1992 Communionis notio



CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI


LETTRE AUX EVEQUES DE L'EGLISE CATHOLIQUE

SUR CERTAINS ASPECTS

DE L'EGLISE COMPRISE COMME COMMUNION


INTRODUCTION

1 Le concept de communion (koinonia), déjà mis en lumière dans les textes du Concile Vatican II(1), convient particulièrement pour exprimer l'intimité du Mystère de l'Eglise et peut certainement être une clé de lecture pour un renouvellement de l'ecclésiologie catholique(2). L'approfondissement de la réalité de l'Eglise comme communion est, en effet, un défi d'une importance particulière, offrant un vaste champ à la réflexion théologique sur le mystère de l'Eglise, "dont la nature est telle qu'elle permet toujours des recherches nouvelles et plus profondes"(3). Certaines visions ecclésiologiques révèlent cependant une compréhension insuffisante de l'Eglise comme mystère de communion, car elles n'harmonisent pas correctement le concept de communion avec les concepts de Peuple de Dieu et de Corps du Christ, et accordent une place insuffisante au rapport entre l'Eglise comme communion et l'Eglise comme sacrement.


1- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 4,8 Const. Dei Verbum, DV 10 Const. Gaudium et spes, GS 32 Décr. Unitatis redintegratio, UR 2-4 UR 14-15 UR 17-19 UR 22.
2- Cf. SYNODE DES EVEQUES, IIème Assemblée extraordinaire (1985), Relatio finalis, II, C, 1.
3- PAUL PAUL VI, Discours d'ouverture de la deuxième session du Conc. Vatican II, 29-IX- 1963: AAS 55 (1963) p. 848. Cf., par exemple, les perspectives d'approfondissement indiquées par la COMMISSION THEOLOGIQUE INTERNATIONALE, dans Themata selecta de ecclesiologia: "Documenta (1969-1985)", Lib. Ed. Vaticane 1988, pp. 462-559.


2 Compte tenu de l'importance doctrinale, pastorale et oecuménique des divers aspects de l'Eglise comprise comme Communion, par la présente Lettre, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a considéré opportun de rappeler brièvement et d'éclaircir, partout ou cela est nécessaire, certains des éléments fondamentaux devant être pris comme points d'appui obligés, y compris dans le travail souhaité d'approfondissement théologique.



I. L'EGLISE, MYSTERE DE COMMUNION

3 Le concept de communion est "au coeur de l'auto-connaissance de l'Eglise"(4), en tant que mystère de l'union personnelle de chaque homme avec la Trinité divine et avec les autre hommes, commencée par la foi(5), et orientée vers la plénitude eschatologique dans l'Eglise céleste, tout en étant déjà une réalité en germe dans l'Eglise sur terre(6).

4- JEAN-PAUL II, Discours aux Evêques des Etats-Unis d'Amérique, 16-IX-1987, n.1: "Insegnamenti di Giovanni Paolo II" X,(1987)(1987) p. 553.
5-
1Jn 1,3: "Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, afin que soyez, vous aussi, en communion avec nous. Et nous sommes, nous, en communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. Cf. aussi 1Co 1,9; JEAN-PAUL II, CL 30-XII-1988,19 SYNODE DES EVEQUES (1985), Relatio finalis, II, C, 1.
6- Cf. Ph 3,20-21 Col 3,1-4 Const. Lumen gentium, LG 48


Afin que le concept de communion, qui n'est pas univoque, puisse servir de clé d'interprétation ecclésiologique, il doit être compris à l'intérieur de l'enseignement biblique et de la tradition patristique, dans lesquelles la communion implique toujours une double dimension: verticale (communion avec Dieu) et horizontale (communion entre les hommes). Il est donc essentiel, pour avoir une vision chrétienne de la communion, de la reconnaître avant tout comme don de Dieu, comme fruit de l'initiative divine réalisée dans le mystère pascal. Le nouveau rapport entre l'homme et Dieu, établi dans le Christ et communiqué dans les sacrements, se prolonge aussi par un nouveau rapport entre les hommes. Par conséquent, le concept de communion doit être en mesure d'exprimer aussi, d'une part, la nature sacramentelle de l'Eglise tandis que "nous vivons en exil loin du Seigneur"(7), et d'autre part l'unité particulière qui fait des fidèles les membres d'un même Corps, le Corps mystique du Christ(8), communauté organiquement structurée(9), "peuple rassemblé dans l'unité du Père, du Fils, et du Saint-Esprit"(10), doté en outre des moyens permettant son union visible et sociale(11).

