La légende dorée - SAINT AMBROISE *

SAINT GEORGES

Georges est ainsi appelé de Geos, qui veut dire terre, et orge, qui signifie cultiver, cultivant la terre, c'est-à-dire sa chair. Saint Augustin au livre de la Trinité avance que la bonne terre est placée sur les hauteurs des montagnes, dans les collines tempérées et dans les plaines des champs. La première convient aux herbes verdoyantes, la seconde aux vignes, la troisième aux blés. De même saint Georges s'éleva en méprisant les choses basses; ce qui lui donna la verdeur de la pureté: il fut tempéré en discernement, aussi eut-il le vin de l'allégresse intérieure. Il fut plein d'humilité ce qui lui fit produire des fruits de bonnes oeuvres. Georges pourrait encore (452) venir de gerar, sacré, degyon, sable, sable sacré; or, Georges fut comme le sable, lourd par la gravité de ses moeurs, menu par son humilité, et sec ou exempt de volupté charnelle. Georges viendrait de gerar, sacré, et gyon, lutte, lutteur sacré, parce qu'il lutta contre le dragon et contre le bourreau. On pourrait encore le tirer de Gero, qui veut dire pèlerin, gir, précieux *, et ys, conseiller; car saint Georges fut pèlerin dans son mépris du monde, précieux (ou coupé) dans son martyre, et conseiller dans la prédication du royaume.

Sa légende est mise au nombre des pièces apocryphes dans les actes du concile de Nicée, parce que l'histoire de son martyre n'est point authentique: on lit, dans le calendrier de Bède, qu'il souffrit en Perse dans la ville de Diaspolis, anciennement appelée Lidda, située près de Joppé. On dit ailleurs qu'il souffrit sous, les empereurs Dioclétien et Maximien: on voit autre part que ce fut sous l'empire de Dioclétien, en présence de 70 rois de son empire; d'autres enfin prétendent que ce fut sous le président Dacien, sous l'empire de Dioclétien et de Maximien.

Georges **, tribun, né en Cappadoce, vint une fois à Silcha, ville de la province de Lybie. A côté de cette cité était un étang grand comme une mer, dans lequel se cachait un dragon pernicieux, qui souvent avait fait reculer le peuple venu avec des armes pour le tuer; il lui suffisait d'approcher des murailles de la ville pour détruire tout le monde de son souffle. Les

* D'après D'après les premières éditions, ce serait tranché, praecisus.
**Cette légende se compose d'une première vie de saint Georges que J. de Voragine reconnaît apocryphe. La seconde lui paraît meilleure. Papebroch a donné les actes de ce saint et il les a longuement et savamment discutés. Tous les martyrologes s'accordent à attribuer au culte de saint Georges une grande importance. Fortunat (liv. II, carm. XV) raconte les différents supplices que le saint, eut à souffrir.

