1994-2001 Lettres du Jeudi Saint - JEUDI SAINT 1995
LETTRE AUX PRÊTRES
À L'OCCASION DU JEUDI SAINT 1996
Chers Frères dans le sacerdoce,
«Frères, considérons notre vocation» (cf. 1Co 1,26). Le sacerdoce est une vocation, une vocation particulière: «Nul ne s'arroge à soi- même cet honneur, on y est appelé par Dieu» (He 5,4). La Lettre aux Hébreux fait référence au sacerdoce de l'Ancien Testament, pour introduire à la compréhension du mystère du Christ Prêtre: «Ce n'est pas le Christ qui s'est attribué à lui- même la gloire de devenir grand prêtre, mais il l'a reçue de celui qui lui a dit: [...] Tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech» (5,5-6).
La vocation unique du Christ Prêtre
1. Le Christ, Fils consubstantiel au Père, est constitué prêtre de la Nouvelle Alliance selon l'ordre de Melchisédech: lui aussi, donc, a été appelé au sacerdoce. C'est le Père qui «appelle» son Fils, engendré de Lui par un acte d'éternel amour, pour qu'«il entre dans le monde» (cf. He 10,5) et se fasse homme. Il veut que son Fils unique, en s'incarnant, devienne «prêtre pour toujours»: l'unique prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance. Dans la vocation du Fils au sacerdoce s'exprime la profondeur du mystère trinitaire. Seul en effet, le Fils, Verbe du Père, dans lequel et par lequel tout a été créé, peut offrir continuellement la création en sacrifice au Père, confirmant que tout ce qui est créé vient du Père et doit devenir une offrande de louange au Créateur. Ainsi donc, le mystère du sacerdoce trouve son origine dans la Trinité et il est en même temps une conséquence de l'Incarnation. En se faisant homme, le Fils unique et éternel du Père naît d'une femme, il entre dans l'ordre de la création et devient ainsi prêtre, prêtre unique et éternel.
L'auteur de la Lettre aux Hébreux souligne que le sacerdoce du Christ est lié au sacrifice de la Croix: «Le Christ, lui, survenu comme grand prêtre des biens à venir, traversant la tente plus grande et plus parfaite qui n'est pas faite de main d'homme, c'est-à-dire qui n'est pas de cette création, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire [...] avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle» (He 9,11-12). Le sacerdoce du Christ est enraciné dans l'uvre de la rédemption. Le Christ est prêtre de son propre sacrifice: «Par un Esprit éternel, il s'est offert lui- même sans tache à Dieu» (He 9,14). Le sacerdoce de la Nouvelle Alliance, auquel nous sommes appelés dans l'Église, constitue donc la participation à cet unique sacerdoce du Christ.
Sacerdoce commun et sacerdoce ministériel
2. Le Concile Vatican II présente le concept de «vocation» dans toute son ampleur. Il parle en effet de vocation de l'homme, de vocation chrétienne, de vocation à la vie conjugale et familiale. Dans ce contexte, le sacerdoce constitue l'une des vocations, l'une des façons possibles de suivre le Christ, lui qui plus d'une fois dans l'Évangile adresse l'invitation: «Suis-moi».
Dans la Constitution dogmatique sur l'Église Lumen gentium, le Concile enseigne que tous les baptisés participent au sacerdoce du Christ; mais en même temps, il fait clairement la distinction entre le sacerdoce du peuple de Dieu, commun à tous les fidèles, et le sacerdoce hiérarchique, c'est-à-dire ministériel. À ce sujet, un passage lumineux de ce document conciliaire mérite d'être cité en entier: «Le Christ Seigneur, Pontife pris parmi les hommes (cf. He 5,1-5), a fait du peuple nouveau un royaume et des prêtres pour Dieu, son Père (cf. Ap 1,6; 5,9-10). Par la régénération et l'onction de l'Esprit Saint, les baptisés sont en effet consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d'offrir, par toutes les activités de l'homme chrétien, des sacrifices spirituels et d'annoncer les actes de puissance de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière (cf. 1P 2,4-10). C'est pourquoi, tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière et louant ensemble Dieu (cf. Ac 2,42-47), doivent s'offrir en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu (cf. Rm 12,1), porter témoignage du Christ sur toute l'étendue de la terre, et rendre compte, à ceux qui le demandent, de l'espérance qui est en eux de la vie éternelle (cf. 1P 3,15). Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, tout en différant entre eux selon leur essence et non pas seulement selon leur degré, sont cependant ordonnés l'un à l'autre; l'un et l'autre, en effet, participent, chacun selon son mode propre, de l'unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel forme et dirige, en vertu du pouvoir sacré dont il jouit, le peuple sacerdotal, célèbre le sacrifice eucharistique en la personne du Christ et l'offre à Dieu au nom de tout le peuple; les fidèles pour leur part, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l'offrande de l'Eucharistie et exercent ce sacerdoce par la réception des sacrements, par la prière et l'action de grâce, par le témoignage d'une vie sainte et par l'abnégation et une charité active».1
Le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce commun des fidèles. En effet, quand le prêtre célèbre l'Eucharistie et administre les sacrements, il rend les fidèles conscients de leur participation particulière au sacerdoce du Christ.
L'appel personnel au sacerdoce
3. Il apparaît donc clairement que, dans le contexte plus large de la vocation chrétienne, la vocation sacerdotale constitue un appel spécifique. Et cela est généralement conforme à notre expérience personnelle de prêtres: nous avons reçu le baptême et la confirmation; nous avons participé à la catéchèse, aux célébrations liturgiques et surtout à l'Eucharistie. Notre vocation au sacerdoce est née dans le cadre de la vie chrétienne.
Chaque vocation au sacerdoce a toutefois une histoire particulière, qui se réfère à des moments bien précis de la vie de chacun. En appelant les Apôtres, le Christ disait à chacun: «Suis-moi!» (Mt 4,19; 9,9; Mc 1,17; 2,14; Lc 5,27; Jn 1,43; 21,19). Depuis deux mille ans, il continue à adresser le même appel à de nombreux hommes, en particulier aux jeunes. Parfois il appelle aussi de manière surprenante, quoiqu'il ne s'agisse jamais d'un appel tout à fait inattendu. L'appel du Christ à le suivre est, d'habitude, préparé de longue date. Déjà présente dans la conscience de l'enfant, même si l'indécision ou l'appel à suivre d'autres routes la rendent confuse, quand l'invitation se fait entendre de nouveau, elle ne constitue pas une surprise. On ne s'étonne pas alors que ce soit justement cette vocation qui ait prévalu sur les autres, et le jeune peut s'engager sur la route que lui indique le Christ: il quitte sa famille et commence sa préparation spécifique au sacerdoce.
