Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Simon Beaucroix, écuyer.
...Jeanne couchait toujours avec des jeunes filles, et ne voulait pas coucher avec de vieilles femmes.
...Dans l'armée, elle n'aurait jamais admis que des gens de sa compagnie fissent le moindre vol. Si on, lui offrait des vivres qu'elle sût acquis par pillerie, jamais elle n'en voulait user. Un jour, un Ecossais lui donna à entendre qu'elle venait de manger d'un veau volé. Elle en fut fort irritée et voulut frapper cet Ecossais.
Elle ne pouvait tolérer que les femmes de mauvaise vie chevauchassent dans l'armée avec leshommes d'armes. Aucune n'eût osé se trouver en sa présence. Dès qu'elle en rencontrait, elle les forçait à partir, à moins que nos hommes ne voulussent les épouser.
...J'ajouterai que Jeanne voyait avec déplaisir et douleur que certaines bonnes femmes vinssent à elle pour la saluer. Cela lui semblait une espèce d'adoration et elle s'en irritait.
C'est tout ce que je sais.
[Tous les témoins s'accordent en ce qui suit.]
Nous n'avons jamais rien observé nous permettant de conjecturer que Jeanne se fît gloire d'aucune de ses louables actions. Loin de là: elle rapportait tout à Dieu, Autant qu'il lui était possible, elle résistait au peuple pour empêcher qu'on l'honorât ou la glorifiât. Elle préférait être seule et en un lieu solitaire que de se trouver en société avec les hommes, hors quand il en était besoin dans le fait de la guerre. Quant à ses moeurs, voilà ce que nous, avons à dire: nous fréquentions souvent Jeanne à Orléans et jamais nous n'avons vu en elle chose répréhensible. Nous n'y avons trouvé qu'humilité, simplicité, chasteté, dévotion à Dieu et à l'Église. C'était grande consolation d'avoir commerce avec elle.
La nuit je couchais seule avec Jeanne. Je n'ai jamais remarqué en elle rien de mal, ni dans ses paroles ni dans ses actes. Tout y était simplicité, humilité, chasteté. C'était sa coutume de se confesser souvent... D'habitude, avant d'aller à un assaut, Jeanne ne manquait pas de se confesser et de communier après avoir entendu la messe.
1. Elle avait neuf ans, dix ans tout au plus en 1429.
Voici une chose que je me souviens d'avoir vue et ouïe. Un jour, un seigneur marchant en pleine rue se mit à jurer honteusement et à, renier Dieu. Jeanne fut témoin et entendit tout. Cela la troubla fort. S'étant aussitôt avancée vers le seigneur qui jurait, elle le prit par le cou et lui dit: Ah! maître, osez-vous renier notre Sire et notre Maître? En nom Dieu, vous vous en dédirez avant que je parte d'ici. Aussi pressé, le seigneur se repentit et s'amenda. Voilà ce que j'ai vu. Je ne sais rien de plus.
Je n'ai rien à ajouter aux précédents témoins, sauf que j'ai vu Jeanne, pendant la messe, verser des larmes en abondance au moment de l'élévation. Je me souviens parfaitement qu'elle amenait les hommes d'armes à confesser leurs péchés. Moi qui parle, j'ai vu La Hire se confesser à son instigation et par son conseil. Plusieurs autres de sa société firent de même.
Le matin du jour où la bastille du Pont fut prise, Jeanne étant dans la maison de son hôte [Jacques Bouchier], on lui apporta une alose. A cette vue elle dit à son hôte: «Gardez-la jusqu'au soir, parce que je vous amènerai ce soir un godon et repasserai par-dessus le pont.»
...Sur le propos tenu par Jeanne le jour où la bastille du Pont fut prise, je ne puis que confirmer la déposition de ma femme.
...J'ajouterai que j'ai ouï dire par le sire de Gaucourt et par d'autres capitaines que Jeanne était fort docte au métier des armes. Tous s'étonnaient de son habileté.
...Voici une chose dont j'ai été témoin. Jeanne était au siège de Saint-Pierre-le-Moustier. Quand la ville fut prise d'assaut, les hommes d'armes s'apprêtèrent à piller l'église et à enlever les vases et autres objets précieux; mais Jeanne s'y opposa avec une virile énergie, et par ses défenses elle réussit à empêcher qu'on ne touchât à rien.
Je n'ai connu la Pucelle qu'au temps du siège d'Orléans, Elle fut logée en cette ville chez Jean Bouchier. J'ai bien souvenir qu'un jour, après dîner, - ce fut le jour où la bastille de Saint-Loup fut prise, - Jeanne qui dormait s'éveilla tout à coup et dit: «En nom Dieu, nos gens ont bien à besoigner. Apportez mes armes et amenez mon cheval.»
On disait que Jeanne était aussi experte que possible dans l'art d'ordonner une armée en bataille, et que même un capitaine nourri et élevé dans la guerre n'aurait
su montrer tant d'habileté: de quoi les capitaines étaient singulièrement émerveillés... En tout, hors le fait de la guerre, elle était si simple que c'était merveille...
Je l'ai vue (Jeanne) aux assauts faits contre les bastilles de Saint-Loup, des Augustins, de Saint-Jean-le-Blanc et du Pont. Dans tous ces assauts elle fut si valeureuse et se comporta en telle manière qu'il ne serait pas possible à homme quelconque d'avoir meilleure attitude dans le fait de la guerre. Tous les capitaines s'émerveillaient de sa vaillance et de son activité et des peines et labeurs qu'elle supportait.
Dans le fait de la guerre, pour conduire et disposer les troupes, pour ordonner la bataille et animer les soldats, elle se comportait comme si elle eût été le plus habile capitaine du monde, de tout temps formé à la guerre.
Déposition de demoiselle Marguerite la Touroulde, veuve de maître René de Bouligny conseiller du roi.
Quand Jeanne arriva à Chinon, j'étais à Bourges où était la reine.
