Le procès de Jeanne d'Arc - Troisième interrogatoire public.


JEANNE: Il me semble que c'est assez d'avoir juré deux fois en jugement.

CAUCHON: Voulez-vous ou non jurer simplement et absolument?

JEANNE: Vous pouvez bien passer par là-dessus. J'ai déjà juré deux fois.

[CAUCHON: Vous serez pour sûr condamnée.]

JEANNE: Toute la clergie de Rouen et de Paris ne saurait me condamner sans droit,

[L'INTERROGATEUR: Dites toute la vérité.]

JEANNE: Sur ma venue, je dirai la vérité, mais non' pas tout; huit jours ne suffiraient pas à tout dire.

CAUCHON: Prenez avis des assistants pour savoir si vous devez jurer, ou non.

JEANNE: Pour le fait de ma venue en France, je dirai volontiers la vérité, mais rien autrement. Ne m'en rebattez pas davantage.

CAUCHON: En refusant de jurer de dire la vérité, vous vous rendez suspecte.

JEANNE: Je répète ce que j'ai déjà dit.

CAUCHON: Derechef je vous requiers de jurer précisément et absolument.

JEANNE: Je dirai volontiers ce que je sais, et encore pas tout. Je viens de la part de Dieu et n'ai rien à faire ici. Je vous prie que vous me renvoyiez à Dieu de qui je viens..

CAUCHON: Jeanne, je vous requiers et avertis de jurer, sous peine d'être chargée de ce qu'on vous impose.

JEANNE: Passez outre.

CAUCHON: Une dernière fois je vous requiers de jurer et vous avertis qu'il vous faut dire la vérité sur tout ce qui touche au procès, car votre refus vous exposerait à un grand péril.


JEANNE: Je suis prête à jurer de dire ce que je sais touchant le procès.

[CAUCHON: Jurez donc alors.]

JEANNE: Je le jure.

CAUCHON: Jeanne, maître Jean Beaupère, docteur insigne, va vous interroger.

L'INTERROGATEUR: Jeanne, quand est-ce la dernière fois que vous avez mangé et bu?

JEANNE: Depuis hier midi je n'ai pas mangé 1.

L'INTERROGATEUR: Depuis quand n'avez-vous entendu la voix qui vient à vous?

JEANNE: Je l'ai entendue hier et aujourd'hui.

L'INTERROGATEUR: A quelle heure, hier, l'avez-vous entendue? ,

JEANNE: Hier, je l'ai entendue trois fois: une fois le matin, une fois à l'heure de vêpres et une troisième fois au coup de l'Ave Maria du soir. Il m'arrive de l'entendre

plus souvent encore.

L'INTERROGATEUR: Que faisiez-vous hier matin quand vint la voix? JEANNE: Je dormais et j'ai été éveillée.

L'INTERROGATEUR: Vous a-t-elle éveillée en vous touchant les bras?

JEANNE: Elle m'a éveillée sans me toucher.

L'INTERROGATEUR: La voix était-elle dans votre chambre?

JEANNE: Non, que je sache, mais elle était dans le château.

L'INTERROGATEUR: L'avez-vous remerciée? Vous êtes-vous agenouillée?

1. On était dans le temps de carême.



JEANNE: Je l'ai remerciée en me soulevant et m'asseyant sur mon lit, les mains jointes. J'avais demandé son assistance.

[L'INTERROGATEUR: Que vous a-t-elle dit? ]

JEANNE: Elle m'a dit de répondre hardiment.

L'INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix quand vous fûtes éveillée?

JEANNE: Je demandai conseil à la voix sur ce que je devais répondre, lui disant de demander conseil là-dessus à Notre-Seigneur. La voix me dit: «Réponds hardiment, Dieu t'aidera».

L'INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle dit quelques paroles avant d'être invoquée?

JEANNE: La voix m'a dit quelques paroles, mais je n'ai pas tout compris. Ce que je sais bien, c'est qu'après mon réveil elle me dit de répondre hardiment. [Et s'adressant à Cauchon:] Vous, évêque, vous dites que vous êtes mon juge; prenez garde à ce que vous faites, car en vérité je suis envoyée de la part de Dieu et vous vous mettez en grand danger.

L'INTERROGATEUR: La voix a-t-elle eu des avis différents?

JEANNE: Onques ne lui ai trouvé deux langages contraires. Cette nuit, je l'ai entendue me dire de répondre hardiment.

L'INTERROGATEUR La voix vous a-t-elle défendu de tout dire

JEANNE: Je ne vous répondrai pas là-dessus. J'ai des révélations touchant le roi que je ne vous dirai point

L'INTERROGATEUR La voix vous a t elle défendu de dire des révélations?

JEANNE Je n'ai pas été conseillée sur cela Donnez-


moi un délai de quinze jours, et je vous répondrai.

[L'INTERROGATEUR: Répondez tout de suite.] .

JEANNE Je vous demande délai Si ma voix me le défend, que voulez-vous que je dise?

L'INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle fait aucune défense?