Il existe une typologie de l'appel, que je voudrais esquisser maintenant. On en trouve une ébauche dans le Nouveau Testament. En disant «Suis-moi!», le Christ s'adresse à différentes personnes: il y a des pêcheurs comme Pierre ou les fils de Zébédée (cf. Mt 4,19 Mt 22), mais il y a aussi Lévi, un publicain, appelé ensuite Matthieu. Laprofession de percepteur des impôts était considérée en Israël comme condamnable et digne de mépris. Et pourtant le Christ appelle précisément un publicain dans le groupe des Apôtres (cf.Mt 9,9). L'appel de Saul de Tarse, connu et craint comme persécuteur des chrétiens et qui avait en haine le nom de Jésus, suscite certainement le plus grand étonnement (cf. Ac 9,1-19). C'est justement ce pharisien qui est appelé sur le chemin de Damas: le Seigneur veut faire de lui «un instrument de choix», destiné à beaucoup souffrir pour son nom (cf. Ac 9,15-16).
Chacun de nous, prêtres, se reconnaît lui- même dans la singulière typologie évangélique de la vocation; en même temps, il sait que l'histoire de sa vocation, le chemin par lequel le Christ le conduit pendant toute son existence, est en un certain sens absolument unique.
Chers frères dans le sacerdoce, nous devons souvent nous arrêter pour prier, méditant le mystère de notre vocation, le cur rempli d'émerveillement et de reconnaissance envers Dieu pour un don aussi ineffable.
La vocation sacerdotale des Apôtres
4. L'image de la vocation qui nous est transmise par les Évangiles est particulièrement liée aupersonnage du pêcheur. Jésus a appelé à lui quelques pêcheurs de Galilée, parmi lesquels Simon-Pierre, et il a défini la mission apostolique en se référant à leur métier. Après la pêche miraculeuse, quand Pierre se jeta à ses pieds en s'exclamant: «Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur», le Christ répondit: «Sois sans crainte; désormais ce sont des hommes que tu prendras» (Lc 5,8 Lc 10).
Pierre et les autres Apôtres vivaient avec Jésus et ils parcouraient avec lui les routes de sa mission. Ils entendaient les paroles qu'il prononçait, ils admiraient ses uvres, ils s'étonnaient des miracles qu'il faisait. Ils savaient que Jésus était le Messie, envoyé par Dieu pour indiquer à Israël et à toute l'humanité le chemin du salut. Mais leur foi devait passer à travers le mystérieux événement du salut qu'il avait plusieurs fois annoncé: «Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes, et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera» (Mt 17,22-23). Tout cela se réalisa par sa mort et sa résurrection, aux jours que la liturgie appelle le Triduum sacrum.
C'est précisément au cours de cet événement pascal que le Christ révéla aux Apôtres que leur vocation était de devenir prêtres comme lui et en lui. Cela se réalisa quand, au Cénacle, la veille de la mort en croix, il prit le pain puis le calice rempli de vin, en prononçant sur eux les paroles de la consécration. Le pain et le vin devinrent son Corps et son Sang, offerts en sacrifice pour toute l'humanité. Jésus conclut ce geste en ordonnant aux Apôtres: «Faites cela en mémoire de moi» (1Co 11,25). Par ces paroles, il leur confia son propre sacrifice et il le transmit, par leurs mains, àl'Église pour tous les temps. En confiant aux Apôtres le Mémorial de son sacrifice, le Christ les rendit aussi participants de son sacerdoce. Il existe, en effet, un lien étroit et indissoluble entre l'offrande et le prêtre: celui qui offre le sacrifice du Christ doit avoir part au sacerdoce du Christ. La vocation au sacerdoce est donc vocation à offrir son sacrifice in persona Christi, en vertu de la participation à son sacerdoce. C'est pourquoi nous avons hérité des Apôtres le ministère sacerdotal.
Le prêtre se réalise lui-même dans une réponse toujours renouvelée et vigilante
5. «Le Maître est là et il t'appelle» (Jn 11,28). Ces paroles peuvent se lire en référence à la vocation sacerdotale. L'appel de Dieu est à l'origine du chemin que l'homme doit accomplir dans la vie: telle est la dimension première et fondamentale de la vocation, mais ce n'est pas la seule. Avec l'ordination sacerdotale, en effet, commence un chemin qui dure jusqu'à la mort et qui est tout entier un itinéraire «vocationnel». Le Seigneur appelle les prêtres à diverses charges et à divers ministères qui découlent de cette vocation. Mais il y a un niveau encore plus profond. En plus des charges qui sont l'expression du ministère sacerdotal, demeure toujours, au fond de tout, la réalité même de «l'être sacerdotal». Les situations et les circonstances de la vie invitent constamment le prêtre à confirmer son choix premier, à répondre toujours et de nouveau à l'appel de Dieu. Notre vie sacerdotale, comme toute existence chrétienne authentique, est une succession de réponses à Dieu qui appelle.
À ce propos, la parabole des serviteurs qui attendent le retour de leur maître est significative. Comme il tarde, ils doivent veiller pour qu'à son arrivée il les trouve vigilants (cf. Lc 12,35-40). Cette vigilance évangélique ne pourrait-elle pas être une autre définition de la réponse à la vocation? Celle-ci, en effet, se réalise grâce à un sens éveillé de la responsabilité. Le Christ le souligne: «Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller! [...] Qu'il vienne à la deuxième ou à la troisième veille, s'il trouve les choses ainsi, heureux seront-ils!» (Lc 12,37-38).
Les prêtres de l'Église latine assument l'engagement de vivre dans le célibat. Si la vocation est vigilance, l'un des aspects significatifs de cette dernière est certainement la fidélité à un tel engagement durant toute l'existence. Toutefois, le célibat ne constitue qu'une des dimensions de la vocation; celle-ci se réalise, tout au long de la vie, à travers une totale disponibilité à l'égard des multiples tâches qui découlent du sacerdoce.