En ce temps-là il y avait dans ce royaume, et notamment dans les parties restées sous l'obédience du roi, une si grande calamité et pénurie d'argent que c'était pitié. Tous les sujets du roi étaient comme désespérés. Je sais bien ce qui en est, car alors mon mari était receveur général et se trouvait n'avoir que quatre écus
tant de l'argent du roi que de son propre argent. Les Anglais assiégeaient Orléans; il n'y avait aucun moyen d'y porter secours.
En cette calamité Jeanne parut. C'est ma ferme croyance qu'elle vint de la part de Dieu. Il l'envoya pour relever le roi et les Français demeurés fidèles au roi. A cette heure on ne pouvait rien espérer que de Dieu.
Je n'ai vu Jeanne qu'au temps où le roi revint du sacre de Reims. Il se rendit à Bourges où était la reine et moi avec elle. Le roi approchant de la ville, la reine alla au-devant de lui jusqu'à Selles en Berry, et j'y fus avec.
Pendant que la reine allait vers le roi, Jeanne prit les devants et vint saluer la reine. On la conduisit à Bourges et, par ordre de monseigneur d'Albert, elle logea chez moi, malgré le dire de mon mari qui m'avait annoncé qu'elle devait loger chez un certain Jean Duchesne.
Jeanne resta dans notre logis l'espace de trois semaines; elle couchait, mangeait et buvait. Presque toutes les nuits je couchais avec elle. Jamais je ne vis ni ne pus soupçonner en elle rien de mauvais. Elle se gouvernait en honnête femme et bonne catholique. Elle se confessait très souvent, aimait à assister à la messe et maintes fois me demanda de l'accompagner à Matines, où j'allai et la conduisis à plusieurs reprises, sur ses instances.
Il nous arrivait souvent de deviser. Je lui disais: «Si vous ne craignez point d'aller aux assauts, c'est que vous savez bien que vous ne serez pas tuée.» - «Je ne suis pas plus sûre que les autres gens de guerre», me répondait-elle.
Quelquefois Jeanne me racontait comment elle avait été examinée par les clercs et qu'elle leur avait fait cette
réponse: «Il y a ès livres de Notre-Seigueur plus que ès vôtres».
...Jeanne m'a raconté que le duc de Lorraine, qui était malade, voulut la voir. Ils eurent ensemble un entretien, où elle lui dit qu'il se gouvernait mal, et qu'jamais ne guérirait s'il ne s'amendait; et elle l'exhorta à reprendre sa bonne épouse.
Jeanne avait fort en horreur le jeu de dés. Elle était bien simple et ignorante. A mon regard, elle ne savait absolument rien, hors le fait de la guerre.
J'ai souvenance que maintes femmes venaient à mon logis quand Jeanne y demeurait. Elles lui apportaient des patenôtres et autres objets de piété pour les lui faire toucher... Jeanne riait et disait: «Touchez-les vous-mêmes. Ils seront tout aussi bons par votre toucher que par le mien».
Jeanne était très large en aumônès, et bien volontiers elle subvenait aux pauvres et aux indigents: «J'ai été envoyée, disait-elle, pour la consolation des pauvres et des indigents.»
Plusieurs fois j'ai vu Jeanne au bain ou à l'étuve. Autant que j'ai pu en juger, je ne doute pas qu'elle ne fût vierge. D'après ce que je sais d'elle, tout était innocence dans son fait hormis le fait des armes. Elle montait à cheval et maniait la lance comme l'eût fait le meilleur chevalier. L'armée en était dans l'admiration.
Voici un fait que je tiens de Jeannotin Simon, tailleur de robes. Mmc la duchesse de Bedford ayant fait faire
pour Jeanne une tunique de femme, Jeannotin, au moment où il se disposait à l'en revêtir, prit Jeanne doucement par le sein. Cela indigna Jeanne qui envoya à Jeannotin une maîtresse gifle.
J'ai vu Jeanne emprisonnée au château de Beaucroix, je l'ai vue souvent dans la prison et lui ai souvent parlé. Il m'arriva même, jouant avec elle, de chercher à toucher ses tétons en tâchant de lui glisser ma main dans le sein. Mais elle ne le supportait pas et me rudoyait si fort qu'elle pouvait. C'était une fille qui se comportait honnêtement tant en paroles qu'en actes.
Jeanne était une fille simple et ignorante du droit. Il n'était pas dans ses moyens de présenter sa défense dans un pareil procès, bien qu'elle ait fait preuve d'une grande constance dont beaucoup tiraient argument pour conclure qu'elle avait une aide spirituelle.
Je n'ai jamais pensé que l'évêque de Beauvais eût engagé ce procès pour le bien de la foi et par zèle de la justice, avec le désir de ramener Jeanne. Il obéit simplement à la haine qu'inspirait le dévouement de Jeanne au roi de France; loin de céder à la crainte, il ne fit que suivre sa propre volonté. Je l'ai vu rendre compte au régent [le duc de Bedford] et à Warwick de ses négociations pour l'achat de Jeanne; il ne se tenait pas de
joie et leur parlait avec animation, mais je n'ai pu comprendre. Ensuite il alla conférer à l'écart avec Warwick.
La majorité des assesseurs, eux aussi, procédèrent de leur plein gré. Quant aux autres, l'espérance ou la peur les décidèrent... Durant tout le cours du procès, le vice-inquisiteur, Fr. Jean Lemaître, fut en proie à une terreur extrême. Maintes fois je fus témoin de ses angoisses. Je sais également, et si ma mémoire est bonne, c'est précisément deJean Lemaître que je tiens ceci, que des menaces furent adressées par le comte de Warwick à Frère Isambard. On lui dit qu'il serait noyé en Seine s'il ne se taisait; et tout cela parce qu'il dirigeait Jeanne dans ses réponses et les répétait aux greffiers.
En ce qui me concerne, je fus convoqué au procès le premier jour, mais, étant empêché, je n'y vins pas. Le lendemain je vins; mais je ne fus pas admis, je fus même chassé par l'évêque parce que, dans une conversation avec maître Michel Colles, j'avais dit qu'il y avait péril à intenter un tel procès et pour plusieurs motifs. Ce propos fut rapporté à l'évêque qui me fit enfermer dans la prison royale de Rouen, d'où je ne sortis que sur la prière de l'abbé de Fécamp.
