Le procès de Jeanne d'Arc - Interrogatoires secrets


Premier interrogatoire secret


10 MARS 1431

Item le samedi suivant, 10 mars, nous, évêque, nous sommes rendu à une chambre du château de Rouen qui évait été assignée à ladite Jeanne pour prison. Là en présence et assisté de notre commissaire député [J. dela Fontaine], Nicolas Midi, G. Feuillet de Jean Fécard, et maître Jean Mathieu, prêtres, témoins appelés, nous avons requis ladite Jeanne de faire et prêter serment qu'elle dirait la vérité sur ce qu'on lui demanderait:

R 1. Je vous promet que je diray vérité de ce qui touchera vostre procès; et plus me contraindrés jurer, et plus tart vous le diray.

Interrogée par Jean de la Fontaine, commissaire, en ces termes: «Par le serement que vous avez fait, quant vous venistes derrenièrement à Compiègne, de quel lieu estiés-vous partie?» R. Que (elle venait) de Crespy en Valoys.

Interrogée, quand elle fut venue à Compiègne, s'elle fut plusieurs journées avant qu'elle fit aucune saillie, R. Qu'elle vint à heure secrète du matin, et entra en la ville, sans ce que ses annemis le sceussent uières, comme elle pense; et ce jour mesmes, sur le soir, fit la saillie dont elle fut prise.

Interrogée si à la saillie l'en sonna les cloches, R. Se on les sonna, ce ne fut point à son commandement ou par son seu; et n'y pensait poinct; et si (aussi bien) ne se souvient s'elle avait dit que on les sonnast.

1. Reprise de la minute française.



Interrogée s'elle fist cette saillie du commandement de sa voix, R. Que en la sepmaine de Pasque derrenièrement passé, elle étant sur les fossés de Meleun, lui fut dit par ses vois, c'est assavoir, saincte Katherine et saincte Marguerite, qu'elle serait prise avant qu'il fust la Sainct-Jehan, et que ainsi faillait qui fust fait, et qu'elle ne s'esbahit et print tout en gré, et que Dieu lui aiderait.

Interrogée si depuis ce lieu de Meleun lui fut point dit par ses dictes vois qu'elle serait prise, R. Que ouil, par plusieurs fois, et comme tous les jours. Et à ses voix requérait, quant elle serait prise, qu'elle fust morte tantoust, sans long travail de prison, et ils luiy disrent qu'elle prinst tout en gré, et que ainsi la falloit faire mais ne lui disrent point l'eure; et si elle l'eust su, elle n'y fust pas alée; et avait plusieurs fois demandé sçavoir l'eure et ils ne lui dirent point.

Interrogée si ses voix lui eussent commandé qu'elle fust saillie et signifié qu'elle eust esté prise, s'elle y fust alée, R. S'elle eust su l'eure, et qu'elle deust être prise, elle n'y fust point alée voulentiers; toutes voies elle, eust fait leur commandemeut en la fin, quelque chose qui lui dust être venue. Interrogée se, quand elle fit cette saillie, s'elle avait eu voix de partir et faire celle saillie, R. Que ce jour ne sceut point [par avance] sa prise, et n'eust autre commandement de yssir (sortir); mais toujours lui avait esté dit qu'il fallait qu'elle fut prisonnière.

Interrogée se, à faire celle saillie, s'elle passa par le pont, respond qu'elle passa par le pont et par le boulevart, et ala avec la compaignie des gens de son party sur les gens de monseigneur de Luxembourg, et les rebuta par deux fois jusques au logeis des Bourguegnans, et à la


tierce fois jusques à my le chemin; et alors les Anglais, qui là étaient, coupèrent les chemins à elle et ses gens, entre elle et le boulevart; et pour ce se retraïrent ses gens; et elle en se retraiant es champs en costé, devers Picardie, près du boulevart, fut prise; et était la rivière entre Compiègne et le lieu où elle fut prise; et n'y avait seullement, entre le lieu où elle fut prise et Compiègne, que la rivière, le boulevart et le fossé dudit boulevart.

Interrogée si en ce étendard, le monde est painct, et deux anges, etc., R. Que ouil et n'en eust jamais que un.

