Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Pierre Daron, procureur.

Déposition de Pierre Daron, procureur.


Ce que je sais pour l'avoir ouï de maintes personnes, c'est que Jeanne faisait merveille dans ses réponses et qu'elle avait une mémoire étonnante. Ainsi, un jour qu'on l'interrogeait sur un point dont elle avait eu à parler auparavant, elle répondit, quoiqu'il y eut huit jours écoulés: «Tel jour j'ai été questionnée»; ou bien «Il y a huit jours que j'ai été questionnée, là-dessus et voici comme j'ai répandu». - «Ce n'est pas exact», dit Boisguillaume, un des greffiers. - «Jeanne dit vrai», dirent quelques-uns des assistants. On lut ce qu'elle avait répondu au jour indiqué, et il se trouva que Jeanne avait raison. De quoi elle s'égaya disant à Boisguillaume: «Si une autre fois vous êtes en faute, je vous tirerai l'oreille.

Sixième interrogatoire secret.


MERCREDI 14 MARS 1431, APRÈS MIDI.

[Dans la prison, l'évêque absent.]

Interrogée si il est besoing de se confesser, puisqu'elle croist à larelacion de ses voix qu'elle sera sauvée, R. Qu'elie ne sait point qu'elle ait péchié mortellement; mais s'elle était en péchié mortel, elle pense que saincte Katherine et saincte Marguerite la délesseroient tantost. Et croist, en respondant à l'article précédent: on ne sait trop nectoyer la conscience.

Interrogée se, depuis qu'elle est en ceste prison, a point regnoye (renié) ou malgréé Dieu, R. Que non


et que aucunes fois, quant elle dit: «Bon gré Dieu» ou «saint Jehan» ou «Nostre-Dame», ceux qui peuvent avoir rapporté, ont mal actendu (entendu).

Interrogée si de prendre un homme à rançon, et le faire mourir prisonnier, ce n'est point péchié mortel, R. Qu'elle ne l'a point fait.

Et pour ce que on lui parlait d'un nommé Franquet d'Arras, qu'on fit mourir à Laigny, R. Qu'elle fut consentante de lui de le faire mourir, se il l'avait deservi (mérité), pour ce qu'il confessa être murdrier, larron et traictre. Et dit que son procès dura quinze jours, et en fut juge le baillif de Senlis, et ceux de la justice de Laigny. Et dit qu'elle requérait avoir Franquet pour un homme de Paris, seigneur de l'Ours 1; et quant elle sceut que le seigneur fut mort, et que le baillif lui dit qu'elle voulait faire grant tort à la justice, de délivrer celui Franquet, lors dit-elle au baillif: «Puisque mon homme est mort, que je vouloye avoir, faictes de ce ce que debvroyés (devriez) faire par justice.»

Interrogée s'elle bailla l'argent ou fit bailler pour celuy qui avait pris ledit Franquet, R. Qu'elle n'est pas monnayer ou trésorier de France, pour bailler argent.

Et quant on lui a ramentue (rappellé) qu'elle avait assailli Paris ajour de feste; qu'elle avait eu le cheval de monseigneur (l'évêque) de Senlis, qu'elle s'était laissée cheoir de la tour de Beaurevair; qu'elle parte habit d'homme; qu'elle était consentante de la mort de Franquet d'Arras, s'elle cuide point avoir péchié mortel,

1. Elle dit qu'elle demandait à échanger Franquet contre un Parisien, maître de l'hôtel à l'enseigne de l'Ours (rue Saint-Antoine).



R. Au premier, de Paris: «Je n'en cuide point être en péchié mortel, et se je l'ay fait, c'est à Dieu d'en congnoistre, et en confession à Dieu et au presbtre.»

