Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de frère Pierre Migiet, prieur de Lorigueville.
JEUDI 24 MAI.
Au cimetière Saint-Ouen, maître Guillaume Erard, après avoir fort blâmé Jeanne, cria encore: «Ha! France! tu es bien abusée, toi qui as été la maison très chrétienne, Charles, qui se dit roi et de toi gouverneur, s'est attaché comme hérétique et schismatique aux paroles et faits d'une femme malfaisante, diffamée et pleine de tout déshonneur; et non pas lui seul, mais le clergé de son obédience et seigneurie, par lequel elle a été examinée et non reprise, comme elle a dit.» ledit Erard répéta deux ou trois fais ces propos sur le roi. Puis, levant le doigt, il dit à Jeanne: «C'est à toi, Jeanne, que je parle, et je te dis que tan roi est hérétique et schismatique.» A quoi elle répondit: «Par ma foi, messire, révérence gardée, je vous ose bien dire et jurer sur peine de ma vie que c'est le plus noble chrétien de tous les chrétiens et qui mieux aime la foi et l'Eglise, et n'est point tel que vous dites.» Lors le prêcheur me dit: «Fais-la taire.»
Erard, à la fin de sa prédication, lut une cédule contenant les articles, il l'invitait à abjurer et à révoquer. Jeanne répondit qu'elle n'entendait pas ce que cela voulait dire et que là-dessus elle avait besoin de conseil. Erard me passa la cédule pour la lire à Jeanne. Je la lus.
Je me souviens qu'il y était dit que Jeanne ne porterait plus les armes, ni l'habit d'homme, ni les cheveux taillés en rond, sans compter d'autres points dont je ne me souviens pas. Cette cédule, je puis l'affirmer ,ne contenait que sept lignes, huit tout au plus. Je sais positivement que ce n'était pas la même qui est mentionnée au procès; la formule que j'ai lue et que Jeanne a signée était différente de celle qui a été insérée au procès.
Comme on pressait Jeanne de signer la cédule, il. s'éleva un grand tumulte dans l'assemblée. J'entendis l'évêque crier: «Vous me le payerez». Il ajouta: «Je viens d'être insulté. Je ne procéderai pas plus avant jusqu'à ce qu'il m'ait été fait amende honorable.»
Pendant ce temps j'avertissais Jeanne du péril qui la menaçait, au sujet de la signature de cette cédule; je voyais bien qu'elle ne comprenait ni la cédule, ni le danger imminent pour elle. Jeanne demandant conseil, Erard m'avait dit: «Conseillez-la pour cette abjuration». D'abord, je m'étais excusé; puis je dis à Jeanne: «Comprenez bien que si vous allez à l'encontre d'aucun des articles, vous serez brûlée. Je vous conseille de vous en rapporter à l'Eglise universelle si vous devez abjurer ces articles ou non.» Guillaume Erard me dit: «Eh bien! que lui dites-vous?» Je fais connaître à Jeanne le texte de la cédule et je l'invite à signer; mais elle déclare qu'elle ne saurait signer.» A ce moment Jeanne dit à haute voix:
«Je veux que l'Eglise délibère sur ces articles. Je m'en rapporte à l'Eglise universelle si je les dois abjurer ou non. Que la cédule soit lue par l'Eglise et par les clercs aux mains desquels je dois être placée. Si leur avis est que je doive la signer et faire ce qui m'est dit, je le ferai volontiers.» Maître Erard répartit: «Fais-le maintenant;
sinon tu seras brûlée aujourd'hui même,» et il me défendit de conférer davantage avec Jeanne. Celle-ci dit alors qu'elle aimait mieux signer que brûler. Au même instant un grand tumulte s'éleva parmi le populaire. Il y eut plusieurs pierres jetées, par je ne sais qui. De fait, avant de quitter la place, Jeanne abjura les articles. Elle fit une croix, avec une plume que je lui donnai 1.
Au départ j'avisai Jeanne qu'elle requît d'être menée aux prisons d'Eglise, et qu'elle y avait droit puisque c'est l'Eglise qui la condamnait. Même chose fut requise auprès de l'évêque de Beauvais, par quelques-uns des assistants dont j'ai oublié les noms. Mais l'évêque répondit: «Menez-la au château d'où elle est venue.» Et ainsi fut fait.
