Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Jean Massieu, huissier.
Je ne sais, sur la famille de Jeanne et sur sa vie avant le procès, que ce qu'elle en a dit elle-même pendant les interrogations; je ne l'ai connue qu'à Rouen. J'y fus l'exécuteur des mandements contre elle en qualité de clerc de maître Jean Benedicite [d'Estivet], promoteur en la cause. Mon office m'amenait là, toutes les fois que Jeanne était appelée. C'est moi qui l'amenais et la ramenais, Aussi avais-je grande familiarité avec elle; je la trouvais simple. bonne et pieuse. D'après ce que je vis, il me semble qu'on ne procéda, ni selon la raison, ni selon l'honneur de Dieu et de la foi catholique, mais par haine, par fureur, avec le dessein formé de ruiner l'honneur du roi de France que Jeanne servait, et par vengeance afin de la faire mourir. Les gens du procès obéissaient aux Anglais plus qu'à la justice.
Voici les faits qui me meuvent à parler ainsi
Une fois, comme je la conduisais devant les juges, Jeanne me demanda s'il n'y avait pas sur le chemin quelque église ou chapelle dans laquelle fût le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ; je lui dis que oui et lui montrai une chapelle située au-dessous du château, près de notre chemin. Alors Jeanne me supplia de la faire passer devant pour qu'elle pût saluer Dieu et prier. J'y consentis volontiers, et la laissai s'agenouiller en face de la chapelle. Inclinée jusqu'à terre, Jeanne pria dévotement. Le fait fut rapporté à l'évêque de Beauvais, il en fut mécontent et m'ordonna de ne plus tolérer à l'avenir de telles oraisons. De son côté, le promoteur Benedicite
[d'Estivet] me réprimanda: «Truand, disait-il, qui te fait si hardi de laisser approcher de l'église, sans licence, cette putain excommuniée? Je te ferai mettre en telle tour que tu ne verras ni lune, ni soleil d'ici un mois, si tu le fais plus». Mais je n'obéis point. Le promoteur s'en aperçut; il se mit alors plusieurs fois devant la porte de la chapelle, entre Jeanne et moi, pour l'empêcher de faire ses oraisons devant ladite chapelle.
Autre fait. Au quatrième ou au cinquième jour du procès, comme je ramenais Jeanne du tribunal à la prison, un prêtre appelé maître Eustache Turquetil, chantre de la chapelle du roi d'Angleterre, m'interrogea en ces termes: «Que te semble de ses réponses? Sera-t-elle brûlée? Qu'adviendra-t-il?» Je lui répondis: «Jusqu'ici je n'ai vu que bien et honneur en elle et n'y connais rien de répréhensible; mais je ne sais ce qu'il en sera à la fin. Dieu le sache». Cette réponse fut redite aux gens du roi par ce prêtre. On ajouta que je n'étais pas bon pour le roi, et à cette occasion je fus mandé l'après-dîner par l'évêque qui me gourmanda durement, m'avisant de bien prendre garde ou qu'on me ferait boire plus que de raison. Je crois bien que si le greffier Manchon ne m'eût excusé, je n'en fusse jamais échappé, on m'eût jeté à la Seine.
Voici encore un incident qui survint au lendemain de l'abjuration de Jeanne, le jour de la sainte Trinité. Jeanne venait de reprendre l'habit d'homme. On dit la chose à maître André Marguerie qui survint au château. Marguerie répondit qu'il ne suffisait pas de voir Jeanne vêtue de l'habit d'homme, qu'il fallait savoir les motifs qu'elle avait eus de reprendre cet habit. A l'instant un Anglais leva sa hache contre lui en l'appelant: «Traître
Armagnac .» Marguerie s'enfuit. De ce fait il demeura tout bouleversé et malade.
Je sais ceci de certain touchant la captivité de Jeanne. Elle était enfermée au château de Rouen, dans une chambre du premier étage. On y montait par huit marches, et il s'y trouvait un lit. Jeanne était attachée par une chaîne à une grosse pièce de bois longue de cinq ou six pieds, pourvue d'une serrure servant à fermer la chaîne.