7- 2Co 5,6 Cf. Const. Lumen gentium, LG 1
8- Cf. LG 7; PIE XII, Enc. Mystici Corporis, 29-VI-1943: AAS 35 (1943) pp. 200ss.
9- Cf. Const. Lumen gentium, LG 11.
10- S. CYPRIEN, De Oratione Dominica, 23: PL 4, 553; cf. Const. Lumen gentium, LG 4.
11- Cf. Const. Lumen gentium, LG 9.


4 La communion ecclésiale est en même temps invisible et visible. Dans sa réalité invisible, elle est communion de chaque homme avec le Père, par le Christ, dans l'Esprit Saint, et avec les autres hommes, co-participants de la nature divine(12), dans la passion du Christ(13), dans la même foi(14), dans le même esprit(15). Dans l'Eglise sur terre, il existe un rapport intime entre cette communion invisible et la communion visible dans la doctrine des Apôtres, dans les sacrements et dans l'ordre hiérarchique. Par ces dons divins, qui sont des réalités visibles, le Christ exerce de manières diverses dans l'histoire Sa fonction prophétique, sacerdotale et royale pour le salut des hommes(16). Ce rapport entre les éléments invisibles et les éléments visibles de la communion ecclésiale constitue l'Eglise comme Sacrement de salut.
Il dérive de cette sacramentalité que l'Eglise est une réalité non pas repliée sur elle- même, mais plutôt ouverte de manière permanente à la dynamique missionnaire et oecuménique, puisqu'elle est envoyée au monde pour annoncer et témoigner, actualiser et diffuser le mystère de communion qui la constitue: rassembler tout et tous dans le Christ(17); être pour tous "sacrement inséparable d'unité"(18).

12- Cf.
2P 1,4
13- Cf. 2Co 1,7
14- Cf. Ep 4,13 Phm 6
15- Cf. Ph 2,1
16- Cf. Const. Lumen gentium, LG 25-27
17- Cf. Mt 28,19-20 Jn 17,21-23 Ep 1,10 Const. Lumen gentium, LG 9 LG 13 Décr. ; S. IRENEE, Adversus haereses, III, 16, 6 et 22, 1-3: PG 7, 925- 926 et 955-958.
18- S. CYPRIEN, Epist. ad Magnum, 6: PL 3, 1142.


5 La communion ecclésiale dans laquelle chacun est inséré par la foi et le Baptême(19), a sa racine et son centre dans la Sainte Eucharistie. En effet, le Baptême est l'incorporation à un corps construit et vivifié à travers l'Eucharistie par le Seigneur ressuscité, de telle manière que ce corps peut être véritablement appelé Corps du Christ. L'Eucharistie est source et force créatrice de communion entre les membres de l'Eglise précisément parce qu'elle unit chacun d'eux avec le Christ lui-même: "participant réellement au Corps du Seigneur dans la fraction du pain eucharistique, nous sommes élevés à la communion avec lui et entre nous. 'Puisqu'il n'y a qu'un pain, à nous tous nous ne formons qu'un corps, car tous nous avons part à ce pain unique' ( 1Co 10,17) "(20).

19- Ep 4,4-5: "Il n'est qu'un seul corps et qu'un seul Esprit, de même que par votre vocation vous avez été appelés à une unique espérance". Cf. aussi Mc 16,16
20- Const. Lumen gentium, LG 7. L'Eucharistie est le sacrement "grâce auquel l'Eglise est réunie dans le temps présent" (S. AUGUSTIN, Contra Faustum, 12, 20: PL 42, 265). "Notre participation au corps et au sang du Christ n'effectue rien d'autre que notre transformation en ce que nous recevons" (S. LEON GRAND, Sermo 63, 7: PL 54, 357).


C'est pourquoi l'expression de S. Paul l'Eglise est le Corps du Christ signifie que l'Eucharistie, dans laquelle le Seigneur nous donne son Corps et nous transforme en un seul Corps(21), est le lieu ou l'Eglise s'exprime de manière permanente dans sa forme la plus essentielle: présente en tout lieu et, cependant, seulement une, comme le Christ est un.

21- Cf. Const. LG 3 LG 11; S. JEAN CHRYSOSTOME, In hom., 24, 2: PG 61, 200.


