Le procès de Jeanne d'Arc - QUARANTE-SEPTIÈME SÉANCE
MERCREDI 2 MAI 1431.
En présence de l'évêque et de soixante-trois témoins, il est procédé à l'admonition publique de Jeanne par l'archidiacre d'Evreux, J. de Châtillon.
Jeanne introduite, nous l'avons avertie d'être attentive et avons prié l'archidiacre de commencer. Ce qu'il a fait en remontrant d'abord à ladite Jeanne que tout chrétien est tenu de se soumettre à l'Eglise et à son autorité.
«Requise si elle veut se corriger et s'amender conformément à la délibération des clercs, respand: «Luisez (lisez) vostre livre», c'est assavoir la cédule que tenait, ledit monseigneur l'arcediacre, «et puis je vous respandroy: «Je me actend à Dieu, mon Créateur, de tout; je l'aime de tout mon coeur.»
«Et Interrogée s'elle veuit plus respondre à celle monicion générale, R. «Je m'en actend à mon juge: c'est le Roy du ciel et de la terre».
Après cette admonition générale, ledit archidiacre adressa divers avis spéciaux à la prévenue, conformément au mémorial ou programme ci-après:
En premier lieu, il lui fut rappelé qu'autrefois elle avait dit que si on trouvait quelque erreur dans ses faits et dits, elle était prête à s'amender. Ce qui était une bonne et pieuse pensée. Or l'examen des clercs a mis en lumière dans ses réponses bien des points défectueux. Ne pas se soumettre à leur correction, ce serait de la part de Jeanne se mettre en grand péril de Corps et d'âme.
R. Qu'autant elle a répondu autrefois sur ce sujet, autant elle en répond maintenant.
Item lui fut déciairé [ce] que c'est que l'Eglise militante, etc. Et admonestée de croire et tenir l'article Unam sanctam Ecclesiam, etc., et à l'Eglise militante se submeictre (soumettre), R. «Je croy bien l'Eglise d'icy bas; mais de mes fais et dis, ainsi que autrefois j'ay dit, je me actend [et] rapporte à Dieu.
Item dit: «Je cray bien que l'Eglise militant ne peut errer ou faiblir; mais quant à mes dis et mes fais, je les meicts et rapporte du tout à Dieu, qui me a fait faire ce que je ay fait «.
item dit qu'elle se submect à Dieu, son Créateur, qui [le] lui a fait faire; et s'en reporte à huy, à sa propre personne.
Item interroguée s'elle veult dire qu'elle n'ait point de juge en terre et se notre saint père le Pape est point son juge, R. «Je ne vous en diray autre chose. J'ai bon maistre, c'est assa Voir Notre-Seigneur, à qui je me actend de tout, et non à autre».
Item lui fut dit que, s'elle ne voulait croire l'Eglïse et l'article Ecclesiam sanctam catholicam, qu'elle serait hérétique de le soustenir, et serait pugnie d'être arse par la sentence d'autres juges, R. «Je ne vous en diray autre chose, et se je véoye le feu, si diroye je tout ce que je vous dy, et n'en feroye autre chose».
Interrogée si le conseil (concile) général, comme notre saint Père, les cardinaulx, etc., étaient cy, s'elle .s'i vouidroit rapporter et submeictre, respond: «Vous n'en tirerés autre chose.»
Interrogée s'elle se veult subnieictre à notre saint père le Pape, R. «Menés m'y, et je lui respondray.» Et autrement n'en a voulu respondre.
Item, de l'habit, etc. R. de ce habit, qu'elle vouloit bien prendre longue robe et chaperon de femme, pour aler à l'église et recepvoir son Saulveur, ainsi que autrefois elle a respondu, pourvu que, tantoust après ce, elle le meist jus, et reprinst cestuy que elle porte.
Item, du seurplus qui lui fut exposé de avoir pris habit d'ammé, et sans nécessité, et en espécial qu'elle est en prison, etc., R. «Quand je auray fait ce pourquoi je suis envoyée de par Dieu, je prendray habit de femme.»
Interrogée s'elle croist qu'elle face bien de prendre habit d'omme, R. «Je m'en actend à Notre-Seigneur»
Item, à l'exhortacion que on lui faisait, c'est assavoir, que en ce qu'elle disoit qu'elle faisait bien, et qu'elle ne .peichoit point en portant ledit habit, avec les circonstances touchant le fait de prandre et porter le dit habit, et en ce qu'elle disait que Dieu et les saincts [le] lui faisoient faire, elle les blasphémoit, comme plus à plain est contenu en cette cédule, elle errait et faisait mal, R. Qu'elle ne blasphème point Dieu ne ses saints.