Cinq Anglais, de la condition la plus vile, de ceux qu'on nomme «houspilleurs», la gardaient. Ces hommes souhaitaient fort la mort de Jeanne. Très souvent ils la tournaient en dérision et elle le leur reprochait.
Un serrurier, Etienne Castille, m'a dit avoir construit pour Jeanne une cage de fer où elle était maintenue droite, attachée par le cou, les pieds et les mains, et que ce traitement dura depuis l'arrivée de Jeanne à Rouen jusqu'au commencement du procès. Mais je ne l'ai jamais vue en cet état. Quand je l'emmenais et la ramenais, elle avait toujours les pieds hors des fers.
Je sais que, sur l'ordre de la duchesse de Bedford, on visita Jeanne pour savoir si elle était vierge ou non. La visite fut faite par Anne Bavon et par une autre femme dont le nom ne me revient pas. La visite terminée, ces femmes déclarèrent que Jeanne était vierge et sans tache. Je tiens le fait d'Anne Bayou elle-même. En conséquence, la duchesse de Bedford fit défendre aux gardes et à tous autres de violenter Jeanne.
Je fus mandé à Rouen pour assister au procès. La première fois je refusai; la seconde fois je m'y rendis. Je craignais les Anglais et de provoquer leur colère par ma résistance.
Etant venu, je vis Jeanne et j'assistai à son interrogatoire.
La séance avait lieu dans une petite salle derrière la grande salle du château. Jeanne tenait de fort beaux propos, répondait avec prudence, sagesse et grande hardiesse,
Ce jour-là maître Beaupère conduisait l'interrogation et questionnait Jeanne. Toutefois maître Jacques de Toussaint, de l'ordre des frères Mineurs, questionnait lui aussi. Je me souviens parfaitement que maître Jacques demanda à Jeanne si elle avait jamais été en lieu où les Anglais eussent été tués. A quoi elle répondit: «En nom Dieu, si ay. Comme vous parlez doulcement! Que ne partaient-ils de France et n'allaient-ils en leur pays!» Il y avait là un grand seigneur d'Angleterre dont le nom ne me revient pas. En entendant ces paroles, il dit
«Vraiment, c'est une bonne femme, si elle était Anglaise». En parlant ainsi, il s'adressait à maître Guillaume Dujardin et moi.
De fait, il n'est docteur si grand et si subtil qui interrogé par de grands docteurs et dans une si grande assemblée comme l'était Jeanne, n'eût été bien démonté et perplexe.
Jeanne avait sa prison dans une tour du château. Je l'y ai vue, les deux jambes chargées de fer. Là où elle était, il y avait un lit.
Jeanne étant tombée malade au cours du procès, les juges me mandèrent de la visiter. Le nommé d'Estivet me conduisit auprès d'elle. En présence dudit d'Estivet, de maître Guillaume Delachambre, docteur en médecine, et de plusieurs autres, je tâtai le pouls à Jeanne pour savoir la cause de son mal et lui demandai: «Qu'avez-vous? D'où vient votre peine?» Elle me dit que l'évêque de Beauvais lui avait envoyé une carpe, qu'elle en avait mangé et qu'elle se doutait que c'était la cause de son mal. Là-dessus d'Estivet l'invectiva. Il se plaignit de ses mauvais propos et l'appela «paillarde» en cette façon: «C'est toi, paillarde, qui as mangé des harengs et autres choses à toi contraires». - «Je ne l'ai pas fait», répondit-elle; il y eut entre elle et lui un assez long échange de paroles injurieuses. Pourtant j'en voulais savoir plus sur la maladie de Jeanne. J'appris de quel. ques personnes présentes qu'elle avait été affligée d'un fort vomissement.
J'ai entendu dire par maître Pierre Maurice, qu'il avait ouï dire Jeanne en confession et n'en avait jamais ouï de semblable de la bouche d'un docteur ou d'un homme quelconque; qu'aussi croyait-il que Jeanne marchait justement et saintement à Dieu.
On m'a raconté que Jeanne avait été visitée pour savoir si, oui ou non, elle était vierge et qu'elle fût trouvée telle. Personnellement, je sais, autant que mon art
me l'a permis de connaître, qu'elle, était vierge et sans tache, car, dans une maladie, je l'ai vue quasi nue 1, ayant dû la visiter.