La vocation n'est pas une réalité statique: elle possède une dynamique propre. Chers frères dans le sacerdoce, nous confirmons et nous réalisons toujours plus notre vocation dans la mesure où nous vivons fidèlement le «mysterium» de l'alliance de Dieu avec l'homme, et en particulier le mysterium de l'Eucharistie; nous la réalisons dans la mesure où, avec une intensité croissante, nous aimons le sacerdoce et le ministère sacerdotal que nous sommes appelés à exercer. Nous découvrons alors que, dans le fait d'être prêtres, nous nous «réalisons» nous-mêmes, confirmant l'authenticité de notre vocation, selon l'unique et éternel dessein de Dieu sur chacun de nous. Ce projet divin s'accomplit dans la mesure où il est reconnu et accueilli par nous comme notre projet et notre programme de vie.
Le sacerdoce comme officium laudis
6. Gloria Dei vivens homo. Les paroles de saint Irénée2 unissent profondément la gloire de Dieu et la réalisation de soi de la part de l'homme. «Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam» (Ps 115 Ps 113 B, 1): en répétant souvent ces paroles du psalmiste, nous nous rendons compte que «se réaliser soi-même» dans la vie a une source et une fin transcendantes, contenues dans le concept de «gloire de Dieu»: notre vie est appelée à devenir officium laudis.
La vocation sacerdotale est un appel spécial à l'«officium laudis». Quand le prêtre célèbre l'Eucharistie, quand, dans le sacrement de la Réconciliation, il transmet le pardon de Dieu ou quand il administre les autres sacrements, chaque fois il loue Dieu. Il faut donc que le prêtre aime la gloire du Dieu vivant et que, avec la communauté des croyants, il proclame la gloire divine qui resplendit dans la Création et dans la Rédemption. Le prêtre est appelé à s'unir de façon particulière au Christ, Verbe éternel et vrai Homme, Rédempteur du monde: dans la Rédemption, en effet, se manifeste la plénitude de la gloire que l'humanité et toute la création rendent au Père en Jésus Christ.
L'officium laudis, ce ne sont pas seulement les paroles du Psautier, les hymnes liturgiques, les chants du peuple de Dieu qui retentissent en face du Créateur en de nombreuses langues; l'officium laudis, c'est surtout l'incessante découverte du vrai, du bien et du beau, dons du Créateur que le monde reçoit et, en même temps, c'est la découverte du sens de l'existence humaine. Le mystère de la Rédemption a pleinement accompli et révélé ce sens, rapprochant la vie de l'homme de la vie de Dieu. La Rédemption, qui s'est réalisée définitivement dans le Mystère pascal par la passion, la mort et la résurrection du Christ, révèle la sainteté transcendante de Dieu, et, comme l'enseigne le Concile Vatican II, elle manifeste «l'homme à l'homme».3
La gloire de Dieu est inscrite dans l'ordre de la Création et de la Rédemption; le prêtre est appelé à vivre jusqu'au bout ce mystère pour participer au grand officium laudis, qui s'accomplit sans cesse dans l'univers. C'est seulement en vivant en profondeur la vérité de la Rédemption du monde et de l'homme qu'il peut se rendre proche des souffrances et des problèmes des personnes et des familles et aussi affronter sans crainte la réalité du mal et du péché, avec les forces spirituelles nécessaires pour les dépasser.
Le prêtre accompagne les fidèles vers la plénitude de la vie en Dieu
7. Gloria Dei vivens homo. Le prêtre, dont la vocation est de rendre gloire à Dieu, est en même temps profondément marqué par la vérité contenue dans la seconde partie de l'expression de saint Irénée: vivens homo. L'amour pour la gloire de Dieu n'éloigne pas le prêtre de la vie ni de tout ce qui la compose; au contraire, sa vocation le conduit à en découvrir la pleine signification.
Que veut dire vivens homo? Cela signifie l'homme dans la plénitude de sa vérité: l'homme créé par Dieu à son image et à sa ressemblance; l'homme à qui Dieu a confié la terre pour qu'il la domine; l'homme marqué par une richesse multiple de nature et de grâce; l'homme libéré de la servitude du péché et élevé à la dignité de fils adoptif de Dieu.
Voilà l'homme et l'humanité que le prêtre a devant lui quand il célèbre les mystères divins: du nouveau-né que les parents présentent au baptême, aux enfants qu'il rencontre pour la catéchèse ou pour l'enseignement de la religion. Et ensuite les jeunes qui, dans la période la plus délicate de la vie, choisissent leur route, leur vocation, et qui se préparent à former de nouvelles familles ou à se consacrer pour le Règne de Dieu en entrant dans un séminaire ou dans un Institut de vie consacrée. Il faut que le prêtre soit très proche des jeunes. Dans cette période de la vie, ils s'adressent souvent à lui pour chercher le réconfort d'un conseil, le soutien de la prière, un sage accompagnement de leur vocation. De cette façon, le prêtre peut constater combien sa vocation est ouverte et dévouée aux personnes. En fréquentant les jeunes, il rencontre de futurs pères et de futures mères de famille, de futurs professionnels ou, de toute manière, des personnes qui pourront contribuer par leurs compétences à édifier la société de demain. Chacune de ces multiples vocations touche son cur sacerdotal et se manifeste comme un chemin particulier, au long duquel Dieu guide les personnes et les conduit à le rencontrer.
Le prêtre participe ainsi à de nombreux choix de vie, à des souffrances et à des joies, à des déceptions et à des espérances. Dans chaque situation, sa tâche est de montrer Dieu à l'homme comme la fin ultime de son histoire personnelle. Le prêtre devient celui à qui les personnes confient ce qu'ils ont de plus cher ainsi que leurs secrets, parfois très douloureux. Il devient celui qu'attendent les infirmes, les personnes âgées et les mourants, qui ont conscience que lui seul, participant au sacerdoce du Christ, peut les aider dans l'ultime passage, qui doit les conduire à Dieu. Le prêtre, témoin du Christ, est le messager de la vocation suprême de l'homme à la vie éternelle en Dieu. Et tandis qu'il accompagne ses frères, il se prépare lui-même: l'exercice du ministère lui permet d'approfondir sa propre vocation à rendre gloire à Dieu pour prendre part à la vie éternelle. Il avance ainsi vers le jour où le Christ lui dira: «C'est bien, serviteur bon et fidèle, [...] entre dans la joie de ton maître» (Mt 25,21).