6 L'Eglise est Communion des saints, selon l'expression traditionnelle qui se trouve dans les versions latines du Symbole des Apôtres depuis la fin du IVème siècle(22). La participation commune et visible aux biens du salut (les choses saintes), et spécialement à l'Eucharistie, est la racine de la communion invisible entre les participants (les saints). Cette communion comporte une solidarité spirituelle entre les membres de l'Eglise, en tant que membres d'un même Corps(23), et tend à leur union effective dans la charité en constituant "un seul coeur et une seule âme"(24). La communion tend aussi à l'union dans la prière(25), inspirée en tous par un même Esprit(26), l'Esprit Saint "qui remplit et unit toute l'Eglise"(27).

22- Cf.
DS 19 DS 26-30.
23- Cf. 1Co 12,25-27 Ep 1,22-23 Ep 3,3-6
24- Ac 4,32
25- Cf. Ac 2,42
26- Cf. Rm 8,15-16 Rm 8,26 Ga 4,6 Const. Lumen gentium, LG 4
27- S. THOMAS D'AQUIN, De Veritate, q. 29, a. 4 c. En effet, "élevé sur la croix, puis entré dans la gloire, le Seigneur Jésus répandit l'Esprit qu'il avait promis. Par lui, il appela et réunit dans l'unité de la foi, de l'espérance et de la charité, le peuple de la Nouvelle Alliance qui est l'Eglise" (Décr. UR 2).


Cette communion, dans ses éléments invisibles, existe non seulement entre les membres de l'Eglise en pèlerinage sur la terre, mais aussi entre ceux-ci et tous ceux qui, ayant quitté ce monde dans la grâce du Seigneur, font partie de l'Eglise céleste, ou y seront incorporés après leur purification complète(28). Cela signifie, entre autres, qu'il existe une relation mutuelle dans la mission historico-salvifique entre l'Eglise en pèlerinage sur la terre et l'Eglise céleste. Il s'ensuit qu'on peut affirmer non seulement l'importance ecclésiologique de l'intercession du Christ en faveur de ses membres(29), mais aussi de celle des saints et, d'une manière éminente, de celle de la Vierge Marie(30). L'essence de la dévotion aux saints, si présente dans la piété du peuple chrétien, répond donc à la profonde réalité de l'Eglise comme mystère de communion.

28- Cf. Const. Lumen gentium, LG 49
29- Cf. He 7,25
30- Cf. Const. Lumen gentium, LG 50



II. EGLISE UNIVERSELLE ET EGLISES PARTICULIERES

7 L'Eglise du Christ, proclamée une, sainte, catholique et apostolique dans le Symbole, est l'Eglise universelle, c'est-à-dire la communauté universelle des disciples du Seigneur(31), qui devient présente et agissante dans la particularité et la diversité des personnes, des groupes, des époques et des lieux. Parmi ces multiples expressions particulières de la présence salvifique de l'unique Eglise du Christ, on trouve dès l'époque apostolique des expressions qui sont en elles-mêmes Eglises(32), parce que, bien qu'elles soient particulières, l'Eglise universelle est présente en elles avec tous ses éléments essentiels(33). Elles sont par conséquent constituées "à l'image de l'Eglise universelle"(34), et chacune d'entre elles est "une portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu'avec l'aide de son presbyterium il en soit le pasteur"(35).

31- Cf.
Mt 16,18 1Co 12,28 etc.
32- Cf. Ac 8,1 Ac 11,22 1Co 1,2 1Co 16,19 Ga 1,22 Ap 2,1 Ap 2,8 etc.
33- Cf. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, Unité et diversité dans l'Eglise, Lib. Ed. Vaticane 1989, spécialement, pp. 14-28.
34- Const. Lumen gentium, LG 23 cf. Décr. AGD 20.
35- Décr. Christus Dominus, CD 11.


8 C'est pour cela que l'Eglise universelle est le Corps des Eglises(36); donc on peut aussi appliquer de manière analogique le concept de communion à l'union entre les Eglises particulières, et comprendre ainsi l'Eglise universelle comme une Communion d'Eglises. Parfois cependant, l'idée de "communion des Eglises particulières" est présentée de telle manière que la conception de l'unité de l'Eglise en est affaiblie dans sa dimension visible et institutionnelle. On en vient à affirmer que toute Eglise particulière est un sujet en lui-même complet, et que l'Eglise universelle est le résultat de la reconnaissance réciproque des Eglises particulières. Cette unilatéralité ecclésiologique, qui appauvrit non seulement le concept d'Eglise universelle mais aussi celui d'Eglise particulière, manifeste une compréhension insuffisante du concept de communion. Comme l'histoire elle-même le démontre, quand une Eglise particulière a cherché à obtenir son autonomie en affaiblissant sa communion réelle avec l'Eglise universelle et son centre vital et visible, son unité interne s'est brisée et, en outre, elle s'est vue menacée de perdre sa liberté face à de multiples forces d'asservissement et d'exploitation(37).