Interrogée quelle signifiance c'était que prendre Dieu tenant le monde et ses deux anges, R. Que saincte Katherine et saincte Marguerite lui disrent qu'elle prinst hardiement, et le portast hardiement, et qu'elle fist mectre en paincture là le Roy du ciel. Et ce dit à son roy, mais très envis (à contre-coeur), et de la signifiance ne sait autrement. Interrogée s'elle avok point escu et armes, R. Qu'elle n'en eust jamais point; mais son roy donna à ses frères armes, c'est assavoir, un escu d'asur, deux fleurs de liz d'or et une espée parmy; et en ceste ville a devisé à un painctre celles armes, pour ce qui lui avait demandé quelles armes elle avait. Item, dit que ce fut donné par son roy à ses frères, à la plaisance d'eulz, sans la requeste d'elle, et sans révélacion.

Interrogée s'elle avait un cheval, quand elle fut prise, coursier ou haquenée, R. Qu'elle était à cheval, et était un demi coursier celluy sur qui elle était, quand elle fut prise,

Interrogée qui lui avait donné cellui cheval, R. Que son ray, ou ses gens lui donnèrent de l'argent du roy;


et en avait cinq coursiers de l'argent du roy, sans les trotiers (trotteurs) où il en avait plus de sept.

Interrogée s'elle eust oucques autres richesses de son roy que ces chevaulx, R. Qu'elle ne demanderait rien à son rôy, fors bonnes armes, bons chevaulx et de. l'argent à paier les gens de son hastel.

Interrogée s'elle n'avait point de trésor, R. Que 10 ou 12 mille [francs] qu'elle a vaillant, n'est pas grand trésor à mener la guerre, et que c'est peu de chose, et lesquelles

choses ont ses frères, comme elle pense, et dit que ce qu'elle a, c'est de l'argent propre de son roy.

Interrogée quel est le signe qui vint à son Roy, R. Que il est bel et honnouré, et bien créable, et il est bon, et le plus riche qui soit.

Interrogée pourquoi elle ne vault aussi bien dire et monstrer le signe dessus dit, comme elle vouit (voulut) avoir le signe de Katherine de la Rochelle, R. Que, - se le signe de Katherine eust esté aussi bien manstré devant notables gens d'Eglise et autres, arcevesques et evesques, c'est assavoir devant l'arcevesque de Rains et autres évesques dont elle ne sait le nom (et mesmes y était Charles de Bourbon, le sire de la Trimaulles, le duc d'Alençon et plusieurs autres chevaliers qui le veirent et oïrent aussi bien comme elle voit ceux qui parloient à elle aujaurd'huy), comme celluy dessus dit être monstré, - elle n'eust point demandé sçavoir le signe de cette Katherine. Et toutes voies elle savait au devant (antérieurement) par saincte Katherine et saincté Marguerite, que, du fait de la dicte Katherine de la Rochelle, ce était tout néant.

Interrogée si le dit signe dure encore, R. «Il est ban à sçavoir, et qu'il durera jusques à mil ans, et


oultre». Item que ledit signe est en trésor du ray. Interrogée ce (si) c'est or, argent ou pierre précieuse, ou couronne, R. «Je ne vous en diray autre chose; et ne sçaroit homme deviser aussi riche chose comme est le signe; et toutes voies le signe qui vous fault, c'est que Dieu me délivre de vos mains, et est le plus certain qu'il vous sçache envoyer».

Item dit que, quant elle deust partir pour aller à son roy, lui fut dit par ses voix: «Va hardiment; quant tu seras devers le roy, il aura bon signe de te recepvoir et croire».

Interrogée quant le signe vint à son ray, quelle reverence elle y fist, et s'il vint de par Dieu: respond qu'elle n'iercia Notre-Seigneur de ce qui (qu'il) la délivra de la paine des clercs de par delà qui argüoient contre elle et se agenoulla plusieurs fais.

Item dit que un ange de par Dieu, et non de par autre, bailla le signe à son roy; et elle en mercia moult de fais Notre Seigneur.

Item dit que les clercs de par delà cessèrent à la argüer, quant ils eurent su ledit signe.

Interrogée si les gens d'église de par delà veirent le signe dessus dit, R. Que quant son roy et ceux qui étaient avec lui eurent vu ledit signe, et mesmes l'ange qui le bailla, elle demanda à son roy s'il était content; et il répondit que ouil. Et alors elle party et s'en ala en une petite chappelle assés près et ouyt lors dire que après son portement,, plus de trois cens personnes veirent ledit signe.

