Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Hauviette, femme Gérard ƒŽ1Œ‚.

Déposition de Hauviette, femme Gérard ƒŽ1Œ‚.


Étant petite fille, j'ai connu Jeannette. Son père et sa mère étaient d'honnêtes laboureurs, gens de bonne renommée et bons catholiques. Je ne sais rien que par ouï-dire sur ses parrains et marraines, parce qu'elle avait quatre ans de plus que moi 2.

Étant petites filles, Jeannette et moi demeurions volontiers ensemble chez son père. C'était un grand plaisir de coucher dans le même lit. Jeannette était bonne, simple et douce. Elle allait volontiers à l'église. Les gens lui disaient qu'elle y allait trop dévotement, et sur ce elle avait honte. J'ai ouï dire au curé de son temps qu'elle se confessait souvent. Elle s'occupait comme les autres petites filles. Au logis, elle faisait le ménage et

1. C'était l'amie préférée de Jeanne; son interrogatoire, traduit ici, est de l'année 1456, au procès de réhabilitation. Pour ces interrogatoires des témoins cités au procès de 1456 je ferai un usage constant de la traduction de M. J. Fabre, voulant, ainsi que lui, «donner à chaque déposition la forme d'un exposé suivi et capable d'intéresser le lecteur». Toutefois j'ai cru pouvoir, en adoptant le même ordre logique d'exposition, employer des tournures et des expressions qui m'ont semblé préférables.
2. Ce point est inexact, puisque Hauviette avait 45 ans en 1456 et que Jeanne, qui en accusait dix-neuf en 1431, aurait eu alors 44,



elle filait. Maintes fois je l'ai vue garder les bêtes de son père.

Il y avait chez nous un arbre que, depuis l'ancien temps, on nommait l'arbre des Dames. Les vieilles gens disaient qu'il était hanté des dames appelées fées. Cependant, je n'ai jamais ouï citer personne qui ait vu les fées.

Les petits du village, filles et garçons, avec du pain et des noix, allaient à l'arbre des Dames et à la Fontaine-des-Groseilliers, le dimanche de Laetare Jerusalem, appelé le dimanche des Fontaines.

J'ai souvenance d'y être allée avec Jeannette, qui était ma camarade, et d'autres filles. Nous mangions, nous courions et nous jouions.

Il arriva que Jeannette s'en fut à Neufchâteau. Je puis jurer qu'elle y fut toujours avec son père et sa mère. Moi aussi j'étais alors à Neufchâteau, et je ne cessai pas de la voir,

Quand Jeannette s'en fut pour toujours de chez nous, elle ne m'avisa point de son départ, je ne le sus qu'après; et je pleurai fort. Elle était si bonne et je l'aimais tant!

Déposition de Mengette, femme Joyart.


Les parents de Jeanne la Pucelle étaient de bons chrétiens, considérés de tout le monde. Elle avait eu plusieurs parrains et marraines. Jean More!, de Greux, était son parrain; Jeannette, femme de Thévenin, de Domrémy, et Edite, veuve de Jean Barrey, demeurant à Frébecourt, près de Domrémy, étaient ses marraines.

Nos deux maisons, celle de mon père et celle du père d'Arc, se touchaient. Je connaissais bien Jeannette.


Souvent nous filions ensemble et faisions de jour ou de nuit le ménage ensemble. Elle avait été nourrie dans la foi chrétienne et formée aux bonnes moeurs. Elle aimait à aller souvent à l'église. Elle donnait l'aumône avec l'argent du père d'Arc. Elle était bonne, simple, pieuse, si pieuse que ses compagnes et moi lui disions qu'elle l'était trop. Elle allait à confesse volontiers. Je l'ai vue à genoux devant M. le curé plusieurs fois.

Elle était courageuse au travail et à maintes besognes. Jeannette filait, faisait le ménage, allait à la moisson et à la saison, quand c'était son tour, gardait quelquefois les bêtes, sa quenouille à la main.

Il y avait chez nous un arbre qu'on appelait aux Loges-les-Dames. C'est un arbre bien ancien. Les vieilles l'ont toujours vu là où il est. Chaque année, au printemps, particulièrement le dimanche de Laetare Jerusalem, dit le dimanche des Fontaines, cet arbre était un lieu de rendez-vous. Filles et garçons y venaient en bande, apportant de petits pains. J'y fus souvent avec Jeannette. Nous mangions sous l'arbre, puis nous allions boire à la Fontaine-des-Groseilliers. Que de fois nous avons mis la nappe sous l'arbre et mangé ensemble! Après cela, on jouait, on dansait. C'est encore de même aujourd'hui; nos enfants font comme nous faisions.