habitants se virent forcés de lui donner tous les jours deux brebis, afin d'apaiser sa fureur; autrement, c'était comme s'il s'emparait des murs de la ville; il infectait l'air, en sorte que beaucoup en mouraient. Or, les brebis étant venues à manquer et ne pouvant. être fournies en quantité suffisante, on décida dans un conseil qu'on donnerait une brebis et qu'on y ajouterait un homme. Tous les garçons et les filles étaient désignés par le sort, et il n'y avait d'exception pour personne. Or, comme il n'en restait presque plus, le sort vint à tomber sur la fille unique du roi, qui fut par conséquent destinée au monstre. Le roi tout contristé dit: «Prenez l'or, l'argent, la moitié de mon royaume, mais laissez-moi ma fille, et qu'elle ne meure pas de semblable mort.» Le peuple lui répondit avec fureur: «O Roi, c'est toi, qui as porté cet édit, et maintenant que tous nos enfants sont morts, tu veux sauver ta fille? Si tu ne fais pour ta fille ce que tu as ordonné pour les autres, nous te brûlerons avec ta maison.» En entendant ces mots, le roi se mit à pleurer sa fille en disant: «Malheureux que je suis! ô ma tendre fille, que faire de toi? que dire? je ne verrai donc jamais tes noces?» Et se tournant vers le peuple: «Je vous en prie, dit-il, accordez-moi huit jours de délai pour pleurer ma fille.» Le peuple y ayant consenti, revint en fureur ait bout de huit jours, et il dit au roi: «Pourquoi perds-tu le peuple pour ta fille? Voici que nous mourons tous du souffle du dragon.» Alors le roi, voyant qu'il ne pourrait délivrer sa fille, la fit revêtir d'habits royaux et l'embrassa avec larmes en. disant: «Ah que je suis malheureux ! (454) ma très douce. fille, de ton sein j'espérais élever des enfants de race royale, et maintenant tu vas être dévorée par le dragon. Ah! malheureux que je suis! ma très douce fille, j'espérais inviter des princes à tes noces, orner ton palais de pierres précieuses, entendre les instruments et les tambours, et tu vas être dévorée par le dragon.» Il l'embrassa et la laissa partir en lui disant: «O ma fille, que ne suis-je mort avant toi pour te perdre ainsi!» Alors elle se jeta aux pieds de son père pour lui demander sa bénédiction, et le père l'ayant bénie avec larmes, elle se dirigea vers le lac. Or, saint Georges passait par hasard par là: et la voyant pleurer, il lui demanda ce qu'elle avait.» Bon jeune homme, lui répondit-elle, vite, monte sur ton cheval; fuis, si tu neveux mourir avec moi. » N'aie pas peur, lui dit Georges, mais dis-moi, ma fille, que vas-tu faire en présence de tout ce monde?» Je vois, lui dit la fille, que tu es un bon jeune homme; ton coeur est généreux: mais pourquoi veux-tu mourir avec moi? vite, fuis!» Georges, lui dit: «Je ne  m'en irai pas avant que tu ne  m'aies expliqué ce que tu as.» Or, après qu'elle l'eut instruit totalement, Georges lui dit: «Ma fille, ne crains point, car au nom de J.-C., je t'aiderai.» Elle lui dit: «Bon soldat! mais hâte-toi de te sauver, ne péris pas avec moi! C'est assez de mourir seule; car tu ne pourrais me délivrer et nous péririons ensemble.» Alors qu'ils parlaient ainsi, voici que le dragon s'approcha en levant la tête au-dessus du lac. La jeune fille toute tremblante dit : «Fuis, mon seigneur, fuis vite. «A l'instant Georges monta sur son cheval, et se fortifiant du signe de la (455) croix, il attaque avec audace le dragon qui avançait sur lui: il brandit sa lance avec vigueur, se recommande à Dieu, frappe le monstre avec force et l'abat par terre: «Jette, dit Georges à la fille du roi, jette ta ceinture au cou du dragon; ne crains rien, mon enfant.» Elle le fit et le dragon la suivait comme la chienne la plus douce. Or, comme elle le conduisait dans la ville, tout le peuple témoin de cela se mit à fuir par monts et par vaux en disant: «Malheur à nous, nous allons tous périr à l'instant!» Alors saint Georges leur fit signe en disant: «Ne craignez rien, le Seigneur m'a envoyé exprès vers vous afin que je vous délivre des malheurs que, vous causait ce dragon seulement, croyez en J.-C., et que chacun de vous reçoive le baptême, et je tuerai le monstre.» Alors le roi avec tout le peuple reçut le baptême, et saint Gorges, ayant dégainé son épée, tua le dragon et ordonna de le porter hors de la ville. Quatre paires de boeufs le traînèrent hors de la cité dans une vaste plaine. Or, ce jour-là vingt mille hommes furent baptisés, sans compter les enfants et les femmes.