JEANNE: Croyez bien que ce ne sont pas les hommes. qui me l'ont défendu.

L'INTERROGATEUR: Vous ne voulez donc pas répondre?

JEANNE: Aujourd'hui je ne répondrai pas. Je dois attendre, pour me décider, jusqu'à ce que cela m'aura été révélé.

[L'INTERROGATEUR: La voix vient-elle de Dieu?]

JEANNE: Oui, et par son ordonnance. Je le crois fermement, comme je crois la foi chrétienne et que Dieu nous a rachetés des peines de l'enfer.

L'INTERROGATEUR: La voix que vous dites vous apparaître est-elle un ange, ou Dieu immédiatement, ou bien un saint ou une sainte?

JEANNE: Cette voix vient de la part de Dieu.

[L'INTERROGATEUR: Expliquez-vous.]

JEANNE: Je crois que je ne vous dis pas pleinement ce que je sais. J'ai plus grande crainte de faillir en disant quelque chose qui déplaise à ces voix que je n'ai souci de vous répondre à vous. Quant à votre question sur ma voix, je vous demande délai.

L'INTERROGATEUR: Croyez-vous qu'il déplaise à Dieu qu'on dise la vérité?

JEANNE: Les voix m'ont dit de révéler certaines choses au roi et non pas à vous. Cette nuit même, la voix m'a dit beaucoup de choses pour le bien de mon roi que je voudrais être dès maintenant sûre de lui, dussè-je ne pas


boire de vin jusqu'à Pâques. Lui en serait plus joyeux à son dîner 1.

L'INTERROGATEUR: Ne pouvez-vous tant faire que la voix, vous obéissant, aille porter au roi le message?

JEANNE: Je ne sais si la voix y voudrait consentir, sinon que ce fût le vouloir de Dieu et que Dieu le permît. Et si c'est le plaisir de Dieu, il pourra bien le faire révéler au roi, et j'en serais bien contente.

L'INTERROGATEUR: Pourquoi la voix ne parle-t-elle plus maintenant au roi, ainsi qu'elle faisait quand vous étiez en sa présence?

JEANNE: Je ne sais si c'est la volonté de Dieu. N'était la grâce de Dieu, je ne saurais aucunement agir.

L'INTERROGATEUR: Votre conseil vous a-t-il révélé que vous vous échapperiez de prison?

JEANNE: Je ne vous ai à dire.

L'INTERROGATEUR: Cette nuit, la voix vous a-t-elle donné conseil et avis de ce que vous devez répondre?

JEANNE: Si elle m'a avisée là-dessus, je n'ai pas bien compris.

L'INTERROGATEUR: Les deux derniers jours que vous avez entendu les voix, est-il venu au même lieu quelque lumière?

JEANNE: La clarté vient au nom de la voix.

L'INTERROGATEUR: Avec les voix voyez-vous autre chose?

JEANNE: Je ne vous dirai pas tout. Je n'en ai pas congé. Mon serment ne touche point cela. La voix est bonne et digne. Je ne suis pas tenue de vous répondre là-dessus.

1. Charles VII



Au surplus, donnez-moi par écrit les points sur lesquels je ne réponds pas actuellement.

L'INTERROGATEUR: La voix à laquelle vous demandez conseil a-t-elle un visage et des yeux?

JEANNE: Vous n'aurez pas encore cela de moi. C'est un dicton des petits enfants que l'es gens sont pendus quelquefois pour avoir dit la vérité.

L'INTERROGATEUR: Savez-vous être en la grâce de Dieu?

JEANNE: Si je n'y suis, Dieu m'y mette; et, si j'y suis, Dieu m'y tienne! Je serais la plus dolente du monde si je savais ne pas être en la grâce de Dieu. Mais si j'étais en état de péché, je crois que la voix né viendrait pas à moi. Je voudrais que chacun l'entendît aussi bien que je l'entends.

L'INTERROGATEUR: Quand l'avez-vous d'abord entendue?

JEANNE: Je tiens que j'avais treize ans ou à peu près quand la voix vint à moi pour la première fois.

L'INTERROGATEUR: Dans votre jeunesse, alliez-vous vous ébattre aux champs avec les autres filles?

JEANNE: J'y suis bien allée quelquefois, mais je ne sais à quel âge.

L'INTERROGATEUR: Ceux de Domrémy tenaient-ils pour le parti bourguignon ou pour le parti adverse?

JEANNE: Je n'y ai connu qu'un seul Bourguignon. J'aurais voulu qu'il eût la tête coupée, toutefois si c'eût été le plaisir de Dieu.

L'INTERROGATEUR: Au village de Maxey 1 étaient-ils Bourguignons ou adversaires des Bourguignons?

1. Aujourd'hui Maxey-sur-Meuse, près de Domremy.



JEANNE: Ils étaient Bourguignons.

L'INTERROGATEUR: La voix vous avait-elle dit, quand vous étiez jeune, de haïr les Bourguignons?

JEANNE: Depuis que j'eus compris que les voix étaient pour le roi de France, je n'aimai pas les Bourguignons. Les Bourguignons auront la guerre s'ils ne font ce qu'ils doivent, je le sais par ma voix.