Lors d'une indisposition de Jeanne, le cardinal d'Angleterre et le comte de Warwick m'envoyèrent chercher. Je parus devant eux en compagnie de maître Guillaume Desjardins et d'autres médecins. Le comte de Warwick nous dit: «Jeanne, à ce qu'on m'a rapporté, a été malade. Je vous ai mandés pour que vous pensiez à la guérir. Le roi ne veut pas pour rien au monde qu'elle meure de mort naturelle; car il l'a chère, t'ayant chèrement achetée. Il entend qu'elle ne trépasse que par justice et soit brûlée. Faites donc le nécessaire. Visitez-la avec grand soin et tâchez qu'elle soit rétablie».
Nous allâmes donc la visiter, Guillaume Desjardins, d'autres et moi; nous la palpâmes au côté droit et lui trouvâmes de la fièvre, d'où nous conclûmes à une saignée. Nous en prévînmes le comte de Warwick qui nous dit: «Une saignée? Prenez garde. Elle est rusée et pourrait bien se tuer». Néanmoins la saignée eut lieu et la guérison suivit immédiatement.
Jeanne rétablie, survint maître d'Estivet qui se livra envers elle à des paroles offensantes. Il l'appela putain, paillarde. Ces injures mirent Jeanne fort en colère, si bien que la fièvre reprit et qu'elle eut une rechute.
Quels sentiments animaient les juges de Jeanne? Je m'en remets à leurs consciences. Je sais que je n'ai pas donné d'avis au procès, quoique j'aie donné une signa-
1. Quia vidit eam quasi nudam, cum visitaret eam de quadam infirmitate et palpavit in renibus et erat multum stricta, quantum percipere potuit ex aspectu.
ture, mais par contrainte et forcé par l'évêque de Beau-vais. Je m'étais plusieurs fois excusé auprès de lui, en disant que ce n'était pas mon métier d'opérer en pareille matière. Finalement on m'avertit que sije ne souscrivais pas comme les autres à l'avis qui prévalait, il m'adviendrait mal d'être venu à Rouen. Voici dans quelles conditions je signai. J'ajoute que maître Jean Lohier et maître Nicolas de Houppeville furent menacés. Il fut même question de les noyer pour les punir de ne pas participer au procès.
J'ai vu une fois le seigneur abbé de Fécamp interroger Jeanne. Maître Jean .Beaupère l'interrogeait en même temps, et les questions se croisaient nombreuses et variées. Jeanne n'aurait pas voulu répondre à tant de questions à la fois. Elle dit donc aux deux docteurs qu'ils lui faisaient grande injustice de tant la tourmenter et qu'elle avait déjà répondu à toutes ces questions. Je me souviens également qu'une fois, interrogée par l'évêque et quelques meneurs, elle dit que ni eux ni l'évêque étaient ses juges. Je lui ai entendu dire encore qu'elle se soumettait au jugement du pape.
SAMEDI 3 MARS.
[Même lieu;42 assesseurs.]
CAUCHON: Jeanne, nous vous requérons de jurer simplement et absolument.de dire la vérité sur ce qui vous sera demandé.
JEANNE: Ainsi que j'ai déjà fait, je suis prête à jurer. (Jeanne jure en touchant des mains les Évangiles.)
L'INTERROGATEUR: Vous avez dit que saint Miche! avait des ailes, et vous n'avez pas parlé du corps et des membres de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Qu'en voulez-vous dire?
JEANNE: Je vous ai dit ce que je sais et que je ne vous répondrai pas autre chose.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous bien vu saint Miche! et les saintes?
JEANNE: J'ai vu saint Michel et les saintes, aussi bien que je sais bien qu'ils sont saint et saintes dans le paradis.
L'INTERROGATEUR: En avez-vous vu autre chose que la face?
JEANNE: Je vous ai dit tout ce que j'en sais.
L'INTERROGATEUR: Dites-le encore.
JEANNE: Pour ce qui est de vous dire tout ce que je sais, j'aimerais mieux que vous me fissiez couper le cou.
[L'INTERROGATEUR: Vous devez tout dire.]