Dit outre que par l'amour d'elle, et qu'ils la laissassent à interroguer, Dieu vouloit permeictre que ceux de son. party qui veirent ledit signe, le veissent.


Interrogée si son roy et elle firent point de reverence à l'ange quant il apporta le signe, respond que ouil, d'elle, et se agenoulla et oulta (ôta) son chaperon.


VINGT-UNIÈME SÉANCE DU PROCÈS


LUNDI 12 MARS 1431

Ce jour, au logis de l'évêque de Beauvais, frère Jean Lemaître, de l'ordre des Frères prêcheurs, reçoit avis et communication de la teneur des lettres de commission à lui adressées par fr. J. Graverent, du même ordre, grand inquisiteur de France, aux termes desquelles lettres ledit fr. Jean Lemaître est commis et député à déduire et. terminer, jusqu'à sentence définitive inclusivement, la cause de Jeanne.

Deuxième interrogatoire secret.


[Dans la prison de Jeanne, furent présents: Cauchon et 6 assesseurs.]

Requise par Monseigneur l'évêque de dire la vérité, R. «De ce qui touchera vostre procès, comme autrefois vous ay dit, je diray voulentiers vérité.» Elle jura ainsi présents maître Thomas Fievé et Nicolas de Hubert, ainsi que J. Carbonnier.

Interrogée ensuite par Me J. de la Fontaine, délégué, 1e se l'ange qui apporta le signe parla point, R. Que ouil, et que il dit à son ray que on la mist en besoigne, et que le pais serait tantoust allégié.


Interrogée si l'ange qui apporta ledit signe fut l'ange qui premièrement apparu à elle, ou se ce fut un autre, R. C'est tousjours tout un, et jamais ne lui faillit.

Interrogée si l'ange lui a point failli, de ce qu'elle a esté prise, aux biens de fortune, respond qu'elle croist, puisqu'il plaist à Notre Seigneur; c'est le mieux qu'elle sait prise. Interrogée se, ès biens de grâce, l'ange lui a point failli, R. «Et comme me faudrait-il, quand il me conforte tous les jours?» Et enctend cest confort, que c'est de saincte Katherine et saincte Marguerite.

Interrogée s'elle les appelle ou s'ils viennent sans [être] appelés, R. Ils viennent souvent sans [être] appellés, et autre fois s'ils ne venaient bien tast, elle requerrait Notre Seigneur qu'il les envoyast.

Interrogée s'elle les a aucunes fois appellées, et ils n'étaient point venues, R. Qu'elle n'en ault jamais besoing pour qu'elle ne les ait.

Interrogée si sainct Denis apparut jamais à elle, R. Que non qu'elle saiche.

Interrogée se, quant elle promist à Notre Seigneur de garder sa virginité, s'elle parlait à lui, R. Il debvoit bien suffire de le prameictre à ceux qui étaient envoyés de par lui, c'est assavoir, saincte Katherine et saincte Marguerite.

Interrogée qui la meut de faire citer un homme à Toul, en cause de mariage, R. «Je ne le fecs pas citer; mais ce fut il qui me fist citer;» et là jura devant le juge dire la vérité; et enfin qu'elle ne lui avait poinct fait de promesse. Item dit que la première fois qu'elle oy (ouit) sa voix, elle vo[u]a sa virginité, tant qu'il plaisait à Dieu,

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LES MÀRTTRS. - T. VI.


Et était en l'aage de XIII ans ou environ. Item dit que ses voix la asseurèrent de gaigner son procès.

Interrogée si de ces visions elle a painct parlé à son curé ou autre homme d'église, R. Que non: mais seulement à Robert de Baudricourt et à son roy. Et dit oult,re qu'elle ne fust poinct contraincte de ses voix à le céler; mais doubtoit (craignait) moult de la révéler, pour doulte des Bourguegnons, qu'ils ne la empeschassent de' son voyage, et par spécial doubtoit moult son père, qu'il ne la empeschast de son véage faire.

Interrogée s'elle cuidait bien faire de partir sans le congié de père ou mère, comme il soit ainsi que on doit honnourer père et mère, R. Que en toutes autres choses elle a bien obéy à eux, excepté de ce partement, mais depuis leur en a escript, et lui ont pardonné.