L'INTERROGATEUR: Dans votre jeunesse, avez-vous eu révélation par votre voix que les Anglais viendraient en France?

JEANNE: Les Anglais étaient déjà en France quand les voix commencèrent à me visiter.

L'INTERROGATEUR: Fûtes-vous jamais avec les petits enfants qui se battaient pour le parti dont vous êtes?

JEANNE: Je n'en ai pas souvenance. Mais j'ai bien vu plusieurs de Domrémy qui se battaient avec ceux de Maxey revenir tout blessés et sanglants.

L'INTERROGATEUR: Avez-vous eu, dans votre jeunesse, grande intention de combattre les Bourguignons?

JEANNE: J'avais grande volonté et affection que mon roi recouvrât son royaume.

L'INTERROGATEUR: Auriez-vous bien voulu être homme, quand vous deviez venir en France?

JEANNE: J'ai répondu déjà à cela.

L'INTERROGATEUR: Ne conduisiez-vous pas les animaux aux champs?

JEANNE: J'ai répondu déjà à cela. Depuis que je fus un peu grande et que j'eus l'âge de discrétion, je ne gardais pas les bêtes communément, mais j'aidais bien à les mener au pré, ainsi qu'à un château nommé l'Ile, par crainte des hommes d'armes. Dans mon tout jeune âge, je ne me rappelle pas si je les gardais ou non.


L'INTERROGATEUR: N'avez-vous pas de souvenir au sujet d'un certain arbre qui existait près de votre village?

JEANNE: Près de Domrémy il y avait un arbre appelé l'arbre des Dames; d'autres l'appelaient l'arbre des Fées. Auprès est une fontaine. J'ai ouï dire que les fiévreux boivent de cette fontaine et y vont quérir de l'eau pour se remettre en santé. Je l'ai vu moi-même, mais je ne sais s'ils guérissent ou non.

[L'INTERROGATEUR: Ne savez-vous rien autre? ]

JEANNE: J'ai oui dire que les malades une fois relevés, vont à cet arbre pour se divertir. Il y a un grand arbre appelé le Fou, d'où vient le beau mai. Il appartenait, d'après le commun dire, à monseigneur Pierre de Bourlemont, chevalier. [L'INTERROGATEUR: Alliez-vous souvent à cet arbre,?]

JEANNE: J'allais parfois avec d'autres filles m'ébattre au pied de l'arbre et j'y faisais des guirlandes pour l'image de la Notre-Dame de Domrémy. Souventes fois j'ai ouï dire par des anciens, - non ceux de mon lignage -que les dames fées le hantaient. J'ai même ouï dire à une de mes marraines, nommée Jeanne, femme du maire Rubery, qu'elle-même avait vu là des fées. J'ignore si c'était vrai ou non. Je n'ai, moi, jamais vu les fées près de cet arbre, que je sache. Si j'en ai vu ailleurs, je ne sais s je les ai vues ou non.

[L'INTERROGATEUR: Ne mettiez-vous pas des guirlandes à cet arbre?]

JEANNE: J'ai vu des filles mettre des guirlandes aux branches de cet arbre; moi-même j'y en ai mis avec les autres. Tantôt nous les emportions, tantôt nous les laissions.


[L'INTERROGATEUR: Vous mêliez-vous aux divertissements de vos compagnes?]

JEANNE: A partir du moment où je sus que je devais venir en France, je m'en retirai et donnai aux jeux et promenades le moins que je pus. Je ne sais même si, depuis l'âge de raison, j'ai dansé au pied de l'arbre. J'ai bien puy danser avec les autres enfants, mais j'y ai plus chanté que dansé.

[L'INTERROGATEUR: N'y a-t-il pas aussi un bois près de Domrémy?]

JEANNE: Il y a là un bois qu'on nomme le Bois-Chênu, qu'on voit de la porte demonpère. Il en est à moins d'une demi-lieue.

[L'INTERROGATEUR: Ce bois est-il hanté par les fées?]

JEANNE: Je ne sais et n'ai pas oui dire qu'il fût hanté par les fées. Mais j'ai ouï conter par mon frère qu'on disait dans le pays: «Jeannette a pris son fait près de l'arbre des Fées» Il n'en est rien et je le lui ai dit. [L'INTERROGATEUR: Ne vous a-t-on pas regardée comme l'envoyée du Bois-Chênu?]

JEANNE: Quand je vins vers mon roi, quelques-uns me demandaient si, dans mon pays, il y avait quelque arbre qui s'appelait Bois-Chênu, parce qu'il y avait des prophéties disant que des environs de ce bois devait venir une pucelle qui ferait des merveilles Mais à cela je n'ajoutai pas foi.

L'INTERROGATEUR: Jeanne, voulez-vous avoir un habit de femme?

JEANNE: Donnez-m'en un, je le prendrai et partirai. Autrement, non. Je suis contente de celui-ci, puisqu'il plaît à Dieu que je le porte.