Quant au roi, il fit bâtir en l'honneur de la bienheureuse Marie et de saint Georges une église d'une grandeur admirable. Sous l'autel, coule une fontaine dont l'eau guérit tous les malades: et le roi offrit à saint Georges de l'argent en quantité infinie; mais le saint ne le voulut recevoir et le fit donner aux pauvres. Alors saint Georges adressa au roi quatre avis fort succincts. Ce fut d'avoir soin des églises de Dieu, d'honorer les prêtres, d'écouter avec soin l'office divin et de n'oublier jamais les pauvres. Puis après avoir (456) embrassé le roi, il s'en alla. - Toutefois on lit en certains livres que, un dragon allait dévorer une jeune fille, Georges se munit d'une croix, attaqua le dragon et le tua. En ce temps-là, étaient empereurs Dioclétien et Maximien, et sous le président Dacien, il v eut une si violente persécution contre les chrétiens, que dans l'espace d'un mois, dix-sept mille d'entre eux reçurent la couronne du martyre. Au milieu des tourments, beaucoup de chrétiens faiblirent et sacrifièrent aux idoles. Saint Georges à cette vue fut touché au fond du coeur; il distribua tout ce qu'il possédait, quitta l'habit militaire, prit celui des chrétiens et s'élançant au milieu des martyrs, il s'écria: «Tous les dieux des gentils sont des démons; mais c'est le Seigneur qui a fait les cieux!» Le président lui dit en colère: «Qui t'a rendu si présomptueux d'oser appeler nos dieux des démons? Dis-moi; d'où es-tu et quel est ton nom?» Georges lui répondit: «Je  m'appelle Georges, je suis d'une noble race de la Cappadoce; j'ai vaincu la Palestine par la faveur de J.-C. mais j'ai tout quitté pour servir plus librement le Dieu du ciel.» Comme le président ne le pouvait gagner, il ordonna de le suspendre au chevalet et de déchirer chacun de ses membres avec des ongles de fer; il le fit brûler avec des torches, et frotter avec du sel ses plaies et ses entrailles qui lui sortaient du corps. La nuit suivante, le Seigneur apparut au saint, environné d'une immense lumière et il le réconforta avec douceur. Cette bonne vision et ces paroles l'affermirent au point qu'il comptait ses tourments pour rien. Dacien voyant qu'il ne pouvait, le vaincre par les (457) tortures, fit venir un magicien auquel il dit: «Les chrétiens, par leurs maléfices, se jouent des tourments et font peu de cas de sacrifier à nos dieux.» Le magicien lui répondit: «Si je ne réussis pas à surmonter leurs artifices, je veux perdre la tête.» Alors il composa ses maléfices, invoqua les noms de ses dieux, mêla du poison avec du vin et le donna à prendre à saint Georges. Le saint fit dessus le signe de la croix et but: mais il n'en ressentit aucun effet. Le magicien composa une dose plus forte, que le saint, après avoir fait le signe de la croix, but toute entière sans éprouver le moindre mal. A cette vue, le magicien se jeta aussitôt aux pieds de saint Georges, lui demanda pardon en pleurant d'une façon lamentable et sollicita la faveur d'être fait chrétien. Le juge le fit décapiter bientôt après. Le jour suivant, il fit étendre Georges sur une roue garnie tout autour d'épées tranchantes des deux côtés:, mais à l'instant la roue se brisa et Georges fut trouvé complètement sain. Alors le juge irrité le fit jeter dans une chaudière pleine de plomb fondu. Le saint fit le signe de la croix, y entra, mais par la vertu de Dieu, il y était ranimé comme dans un bain. Dacien, à cette vue, pensa l'amollir par des caresses, puisqu'il ne pouvait le vaincre par ses menaces: «Mon fils Georges, lui dit-il, tu vois de quelle mansuétude sont nos dieux, puisqu'ils supportent tes blasphèmes si patiemment, néanmoins, ils sont disposés à user d'indulgence envers toi, si tu veux te convertir. Fais donc; mon très cher fils, ce à quoi je t'exhorte; abandonne tes superstitions pour sacrifier à nos dieux, afin de recevoir d'eux et de nous de grands (458)