Au second, du cheval de Senliz R. Qu'elle croist fermement qu'elle n'en a point de péchié mortel envers notre sire, pour ce qu'il [le cheval] se estime à deux cents salus d'or, dont il en oult assignacion; et toutes voies il fut renvoyé au seigneur de la Tremoulle pour le rendre à monseigneur de Senliz; et ne valait rien le dit cheval à chevaucher pour elle. Et si dit qu'elle ne le asta pas de l'évesque; et si dit aussi qu'elle n'était point contente, d'autre part, de le retenir, pour ce qu'elle ayt que l'evesque en était mal content que on avait pris son cheval et aussi pour ce qu'il en valait rien pour gens d'armes. Et en conclusian, s'il fut paié de l'assignacion qui lui fust faicte, ne sait, ne aussi s'il eust restitucion de son cheval, et pense que non.

Au tiers [point], de la tour de Beaurevoir, R. «Je le faisoye non pas en espérance de moy désespérer (suicider), mais en espérance de sauver mon corps, et de aler secourir plusieurs bonnes gens qui étaient en nécessité». Et après le sault s'en est confessée, et en a requis mercy Notre-Seigneur, en a pardon de Notre-Seigneur. Et croist que ce n'était pas bien fait de faire ce sault; mais fust mal fait, Item dit qu'elle sait qu'elle en a pardon par la relacion de saincte Katherine après qu'elle en fut confessée; et que, du conseil de saincte Katherine, elle s'en confessa.

Interrogée s'elle en ault grant pénitence, R. Qu'elle en porta une grant partie, du niai qu'elle se fist en chéant,

Interrogée se, ce mal fait qu'elle fist de saillir, s'elle


croist que ce fust péchié mortel, R. «Je n'en sçay rien, mais m'en actend à Notre-Seigneur.»

Au quart [point], elle porte habit d'homme, R. «Puis que je fais par le commandement de nastre Sire, et en son service, je ne cuide point mal faire; et quant il lui plaira à commander, il sera tantoust mis jus (je le déposerai).

Septième interrogatoire secret.


JEUDI 15 MARS 1431.

[Dans la prison, en présence de l'évêque.]

Après les monicions faictes à elle, et réquisicions que, s'elle a fait quelque chose qui soit contre notre foi,. qu'elle s'en doit rapporter à la determinacion de l'Église, R. Que ces responses soient veues et examinées par les clercs; et puisque on lui die s'il a quelque chose qui sait contre la foi chrétienne, elle sçara bien à dire par son conseil qu'il en sera, et puis en dira ce que en aura trouvé par son conseil. Et toutes voies, s'il y a rien de mal contre la foi chrétienne que notre Sire [Dieu] a commandée, elle ne vouldroit [le] soutenir, et serait bien courroucée d'aler encontre,

Item lui fut déclairé l'Église triomphant et l'Église militant, que c'était de l'un [et] de l'autre. Item requist que de présent elle se meist en la déterminacion de l'Église de ce qu'elle a fait ou dit, soit bien ou mal, R. «Je ne vous en respondray autre chose pour le présent.»

La dite Jehanne fut requise et Interrogée sous serment,, et d'abord qu'elle dit la manière comme elle cuida

.


eschaper du chastel de Beaulieu, entre deux pièces de boys, R. Qu'elle ne fut jamais prisonnière en lieu qu'elle ne se eschappast voulentiers; et elle étant en ce chastel, eust canfermé (enfermé) ses gardes dedans la tour, n'eust été le portier qui la advisa et la rencontra.

Item dit, ad ce que il lui semble, qu'il ne plaisait pas àDieu qu'elle eschappast, pour celle fois, et qu'il falloit qu'elle veist le ray des Angloys, comme ses voix lui avaient dit, et comme dessus [est] escript.

Interrogée s'elle a congié de Dieu ou de ses voix de partir de prison toutes les fois qu'il plaira à elle, R. «Je l'ay demandé plusieurs fois, mais je ne l'ay pas encore.»