Ce même jour, après dîner, devant le conseil de l'Eglise, Jeanne déposa l'habit d'homme et prit l'habit de femme, ainsi qu'il lui était ordonné. C'était le jeudi ou le vendredi de la Pentecôte. L'habit d'homme fut mis dans un sac dans la chambre même où Jeanne était détenue prisonnière. Elle demeura sous la garde de cinq Anglais. La nuit, il en restait trais dans la chambre et deux dehors à la porte de la chambre., Jeanne, couchée, avait les jambes tenues par deux paires de fers et le corps enserré par la chaîne qui, traversant les pieds de son lit, tenait à une grosse pièce de bois et fermait à clef. En cet état elle ne pouvait changer de place.
1. Rapprochez les dépositions de Manchon, Boisguillaume, Taquel, Courcel, Jean de Mailly, Guillaume de la Chambre, Guillaume du Désert, Jean Monnet, Jean de Lenozoles, Aimond de Macy, Guesdon, Moreau, qui établissent l'existence d'une formule falsifiée de l'abjuration.
Lorsque le procès fut complètement instruit, des consultations furent demandées, la collation fut faite, et on décida que Jeanne serait prêchée. On la conduisit sur un échafaud. Je me souviens que dans la prédication qui fut faite, maître Jean Erard proféra, entre autres, les paroles suivantes: «Ha, noble maison de France qui as toujours été protectrice de la foi, as-tu été ainsi abusée, de t'attacher à une hérétique et schismatique! C'est grande pitié!»A quoi la Pucelle fit une réponse que je ne me rappelle pas, sauf qu'elle y faisait grand éloge de son rai, en disant que c'était le meilleur chrétien et le plus sage qui fût au monde. Sur ce, ledit Erard et monseigneur de Beauvais dirent impérieusement à l'huissier Massieu «Faites-la taire».
Deux sentences étaient préparées: l'une d'abjuration, l'autre de condamnation. L'évêque les avait toutes deux sur lui. Déjà il avait produit la sentence de condamnation et en donnait, lecture. Maître Nicolas Loyseleur continuait à presser Jeanne de faire ce qu'il lui avait dit et de prendre un, habit de femme, Il y eut un court temps. d'arrêt pendant lequel un Anglais qualifia l'évêque de traître. «Vous mentez», lui répondit l'évêque. À ce moment Jeanne se déclara prête à obéir à l'Eglise Aussitôt on lui fit prononcer l'abjuration dont on lui donna lecture. Je ne sais si elle répéta ce qui était lu, ou si elle se contenta, la lecture faite, de déclarer qu'elle disait de même. Ce que je sais, c'est qu'elle souriait. Le bourreau était là, avec sa charrette, attendant qu'on lui donnât Jeanne pour la brûler.
Je n'ai pas vu faire la cédule d'abjuration; mais elle avait été faite, une fois les opinions recueillies, avant qu'on se rendît à la place Saint-Ouen. Je ne me souviens pas qu'on eût lu ou expliqué à Jeanne la formule d'abjuration, si ce n'est au moment même où elle abjura.
Comme, en revenant du prêche de Saint-Ouen, après l'abjuration, Loyseleur dit à la Pucelle: «Jeanne, vous avez fait une bonne journée. S'il plaît à Dieu, vous avez sauve votre âme - Or çà, dit-elle, entre vous gens d'Eglise, menez-moi en vos prisons, et que je ne sois plus en la main de ces Anglais.» Sur quoi monseigneur de Beauvais: «Menez-la où vous l'avez prise.» En conséquence, Jeanne fut ramenée au château d'où elle était partie.
Au cours du procès on lui demanda pourquoi elle ne revêtait pas un habit de femme et ne reconnaissait pas qu'il y a indécence pour une personne de son sexe d'avoir une tunique d'homme ainsi que des chausses attachées avec force cordons étroitement serrés, Jeanne se plaignit à lui et au comte de Warwick. «Je n'oserais quitter ces chausses, dit-elle, ni les garder sans qu'elles fussent fortement attachées. Vous savez bien, l'un et l'autre, que mes gardes ont plusieurs fais tenté de me violer. Une fois même, comme je criais, vous, comte de
Warwick, vous êtes venu à mes cris pour me secourir; et si vous n'étiez venu, j'aurais été violée par mes gardes.»
Lors du sermon prêché par Guillaume Erard [au cimetière Saint-Ouen], je me trouvai dans l'assistance. Je ne me souviens pas cependant de ce qui fut dit dans le
sermon. Mais j'ai bonne souvenance de l'abjuration de Jeanne. Elle différa longtemps à la faire. Enfin, maître Guillaume Erard l'y détermina, en lui disant de faire ce qu'au lui conseillait et qu'elle sortirait de prison. Sans cette condition, non autrement, elle se décida, et lut ensuite certaine autre petite, cédule contenant six ou sept lignes sur une feuille de papier double. J'étais si près que je pouvais voir les lignes en leur nombre.