36- Const. Lumen gentium,
LG 23. Cf. S. HILAIRE DE POITIERS, In Psalm. 14, 3: PL 9, 301; S. GREGOIRE GRAND, Moralia, IV, 7, 12: PL 75, 643.
37- Cf. PAUL VI, EN 8-XII-1975,64/.8-XII-1975


9 Pour comprendre le vrai sens de l'application analogique du terme communion à l'ensemble des Eglises particulières, il faut avant tout considérer que ces Eglises, en tant que "parties de l'unique Eglise du Christ"(38), ont avec le tout, c'est-à-dire avec l'Eglise universelle, un rapport particulier d'"intériorité mutuelle"(39), parce que dans chaque Eglise particulière "est vraiment présente et agissante l'Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique(40). Pour cette raison, "l'Eglise universelle ne peut être conçue ni comme la somme des Eglises particulières, ni comme une fédération d'Eglises particulières"(41). Elle n'est pas le résultat de leur communion, mais elle est, dans son mystère essentiel, une réalité ontologiquement et chronologiquement préalable à toute Eglise particulière singulière.

38- Décr. Christus Dominus,
CD 6.
39- JEAN-PAUL II, Discours à la Curie Romaine, 20-XII-1990, n. 9: "L'Osservatore Romano", 21-XII-1990, p. 5.
40- Décr. Christus Dominus, CD 11.
41- JEAN-PAUL II, Discours aux Evêques des Etats-Unis d'Amérique, 16-IX-1987, n. 3: op. cit., p. 555.


En effet, ontologiquement, l'Eglise-mystère, l'Eglise une et unique, selon les Pères précède la création(42), et donne naissance à les Eglises particulières comme à ses propres filles; elle s'exprime en elles, elle est mère et non produit des Eglises particulières. En outre, chronologiquement, l'Eglise se manifeste le jour de la Pentecôte dans la communauté des cent vingt réunis autour de Marie et des douze Apôtres, représentants de l'unique Eglise et futurs fondateurs des Eglises locales, qui ont une mission tournée vers le monde: dès ce moment, l'Eglise parle toutes les langues(43).

42- Cf. PASTEUR D'HERMAS, Vis. 2, 4: PG 2, 897-900; S. CLEMENT DE ROME, Epist. II ad Cor., 14, 2: Funck, 1, 200.
43- Cf. Ac 2,1ss; S. IRENEE, Adversus haereses, III, 17, (PG (PG 7, 929-930): "le jour de la Pentecôte (...) toutes les nations (...) chantaient dans toutes les langues un hymne de louange à Dieu dans un accord parfait, car le Saint-Esprit ramenait à l'unité les tribus séparées et offrait au Père les prémices de toutes les nations". Cf. aussi S. FULGENCE DE RUSPE, Sermo 8 in Pentecoste, 2-3: PL 65, 743-744.


Manifestant son universalité dès son origine, elle a donné naissance aux diverses Eglises locales, comme à des réalisations particulières de l'Eglise une et unique de Jésus-Christ. En naissant dans et de l'Eglise universelle, c'est d'elle et en elle qu'elles ont leur ecclésialité. Par conséquent, la formule du Concile Vatican II: l'Eglise dans et à partir des Eglises (Ecclesia in et ex Ecclesiis)(44), est inséparable de cette autre formule: les Eglises dans et à partir de l'Eglise (Ecclesiae in et ex Ecclesia)(45). La nature de mystère de ce rapport entre Eglise universelle et Eglises particulières est évidente; ce rapport n'est pas comparable à celui qui existe entre le tout et les parties dans tout groupe humain ou société purement humaine.

44- Const. Lumen gentium, LG 23: "C'est en elles et à partir d'elles (les Eglises particulières) qu'existe l'Eglise catholique une et unique ". Cette doctrine développe dans la continuité ce qui avait déjà été affirmé auparavant, par exemple par PIE XII, Enc. Mystici Corporis, op. cit., p. 211: "...à partir desquelles existe et dont est composée l'unique Eglise Catholique".
45- Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Curie Romaine, 20-XII-1990, n. 9: op. cit., p. 5.