Le jubilé sacerdotal: temps de joie et d'action de grâce
8. «Frères, considérez votre vocation» (1Co 1,26). L'exhortation de Paul aux chrétiens de Corinthe revêt une signification particulière pour nous prêtres. Nous devrions «considérer» souvent notre vocation, redécouvrant son sens et sa grandeur, qui nous dépassent toujours. Le Jeudi Saint, jour commémoratif de l'institution de l'Eucharistie et du sacrement du sacerdoce est une occasion privilégiée pour cela. Les anniversaires de l'ordination sacerdotale, spécialement, les jubilés sacerdotaux, sont aussi des occasions favorables.
Chers frères prêtres, tandis que je vous fais part de ces réflexions, je pense au cinquantième anniversaire de mon ordination sacerdotale, qui a lieu cette année. Je pense à mes compagnons de séminaire qui, comme moi, ont parcouru un chemin vers le sacerdoce marqué par la période dramatique de la seconde guerre mondiale. À ce moment-là, les séminaires étaient fermés et les clercs vivaient en diaspora. Certains d'entre eux perdirent la vie dans les opérations de la guerre. Le sacerdoce reçu dans ces conditions a acquis pour nous une valeur particulière. Il est vivant dans notre mémoire, ce grand moment où, il y a cinquante ans, l'Assemblée invoquait Veni Creator Spiritus sur nous, jeunes diacres, prosternés à terre au milieu de l'église avant de recevoir l'ordination sacerdotale par l'imposition des mains de l'Évêque. Remercions l'Esprit Saint pour cette effusion de grâce qui a marqué notre existence! Et continuons à implorer: «Imple superna gratia, quae tu creasti pectora»!
Je désire, chers frères dans le sacerdoce, vous inviter à prendre part à mon Te Deum de remerciement pour le don de la vocation. Les jubilés, vous le savez, sont des moments importants dans la vie d'un prêtre: ils représentent en quelque sorte des pierres milliaires sur le chemin de notre vocation. Selon la tradition biblique, le jubilé est un temps de joie et d'action de grâce. L'agriculteur rend grâce au Créateur pour les récoltes; à l'occasion de nos jubilés, nous voulons remercier le Pasteur éternel pour les fruits de notre vie sacerdotale, pour le service rendu à l'Église et à l'humanité dans les divers lieux du monde, dans les conditions les plus diverses et dans les multiples situations de travail où la Providence nous a voulus et nous a conduits. Nous savons que nous sommes «des serviteurs inutiles» (Lc 17,10), toutefois nous sommes reconnaissants au Seigneur d'avoir voulu faire de nous ses ministres.
Nous sommes reconnaissants aussi aux hommes, avant tout à ceux qui nous ont aidés à arriver au sacerdoce et à ceux que la divine Providence a placés sur le chemin de notre vocation. Nous les remercions tous, à commencer par nos parents, qui pour nous ont été un don multiforme de Dieu: quelle abondance et quelle richesse d'instruction et de bons exemples ils nous ont transmis!
Tout en rendant grâce, nous demandons aussi pardon à Dieu et à nos frères pour les négligences et les manquements, fruits de la faiblesse humaine. Le jubilé, selon la Sainte Écriture, ne pouvait pas être seulement action de grâce pour les récoltes: il comportait aussi la remise des dettes. Nous implorons donc Dieu miséricordieux pour qu'il nous remette les dettes contractées au cours de notre vie et dans l'exercice de notre ministère sacerdotal.
«Frères, considérez votre vocation», nous avertit l'Apôtre. Stimulés par sa parole, nous «considérons» le chemin parcouru jusqu'à maintenant, durant lequel notre vocation s'est confirmée, approfondie, consolidée. Nous «considérons» pour prendre une conscience plus claire de l'action affectueuse de Dieu dans notre vie. En même temps, nous ne pouvons pas oublier nos frères dans le sacerdoce qui n'ont pas persévéré sur le chemin entrepris. Nous les confions à l'amour du Père, comme nous assurons chacun d'eux de notre prière.
Le fait de «considérer» se transforme ainsi, presque à notre insu, en prière. C'est dans cette perspective que je désire vous inviter, chers frères dans le sacerdoce, à vous unir à mon action de grâce pour le don de la vocation et du sacerdoce.
O Dieu, merci pour le don du sacerdoce
9. «Te Deum laudamus, Te Dominum confitemur...» O Dieu, nous Te louons et nous Te rendons grâces: toute la terre T'adore. Nous, tes ministres, avec les voix des Prophètes et avec le chur des Apôtres, nous Te proclamons Père et Seigneur de la vie, de toute forme de vie qui de Toi seul descend. Nous te reconnaissons, ô Trinité Très Sainte, source et commencement de notre vocation: Toi, Père, de toute éternité Tu nous as pensés, voulus et aimés; Toi, Fils, Tu nous as choisis et appelés à participer à ton unique et éternel sacerdoce; Toi, Esprit Saint, Tu nous as comblés de tes dons et Tu nous as consacrés par ta sainte onction. Toi, Seigneur du temps et de l'histoire, tu nous as placés au seuil du troisième millénaire chrétien, pour être témoins du salut que Tu as réalisé pour toute l'humanité. Nous, Église qui proclame ta gloire, nous t'implorons: que jamais ne viennent à manquer de saints prêtres au service de l'Évangile; que résonne solennellement en toute cathédrale et en tout coin du monde l'hymne Veni Creator Spiritus. Viens, Esprit Créateur! Viens susciter de nouvelles générations de jeunes, prêts à travailler dans la vigne du Seigneur, pour répandre le Règne de Dieu jusqu'aux extrémités de la terre. Et Toi, Marie, Mère du Christ, qui sous la Croix nous a accueillis comme tes fils préférés avec l'Apôtre Jean, continue à veiller sur notre vocation. Nous te confions les années de ministère que la Providence nous accordera encore de vivre. Sois à nos côtés pour nous guider sur les routes du monde, à la rencontre des hommes et des femmes, que ton Fils a rachetés de son Sang. Aide-nous à accomplir jusqu'au bout la volonté de Jésus, né de Toi pour le salut de l'homme. O Christ, Tu es notre espérance! «In Te, Domine, speravi, non confundar in aeternum».