JEANNE: Je dirai volontiers tout ce que je saurai touchant le procès.
L'INTERROGATEUR: Croyez-vous que saint Michel et saint Gabriel aient des têtes naturelles?
JEANNE: Je les ai vus de mes yeux, et je crois que ce sont eux aussi fermement que Dieu est.
L'INTERROGATEUR: Croyez-vous que Dieu les ait formés sur la manière et en la forme que vous les voyez?
JEANNE: Oui.
L'INTERROGATEUR: Croyez-vous que Dieu les ait créés dès le principe, en cette manière et en cette forme?
JEANNE: Vous n'aurez autre chose présentement, sauf ce que j'ai répondu.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous par révélation que vous échapperez?
JEANNE: Cela ne touche pas votre procès. Voulez-vous que je parle contre moi?
L'INTERROGATEUR: Vos voix ne vous ont-elles rien dit?
JEANNE: Cela n'est pas de votre procès. Je m'en réfère au procès. Si tout vous regardait, je vous dirais tout.
L'INTERROGATEUR: Quand comptez-vous pouvoir vous échapper?
JEANNE: Pour moi, je ne sais ni le jour ni l'heure où je m'échapperai.
L'INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles dit quelque chose en général?
JEANNE: Oui vraiment. Elles m'ont dit que je serais délivrée; mais je ne sais ni le jour ni l'heure, et que je fasse gai visage.
L'INTERROGATEUR: Quand vous arrivâtes pour la première fois près de votre roi, ne s'enquit-il pas si c'était par révélation que vous aviez changé d'habit?
JEANNE: Je vous en ai répondu, je ne me rappelle pas si cela me fut demandé. C'est écrit à Poitiers.
L'INTERROGATEUR: Ne vous souvenez-vous pas si les maîtres qui vous ont examinée en une autre obédience, quelques-uns pendant un mois, d'autres pendant trois semaines, vous ont interrogée sur ce changement d'habit?
JEANNE: Je ne m'en souviens pas. Au fait, ils m'ont demandé où j'avais pris cet habit d'homme, et je leur ai dit que je l'avais pris à Vaucouleurs.
L'INTERROGATEUR: Les maîtres susdits vous demandèrent-ils si c'était par ordre de vos voix que vous aviez pris cet habit?
JEANNE: Je ne m'en souviens pas.
L'INTERROGATEUR: Votre roi, votre reine et d'autres de votre parti vous ont-ils quelquefois requise de déposer l'habit d'homme?
JEANNE: Cela n'est pas de votre procès.
L'INTERROGATEUR: Au château de Beaurevoir, n'en fûtes-vous pas requise?
JEANNE: Oui vraiment, et je répondis que je ne déposerai cet habit sans le congé de Dieu. [Je vous dirai aussi que la demoiselle de Luxembourg requit le seigneur de Luxembourg que je ne fusse pas livrée aux Anglais 1.],
(Ici commence le fragment de la minute française du greffier Guillaume Manchon, conservée dans le manuscrit d'Urfé 2.)
Item dit que la demoiselle de Luxembourg et la dame de Beaurevoir lui offrirent habit de femme ou drap à le faire, et lui requirent qu'elle le portast, et elle répondit qu'elle n'en avait pas le congié de Notre-Seigneur, et qu'il n'était pas encore temps.
Interrogée si messire Jehan de Pressy et antres, à Arras, lui offrirent point d'habit de femme, respond:
1. Détail omis dans le procès-verbal de la séance et consigné dans l'extrait du procès-verbal.
2. Nous faisons nôtre ce qu'a écrit Vallet de Viriville: «Quant à la minute française, au gré de plus d'un lecteur, il semblera, nous le craignons, qu'il eût été nécessaire de la traduire en langage moderne. Mais céder à cette tentation eût été un acte de vandalisme et de profanation. Nous nous sommes borné à expliquer, chemin faisant, les locutions ou les mots qui pouvaient présenter, de nos jours, au lecteur un embarras sensible.»
«Luy et plusieurs autres le m'ont plusieurs fois demandé».