honneurs.» Georges lui dit en souriant: «Pourquoi ne pas  m'avoir parlé avec cette douceur avant de me tourmenter? Me voici prêt à faire ce à quoi tu  m'engages.» Dacien, trompé par cette concession, devient tout joie., fait annoncer par le crieur public qu'on ait à s'assembler auprès de lui pour voir Georges, si longtemps rebelle, céder enfin et sacrifier. La cité toute entière s'embellit de joie. Au moment où Georges entrait dans le temple des idoles pour sacrifier, et quand tous les assistants étaient dans l'allégresse, il se mita genoux et pria le Seigneur, pour son honneur et pour la conversion du peuple, de détruire tellement de fond en comble le temple avec ses idoles qu'il n'en restât absolument rien. A l'instant le feu du ciel, des-. tendit sur le temple, le brûla avec les dieux et leurs prêtres: la terre s'entr'ouvrit et engloutit tout ce qui en restait. C'est à cette occasion que saint Ambroise s'écrie dans la Préface du saint: «Georges très féal soldat de J.-C. confessa seul parmi les chrétiens, avec intrépidité, le Fils de Dieu, alors que la profession qu'il faisait du christianisme était protégée sous le voile du silence. Il reçut de, la grâce divine une: si grande constance qu'il méprisait les ordres d'un pouvoir tyrannique et qu'il ne redoutait point les tourments de supplices innombrables. O noble et heureux guerrier du Seigneur! que la promesse flatteuse d'un royaume temporel ne séduisit pas, mais qui, en trompant le persécuteur, précipita dans l'abîme les simulacres des fausses divinités!» (Saint Ambroise.) Dacien, en apprenant cela, se fit amener Georges auquel il dit: «Quelle a été ta malice, ô le plus méchant des (459) hommes, d'avoir commis nu pareil crime?» Georges lui répondit: «O roi, n'en crois rien; mais viens avec moi et tu me verras encore une fois immoler.» «Je comprends ta fourberie, lui dit Dacien; car; tu jeux me faire engloutir comme tu as fait du temple et de mes dieux.» Georges lui répliqua: «Dis-moi, misérable, tes dieux qui n'auront pu s'aider eux-mêmes, comment t'aideront-ils?» Alors le roi outré de colère dit à Alexandrie, son épouse: «Je suis vaincu et je mourrai, car je me vois surmonté par cet homme.» Sa femme lui dit: «Bourreau et cruel tyran, ne t'ai-je pas dit trop souvent de ne pas inquiéter les chrétiens, parce que leur Dieu combattrait pour eux? Eh bien! apprends que je veux me faire chrétienne.» Le roi stupéfait dit: «Ah! quelle douleur! serais-tu aussi séduite?» Et il la fit suspendre par les cheveux et battre très cruellement avec des fouets. Pendant son supplice, elle dit à Georges: «Georges, lumière de vérité, où penses-tu que je parvienne, puisque je n'ai pas encore été régénérée par l'eau du baptême?» «N'appréhende rien, ma fille, lui répondit le saint, le sang que tu vas répandre te servira de baptême et sera ta couronne.» Alors elle rendit son âme au Seigneur en priant. C'est ce qu'atteste saint Ambroise en disant dans la préface:  C'est pourquoi la reine des Perses, qui avait été condamnée par la sentence de son cruel mari, quoiqu'elle n'eût pas reçu la grâce du baptême, mérita la palme d'un martyre glorieux aussi ne pouvons-nous douter que la rosée de son sang; ne lui ait ouvert les portes du ciel, et qu'elle n'ait mérité de posséder le royaume des cieux.» (Saint Ambr.)

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Or, le jour suivant, saint Georges fut condamné à être traîné par toute la ville et à avoir la tète tranchée. Il pria alors le Seigneur de vouloir bien accorder suite à la prière de quiconque implorerait son secours; et une voix du ciel se fit entendre et lui dit qu'il serait fait comme il avait demandé. Son oraison achevée, il consomma son martyre en ayant la tête coupée, sous Dioclétien et Maximien qui régnèrent vers l'an de N.-S. 287. Or, comme Dacien revenait du lieu du supplice à son palais, le feu du ciel descendit sur lui et le consuma avec ses gardes. Grégoire de Tours raconte * que des personnes portant des reliques .de saint Georges qui avaient été hébergées dans un oratoire, ne purent ait matin mouvoir sa châsse en aucune manière, jusqu'à ce qu'ils eussent laissé là une parcelle des reliques. - On lit dans l'Histoire d'Antioche, que les chrétiens allant au siège de Jérusalem, un très beau jeune homme apparut à un prêtre et lui donna avis que saint Georges était le général des chrétiens, qu'ils eussent à porter avec eux ses reliques à Jérusalem où il serait lui-même avec eux. Et comme on assiégeait la ville et que la résistance des Sarrasins ne permettait pas de monter à l'assaut, saint Georges, revêtu d'habits blancs et armé d'une croix rouge, apparut et fit signe aux assiégeants de monter sans crainte après lui, et qu'ils se rendraient martres de la place. Animés par cette vision, les chrétiens furent vainqueurs et massacrèrent les Sarrasins.

* De gloria martyrum, cap. CI.





SAINT MARC, ÉVANGÉLISTE

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Marc veut dire sublime en commandement, certain, abaissé et amer. Il fut sublime en commandement par la perfection de sa vie, car non seulement, il observa les commandements qui sont communs à tous, mais encore ceux qui sont sublimes, tels que les conseils. Il fut certain en raison de la certitude de la doctrine dans son évangile, parce que cette certitude a pour garant saint Pierre, son maître, de qui il l'avait appris. Il fut abaissé, en raison de sa profonde humilité, qui lui fit, dit-on, se couper le pouce, afin de ne pas être trouvé capable d'être prêtre. Il fut amer en raison de l'amertume du tourment. qu'il endura lorsqu'il fut traîné par la ville, et, qu'il rendit l'esprit au milieu des supplices. Ou bien Marc vient de Marco, qui est une masse, dont le même coup aplatit le fer, produit la mélodie, et affermit l'enclume. De même saint Marc, par l'unique doctrine de son évangile, dompte la perfidie des hérétiques, dilate la louange divine et affermit l'Eglise.