Interrogée si de présent elle partirait, s'elle véoit son point de partir, R. S'elle véoit l'uis ouvert, elle s'en irait, et se lui serait le congié de Notre-Seigneur. Et croist fermement, s'elle véoitl'uys ouvert, et ses gardes et les autres Angloys n'y sceussent résister, elle entendrait que ce serait le congié, et que Notre Seigneur lui envoyeroit secours; mais sans congié ne s'en irait pas, se ce n'était s'elle faisait une entreprise pour s'en aler, pour sçavoir si notre Sire (Dieu) en serait content. Elle allègue: «Aide-toy, Dieu te aidera», et le dit pour ce que, selle s'en aloit, que on ne deist pas qu'elle s'en fust allée sans congié.

Interrogée, puis qu'elle demande à oïr messe, que il semble que ce serait le plus honneste qu'elle fust en habit de femme; et pour ce fut interroguée lequel elle aymeroit [mieux], prendre habit d'homme et non oyr messe, R. Certiffiés-moy de oïr messe, si je suys en habit de femme; et sur ce je vous respondray.

A quoi lui fut dit par l'interrogant: «Et je vous cer-


tiffie que vous arrez (entendrez) messe, mais [à conditioni que sayés en habit de femme». R. «Et que dictes-vous, se je ay juré et promis à nastre roy non maictre jus cest habit. Toutes voies je vous respond: Faictes-moy une robe langue jusques à terre, sans queue, et me la baillez à aller à la messe, et puis au retour, je repandroy l'habit que j'ay».

Et interroguée de prendre du tout l'habit de femme pour aler ouyr messe, respond: «Je me conseilleray sur ce, e puis vous respondray». Et oultre requist, en l'honneur de Dieu et Notre-Dame, qu'elle puisse ouyr messe en ceste bonne ville.

Et ad ce lui fut dit qu'elle prenge habit de femme simplement et absolument. Et elle répond: «Baillez-moy habit comme une fille de bourgoys, c'est assavoir houppelande longue, et je le prendray, et même le chaperon de femme pour aler auyr messe». Et aussi le plus instamment qu'elle peust, requiert que on lui lesse cet habit qu'elle porte et que on la laisse ouyr messe sans le changier.

Interrogée si de ce qu'elle a dit et faict, elle veult [se] submeictre et supporter en la déterminacion de l'Eglise, respond: «Toutes mes oeuvres et mes fais sont tous en la main de Dieu, et m'en actend à lui, et vous certifie que je ne vouldroie rien faire ou dire contre la foi chrétienne; et se je avaye rien fait ou dit qui fust sur le corps de moy, que les clers sceussent dire que ce fust contre la foi chrétienne que notre Sire ait establie, je ne [le] vouldroie soutenir, mais le bouteroye hors (je le désavouerais).

Interrogée s'elle s'en vouldroit point submectre ou (à) l'ordonnance de l'Eglise, R. «Je ne vous en respandray


maintenant autre chose; mais samedi envoyésmay le clerc, se n'y voulés venir, et je lui respandray de ce à l'aide de Dieu, et sera mis en escript».

Interrogée se, quant ses voix viennent, s'elle leur fait révérence absoluement comme à un sainct ou saincte, R. Que ouil. Et s'elle ne l'a fait aucunes fois, leur en a crié mercy et pardon depuis. Et ne leur sait faire si grande révérence comme à elles appartient; car elle croist fermement que ce soient saincte Katherine et Marguerite. Et semblablement dit de saint Michel.

Interrogée pour ce que ès saincts de paradis on fait volontiers oblacion de chandelles, etc., se à ces saincts ou sainctes qui viennent à elle, elle a point fait oblacion de chandelles ardans ou d'autres choses, à l'église ou ailleurs, ou fait dire des messes, R. Que non, se ce n'est en offrant à la messe en la main du presbtre, et en l'onneur de saincte Katherine; et croist que c'est l'une de celles qui se apparust à elle; et n'en a point tant alumé comme elle ferait volontiers à saincte Katherine et Marguerite qui sont au paradis, qu'elle croist fermement que ce sont celles qui viennent à elle.