Item amonnestée de se désister de porter l'habit, et de croire qu'elle face bien de le porter, et de reprandre habit de femme, R. Qu'elle n'en fera autre chose.
Interrogée se, toutes fois que saincte Katherine et Marguerite viennent, s'elle se signe, R. Que aucunes fois elle fait signe de la croix, à l'autre fois, non.
Item des révélations: R. Que de ce, elle s'en raporte à son juge, c'est assavoir Dieu; et dit que ses révélacions sont de Dieu sans autre moyen.
Interrogée si du signe baillé à son ray, elle se veult rapporter à l'arcevesque de Rains, au sire deBoussac, Charles de Bourbon, La Tremoulle et La Hire, aus
quieulz ou aucun d'eulz elle autresfois a dit avoir monstré ceste couronne, et qu'ils étaient présens, quant l'ange apporta ladite couronne.., et la bailla audit arcevesque; ou s'elle se veult rapporter aux autres de son party, lesquieulz escriprent soubz leurs seaulz qu'il en est, R. «Baillez un messagier, et je leur escripray de tout ce procès». Et autrement ne s'i est voulu croire ne rapporter à eux.
Item sur la témérité de sa croyance au sujet des choses futures, etc., R. «Je m'en rapporte à mon juge, c'est assavoir Dieu, et ad ce que autresfois j'ay respondu, qui est au1ivre» (au procès).
Item interroguée se on Iuy envoye deuix, ou trois, au quatre des chevaliers de son party, qui viennent par sauf conduit cy, s'elle s'en veut rapporter à eux de ses apparitions et choses Contenues en cest procès, R. Que on les face venir, et puis elle respondra. Et autrement ne s'i est voulu raporterne submeictre de cest procès.
Interrogée si à l'Eglise de Poictiers, où elle a esté examinée, elle se veult raporter et submeictre, R. «Me cuidez-vous prandre parceste manière, et par cela attirer à vous?
Item, en conclusion, d'abondant et de nouvel, fut admaonnestée généralement de se submeictre à l'Eglise, et sur paine d'être laissée par l'Eglise; et se l'Eglise la laissoit, elle serait en grand péril du corps et de l'âme et se pourrait bien meictre en péril de encourir paines du feu éternel, quant à l'âme, et du feu temporel, quant au corps. et par la sentence des autres juges, R. «Vous ne ferés jà ce que vous dictes contre moy, que il ne vous en pregne mal au corps et à l'âme.»
Interrogée qu'el[le] di[s]e une cause pourquoi elle ne se rapporte à l'Eglise à quoi elle ne voult faire autre reponce.»
[Les clercs se retirent, Jeanne est reconduite en prison.]
Jeanne avait dix-neuf ans environ,elle était ignorante1, mais très intelligente On lui fit subir des interrogatoires trop difficiles, subtiles et cauteleux à tel point que les grands clercs et gens bien lettres qui étaient la presents n'y eussent donné réponse qu'à grand'peine.
Maintes fois elle répondait patiemment sur des points ou elle etait profondément ignorante, ainsi qu'on peut le voir au procès que le greffier Manchon a rédigé avec impartialité.
Parmi tant de choses qui se dirent au procès, je remarquai les réponses de Jeanne touchant le royaume et la guerre. Elle semblait alors inspirée par l'Esprit-Saint. Mais quand elle parlait de sa personne, elle accommodait certaines choses. Toutefois je ne crois pas ce qu'elle dit la dût faire condamner pour hérésie.
L'interrogatoire durait parfois pendant trois heures le matin, et on tenait une deuxième séance l'après-midi. Aussi ai-je entendu souvent Jeanne se plaindre de ce ce qu'on lui faisait trop de questions.
1. Dans sa déposition Fr. Martin Lacivenu dit: «Pauvre fille, assez simple, très ignorante, qui à grand'peine savait Pater noster et Ave Maria!»
Selon moi les juges respectaient tellement quellement les formes du droit. Mais dans la déduction du procès comme dans la sentence, ils procédèrent par malignité de vengeance plus que par zèle de justice.