Interrogée si, quant elle partit de ses père et mère, elle cuidait painct péchier, R. «Puisque Dieu le commandoit, il le convenoit faire.» Et dit oultre, puisque Dieu le commandait s'elle eust cent pères et cent mères, et s'il eust été fille de roy, si (alors même) fust-elle partie.

Interrogée s'elle demanda à ses voix qu'elle deist à son père et à sa mère son partement, R. Que, quant est de père et de mère, ils étaient assés contens qu'elle leur dit, se n'eust esté la paine qu'ils lui eussent fait, s'elle leur eust dit; et quant est d'elle, elle ne leur eust dit pour chose quelconque.

item dit que ses voix se raportoient à elle de le dire àpère et mère, ou de s'en taire.

Interrogée se, quant elle vit sainct Michiel et les anges, s'elle leur faisait reverence, Q. Que ouil; et baisait la terre après le partement où ils avaient repposé, en leur faisant reverence.


Interrogée si ils étaient longuement avec elle, R. Ilz viegnent beaucoup de fais entre les chrestiens, que on ne les voit pas; et les a beaucoup de fois veuz (sçus?) entre les chrestiens.

Interrogée si de sainct Michel ou de ses voix, elle a poinct eu de lectres, R. «Je n'en ai point de congié de Vous le dire; et entrecy et huit jours, je en respondray voulentiers ce que je sçauray.»

Interrogée si ses voix l'ont point appellée fille de Dieu, fille de l'Eglise, la fille au grand cuer (coeur), R. Que au devant du siège d'Orléans levé, et depuis, tous les jours, quant ils parlent à elle, l'ont plusieurs, fois appelée Jehanne la Pucelle, fille de Dieu.

Interrogée, puisqu'elle se dit fille de Dieu, pourquoi elle ne dit voulentiers Pater noster, R. Elle le dit voulentiers; et autrefois, quant elle refusa le dire, c'était en intencion que Monseigneur de Beauvès la confessast.

Troisième interrogatoire secret


LUNDI 12 MARS, APRÈS-MIDI.

[Même local, mêmes assesseurs, l'évêque absent.]

Interrogée des songes de son père, R. Que quant elle était encore avec ses père et mère, lui fut dit par plusieurs fois par sa mère, que son père disait qu'il avait songé que avec les gens d'armes s'en irait la dicte Jeanne sa fille; et en avaient grant cure ses père et mère de la bien garder, et la tenaient en grant subjection; et elle


obeissoit en tout, si non au procès de Toul, au cas de mariage 1.

Item dit qu'elle a entendu dire à sa mère que son père disait à ses frères «Si je cuidoye que la chose advenjst que j'ay songié d'elle, je vouldroye que la noyessiés et se vous ne le faisiés, je la noieraye moy mesmes.» Et à bien peu [s'en fallut] qu'ils ne perdissent le sens, quand elle fut partie à nier à Vaucouleur.

Interrogée si ces pensées en songes venaient à son père [de] puis qu'elle eust ses visions, R. Que ouil, plus de deux ans puis qu'elle oult les premières voix.

Interrogée si ce fust à la requeste de Robert au d'elle, qu'elle prinst habit d'omme, R. Que ce fut' par elle et non à la requeste d'omme du monde.

Interrogée si la voix lui commanda qu'elle prist habit d'homme, R. «Tout ce que j'ay fait de bien, je l'ay fait par le commandement des voix.» Et dit oultre, quand à cest habit, en respandra autrefois, que de présent n'en est point advisée; mais demain en répondra.

Interrogée si en prenant habit d'omme, elle pensoit mal faire, R. Que non; et encore de présent, s'elle était, en l'autre party, et en cest habit d'omme, lui semble que ce serait un des grands biens de France, de faire comme elle faisait au devant de sa prise.

Interrogée comment elle eust délivré le duc

1. Un jeune homme de Toul s'était épris de Jeannette avant son départ pour Vaucouleurs. II commença de la rechercher, et argua d'une prétendue promesse de la jeune fille. Les parents de celle-ci, n'y voyant qu'un moyen de la détourner de sa mission, encouragèrent les poursuites judiciaires du jeune homme qui, nous l'avons vu dans le précédent interrogatoire, convint enfin devant le juge «qu'elle ne lui avait point fait de promesse».



d'Orléafl5, R. Qu'elle eust assés pris de sa prise des Anglays pour le ravoir et sy elle n'eust assés prise deçà, elle eut passé la mer pour le aler querir à puissance en Angleterre.