Interrogée si quant elle meictre ces chandelles devant l'ymaige de saincte Katherine, elle les meict, ces chandelles, en l'honneur de celle qui se apparut à elle, R. «Je le fais en l'onneur de Dieu, de Notre-Dame et de saincte Katherine, qui est au ciel; et ne fais point de différence de saincte Katherine qui est au ciel et decelle qui se apport (apparaît) à moy.»

Interrogée s'eIle le meict en l'onneur de celle qui se apparut à elle, R. Que ouil, car elle ne meict point de différence entre celle qui se apparut à elle et celle qui est au ciel.


Interrogée s'elle fait et accomplist toujours ce que ses voix lui commandent, R. Que de tout son devoir elle accomplit le commandement de Notre-Seigneur à elle fait par ses voix, de ce qu'elle en sait entendre; et ne lui commandent rien, sans le bon plaisir de NostreSeigneur.

Interrogée si en fait de la guerre elle a rien [fait], sans le congié de ses voix, R, «Vous en estes tous respondus [vous en avez la réponse]. Et usés bien votre livre (le procès) et vous le trouverés». Et toutes voies dit que à la requeste des gens d'armes fut fait une vaillance d'armes devant Paris, et aussi nia devant La Charité à la requeste de son roy; et ne fut contre ne par le commandement de ses voix.

Interrogée si elle fist jamais aucunes choses contre leur commandement et volonté, R. Que ce qu'elle a peu et su faire, elle l'a fait et accomply à son pavoir; et quant est du sault du don[j]on de Beaurevoir, qu'elle fist contre leur commandement, elle ne s'en peust tenir; et quant elles veirent sa nécessité, et qu'elle ne s'en scavoit et pavait tenir, elles lui secourirent sa vie et la gardèrent de se tuer. Et dit oultre que, quelque chose qu'elle prist oneques en ses grans affaires, elles l'ont toujours secourue; et ce est signe que ce soient bans esprits.

Interrogée s'elle a point d'autre signe que ce soient bons esprits, R. «Saint Michel le me certifia avant que les voix me venissent».

Interrogée comme elle congneust que c'était saint Michiel, R. «Par le parler et le langage des anges n; et le croist fermement que l'étaient anges

Interrogée comme elle congneust que c'était langaige d'anges, R. Que elle le creust assés tôt, et en .ceste volenté de le croire. Et dit en oultre que saint Michiel, quand il vint à elle, lui dit que sainctes Kathenue et Marguerite vendroient (viendraient) à elle, et qu'elle fit par leur conseil, et étaient ordonnées pour la conduire et conseiller en ce qu'elle avait à faire; et qu'elle le creust de ce qu'elles lui diraient, et que c'était par le commandement de Notre-Seigneur.

Interrogée de l'Annemy (le diable) se mectoit en fourme ou signe d'ange, camme[nt] elle cougnoistroit que ce fust bon angle ou mauvais ange, R. Qu'elle congnoistroit bien se ce serait saint Michel, ou une chose contrefaicte comme lui (d'après lui).

Item respant que à la première fais elle fist grant doubte se c'était saint Michiel, et à la première fois oult grand paour; et si le vist maintes fois, avant qu'elle sceut que ce fust saint Michiel.

Interrogée pourquoi elle congneust plus tost que c'était saint Michiel à la fois que elle creust que c'estoitil, que à la fois première, R. Que à la première fois elle était jeune enfant, et oult paour de ce; depuis lui enseigna et monstra tant, qu'elle creust fermement que c'était-il,

Interrogée quelle doctrine, il lui enseigna, R. «Sur toutes choses il lui disait qu'elle fust bonne enfant, et que Dieu lui aiderait; et entre les autres choses qu'elle venist au secours du roy de France. Et une plus grande partie de ce que l'ange lui enseigna est en ce livre (proces); et lui raconta l'ange la pitié qui était en royaume de France.»