Interrogée s'elle croist qu'elle eust délinqué ou fait péchié mortel de prendre habit de femme, respond qu'elle fait mieux d'obéir et servir son souverain Seigneur, c'est assavoir Dieu. Item dit que s'elle le deust avoir fait, elle l'eust plustost fait à la requeste de ces deux dames que d'autres dames qui soient en France, excepté sa royne. Interrogée se, quant Dieu lui révéla qu'elle muast son habit, se ce fust parla voix de saint Michel, de saincte Katherine ou saincte Marguerite, R. «Vous n'en aurés maintenant autre chose».
Interrogée, quant son roy la mit premier en oeuvre et elle fist faire son étendard, se les gens-d'armes et autres gens de guerre firent faire pennonceaulx à la manière du sien, R. «Il est bon à savoir que les seigneurs maintenoient leurs armes. Item, R. Les aucuns compaignons de guerre en firent faire à leur plaisir, et les autres non».
Interrogée de quelle matière ils les firent faire, se ce fut de toille ou de drap, R. «C'était de blans satins, et y en avait en aucuns les fleurs de liz», et n'avait que deux ou trois lances de sa compaignie; mais les compaignons de guerre aucunes fois en faisoient faire à la semblance des siens, et ne faisoient cela fors pour cognoistre les siens des autres.
Interrogée s'ils étaient guères souvent renouvellés, R. «Je ne sçay; quant les lances étaient rompues, l'on en faisait de nouveaulx».
Interrogée s'elle dit point que les pennonceaulx qui étaient en semblance des siens étaient eureux, R. Elle
leur disoit bien à la fois: «Entrez hardiment parmy les Anglois», et elle même y entroit. Interrogée s'elle leur dit qu'ils les portassent hardiment et qu'ils auraient bon eur (bonne fortune), R. Elle leur dit bien ce qui était venu et qui adviendrait encore.
Interrogée s'elle gectoit ou faisait point mectre eaue benoitte sur les pennonceaulx, quant on les prenoit de nouvel, R. «Je n'en sçay rien».; et s'il a esté fait, ce n'a pas esté de son commandement.
Interrogée s'elle y en a point vu gecter, R. «Cela n'est point de votre procès»; et s'elle y en a vu gecter, elle n'est pas advisée maintenant de en respondre.
Interrogée si les compaignons de guerre faisoient point mectre en leurs pennonceaulx: Jhesus Maria, R. «Par ma foi, je n'en sçay rien».
Interrogée s'elle a point tournié (tourner, tournoyer) ou fait tournier toilles par manière de procession autour d'un chastel ou d'église, pour faire pennonceaulx, R. Que non et n'en a rien vu faire.
Interrogée, quant elle fut devant Jargeau, que c'était qu'elle portoit derrière son heaulme, et s'il y avait aucune chose ront, «Par ma foi, il n'y avait rien». Interrogée s'elle congnust jamais frère Ricard; respond: «Je ne l'avoys jamais vu quant je vins devant Troyes».
Interrogée qu'elle chière (figure) frère Ricard lui fit, R. Que ceux de la ville de Troyes, comme elle pense, l'envoièrent elle, disans ils doubtoient que ce ne fut pas chose de par Dieu; et quand il vint devers elle, en approuchant, il faisait signe de la croix, et gectoit eaue benoicte, et elle lui dit: «Approchez hardiement, je ne m'envouleray pas».
Interrogée s'elle avait point vu, ou fait faire aucuns ymaiges ou painctures d'elle et à sa semblance, R. Qu'elle vit à Arras une paincture en la main d'un Escot (Ecossais) et y avait la semblance d'elle tout armée, et présentoit unes lectres à son roy, et était agenoullée d'un genoul. Et dit que jamais ne vit ou fist faire autre ymaige ou paiacture à la semblance d'elle.
Interrogée d'un tablel chieux son hoste, où il avait trois femmes painctes, et escript: «Justice, Paix, Union». R. Qu'elle n'en sait rien.
Interrogée s'elle sait point que ceux de son party aient service, messe, et oraison pour elle; R. Qu'elle n'en sait rien, et s'ils en font service, ne l'ont point fait par son commandement; et s'ils ont prié pour elle, il lui est advis qu'ils ne font point de mal.