En un temps, tous ceux de Domrémy s'enfuirent à Neufchâteau avec leurs bêtes. Jeannette fit comme tout le monde. Elle fut à Neufchâteau avec son père et sa mère. Tout le temps, elle fut en leur compagnie et repartit avec eux. Je le sais bien, car j'y étais.

Plus tard, elle voulut aller à Vaucouleurs. Elle dit à Durand Laxart, son oncle, qui demeurait à Burey-lePetit, de la demander à son père et à sa mère pour


soigner sa tante. En quittant Domrémy, elle me dit: «Adieu, Mengette, je te recommande à Dieu.»

Déposition de Isabellette, femme Gérardin.


Depuis mon premier âge, j'ai toujours connu le père et la mère de Jeannette. Pour Jeannette, je l'ai connue, quand j'étais petite fille, aussi longtemps qu'elle demeura chez ses parents. C'était une brave fille, bonne, chaste, pieuse, craignant Dieu, donnant l'aumône, faisant le bien. Elle accueillait les pauvres; elle les faisait coucher dans son lit et elle, elle allait au coin du foyer. Elle ne dansait pas. Nous, ses compagnes, nous la grondions de cela. Elle aimait le travail, filait, cultivait la terre avec son père, faisait le ménage et quelquefois gardait les bêtes.

On ne la voyait pas par les chemins; elle était le plus souvent dans l'église à prier. Elle aimait les lieux de dévotion et allait de temps en temps à la chapelle de Notre-Dame de Bermont. Je l'ai vue souvent se confesser; car il faut dire qu'elle était ma commère, ayant tenu au baptême mon fils Nicolas. Souvent je l'accompagnais et je la voyais aller à confesse, dans l'église, aux pieds de messire Guillaume, alors curé.

Quand le château était en prospérité, les seigneurs du village et leurs dames allaient prendre du bon temps aux Loges-les-Dames. Le dimanche de Laetare, que nous appelons aussi le dimanche des Fontaines, et certains autres jours, dans la belle saison, ils amenaient avec eux garçons et filles. Je le sais bien, puisque Pierre de I3our-iemont, seigneur du village, et sa femme, qui était de


France, m'y ont conduite avec les autres petites filles du village à divers jours du printemps, et notamment le dimanche des Fontaines. Ce dimanche-là, toute la jeunesse du village, garçons et filles, va à l'arbre jouer et danser. Jeannette venait danser et jouer avec nous. Comme nous, elle portait son petit pain, et puis s'en venait boire à la Fontaine-des-Groseilliers. Aujourd'hui, on va encore à l'arbre des Dames, et petits pains, jeux et danses, tout est resté de mode.

Lors d'un passage d'hommes d'armes, Jeannette s'enfuit à Neufchâteau avec son père et sa mère, ses frères et ses soeurs, emmenant leurs bêtes menacées. Mais son séjour à Neufchâteau ne dura pas longtemps. Elle revint à Domrémy avec son père. Ce que je vous dis là, je l'ai vu. Elle ne voulait pas rester à Neufchâteau et disait qu'elle aimerait mieux demeurer à Domrémy.

C'est Durand Laxart qui amena Jeannette à Robert de Baudricourt. Voici un propos de Durand que j'ai entendu: «Jeannette, disait-il, m'e pria de dire à son père qu'il fallait qu'elle vînt assister ma femme en couches, afin d'avoir ainsi moyen de se faire conduire par moi à messire Robert.»

C'est tout ce que je sais.

Déposition de Jeannette, veuve de Thierselin, clerc de notaire,

marraine de Jean


[Cette déposition nous fournit le détail suivant:]

Elle (Jeanne) ne jurait jamais, et, pour affirmer, elle se contentait de dire «sans manque». Elle n'était pas danseuse, et maintes fois, tandis que les autres chantaient et dansaient, elle allait prier.


Déposition de Jean Morel, laboureur, parrain de Jeanne.


[Le témoin confirme tous les détails donnés et presque dans les mêmes termes; puis il ajoute:]

Elle (Jeanne) était si excellente fille que, dans le village, tout le monde l'aimait.

Elle connaissait sa croyance et savait son Pater et son Ave aussi bien qu'aucune de ses pareilles. Ses parents n'étaient guère riches, Jeannette vivait honnêtement selon leur condition.