L'ignorance de Jeanne touchant l'Eglise fut, je crois, la cause qui la retenait de s'y soumettre, Pendant une grande partie du procès, quand on la questionnait sur sa soumission à l'Eglise, Jeanne entendait par là, la réunion des juges et assesseurs là présents. Mais enfin Pierre Morice l'endoctrina sur l'Eglise. Dès qu'elle le sut, elle fit toujours acte de soumission envers le pape, ne demandant qu'à être conduite vers lui.
Un jour en ma présence, on sollicitait Jeanne de se soumettre à l'Eglise. Elle répondit qu'elle se soumettrait volontiers au Saint-Père, requérant d'être menée à lui, mais qu'elle ne voulait pas se soumettre à ceux qui étaient là, en particulier à l'évêque de Beauvais, parce qu'ils étaient ses ennemis capitaux. Je pris la parole pour lui conseiller de se soumettre au concile général de Bâle en ce moment réuni. Jeanne me demanda ce qu'était un concile général. Je lui répondis que c'était une congrégation de toute l'Eglise, et que là il y avait autant de prélats et de docteurs de son parti que de l'autre. Alors Jeanne se mit à dire: «Oh! puisqu'en ce lieu sont aucuns de notre parti, je veux bien me rendre et soumettre au concile de Bâle.» Aussitôt me reprenant avec grand dépit et irritation, l'évêque de Beauvais s'écria: «Taisez-vous de par le diable.» Pour lors, le greffier, messire Guillaume Manchon, demanda à l'évêque s'il devait enregistrer cette soumission de Jeanne au concile de Bâle. L'évêque lui dit que non, que ce n'était pas nécessaire; qu'il se gardât
bien de l'écrire. Sur quoi Jeanne dit à l'évêque: «Ha! vous écrivez bien ce qui fait contre moi, et vous ne voulez pas écrire ce qui fait pour moi.» Je crois en effet que la déclaration de Jeanne ne fut pas enregistrée et il s'ensuivit dans l'assemblée un grand murmure.
A cause de cela et d'autre chose, les Anglais et leurs officiers me menacèrent horriblement, disant que si je ne me taisais, ils me jetteraient à la Seine. Je fus particulièrement menacé par le comte de Warwick.
MERCREDI 9 MAI 1431.
[A Rouen, dans la grosse tour du château.]
Jeanne a été requise et admonestée de dire la vérité sur plusieurs points qui lui furent rappelés et remontrés sur lesquels points elle avait nié ou déguisé la vérité. Il lui a été dit que si elle n'avouait pas la vérité, elle serait mise à la torture, dont les instruments sont prêts et présents.
Voyant l'endurcissement de la prévenue et son mode de répondre et craignant que l'application de la torture fût peu efficace, nous y avons sursis pour le moment iusqu'à ce que nous en eussions délibéré.
«Après les requisitions et monitions à elle faites par les juges et assesseurs, R. Vraiment, se vous me deviez faire détruire les membres et faire partir l'âme du corps, si, ne vous dirai-je autre chose; et se aucune chose vous en disoy-je, après si diroye-je toujours que vous me le auriés fait dire par force.»
Item dit que, à la Sainte-Croix [fête du 3 mai], oult le confort de saint Gabriel; «Et croiez que ce fust sainct Gabriel»; et l'a su par ses voix que c'était saint Gabriel,
Item dit qu'elle [a] demandé conseil à ses voix s'elle se submectroit à l'Eglise, pour ce que les gens d'église la pressaient fort de se submectre à l'Eglise, et ils lui ont dit que, s'elle veult que Nastre-Seigneur lui aide, qu'elle s'actende à lui de tous ses fais.
Item dit qu'elle sait bien que Notre-Seigneur a esté toujours maistre de ses fais, et que l'ennemy [le dinble] n'avait jamais eu puissancesurces fais. Item, dit qu'elle a demandé à ses voix qu'elle sera arse (brûlée) et que lesdictes voix lui ont respondu que elle se actende à notre Sire, et il lui aidera.
Item du signe de la couronne qu'elle dit avoir baillé à l'arcevesque de Rains, Interrogée s'elle veuit rapporter à lui respond: «faictes-le y[ci] venir, et que je l'oye parler, et puis je vous respon[d]ray; ne il ne oserait dire le contraire de ce que je vous en ay dit.»
SAMEDI 12 MAI 1431.
Le samedi suivant, dans notre maison d'habitation àRouen, furent présents par devant nous, juges, les assesseurs ci-dessous dénommés.
Après avoir rappelé ce qui s'est passé mercredi dernier, nous avons mis en délibération si Jeanne serait appliquée à la torture.