[La séance est levée et renvoyée au mardi de la semaine suivante.]



ONZIÈME SÉANCE DU PROCÈS


27 FÉVRIER 1431.

Quatrième interrogatoire public.


[Le mardi 27 février, dans la chambre du parement au bout de la grand'salle du château de Rouen. 53 assesseurs siègent autour de Cauchon.]

CAUCIION: Jeanne, nous vous requérons de jurer de dire la vérité sur le fait du procès.

JEANNE: Volontiers je jurerai de dire la vérité sur le fait du procès, mais non sur ce que je sais.

CAUCHON: Nous vous requérons de jurer de dire la vérité sur tout ce qui vous sera demandé.

JEANNE: Vous devez vous contenter. J'ai assez juré.

CAUCHON: Maître Jean Beaupère, interrogez-la.

L'INTERROGATEUR: Comment vous êtes-vous portée depuis samedi dernier?

JEANNE: Vous voyez bien comment je me suis portée. Je me suis portée le mieux que j'ai pu.

L'INTERROGATEUR: Jeûnez-vous chaque jour de ce carême?

JEANNE: Est-ce de votre procès?

L'INTERROGATEUR: Oui.

JEANNE: Oui vraiment. Eh bien, j'ai jeûné tous les jours de ce carême.

L'INTERROGATEUR: Depuis samedi avez-vous entendu la voix?

JEANNE: Oui vraiment et plusieurs fois.

L'INTERROGATEUR: Samedi, à l'audience, avez-vous

entendu la voix?


JEANNE: Ceci n'est pas de votre procès.

[L'INTERROGATEUR: C'est du procès. Répondez donc.]

JEANNE: Je l'ai entendue.

L'INTERROGATEUR: Que vous a-t-elle dit, ce samedi?

JEANNE: Je ne l'entendais pas bien, ni rien que je pusse vous redire, jusqu'à mon retour dans ma chambre.

L'INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix à votre retour?

JEANNE: Elle m'a dit de vous répondre hardiment.

[L'INTERROGATEUR: A quel propos vous l'a-t-elle dit?]

JEANNE: Je demande conseil à ma voix sur les questions que vous me faites.

[L'INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle dit de cacher quelque chose?]

JEANNE: Je répondrai volontiers sur ce que Dieu me permettra de révéler. Quant à ce qui touche les révélations concernant le roi de France, je ne les dirai pas sans congé de ma voix.

L'INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle défendu de tout dire?

JEANNE: Je ne l'ai pas bien comprise.

L'INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix en dernier lieu?

JEANNE: Je lui ai demandé conseil relativement à quelques points sur lesquels j'avais été interrogée.

[L'INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle conseillé sur ces points?]

JEANNE: Sur quelques points j'ai eu conseil. Sur d'autres vous aurez beau me demander réponse, je n'en ferai pas sans congé de ma voix. Si je répondais sans congé, peut-être n'aurais-je plus mes voix en garant. Mais quand j'aurai congé de Dieu, je ne craindrai pas de parler, vu que j'aurai bon garant.


L'INTERROGATEUR Est-ce la voix d'un ange qui vous parlait? ou bien celle d'un saint ou d'une sainte, ou la voix de Dieu directement?

JEANNE: C'est la voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Là-dessus, j'ai congé de Notre-Seigneur. Que si vous en doutez, envoyez à Poitiers où j'ai autrefois été interrogée.

L'INTERROGATEUR: Comment savez-vous que ce sont ces deux saintes? Les distinguez-vous bien l'une de l'autre?

JEANNE: Je sais bien que ce sont elles. Je les distingue bien l'une de l'autre.

L'INTERROGATEUR: Comment cela?

JEANNE: Par le salut qu'elles me font.

L'INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps qu'elles communiquent avec vous?

JEANNE: Il y a bien sept ans passés qu'elles m'ont prise sous leur garde.

L'INTERROGATEUR: A quoi les reconnaissez-vous?

JEANNE: Elles se nomment à moi.

L'INTERROGATEUR: Ces saintes sont-elles vêtues de même étoffe?

JEANNE: Je ne vous en dirai pas davantage à cette heure. Je n'ai pas congé de le révéler. Si vous ne me croyez, allez à Poitiers.

L'INTERROGATEUR: Ne nous cachez rien.

JEANNE: Ces choses sont au roi de France, non àvous.

L'INTERROGATEUR: Ces saintes sont-elles du,même âge?

JEANNE: Je n'ai pas congé de vous le dire.

L'INTERROGATEUR: Ces saintes parlent-elles à la fois ou l'une après l'autre?


Jeanne d'Arc

JEANNE: Je n'ai point congé de vous le dire. Cependant j'ai toujours eu conseil de toutes les deux.

L'INTERROGATEUR: Laquelle des deux vous est apparue la première?

JEANNE: Je ne les ai point connues tout de suite. Je l'ai bien su jadis, mais je l'ai oublié. Si j'en ai congé, je vous le dirai volontiers. C'est d'ailleurs marqué au registre de Poitiers.