Je suis témoin que Jeannette allait volontiers et souvent à la chapelle dite l'Hermitage de la bienheureuse Marie de Bermont, près de Domrémy. Tandis que ses parents la croyaient dans les champs, à la charrue ou ailleurs, elle était là. Quand elle entendait sonner la messe et qu'elle était aux champs, elle rentrait au village et se rendait à l'église pour ouïr messe. Je l'affirme, car je l'ai vu.


Plus tard, quand Jeannette partit de la maison de son père, elle alla deux ou trois fois à Vaucouleurs parler au bailli. J'ai ouï dire que Monseigneur Charles, alors duc de Lorraine, voulut la voir et lui donna un cheval noir,

Je n'ai plus rien à déclarer, sinon qu'au mois de juillet je fus à Châlons, au moment où il se disait que le roi allait à Reims se faire sacrer. Je trouvai Jeanne à Châlons et elle me fit cadeau d'une veste rouge qu'elle avait portée.


Déposition de Gérardin, d'Épinal, laboureur, compère de Jeanne.


[Le témoin ajoute les détails qui suivent à ceux que nous savons déjà:]

Du départ de Jeannette pour Vaucouleurs, je ne sais rien. Mais je tue rappelle une chose. Au temps où elle avait en tête de quitter le village, Jeannette me dit: «Compère, si vous n'étiez Bourguignon, je vous dirais une chose.» J'ai pensé que c'était une idée de mariage avec un garçon de ses camarades d'enfance.

Plus tard, j'ai revu Jeannette à Châlons. Je m'y trouvai avec quatre habitants de Domrémy. Elle disait qu'elle ne craignait que la trahison.

Déposition de Michel Lebuin, laboureur.


[Aux détails que nous connaissons, le témoin ajoute ceux-ci:]

Étant petit garçon, je suis allé plusieurs fois avec Jeannette en pèlerinage à l'Hermitage de la bienheureuse Marie-de Bermont. Elle y allait presque chaque samedi avec une de ses soeurs; elle apportait des cierges et donnait avec joie pour Dieu ce qu'elle pouvait donner... Elle était toute bonne.

Sur le départ de Jeanne pour Vaucouleurs, je ne sais rien. Mais un jour, la veille de la Saint-Jean-Baptiste, elle me dit: «Il y a, entre Coussey et Vaucouleurs, une pucelle qui, avant qu'il soit un an, fera sacrer le roi de France.» En effet, l'année d'après, le roi fut sacré à Reims.


Déposition de Jean Waterin, laboureur.


J'étais petit garçon quand Jeannette était petite fille et je la voyais souvent. Nous allions ensemble à la charrue du père d'Arc ou dans les prés et les pâturages, avec d'autres petites filles. Souvent, tandis que nous jouions, Jeannette se tirait à part et parlait à Dieu. D'autres et moi nous la plaisantions là-dessus. Notre curé la citait comme se confessant volontiers.

Déposition de Colin, laboureur.


[Le témoin confirme le détail précédent:]

Jeannette, dit-il, apportait des cierge s et était très dévote à Dieu et à la sainte Vierge, si bien que mes camarades et moi, qui alors étions jeunes, nous nous moquions d'elle à cause de sa dévotion. Jeanne était bonne travailleuse. Elle veillait à la nourriture des bestiaux, s'occupait volontiers de ceux de son père, filait, faisait le ménage, allait à la charrue, bêchait et, son tour venu, gardait les bêtes. Je me souviens d'avoir entendu dire par feu notre curé de ce temps-là, messire Guillaume Fronte, que Jeannette était une bonne catholique et ..qu'il n'avait jamais vu ni ne possédait meilleure qu'elle dans la paroisse.

Déposition de Gérard Guillemette, laboureur.


J'ai connu Jeannette depuis le temps où j'ai pu me connaître moi-même. Elle était bonne, honnête, simple, ne fréquentant que les filles et les femmes honnêtes,


allant souvent à l'église et à confesse. A mon avis, il n'y avait pas de meilleure qu'elle dans le village.

Je fus à Neufchâteau avec Jeannette. Je l'y vis toujours avec son père et sa mère, sauf que, pendant trois ou quatre jours, ses parents étant présents, Jeannette aida l'hôtesse chez qui ils étaient logés. Cette hôtesse était une honnête femme de Neufchâteau, nommée la Rousse. Je sais bien que Jeanne et ses parents ne restèrent à Neuf-château que quatre ou cinq jours, en attendant la disparition des gens de guerre. Jeannette rentra à Domrémy avec son père et sa mère.

Lorsque Jeannette s'en fut, je la vis passer devant la maison de mon père, avec un oncle à elle nommé Durand Laxart. Elle dit à mon père: «Adieu, je vais à Vaucouleurs.» Plus tard, je sus qu'elle partait pour France.