Marc, évangéliste, prêtre de la tribu de Lévi, fut, par le baptême, le fils de saint Pierre, apôtre, dont, il était le disciple en la parole divine. Il alla à Rome avec ce saint. Comme celui-ci v prêchait la bonne nouvelle, les fidèles de Rome prièrent saint Marc de vouloir écrire l'Evangile, pour l'avoir toujours présent à la mémoire. Il le leur écrivit loyalement, tel qu'il l'avait appris de la bouché de son maître saint Pierre, qui l'examina avec soin, et après avoir vu qu'il était plein de vérité, il l'approuva et le jugea digne d'être

* Ordéric Vital raconte (Hist. Eccl., part. I, liv. II, c. XX) chacun des faits consignés dans la légende de saint Marc.

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reçu par tous les fidèles*. Saint Pierre, considérant que Marc était constant dans la foi, le destina pour Aquilée, où après avoir prêché la parole de Dieu, . il convertit des multitudes innombrables de gentils à J.-C. On dit que là aussi, il écrivit son évangile que l'on montre encore à présent dans l'église d'Aquilée, où on le garde avec grand respect. Enfin saint Marc conduisit à Rome, auprès de saint Pierre, nu citoyen d'Aquilée, nommé Ermagoras, qu'il avait converti à la foi afin que l'apôtre le consacrât évêque d'Aquilée. Ermagoras, après avoir reçu la charge du pontificat, gouverna avec zèle cette église: il fut pris ensuite par les infidèles et reçut la couronne du martyre. Pour saint Marc, il fut envoyé par saint Pierre à Alexandrie, où il prêcha le premier la parole de Dieu **. A son entrée dans cette ville, au rapport de Philon, juif très disert, il se forma une assemblée immense qui reçut la foi et pratiqua la dévotion et la continence. Papias, évêque de Jérusalem, fait de lui le plus grand éloge en très beau langage; et voici ce que Pierre Damien dit à son sujet: «Il jouit d'une si grande influence à Alexandrie, que tous ceux qui venaient en foule pour être instruits dans la foi, atteignirent bientôt au sommet de la perfection, par la pratique de la continence; et de toutes sortes de bonnes.. oeuvres, en sorte que l'on eût dit une communauté de moines. On devait ce résultat moins aux miracles extraordinaires de saint Marc et à l'éloquence de ses

*Saint Jérôme, Vir. illustr., c. VIII; - Clément d'Alexandrie, dans Eusèbe, l. II, c. XV.
** Eusèbe, c. XVI; Epiphan., LI, c. VI; saint Jér., ibid.

prédications, qu'à ses exemples éminents.» Le même Pierre Damien ajoute qu'après sa mort, son corps fut ramené en Italie, afin que la terre où il lui avait été donné d'écrire son Evangile, eût l'honneur de posséder ses dépouilles sacrées. «Tu es heureuse, ô Alexandrie, d'avoir été arrosée de son sang glorieux, comme toi, en Italie, tu ne l'es pas moins de posséder un si rare trésor.»

On rapporte que saint Marc fut doué d'une si grande Humilité qu'il se coupa le pouce afin que l'on ne songeât pas à l'ordonner prêtre *. Mais par une disposition de Dieu et par l'autorité de saint Pierre, il fut choisi pour évêque d'Alexandrie: A son entrée dans cette ville, sa chaussure se rompit et se déchira subitement; il comprit intérieurement ce que cela signifiait, et dit: «Vraiment, le Seigneur a raccourci mon chemin, et Satan ne sera pas un obstacle pour moi, puisque le Seigneur  m'a absous des oeuvres de mort.» Or, Marc voyant un savetier qui cousait de vieilles chaussures, lui donna la sienne à raccommoder: mais en le faisant, l'ouvrier se blessa. grièvement à la main . gauche, et se mit à crier: «Unique Dieu.» En l'entendant, l'homme de Dieu dit: «Vraiment le Seigneur a rendu mon voyage heureux.» Alors il fit de la boue avec sa salive et de la terre, l'appliqua sur la main du savetier qui fut incontinent guéri. Cet homme, voyant le pouvoir extraordinaire de Marc, le fit entrer chez lui et lui demanda qui il était, et d'où il venait. Marc lui avoua être le serviteur du Seigneur Jésus.