[L'INTERROGATEUR: N'y a-t-il que les saintes qui vous aient apparu?]

JEANNE: J'ai reçu aussi confort de saint Michel.

L'INTERROGATEUR: Laquelle des apparitions vous est venue la première?

JEANNE: C'est saint Michel.

L'INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps que vous avez eu la voix de saint Miche!?

JEANNE: Je ne vous nomme pas la voix de saint Michel; mais je vous parle du grand confort venu de lui.

L'INTERROGATEUR: Quelle fut la première voix qui vint à vous quand vous aviez treize ans ou environ?

JEANNE: Ce fut saint Michel. Je le vis devant mes yeux et il n'était pas seul, mais bien accompagné d'anges du ciel.


[L'INTERROGATEUR: Est-ce de vous-même que vous vîntes en France?]

JEANNE: Je ne vins en France que par l'ordre de Dieu.

L'INTERROGATEUR: Vîtes-vous saint Michel et les anges en corps et en réalité?

JEANNE: Je les vis des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois. Quand ils s'en furent, je pleurai, et j'aurais bien voulu qu'ils m'emportassent avec eux.


L'INTERROGATEUR: En quelle figure était saint Miche!?

JEANNE: Il n'y a pas de réponse là-dessus; je n'ai pas encore congé de vous le dire.

L'INTERROGATEUR: Que vous dit saint Miche! cette première fois?

JEANNE: Vous n'en aurez pas réponse aujourd'hui.


[L'INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles dit ce que dit saint Michel?]

JEANNE: Elles m'ont dit de répondre hardiment.


[L'INTERROGATEUR: Pourquoi dire à votre roi ce que vous nous cachez?]

JEANNE: J'ai bien dit à mon roi en une fois tout ce qui m'avait été révélé, parce que j'allais à lui. Mais, maintenant, je n'ai pas congé de vous révéler ce que saint Michel m'a dit. Je voudrais bien que vous qui m'interrogez vous eussiez copie du livre qui est à Poitiers, pourvu qu'il plût à Dieu.

L'INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles défendu de dire vos révélations sans congé d'elles?

JEANNE: Je ne vous réponds pas encore là-dessus. Sur ce dont j'aurai congé je répondrai volontiers. Je n'ai pas bien compris si mes voix me l'avaient défendu.

L'INTERROGATEUR: Quel signe donnez-vous que vous teniez cette révélation de la part de Dieu et que ce soient bien sainte Catherine et sainte Marguerite qui conversent avec vous?

JEANNE: Je vous ai assez dit que ce sont elles. Croyez m'en si vous voulez.

L'INTERROGATEUR: Vous est-il défendu de le dire?

JEANNE: Je n'ai pas bien compris si cela m'est permis ou non.

L'INTERROGATEUR: Comment savez-vous faire la dis-


tinction que sur tels points vous devez répondre et sur d'autres non?

JEANNE: Sur quelques points j'ai demandé congé, sur d'autres je l'ai.


[L'INTERROGATEUR: Aviez-vous congé de Dieu pour venir en France?]

JEANNE: J'aurais mieux aimée être tirée à quatre chevaux que de venir en France sans congé de Dieu.

L'INTERROGATEUR: Dieu vous a-t-il prescrit de prendre l'habit d'homme?

JEANNE: Le fait de l'habit est peu de chose et des moindres. Je n'ai pris cet habit par le conseil d'aucun homme qui soit au monde. Je n'ai pris cet habit ni fait quoi que ce soit, que du commandement de Dieu et des anges..

L'INTERROGATEUR: Ce commandement à vous fait de prendre l'habit d'homme est-il licite?

JEANNE: Tout ce que j'ai fait, c'est par commandement de Notre-Seigneur. S'il me commandait d'en prendre un autre, je le prendrais, puisque ce serait par le commandement de Dieu.

L'INTERROGATEUR: N'avez-vous pas pris ce vêtement par l'ordre de Robert de Baudricourt?

JEANNE: Non.

L'INTERROGATEUR: Pensez-vous avoir bien fait de prendre l'habit d'homme?

JEANNE: Tout ce que j'ai fait par le commandement de Notre-Seigneur, je cuide l'avoir bien fait et j'en attends bon garant et bonne aide.

L'INTERROGATEUR: Dans ce cas particulier, en prenant l'habit d'homme, pensez-vous avoir bien fait?

JEANNE: Je n'ai rien fait au monde que par le commandement de Dieu,


L'INTERROGATEUR: Quand vous vîtes la voix qui venait à vous, y avait-il de la lumière?

JEANNE: Il y avait beaucoup de lumière de toutes parts, ainsi qu'il convient. Elle ne vient pas toute à vous,

L'INTERROGATEUR: Y avait-il un ange sur la tête de votre roi, quand vous le vîtes pour la première fois?

JEANNE: Par Notre-Dame, s'il y était, je n'en sais rien, je ne l'ai pas vu.

L'INTERROGATEUR: Y avait-il de la lumière?