Il en a été délibéré comme suit:
Me Raoul Roussel, trésorier de l'Église de Rouen, a dit que non, de peur qu'un procès si bien fait pût être calomnié.
Me Nicolas de Venderès et A. Marguerie, chanoine de Ronen, non pour le moment.
Me P. Erard, non; il y a assez ample matière contre elle pour qu'on n'ait pas besoin de la torture.
R. Barbier, D. Gastinel: non.
Aubert Mord, Th. de Courcelles: oui.
N. Couppequesne, I. Ledoux, Is. de la Pierre; non, mais qu'elle sait exhortée de se soumettre à l'Eglise.
N. Loyseleur: Il me semble que pour le remède de son âme, il serait bon de mettre ladite Jeanne à la torture. Toutefois s'en rapporte à l'avis des préopinants. Me G. Hecton, qui survint: non.
Me Jean Lemaître dit qu'il faut demander de nouveau à la prévenue si elle veut se soumettre à l'Eglise militante. Attendu ces votes, nous avons conclu qu'il n'était pas nécessaire ni expédient de l'appliquer à la torture, et qu'il serait passé outre.
SAMEDI 19 MAI 1431.
[Dans la chapelle du palais archiépiscopal de Rouen, l'évêque et le vice-inquisiteur, juges, assistés de cinquante docteurs et maîtres.]
Le 19 avril, Me Jean Beaupère, Jacques de Touraine
et Nicolas Midi quittaient Rouen afin d'aller soumettre les douze articles qu'on a lus plus haut à leurs collègues de l'Université de Paris. Celle-ci fut Convoquée le 29 avril, et il fut décidé que la décision à prendre serait confiée à la Faculté de théologie et à la Faculté des décrets, lesquelles, leur travail achevé, le soumettraient au corps entier de l'Université. Ce qui fut fait le 14 mai, toutes Facultés réunles.
I. Quant au 1er article,.., attendu la fin, le mode, l'a matière desdites révélations, la qualité de la personne, le lieu et autres circonstances, que ces révélations sont des mensonges feints, séducteurs et pernicieux, ou que les apparitions et révélations susdites sont superstitieuses et procèdent des esprits malins et diaboliques: Belial, Satan et Behemmoth.
II. Ce que contient le 2e ne lui paraît pas vrai, mais mensonger, présomptueux, séductif, pernicieux, feint et dérogatif pour la dignité des anges.
III. Les signes ne sont pas suffisants. Ladite femme croit légèrement et affirme témérairement. De plus, dans la comparaison qu'elle fait elle mécroit et erre en la foi.
IV. Superstition, assertion divinatoire et présomptueuse, accompagnée d'une vaine jactance.
V. Blasphème envers Dieu; mépris de Dieu dans ses
1. «Soumis par ladite Faculté au jugement de notre saint-père le pape et au saint concile général», dit le texte. Il ne fut donné aucune suite à cette réserve.
sacrements; prévarication de la loi divine, de la doctrine sacrée, des sanctions ecclésiastiques; mécréance, erreur en la foi, vaine jactance. La prévenue est en outre suspecte d'idolâtrie et d'exécration d'elle et de ses vêtements, pour parler la langue des anciens gentils.
VI. La prévenue est traîtresse, dolosive, cruelle, ayant soif de l'effusion du sang humain, séditieuse, provoquant à la tyrannie, blasphématrice de Dieu en ses mandements et révélations.
VII. Elle est impie envers ses parents, méconnaît le précepte d'honorer ses père et mère; scandaleuse, blasphémeuse envers Dieu, erre en la foi, s'engage en promesse téméraire et présomptueuse.
VIII. Pusillanimité tournant au désespoir et au suicide, assertion présomptueuse et téméraire; quant à la rémission de sa faute, faux sentiment du libre arbitre.
IX. Assertion présomptueuse et téméraire, mensonge pernicieux, contradictoire au précédent article; mal senti en la foi.
X. Assertion présomptueuse et téméraire, divination superstitieuse, blasphèmes envers saintes Catherine et Marguerite. Transgresse le commandement d'aimer son prochain.