C'est tout ce que je sais.

Déposition de Simonin Musnier, laboureur.


J'ai été élevé avec Jeannette... J'ai éprouvé sa bonté, car, étant tout petit, je fus malade et Jeannette m'assista. Quand les cloches sonnaient, Jeannette se signait et s'agenouillait. Elle n'était pas une paresseuse...

Déposition de honorable homme Nicolas Bailly, tabellion et

substitut à Andelot,


Le père de Jeanne, tel que je l'ai vu et connu, était un brave laboureur. Bien des fois j'ai vu Jeanne dans sa jeunesse, avant qu'elle quittât la maison de son père.


Elle fut toujours une brave fille, de moeurs honnêtes, bonne catholique, assidue à l'église, aimant le pèlerinage de la chapelle de Bermont et se confessant presque chaque mois. J'ai ouï attester par plusieurs habitants de Domrémy ce que j'avance et je l'ai constaté dans une enquête à laquelle je procédai jadis avec le prévôt d'Andelot.

En effet, en qualité de tabellion, je fus chargé d'informer de par messire Jean de Torcenay, chevalier, alors bailli de Chaumont, muni des pouvoirs et lettres commissoires de Henri VI, soi-disant roi de France et d'Angleterre. J'étais associé pour ce faire à feu Gérard Petit, prévôt d'Andelot. Nous avions mandat d'enquérir sur le fait de Jeanne la Pucelle, alors détenue en prison, était-il dit, dans la ville de Rouen, Feu Gérard et moi enquêtâmes avec la diligence convenable, et nous nous mîmes à même de pouvoir produire, sur les points marqués, à peu près douze ou quinze témoins pour attester la vérité de notre information. Notre information fut certifiée devant Simon de Thermes ou (Simon de Charmes), écuyer, lieutenant du capitaine de Montelair; car nous étions suspects; on nous en voulait de ne l'avoir pas faite mauvaise. ledit lieutenant manda à messire Jean, bailli de Chaumont, que les faits consignés dans l'information faite par le prévôt et par moi étaient vrais. Ce que voyant, le bailli déclara que nous étions des traîtres armagnacs 1.

1. Le tabellion Bailly dit vrai et sa déposition est confirmée par celles de Michel Lebuin, et de Jean Jacquard, tous deux de Domrémy. D'après Lebuin, les enquêteurs «ne trouvèrent sur le fait de Jeanne rien qui fût à reprendre»: d'après Jacquard, les enquêteurs «ne forçaient personne». Néanmoins il dit que ces commissaires durent se retirer prudemment s par crainte des gens de Vaucouleurs s Bailly n'avait pas conservé son information ni même une copie et Cauchon, après avoir fait lire, dans la séance du 13 janvier 1431, ces mémoires et documents, semble les avoir fait disparaître. Les assesseurs qui, ultérieurement, firent partie du tribunal n'en eurent pas connaissance et ne la réclamèrent pas. C'étaient gens accommodants. Le procès-verbal officiel ne contient rien au sujet de ces informations de 1430.



Déposition de Perrin le drapier, ancien marguillier et sonneur

de cloches.


Jeannette est née à Domrémy de Jacques d'Arc et d'Isabellette. Les deux époux étaient de bons catholiques et d'honnêtes laboureurs, estimés de tout le monde. Jeannette fut baptisée à Saint-Remy, l'église paroissiale du village... Depuis le premier âge, dès qu'elle eut connaissance jusqu'à son départ de la maison de son père, Jeannette fut une fillette bonne, chaste, simple, réservée, ne jurant ni Dieu, ni ses saints, craignant Dieu, fréquentant l'église et allant à confesse. Je sais bien ce que je dis, car en ce temps-là j'étais marguillier de l'église de Domrémy, et souvent je voyais Jeannette y venir à la messe ou aux complies.

Lorsque je manquais de sonner les complies, elle me reprenait et me grondait, disant que ce n'était pas bien fait. Elle m'avait même promis de me donner de la laine de ses moutons 1, à condition que je sonnerais exactement.

1. Lanas (ms. du fonds Notre-Dame) tandis que le ms. Bibi. nationale, n. 5970, porte Lunas; ce seraient alors des gâteaux ronds en forme de lunes.