JEANNE: Il y avait plus de trois cents hommes d'armes et cinquante flambeaux ou torches, sans compter la lumière spirituelle. Rarement j'ai révélations qu'il n'y ait de la lumière.

L'INTERROGATEUR: Comment votre roi a-t-il cru vos dires?

JEANNE: Il avait bonnes enseignes et par son clergé.

L'INTERROGATEUR: Quelles révélations eut votre roi?

JEANNE: Vous ne les aurez pas de moi encore de cette année. Pendant trois semaines j'ai été interrogée par les clercs à Chinon et à Poitiers. Mon roi eut un signe touchant mes faits avant d'y avoir créance. Les clercs de mon parti furent d'avis que dans mon fait il n'y avait rien que de bon.

L'INTERROGATEUR: Avez-vous été à Sainte-Catherine-de-Fierbois?

JEANNE: Oui, j'y ai ouï trois messes en un jour. Ensuite j'allai à Chinon.


[L'INTERROGATEUR: En quelle manière êtes-vous entrée en communication avec le roi? ]

JEANNE: (Etant encore à Sainte-Catherine-de-Fierbois), j'envoyai lettres au roi pour savoir si j'entrerais


dans la ville où il était. Je lui dis que j'avais fait cent cinquante lieues pour venir vers lui. Il me semble même qu'il y avait dans ces lettres que je saurais le reconnaître entre tous les autres.

[L'INTERROGATEUR: Aviez-vous une épée?]

JEANNE: J'avais une épée que j'avais prise à Vaucouleurs.

[L'INTERROGATEUR: N'aviez-vous pas une autre épée?)]

JEANNE: Etant à Tours ou à Chinon, j'envoyai quérir une épée qui était dans l'église de Sainte-Catherine-de-Fierbois, derrière l'autel. Cette épée fut trouvée sur-le-champ, toute rouillée.

L'INTERROGATEUR: Comment saviez-vous que cette épée était là?

JEANNE: Je le sus par mes voix. Il y avait par-dessus cinq croix. Onques n'avais vu l'homme qui l'alla quérir. J'écrivis aux gens d'Eglise du lieu d'avoir pour agréable que j'eusse cette épée, et les clercs me l'envoyèrent. Elle était sous terre, pas fort avant, et derrière l'autel comme il me semble. Au fait, je ne sais pas au juste si elle était devant l'autel ou derrière. Je cuide avoir écrit qu'elle était derrière. Aussitôt qu'ils eurent trouvé cette arme, les clercs du lieu la frottèrent. La rouille tomba aussitôt sans efforts. Ce fut un marchand d'armes de Tours qui l'alla quérir. Les clercs du lieu me donnèrent un fourreau; ceux de Tours également. Les deux fourreaux qu'ils me firent étaient de velours vermeil et l'autre de drap noir. J'en fis faire encore un autre de cuir bien fort.


[L'INTERROGATEUR: Aviez-vous l'épée de Fierbojs quand vous fûtes prise?]

JEANNE: Quand je fus prise, je ne l'avais point. Je la


portai constamment depuis que je l'eus jusqu'à mon départ de Saint-Denis, après l'assaut de Paris.


[L'INTERROGATEUR:Quelle bénédiction fîtes-vous ou fîtes-vous faire sur cette épée?]

JEANNE: Je ne l'ai point bénite ni fait bénir. Je ne l'eusse su faire.

[L'INTERROGATEUR: Vous teniez beaucoup à cette épée?]

JEANNE: Je l'aimais bien parce qu'elle avait été trouvée dans l'église de Sainte-Catherine que j'aimais bien.

L'INTERROGATEUR: Avez-vous été à Coulonge-la-Vineuse?

JEANNE: Je ne sais.

L'INTERROGATEUR: Avez-vous posé quelquefois votre épée sur l'autel pour la rendre plus fortunée?

JEANNE: Non, que je sache.

L'INTERROGATEUR: N'avez-vous jamais fait des prières pour que votre épée fût plus fortunée?

JEANNE: Il est bon à savoir que j'aurais voulu voir tout mon harnais bien fortuné.

L'INTERROGATEUR: Aviez-vous votre épée quand vous fûtes prise?

JEANNE: Non, j'en avais une qui avait été prise sur un Bourguignon.

L'INTERROGATEUR: Où est restée l'épée de Fierbois? dans quel village?

JEANNE: A Saint-Denis, j'ai offert une épée et des armes, mais ce n'était pas celle-là.

[L'INTERROGATEUR: Aviez-vous cette épée à Lagny?]

JEANNE: Je l'avais à Lagny. De Lagny à Compiègne je portai l'épée du Bourguignon que j'ai dit. C'était une bonne épée de guerre, bonne à donner de bonnes buffes et de bons torchons.



[L'INTERROGATEUR: Où avez-vous laissé l'épée de Fier-bois? ]

JEANNE: Dire où je la laissai ne touche point le procès et ne répondrai pas là-dessus quant à maintenant.

[L'INTERROGATEUR: En quelles mains est votre avoir?]

JEANNE: Mes frères ont mes biens, chevaux, épée et le reste, ainsi le crois, montant à plus de douze mille écus.