Au sujet de la cédule d'abjuration qui fut faite lors de la première sentence, je sais qu'elle fut lue en public. Par qui? Je l'ai oublié. Selon moi, Jeanne n'y comprenait rien; et il ne lui fut pas donné d'explication. Pendant un long espace de temps, elle refusa de signer cette cédule d'abjuration. Enfin, de force et par crainte, elle signa, en faisant une croix.
J'ai assisté à la prédication de Saint-Ouen. Je n'étais pas sur l'estrade avec les autres greffiers; mais j'étais assez près pour tout voir et tout entendre. J'avais les yeux sur Jeanne, je me le rappelle bien, quand la cédule d'abjuration lui fut lue. C'est messire Jean Massieu qui, la lut. Elle comprenait à peu près six lignes de grosse écriture. Jeanne répétait à mesure que Massieu lisait. Cette formule d'abjuration était en français et commençait par ces mats: Je Jeanne... Après l'abjuration, Jeanne fut condamnée à la prison perpétuelle et conduite au château.
J'ai assisté au prêche de Saint-Ouen; je me souviens d'avoir vu la cédule d'abjuration qui fut lue alors. A ce qu'il me semble, c'était une petite cédule de six ou sept lignes.
Jeanne fut conduite sur la place, devant Saint-Ouen. Elle dit qu'elle était contente de faire tout ce qu'on voudrait. Aussitôt un secrétaire du roi d'Angleterre, là présent, nommé Jean Calot, tira de sa manche une petite cédule tout écrite, qu'il lui présenta à signer. «Mais, répondit-elle, je ne sais ni lire ni écrire.» Ce nonobstant, le secrétaire Laurent Calot revint à Jeanne avec ladite cédule et une plume pour signer. Par manière de dérision, Jeanne fit une espèce de rond. Alors Laurent Calot prit la main de Jeanne qui tenait la plume et lui fit tracer un signe dont je n'ai pas souvenir.
..Avant que Jeanne fût menée à Saint-Ouen, j'eus congé d'entrer dès le matin dans la prison où elle était, et je l'avertis qu'elle serait tantôt conduite à l'échafaud pour être prêchée. «Si vous êtes bonne chrétienne, lui dis-je, vous direz là que vous soumettez tous vos faits et dits à notre sainte Mère l'Eglise et spécialement aux jugea ecclésiastiques. - Ainsi ferai-je,» me répondit-elle.
J'assistai à la prédication de Saint-Ouen. J'y vis et entendis l'abjuration de Jeanne, se soumettant à la détermination, au jugement et aux commandements de l'Eglise. Un docteur anglais fut mécontent que l'évêque acceptât cette abjuration de Jeanne, parce qu'elle en prononçait quelques mots en riant. Il dit â l'évêque: «Vous faites mal d'accepter une abjuration pareille. C'est une dérision.» L'évêque lui répondit avec humeur: «Vous mentez. Juge en cause de foi, je dois plutôt chercher son salut que sa mort.»
Après le prêche de Saint-Ouen, comme on ramenait Jeanne en prison au château de Rouen, les soldats l'insultaient et leurs chefs les laissaient faire. Les principaux d'entre les Anglais étaient en grande irritation contre l'évêque de Beauvais et les assesseurs, parce que Jeanne n'avait pas été trouvée coupable, condamnée et mise à mort. L'indignation fut telle qu'au moment où l'évêque et les docteurs revenaient du château, quelques Anglais, disant qu'ils avaient mal gagné l'argent du roi, levèrent leurs épées sur eux. Cependant ils ne les frappèrent pas.
J'ai ouï qu'après ce prêche le comte de Warwick se plaignit à l'évêque et aux docteurs: «Le roi est mal soutenu, dit-il, puisque Jeanne s'échappe.» A quoi l'un d'eux répondit: «Messire, n'ayez cure, nous la rattraperons bien.»
JEUDI 24 MAI 1431.