Mon avis, dans les quelques conférences où je l'avais donné, fut que ni l'évêque ni ses messieurs ne pouvaient juger Jeanne parce qu'ils étaient du parti contraire et que ce n'était pas là une bonne manière de procéder; que d'ailleurs elle avait déjà été examinée par le clergé de Poitiers et par l'archevêque de Reims, métropolitain de celui de Beauvais. Cet avis mit l'évêque en grande colère. Il me fit citer devant lui. Je lui dis qu'il n'était pas encore juge, ni moi son justiciable, que je relevais de l'official de Rouen, et je m'en fus. Mais comme je me dispo-
sais à comparaître devant l'officiai de Rouen, je fus arrêté, conduit au château, et mis en prison. J'en demandai le motif; on me répondit que l'arrestation avait eu lieu à la requête de l'évêque de Beauvais.
Enfin, sur les instances du seigneur abbé de Fécamp, je fus mis en liberté. D'après ce qu'on m'apprit, quelques messieurs réunis par l'évêque avaient opiné pour un exil en Angleterre ou ailleurs, hors de Rouen. Mes amis et le seigneur abbé de Fécamp m'évitèrent ce désagrément.
Monseigneur de Beauvais et les maîtres qu'on fit venir de Paris, et les Anglais, à l'instance desquels fut mené tout le procès, procédèrent par haine. Ils ne pardonnaient pas à Jeanne d'avoir combattu le parti anglais, et, en la frappant, ils voulaient atteindre le roi de France
On m'obligea à prendre part au procès en qualité de greffier. Je le fis, bien malgré moi. Mais je n'aurais pas osé résister à un ordre des seigneurs du conseil royal. C'étaient les Anglais qui poussaient ce procès qui eut lieu à leurs frais. Ce n'est pas à dire que l'évêque de Beauvais ou le promoteur aient cédé à la pression des Anglais. Ils s'acquittèrent de leur besogne bien volontiers. Je ne dirai pas la même chose des assesseurs et autres conseillers. Ils n'auraient osé résister. Il n'y en avait pas un qui n'eût peur.
Au début du procès, on s'assembla dans une maison près du château. Furent présents: l'évêque de Beauvais, l'abbé de Fécamp, maître Nicolas Loyseleur et plusieurs autres, J'y fus mandé. L'évêque me dit: «Il vous faut
bien servir le roi. Nous voulons faire un beau procès contre cette Jéanne. Avisez un autre greffier qui vous assiste.» Je nommai Boisguillaume, et il me fut adjoint.
En cette qualité de greffier j'ai bien connu Jeanne. Il me semble qu'elle était bien simple., quoique, dans ses réponses, il y eût souvent beaucoup de sagesse mêlée à beaucoup de naïveté, comme on peut le voir au procès. Selon moi, dans une cause si embrouillée, il lui eût été impossible de suffire à sa défense contre de si grands docteurs, si elle n'eût été inspirée.
Avant le procès et au cours du procès, Jeanne requit plusieurs fois qu'on la conduisît dans la prison épiscopale. On ne l'écouta point ni sa demande. Je crois au reste que les Anglais ne l'eussent pas livrée à l'évêque, et que celui-ci n'eût pas consenti à la laisser sortir du château.
Pas un seul parmi les conseillers n'eût osé soulever la question. Tous redoutaient l'évêque et les Anglais.
Maître Jean Lohier, notable, clerc normand, vint à Rouen, après le commencement du procès. L'évêque de Beauvais le manda et le questionna sur la cause introduite. J'ignore la réponse faite à l'évêque. Je n'étais pas présent; mais le lendemain je rencontrai maître Lohier dans l'église Notre-Dame de Rouen et lui demandai: «Avez-vous vu le procès?» «Je l'ai vu, me répondit-il, et ainsi que je l'ai dit à l'évêque, ce procès ne vaut rien. Impossible de le soutenir, pour plusieurs raisons. Il lui manque d'abord la forme de procès ordinaire. Ensuite, il est déduit dans le château, en lieu clos et fermé, où juges et assesseurs, n'étant pas en sûreté, n'ont pas pleine et entière liberté de dire bonnement ce qu'ils veulent; de plus, le procès touche à plusieurs personnes qui ,ne sont pas appelées à comparaître, et on y met en, jeu
notamment l'honneur du roi de France, dont Jeanne suivit le parti sans citer le roi ni son mandataire. Enfin, ni libellés, ni articles n'ont été donnés; et cette femme, qui est simple fille, est dépourvue de conseil pour répondre à tant de maîtres, à de si graves, spécialement touchant les rèvélations. Pour tous ces motifs le procès me paraît invalide.» Il ajouta: «Vous voyez leur manière de procéder, Ils la prendront, sils peuvent, par ses paroles. Ils tireront avantage des assertions où elle dit: «Je sais de certain», au sujet de ses apparitions. Mais si elle disait: «Il me semble», au lieu de «Je sais de certain», m'est avis qu'il n'est homme qui la pût condamner. Je vois bien qu'ils agissent plus par haine que par tout autre sentiment. Ils veulent faire mourir Jeanne. Aussi ne me tiendrai-je plus ici. Je n'y veux plus être. Ce que j'y dis déplaît.»
De fait, Mgr de Beauvais était fort indigné contre ledit Lohier. Néanmoins il l'avait pressé de demeurer pour voir la conduite du procès, à quoi Lohier répondit qu'il ne demeurerait point. Incontinent, l'évêque de Beauais, alors logé en la maison où demeure à présent maître Jean Bidault, près Saint-Nicolas-le-Paincteur, était venu trouver les maîtres Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Thomas de Courcelles et Loyseleur. «Voilà Lohier qui veut nous bailler belles interlocutoires en notre procès, leur dit-il. Il veut tout calomnier et dit que le procès ne vaut rien. Qui l'en voudrait croire, il faudrait tout recommencer, et tout ce que nous avons ne vaudrait rien. On voit bien de quel pied il cloche. Par saint Jean, nous n'en ferons rien, mais continuerons notre procès comme il est commencé.»