XI. Idolâtre, invocatrice des démons; erre en la foi; affirmation téméraire; serment illicite.
XII. Schismatique, mal pensante de l'unité et autorité de l'Eglise, apastate et opiniâtrée jusqu'ici dans l'erreur.
I. Elle est schismatique, le schisme étant la séparation illicite, par inobédience, de l'unité de l'Eglise, etc.
II. Elle erre en la foi contre Unam sanctam. Et, dit saint Jérôme, quiconque y contredit n'est pas seulement mal avisé, malveillant et non catholique, mais hérétique.
III. Apostate; car sa chevelure, que Dieu lui a donnée pour voile, elle l'a fait couper mal à propos, et de même, laissant habit de femme, elle s'est vêtue en homme.
IV. Menteuse et devineresse se disant envoyée de Dieu, se vantant de parler avec les anges et les saints. V. Par présomption de droit, cette femme erre en la foi: 1. étant anathème par les canons de l'autorité et demeurant longuement en cet état; 2. parce qu'elle dit aimer mieux ne pas recevoircorpus Christi, etc., plutôt que de reprendre habit de femme. Elle est aussi véhémentement suspecte d'hérésie, et doit être diligemment examinée sur les articles de foi.
VI. Elle erre en ce qu'elle dit être sûre d'aller en paradis, etc.., Si donc ladite femme, charitablement admonestée, n'abjure publiquement au gré du juge et ne donne pas satisfaction convenable, elle doit être abandonnée au bras séculier, pour la juste punition de son crime.
Lecture de ces pièces étant donnée, les docteurs et maîtres présents à l'assemblée délibèrent sur la cause.
MERCREDI 23 MAI 1431.
[Dans une chambre du château de Rouen, voisine de la prison de Jeanne. L'évêque Cauchon et le vice-inqui-
siteur de la foi siégeant en leur tribunal; les évêques de Thérouenne et de Nayon, maîtres J. de Châtillon, J. Beaupère, N. Midi, G. Erard, F. Maurice, A. Marguerie, N. de Venderès, et J. d'Estivet, promoteur.]
Maître Pierre Maurice lisant une cédule, fait à l'accusée un exposé de ses manquements. Il reproduit en douze griefs la substance des douze articles déjà connus avec un résumé de la délibération de l'Université de Paris.
Jeanne a ensuite été admonestée en français, ainsi qu'il suit:
«Jeanne, ma chère amie, il est temps maintenant, pour la fin de votre procès, de bien peser ce qui a été dit. Déjà quatre fois, tant par monseigneur de Beauvais que par les docteurs commis à cet effet, vous avez été avertie et admonestée soit publiquement, soit à part, et vous l'êtes de nouveau pour l'honneur et révérence de Dieu, pour la foi et la loi de Jésus-Christ, pour le rassérénement des consciences, pour l'apaisement du scandale causé, pour votre salut de l'âme et du corps. On vous a également démontré le dommage que vous avez encouru pour votre âme et votre corps, à moins que vous ne corrigiez et amendiez vos faits et vos dits en les soumettant à l'Eglise et en acceptant son jugement; ce à quoi jusqu'ici vous n'avez pas voulu entendre.
Déjà plus d'un, parmi vos juges, aurait pu se contenter des éléments acquis à la cause. Cependant par zèle pour le salut de votre âme et de votre corps, ils ont transmis l'examen de cette matière à l'Université de Paris, qui est la lumière des sciences et l'extirpatrice des hérésies. Après avoir reçu les délibérations de cette compagnie, vos juges ont commandé que vous seriez avertie de nouveau de vos erreurs, scandales et défauts, vous priant,
exhortant et avertissant, par les entrailles de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, pour la rédemption du genre humain, a voulu souffrir une mort si cruelle, de corriger vos faits et de les soumettre à l'Eglise, comme tout ban chrétien doit le faire. Ne permettez pas que vous soyez séparée de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vous a créée pour participer à sa gloire. N'élisez pas volontairement la voie de damnation éternelle avec les ennemis de Dieu, qui chaque jour s'efforcent d'inquiéter les hommes, en prenant le masque du Christ, des anges et saints, soi-disant tels, comme il est à plein contenu dans les vies des Pères et les Ecritures.
Conséquemment, si de telles visions vous sont apparues, n'y attachez pas votre créance. Repoussez au contraire de telles imaginations, acquiescez à l'avis des docteurs de l'Université de Paris, et autres, qui connaissent la loi de Dieu et la sainte Ecriture. Ils vous représentent que l'on ne doit pas croire à de telles apparitions, ni à aucune nouveauté insolite et prohibée, à moins de prophétie et de miracle.