Interrogée si saincte Marguerite et saincte Katherine lui avaient dit, sans condicion et absolument, qu'elle prendroit gens suffisans pour avoir le duc d'Orléans qui était en Angleterre, ou autrement qu'elle passeroit la mer pour le aler querir et admener dedans trois ans.

R. Que ouil, et qu'elle dit à son roy qu'il la laissast faire des prisonniers. Dit oultre d'elle que s'elle eust duré trois ans sans empeschement, elle l'eust délivré.

Item dit qu'il n'y avait plus bref terme que de trais ans et plus long que d'un an, mais n'en a pas de présent mémoire.

Interrogée du signe baillé à son roy, R. Qu'elle en aura conseil à sainte Katherine.

Quatrième interrogatoire secret


MARDI 13 MARS 1431.

Même lieu. L'évêque de Beauvais annonce aux assesseurs et à l'accusée que vu les lettres à lui adressées par l'inquisiteur, fr. Jean Lemaître se joint à la cause.

Reprise de l'interrogatoire:

Interrogée premièrement du signe baillé à son roy, quel [il] fut, R. «Estes-vous content que je me parjurasse?»

Interrogée par monseigneur le vicaire de l'Inquisiteur s'elle avait juré et promis à saincte Katherine non


dire ce signe, R. «J'ay juré et promis non dire ce signe, et de moy-même, pour ce que on m'en chargeoit trop de le dire. Et adanc dit elle-mesmes: «Je promets que je n'en parleray plus à homme.»

Item dit que le signe, ce fut que l'ange certifiait à son roy en lui apportant la couronne, et lui disant que il avait tout le royaume de France entièrement à l'aide de Dieu, et moyennant son labour (travail); et qu'il la meist en besoingne, c'est assavoir que il lui baillast des gens d'armes, autrement il ne serait mye si tost couronné et sacré.

Interrogée si depuis hier cette Jehanne a parlé à saincte Katherine, R. Que depuis elle l'a ouye; et toutes voies lui a dit plusieurs fais qu'elle responde hardiment aux juges de ce qu'ils demanderont à elle, touchant son procès.

Interrogée en quelle manière l'ange apporta la couronne, et s'il la mist sur la tête de son roy, R. Elle fut baillée à un arcevesque, c'est assavoir celui de Rajas, comme il lui semble, en la présence du roy; et était elle-mesmes présente; et est mise au trésor du ray.

Interrogée du lieu où elle fut apportée, R. Ce fut en la chambre du ray, en chastel de Chinon.

Interrogée du jour et de l'eure, R. «Du jour, je ne sçay, et de l'eure, il était haulte heure;» autrement n'a mémoire de l'eure; et du moys, en moys d'avril ou de mars, comme il lui semble, en mois d'avril prouchain ou en cest présent moys, à deux ans, et était après Pasques 1.

1. La date précise de la réception de Jeanne est le 10 mars 1429, avant Pâques.


Interrogée si la première journée qu'elle vit le signe, se son roy le vit, R. Que ouil; et que il le eust luymesmes.

Interrogée de quelle manière était cette couronne, R. «C'est bon assavoir qu'elle était de fin or, et était si riche que je ne sçaroye nombrer la richesse»; et que la couronne signifiait qu'il [ob]t[i] endrois le royaume de France.

Interrogée s'il y avait pierrerie, R. «Je vous ay dit ce que j'en sçay.

Interrogée s'elle la mania ou baisa, R. Que non.

Interrogée si l'ange qui l'apporta venait de hault, ou sil venoit par terre, R. «Il vient de hault;»et entend, il venoit par le commandement de Notre-Seigneur; et entra par l'uys de la chambre.

Interrogée si l'ange venait par terre et errait (marchait) depuis l'uys de la chambre, R. Quant il vint devant le roy, il fit révérence au ray, en se inclinant devant lui, et prononçant les parolles qu'elle a dictes du signe; et avec celuy ramentevoit (souvenait) la belle pacience qu'il avait eu, selon les grandes tribulacions qui lui étaient venues; et depuis l'uys la (porte) il marchait et errait sur la terre, en venant au roy.