[Dans la préface de ce livre nous avons montré l'iniquité de la séance du cimetière de Saint-Ouen. Les preuves de l'imposture sont aujourd'hui évidentes; et l'abjuration, au sens où on l'entendait, n'a jamais été faite. Jeanne a témoigné de sa soumission, de sa déférence; elle n'a rien désavoué de son passé. La formule qu'elle a consenti à signer ne contredit en rien ses affirmations au procès. Elle n'a eu ni faiblesse, ni chute: ce point est indiscutable. Afin de permettre l'étude de cet épisode, nous donnons ici, non pas le récit véritable, mais le document falsifié du faux acte d'abjuration.]
ledit jour jeudi après la Pentecôte, au matin, nous juges, nous sommes transportés en lieu public dans le cimetière de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen, Jeanne étant présente devant nous sur un échafaud ou ambon. Là, nous avons d'abord fait prononcer une solennelle prédication par illustre maître Erard, docteur en sainte théologie, pour l'admonition salutaire de ladite Jeanne , et de tout le peuple assistant en grande multitude. Nous assistaient:
Révérendissime père en Jésus-Christ (de Beaufort) par la permission divine cardinal prêtre du titre de Saint-Eusèbe, de la sacro-sainte Eglise romaine, vulgairement appelé le cardinal d'Angleterre;
RR. PP. en Dieu les évêques de Thérouanne, Noyau, Norwich;
Messeigneurs les abbés de la Sainte-Trinité de Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges, de Bec-Hélouin, de Cormeilles, de Saint-Michel-au-péril-de-la-Mer, de Mortemer, de Préaux;
Les prieurs de Longueville-Giffard et de Saint-Lô de Rouen;
Maîtres J. de Châtillon, J. Beaupère, N. Midi, P. Houdenc, P. Maurice, J. Faucher, G. Haiton, N. Coppequesne, Th. de Courcelles, R, Sauvage, R. du Grouchet, P. Minier, J. Pigache, J. Duchemin, M. du Quesnoy, G. Boucher, J. Lefèvre, R. Roussel, J. Garin, N. de Venderès, J. Pinchon, J. Ledoux, R. Barbier, A. Marguerie, J. Alépée, Aubert-Morel, J. Colombel, D. Gatinel.
Le docteur susnommé a pris son thème au chap. XV de saint Jean: «Le palmier ne peut fructifier par lui-même s'il ne reste en la vigne». Il dit ensuite que tout catholique devait rester en la vraie vigne de notre sainte mère l'Eglise que la droite du Christ a plantée. Il a montré que ladite Jeanne s'était séparée de l'unité de cette même sainte mère l'Eglise, par beaucoup d'erreurs et de crimes graves: qu'elle avait ainsi maintes fois scandalisé le peuple chrétien admonestant Jeanne et tout le peuple.
Après la prédication, M. le prédicateur dit à Jeanne: «Veecy Messeigneurs les juges, qui plusieurs fois vous ont soumis et requise que voulsissiez submectre tous vous fais et dis à notre mère saincte Eglise: et que, en ses diz et fais, étaient plusieurs choses, lesquels, comme il semblait aux clercs, n'étaient bonnes à dire ou soustenir.»
A quoi elle respond: «Je vous respondray». Et à la submission de l'Eglise, dit: «Je leur ay dit en ce point de toutes les oeuvres que j'ay faictes, et les diz soient envoyés à Romme devers notre saint père le pape, duquel et à Dieu premier je me rapporte. Et quant aux dis et fais que j'ay fais, je les ay fais de par Dieu.»
Item dit que, de ses fais et dis, elle ne charge quelque personne, ni son roy, ni autre; et s'il y a quelque faulte, c'est à elle et non à autre.
Interrogée si les fais et dis qu'elle a fais, qui sont réprouvez, s'elle les veult révoquer, R. «Je m'en raporte à Dieu et à notre saint père le pape.»
Et pour ce, il lui dit que il ne suffisait pas, et que on ne pavait pas pour [cela] aler querir notre saint père si bing; aussi que les ordinaires estaient juges chacun en leur diocèse; et pour ce était besoing qu'elle se rapportast à notre mère saincte Eglise, et qu'elle tenist ce que les clercs et gens en ce se congnoissans en disaient et avaient déterminé de ses dix et fais, et de ce fut amonnestée jusques à la tierce monicion.
Et après ce, comme la sentence fut encommencée à lire, elle dit qu'elle vouloit tenir tout ce que les juges et l'Eglise vouldroient dire et sentencier, et obéir du tout à l'ordonnance et voulenté d'eux. Et alors, en la présence des dessusdits et grant multitude de gens qui là étaient, elle révoqua et fist son abjuracion en la manière qui en suit...
Et dit plusieurs fois que, puisque les gens d'Eglise disoient que ses apparicions et révélacions n'étaient point à soustenir ni à croire, elle ne voulait soutenir; mais du tout s'en rapportait aux juges et à notre mère saincte Eglise.
Et ensuite la sentence fut prononcée par MM. les juges comme il sera exprimé ci-après.
Toute personne qui a erré et mespris en la foi chrétienne, et depuis, par la grâce de Dieu, est retournée en lumière de vérité et à l'union de notre mère saincte Eglise, se doit moult bien garder que l'ennemi d'enfer ne le reboute et fasse recheoir en erreur et damnacion.