Il y a chez nous un arbre qu'on appelle communément l'arbre des Dames. J'ai vu une dame châtelaine de notre village, la femme du seigneur Pierre de Bourlemont, ainsi que la mère dudit seigneur, aller quelquefois s'y promener. Elles emmenaient avec elles leurs demoiselles et quelques jeunes filles du village. On emportait du pain, des oeufs, du vin. Au printemps et le dimanche Laetare, que nous appelons dimanche des Fontaines, filles et garçons ont coutume d'aller à l'arbre des Dames et aux Fontaines. Ils emportent des petits pains, et mangent sous l'arbre, et s'amusent, et chantent, et dansent. Jeannette, en ses jeunes ans, allait quelquefois, en compagnie des autres fillettes, à l'arbre des Dames et à la Fontaine-des-Groseilliers, pour courir et danser avec ses compagnes.

Déposition de messire Henri Arnolin, de Gondrecourt-le-Château,

prêtre.


...Pour ma part, j'ai confessé Jeanne trois fois en carême et une autre fois pour une fête. C'était une bonne enfant, craignant Dieu. A l'église, on la voyait tantôt prosternée devant le Crucifix, tantôt les mains jointes, le visage et les yeux levés vers le Christ ou la sainte Vierge.

Déposition de messire Etienne de Sionne, curé de

Roncessey-sous-Neufchâteau.


...Plusieurs fois j'ai ouï dire par Guillaume Fronte, en son vivant curé de Domrémy, que Jeannette était une bonne et simple fille, dévote, bien éduquée, craignant


Dieu, telle enfin qu'il n'y avait pas sa pareille dans le village. Elle lui confessait souvent ses péchés. Le même curé me disait que, si Jeannette eût eu de l'argent, elle le lui aurait donné pour faire dire des messes. Chaque jour, quand il était à l'autel, elle assistait à la messe.

Déposition de messire Dom inique Jacob, curé de Moutier-sur-Saulx.


...Quelquefois, quand les cloches du village sonnaient complies, elle se mettait à genoux et disait pieusement ses oraisons. C'était une fille bonne et sage.

Déposition de Bertrand Lacloppe, couvreur en chaume, âgé de 90 ans.


... Jeannette était une fille bien élevée, simple, douce et pieuse. Elle aimait à se confesser. Elle aimait aussi à fréquenter les églises, particulièrement l'église paroissiale où je la voyais souvent. Elle faisait le ménage et filait, ainsi que font nos fillettes. Tantôt elle allait à la charrue avec son père; tantôt, quand venait le tour de son père, elle gardait les bêtes.

Déposition de Durand ,Laxart, laboureur, oncle de Jeanne.


Jeanne avait bon naturel; elle était pieuse, patiente, charitable. Elle aimait aller à l'église, était exacte à se confesser, faisait l'aumône aux pauvres toutes les fois qu'elle le pouvait. Je parle de ce que j'ai vu soit à Domrémy, soit à Burey-le-Petit, dans ma maison, où Jeanne demeura l'espace de six semaines. Elle était laborieuse,


filait, conduisait la charrue, gardait les bêtes et s'acquittait des autres besognes revenant aux femmes.

J'allai la prendre au logis de son père et l'emmenai chez moi. Elle me disait vouloir aller en France, vers le dauphin, pour le faire couronner. «N'a-t-il pas été dit jadis, me disait-elle, que la France serait désolée par une femme et puis devait être rétablie par une femme?»Elle me demanda d'aller dire au sire Robert de Baudricourt de la faire conduire là où était monseigneur le dauphin. Robert me dit à plusieurs reprises: «Ramenez-la au logis de son père et donnez-lui des soufflets.»

Quand elle vit que Robert ne la voulait pas faire mener vers le dauphin, Jeannette prit des habits à moi et me dit qu'elle voulait partir. Elle partit et je fus avec elle jusqu'à Saint-Nicolas. De là, munie d'un sauf-conduit, elle fut amenée auprès du seigneur Charles, pour lors duc de Lorraine. Le duc la vit, lui parla et lui donna quatre francs qu'elle me montra.

Jeannette étant revenue à Vaucouleurs, les gens de Vaucouleurs lui achetèrent des vêtements d'homme, des chaussures et tout un équipement de guerre. En même temps, Alain de Vaucouleurs et moi, nous lui achetâmes un cheval coûtant douze francs, dont nous prîmes la dette à notre charge, mais que fit ensuite payer le sire de Baudricourt. Cela fait, Jean de Metz, Bertrand de Poulengy, Colet de Vienne et Richard l'archer, avec deux serviteurs de Jean et de Bertrand, conduisirent Jeannette au lieu où était le dauphin. Je ne la revis qu'à Reims, au sacre du roi.

Tout ce que je vous ai dit, je l'ai dit jadis au roi.

C'est là tout ce que je sais.


Déposition de Henri le Roger, charron à Vaucouleurs.