Du Vatican, le 17 mars 1996, quatrième Dimanche de Carême, en la dix-huitième année de mon pontificat.
LETTRE DU SAINT-PÈRE
JEAN-PAUL II
AUX PRETRES
POUR LE JEUDI SAINT 1998
Chers Frères dans le sacerdoce,
L'esprit et le coeur tournés vers le grand Jubilé, célébration solennelle du deuxième millénaire de la naissance du Christ et commencement du troisième millénaire chrétien, je voudrais invoquer avec vous l'Esprit du Seigneur, auquel est particulièrement consacrée la deuxième étape de l'itinéraire spirituel de préparation immédiate à l'Année sainte de l'An 2000.
Dociles à ses inspirations empreintes d'amour, nous nous disposons à vivre intensément ce temps favorable, implorant de l'Auteur de tout don les grâces nécessaires pour discerner les signes du salut et répondre en toute fidélité à l'appel de Dieu.
Un lien étroit unit notre sacerdoce à l'Esprit Saint et à sa mission. Le jour de notre ordination sacerdotale, par une particulière effusion du Paraclet, le Christ Ressuscité a renouvelé en chacun de nous ce qu'il avait fait en ses disciples le soir de Pâques, et il nous a institués continuateurs de sa mission dans le monde (cf. Jn 20,21-23). Ce don de l'Esprit, avec sa mystérieuse puissance sanctificatrice, est source et racine de la tâche spéciale d'évangélisation et de sanctification qui nous est confiée.
Le Jeudi saint, jour où nous faisons mémoire de la Cène du Seigneur, porte notre regard vers Jésus, Serviteur «obéissant jusqu'à la mort» (Ph 2,8), qui institue l'Eucharistie et l'Ordre sacré comme signes remarquables de son amour. Il nous laisse ce testament extraordinaire d'amour afin que se perpétue en tout temps et partout le mystère de son Corps et de son Sang et que les hommes puissent venir à la source inépuisable de la grâce. Y a-t-il pour nous, prêtres, un moment plus opportun et plus suggestif que celui-là pour contempler l'oeuvre de l'Esprit Saint en nous et pour implorer ses dons afin que nous nous conformions toujours plus au Christ, Prêtre de la Nouvelle Alliance?
1. L'Esprit Saint, créateur et sanctificateur
Veni Creator Spiritus, Mentes tuorum visita, Imple superna gratia, Quae tu creasti pectora.
Viens, Esprit créateur, visite l'âme de tes fidèles, emplis de la grâce d'en haut les coeurs que tu as créés.
Cette hymne liturgique ancienne fait revivre dans l'esprit de tout prêtre le jour de son ordination, évoquant sa résolution de se rendre pleinement disponible à l'action de l'Esprit Saint, formulée en cette circonstance unique. Elle lui rappelle aussi l'assistance spéciale du Paraclet et les nombreux moments de grâce, de joie et d'intimité que le Seigneur lui a donné de goûter au cours de sa vie.
Quand, dans le Symbole de Nicée-Constantinople, l'Église proclame sa foi en l'Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie, elle met bien en lumière le fait qu'il accompagne l'histoire humaine, et en particulier l'histoire des disciples du Seigneur en marche vers le salut.
Il est l'Esprit créateur, présenté par l'Écriture au commencement de l'histoire humaine, tandis qu'il «tournoyait sur les eaux» (Gn 1,2), et, à l'aube de la Rédemption, artisan de l'Incarnation du Verbe de Dieu (cf. Mt 1,20; Lc 1,35).
Consubstantiel au Père et au Fils, il est «dans le mystère absolu de Dieu un et trine, la Personne-amour, le Don incréé, source éternelle de tout don qui provient de Dieu dans l'ordre de la création, le principe direct et, en un sens, le sujet de la communication que Dieu fait de lui-même dans l'ordre de la grâce. De ce Don, de cette communication que Dieu fait de lui-même, le mystère de l'Incarnation constitue le sommet» (Dominum et vivificantem, n. 50).
L'Esprit Saint oriente la vie terrestre de Jésus vers le Père. Grâce à sa mystérieuse intervention, le Fils de Dieu est conçu dans le sein de la Vierge Marie (cf. Lc 1,35) et se fait homme. C'est encore l'Esprit qui, descendant sur Jésus sous la forme d'une colombe, le manifeste comme le Fils du Père lors du Baptême au Jourdain (cf. Lc 3,21-22) et, aussitôt après, le pousse au désert (cf. Lc 4,1). Après sa victoire sur les tentations, Jésus commence sa mission «avec la puissance de l'Esprit» (Lc 4,14): en Lui, il tressaille de joie et il bénit le Père pour son dessein bienveillant (cf. Lc 10,21); avec Lui, il chasse les démons (cf. Mt 12,28; Lc 11,20). À l'heure dramatique de la Croix, il s'offre lui-même «par un Esprit éternel» (He 9,14), par lequel ensuite il ressuscite (cf. Rm 8,11) et est «établi Fils de Dieu avec puissance» (Rm 1,4).
Le soir de Pâques, Jésus ressuscité dit aux Apôtres réunis au Cénacle: «Recevez l'Esprit Saint» (Jn 20,22) et, après en avoir promis une autre effusion par la suite, il leur confie le salut de leurs frères, en les envoyant sur les routes du monde: «Allez..., de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde» (Mt 28,19-20).
La présence du Christ dans l'Église de tous les temps et de tous les lieux est rendue vivante et efficace dans l'esprit des croyants par l'action du Consolateur (cf. Jn 14,26). Pour notre époque aussi, l'Esprit est «l'agent principal de la nouvelle évangélisation... [Il] construit le Royaume de Dieu au cours de l'histoire et prépare sa pleine manifestation en Jésus Christ, en animant les hommes de l'intérieur et en faisant croître dans la vie des hommes les germes du salut définitif qui adviendra à la fin des temps» (Tertio millennio adveniente, n. 45).
2. Eucharistie et Ordre, fruits de l'Esprit
Qui diceris Paraclitus, Altissimi donum Dei, Fons vivus, ignis, caritas Et spiritalis unctio.
Toi qu'on nomme le Conseiller, don du Dieu Très-Haut, source vive, feu, charité, onction spirituelle.