Pour ceste cause, je Jehanne, communément appelée la Pucelle, misérable pécheresse, après ce que j'ay cogneu les las (lacs) de erreur auquel je estoie tenue, et que, par la grâce de Dieu, sui retournée à notre mère saincte Eglise, affin que on voye que non pas fainctement, mais de bon cuer et de bonne volonté, sui retournée .à cette, je confesse que j'ay très griefment péchié, en faignant mençongeusement avoir eu révélacions et apparicions de par Dieu par les anges et saincte Katherine et saincte Marguerite; en séduisant les autres, en criant (croyant) facilement et légièrement, en faisant superstitieuses divinacions, en blasphémant Dieu, ses sains et ses sainctes; en trespassant la loy divine, la saincte Escripture, les droiz canons; en partant habit dissolu, difforme et déshonneste contre la décence de nature et cheveux rongnez en ront en guise de homme, contre toute honnesteté du sexe de femme; en portant aussi armeures par grant présompcian; en désirant crueusement effusion de sang humain; en disant que toutes ces choses j'ay fait par le commandement de Dieu, des angelz et des sainctes dessus dictes, et que en ces choses j'ay bien fait et n'ay point mespris en mesprisant Dieu et ses sacre-
ments; en faisant sédicions et ydolatrant, par aourer (adorer) mauvais esprits, est en invocant iceuix.
Confesse aussi que j'ay esté scismatique et que par pluseurs manières ay erré en la foi. Lesqueiz crimes et erreurs, de bon cuer et sans ficcion, je, de la grâce de Notre-Seigneur, retournée à voye de vérité, par la saincte doctrine et par le bon conseil de vous et des docteurs et maîtres que m'avez envoyez, abjure, déteste, regnie et de tout y renonce et m'en dépars.
Et sur toutes ces choses devant dictes, me soubmetz à la correccion, disposicion, amendement et totale déterminacion de notre mère saincte Eglise et de vostre bonne justice. Aussi je vous jure et prometz à monseigneur saint Pierre, prince des apostres, à notre saint père le pape de Romme, son vicaire et à ses successeurs, et à vous, mes seigneurs, révérend père en Dieu, monseigneur l'évesque de Beauvais, et religieuse personne frère Jehan le Maistre, vicaire de monseigneur l'Inquisiteur de la foi, comme à mes juges, que jamais, par quelque exhortement ou autre manière, ne retourneray aux erreurs devant diz, desquelz il a pieu à notre seigneur moy délivrer et ostel; mais à toujours demourer en l'union de notre mère saincte Eglise, et en l'obéissance de notre saint père le pape de Romme.
Et cecy je diz, afferme et jure par Dieu le Tout-Puissant, et par ces sains Evangiles. Et en signe de ce, j'ay signé ceste cédule de mon signe; ainsi signée: JEHANNE.
Au nom de Dieu, amen. Tous les pasteurs de l'Eglise qui veulent garder le troupeau du Seigneur doivent sur-
tout s'efforcer de résister, par une vigilance constante et la plus grande sollicitude, à déjouer les embûches de l'ennemi, semeur perfide, qui cherche à infecter de ses fraudes les ouailles de Dieu. Cela est surtout nécessaire dans ces temps périlleux où de faux prophètes sont annoncés par l'Ecriture comme devant venir au monde, introduisant avec eux des sectes de perdition et d'erreur. Ceux-ci pourraient en effet séduire les fidèles du Christ par des doctrines nouvelles et étrangères, si notre sainte mère l'Eglise, appuyée sur les canons des saines doctrines, ne mettait ses soins attentifs à repousser leurs interventions erronées. C'est pourquoi, par-devant nous, Pierre, etc., et Jean, etc., juges compétents, toi, Jeanne, dite la Pucelle, tu as été déférée et appelée en jugement doctrinal, à raison de divers crimes pernicieux. Nous donc, vu ton procès et spécialement tes réponses, vu la délibéracion des docteurs, tant de la faculté de théologie que de l'Université de Paris, vu la délibération de beaucoup d'autres clercs et docteurs étant à Rouen; après en avoir sincèrement délibéré avec des zélateurs pratiques de la foi chrétienne, considérant tout ce qui dans cette cause est à considérer, etc.