Interrogée si ceux de son party croient fermement qu'elle soit envoyée de Dieu, R. «Ne sçay s'ils le croyent et m'en actend à leur couraige: mais si ne le croient, si suis-je envoiée de par Dieu».
Interrogée s'elle cuide pas que en créant qu'elle soit envoyée de par Dieu, qu'ils aient bonne créance, R. S'ils croient qu'elle soit envoyée de par Dieu, ils n'en sont point abusez.
Interrogée s'elle savait point bien le couraige de ceux de son party, quant ils lui baisoient les piez et les mains, et les vestemens d'elle, R. Beaucoup de gens la véoient (voyaient) volontiers; et (aussi) dit qu'ils baisoient les mains (moins) ses vestemens qu'elle pouvoit. Mais venoient les pouvres gens voulentiers à elle, pour ce qu'elle ne faisait point de deplaisir, mais les supportoit à son pouvoir.
Interrogée quelle révérence lui firent ceux de
Troies à l'entrée, R. «IIz ne m'en firent point»; et dit oultre que, à son advis, frère Ricard entra quant (en même temps qu') eux à Troies, mais n'est point souvenance s'ehle le vit à l'entrée.
Interrogée s'il fist point de sermon à l'entrée de la venue d'elle, R. Qu'elle n'y arresta guères et n'y jeust jamais (n'y coucha pas); et quant au sermon, elle n'en sait rien.
Interrogée s'elle fut guères de jours à Bains (Reims), R. «Je crois que nous y fusmes quatre ou cinq jours.»
Interrogée s'eIle y leva point d'enfant, R. Que, à Troyes en leva un, mais de Rains n'a point de mémoire, ne de Chasteau-Tierry, et aussi deux en leva à SaintDenis Et volontiers mectoit nom aux filz Charles, pour l'honneur de son roy et aux filles Jehanne: et aucunes fois, selon ce que les mères vouloient.
Interrogée si les bonnes femmes de ville touchaient point leurs agneauls (anneaux) à l'anel qu'elle portoit, R. Maintes femmes ont touché à ses mains et à ses agneaulx; maisne sait point leur couraige ou intencion.
Interrogée qu'ils furent ceux de sa conipaignie qui prindrent papillons devant Chasteau-Tierry en son étendard, R. Qu'il ne fust jamais fait ou dit de leur party, mais ce ont fait ceux du party de deça, qui l'ont controuvé (imaginé).
Interrogée qu'elle fist à Rains des gans où son roy fut sacré, R. «Il y oult (eut) une livrée de gans pour bailler aux chevaliers et nobles qui là étaient. Et en y oult un qui perdit ses gans»; mais ne dit point qu'elle les ferait retrouver. Item dit que son étendard fut en l'église de Rains; et lay semble que son étendard fut
assés près de l'autel; et elle mesmes lui (le) tint un poy (un peu) et ne sait point que frère Ricard le tenist.
Interrogée, quant elle aloit par le pais, s'elle recepvoit souvens sacrement de confession et de l'autel (communion, quant elle venoit ès bonnes villes, R. Que ouil, à la fois,
Interrogée s'elle recepvoit lesdiz sacreinens en habit d'omme, R. Que ouil; mais ne a point mémoire de le avoir reçu en armes.
Interrogée pourquoi elle prinst la haquenée de l'eyesque de Senlis, R. Elle fut achetée deux cents salus; si les eust ou non, elle ne sait; mais en oult assignation (il y eut un mandat de payement), où il en fust payé; et si (de plus) lui rescrit (récrivit) que il la reairoit (recouvrerait) s'il vouloit, et qu'elle ne la vouloit point rien et qu'elle ne valoit rien pour souffrir paine (comme une bête de fatigue).
Interrogée quelle aaige avait l'enfant à Laigny qu'elle ala visiter, R. L'enfant avait trois jours; et fut apporté à Laigny à notre-Dame, et luz fut dit que les pucelles de la ville étaient devant notre-Dame, et qu'elle y voulsint aler prier Dieu et notre Dame qu'il lui voulsist donner la vie; et elle y ala, et pria avec les autres. Et finalement il y apparut vie, et bailla (respira) trois fois; et puis fut baptizé, et tantost mourut, et fut enterré en terre saincte. Et y avait trois jours, comme l'on disoit, que en l'anfant n'y était apparu vie, et était noir comme sa coste 1, mais quand il baisla, la couleur lui commença à
1. Cotte, jupon noir.
revenir. Et était avec les pucelles à genoulz devant notre-Dame à faire sa prière.