Cela se passait l'après-dîner d'un samedi, en carême. Le lendemain matin, maître Lohier avait avec moi l'entretien que j'ai dit. Le jour même il quitta Rouen. Il n'aurait plus osé y demeurer et, de fait, il a toujours depuis demeuré en cour de Rome, où il est mort doyen de rote.
Maître Jean de Lafontaine fut le lieutenant de Mgr de Beauvais pour les interrogatoires, depuis le début du procès jusqu'à la semaine de Pâques.
Pendant la Semaine Sainte, maître Jean de Lafontaine vint trouver Jeanne, accompagné de deux religieux de l'ordre des Frères Prêcheurs, frère Isambard de la Pierre et frère Martin Ladvenu, afin de la décider à se soumettre à l'Église, l'avertissant qu'elle devait croire et tenir que l'Église c'était le Pape et ceux qui président en l'Église militante; qu'elle ne devait point hésiter à se soumettre au Souverain Pontife et au concile, vu que plusieurs notables clercs tant de son parti, que d'ailleurs s'y trouvaient; et que, si elle ne le faisait, elle se mettrait en grand danger. Le lendemain de cet avertissement, Jeanne dit qu'elle consentait à se soumettre au Pape et au concile. A cette nouvelle, l'évêque demanda qui donc, la veille, était allé parler à Jeanne, et il fit venir le garde anglais pour s'enquérir là-dessus. Le garde lui répondit que c'étaient Jean de Lafontaine, frère Isambard et frère Martin. Tous étaient absents. Alors l'évêque se courrouça très fort contre Jean Lemaître, vicaire de l'inquisiteur. Bientôt Jean de Lafontaine connut tout et qu'il était en danger à cause de cette affaire. Il quitta Rouen, et depuis jamais n'y retourna. Quant aux deux religieux, Jean Lemaître pria pour eux et dit que si on leur faisait déplaisir, il ne paraîtrait plus de sa personne au procès;
sans cette menace ils eussent été en péril de mort. Dès lors, défense fut faite par le comte de Warwick que personne n'eût accès auprès de la Pucelle, sinon Mgr de Beauvais ou.qui viendrait de par lui.
Je citerai encore maître Nicolas de Houppeville, qui fut en grand péril pour avoir refusé d'obtempérer à la sommation à lui adressée d'assister au procès.
Je citerai encore Jean de Châtillon. Au cours des interrogatoires faits à Jeanne, il se montra favorable en disant qu'elle ne pouvait être tenue de répondre à des questions.. trop difficiles. Ses critiques, dont les termes m'échappent, déplurent aux autres assesseurs. Ils lui dirent à plusieurs reprises de les laisser en repos. «il faut pourtant, répliqua Jean de Châtillon, que j'acquitte ma conscience.» Là-dessus grand mouvement. L'évêque dit à Jean de Châtillon: «Taisez-vous et laissez parler les juges». Alors on lui signifia de ne plus paraître aux séances sans y être mandé.
Dans une séance, frère Isambard, parlant à Jeanne, tâchait de la diriger et l'avisait sur le fait de la soumission à l'Église: «Taisez-vous, au nom du diable», lui cria l'évêque.
Parmi les docteurs les plus animés contre Jeanne, j'ai remarqué Beaupère, Midi et Jacques de Touraine. J'ajouterai Nicolas Loyseleur. Celui-ci se fit passer auprès de Jeanne pour un compatriote. Mon confrère Boisguillaume et moi fûmes avisés de la chose par le seigneur de Warwick, l'évêque de Beauvais et maître Loyseleur. Ils nous dirent: «Cette Jeanne dit merveille sur ses apparitions. Pour savoir plus à plein la vérité de sa bouche, nous nous sommes avisés de ceci: maître Nicolas feindra qu'il est Lorrain et du parti de Jeanne; il entrera dans la
prison en habit laïque; les gardes se retireront et on les laissera seuls». Il y avait dans une chambre voisine une ouverture faite exprès où on nous fit placer, mon confrère et moi, pour entendre ce que disait Jeanne. Nous étions là, entendant tout sans être vus. Loyseleur causa avec Jeanne; on lui donnait des nouvelles imaginaires. Il lui parla du roi et ensuite des révélations. Jeanne répondait à ses questioùs, persuadée qu'il était de son pays et de son parti. L'évêque et le comte nous dirent de noter les réponses de Jeanne. Je dis que cela ne se pouvait faire qu'il n'était pas honnête d'engager ainsi le procès; qu'au surplus, si Jeanne disait de telles choses dans les formes régulières, nous l'enregisterions volontiers.
Jeanne avait grande confiance en Loyseleur, si bien que plusieurs fois il l'ouït en confession. En général, elle n'était jamais menée devant ses juges que ledit Loyseleur n'eût au préalable conféré avec elle. Il n'était point permis à Jeanne de se confesser à personne qu'à lui.
Un jour, l'évêque, le comte de Warwick et moi, nous entrâmes dans la prison de Jeanne et la trouvâmes les deux pieds dans les fers. J'ai ouï dire alors que, la nuit, elle était attachée par une chaîne de fer qui ceignait le corps; mais je ne l'ai pas vue attachée ainsi.
Jeanne vivait-elle catholiquement? Il ne m'appartient pas d'en juger. Ce que je sais, c'est qu'au cours du procès, je l'ai entendue demander à entendre la messe, notamment les dimanches des Rameaux et de Pâques. Elle voulait, le jour de Pâques, se confesser et recevoir le corps de Notre-Seigneur. Elle se plaignait beaucoup dui refus qu'on lui opposait.
Jeanne était dans une forte prison, les fers aux pieds. On lui avait laissé un lit. Elle avait des gardes anglais dont elle se plaignait maintes fois, disant qu'ils l'opprimaient fort et la maltraitaient.
J'ai entendu dire par des gens dont j'oublie les noms que Jeanne avait été visitée par des matrones et qu'elle avait été trouvée vierge. On ajoutait que c'était madame la duchesse de Bedford qui avait fait faire cette visite et que le duc de Bedford était en un lieu secret d'où il voyait toutes choses.