Nous, ayant devant les yeux le Christ et l'honneur de la foi orthodoxe, afin que notre jugement provienne du visage de Dieu, nous disons et prononçons que tu as très gravement manqué en feignant menteusement des révélations et apparitions divines; en séduisant autrui; en croyant avec légèreté et témérité, en divination superstitieuse; en blasphémant Dieu et les saints; en prévariquant contre la loi, la saincte Ecriture et les sanctions canoniques; en méprisant Dieu dans ses sacrements, suscitant des séditions, encourant le crime
de schisme et en errant contre la foi catholique. Cependant, attendu que, plusieurs fais admonestée et mise en demeure, enfin, le secours de Dieu aidant, revenant, nous le croyons, au giron de notre sainte mère l'Eglise, d'un coeur contrit, avec une foi non feinte, tu as ouvertement de ta bouche révoqué tes erreurs, repoussées ou dissipées par une prédication publique, et que tu les as abjurées, ainsi que toute hérésie, de vive voix par une déclaration publique, nous t'absolvons par les présentes, conformément aux sanctions canoniques, des liens de l'excommunication dont tu avais été liée. Si ton retour à l'Eglise est l'acte d'un coeur sincère et d'une foi non feinte, tu observeras fidèlement les injonctions qui t'ont été et qui te seront prescrites. Or donc, et attendu les délits téméraires que tu as commis, comme il a été dit, contre Dieu et la sainte Eglise, nous te condamnons finalement et définitivement, comme pénitence à expier pour ton salut, â la prison perpétuelle avec le pain de douleur et l'eau d'angoisse, afin que tu pleures tes péchés et que les ayant pleurés, tu ne les commettes plus à l'avenir, sauf notre grâce et mitigation.
JEUDI 24 MAI, APRÈS-MIDI.
A ladite heure (après-midi), nous frère Jean Lemaître, vicaire susdit, assisté de N. Midi, N. Loyseleur, Th. de Courcelles, Is. de la Pierre et plusieurs autres, nous sommes transportés dans la prison de Jeanne où elle
était. Il lui a été exposé par nous et d'autres, que Dieu, en ce jour, lui avait fait une grande grâce, et aussi les ecclésiastiques, en la recevant en grâce et miséricorde de notre sainte mère l'Eglise; que, par ces motifs, elle devait obéir humblement à la sentence et au commandement des juges et ecclésiastiques; quelle devait abandonner tout à fait ses anciennes erreurs et inventions, sans y plus revenir. Nous lui avons signifié que si elle y retombait, l'Eglise ne la recevrait plus, mais l'abandonnerait totalement. Ensuite il lui a été dit qu'elle quittât ses habits d'homme et prît ceux de femme, comme il lui avait été commandé par l'Eglise.
cette Jeanne a répondu qu'elle prendrait volontiers l'habit de femme et qu'elle obéissait ponctuellement aux ecclésiastiques. Ayant donc reçu l'habillement féminin qui lui était présenté, elle le revêtit en dépouillant sur le champ son costume d'homme. Elle se baissa en outre enlever et raser les cheveux qu'elle portait auparavant taillés au rond.
Le dimanche, qui était le jour de la Trinité, voici ce qui se passa. Jeanne me l'a dit à moi-même. Le jour se leva et Jeanne dit aux Anglais, ses gardes: «Déferrez-mai et je me lèverai.» Alors un de ces Anglais lui tira ses habits de femme qu'elle avait sur elle. On vida le sac où était l'habit d'homme; on jeta cet habit sur son lit, en lui disant: «Lève-toi», et on serra dans le sac les habits de femme. Jeanne se couvrit de l'habit d'homme qu'on lui avait donné. En même temps, elle disait: «Messieurs, vous savez que cela m'est défendu. Sans faute, je ne le
prendrai point». Mais ils refusèrent de lui rendre l'autre, si bien que le débat dura jusqu'à midi. A la fin, étant obligée de faire ses besoins, Jeanne fut contrainte de sortir dehors et de prendre cet habit; et, après qu'elle fut retournée, on ne lui en voulut pas donner d'autre, nonobstant quelque supplication ou requête qu'elle en fit.
C'est le mardi après la Trinité, avant le dîner, que Jeanne me raconta tout cela. Ce jour-là le promoteur l'avait quittée pour aller avec monseigneur de Warwick et j'étais demeuré seul avec elle. Incontinent je demandai à Jeanne pourquoi elle avait repris l'habit d'homme, et nie fit le récit qu'on vient de lire.
Le dit dimanche de la Trinité divers conseillers et gens d'église furent mandés au château, après dîner, pour constater que Jeanne avait repris l'habit d'homme. Je n'y fus pas avec eux, mais je les rencontrai auprès du château tout transis de peur. Ils disaient que les Anglais, avec haches et épées, les avaient bien furieusement pourchassés, les appelant traîtres avec d'autres injures.