Interrogée de la grandeur et stature de celluy ange

, dit que samedi elle en respondra avec l'autre chose dont elle doit respondre, c'est assavoir ce qu'il en plaira à Dieu. Interrogée s'elle croist point grant péchié de courroucer saincte Katherine et saincte Marguerite qui se apparent (apparaissent) à elle, et de faire (agir) contre leur commandement: dit que ouil, qui le sait [avoir fait doit s'] amender et que le plus qu'elle les courrouçast jamais, à son advis, ce fut du sault de Beaurevair et dont elle leur a crié mercy, et [aussi] des autres offenses qu'elle peust avoir faictes envers elle[s].

Interrogée si saincte Katherine et saincte Marguerite prendraient vengence corporelle pour l'offence, R. Qu'elle ne sait et qu'elle ne leur a point demandé.

Interrogée, pour ce qu'elle a dit que, pour dire vérité, aucunes fois l'an est pendu; et pour ce, s'elle [se] sait en elle quelque crime ou faulte, pour quoi elle peust au deust mourir, s'elle le confesserait, R. Que non.

Huitième interrogatoire secret.


SAMEDI 17 MARS.

[Dans la prison.]

Interrogée sous serment de donner response en quelle fourme et espèce, grandeur et habit, vient saint Michiel, R. «Il était en la fourme d'un très vray preudomme»; et de l'habit et d'autres choses, elle n'en dira plus autre chose. Quant aux anges, elle les a veus de ses yeux, et n'en aura-t-on plus autre chose d'elle.

Item dit qu'elle croist aussi fermement les ditz et les fais de saint Michiel, qui s'est apparu à elle, comme elle


croist que Notre-Seigneur Jeshu-Crist souffrit mort et passion pour nous, et ce qui la meust à le croire, c'est le bon conseil, confort et bonne doctrine qu'il lui a fais et donnés.

Interrogée s'elle se veult [sou]maictre de tous ses diz et fais, soit de bien ou mal, à la déterminacion de notre mère saincte Eglise, R. Que quant à l'Eglise, et l'aime et la vouidroit soustenir de tout son povoir pour notre foi chrétienne, et n'est pas elle que on doive destourber ou empescher d'aler à l'église ne de ouyr messe. Quant aux bonnes oeuvres qu'elle a faictes et de son advènement, il faut qu'elle s'en actende au Roy du ciel, qui l'a envoyée à Charles, filz de Charles, roy de France, qui sera roy de France; «et verrés que les Françays gaigneront bien tast une grande besoigne que Dieu envoyeroit aux Français; et tant que il branlera presque tout le royaume de France». Et dit qu'elle le dit afin que, quant ce sera advenu, que on ait mémoire qu'elle l'a dit.

Et requise de dire le terme, dit: «Je m'en actend à Notre-Seigneur».

Interrogée de dire s'elle se rapportera à la déterminacion de l'Eglise, R. «Je m'en rapporte à Notre-Seigneur, qui m'a envayée, à Notre-Dame et à tous les benoits saincts et sainctes du paradis n. Et lui est advis que c'est tout un de Notre-Seigneur et de l'Eglise, et que on n'en doit point faire de difficulté, en demandant pour quoi on fait difficulté que ce ne sait tout un.