Interrogée s'il fut point dit par la ville que ce avait elle fait faire et que ce était à sa prière, R. «Je ne m'en enqueroye point».
Interrogée s'elle congneust point Katherine de la Rochelle ou s'elle l'avait vu, R. Que ouil, à Jargeau et à Montfaucon en Berry.
Interrogée s'elle lui monstra point une Dame vestue de blanc qu'elle disait qui lui apparoissoit aucunes fois, R. Que non.
Interrogée qu'elle lui dit, R. Que cette Katherine lui dit qui venoit à elle une dame blanche vestue de drap d'or, qui lui disait qu'elle alast par les bonnes villes et que le roy lui baihlast des héraulx et trompectes, pour faire crier quiconques airait (aurait) or, argent ou trésor niucié (caché), qu'il apportast tantoust (aussitôt), et que ceuiz qui ne le feroient, et qui en aroient de muciez, qu'elle les congnostroit bien, et sçaroit trouver lesdiz trésors; et que ce serait pour paier les gens d'armes d'cette Jehanne. A quoi laditeJehanne répondit que elle retournast à son mary, faire son mesbaige et nourrir ses enfans. Et pour en savoir la certaibeté elle parla à saincte Marguerite ou saincte Katherine, qui lui dirent que du fait de cette Katherine n'était que folie, et était tout nient (néant). Et esscript (écrivit) à son roy qu'elle lui dirait ce qu'il en devoit faire; et quant elle vint à lui dit que c'était folie et tout nient du fait de ladite Katherine; toutes voies frèr.e Richart voulait que on la mist en oeuvre; et' en ont esté très mal [contents] d'elle, ces frère Richart et cette Katherine.
Interrogée s'elle parla point à Katherine de la Rochelle du fait d'aler à la Charité, R. Que cette Katherine ne lui conseilloit point qu'elle y alast, et que il faisait trop froit, qu'elle n'yroit point.
Item dit à cette Katherine, qui vouloit aler devers le duc de Bourgogne pour faire paix, qui (qu'il) lui sembloit que on n'y trouverait point de paix, si ce n'était par le bout de la lance.
Item dit qu'elle demanda à celle Katherine se celle dame venait toutes les nuys; et pour ce, coucheroit avec elle. Elle y coucha, et veilla jusques à mynuit, et ne vit rien , et puis s'endormit Et quand vint au matin, elle demanda s'elle était venue, et lui répondit qu elle était venue, et lors dormait cette Jehanne et l'avait peu esveiller Et lors lui demanda s elle vendroit point l'andemain, et cette Katherine lui répondit que aull. Poui laquelle chose dormit, cette Jehanne de Jour, afin qu'elle peust veiller la nuit. Et coucha la nuit ensuivant avec cette Katherine, et veilla toute la nuit; mais ne vit rien, combien que souvent lui demandast: «Vendra elle point?» Et cette Katherine lui répondit: «Ouli, tantost».
Interrogée [sur ce] qu'elle fist sur les fossés de La Charité, R. Qu'elle y fist faire un assault; et dit qu'elle n'y gecta ou fist gecter eaue par manière de aspersion.
Interrogée pour quoi elle n'y entra, puis qu'elle avait commandement de Dieu, R. Qui vous a dit que je avais commandement de y entrer?
Interrogée s'elle oult point de conseil de sa voix, R. Qu'elle s'en voulait venir en France.; mais les gens d'armes lui disrent que c'était le mieux d'aler devant la Charité premièrement.
Interrogée s'elle fut longuement en celle tour de Beaurevoir, R. Qu'elle y fut quatre mais ou environ, et dit, quant elle sceut les Anglois venir, elle fut moult courroucée, toutes voies ses voix lui défendirentplusieurs fais qu'elle ne saillist (sauta); et enfin pour la doubte des Anglois, sailli et se commanda à Dieu et à notre-Dame, et fut blécèe. Et quant elle eust sailli, la voix de saincte Katherine lui dit qu'elle fiste bonne chière et qu'elle gariroit, et que ceux de Compiègne airaient secours.