Interrogée quelle espace [y] avait de l'uys jusques au roy, R. «Comme elle pense, il y avait bien espace de la longueur d'une lance; et par où il était venu, s'en retourna.»

item dit que quant l'ange vint, elle l'accompagna, et ala avec lui par les degrés à la chambre du roy, et entra l'ange le premier; et puis elle-mesmes dit au roy: «Sire, velà vostre signe, prenez lay.»

Interrogée en quel lieu il apparut à elle, R. «J'estoie


presque toujours en prière, afin que Dieu envoyast lej signe au roy; et estoie en mon lougeis (logis), qui est chieux (chez) une banne femme près du chastel de Chinon, quand il vint; et puis nous en alasmes ensemble au roy; et était bien accompagné d'autres anges avec lui, que chacun ne véoit pas.» Et dit oultre, ce n'eust esté pour l'amour d'elle et de la aster de paine des gens que la argüoient, elle croit bien plusieurs gens veirent l'ange dessus dit, qui ne l'eussent pas vu.

Interrogée si tous ceux qui là estaient avec le ray, veirent l'ange, R. Quelle pense que l'arcevesque de Rains, les seigneurs d'Alençon et de la Trémouille et Charles de Bourbon le veirent. Et quand est de la couronne, plusieurs gens d'église et autres la veirent, qui ne virent pas l'ange.

Interrogée de quelle figure, et quel grant (grandeur) était ledit ange, R. Qu'elle n'en a point congié et demain en respondra.

Interrogée de ceux qui estaient en la campaignie de l'angle, tous d'une même figure, R. ils se entre ressembloient volontiers les aucuns et les autres non, en la manière qu'elle les véoit; et les aucuns avaient elles (ailes); et si en avait de couronnés, et les autres non; et y étaient en la compaignie sainctes Katherine et Marguerite, et furent avec l'ange dessus dit, et les autres anges aussi, jusque dedans la chambre du roy.

Interrogée comme celluy ange se départit d'elle, R. Il départit d'elle en celle petite chapelle; et fut bien courroucée de son partement, et pleurait, et s'en fust voulontiers allée avec lui, c'est assavoir son âme.

Interrogée si au parlement elle demeura joyeuse, ou


effréée et en grand paour, R. «Il ne me laissa point en paour ne effrée; mais estoie courroucée de son partement.»

Interrogée si ce fut par le mérite d'elle que Dieu envoya son ange, R. Il venait pour grande chose; ce fut en espérance que le roy creust le signe, et qu'on laissast à la argfler, et pour donner secours aux bonnes gens d'Orléans et aussi pour le mérite du roy et du bon duc d'Orléans.

Interrogée pourquoi elle, plus tost que un autre, R. «Il pleust à Dieu ainsi faire par une simple pucelle, pour rebouter les adversaires du roy.»

Interrogée si il a esté dit à elle où l'ange avait pris celle couronne, R. Quelle a esté apportée de par Dieu; et qu'il n'a orfaivre en monde qui la sceust faire si belle ou si riche; et où il la prinst, elle s'en raporte à Dieu, et en sait point autrement où elle fut prise.

Interrogée si celle couronne fleurait point bon et avait odeur, et s'elle était point reluisant, R. Elle n'a point mémoire de ce; et s'en advisera. Et après dit: elle sent bon et sentira; mais qu'elle soit bien gardée, ainsi qu'il apartient; et était en manière de couronne.

Interrogée si l'ange lui avait escript lectres, R. Que non.

Interrogée quel signe eurent le ray, les gens qui étaient avec lui, et elle, de croire que c'était un ange, R. Que le roy le creust par l'anseignement des gens d'église qui là étaient, et par le signe de la couronne.

Interrogée comme[nt] les gens d'église sceurent que c'était un ange, R. «Par leur séance et par ce qu'ils étaient clercs.»


Interrogée d'un prêtre concubinaire, etc., et d'une tasse perdue, répond: «De tout ceje n'en sçayrien, ne jamais n'en entendu parler.»