10 Tout fidèle, par la foi et le Baptême, est inséré dans l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. On n'appartient pas à l'Eglise universelle de façon médiate, à travers l'appartenance à une Eglise particulière, mais de façon immédiate, même si l'entrée et la vie dans l'Eglise universelle se réalisent nécessairement dans une Eglise particulière. Dans la perspective de l'Eglise comprise comme communion, l'universelle communion des fidèles et la communion des Eglises ne sont donc pas conséquence l'une de l'autre, mais constituent la même réalité vue selon des perspectives différentes.
En outre, l'appartenance à une Eglise particulière n'est jamais en contradiction avec la réalité qui veut que dans l'Eglise personne ne soit étranger(46): dans la célébration de l'Eucharistie tout particulièrement, tout fidèle se trouve dans son Eglise, dans l'Eglise du Christ, en faisant abstraction de son appartenance ou de sa non-appartenance, du point de vue canonique, au diocèse, à la paroisse, ou à l'autre communauté particulière ou cette célébration a lieu. En ce sens, restant sauves les déterminations nécessaires de dépendance juridique(47), celui qui appartient à une Eglise particulière appartient à toutes les Eglises; en effet, l'appartenance à la Communion, comme appartenance à l'Eglise, n'est jamais purement particulière: elle est toujours universelle par sa nature(48).

46- Cf.
Ga 3,28
47- Cf., par exemple, CIC 107
48- S. JEAN CHRYSOSTOME, In Ioann. hom., 65, (PG 59, 361): "celui qui est à Rome sait que ceux des Indes sont ses membres". Cf. Const. Lumen gentium, LG 13.




III. COMMUNION DES EGLISES, EUCHARISTIE ET EPISCOPAT

11 L'unité ou communion entre les Eglises particulières dans l'Eglise universelle, outre son fondement dans la même foi et dans un Baptême commun, plonge surtout ses racines dans l'Eucharistie et dans l'Episcopat.
Elle est enracinée dans l'Eucharistie parce que le Sacrifice eucharistique, tout en étant toujours célébré dans une communauté particulière, n'est jamais une célébration de cette seule communauté: celle-ci, en effet, en recevant la présence eucharistique du Seigneur, reçoit l'intégralité du don du salut et, bien que dans sa particularité visible permanente, elle se manifeste ainsi comme image et vraie présence de l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique(49).

49- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 26 S. AUGUSTIN, In Ioann. Tract., 26, 13: PL 35, 1612-1613.


La redécouverte d'une ecclésiologie eucharistique, d'une valeur indéniable, s'est cependant parfois exprimée en accentuant unilatéralement le principe de l'Eglise locale. On affirme que là ou l'on célèbre l'Eucharistie, deviendrait présente la totalité du mystère de l'Eglise, à tel point qu'il faudrait considérer comme non-essentiel tout autre principe d'unité et d'universalité. D'autres conceptions, sous des influences théologiques diverses, tendent à radicaliser plus encore cette perspective particulière de l'Eglise au point d'affirmer qu'il revient au même de se réunir au nom de Jésus (cf. Mt 18,20) et de créer l'Eglise: l'assemblée qui devient communauté au nom du Christ, porterait en elle les pouvoirs de l'Eglise, y compris celui qui est relatif à l'Eucharistie; l'Eglise, disent certains, naîtrait "de la base". Ces erreurs et d'autres semblables ne tiennent pas suffisamment compte du fait que c'est précisément l'Eucharistie qui rend impossible toute autonomie de l'Eglise particulière. En effet, l'unicité et l'indivisibilité du Corps eucharistique du Seigneur implique l'unicité de son Corps mystique, qui est l'Eglise une et indivisible. C'est à partir de son centre eucharistique que se fait l'ouverture nécessaire de toute communauté célébrante, de toute Eglise particulière: en se laissant attirer par les bras ouverts du Seigneur, on s'insère dans son Corps, unique et sans division. Pour cette raison aussi, l'existence du ministère de Pierre, fondement de l'unité de l'Episcopat et de l'Eglise universelle, est en correspondance profonde avec le caractère eucharistique de l'Eglise.