L'INTERROGATEUR: Quand vous allâtes à Orléans, aviez-vous un étendard ou bannière, et de quelle couleur?

JEANNE: J'avais une bannière dont le champ était semé de lis. Il y avait la figure du monde et deux anges à ses côtés. Elle était de toile blanche, de celle qu'on appelle boucassin. Il y avait écrit dessus: Jhesus Maria, comme il me semble, et elle était frangée de soie.

L'INTERROGATEUR: Ces noms Jhesus Maria étaient-ils écrits en haut, en bas ou sur le côté?

JEANNE: Sur le côté, comme il me semble.

L'INTERROGATEUR: Qu'aimiez-vous mieux, votre bannière ou votre épée?

JEANNE: J'aimais quarante fois mieux ma bannière que mon épée.

L'INTERROGATEUR: Qui vous fit faire cette peinture sur la bannière?

JEANNE: Je vous ai assez dit que je n'ai rien fait que du commandement de Dieu.

[L'INTERROGATEUR: Qui portait votre bannière?]

JEANNE: C'est moi-même qui portais ladite bannière quand je chargeais les ennemis, pour éviter de tuer personne. Je n'ai jamais tué un homme.

L'INTERROGATEUR: Quelle compagnie vous donna votre roi quand il vous mit en oeuvre?

JEANNE: Il me donna dix ou douze mille hommes.


D'abord j'allai à Orléans, à la bastille de Saint-Loup, et puis à la bastille du Pont.

L'INTERROGATEUR: A quelle bastille fut-ce que vous fîtes retirer vos hommes?

JEANNE: Je ne m'en souviens pas.


[L'INTERROGATEUR: Vous attendiez-vous à la levée du siège d'Orléans?]

JEANNE: J'étais bien sûre de [faire] lever le siège d'Orléans, par une révélation que j'avais eue, et je l'avais dit à mon roi avant d'y venir.

L'INTERROGATEUR Au moment de l'assaut, ne dîtes-vous pas à vos gens que vous recevriez seule les flèches, viretons, pierres lancées par les canons et machines?

JEANNE: Non; en preuve il y eut plus de cent blessés; mais je dis bien à mes gens: N'ayez doute, vous lèverez le siège.

[L'INTERROGATEUR: Fûtes-vous blessée?]

JEANNE: A l'assaut de la bastille du Pont, je fus blessée d'une flèche ou vireton au cou. Mais j'eus grand confort de sainte Catherine et fus guérie en quinze jours. D'ailleurs pour cela je ne laissai de chevaucher et besogner.

L'INTERROGATEUR: Saviez-vous que vous seriez blessée?

JEANNE: Je le savais bien et l'avais dit à mon roi; mais que, nonobstant ce, il me laissât agir. Cela m'avait été révélé par les voix des deux saintes, savoir sainte Catherine et sainte Marguerite.

[L'INTERROGATEUR Dans quel moment fûtes-vous blessée?]

JEANNE: C'est moi qui la première hissai une échelle à la bastille du Pont; c'est en levant l'échelle que je fus touchée au cou par ce vireton.


L'INTERROGATEUR: Pourquoi n'admîtes-vous point à traiter le capitaine de Gergeau?

JEANNE: Les seigneurs de mon parti répondirent aux Anglais qu'ils n'auraient pas le délai de quinze jours demandé par eux, mais qu'ils se retirassent sur l'heure, eux et leurs chevaux.

[L'INTERROGATEUR: Et vous, que dîtes-vous?]

JEANNE: Moi, je dis qu'ils se retireraient de Gergeau avec leurs petites cottes, la vie sauve, s'ils voulaient, sinon ils seraient pris d'assaut.

L'INTERROGATEUR: Communiquâtes-vous alors avec votre voix sur ce délai?

JEANNE: Il ne m'en souvient pas.

[La séance est levée et remise au jeudi suivant.]

Déposition de messire Simon Charles, président de la Chambre

des comptes


Ce fut l'année même où le roi m'envoya en ambassade à Venise que Jeanne le vint trouver. Je revins [de Venise] vers le mois de mars. Alors je sus par Jean de Metz, le guide de Jeanne, que Jeanne était là, attendant d'être reçue par le roi,

Le conseil du roi délibéra sur la question si on l'introduirait ou non auprès du roi. Tout d'abord on l'interrogea elle-même, lui demandant pourquoi et dans quel but elle était venue. Elle dit en commençant qu'elle ne dirait rien que parlant au roi. Alors on lui dit que c'était au nom

1. Il était maître des requêtes en 1429.



même du roi qu'on lui demandait des explications; aussi elle fit connaître le motif de sa mission. Elle dit: e J'ai deux choses en mandat de la part du Roi des cieux: l'une, lever le siège devant Orléans, l'autre, conduire le roi à Reims pour son sacre et son couronnement.»