Après que Jeanne eut été vue pendant tout ce jour de la Trinité, avec l'habit d'homme repris par elle, on remit à sa disposition pour le lendemain les vêtements de femme.
Cette reprise de l'habit d'homme fut cause de la condamnation et jugement de relaps: condamnation injuste d'après ce que j'ai vu et connu de Jeanne.
Lorsque, malgré sa renonciation, Jeanne eut repris l'habit d'homme, plusieurs autres et moi l'entendirent se justifier de ce fait, protestant publiquement que les
Anglais lui avaient fait en la prison beaucoup de tort et de violence quand elle portait les vêtements de femme. Je la vis éplorée, le visage plein de larmes et défigurée et changée, de telle sorte que j'en eus pitié et compassion.
On la déclara devant tous hérétique obstinée et relapse; elle dit très haut: «Si vous, messeigneurs de l'Eglise, m'eussiez conduite et gardée en vos prisons, par aventure il n'en eût pas été ainsi.»
Jeanne avait demandé à être conduite aux prisons de l'Eglise. On le lui refusa. Je tiens de sa propre bouche qu'elle se trouva en butte à une tentative de viol de la part d'un lord anglais. C'est pour ce motif et en vue de pouvoir résister plus efficacement, disait-elle, qu'elle avait repris l'habit d'homme. On avait eu d'ailleurs l'habileté de laisser son vêtement tout près d'elle dans sa prison.
Jeanne fut, sur le fait de l'habit, déclarée relapse. En sortant d'auprès d'elle, l'évêque de Beauvais disait aux Anglais qui attendaient dehors: «Farewell (adieu); faites bonne chère; c'est fait.» Moi-même je vis et entendis l'évêque quand il se réjouissait avec les Anglais et disait devant tout le monde au comte de Warwick et à d'autres: «Elle est pincée».
Le dimanche qui suivit l'abjuration et qui était la fête de la Trinité, nous maîtres-greffiers et d'autres gens devisant du procès, nous fûmes mandés par l'évêque et par le comte de Warwick pour nous rendre au château de Rouen. «Jeanne, nous disait-on, avait repris l'habit d'homme et était relapse». Nous allâmes au château; mais quand nous fûmes arrivés à la grande cour, en
l'absence de l'évêque, voilà que des Anglais en armes vinrent nous assaillir. Ils étaient au mains cinquante, peut-être quatre-vingts, peut-être même cent. Ils nous invectivaient, disant que nous tous, gens d'Eglise, étions faux, traîtres, armagnacs, mauvais conseillers, ayant gâté le procès. Leur colère venait, je pense, de ce que Jeanne n'avait pas été brûlée à la suite de la première prédication. C'est à grand'peine et avec grande frayeur que nous échappâmes et sortîmes du château. Pour ce jour-là nous ne fîmes rien.
Le lendemain, lundi, je fus derechef mandé au château par l'évêque et par le comte. Je répondis que je n'irais point si je n'avais entière sûreté, vu la peur que j'avais eue la veille. Et, en effet, je n'y fusse pas revenu, n'eût été l'envoi qui me fut fait d'un des gens de monseigneur de Warwick, qui me conduisit jusqu'à la prison, où je trouvai les deux juges et quelques autres avec eux, quoique en petit nombre.
L'abjuration faite, Jeanne revêtit en sa prison l'habit de femme. Mais, le vendredi ou samedi d'après, il fut rapporté aux juges qu'elle se repentait d'avoir laissé l'habit d'homme et pris l'habit de femme derechef. C'est pourquoi mon seigneur de Beauvais envoya maître Nicolas Midi et moi, dans l'espoir que nous parlerions à Jeanne pour l'admonester et l'induire à persévérer dans le bon propos qu'elle avait eu sur l'échafaud et à se garder d'une rechute. Mais nous ne pûmes trouver celui qui gardait le chef de la prison. Tandis que nous attendions le gardien,
quelques Anglais qui étaient dans la cour du château prononcèrent des paroles de menace à notre adresse. C'est Midi qui me les rapporta. Ils disaient: «Qui les jetterait tous deux dans la rivière, ce serait bien fait.» Sur ces propos, nous nous en retournâmes. Comme nous traversions le pont du château, ledit Midi ouït et me rapporta des propos pareils tenus par d'autres Anglais. Cela nous épouvanta, et nous nous en retournâmes sans parler à Jeanne.
LUNDI 28 MAI 1431.