Interrogée se, quand elle nia devant Paris, se elle l'eust par révélacion de ses voix de y aler, R. Que non; mais à la requeste des gentilzhommes, qui voulaient faire une escarmouche ou une vaillance d'armes, et avait bien entencion d'aler oultre et passer les fossés.

Interrogée aussi d'aler devant La Charité s'elle eust révélacion, R. Que non; mais par la requeste des gens d'armes, ainsi comme autrefois elle a dit.

Interrogée du Pont-l'Evesque, s'elle eust point de révélacion, R. Que [de]puis ce qu'elle oult révélacion à Melun qu'elle serait prise, elle se raporta le plus du fait de la guerre à la voulenté des cappitaines; et toutes voies ne leur disait point qu'elle avait révélacion d'être prise.

Interrogée si ce fut bien fait, au jour de la Nativité de Notre-Dame qu'il était feste, de aller assaillir Paris, R. t'est bien fait de garder les festes de Notre-Dame; et en sa conscience lui semble que c'était et serait bien fait de garder les festes de Notre-Dame, depuis un bout jusques à l'autre.

Interrogée s'elle dit point devant la ville de Paris «Rendez la ville de par Jhesus». R. Que non; mais dit:

«Rendez-la au roi de France.»

14 MARS 1431.

Le mercredi quatorze mars, fr. Jean Lemaître nomme à l'office de greffier Nicolas Taquel, prêtre du diocèse de Rouen, notaire impérial.


Cinquième interrogatoire secret.


14 MARS.

[A la prison, l'évêque absent.]

Interrogée premièrement quelle fut la cause pour quoi elle saillit de la tour Beaurevoir, R. Qu'elle avait entendu dire que ceux de Compiègne, tous jusques à l'ange de sept ans, devaient être mis à feu et à sanc, et qu'elle aymait mieux mourir que vivre après une telle destruction de bonnes gens; et fut l'une des causes. L'autre qu'elle sceust qu'elle était vendue aux Angloys, et eust eu plus cher mourir que d'être en la main des Angloys, ses adversaires.

Interrogée si ce sault, ce fut du conseil de ses voix, R. Saincte Katherine lui disoit presque tous les jours qu'elle ne saillist point, et que Dieu lui aideroit, et mesmes à ceux de Compiègne; et cette Jehanne dit à saincte Katherine, puisque Dieu aiderait à ceux de Compiègne, elle y voulait être. Et saincte Katherine lui dit: «Sans faulte, il fault que prenés en gré, et ne seriés point délivrée tant que aiés vu le roy des Anglais. Et la dicte Jehanne répandait: «Vrayement! je ne le voulsisse point vair: j'aymasse mieux mourir que d'être mise en la main des Angloys»

Interrogée s elle avait dit à saincte Katherine et saincte Marguerite: Laira Dieu (Dieu laissera-t-il) mourir si mauvaisement ces bonnes gens de Compiègne, etc.?» R. Qu'elle n'a point dit si mauvaisement; mais leur dit en celle manière: «Comme[nt] laira Dieu


mourir ces bannes gens de Compiègne, qui ont esté et sont si loyaulz à leur seigneur!»

Item dit que, [de]puis qu'elle fut cheue, elle fut deux ou trois jours qu'elle ne voulait mengier, et mesmes aussi pour ce sault fut grevée tant, qu'elle ne pavait ne boire ne mangier; et toutes voies fut reconfortée de saincte Katherine, qui lui dit qu'elle se confessast, et requérist mercy à Dieu de ce qu'elle avait sailli; et que sans faulte ceux de Compiègne araient secours dedans la Saint-Martin d'yver. Et adoncque se prinst à revenir, et à commencer à mangier; et fut tantoust guérie.

Interrogée, quant elle saillit, s'elle se cuidait tuer, R. Que non, mais en saillant se recommanda à Dieu, et cuidait par le moyen de ce sault, eschaper et évader qu'elle ne fust livrée aux Angloys 1.

Interrogée se, quant la parolle lui fut revenue elle regnoia et malgréa (renia et maugréa) Dieu et ses sains, pour ce que ce est trouvé par l'information, comme disait l'interrogant. R. Qu'elle n'a point de mémoire ou qu'elle soit souvenant, elle ne regnoia au malgréa jamais Dieu ou ses sains, en ce lieu ou ailleurs; et ne s'en est point confessée, quar elle n'a point de mémoire qu'elle l'ait dit ou fait.