Quand Jeanne vint à Vaucouleurs, elle logea en ma maison. C'était, il me semble, une très bonne fille. Elle travaillait avec ma femme et allait volontiers à l'église. Je l'ai entendue dire des paroles comme celles-ci: «Il faut que j'aille vers le gentil dauphin. C'est la volonté de mon Seigneur, le roi du ciel, que j'aille à lui. C'est de la part du Roi du ciel que je me suis ainsi présentée. Dussé-je aller sur mes genoux, j'irai.»

Quand Jeanne vint en mon logis, elle portait une robe rouge...

Au moment où elle s'apprêtait à partir, on lui disait: «Comment pourrez-vous faire un semblable voyage, il se rencontre gens de guerre en tous lieux?» Elle répondait: «Je ne crains pas les gens de guerre, car j'ai mon chemin tout aplani; et, s'il se rencontre des hommes d'armes, j'ai Dieu, mon Seigneur, qui saura bien me frayer la route pour aller jusqu'à messire le dauphin. Je suis née pour ce faire.»

Déposition de Catherine, femme du précédent.


J'ai vu Jeanne pour la première fois quand elle s'en lut de chez son père et que Durand Laxart l'amena chez nous. Elle voulait aller trouver le dauphin. Je l'ai trouvée simple, bonne, douce, fille de bon naturel et de bonne conduite. Elle allait volontiers à la messe et à confesse, Je puis le dire, car je l'ai menée à l'église et l'ai vue se confesser à messire Jean Fournier, qui était pour lors


curé de Vaucouleurs. Jeanne aimait à filer et filait bien. Je nous revois encore, filant ensemble, chez moi.

Jeanne a demeuré environ trois semaines dans notre logis, en plusieurs fois. Elle fit parler ai sire Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, pour qu'il la menât où était le dauphin. Sire Robert refusa, Un jour, j'aperçus le capitaine Robert qui venait chez nous en compagnie de messire Jean Fournier, notre curé. Ils virent Jeanne à part. Ensuite j'interrogeai Jeanne et elle me raconta ce qui s'était passé. Le curé avait apporté son étole; et, en présence du capitaine, il l'avait adjurée, disant: «Si tu es chose mauvaise, va-t'en; situ es chose bonne, approche.» Pour lors Jeanne se traîna vers le prêtre et resta à ses genoux. Toutefois elle disait que le curé n'avait pas bien fait, vu qu'il la connaissait, l'ayant ouïe en confession.

Comme Robert n'était pas disposé à la conduire au roi, Jeanne me dit: «Bon gré, mal gré, il faut que j'aille trouver le dauphin. Ne savez-vous pas la prophétie qui dit que la France sera perdue par une femme et sera relevée par une pucelle des marches de Lorraine?» Je me rappelai cette prophétie et demeurai stupéfaite. Le désir de Jeannette était bien fort; le temps lui pesait comme à une femme enceinte, parce qu'on ne la menait pas vers le dauphin. Depuis lors, beaucoup d'autres et moi eûmes foi en elle. Aussi arriva-t-il qu'un certain Jacques Alain et Durand Laxart voulurent eux-mêmes la conduire. Ils la conduisirent jusqu'à Saint-Nicolas [-du-Port]; mais ils revinrent à Vaucouleurs. Jeanne leur ayant dit, à ce que j'ai ouï dire, qu'il n'était pas honnête à elle de partir en telles conditions, les gens de Vaucouleurs lui firent faire une tunique, des chausses, des


guêtres, un éperon, une épée et tout un équipement. Un cheval lui fut acheté, et Jean de Metz, Bertrand de Poulengy, Colet de Vienne, avec trois autres, la conduisirent au lieu où était le dauphin. Je les ai vus monter à cheval et s'en aller.

Je ne sais rien de plus.

Déposition de noble homme Jean de Novelompont, dit Jean de

Metz, guide de Jeanne


La première fois que je vis Jeanne à son arrivée à Vaucouleurs, elle portait une robe rouge, pauvre et usée. Je lui dis: «Ma mie, que faites-vous ici? Faut-il que le roi soit chassé du royaume et que nous soyons Anglais?» Jeanne me répondit: «Je suis venue ici, à chambre du roi, parler au sire de Baudricourt, afin qu'il veuille me conduire ou me faire conduire au roi. Mais il n'a cure de moi ni de mon dire. Pourtant, avant que soit mi-carême, je dois être devers le roi, dussé-je user mes pieds jusqu'aux genoux; car nul au monde, ni rois, ni ducs, ni fille du roi d'Écosse, ni autres, ne peuvent recouv,rer le royaume de France. Il n'y a secours que de, moi, quoique j'aimerais mieux filer près de ma pauvre mère, vu que ce n'est point là mon état. Mais il me faut aller et le ferai parce que Dieu veut que je le fasse.» Je lui demandai quel était son seigneur. Elle me répondit:

«C'est Dieu.» Alors je donnai à Jeanne ma foi en lui touchant la main, et je lui promis que, Dieu aidant, je la conduirais devers le roi. En même temps, je lui demandai quand elle voudrait partir. Elle tue dit: «Plutôt maintenant que demain et demain qu'après.» Je lui demandai encore si elle voulait faire chemin avec ses vête-


ments de femme. Elle me dit: «Je prendrais volontiers habit d'homme.» Pour lors, je lui donnai les vêtements et la chaussure d'un de mes hommes. Ensuite, les gens de Vaucouleurs lui firent faire un costume d'homme, des chausses, des guêtres, tout l'équipement, et lui donnèrent un cheval qui coûta seize francs ou à peu près.

Là-dessus, munie d'un sauf-conduit de Charles, duc de Lorraine, Jeanne s'en fut parler à ce seigneur, et je l'accompagnai jusqu'à Toul. Elle rentra peu après à Vaucouleurs; et, le premier dimanche de carême que nous appelons le dimanche des Bures, - il y aura, ce me semble, vingt-sept ans de cela au carême prochain, - Bertrand de Poulengy et moi, avec nos deux servants, Colet, envoyé du roi, et l'archer Richard, nous partîmes pour la mener au roi, alors à Chinon.

Le voyage se fit aux frais de Bertrand et à mes frais. Nous voyageâmes la nuit, de peur des Anglais et des Bourguignons qui étaient maîtres du pays. Nous chevauchâmes sans cesse, l'espace de douze jours. Pendant la route, je disais plusieurs fois à Jeanne: «Ferez-vous bien ce que vous dites?» Elle répondait: «N'ayez crainte. Ce que je fais, je le fais par commandement. Mes frères du paradis me disent ce que j'ai à faire. Voilà quatre ou cinq ans que mes frères du paradis et mon seigneur Dieu m'ont dit d'aller en guerre pour recouvrer le royaume de France.»

En route, Bertrand et moi nous reposions chaque nuit avec elle. Jeanne dormait à côté de moi, serrée dans son habit d'homme. Elle m'inspirait un tel respect que jamais je n'eusse osé la solliciter à mal; et je puis bien vous jurer que jamais je n'eus pour elle de pensée mauvaise ni de mouvement charnel J'avais foi entière dans.


cette pucelle. J'étais enflammé par ses paroles et par l'amour divin qui était en elle.

Pendant la route, Jeanne eût été bien aise d'ouïr toujours la messe. «Si nous pouvions ouïr la messe, disait-elle, nous ferions bien.» Mais, par crainte d'être reconnus, nous ne l'entendîmes que deux fois.

En vérité, je crois que Jeanne ne pouvait qu'être envoyée de Dieu, car elle ne jurait jamais, elle aimait ouïr la messe, elle se signait dévotement, se confessait souventes fois et se montrait zélée à faire l'aumône.

A plusieurs reprises je lui baillai de l'argent qu'elle distribuait pour l'amour de Dieu. Enfin, tout le temps que je fus en sa compagnie, je la trouvai bonne, simple, pieuse, excellente chrétienne, de bonne conduite et craignant Dieu.

Nous arrivâmes ainsi le plus secrètement possible à Chinon. Là, nous présentâmes Jeanne aux conseillers du roi et elle eut à subir force interrogatoires.

Je ne sais rien de plus.

Déposition de noble homme Bertrand de Poulengy, écuyer du roi,

guide de Jeanne.


Je fus à plusieurs reprises chez les parents de Jeanne. C'étaient de bons laboureurs. Quant à Jeanne, j'ai entendu dire que c'était une bonne enfant, de bonne conduite, allant à l'église et, à peu près chaque samedi, à l'Hermitage de la bienheureuse Marie de Bermont, où elle apportait des cierges, filant et quelquefois aussi gardant les bestiaux et les chevaux de son père.

Depuis son départ du logis de son père, je l'ai vue à Vaucouleurs et ailleurs à la guerre. Elle se confessait


souvent, jusqu'à deux fois en une semaine, communiait et était fort pieuse.