Or ni l'un ni l'autre n'appuie votre présomption. Vous y avez cru légèrement, au lieu de recourir à la prière et à la dévotion, pour vous en assurer. Vous n'avez pas invoqué non plus de prélat ou autre docteur ecclésiastique qui pût vous instruire: ce que néanmoins vous auriez dû faire, attendu votre état intellectuel et votre simplicité.
Prenons un exemple: si votre roi, de son autorité, vous avait donné à garder quelque forteresse, en vous défendant d'y recevoir aucun survenant; quelqu'un, je suppose, se présente en disant qu'il vient de par le roi: eh bien! s'il ne vous offrait en même temps des lettres ou
autres signes certains, vous ne devriez pas le croire et le recevoir. De même, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ montant au ciel, commit à l'apôtre saint Pierre et à ses successeurs le gouvernement de son Eglise, il leur défendit pour l'avenir d'accepter qui que ce fût se présentant en son nom, à moins qu'ils n'en justifiassent autrement que par leurs propres assertions. Donc, tenez pour certain que vous ne deviez pas croire à ceux que vous dites s'être ainsi présentés à vous; et nous, nous ne devons pas vous croire, puisque le Seigneur nous commande le contraire.
1. Jeanne, vous devez considérer ceci: lorsque vous étiez sur les domaines de votre roi, si un chevalier ou autre natif ou sujet, de son obéissance, s'était insurgé en disant: Je n'obéirai pas au roi, ni ne me soumettrai à ses officiers; ne l'auriez-vous pas jugé condamnable? Quel jugement porterez-vous donc de vous-même, enfantée par le sacrement de baptême en la foi du Christ, devenue fille de l'Eglise et l'épouse de Jésus-Christ, si vous n'obéissez aux officiers du Christ, c'est-à-dire aux prélats de l'Eglise? Quel jugement donnerez-vous de vous-même? Désistez-vous, je vous prie, de vos assertions, si vous aimez Dieu, votre créateur, votre précieux époux et votre salut. Obéissez à l'Eglise en acceptant son jugement. Sachez que si vous ne le faites, si vous persévérez dans cette erreur, votre âme sera damnée au supplice et aux tourments éternels; et, pour votre corps, je doute beaucoup qu'il vienne à perdition.
Ne vous laissez pas retenir par le faux respect humain, par in vergogne inutile, qui peut-être vous dominent, à raison des grands honneurs que vous avez eus et que vous aurez perdus en agissant comme je vous dis.
Préférez à cela l'honneur de Dieu et votre salut, tant de l'âme que du corps. Vous perdrez l'un et l'autre si vous ne faites pas ce que je vous dis, car vous vous réparez àinsi de l'Eglise et de la foi que vous avez promise au saint baptême. Vous enlevez à l'Eglise l'autorité de Dieu, qui cependant la guide, la conduit et gouverne de son autorité et de son esprit. Il a dit aux prélats de l'Eglise «Qui vous écoute, m'écoute; qui vous méprise, me méprise». Donc, en ne voulant pas vous soumettre à l'Eglise. de fait vous vous retirez, vous refusez de vous. soumettre à Dieu, vous errez contre l'article Unam sanctam; et, quant à ce qu'est l'Eglise ou son autorité, on vous l'a précédemment déclaré dans les précédentes. admonitions.
Donc, au nom de mes seigneurs de Beauvais et le vicaire de l'Inquisistion, vas juges, je vous avertis, priep exhorte, afin que, par la piété que vous portez à la Passion de votre Créateur, par l'amour que vous portez à votre salut spirituel et corporel, vous corrigiez et amendiez les susdites erreurs; que vous retourniez à la voie de vérité en obéissant à l'Eglise, en vous soumettant aux jugements et déterminations sus-énoncés. En agissant ainsi, vous sauverez votre âme; vous rachèterez, je pense, votre corps de la mort. Mais si vous ne le faites pas, si vous persévérez, sachez que votre âme sera vouée à la damnation, et votre corps, je le crains,. à la destruction. Que Jésus-Christ daigne vous préserver.» Sur le premier et sur les autres articles; sur les qualifications exposées solennellement à ladite Jeanne par maître P. Maurice, sur les admonitions et requêtes charitables faites à ladite Jeanne, celle-ci répond: «Quant à
mes fais et mes diz que j'ay diz au procès, je m'y raporte et les veulx soustenir.»