Par ces paroles, l'Église invoque l'Esprit Saint en tant que spiritalis unctio, onction spirituelle. Par l'onction de l'Esprit dans le sein immaculé de Marie, le Père a consacré grand prêtre éternel de l'Alliance Nouvelle le Christ, qui a voulu partager son sacerdoce avec nous, nous appelant à être ses continuateurs dans l'histoire pour le salut de nos frères.
Le Jeudi saint, Feria quinta in Cena Domini, nous, prêtres, sommes invités à rendre grâce avec toute la communauté des croyants pour le don de l'Eucharistie et à prendre à nouveau conscience de la grâce de notre vocation spéciale. Nous sommes également incités à nous confier, avec un coeur jeune et une totale disponibilité, à l'action de l'Esprit Saint, nous laissant conformer chaque jour par Lui au Christ prêtre.
En des termes riches de tendresse et de mystère, l'Évangile de Jean rapporte le récit du premier Jeudi saint, où le Seigneur, à table avec ses disciples au Cénacle, «...ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin» (13,1). Jusqu'à la fin: jusqu'à l'institution de l'Eucharistie, anticipation du Vendredi saint, du sacrifice de la Croix et de tout le mystère pascal. Pendant la dernière Cène, le Christ prend le pain entre ses mains et prononce les premières paroles de la consécration: «Ceci est mon corps livré pour vous». Aussitôt après, il proclame sur le calice rempli de vin les autres paroles de la consécration: «Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés», et il ajoute: «Vous ferez cela en mémoire de moi». Ainsi s'accomplit au Cénacle, d'une manière non sanglante, le Sacrifice de la Nouvelle Alliance, qui sera réalisé dans le sang le jour suivant, quand le Christ dira sur la Croix: «Consummatum est» - «Tout est accompli» (Jn 19,30).
Ce Sacrifice, offert une fois pour toutes sur le Calvaire, est confié aux Apôtres, par la grâce de l'Esprit Saint, comme le Très Saint Sacrement de l'Église. Pour implorer la mystérieuse intervention de l'Esprit, l'Église prie ainsi avant les paroles de la consécration: «Nous te supplions de consacrer toi-même les offrandes que nous apportons. Sanctifie-les par ton Esprit pour qu'elles deviennent le corps et le sang de ton Fils, Jésus Christ, notre Seigneur, qui nous a dit de célébrer ce mystère» (Prière eucharistique III). Sans la puissance de l'Esprit divin, en effet, comment des lèvres humaines pourraient-elles faire en sorte que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Seigneur, jusqu'à la fin du monde? C'est seulement grâce à la puissance de l'Esprit divin que l'Église peut sans cesse professer le grand mystère de la foi: «Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire».
L'Eucharistie et l'Ordre sont les fruits du même Esprit: «De même qu'à la Messe, l'Esprit opère la transsubstantiation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ, de même, dans le sacrement de l'Ordre, il opère la consécration sacerdotale ou épiscopale» (Ma vocation - Don et mystère, pp. 57-58).
3. Les dons de l'Esprit Saint
Tu septiformis munere Digitus paternae dexterae Tu rite promissum Patris Sermone ditans guttura.
Tu es l'Esprit aux sept dons, le doigt de la main du Père, promis par le Père, c'est toi qui inspires nos paroles.
Comment ne pas réserver une réflexion particulière aux dons de l'Esprit Saint, que la tradition de l'Église, dans le prolongement des sources bibliques et patristiques, désigne comme le «Septénaire sacré»? Cette doctrine a été l'objet d'une considération attentive de la part de la théologie scolastique, qui en a amplement décrit la signification et les caractéristiques.
«Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père!» (Ga 4,6). «Tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu... L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu» (Rm 8,14 Rm 16). Les paroles de l'Apôtre Paul nous rappellent que le don fondamental de l'Esprit est la grâce sanctifiante (gratia gratum faciens), avec laquelle sont reçues les vertus théologales: la foi, l'espérance et la charité, et toutes les vertus infuses (virtutes infusae), qui rendent apte à agir sous l'influence de l'Esprit lui-même. Dans l'âme, éclairée par la grâce d'en haut, de telles dispositions surnaturelles sont complétées par les dons de l'Esprit Saint. À la différence des charismes, qui sont accordés pour l'utilité d'autrui, ces dons sont offerts à tous, car ils sont ordonnés à la sanctification et au perfectionnement de la personne.
Leurs noms sont connus. Le prophète Isaïe les mentionne en esquissant la figure du futur Messie: «Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur: son inspiration est dans la crainte du Seigneur» (11,2-3). Le nombre des dons sera par la suite porté à sept par la version des Septante et par la Vulgate, qui ajoutent la piété, en éliminant du texte d'Isaïe la répétition de la crainte du Seigneur.
Saint Irénée évoque déjà le Septénaire et ajoute: «Le Seigneur a donné l'Esprit à l'Église, en envoyant des cieux le Défenseur sur toute la terre» (Adv. haereses III, 17,3). Pour sa part, saint Grégoire le Grand décrit l'activité surnaturelle introduite dans l'âme par l'Esprit, énumérant les dons en ordre inverse: «Nous nous élevons donc par la crainte jusqu'à la piété, nous sommes conduits par la piété jusqu'à la science, nous sommes fortifiés par la science pour avoir la force, nous allons par la force jusqu'au conseil, nous avançons par le conseil jusqu'à l'intelligence, nous parvenons par l'intelligence à l'accomplissement de la sagesse; nous montons par ces sept degrés jusqu'à la porte qui nous ouvre le chemin de la vie spirituelle» (Homélies sur Ézéchiel, II, 7,7).
Les dons de l'Esprit Saint - commente le Catéchisme de l'Église catholique - , qui rendent l'âme humaine et ses facultés particulièrement sensibles à l'action du Paraclet, «complètent et mènent à leur perfection les vertus de ceux qui les reçoivent. Ils rendent les fidèles dociles à obéir avec promptitude aux inspirations divines» (n. 1831). Cela veut dire que la vie morale des chrétiens est soutenue par ces «dispositions permanentes qui rendent l'homme docile à suivre les impulsions de l'Esprit Saint» (Ibid., n. 1830). Grâce à eux s'épanouit l'organisme surnaturel qui, par la grâce, se constitue en tout homme. En effet, les dons s'adaptent admirablement à nos dispositions spirituelles, les renforçant et les ouvrant de façon particulière à l'action de Dieu lui-même.
