car en certains cas Dieu en dispose ainsy pour sa plus grande gloire. Et faut tous-jours avoir devant les yeux cette doctrine des Anciens, que ni la viduité ni la virginité n'ont point de rang au Ciel que celuy qui leur est assigné par l'humilité.
284. - 1Tm 5,1
285. - Variante: Honnore les vefves qui sont vrayement vefves, dit l'apostre St Paul, parlant a tous les praelatz de 1'Eglise, en la personne de son Timotbee. Or, les vefves sont vrayement vefes quand elles sont parfaittement divisees, separees et destituees des consolations mondaines, non point par la force de leur condition, niais par le renoncement et abnegation qu'elles ont fait des choses qui pouvoyent leur donner des contentemens prophanes. S' Ambroise et St Augustin ont fait des livres expres Des Vefves et Du Bien de la Viduité, et St Hierosme a escrit plusieurs epistres sur le mesme sujet; et bien que les Peres appreuvent avec PEglise les secondes, troisiesmes, qustriesmes et cinquiesmes, et en fin toutes les noces qui se font en la crainte de Dieu, si est-ce que pour mille raysons ilz conseillent aux vefves, avec l'apostre S' Paul, de demeurer vefves: Elle sera plus heureuse, dit l'apostre St Paul, si elle demeure ainsy; je le dis selon mon conseil.
286. - De Bono viduit. 19
287. - Homil. 17 in Lc
288. - Rm 4,2
289. - 1Tm 5,6
290. - Variante: la vefve qui vit an delices, dit l'apostre St Paul, est morte en vivant. Il parle des vefves lesquelles, faisant semblant de vouloir tous-jours estre vefves, se plaisent neanmoins d'estre recherchees et muguettees, et pour cet effect tendent leurs crespes comme des retz autour de leur visage, et mettent le noir sur le blanc pour rehausser les couleurs de leur visage; et ayant [passé par l'experience] fait les essays de la façon avec laquelle les femmes peuvent plaire aux hommes, jettent des plus dangereuses amorces en l'esprit des hommes que ne font les filles a marier. Telles vefves vivantes sont mortes, et ne sont a proprement parler que des idoles de viduité; car, comme le feu du ciel tua et brisa l'enfant de Martiale dedans son ventre sans que son cors en fut aucunement interessé, ainsy faut il bien croire que le feu de la terre c'est a dire de la concupiscence, brusle et tue le coeur de ces vefves mondaines, qnoy qu'il ne brusle point leurs habits ni leurs voiles de viduité.
291. - Ct 2,12
292. - Rt 1,19
293. - Variante: Le tems de retrancher est venu, la voix de la tourterelle a esté ouïe en nostre terre, dit le Cantique. Le retranchement des superfluités mondaines est requis a quicomque desire dc vivre pieusement, ainsy que j'ay dit ailleurs; mays il est sur tout requis a la vefve qui, comme une chaste tourterelle, vient tout fraischement de pleurer, gemir et lamenter la perte de son mari; sinon qu'elle se declare de ne vouloir pas demeurer vefve. Quand Noëmi revint de Moab en Bethleem, les femmes de la ville qui l'avoyent conneut au commencement de son mariage disoyent toutes entre elles N'est-ce point ici, Noëmi? Or Noëmi veut dire gracieuse et plaisante; et elle respondit Ne m'appelles point Noëmi, appelles moy plustost Mara, car le Seigneur m'a remplie d'amertume. Ainsy la chaste vefve ne souhaittera plus d'estre appellee [ou] paroistre ni belle ni gracieuse, ains elle voudra estre ce que Dieu veut qu'elle soit, c'est a dire humble et abjecte a ses yeux.