Adonc lui fut dit que il y a l'Eglise triomphant, où est Dieu, les saincts, les anges et les âmes saulvées. L'Eglise militant, c'est notre saint Père le Pape, vicaire de Dieu en terre, les cardinaulx, les prélas de l'Eglise et clergiè, et tous bons chrestiens et catholiques; laquelle


Eglise bien assemblée ne peut errer, et est gouvernée du saint Esprit. Et pour ce, Interrogée s'elle se veult raporter à l'Eglise militant, c'est assavoir c'est celle qui est ainsi déclairée, R. Qu'elle est venue au roy de France de par Dieu, de par la vierge Marie et tous les benoitz

sains et sainctes du paradis, et l'Eglise victorieuse de là hault, et de leur commandement; et à celle Eglise là elle submeict tous ses bons fais, et tout ce qu'elle a fait au à faire. Et de respondre s'elle se submeictra à l'Eglise militant, dit qu'elle n'en respondra maintenant autre chose.

Interrogée qu'elle dit à cel habit de femme que on lui offre, affin qu'elle puisse nier oyr messe, R. Quant à l'habit de femme, elle ne le prendra pas encore, tant qu'il plaira à Notre Seigneur. Et se ainsi est qu'il la faille mener jusques en jugement, qu'il la faille desvestir

en jugement, elle requiert aux seigneurs de l'Eglise, qu'ils lui donnent la grâce de avoir une chemise de femme et un queuvrechief en sa tête; qu'elle ayme mieux mourir que de révoquer ce que Notre Seigneur lui a fait faire, et qu'elle croist ferméement que Notre Seigneur ne laira (laissera) à advenir de la meictre si bas, par chose, qu'elle n'ait secours bien tost de Dieu et par miracle.

Interrogée, pour ce qu'elle dit qu'elle porte habit d'omme par le commandement de Dieu, pourquoi elle demande chemise de femme en article de mort, R. Il lui suffist qu'elle soit langue.

Interrogée si sa marraine qui a vu les fées, s'elle est réputée saige femme 1, R. Qu'elle est tenue et ré-

1. Femme instruite.


putée bonne prude femme, non pas devine ou sorcière.

Interrogée, pour ce qu'elle a dit qu'elle prendrait habit de femme, mais que on la laissast aler, se ce plairait à Dieu, R. Se on lui donnait congié en habit de femme, elle se meictrait tantoust en habit d'omme, et ferait ce qui lui est commandé par Notre Seigneur; et l'a autresfois ainsi respondu, et ne ferait pour rien le sèrement qu'elle ne se armast et meist en habit d'omme, pour faire le plaisir de Notre-Seigneur.

Interrogée de l'aage et des vestemens de sainctes Katerine et Marguerite, R. «Vous estes respondus de ce que vous en aurez de moi; et n'en airés [aurez) autre chose; et vous en ay respondu tout au plus certain que je sçay n.

Interrogée s'elle croit point au devant de aujourd'huy que les fées feussent mauvais esprits, R. Qu'elle n'en savait rien.

Interrogée s'elle sait point que sainctes Katherine et Marguerite haient les Angloys: respond: «Elles ayment ce que Notre-Seigneur ayme, et haient ce que Dieu hait.»

Interrogée si Dieu hait les Angloys, R. Que de l'amour ou haine que Dieu a aux Angloys. ou que Dieu leur feit à leurs ames, ne sait rien; mais sait bien que ils seront boutez hors de France, excepté ceux qui y mourront; et que Dieu envoyera victoire aux Français, et contre les Angloys.

Interrogée si Dieu était pour les Angloys, quand ils étaient en prospérité en France, R. Qu'elle ne sait se Dieu hayèt (haïssait) les Français; mais croist qu'il voulait permectre de les laisser batre pourleurs péchiez, s'ils y étaient.


Interrogée quel garand et quel secours elle se actend avoir de Notre Seigneur, de ce qu'elle porte habit d'homme, R. Que, tant de l'habit que d'autres choses qu'elle a fais, elle n'en a voulu avoir autre loyer, sinon la salvacian de son ame.

Interroguéc queiz armes elle offrit à saint Denis, R. Que [elle offrit] un blanc humas entier à un homme d'armes, avec une espée; et la guigna devant Paris.