Maître Nicolas Loyseleur, se feignant cordonnier, originaire des marches de Lorraine et prisonnier du parti de Charles VII, entrait de temps en temps dans la prison de Jeanne et l'exhortait à ne pas donner créance à tous ces gens d'Eglise, «car, lui disait-il, si tu leur donnes créance, tu seras détruite». Je crois que l'évêque de Beauvais était bien au courant; sans cela Loyseleur n'eût pas osé agir comme il fit. Beaucoup d'assesseurs au procès en murmuraient. Ce Loyseleur finit par mourir de mort subite dans une église.
C'est de façon semblable que maître Jean d'Estivets introduisit dans la prison de Jeanne. Il se fit passer pour prisonnier comme avait fait Loyseleur. Ce d'Estivet eut la fonction de promoteur, et, dans l'affaire, il se montra très passionné en faveur des Anglais, auxquels il voulait plaire. C'était d'ailleurs un mauvais homme, cherchant sans cesse querelle aux greffiers et à ceux qui procédaient suivant les cas de justice. Il lancait force injures à Jeanne, lappelant paillarde, ordure. Je crois bien que
c'est Dieu qui le punit en la mort, car la sienne fut misérable. On le trouva dans un bourbier aux portes de Rouen.
En outre, j'ai ouï dire comme un fait constant que tous ceux qui condamnèrent Jeanne périrent misérablement. Ainsi maître Nicolas Midi fut frappé de la lèpre peu de jours après 1, et l'évêque Cauchon mourut subitement tandis qu'on le rasait.
Voici un bruit alors très répandu à Rouen. Certains personnyges, racontait-on, se faisant passer pour des hommes d'armes du parti de Charles VII, furent introduits en secret auprès de Jeanne. Ils l'exhortaient à ne. pas se soumettre à l'Église, si elle ne voulait courir le risque d'un jugement défavorable. On expliquait par leurs conseils ses variations sur le fait de la soumission à l'Église. Dans le nombre de ces émissaires qui, pour séduire Jeanne,feignaient d'appartenir au roi de France, j'entendis mentionner maître Nicolas Loyseleur.
D'après la rumeur commune, maîtreNicolasLoyseleur, s'introduisant auprès de Jeanne, s'était fait passer pour prisonnier et, par cette feinte, l'avait induite à dire et àfaire des choses à elle nuisibles, touchant la soumission à l'Église.
1. Il n'en mourut pas. En 1438, il avait fait «peau neuve et haranguait» Charles VII à l'entrée du roi dans sa bonne ville de Paris.
J'ai moi-même souvenir qu'une fois Loyseleur fut commis au soin de conseiller Jeanne. Or cet homme lui était contraire, voulant plutôt la décevoir que la conduire.
Jeanne était dans la prison du château sous la garde de John Gris (Grey). Elle avait les jambes tenues par des chaînes de fer. Etait-ce ainsi toujours? Je ne sais.
Je n'ai pas entendu jamais mettre en délibération que Jeanne dût être visitée pour voir si, oui ou non, elle était vierge. Ce qui me paraît vraisemblable, ce que je crois d'après le dire du seigneur évêque de Beauvais et d'après ce que j'en ai ouï moi-même, c'est que Jeanne a été trouvée vièrge. Si elle n'eût pas été trouvée telle, m'est avis que le procès n'eût point passé la chose sous silence.
Au sujet de maître Nicolas Loyseleur, voici ce que je sais. A plusieurs reprises je lui ai ouï conter qu'il avait eu maints entretiens avec Jeanne sous un habit d'emprunt. Qu'y disait-on? Je ne sais. En tous cas, je me souviens avoir conseillé à Loyseleur de se faire connaître à Jeanne et de lui signifier qu'il était prêtre. Je crois aussi que ledit Loyseleur a ouï Jeanne en confession.
1. 22 août 1429.
JEUDI 1er MARS
[Séance au même lieu; 58 assesseurs.]
CAUCHON: Jeanne, nous vous sommons et requérons de prêter simplement et absolument le serment de dire la vérité sur ce qui vous sera demandé.
JEANNE: Je suis prête à jurer de dire la vérité sur tout ce que je saurai touchant le procès, ainsi que je vous l'ai dit antérieurement.
CAUCHON: Pourquoi cette réserve?
JEANNE: Je sais beaucoup de choses qui ne touchent pas le procès, et il n'est pas besoin de vous les dire.
CAUCHON: Allez-y sans cette réserve.
JEANNE: De tout ce que je saurai véritablement et qui touche le procès, je vous en parlerai volontiers.
CAUCHON: Nous vous sommons et requérons de jurer sans cette réserve.
JEANNE: Ce que je saurai de vrai touchant le procès, je le dirai.
CAUCHON: Jurez sur l'Évangile.
JEANNE: De ce que je sais touchant ce procès, je vous dirai volontiers la vérité. Je vous en dirai autant que si j'étais devant le pape de Rome.
L'INTERROGATEUR Que dites-vous touchant notre seigneur le pape et qui croyez-vous vrai pape?
JEANNE: Il y en a donc deux?
L'INTERROGATEUR: N'avez-vous pas reçu une lettre du comte d'Armagnac vous demandant auquel des trois papes il devait obéir?
JEANNE: Le comte m'a bien écrit à ce sujet. Je répondis entre autres choses que quand je serais à Paris ou ailleurs, en repos, je lui écrirais. Je me disposais à monter à cheval quand je répondis ainsi au comte.
L'INTERROGATEUR: Voici une copie de la lettre du comte et de votre réponse. On va vous lire l'une et l'autre.
«Ma très chère dame, je me recommande humblement à vous, et vous supplie, pour Dieu, que, attendu la division qui est actuellement en la sainte Église universelle, sur le fait des papes, - car il y a trois prétendants à la royauté, dont l'un demeure à Rome et se fait appeler Martin, auquel tous les rois chrétiens obéissent; un second demeure à Paniscole, au royaume de Valence, et se fait appeler pape Clément VII; le troisième, on ne sait où il demeure, sinon seulement le cardinal de SaintEtienne, et peu de gens avec lui, et il se fait appeler Benoît XIV.