294. - Variante: Les lampes desquelles l'huyle est aromatique jettent une plus suave odeur quand on esteint leurs flammes: ainsy les vefves desquelles l'amour a esté pur en leur mariage respandent un plus grand parfum de vertu, et tesmoignent plus abondamment l'amour qu'elles portoyent a leurs maris, et que leur coeur vivoit chaste emmi les embrasemens de leur cors, quand leurs lumieres, c'est a dire leurs maris, sont esteints par la mort; la ou les vefves qui vivantes sont mortes monstrent que les amorces et pastures de leur feu n'estoyent qu'un suif rance et puant.
Voyes, o chastes vefves, deux grans exemplaires qui doivent reluire en vous: Judith de l'ancienne Loy, et Anne la prophetesse pour la nouvelle; toutes deux demeurerent vefves bien jeunes et passerent leur viduité en prieres, en jeusnes et en toutes sortes de bons exercices; mais la viduité de Judith a ce grand advantage, qu'elle estoit grande dame, riche, opulente, tresbelle et tresaggreable. A la suite de celles cy et a leur imitation, la primitive Eglise fleurit en un nombre infini de saintes vefves, desquelles les unes furent deputees au service des pauvres, et les autres a la garde des portes de l'eglise et a la visitation des malades et autres offices de pieté.
S. Augustin conseille aux vefves de non seulement garder leur chasteté a Dieu, mais aussi de la luy voüer, affin que le voeu leur serve de preservatif contre toutes sortes de pensees contraires a la chasteté, lesquelles, tandis qu'elles sont en liberté de faire a leur gré, sont tous-jours fort dangereuses, la ou le voeu sert de barriere entre l'ame et les tentations. Aussi le voeu rend les oeuvres faittes en suite d'iceluy tous-jours plus aggreables a la divine Majesté, et fortifie le courage pour l'exercice de la vertu; c'est un acte grandement recommandable, de non seulement donner a Dieu nostre chasteté, mais aussi de luy donner la liberté qu'il nous avoit laissee de la garder ou de ne la garder pas, et de nous obliger a suivre la perfection. Ceux qui gardent la chasteté sans la voüer prestent leur cors a Nostre Seigneur, mais ceux qui en la gardant font voeu de la garder le luy donnent d'un don irrevocable, et, sans se reserver aucun pouvoir de s'en desdire, se rendent heureusement esclaves de Celuy le service duquel est meilleur que toutes les royautés de ce monde. Mays Origene passe bien plus avant, car il conseille aux femmes mariees de se destiner et voüer a la chasteté vîduale en cas que leurs maris viennent a trespasser devant elles, affin qu'emmi les playsîrs qu'elles peuvent avoir en leur mariage, par le moyen de cette bonne intention, elles jouissent des fruits et des merites de la chasteté qu'elles promettent. Or, comme je loüe infiniment les advis de ces deux grans personnages, aussi desire-je que les ames qui les voudront employer, avant que de faire le voeu qu'ilz conseillent, conferent avec leurs directeurs, facent beaucoup de prieres et examinent bien leurs courages avant que de venir au voeu, affin que le tout se face plus saintement et solidement, et plus fructueusement.
295. - 1Tm 5,4
296. - 1Tm 5,8
297. - Variante: La vefve qui a des enfans lesquelz, pour la tendreté de leur aage, ont besoin de son addresse et conduitte, ne peut loysiblement les abandonner; car l'apostre S' Paul dit clairement qu'elles sont obligees a ce soin la, pour rendre lapareille a leurs pere et meres, d'autant que si quelqu'un n'a soin des siens, et prîncipalement de ceux de sa famille, il semble estre pire qu'un infidelle. Mais si les enfans sont telz qu'ilz n'ayent plus besoin de telle conduitte, la vefve fera bien de contourner toute son ame a des plus pures occupations, pour joindre de toutes pars son coeur avec celuy de Dieu. (Ms.)