Item dit qu'elle prioit tousjours pour ceux de Cernpiègne, avec son conseil.
Interrogée qu'elle dit, quant elle eust sailly, R. Que aucuns disaient que elle était morte, et tantoust quui apparut aux Bourguegnons qu'elle était en vie, ils lui dirent qu'elle était saillir.
Interrogée s'elle dit point qu'elle aimast mieux àmourir que d'être en la main des Angloys, R. Qu'elle aymeroit mieux rendre l'âme à Dieu que d'être en la main des Anglois.
Interrogée s'elle se courouça point, et s'elle blasphéma point le nom de Dieu, R. Qu'elle n'en maugréa jamais ne sainct ne saincte, et qu'elle n'a point accoustumé à jurer.
Interroguèe du fait de Suessons (Soissons), pour ée que le capitaine avait rendu la ville et que elle avait regnoié (et qu'elle avait dit ou reniant) Dieu, que s'elle le tenait, elle le ferait tranchier en quatre pièces, R. Qu'elle ne regnoia jamais sainct ne saincte et que ceux qui l'ont dit, ou raporté, ont malentendu 1.
Jeanne est conduite en prison.
1. Nous interrompons ici la citation de la minute française.
Ensuite, nous évêque susdit, nous dîmes que continuant le procès et sans l'interrompre, nous appellerions quelques docteurs et gens habiles en l'un et l'autre droit, divin et humain, qui recueilleraient ce qui està recueillir dans les choses confessées par ladite Jeanne; et, après les avoir visitées et recueillies, s'il y avait quelques points sur lesquels il semblât d'interroger à nouveau ladite Jeanne, elle serait interrogée par quelques commissaires par nous députés, sans incommoder pour cela tout l'ensemble des assistants. Nous avons ordonné que le tout serait rédigé par écrit, afin que, chaque fois qu'il y aurait lieu, ces docteurs et jurisconsultes pussent en délibérer et émettre leurs opinions et conseils.
Nous leur dîmes qu'ils eussent dès maintenant à étudier et voir, chez eux, touchant le sujet et ce qu'ils avaient déjà ouï du procès, ce qui leur semblerait à faire; en les priant d'en référer à nos commissaires présents et futurs, ou de conserver devers eux ces notions, pour en délibérer plus mûrement et utilement, en temps et lieux convenables et d'en rendre leur sentiment. Nous avons enfin défendu à tous et chacun des assesseurs de s'éloigner de Rouen sans notre permission avant la fin de ce procès.
La séance est levée.
FIN DE LA PREMIÈRE SESSION PUBLIQUE
SÉANCES XIVe - XIXe DU PROCÈS, LES 4, 5,6,7,8,9 MARS 1431
[Dans la maison de l'évêque de Beauvais.]
Item le dimanche 4 et les lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi suivants, nous évêque susdit, convoquâmes, dans notre logis, à Rouen, plusieurs solennels docteurs et maîtres, et autres habiles en droit divin et humain. Ceux-ci, ayant recueilli par nos ordres les confessions et réponses de ladite Jeanne, firent également un extrait des points sur lesquels ces réponses paraissaient insuffisantes et sur lesquels on estimait qu'elle devait être interrogée de nouveau. Sur ces recueils et extrait, du conseil et avis des susdits, nous avons conclu qu'il serait procédé à cet interrogatoire ultérieur. Et comme, attendu nos diverses occupations, nous ne pouvions pas toujours y vaquer en personne, nous avons délégué vénérable et discrète personne maître Jean de la Fontaine, maître et licencié, etc., ci-dessus nommé, pour interroger judiciairement ladite Jeanne en notre nom. Nous l'avons commis à ce titre le vendredi 9 susdit, présents les docteurs et maîtres: Jean Beaupère, Jean de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Thomas de Courcelles, Nicolas Loyseleur et Guillaume Manchon, ci-dessus nommés.
Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Jean Massieu, huissier.