Item interroguée s'elle cuide et croist qu'elle ne soit point tenue submeictre ses diz et fais à l'Eglise militant ou à autres que Dieu, R. «La manière que j'ay tous-jours dicte et tenue en procès, je la vueil maintenant quand ad ce». Item dit que, s'elle était en jugèment, et véoit le feu alumé, et les bourreaux alumer, et le bourreau prest de bouter le feu, et elle était dedans le feu, si n'en dyroit-elle autre chose, et soustendroit ce qu'elle a dit en procès jusqu'à la mort.
Nous avons ensuite demandé au promoteur et à l'accusée s'ils voulaient ajouter quelque chose. Sur leur réponse négative, nous avons procédé à la conclusion de la cause, selon la teneur d'une cédule que nous, évêque, tenions en nos mains, dont la teneur suit
Nous, juges compétents, nous déclarant et agissant comme tels sur votre renonciation et vous ayant pour renoncé nous concluons en la cause. La cause conclue,. nous vous assignons au jour de demain pour entendre par nous faire droit et prononcer la sentence comme aussi pour faire et procéder ultérieurement ainsi qu'il sera de droit et de raison.
[La séance est levée.]
...La veille de la prédication qui eut lieu à Saint-Ouen, je fus témoin d'une exhortation adressée à Jeanne. Mais les détails ne m'en sont pas restés. Le lendemain j'assistai à la prédication faite à Saint-Ouen par maître Guillaume Erard. Il y avait là deux estrades au écha-
fauds. Sur un échafaud était l'évêque de Beauvais, plusieurs autres et mai. Sur le second échafaud se tenaient le prédicateur Guillaume et Jeanne. Les paroles dites par le prédicateur je ne me les rappelle pas, mais je me rappelle bien que ce jour-là ou la veille, Jeanne dit que, si dans ses propos ou ses actes il y avait quelque mal, bien au mal cela procédait d'elle et que son roi ne lui avait rien fait faire.
La prédication finie, je m'aperçus qu'on donnait un ordre à Jeanne. J'imagine qu'il s'agissait de l'abjuration. On lui disait: «Jeanne, faites ce qu'on vous conseille. Voulez-vous vous faire mourir?» Ces paroles vraisemblablement la touchèrent. Elle abjura.
Après l'abjuration farce gens disaient: «C'est une pure boufferie. Jeanne n'a fait que se moquer.»
Dans le nombre un Anglais, homme d'église et docteur, qui appartenait à la maison du cardinal d'Angleterre, apostropha ainsi l'évêque de Beauvais: «Vous procédez dans cette matière avec trop grande complaisance et vous vous montrez favorables à Jeanne. - Vous mentez, répondit l'évêque. - Taisez-vous, docteur», cria le cardinal.
Ainsi que je l'ai dit, plusieurs assistants disaient qu'ils ne faisaient pas cas de cette abjuration et qu'elle n'était qu'une plaisanterie. Il me semble en effet que Jeanne ne prenait guère son abjuration au sérieux ni n'en tenait grand compte. A mon avis, tout ce qu'elle en fit, elle le fit vaincue par les prières des assistants.
Ce qui est sûr, c'est que le procès était fait aux frais des Anglais 1; de plus, je sais fort bien que tous ceux qui assistèrent nu procès n'avaient pas leur pleine liberté. Personne n'osait rien dire de peur d'être noté. Ainsi, une fois on demandait à Jeanne si elle était en état de grâce. Je fis remarquer que c'était là une très grosse question, et que Jeanne n'était pas tenue d'y répondre. Aussi l'évêque me cria: «Vous, vous auriez mieux fait de vous taire.»
...Jeanne fut-elle visitée? Je l'ignore. Mais un jour, comme on lui demandait pourquoi on l'appelait la Pucelle et si elle l'était d'effet, elle répondit: «Je puis bien dire que je suis telle; et, si vous ne le croyez, faites-moi visiter par des femmes.» Et elle se montrait prête à subir tout examen, pourvu qu'il fût fait par des femmes comme c'est la coutume.
On adressait à Jeanne beaucoup de questions embarrassantes, dont pourtant elle ne se tirait pas mal. Il arrivait que les interrogateurs interrompaient la suite de leurs demandes et passaient d'un sujet à un autre, pour voir si elle ne se contredirait pas. Parfois même ils tournaient leurs questions en telle manière qu'il était à peine passible à Jeanne de répondre. L'homme le plus sage du monde aurait difficilement trouvé de quoi dire. Les
1. Jean de Mailly termine sa déposition ainsi «Une chose qui est à ma connaissance c'est que l'évêque de Beauvais qui dirigeait le procès ne le dirigeait point à ses frais, mais aux frais du roi d'Angleterre. Les dépenses qu'il faisait, les Anglais les payaient.
interrogatoires se prolongeaient deux ou trois heures. Les docteurs eux-mêmes sortaient de là très fatigués.