4. Influence des dons de l'Esprit sur l'homme
Accende lumen sensibus Infunde Amorem cordibus; Infirma nostri corporis Virtute firmans perpeti.
Allume en nous ta lumière, emplis d'amour nos coeurs, affermis toujours de ta force la faiblesse de notre corps.
Par l'Esprit, Dieu se rend intime de la personne et pénètre toujours plus à fond dans le monde humain: «Dieu un et trine, qui "existe" en lui-même, comme réalité transcendante du Don interpersonnel, en se communiquant dans l'Esprit Saint comme Don à l'homme, transforme le monde humain de l'intérieur, dans les coeurs et dans les consciences» (Dominum et vivificantem, n. 59).
Dans la grande tradition scolastique, cette vérité porte à privilégier l'action de l'Esprit dans l'histoire humaine et à mettre en relief l'initiative salvifique de Dieu dans la vie morale: sans effacer notre personnalité ni nous priver de la liberté, Il nous sauve au-delà de notre attente et de nos projets. Les dons de l'Esprit Saint vont dans le même sens, car ils sont «des perfections de l'homme qui le disposent à suivre avec empressement la motion divine» (S. Thomas d'Aquin, Somme théologique I-II, q. 68, a. 2).
Par les sept dons est donnée au croyant la possibilité d'un rapport personnel et intime avec le Père, dans la liberté qui est le propre des fils de Dieu. C'est ce que souligne saint Thomas d'Aquin, quand il fait remarquer comment l'Esprit Saint nous amène à agir non par force mais par amour: «Les fils de Dieu - affirme-t-il - sont mus par l'Esprit Saint librement, par amour, et non servilement, par crainte» (Contra gentiles, IV, 22). L'Esprit rend les actes du chrétien déiformes, c'est-à-dire en harmonie avec la façon de penser, d'aimer et d'agir de Dieu, de sorte que le croyant devient un signe identifiable de la Très Sainte Trinité dans le monde. Soutenu par l'amitié du Paraclet, par la lumière du Verbe, par l'amour du Père, il peut avec audace se proposer d'imiter la perfection divine (cf. Mt 5,48).
L'intervention de l'Esprit a lieu dans un double domaine, comme le rappelait mon vénéré prédécesseur, le Serviteur de Dieu Paul VI: «Le premier domaine est celui des âmes particulières..., c'est notre moi: dans cette cellule profonde, et mystérieuse à nos propres yeux, de notre existence, entre le souffle de l'Esprit Saint; il se répand dans l'âme avec ce premier et suprême charisme que nous appelons la grâce, qui est comme une vie nouvelle, et aussitôt il la rend apte à poser des actes qui dépassent son efficacité naturelle». Le second domaine «où se répand la force de la Pentecôte» est le «corps visible de l'Église... Il est certain que "Spiritus ubi vult spirat" (Jn 3,8); mais, dans l'économie établie par le Christ, l'Esprit passe par le canal du ministère apostolique». C'est en vertu de ce ministère qu'est donné aux prêtres le pouvoir de transmettre l'Esprit aux fidèles «par l'annonce autorisée et authentique de la Parole de Dieu, par la conduite du peuple chrétien et par la distribution des sacrements (cf. 1Co 4,1), qui sont précisément des sources de la grâce, c'est-à-dire de l'action sanctifiante du Paraclet» (Homélie de la Pentecôte, 25 mai 1969).
5. Les dons de l'Esprit dans la vie du prêtre
Hostem repellas longius, Pacemque dones protinus: Ductore sic te praevio Vitemus omne noxium.
Repousse l'ennemi loin de nous, donne-nous ta paix sans retard, pour que, sous ta conduite et ton conseil, nous évitions tout mal.
L'Esprit Saint rétablit dans le coeur de l'homme la pleine harmonie avec Dieu et, lui assurant la victoire sur le Malin, il l'ouvre aux dimensions universelles de l'amour divin. De cette façon, il fait passer l'homme de l'amour de lui-même à l'amour de la Trinité, lui faisant faire l'expérience de la liberté intérieure et de la paix, et l'amenant à faire de sa vie un don. Par le Septénaire sacré, l'Esprit guide ainsi le baptisé vers la pleine configuration au Christ et la totale harmonie avec les perspectives du Règne de Dieu.
Si telle est la voie sur laquelle l'Esprit entraîne avec délicatesse tout baptisé, il ne manque pas de réserver une attention spéciale à ceux qui ont reçu l'Ordre sacré, afin qu'ils accomplissent comme il convient leur important ministère. Ainsi, par le don de la sagesse, l'Esprit amène le prêtre à évaluer toute chose à la lumière de l'Évangile, en l'aidant à lire dans sa propre histoire et dans celle de l'Église le dessein du Père mystérieux et rempli d'amour; par l'intelligence, il favorise en lui une pénétration plus profonde de la vérité révélée, le poussant à proclamer avec conviction et force la joyeuse annonce du salut; par le conseil, l'Esprit éclaire le ministre du Christ afin qu'il sache orienter ses actions selon les vues de la Providence, sans se laisser conditionner par les jugements du monde; par le don de la force, il le soutient dans les difficultés du ministère, mettant en lui l'«assurance» (la parrhesia) nécessaire pour annoncer l'Évangile (cf. Ac 4,29 Ac 31); par le don de la science, il le dispose à comprendre et à accepter l'enchevêtrement parfois mystérieux des causes secondes avec la Cause première dans l'histoire du cosmos; par le don de la piété, il ravive en lui la relation de communion intime avec Dieu et d'abandon confiant à sa Providence; enfin, par la crainte de Dieu, qui arrive en dernier dans la hiérarchie des dons, l'Esprit affermit dans le prêtre la conscience de sa fragilité humaine et du rôle indispensable de la grâce divine, puisque «ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance: Dieu» (1Co 3,7).
6. L'Esprit fait entrer dans la vie trinitaire
Per te sciamus da Patrem Noscamus atque Filium, Teque utriusque Spiritum Credamus omni tempore.
Fais-nous connaître le Père, révèle-nous le Fils, et toi, leur commun Esprit, fais-nous toujours croire en toi.