12 En effet, l'unité de l'Eglise est aussi enracinée dans l'unité de l'Episcopat(50). De même que l'idée de Corps des Eglises réclame l'existence d'une Eglise Tête des Eglises, qui est précisément l'Eglise de Rome qui "préside à la communion universelle de la charité"(51), de même l'unité de l'Episcopat comporte l'existence d'un Evêque Tête du Corps ou Collège des Evêques, qui est le Pontife romain(52). "Le Souverain Pontife, en tant que successeur de Pierre, est principe et fondement perpétuel et visible"(53) de l'unité de l'Episcopat, comme de l'unité de l'Eglise toute entière. Cette unité de l'Episcopat se perpétue au long des siècles grâce à la succession apostolique, et elle est aussi fondement de l'identité de l'Eglise de tout temps avec l'Eglise édifiée par le Christ sur Pierre et sur les autres Apôtres(54).

50- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 18 LG 21 LG 22 Cf. aussi S.CYPRIEN, De unitate Ecclesiae, 5: PL 4, 516-517; S. AUGUSTIN,In Ioann. Tract., 46, 5: PL 35, 1730.
51- S. IGNACE D'ANTIOCHE, Epist. ad prol.: PG 5, 685; cf. Const. Lumen gentium, LG 13.
52- Cf. Const. Lumen gentium, LG 22.
53- Ibidem, LG 23. Cf. Const. Pastor aeternus: DS 3051-3057; S. CYPRIEN, De unitate Ecclesiae, 4: PL 4, 512-515.
54- Cf. Const. Lumen gentium, LG 20 S. IRENEE, Adversus haereses, III, 3, 1-3: PG 7, 848- 849; S. CYPRIEN, Epist. 27, 1: PL 4, 305-306; S. AUGUSTIN, Contra advers. legis et prophet., 1, 20, 39: PL 42, 626.


13 L'Evêque est principe et fondement visible de l'unité de l'Eglise particulière confiée à son ministère pastoral(55), mais afin que chaque Eglise particulière soit pleinement Eglise, c'est-à-dire présence particulière de l'Eglise universelle avec tous ses éléments essentiels et constituée par conséquent à l'image de l'Eglise universelle, l'autorité suprême de l'Eglise, c'est-à-dire le Collège épiscopal "avec le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef"(56), doit être présente en elle comme élément propre. Le Primat de l'Evêque de Rome et le Collège épiscopal sont des éléments propres à l'Eglise universelle: "non pas dérivés de la particularité des Eglises"(57), bien qu'intérieurs à toute Eglise particulière. Par conséquent, "nous devons voir le ministère du Successeur de Pierre, non seulement comme un service 'global' qui touche toute Eglise particulière de l'extérieur, mais comme appartenant déjà à l'essence de toute Eglise particulière de l'intérieur"(58). En effet, le ministère du Primat comporte essentiellement un pouvoir véritablement épiscopal, non seulement suprême, plénier et universel, mais aussi immédiat, sur tous, tant les Pasteurs que les autres fidèles(59). Le fait que le ministère du Successeur de Pierre soit intérieur à toute Eglise particulière découle nécessairement de cette intériorité mutuelle fondamentale entre Eglise universelle et Eglise particulière(60).

55- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 23.
56- Ibidem, LG 22; cf. aussi LG 19.
57- JEAN-PAUL II, Discours à la Curie Romaine, 20-XII-1990, n. 9: op. cit., p. 5.
58- JEAN-PAUL II, Discours aux Evêques des Etats-Unis d'Amérique, 16-IX-1987, n. 4: op. cit., p. 556.
59- Cf. Const. Pastor aeternus, chap. 3: DS 3064; Const. Lumen gentium, LG 22.
60- Cf. supra, n. 9.


14 L'unité de l'Eucharistie et l'unité de l'Episcopat avec Pierre et sous Pierre ne sont pas des racines indépendantes de l'unité de l'Eglise, parce que le Christ a institué l'Eucharistie et l'Episcopat comme des réalités essentiellement liées(61). L'Episcopat est un comme l'Eucharistie est une: l'unique Sacrifice de l'unique Christ mort et ressuscité. La liturgie exprime de diverses manières cette réalité, en manifestant par exemple que toute célébration de l'Eucharistie est faite en union non seulement avec l'Evêque, mais aussi avec le Pape, avec l'ordre épiscopal, avec tout le clergé et le peuple tout entier(62). Toute célébration valide de l'Eucharistie exprime cette communion universelle avec Pierre et avec l'Eglise tout entière, ou bien la réclame objectivement, comme dans le cas des Eglise chrétiennes séparées de Rome(63).

61- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 26 S. IGNACE D'ANTIOCHE, Epist.ad Philadel., 4: PG 5, 700; Epist. ad Smyrn., 8: PG 5, 713.
62- Cf. MISSEL ROMAIN, Prière Eucharistique III.
63- Cf. Const. Lumen gentium, LG 8.





IV. UNITE ET DIVERSITE DANS LA COMMUNION ECCLESIALE

15 "L'universalité de l'Eglise entraîne d'une part la plus solide des unités et, d'autre part, une pluralité et une diversité, qui ne sont pas un obstacle pour l'unité, mais lui confèrent au contraire son caractère de 'communion'"(64). Cette pluralité se réfère soit à la diversité des ministères, des charismes, des formes de vie et d'apostolat à l'intérieur de chaque Eglise particulière, soit à la diversité des traditions liturgiques et culturelles entre les différentes Eglises particulières(65).

64- JEAN-PAUL II, Discours dans l'audience générale, 27-IX-1989, n. 2: "Insegnamenti di Giovanni Paolo II" XII,(1989)(1989) p. 679.
65- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 23.


La promotion d'une unité qui ne soit pas un obstacle à la diversité, tout comme la reconnaissance et la promotion d'une diversité qui ne soit pas un obstacle à l'unité mais l'enrichisse, constituent une responsabilité primordiale du Souverain Pontife pour toute l'Eglise(66) et, restant sauf le droit général de l'Eglise, de tout Evêque pour l'Eglise particulière confiée à son ministère pastoral(67). Mais l'édification et la sauvegarde de cette unité, qui reçoit de la diversité son caractère de communion, sont aussi de la responsabilité de tous dans l'Eglise, parce que tous sont appelés à la construire et à la respecter chaque jour, principalement par la charité qui est "le lien de la perfection"(68).

66- LG 13.
67- Cf. Décr. Christus Dominus, CD 8.
68- Col 3,14 S. THOMAS D'AQUIN, Exposit. in Symbol. Apost., a. 9: "L'Eglise est une (...) par l'unité de la charité, parce que tous sont unis dans l'amour de Dieu, et entre eux dans l'amour mutuel".


16 Pour avoir une vision plus complète de cet aspect de la communion ecclésiale -unité dans la diversité-, il faut considérer qu'il existe des institutions et des communautés établies par l'Autorité Apostolique pour des tâches pastorales particulières. En tant que telles, elles appartiennent à l'Eglise universelle, leurs membres étant cependant aussi membres des Eglises particulières ou ils vivent et travaillent. Cette appartenance aux Eglises particulières, caractérisée par la flexibilité(69), a des expressions juridiques diverses. Ce fait, loin d'entamer l'unité de l'Eglise particulière fondée sur l'Evêque, contribue au contraire à donner à cette unité la diversité interne qui est le propre de la communion(70).

69- Cf. supra, n. 10.
70- Cf. supra, n. 15.


Dans le contexte de l'Eglise comprise comme communion, il faut aussi considérer les divers instituts et sociétés, expression des charismes de vie consacrée et de vie apostolique dont le Saint-Esprit enrichit le Corps Mystique du Christ: même s'ils n'appartiennent pas à la structure hiérarchique de l'Eglise, ils appartiennent à sa vie et à sa sainteté(71).

71- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 44.


A cause de leur caractère supra-diocésain, enraciné dans le ministère de Pierre, toutes ces réalités ecclésiales sont aussi des éléments au service de la communion entre les diverses Eglises particulières.




V. COMMUNION ECCLESIALE ET OECUMENISME

17 "Avec ceux qui, étant baptisés, portent le beau nom de chrétiens sans professer pourtant intégralement la foi ou sans garder l'unité de la communion sous le Successeur de Pierre, l'Eglise se sait unie pour de multiples raisons"(72). Dans les Eglises et Communautés chrétiennes non-catholiques, il existe en effet de nombreux éléments de l'Eglise du Christ qui permettent de discerner avec joie et espérance une certaine communion, bien qu'imparfaite(73).

72- Const. Lumen gentium,
LG 15
73- Cf. Décr. UR 3 UR 22. Const. Lumen gentium, LG 13.