Un jour, durant le procès, comme Jeanne était interrogée sur ses apparitions et qu'on lui lisait un article de ses réponses, il me sembla que l'article avait été inexactement consigné, et que Jeanne n'avait pas répondu ainsi. «Faites attention, Jeannette , lui dis-je, -Relisez cela», dit-elle alors au greffier. La lecture faite, Jeanne fit observer au greffier qu'elle avait dit tout le contraire, et que le procès-verbal n'était pas exact. Le texte de la réponse fut corrigé et maître Guillaume Manchon dit à Jeanne d'être attentive pour tout le reste.
J'étais là quand maître Nicolas Midi prononça son sermon sur la place du Vieux-Marché. Un détail dont je me souviens, c'est qu'après le sermon Jeanne adressa une prière à tous les prêtres présents, demandant que chacun d'eux dît une messe pour elle. Sa fin fut une fin bien chrétienne. Elle trépassa en jetant ce cri: «Jésus, Jésus.» Elle pleurait tant et faisait de si pieuses lamentations que je ne crois pas qu'il soit un homme de coeur assez dur pour voir un pareil spectacle sans être ému jusqu'aux larmes. L'évêque de Thérouenne et tous les docteurs qui étaient là pleuraient, tellement ils étaient pris de compassion.
...Selon ma créance et comme j'ai pu en juger par les effets, les Anglais poursuivaient Jeanne d'une haine capitale; ils l'abhorraient; ils avaient soif de sa mort par tous moyens; et cela, parce qu'elle avait été au secours de notre sire très chrétien, le roi de France. J'ai ouï un che-
valier d'Angleterre me dire que les Anglais la craignaient plus que cent hommes d'armes. On disait qu'elle avait un sort. A la pènsée de ses victoires on entrait en épouvante 1...
Jeanne dans ma créance avait alors vingt ans. Dans sa simplicité elle se figurait que les Anglais devaient lui rendre sa liberté contre rançon; elle ne pouvait croire qu'ils voulussent la faire mourir. Ils la mirent en prison séculière et la tinrent bien enchaînée. Personne ne lui parlait. Elle avait pour gardiens des Anglais qui ne la laissaient pas approcher. D'après ce qu'on disait, elle était durement traitée et avait les fers aux pieds et aux mains, mais je ne lai pas vu...
Voici un fait que je connais par ouï dire. Un homme vint la trouver de nuit en tenue de captif; se fit passer auprès d'elle pour un prisonnier du parti de notre sire le roi de France et lui persuada de persister dans ses déclarations, ajoutant que les Anglais n'oseraient lui faire aucun mal. D'après ce que m'a rapporté le greffier Guillaume Manchon, ce prétendu prisonnier était Nicolas Loyseleur...
A mon avis, personne n'aurait osé prendre sur soi de conseiller Jeanne ou de la défendre. Il y avait deux catégories de gens parmi ceux qui participèrent au jugement:
d'une part, ceux qui ne se sentaient pas tout à fait libres; de l'autre, ceux qui ne faisaient que suivre les volontés.
A coup sûr, attendu la haine que les Anglais avaient
1. Rymer, Foedera, a publié plusieurs documents qui renseignent sur cet état d'esprit, en particulier un édit du 3 mai 1430 De proclarnationibus contra capitaineos et soldarios tergiversantes incantationibus Puellae terrificatos. - 23 décembre 1430 De fugitivis ab exercitu quos terriculamenta Puellae exanimaverant arrestandis.
conçue contre Jeanne, on a toute raison de dire que le procès fut injuste ainsi que la sentence. Selon moi, le but du procès était de diffamer le roi de France.
Je reviens au fait de l'abjuration que Jeanne prononça. La formule était écrite d'avance. C'était long à peu près comme Notre Père...
Plusieurs de ceux qui avaient assisté au procès étaient fort irrités. Ils trouvaient excès de rigueur et d'injustice dans le traitement infligé à Jeanne. «Mal jugé»,telle, était la voix commune.
Le procès de Jeanne d'Arc - QUARANTE-SEPTIÈME SÉANCE