Comme il est suggestif d'imaginer ces paroles sur les lèvres du prêtre qui, avec les fidèles confiés à sa sollicitude pastorale, va à la rencontre de son Seigneur! Il aspire à parvenir avec eux à la vraie connaissance du Père et du Fils, et à passer ainsi de l'expérience «dans un miroir, en énigme» (1Co 13,12) de l'action du Paraclet dans l'histoire, à la contemplation «face à face» (ibid.) de la Réalité trinitaire vivante. Il a bien conscience d'entreprendre «sur de petites barques une longue traversée» et d'avancer vers le ciel «en se servant de petites ailes» (S. Grégoire de Nazianze, Poèmes théologiques, 1); mais il sait aussi qu'il peut compter sur Celui qui a été chargé d'enseigner toute chose à ses disciples (cf. Jn 14,26).
Ayant appris à lire les signes de l'amour de Dieu dans son histoire personnelle, le prêtre, à mesure qu'approche l'heure de la rencontre suprême avec le Seigneur, rend sa prière toujours plus pressante et plus intense, dans son désir de se conformer avec une foi réfléchie à la volonté du Père, du Fils et de l'Esprit.
Le Paraclet, «escalier qui nous fait monter vers Dieu» (S. Irénée, Adv. Haereses, III, 24,1), l'attire vers le Père, mettant en son coeur le désir ardent de voir son visage. Il lui fait connaître tout ce qui concerne le Fils, l'attirant à lui dans un élan toujours plus fort. Il l'éclaire sur le mystère de sa propre Personne, l'amenant à en percevoir la présence en son coeur et dans l'histoire.
Ainsi, parmi les joies et les peines, les souffrances et les espérances du ministère, le prêtre apprend à compter sur la victoire finale de l'amour grâce à l'action indéfectible du Paraclet qui, malgré les limites des hommes et des institutions, amène l'Église à vivre en plénitude le mystère de l'unité et de la vérité. Il sait, par conséquent, qu'il peut s'en remettre à la puissance de la Parole de Dieu, qui surpasse toute parole humaine, et à la force de la grâce, qui triomphe des péchés et des insuffisances des hommes. Cela le rend fort, malgré la fragilité humaine, au moment de l'épreuve, et prêt à revenir en esprit au Cénacle, où, assidu à la prière avec Marie et avec ses frères, il peut retrouver l'enthousiasme nécessaire pour reprendre la lourde tâche du service apostolique.
7. Prosternés en présence de l'Esprit
Deo Patri sit gloria, Et Filio, qui a mortuis Surrexit, ac Paraclito, in saeculorum saecula. Amen.
Gloire soit à Dieu le Père, au Fils ressuscité des morts, à l'Esprit Saint Consolateur, maintenant et dans tous les siècles. Amen.
Alors qu'aujourd'hui, Jeudi saint, nous méditons sur la naissance de notre sacerdoce, chacun d'entre nous revient en esprit au moment hautement significatif de la prostration sur le sol, le jour de notre ordination presbytérale. Ce geste de profonde humilité et de soumission ouverte convenait parfaitement pour préparer notre esprit à l'imposition sacramentelle des mains, par laquelle l'Esprit Saint est entré en nous pour accomplir son action. Après nous être relevés, nous nous sommes agenouillés devant l'évêque afin d'être ordonnés prêtres, puis nous avons reçu de lui l'onction de nos mains pour la célébration du saint Sacrifice, tandis que l'assemblée chantait: «Source vive, feu, charité, onction spirituelle».
Ces gestes symboliques, qui signifient la présence et l'action de l'Esprit Saint, nous invitent à revenir chaque jour à cette expérience pour affermir en nous ses dons. Il est important, en effet, qu'il continue à agir en nous et que nous avancions sous son impulsion, mais plus encore que ce soit lui-même qui agisse à travers nous. Quand la tentation se fait insidieuse et que les forces humaines viennent à manquer, c'est le moment d'invoquer plus ardemment l'Esprit afin qu'il vienne en aide à notre faiblesse et qu'il nous permette d'être prudents et forts comme Dieu le veut. Il est nécessaire de garder le coeur constamment ouvert à cette action: elle élève et anoblit les forces de l'homme et elle lui confère la profondeur spirituelle qui introduit à la connaissance et à l'amour du mystère ineffable de Dieu.
Chers Frères dans le sacerdoce! L'invocation solennelle de l'Esprit Saint et le geste significatif d'humilité accompli durant l'ordination sacerdotale ont été aussi l'écho dans notre vie du fiat de l'Annonciation. Dans le silence de Nazareth, Marie se rend pour toujours disponible à l'égard de la volonté du Seigneur et, par l'Esprit Saint, elle conçoit le Christ, salut du monde. Cette obéissance initiale se prolonge tout au long de son existence terrestre et atteint son sommet au pied de la Croix.
Le prêtre est appelé à conformer constamment son fiat à celui de Marie, en se laissant conduire comme elle par l'Esprit. La Vierge le soutiendra dans ses choix de pauvreté évangélique et le disposera à écouter humblement et sincèrement ses frères afin de saisir dans leurs difficultés et dans leurs aspirations les «gémissements de l'Esprit» (cf. Rm 8,26); elle le rendra capable de les servir avec une discrétion éclairée, pour leur enseigner les valeurs évangéliques; elle le rendra attentif à rechercher ardemment «les choses d'en haut» (Col 3,1) pour être un témoin convaincant de la primauté de Dieu.
La Vierge l'aidera à accueillir le don de la chasteté comme expression d'un amour plus grand, que l'Esprit suscite afin d'engendrer à la vie divine une multitude de frères. Elle le conduira sur les voies de l'obéissance évangélique, afin qu'il se laisse guider par le Paraclet, au-delà de ses propres projets, vers la totale adhésion aux pensées de Dieu.
Accompagné par Marie, le prêtre saura renouveler chaque jour sa consécration jusqu'à ce que, sous la conduite de l'Esprit lui-même, invoqué avec confiance sur la route humaine et sacerdotale, il pénètre dans l'océan de lumière de la Trinité.
J'invoque sur vous tous, par l?intercession de Marie, Mère des prêtres, une effusion spéciale de l'Esprit d'amour.
Viens, Esprit Saint! Viens féconder notre service de Dieu et de nos frères!
En vous redisant mon affection et en vous souhaitant d'être réconfortés par Dieu dans votre ministère, je vous donne à tous de grand coeur la Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 25 mars 1998, solennité de l'Annonciation du Seigneur, en la vingtième année de mon pontificat.
1994-2001 Lettres du Jeudi Saint - JEUDI SAINT 1995