«Le premier qui se dit pape Martin fut élu à Constance du consentement de toutes les nations de chrétiens; celui qui se fait appeler Clément fut élu à Paniscole, après la mort du pape Benoît XIII, par trois de ses cardinaux; le troisième, qui se nomme Benoît XIV, fut élu secrètement par le cardinal de Saint-Etienne lui-même. Veuillez supplier Notre-Seigneur Jésus-Christ que, par sa miséricorde infinie, il nous veuille par vous déclarer qui est des trois susdits le vrai pape, et auquel il lui plaira
qu'on obéisse dorénavant, ou à celui qui se dit Martin, ou à celui qui se dit Clément, ou à celui qui se dit Benoît.
Nous serons tout prêts à faire le vouloir et plaisir de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Tout vôtre.
LE COMTE D'ARMAGNAC.
JHESUS + MARIA.
«Comte d'Armagnac, mon très cher et bon ami, moi, Jeanne la Pucelle, vous fais savoir que votre message est venu par devers moi, lequel m'a dit que vous l'aviez envoyé par deçà pour savoir de moi auquel des trois papes par vous mentionnés vous deviez croire. Je ne puis bonnement vous informer au vrai pour le présent, jusques à ce que je sois à Paris ou ailleurs de loisir. Je suis pour le présent trop empêchée au fait de la guerre. Mais, quand vous saurez que je serai à Paris, envoyez un messager par devers moi, et je vous ferai savoir tout au vrai auquel vous devez croire, et ce que j'en aurai sû par le conseil de mon droiturier et souverain Seigneur, le Roi de tout le monde, et ce que vous en aurez à faire, à tout mon pouvoir.
A Dieu je vous recommande, Dieu soit garde de vous
Ecrit à Compiègne, le XXIIe jour d'août.
1. Jeanne aurait dû dire: dictée. En eflet, la concordance de toutes les copies de cette lettre ne permet pas d'imputer une falsification aux Anglais; c'est le secrétaire de Jeanne qui aura transcrit inexactement ces paroles.
L'INTERROGATEUR: La copie qui vient de vous être lue renferme-t-elle bien votre réponse?
JEANNE: Je puis avoir fait cette réponse en partie, non le tout.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous déclaré savoir par le conseil du Roi des rois ce que ledit comte devait faire en cette circonstance?
JEANNE: Je n'en sais rien.
L'INTERROGATEUR: Faisiez-vous doute à qui le comte devait obéir.?
JEANNE: Je ne savais que mander au comte, parce qu'il me requérait de lui faire savoir à qui Dieu voulait qu'il obéît. Quant à moi, je tiens et crois que nous devons obéir à notre seigneur le pape qui est à Rome.
L'INTERROGATEUR: Est-ce là tout?
JEANNE: Je dis au messager du comte autre chose pie ce qui est contenu dans cette copie des lettres. Si cet envoyé ne se fût pas retiré aussitôt, il eût été jeté à l'eau, non toutefois par ma volonté.
L'INTERROGATEUR: Sur le fond de la question, que répondîtes-vous?
JEANNE: Sur la question d'obédience, je répondis que je ne savais pas; mais je lui mandai plusieurs choses qui ne furent point couchées par écrit. Pour moi, je crois au seigneur pape qui est à Rome.
L'INTERROGATEUR: Pourquoi avez-vous écrit que vous donneriez à un autre moment réponse sur la question, puisque vous croyez au pape qui est à Rome?
JEANNE: Ma réponse avait trait à autre chose qu'au fait des trois souverains pontifes.
L'INTERROGATEUR: N'avez-vous pas dit que sur le fait des trois pontifes vous auriez conseil?
JEANNE: En nom Dieu,je n'ai jamais écrit Dirait écrire sur le fait des trois pontifes.
L'INTERROGATEUR: A viez-vous l 'habitude de mettre en tête de vos lettres Jhesus Maria avec une croix?
JEANNE: Sur aucunes oui, sur d'autres non. Quelque- fois je mettais une croix afin que mon correspondant ne fît pas ce que je lui mandais .
L'INTERROGATEUR: Voici maintenant en quels termes vous avez écrit au roi notre sire, au duc de Bedfort et à d'autres. [Nous avons donné cette lettre dans la déposition de l'écuyer Gobert Thibault.]
L'INTERROGATEUR: Reconnaissez-vous cette lettre? JEANNE: Oui, sauf trois mots. Au lieu de: rendez à la Pucelle, il faut: rendez au roi. Les mots chef de guerre et corps pour corps n'étaient pas dans la lettre que j'ai envoyée.
L'INTERROGATEUR: N'est-ce pas un seigneur qui vous a dicté cette lettre? JEANNE: Aucun seigneur ne m'a jamais dicté cette lettre, c'est moi qui l'ai dictée. Avant de l'expédier, il est vrai que je l'ai montrée à quelques-uns de mon parti.
L'INTERROGATEUR: Croyez-vous qu'il arrivera mal aux Anglais?
JEANNE: Avant qu'il soit sept ans les Anglais perdront un plus grand gage qu'ils ne firent devant Orléans. Ils perdront toute la France, et cela par la victoire que Dieu enverra aux Français.
L'INTERROGATEUR: Comment savez-vous cela?
JEANNE: Je le sais bien par révélation; cela arrivera avant sept ans, et je serais bien navrée que cela fût seulement différé.
L'INTERROGATEUR: Vous ne pouvez savoir telle chose.
JEANNE: Je le sais par révélation, aussi sûrement que je vous sais là devant moi.
L'INTERROGATEUR: Quand cela arrivera-t-il?
JEANNE: Je ne sais le jour, ni l'heure.
L'INTERROGATEUR: En quelle année?
JEANNE: Vous ne l'aurez pas encore; mais je voudrais bien que ce fût avant la Saint-Jean.
L'INTERROGATEUR .: N'avez-vous pas dit que cela arrivera avant la Saint-Martin d'hiver?