Interrogée s'elIe s'en veult raporter à l'informacion faicte ou à faire, R. «Je m'en raporte à Dieu et non à autre, et à bonne confession.»

Interrogée si ses voix lui demandent dilacion de respondre, R. Que saincte Katherine lui respond à la

1. Jeanne ne s'étoit pas lancée dans l'espace, mais elle se laissa choir, dit l'interrogatoire suivant et, en effet, un texte apprend qu'elle avait fait des draps un lien attaché à sa fenêtre et communiquant avec le sol.



fois, et aucunes fais fault cette Jehanne à entendre, pour la turbacion des personnes et par les noises (dis. putes) de ses gardes; et quant elle fait requeste à saincte Katherine et tantoust elle et sainte Marguerite font requeste à Notre-Seigneur, et puis du commandement de Notre.Seigneur donnent responce à la dicte Jehanne.

Interrogée, quant elles viennent, s'il y a lumière avec elles, et s'elle vit point de lumière, quant elle oyt en chastel la voix, et ne savait s'elle était en la chambre,

R. Qu'il n'est jour qu'ils (qu'elles) ne viennent en ce chastel, et [ain]si ne viennent point deux lumières; et de celle fois ayt la voix, mais n'a point mémoire s'elle vit lumière, et aussi s'elle vit saincte Katherine.

Item dit qu'elle a demandé à ses voix trois choses l'une son expedicion; l'autre que Dieu aide aux Français et garde bien les villes de leur obéissance; et l'autre le salut de son âme.

Item requist, se ainsi est, qu'elle soit menée à Paris, qu'elle ait le double de ses interrogatoires et respances, afin qu'elle le baille à ceux de Paris, et leur puisse dire «Vécy comme j'ayesté interroguée à Rouen, et mes responces» etqu'elle ne sait plus travaillée de tant de demandes.

Interrogée pour ce qu'elle avait dit que Monseigneur de Beauvez ce mectoit (se mettait) en danger de la meictre en cause, et quel danger, et tant de Monseigneur de Beauvais que des autres, R. Quar (que) c'était, et est, qu'elle dit à Monseigneur de Beauvez: «Vous dictes que vous estes mon juge, je ne scay se vous l'estes; mais advisez bien que ne jugés (jugiez) mal, [attendu] que vous vous mectriés en grant danger; et vous en advertis, afin que se Notre-Seigneur vous en chastie, que je fais mon debvoir de vous le dire.»


Interrogée quel est ce péril au danger, R. Que saincte Katherine Iuy a dit qu'elle aurait secours, et qu'elle ne sait se ce sera être délivrée de la prison, ou quant elle serait en jugement, s'il y vendrait aucun trouble, par quel moien elle pourrait être délivrée; et pense que ce sait ou l'un ou l'autre. Et le plus lui dient ses voix: qu'elle sera délivrée par grant victoire; et après lui dient ses voix: Pran (prends) tout en gré, ne te chaille (soucie) de ton martire, tu t'en vendras enfin en royaulme de paradis» Et ce lui dient ses voix simplement et absoluement, c'est assavoir sans faillir; et appelle ce, martire, pour la paine et adversité qu'elle souffre, en prison, et ne sait se plus grand souffrera, mais s'en actent (rapporte) à Notre-Seigneur.

Interrogée si depuis que ses voix lui ont dit qu'elle ira en la fin au royaulme de paradis, s'elle se tient asseurée d'être sauvée, et qu'elle ne sera point dampnée en enfer, R. Qu'elle croist ce que ses voix lui ont dit qu'elle sera saulvée aussi fermement que s'elle y fust jà. Et quant on lui disait que ceste responce était de grant pois, aussi respond elle qu'elle le tient pour un grant trésor.

Interrogée si après ceste révélacion, elle craist qu'elle ne puisse faire péchié mortel, R. «Je n'en sçay rien, mais m'actend du tout à Notre-Seigneur.»

Et quant à cest article, par ainsi qu'elle tiègne le sérement et promesse qu'elle a fait à Notre-Seigneur, c'est assavoir qu'elle gardast bien sa virginité de corps et âme.



Le procès de Jeanne d'Arc - Interrogatoires secrets