Interrogée à quelle fin elle les offrit, R. Que ce fut par devocion, ainsi que il est accoustumé par les gens d'armes quant ils sont bléciés: et pour ce qu'elle avait esté bléciée devant Paris, les offrit a saint Denis, pour ce que c'est le cry de France.

Interrogée si c'était pour ce que on les armast (qu'on s'en armât), R. Que non.

Interrogée de quoi servoient ces cinq croix qui étaient en l'espée qu'elle trouva à Saincte-Katherine de Fier-boys, R. Qu'elle n'en sait rien.

Interrogée qui la meust de faire paindre anges, avecque bras, piés, jambes, vestemens, respond: «Vous y estes respondus».

Interrogée s'elle les a fait paindre tielz qu'ils viennent à elle, R. Que elle les a fait paindre tiels en la manière qu'ils sont pains ès églises.

Interrogée si jamais elle les vit en la manière que ils furent pains, R. «Je ne vous en diray autre chose».

Interrogée pourquoi elle n'y fist paindre la clarté qui venoit à elle avec les anges [anges] ou les voix, R. Que il en lui fust point commandé.


Neuvième interrogatoire secret.


SAMEDI 17 MARS 1431, APRÈS-MIDI.

[Dans la prison].

Interrogée si les deux anges qui étaient pains en son étendard représentaient sainct Michel et saint Gabriel, R, Qu'ils n'y étaient fors seullement pour l'amour de Notre-Seigneur, qui était painct en l'étendard; et dit qu'elle ne fist faire celle représentacion des deux anges, fors seullement pour l'onneur de Notre-Seigneur, qui y était figuré tenant le mande.

Interrogée si ces deux anges qui étaient figurés en l'étendard étaient les deux anges qui gardent le monde, et pourquoi il n'y en avait plus [pas davantage], vu qu'il lui était commandé par Notre Seigneur, par la voix des sainctes Katherine et Marguerite, qui lui dirent: «Pren étendard de par le Roy du ciel», elle y fist faire celle figure de Notre Seigneur et de deux anges[anges], et de couleur, et tout le fist par leur commandement»

Interrogée si alors elle leur demanda se en vertu de celluy étendard elle gaigneroit toutes les batailles où elle se bouterait, et qu'elle aurait victoire, R. Qu'ils lui dirent qu'elle le prinst hardiement, et que Dieu lui aiderait.

Interrogée qui aidait plus, elle à l'étendard, ou l'étendard à elle, R. Que de la victoire de l'étendard ou d'elle, c'était tout à Notre Seigneur.

Interrogée de l'espérance d'avoir victoire était fou-


dée en son étendard ou d'elle, R. «Il était fondé en Notre-Seigneur et non ailleurs».

Interrogée si un autre l'eust porté qu'elle se il eust eu aussi bonne fortune comme elle de le porter, R. «Je n'en sçay rien, je m'en actends à Notre-Seigneur.»

Interrogée si un des gens de son party lui eust baillé son étendard à porter; s'elle l'eust porté, s'elle y eust eu aussi bonne espérance comme en celluy d'elle, qui lui était disposé de par Dieu; et mesmement ceiuy de son roy, R. «Je partage plus voulentiers celluy qui m'était ordonné de par Notre-Seigneur; et toutes voies du tout je m'en actendoye à Notre Seigneur».

Interrogée de quoi servait le signe qu'elle mectoit en ses lectres, Jhesus, Maria, R. Que les clercs escripvans ses lectres lui mectoient; et disaient les aucuns qui (qu'il) lui appartenait mectre ces deux mots Ihesus; Maria.

Interrogée si il lui a point esté révélé, s'elle perdoit sa virginité, qu'elle perdait son car (fortune), et que ses voix ne lui v[i]endroient plus, R. «Cela ne m'a point esté révélé «.

Interrogée, s'elle était mariée, s'elle croist point que ses voix lui venissent, R. «Je ne sçay; et m'en actend à Nastre Seigneur n.