JEANNE: J'ai dit qu'avant la Saint-Martin d'hiver, on verrait bien des choses; et il pourra bien se faire qu'on voie les Anglais jetés bas.
L'INTERROGATEUR: Qu'avez-vous dit à John Grey, votre gardien, au sujet de la Saint-Martin?
JEANNE: Je vous l'ai dit.
L'INTERROGATEUR: Par qui savez-vous que cela doit arriver?
JEANNE: Par sainte Catherine et sainte Marguerite.
L'INTERROGATEUR: Saint Gabriel était-il avec saint Michel quand il vint à vous?
JEANNE: Je ne m'en souviens pas.
L'INTERROGATEUR: Depuis mardi dernier avez-vous conversé avec sainte Catherine et sainte Marguerite?
JEANNE: Oui, mais je ne sais l'heure.
L'INTERROGATEUR: Quel jour?
JEANNE: Hier et aujourd'hui. Il n'y a pas de jours que je ne les entende.
L'INTERROGATEUR: Les voyez-vous toujours dans le même vêtement? .
JEANNE: Je les vois toujours sous la même forme; et leurs têtes sont couronnées très. richement.
L'INTERROGATEUR: Et le reste de leurs costumes? Leurs robes?
JEANNE: Je ne sais.
L'INTERROGATEUR: Comment savez-vous que ce qui vous apparaît est homme ou femme?
JEANNE: Je le sais bien. Je le reconnais à leurs voix et parce qu'elles me l'ont révélé. Je ne sais rien que par révélation et par ordre de Dieu .
L'INTERROGATEUR: Quelle figure voyez-vous?
JEANNE: La face.
L'INTERROGATEUR: Ont-elles d'es cheveux?
JEANNE: Il est bon à savoir qu'elles en ont.
L'INTERROGATEUR: y a-t-il quelque chose entre leurs couronnes et leurs cheveux?
JEANNE: Non.
L'INTERROGATEUR: Leurs cheveux sont-ils longs et pendants?
JEANNE: Je ne sais.
L'INTERROGATEUR: Ont-elles des bras?
JEANNE: Je ne sais si elles ont des bras ou d'autres membres.
L'INTERROGATEUR: Vous parlent-elles?
JEANNE: Leur langage est bon et beau, je les entends très bien.
L'INTERROGATEUR: Comment parlent-elles, puisqu'elles n'ont pas de membres?
JEANNE: Je m'en réfère à Dieu.
L'INTERROGATEUR: Quelle espèce de voix est-ce?
JEANNE: Cette voix est belle et douce et humble, et elle parle français.
L'INTERROGATEUR: Sainte Marguerite ne parle donc pas anglais?
JEANNE: Comment parlerait-elle anglais, puisqu'elle n'est pas du parti des Anglais?
L'INTERROGATEUR: Sur leurs têtes couronnées, comme vous l'avez dit, vos saintes ont-elles des anneaux aux oreilles?
JEANNE: Je n'en sais rien.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous vous-même des anneaux?
JEANNE (s'adressant à Cauchon): Vous, évêque, vous en avez un à moi, rendez-le-moi.
L'INTERROGATEUR: N'aviez-vous pas d'autre anneau?
JEANNE: Les Bourguignons m'en ont un autre. Mais vous, évêque, montrez-moi le susdit anneau, si vous l'avez.
L'INTERROGATEUR: Qui vous a donné l'anneau qu'ont les Bourguignons?
JEANNE: Mon père ou ma mère.
L'INTERROGATEUR: y avait-il aucun nom dessus?
JEANNE: Il me semble que les noms Jhesus Maria y étaient écrits. Je ne sais qui les y fit écrire. Je crois qu'il n'y avait pas de pierre à cet anneau qui me fut donné à Domrémy.
L'INTERROGATEUR: Qui vous a donné l'autre anneau?
JEANNE: Mon frère me l'a donné. Vous l'avez présentement. Je vous charge, évêque, de le donner à l'Eglise.
L'INTERROGATEUR: avez-vous gueri personne avec l'un ou l'autre de vos anneaux?
JEANNE: jamais je n'ai fait de guérison avec aucun de mes anneaux,
L'INTERROGATEUR: Sainte Catherine et sainte Marguerite n'ont-elles pas conversé avec vous sous l'arbre dont il a déjà été fait mention?
JEANNE: Je n'en sais rien.
L'INTERROGATEUR: Les saintes vous ont-elles parlé à la fontaine proche de l'arbre?
JEANNE: Oui, je les y ai entendues; mais je ne me rappelle pas ce qu'elles m'y ont dit.
L'INTERROGATEUR: Que vous ont-elles promis là ou ailleurs?
JEANNE: Elles ne m'ont fait aucune promesse, sinon par congé de Dieu.
L'INTERROGATEUR: Quelles promesses vous ont-elles faites?
JEANNE: Cela n'est pas de votre procès. Sur certaines choses elles m'ont dit que mon roi sera rétabli dans son royaume, le veuillent ou non ses adversaires.
L'INTERROGATEUR: Ne vous ont-elles pas fait d'autre promesse?
JEANNE: Elles m'ont promis de me conduire en paradis et je les en ai bien requises.
L'INTERROGATEUR: N'avez-vous pas d'autre promesse?
JEANNE: Oui, une autre, mais je nela dirai pas. Elle ne touche pas au procès.
L'INTERROGATEUR: Dites-la tout de même.
JEANNE: Avant trois moisie vous la dirai.
L'INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles dit qu'avant trois mois vous seriez délivrée de prison?
JEANNE: Cela n'est pas de votre procès. Cependant j'ignore quand je serai délivrée. Ceux qui voudraient m'ôter de ce monde pourraient bien s'en aller devant moi.
L'INTERROGATEUR: Votre conseil vous a-t-il dit que vous seriez délivrée de la prison où vous êtes présentement?
JEANNE: Reparlez-m'en dans trois mois, je vous répondrai.
L'INTERROGATEUR: Répondez donc tout de suite.
JEANNE: Demandez aux assistants, sous leur serment, si cela touche au procès. Là-dessus délibération des assistants qui opinent tous que cela est du procès.