Le lundi suivant 28 mai, en présence de R. P. en J.-C. et seigneur Monseigneur l'évêque de Beauvais, et de religieuse personne frère Jean Lemaître, vicaire..., s'assemblèrent mes seigneurs maîtres: N. de Venderès, G. Haiton, Th. de Courcelles, frère Is. de la Pierre, Furent aussi présents: Jacques Camus, Nicolas Bertin, Julien Fbosquet et J. Gris. Par-devant lesquels comparut ladite Jeanne. Or, comme celle-ci était vêtue et habillée en homme, à savoir de robe courte, chaperon, gippon, et autres vêtements masculins, vêtements que, par ordre de mes seigneurs, elle avait naguère quittés pour reprendre. habit de femme, nous l'avons interrogée pour savoir quand et pourquoi elle avait repris habit d'homme.
R. Qu'elle a nagaires reprins ledit habit d'omme, et lessié l'habit de femme.
Interrogée pourquoi elle l'avait pris, et qui lui avait fait prandre, R. Qu'elle l'a prias de sa vollenté, sans nulle contraincte, et qu'elle ayme mieux l'habit d'omme que de femme.
Item lui fut dit qu'elle avait promis et juré non rep
prandre ledit habit d'homme, R. Que jamais n'entendi qu'elle eust fait le serement de non le prendre.
Interrogée pour quelle cause elle l'avait reprins. R. Que, pour ce qu'il lui était plus licite de le reprendre et avoir habit d'omme, étant entre les hommes, que de avoir habit de femme. Item dit qu'elle l'avait reprins, pour ce que on ne lui avait point tenu ce qu'on lui avait promis, cest assavoir qu'elle irait à la messe et recevrait son Sauveur, et que on la mectroit hors des fers.
Interrogée s'elle avait abjuré et mesmement de celui habit non reprandre, R. Qu'elle ayme mieux à mourir que de être ès fers, mais se on la veult laisser aler à la messe et oster hors des fers et meictre en prison gracieuse, et qu'elle eust une femme, elle sera bonne et fera ce que l'Eglise vauldra.
Interrogée se, depuis jeudi, elle a point entendu ses voix, R. Que ouil.
Interrogée qu'elles lui ont dit, R. Qu'elles lui ont dit que Dieu lui a mandé par sainctes Katherine et Marguerite la grande pitié et trayson que elle consenty en faisant l'abjuracion et révocacion pour sauver sa vie; et que elle se dampnoit pour sauver sa vie.
Item dit que, au devant de jeudi, que ses voix lui avaient dit ce que elle ferait, qu'elle fist ce jour.
Dit oultre que ses voix lui disrent en l'escharfault que elle répondit à ce preseheur hardiement, et lequel prescheur elle appelait faulx prescheur, et qu'il avait dit plusieurs choses qu'elle n'avait pas foictes.
Item dit que, se elle disoit que Dieu ne l'avait envoyée, elle se dampneroit; que vray est que Dieu l'a envoyée.
Item dit que ses voix lui ont dit depuis, que avait fait
grande mauvestié de ce qu'elle avait fait, de confesser qu'elle n'eust bien fait.
Item, dit que de paour du feu, elle a dit ce qu'elle a dit.
Interrogée s'elle croist que ses voix soient saincte Marguerite et saincte Katherine, R. Que ouil et de Dieu.
Interrogée de la couronne, R. «De tout je vous en ay dit la vérité au procès, le mieux que j'ay su.»
Et quant ad ce qui lui fut dit que en l'escharfault avoir dit, mansongeusement elle s'était vantée que s'étaient sainctes Katherine et Marguerite, R. Qu'elle ne l'entendoit point ainsi faire ou dire.
Item dit qu'elle n'a point dit ou entendu révoquer ses apparicions, c'est assavoir que ce fussent sainctes Marguerite et Katherine; et tout ce qu'elle a fait, c'est de paour de feu, et n'a rien révoqué que ce ne soit contre la vérité.
Item dit qu'elle ayme mieux faire sa pénitance à une fois, c'est assavoir à mourir, que endurer plus longuement paine en chartre.
Item dit qu'elle ne fit jamais chose contre Dieu ou la foi, quelque chose que on lui ait fait révoquer; et que ce qui était en la cédule de l'abjuracion, elle ne l'entendait point.
Item dit qu'elle dit en l'eure [qu'elle était sur l'échafaud] qu'elle n'en entendoit point revoquer quelque chose, se ce n'était pourvu qu'il plust à notre Sire (Dieu).
Item dit que se les juges veullent, elle reprandra l'habit de femme; du résidu, elle n'en fera autre chose.
Le procès de Jeanne d'Arc - Déposition de frère Pierre Migiet, prieur de Lorigueville.