Jeanne vint à Vaucouleurs vers la fête de l'Ascension de Notre-Seigneur. Je la vis parler au capitaine Robert de Baudricourt. Elle lui disait: «Je suis venue à vous de la part de mon Seigneur, pour que vous mandiez au dauphin de se bien tenir et de ne pas cesser la guerre contre ses ennemis. Avant la mi-carême le Seigneur lui donnera secours. De fait, le royaume n'appartient pas au dauphin, mais à mon Seigneur. Mais mon Seigneur veut que le dauphin soit fait roi et ait le royaume en commande. Malgré ses ennemis le dauphin sera fait roi, et c'est moi qui le mènerai au sacre.» Robert lui dit «Quel est ton Seigneur?» Et elle dit: «Le roi du Ciel!».

Après cette entrevue, Jeanne s'en retourna au logis de son père, avec un oncle à elle, nommé Durand Laxart, de Burey-le-Petit.

Plus tard, vers le commencement du carême, elle vint à Vaucouleurs chercher compagnie pour aller trouver le dauphin. Ce que voyant, Jean de Metz et moi, nous pro. posâmes de la conduire au roi, pour lors dauphin.

Après un pèlerinage à Saint-Nicolas, Jeanne s'en fut trouver monseigneur le duc de Lorraine qui lur avait envoyé un sauf-conduit et la voulait voir. De là elle revint à Vaucouleurs et y logea chez Henri le Royer.

Cependant Jean de Metz et moi finies tant, avec l'aide d'autres gens de Vaucouleurs, que Jeanne quitta ses vêtements de femme qui étaient de couleur rouge et que nous lui procurâmes une tunique et des vêtements d'homme, des éperons, des guêtres, une épée et tout ce qui s'ensuit, avec un cheval. Puis moi avec Jean de Metz,


son servant Julien et Jean de Honecourt, mon servant, accompagnés de Colet de Vienne et de Richard l'archer, nous nous mîmes en route pour aller trouver le dauphin.

La première journée du voyage, craignant d'être appréhendés par les Bourguignons et par les Anglais, nous marchâmes. toute la nuit. Les nuits suivantes, Jeanne couchait à nos côtés près de Jean de Metz et moi, tout habillée, avec une couverture sur elle et gardant ses chausses liées à son justaucorps. J'étais jeune pour lors et cependant je ne ressentis contre cette fille aucun désir coupable, aucun appétit charnel, tant la bonté que je voyais en elle m'inspirait de révérence. Pendant les onze jours que dura le voyage, nous eûmes bien des angoisses. Mais Jeanne nous disait toujours: «Ne craignez rien. Vous verrez comme à Chinon le gentil dauphin nous fera bon visage.» En l'entendant parler, je me sentais tout enflammé. Elle était pour moi une envoyée de Dieu.

Je n'ai jamais rien vu de mal chez Jeanne. Elle fut toujours bonne comme si elle eût été une sainte. Elle ne jurait jamais. Pendant le voyage, elle nous disait qu'il serait bien d'entendre la messe. Mais tant que nous étions en pays ennemi, nous ne pouvions. Il ne fallait pas être reconnu.

Voilà comment nous finies route ensemble sans grand empêchement et arrivâmes à Chinon où était le roi, pour lors dauphin. Une fois à Chinon, nous présentâmes la Pucelle aux nobles et aux gens du roi.

Sur les faits et gestes de Jeanne, je m'en rapporte à eux.

Je ne sais rien de plus dont je puisse rendre témoignage.


Déposition de noble homme sire Aubert d'Ourches, chevalier.


La Pucelle me parut être imbue des meilleures moeurs. Je voudrais bien avoir une fille aussi bonne... Elle parlait moult bien.


DIXIÈME SÉANCE DU PROCÈS


24 FÉVRIER 1431.

Troisième interrogatoire public.


[Le samedi 24 février, dans la chambre du parement au bout de la grande salle du château de Rouen; 62 assesseurs siègent à côté de l'évêque.]

CAUCHON: Jeanne, nous vous requérons de dire absolument et simplement la vérité, sans réserve ni condition.

[Cet avis a été répété trois fois.]

JEANNE: Donnez-moi congé de parler.

[CAUCHON: Je vous le donne.]

JEANNE: Par ma foi, vous pourriez me demander telles choses que je ne vous dirais pas, comme par exemple de ce qui touche mes révélations. Car vous pourriez m'amener ainsi à révéler telle chose que j'ai juré de tenir secrète. Je vous le dis: prenez bien garde à ce que vous prétendez que vous êtes mon juge, car vous prenez une grande charge en me chargeant moi-même.

[CAUCHON: Jurez de dire la vérité.]


Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Hauviette, femme Gérard ƒŽ1Œ‚.