L'INTERROGATEUR: Vous voyez bien. Répondez donc.
JEANNE: Je vous ai toujours bien dit que vous ne sauriez pas tout. Il faudra qu'un jour je sois délivrée. Je veux avoir congé pour le dire. Ainsi je demande un délai.
L'INTERROGATEUR: Les voix vous ont-elles défendu de dire la vérité?
JEANNE: Voulez-vous que je vous dise ce qui regarde le roi de France? Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas du procès.
L'INTERROGATEUR: Mais que savez-vous donc touchant votre roi?
JEANNE: Je sais que mon roi gagnera le royaume de France; je le sais aussi bien que je sais que vous êtes là devant moi, siégeant au tribunal. Je serais morte, n'était cette révélation qui me conforte chaque jour.
L'INTERROGATEUR: Qu'avez-vous fait de votre mandragore?
JEANNE: Je n'ai, ni jamais n'eus de mandragore. J'ai bien oui dire qu'il y en a une près de mon village, mais je n'en ai jamais vu.
L'INTERROGATEUR: Vous savez pourtant ce que c'est?
JEANNE: J'ai oui dire que c'est une chose dangereuse et mauvaise à garder. Je ne sais d'ailleurs à quoi cela sert,
L'INTERROGATEUR: En quel lieu est cette mandragore dont vous avez ouï parler?
JEANNE: J'ai oui dire qu'elle est en terre près de l'arbre des fées. J'ignore le lieu; j'ai aussi oui dire qu'au-dessus de cette mandragore il y a un coudrier.
L'INTERROGATEUR: A quoi avez-vous ouï dire que sert cette mandragore?
JEANNE: A faire venir de l'argent, mais je n'en crois mie.
L'INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles parlé de cela?.
JEANNE: Mes voix ne m'ont jamais rien dit là-dessus.
L'INTERROGATEUR: Quelle figure avait saint Michel quand il vous apparut?
JEANNE: Je ne lui ai pas vu de couronne et de ses vêtements je ne sais rien.
L'INTERROGATEUR: Etait-il nu?
JEANNE: Pensez-vous que Dieu n'ait pas de quoi le vêtir?
L'INTERROGATEUR: Avait-il des cheveux?
JEANNE: Pourquoi les lui aurait-on coupés?
L'INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps que vous n'avez vu saint Michel?
JEANNE: Je n'ai pas vu saint Michel depuis que j'ai quitté le château à Crotoy 1. Je ne le vois pas bien souvent.
L'INTERROGATEUR: A-t-il des cheveux?
JEANNE: Je ne sais.
L'INTERROGATEUR: Avait-il une balance?
JEANNE: Je ne sais.
L'INTERROGATEUR: Quel effet produit sa vue?
JEANNE: J'ai grande joie en le voyant; et il me semble que quand je le vois, je ne suis pas en péché mortel.
L'INTERROGATEUR: Vos voix vous ordonnent-elles de vous confesser?
1. Vers le 21 novembre 1430
JEANNE: Sainte Catherine et sainte Marguerite me font volontiers me confesser quelquefois, tantôt l'une, tantôt l'autre.
L'INTERROGATEUR: Vous croyez-vous exempte de péché mortel?
JEANNE: Si je suis en péché mortel, c'est sans le savoir.
L'INTERROGATEUR: Quand vous vous confessez, ne croyez-vous pas être en péché mortel?
JEANNE: Je ne sais si j'ai été en péché mortel. Je ne crois pas en avoir fait les oeuvres. A Dieu ne plaise que j'aie jamais été en tel état! A Dieu ne plaise que je fasse ou aie fait oeuvre qui charge mon âme!
L'INTERROGATEUR: Quel signe avez-vous donné à votre roi que vous veniez de la part de Dieu?
JEANNE: Je vous ai toujours répondu que vous ne me l'arracherez pas de la bouche. Allez-le-lui demander.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous juré de ne pas révéler ce qui vous sera demandé touchant le procès?
JEANNE: Je vous ai déjà dit que je ne vous dirai pas ce qui touchera le fait de notre roi. De tout ce qui le regarde je n'en parlerai pas.
L'INTERROGATEUR: Ne savez-vous pas le signe que vous avez donné à votre roi?
JEANNE: Vous ne le saurez pas de moi,
L'ENTERROGATEUR: Mais cela touche le procès.
JEANNE: De ce que j'ai promis de bien tenir secret je ne dirai rien.
L'INTERROGATEUR: Pourquoi?
JEANNE: Je l'ai promis en tel lieu que je ne pourrais vous le dire sans parjure.
L'INTERROGATEUR: A qui l'avez-vous promis?
JEANNE: A sainte Catherine, à sainte Marguerite, et cela a été montré au roi.
L'INTERROGATEUR: Les saintes vous avaient-elles requise de faire cette promesse?
JEANNE: J'ai fait ma promesse aux deux saintes sans qu'elles m'en requièrent, uniquement de moi-même. Trop de gens me l'auraient demandé si je n'eusse fait cette promesse à mes saintes.
L'INTERROGATEUR: Quand vous montrâtes le signe au roi, y avait-il quelqu'un avec lui?
JEANNE: Je ne pense pas qu'il y eut personne autre, bien qu'il se trouvât beaucoup de monde assez près.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous vu une couronne sur la tête du roi quand vous lui avez montré ce signe?
JEANNE: Je ne puis le dire sans parjure.
L'INTERROGATEUR: Votre roi avait-il une couronne à Reims?
JEANNE: Mon roi, je pense, a pris avec joie la couronne qu'il a trouvée à Reims. Mais une bien riche couronne lui fut apportée par la suite. Il ne l'a point attendue, pour hâter son fait, à la requête de ceux de la ville de Reims, afin d'éviter la charge des hommes de guerre. S'il eût attendu, il aurait eu une couronne mille fois plus riche.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous vu cette couronne plus riche?
JEANNE: Je ne puis vous le dire sans parjure, et si je ne l'ai pas vue, je sais par ouï dire à quel point elle est riche et somptueuse.
La séance est levée.
Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Simon Beaucroix, écuyer.