298. -Ct 1,3
299. 1Co 7,40
UN MOT AUX VIERGES
O vierges, si vous pretendés au mariage temporel, gardes donq jalousement vostre premier amour pour vostre premier mari. Je pense que c'est une grande tromperie de presenter, en lieu d'un coeur entier et sincere, un coeur tout usé, frelaté et tracassé d'amour. Mais si vostre bonheur vous appelle aux chastes et virginales noces spirituelles, et qu'a jamais vous veuilles conserver vostre virginité, o Dieu, conservés vostre amour le plus delicatement que vous pourres pour cet Espoux divin qui, estant la pureté mesme, n'ayme rien tant que la pureté (300), et a qui les premices de toutes choses sont deuës, mais principalement celles de l'amour. Les epistres de saint Hierosme vous fourniront tous les advis qui vous sont necessaires; et puisque vostre condition vous oblige a l'obeissance, choisisses une guide, sous la conduitte de laquelle vous puissies plus saintement dedier vostre coeur et vostre cors a sa divine Majesté (301).
300. - Ct 2,16
301. - Variante: O que la parfaitte virginité est rare! car [pour estre entiere] elle requiert non seulement l'integrité du cors, mais encor la pureté du coeur. Quelles larmes devroit on respandre sur la perte de tant de virginités que l'impudicité des mauvaises compaignies a fauchees comme des lis avant mesme qu'elles parussent bonnement sur terre? O jeunes gens, qui comme lys ornes de vostre blancheur le jardin de l'Eglise, conserves saintement vos coeurs et vos cors des souilleures de ce monde, ou pour un st mariage corporel, ou pour les sacrees noces spirituelles de vostr'ame avec son Dieu.
Je Iaysse a part... Le lys craint l'haleyne mesme des boucs, et y a, dit Pline, des hommes qui ont les dens si veneneuses que les faysans voir au mirouer, il en demeure taché et gasté; ne permettes donq nulle sorte d'approches aux impudiques ames... J
Vostre jeunesse vous rend aggreables a tout le reste des hommes: chacun s'empresse de vous, chacun vous environne, comme des jeunes arbrisseaux, pour voir comme vous commences a fleurir; mais prenes garde que les boucs ne s'approchent, car leur haleyne seulement vous est pernicieuse. Mais je vous ay donné des advis pour vostre chasteté ailleurs. Gardes vos coeurs des amours de toutes...(Ms)
DE L' I N T R O D U C T I O N
CONTENANT LES ADVIS NECESSAIRES CONTRE
LES TENTATIONS PLUS ORDINAIRES
QU'IL NE FAUT POINT S'AMUSER AUX PAROLES
DES ENFANTS DU MONDE
Tout aussi tost que les mondains s'appercevront que vous voulés suivre la vie devote, ilz descocheront sur vous mille traitz de leur cajolerie et mesdisance: les plus malins calomnieront vostre changement d'hypocrisie, bigotterie et artifices; ilz diront que le monde vous a fait mauvais visage et qu'a son refus vous recourés a Dieu; vos amis s'empresseront a vous faire un monde de remonstrances, fort prudentes et charitables a leur advis: Vous tomberes, diront-ilz, en quelque humeur melancholique, vous perdres credit au monde, vous vous rendres insupportable, vous enviellires devant le tems, vos affaires domestiques en patiront; il faut vivre au monde comme au monde, on peut bien faire son salut sans tant de mysteres; et mille telles bagatelles.
Ma Philothee, tout cela n'est qu'un sot et vain babil; ces gens-la n'ont nul soin ni de vostre santé ni de vos affaires. Si vous esties du monde, dit le Sauveur (1), le monde aymeroit ce qui est sien; mais parce que vous n'estes pas du monde, partant il vous hait. Nous avons veu des gentilshommes et des dames passer la nuit entiere, ains plusieurs nuitz de suitte a joüer aux eschecz et aux cartes. Y a-il une attention plus chagrine, plus melancholique et plus sombre que celle la? les mondains neanmoins ne disoyent mot, les amis ne se mettoyent point en peyne; et pour la meditation d'une heure, ou pour nous voir lever un peu plus matin qu'a l'ordinaire pour nous preparer a la Communion, chacun court au medecin pour nous faire guerir de l'humeur hypocondriaque et de la jaunisse. On passera trente nuitz a danser, nul ne s'en plaint; et pour la veille seule de la nuit de Noél, chacun tousse et crie au ventre le jour suivant. Qui ne voit que le monde est un juge inique, gracieux et favorable pour ses enfans, mais aspre et rigoureux aux enfans de Dieu?