Interrogée s'elle pense et croist ferméement que son roy fit bien de tuer ou faire tuer monseigneur de Boum-gangue, R. Que ce fust grand dommaige pour le royaume de France; et quelque chose qu'il y eust entr'eux, Dieu l'a envoyée au secours du roy de France.

Interrogée, pour ce qu'elle a dit à monseigneur de Beauvez qu'elle respondroit autant à monseigneur et à ses commis, comme elle ferait devant notre saint père


le Pape, et toutesfois il y a plusieurs interrogatoires à quoi elle ne veult respondre, se elle respondoit point plus pleinement qu'elle ne fait devant monseigneur de Beauvez, R. Qu'elle a respondu tout le plus vray qu'elle a su; et s'elle sçavait aucune chose qui lui venist à mémoire qu'elle n'ait dit, elle [le] dirait voulentiers.

Interrogée de l'ange qui apporta le signe à son roy, de quel aaige, grandeur et vestement...

Interrogée si il lui semble qu'elle soit tenue respandre plainement vérité au Pape, vicaire de Dieu, de tout ce que on lui demanderait touchant la foi et le fait de sa conscience, R. Qu'elle requiert qu'elle soit menée devant lui; et puis respondra devant lui tout ce qu'elle devra respondre.

Interrogée si l'un de ses agneaulx (anneaux) où il était escript Jhesus Maria, de quelle matière il était, R. Elle ne sait proprement: et s'il est d'or, il n'est pas de fin or; et si ne sait se c'était or ou lectons (laiton)

et pense qu'il y avait trois croix et non autre signe qu'elle saiche, excepté Jhesus Maria.

Interrogée pourquoi c'était qu'elle regardoit voulentiers cet anel, quant elle aloit en fait de guerre, R. Que par plaisance et par l'onneur de son père et de sa mère; et elle, ayant son anel en sa main et en son doy, a touché à saincte Katherine qui lui appareist.

Interrogée en quelle partie de cette saincte Katherine, R. «Vous n'en aurés autre chose.»

Interrogée s'elle baisa ou accola jamais sainctes Katherine et Marguerite, R. Elle les a accolez toutes deux.

Interrogée si ils fleuraient bon, R. «Il est bon à savoir (certainement) et sentaient bon.»


Interrogée se, en accolant, elle y sentoit point de chaleur ou autre chose, R. Qu'elle ne les pavait point accoler sans les sentir et toucher.

Interrogée par quelle partie elle les accoloit, au par hault, au par bas, R. Il affiert (convient) mieux à les accoler par le bas que par le hault.

Interrogée s'elle leur a paint donné de chappeaulx (couronnes de fleurs), R. Que en l'onneur d'elles, à leurs ymaiges au remembrance, ès églises, n'en a point baillé dont elle ait mémoire.

Interrogée quant elle mectoit chappeaulx en l'arbre, s'elle les meictait en l'onneur de celles qui iny appairaient, R. Que non.

Interrogée si quant ces sainctes venaient à elle, «elle leur faisait point révérence, comme de se agenouillier et incliner, R. Que ouil, et le plus qu'elle pavait leur faire de révérence, elle leur faisait; que elle sait que ce sont qui sont celles, en royaume de paradis.

Interrogée s'elle sait rien de ceux qui vont à l'eure avec les fées, R. Qu'elle n'en fist jamais, on sceust quelque chose, mais a bien entendu parler, et que on y aloit le jeudi, mais n'y crois point, et croist que ce soit sorcerie.

Interrogée si on fist point flatter au tournier son étendard au tour de la tête de son ray, R. Que non qu'elle saiche.

Interrogée pourquoi il fut plus porté en l'église de Raims, au sacre, que ceux des autres capitaines, R. «Il avait esté à la paine, c'était bien raison qu'il fût à l'onneur!»



Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de Pierre Daron, procureur.