Cette communion existe spécialement avec les Eglises orientales orthodoxes qui, bien que séparées du Siège de Pierre, restent unies à l'Eglise Catholique par des liens très étroits, comme la succession apostolique et l'Eucharistie valide, méritant par conséquent le titre d'Eglises particulières(74). En effet, "par la célébration de l'Eucharistie du Seigneur dans ces Eglises particulières, l'Eglise de Dieu s'édifie et grandit"(75), parce que l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique est vraiment présente dans toute célébration valide de l'Eucharistie(76).

74- Cf. Décr. UR 14 UR 15.
75- Ibidem, UR 15.
76- Cf. supra, nn. 5 et 14.


Cependant, puisque la communion avec l'Eglise universelle, représentée par le Successeur de Pierre, n'est pas un complément extérieur à l'Eglise particulière, mais un de ses éléments constitutifs internes, la situation de ces vénérables communautés chrétiennes implique aussi une blessure de leur condition d'Eglise particulière. La blessure est plus profonde encore dans les communautés ecclésiales qui n'ont pas maintenu la succession apostolique ni conservé l'Eucharistie valide. D'autre part, ce fait comporte aussi pour l'Eglise Catholique, appelée par le Seigneur à devenir pour tous "un seul troupeau et un seul pasteur"(77), une blessure en tant qu'obstacle pour la réalisation pleine de son universalité dans l'histoire.

77- Jn 10,16


18 Cette situation exige un effort oecuménique de tous en vue de la pleine communion dans l'unité de l'Eglise: cette unité, "le Christ l'a accordée à son Eglise dès le commencement. Nous croyons qu'elle subsiste de façon inamissible dans l'Eglise catholique et nous espérons qu'elle s'accroîtra de jour en jour jusqu'à la consommation des siècles"(78). Dans cet engagement oecuménique, la prière, la pénitence, l'étude, le dialogue et la collaboration ont une importance prioritaire, afin que, grâce à une nouvelle conversion au Seigneur, il soit possible à tous de reconnaître la permanence du Primat de Pierre dans ses successeurs, les Evêques de Rome, et de voir réaliser le ministère de Pierre, tel qu'il est voulu par le Seigneur, comme un service apostolique universel, présent à l'intérieur de toutes les Eglises, et qui, restant sauve sa substance d'institution divine, peut s'exprimer de manières diverses, selon les temps et les lieux, comme l'histoire le prouve.

78- Décr.
UR 4.



CONCLUSION


19 La Bienheureuse Vierge Marie est le modèle de la communion ecclésiale dans la foi, dans la charité et dans l'union avec le Christ(79). "Eternellement présente dans le mystère du Christ"(80), elle est , au milieu des Apôtres, au coeur même de l'Eglise naissante(81) et de l'Eglise de tous les temps. En effet, "l'Eglise se rassembla dans la partie haute (du cénacle) avec Marie, qui était la Mère de Jésus, et avec ses frères. On ne peut donc pas parler d'Eglise si Marie, la Mère du Seigneur, n'est pas présente avec ses frères"(82).

79- Cf. Const. Lumen gentium,
LG 63 S. AMBROISE, Exposit. in Lc 2,7: PL 15, 1555; S. ISAAC DE L'ETOILE, Sermo 27: PL 194, 1778-1779; RUPERT DE DEUTZ, De Vict. Verbi Dei , 12, 1: PL 169, 1464-1465.
80- JEAN-PAUL II, Enc. Redemptoris Mater, RMA 25
81- Cf. Ac 1,14 JEAN-PAUL II, Enc. Redemptoris Mater, RMA 26.
82- S. CHROMACE D'AQUILEE, Sermo 30, 1 "Sources Chrétiennes" 164, p. 134. Cf. PAUL VI, Marialis cultus, 2-II-1974, MCU 28.


En concluant cette Lettre, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, reprenant les derniers mots de la Constitution Lumen gentium(83), invite tous les Evêques et, à travers eux, tous les fidèles et spécialement les théologiens, à confier à l'intercession de la Bienheureuse Vierge leurs efforts de communion et de réflexion théologique sur la communion.
Au cours d'une audience accordée au Cardinal Préfet soussigné, Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II a approuvé la présente Lettre, décidée en réunion ordinaire de la Congrégation, et en a ordonné la publication.

83- Cf. Const. Lumen gentium, LG 69




A Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 28 mai 1992.


Joseph Card. Ratzinger, Préfet
+Alberto Bovone, Arch. Tit. de Césarée de Numidie, Secrétaire





1992 Communionis notio