Nous ne sçaurions estre bien avec le monde qu'en nous perdant avec luy. Il n' est pas possible que nous le contentions, car il est trop bigearre: Jean est venu,dit le Sauveur (2), ne mangeant ni beuvant, et vous dites qu'il est endiablé; le Filz de l'homme est venu en mangeant qu'il est Samaritain. Il est vray, Philothee; si nous nous relaschons par condescendance a rire, joüer, danser avec le monde, il s'en scandalisera, si nous ne le faysons pas, il nous accusera d'hypocrisie ou melancholie; si nous nous parons, il l'interpretera a quelque dessein, si nous nous demettons, ce sera pour luy vileté de coeur; nos gayetés seront par luy nommees dissolutions, et nos mortifications tristesses, et nous regardant ainsy de mauvais oeil, jamais nous ne pouvons luy estre aggreables. Il aggrandit nos imperfections et publie que ce sont des pechés, de nos pechés venielz il en fait des mortelz, et nos pechés d'infirmité il les convertit en pechés de malice.
En lieu que, comme dit saint Paul (3), la charité est benigne, au contraire le monde est malin (4); au lieu que la charité ne pense point de mal, au contraire le monde pense tous-jours mal, et quand il ne peut accuser nos actions il accuse nos intentions. Soit que les moutons ayent des cornes ou qu'ilz n'en ayent point, qu'ilz soyent blancz ou qu'ilz soyent noirs, le loup ne laissera pas de les manger s'il peut. Quoy que nous fassions, le monde nous fera tous-jours la guerre: si nous sommes longuement devant le confesseur, il demandera que c'est que nous pouvons tant dire; si nous y sommes peu, il dira que nous ne disons pas tout.
Il espiera tous nos mouvemens, et pour une seule petite parolle de cholere il protestera que nous sommes insupportables; le soin de nos affaires luy semblera avarice, et nostre douceur, niaiserie; et quant aux enfans du monde, leurs choleres sont generosités, leurs avarices, mesnages, leurs privautés, entretiens honnorables: les araignes gastent tous-jours l'ouvrage des abeilles.
Laissons cet aveugle, Philothee: qu'il crie tant qu'il voudra, comme un chat huant, pour inquieter les oyseaux du jour. Soyons fermes en nos desseins, invariables en nos resolutions; la perseverance fera bien voir si c'est a certes et tout de bon que nous sommes sacrifiés a Dieu et rangés a la vie devote. Les cometes et les planetes sont presque egalement lumineuses en apparence; mais les cometes disparoissent en peu de tems, n'estans que de certains feux passagers, et les planetes ont une clarté perpetuelle: ainsy l'hypocrisie et la vraye vertu ont beaucoup de ressemblance en l'exterieur; mais on reconnoist aysement l'une d'avec l'autre, parce que l'hypocrisie n'a point de duree et se dissipe comme la fumee en montant, mais la vraye vertu est tous-jours ferme et constante. Ce ne nous est pas une petite commodité pour bien asseurer le commencement de nostre devotion que d'en recevoir de l'opprobre et de la calomnie; car nous evitons par ce moyen le peril de la vanité et de l'orgueil, qui sont comme les sages femmes d'Egypte, ausquelles le Pharaon infernal a ordonné de tuer les enfans masles d'Israêl le jour mesme de leur naissance (5). Nous sommes crucifiés au monde et le monde nous doit estre crucifié (6); il nous tient pour folz, tenons-le pour insensé.
1. - Jn 15,19
2. - Mt 11,18
3. - 1Co 13,4
4. - 1Jn 5,19
5. - Ex 1,15
6. - Ga 6,14
Introduction a la vie devote - CHAPITRE XXXVIII