L'ayant ouïe, plusieurs conseillers déclarèrent que le roi ne devait accorder nulle créance à cette fille. D'autres dirent que puisqu'elle se disait envoyée de Dieu et avait à parler au roi, le roi devait au moins l'entendre. Le roi voulut que les clercs et gens d'Église l'examinassent au préalable. Ce qui fut fait.

Ensuite, et non sans difficulté, on décida que le roi entendrait Jeanne. Mais quand elle entra au château de Chinon pour venir devant le roi, le roi derechef, sur l'avis des principaux de sa Cour, hésita à lui donner audience. Alors on représenta au roi que Robert de Baudricourt lui avait annoncé par lettre l'envoi de cette femme; qu'elle avait été amenée à travers des provinces occupées par l'ennemi, et qu'elle avait, de manière en quelque sorte miraculeuse, traversé à gué de nombreuses rivières pour arriver jusqu'à lui. Cela décida le roi, qui accorda l'audience.

Informé qu'elle venait, le roi se retira en arrière des autres. Cependant Jeanne le reconnut et lui fit révérence. Elle s'entretint longtemps avec lui. Après quoi le roi se montra joyeux. Mais, ne voulant rien faire sans le conseil des clercs, le roi envoya Jeanne à Poitiers pour y être derechef examinée par les clercs de la ville. Quand le roi connut qu'elle l'avait été et qu'on ne trouvait que du bien en elle, il fit confectionner des armes, lui donna des gens et l'établit chef de guerre.

Jeanne était une fille fort simple en toutes ses actions,


excepté au fait de la guerre, où elle était supérieurement experte.

Moi qui parle, j'ai entendu de la bouche du roi beaucoup de bonnes paroles à son adresse. C'était à Saint-Benoît-sur-Loire. Le roi avait pitié de Jeanne et de toute la peine qu'elle se donnait. Il l'engagea à prendre du repos. Alors Jeanne lui dit en pleurant: «N'ayez doute, vous gagnerez tout votre royaume et serez bientôt couronné».

Étant absent pour lors, je ne sais ce qui se passa à Orléans, que par ouï-dire. Je tiens ceci du seigneur de Gaucourt. Jeanne étant à Orléans, les capitaines qui avaient le poids de la guerre avaient décidé qu'il n'était pas opportun qu'on donnât un assaut le [lendemain du] jour où fut prise la bastille des Augustins; et c'est le sire de Gaucourt qui fut commis à la garde des portes pour empêcher qu'on ne sortît. Jeanne ne l'eut pas à gré. A son avis, les hommes d'armes devaient sortir avec les gens de la ville et donner l'assaut à la bastille. Maints bourgeois et maints hommes d'armes pensaient ainsi. Jeanne dit au sire de Gaucourt: «Vous êtes un vilain homme. Veuillez ou non, les gens d'armes viendront et gagneront comme ils ont gagné». En effet, malgré la défense du sire de Gaucourt, les hommes d'armes sortirent et allèrent à l'assaut de la bastille de Saint-Augustin (lisez: des Tourelles), qui fut prise de force. Selon ce qu'il me dit, le sire de Gaucourt fut ce jour-là en très grand péril.

Jeanne escorta le roi à Troyes. Le roi voulait traverser cette ville pour aller à Reims se faire couronner. Étant devant les murailles de Troyes, comme on manquait de vivres, l'armée se mit à désespérer et fut sur le point de retourner. Alors Jeanne dit au roi: «N'ayez doute, demain vous aurez la ville».


Jeanne prit sa bannière, et, suivie de beaucoup de gens de pied, elle donna ordre de faire des fascines pour combler les fossés. Le lendemain Jeanne cria: «A l'assaut!»en faisant le geste de jeter les fascines dans les fossés. A cette vue les gens de Troyes craignant l'assaut envoyèrent au roi pour traiter. L'entente faite, le roi entra dans la ville en grande pompe, Jeanne était à son côté, sa bannière à la main.

Peu après, le roi sortit de Troyes avec son armée et alla à Châlons, puis à Reims. Le roi craignait de rencontrer à Reims de la résistance. Jeanne lui dit: «N'ayez crainte, les bourgeois de Reims vous viendront au-devant»; et elle l'assura qu'avant qu'il fût sous les murs de la ville, les bourgeois se rendraient. Ce qui faisait craindre au roi la résistance des gens de Reims, c'est qu'il manquait d'artillerie et de machines de siège. Ainsi il eût été empêché s'ils se fussent montrés rebelles. Mais Jeanne lui disait: «Avancez hardiment et ne doutez de rien. Si vous voulez énergiquement avancer, vous gagnerez tout votre royaume.»

Je cuide que Jeanne est venue de Dieu: car elle faisait les oeuvres de Dieu, se confessant souvent et communiant à peu près chaque semaine. Elle semonçait fort les hommes d'armes quand elle leur voyait faire chose à non faire. Lorsqu'elle était sous son armure et à cheval, elle ne descendait jamais de sa monture pour des nécessités naturelles, et tous les hommes d'armes admiraient qu'elle pût si longtemps demeurer à cheval.

Je ne sais rien de plus.



Le procès de Jeanne d'Arc - Troisième interrogatoire public.