* Isidore de Sév., Vies et morts illustres, ch. LIV.

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L'autre lui dit: «Je voudrais bien le voir.» Je te le montrerai, lui répondit saint Marc.» Il se mit alors à lui annoncer l'Evangile de J.-C. et le baptisa avec tous ceux de sa maison. Les habitants de la ville ayant appris l'arrivée d'un Galiléen, qui méprisait les. sacrifices de leurs dieux, lui tendirent des pièges. Saint Marc, en ayant été instruit, ordonna évêque Anianus, cet homme-là même qu'il avait guéri *, et partit pour la Pentapole, où il resta deux ans, après lesquels il revint à Alexandrie. Il y avait fait élever une église sur les rochers qui bordent la mer, dans un lieu appelé Bucculi **; il y trouva le nombre des chrétiens augmenté. Or, les prêtres des temples cherchèrent à le prendre; et le jour de Pâques, comme saint Marc célébrait la- messe, ils s'assemblèrent tous au lieu où était le saint, lui attachèrent une corde au cou et le traînèrent par toute la ville en disant: «Traînons le buffle au Bucculi ***.» Sa chair et son sang étaient épars sur la terre et couvraient les pierres, ensuite il fut, enfermé dans une prison où un ange le fortifia. Le Seigneur J.-C. lui-même daigna le visiter et lui dit pour, le conforter: «La paix soit avec toi, Marc, mon évangéliste; ne crains rien car je suis avec toi pour te délivrer.» Le matin arrivé, ils lui jettent encore une fois une corde au cou, et le traînent çà et là en criant : « Traînez le buffle au Bucculi.» Au milieu de ce supplice, Marc rendait grâces à Dieu en disant: «Je remets mon esprit entre vos mains.» Et en prononçant

* Actes de saint Marc.
** Probablement: l'abattoir.
*** A l'abattoir.

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ces mots, il expira. C'était sous Néron, vers l'an 57. Comme les païens le voulaient brûler, soudain, l'air se trouble, une grêle s'annonce, les tonnerres grondent, les éclairs brillent, tout le monde s'empressa de fuir, et le corps du saint reste intact. Les chrétiens le prirent et l'ensevelirent dans l'église en toute révérence. Voici le portrait de saint Marc *: Il avait le nez long, les sourcils abaissés, les yeux beaux, le front un, peu chauve, la barbe épaisse. Il était de belles manières, d'un âge moyen; ses cheveux commençaient à blanchir, il était affectueux, plein de mesure et rempli de la grâce de Dieu. Saint Ambroise dit de lui: «Comme le bienheureux Marc brillait par des miracles sans nombre, il arriva qu'un cordonnier auquel il avait donné sa chaussure à raccommoder, se perça la main gauche dans son travail, et en se faisant la blessure, il cria: «Un Dieu!» Le serviteur de Dieu fut tout joyeux de l'entendre: il prit de la boue qu'il fit avec sa salive, en oignit la main de l'ouvrier qu'il guérit à l'instant et avec laquelle cet homme put continuer son travail. Comme le Sauveur il guérit aussi un aveugle-né.»

L'an de l'Incarnation du Seigneur 468, du temps de l'empereur Léon, des Vénitiens transportèrent le corps de saint Marc, d'Alexandrie à Venise, où fut élevée, en l'honneur du saint, une église d'une merveilleuse

* Un ms. de la Bibliothèque de Saint-Victor, coté 28 et cité par Ducange donne en ces termes le portrait du saint: «La forme de saint Marc fu tele, lonc nés, sourciz yautis, biaus par iex, les cheveux cercelés, longe barbe, de très bele composition de cors, de moien eaige» Gloss. . Eagium.

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beauté. Des marchands vénitiens, étant allés à Alexandrie; firent tant par dons et par promesses auprès de deux prêtres, gardiens du corps de saint Marc, que ceux-ci le laissèrent enlever en cachette et emporter à Venise. Mais comme on levait le corps du tombeau, une odeur si pénétrante se répandit dans Alexandrie que tout le,monde s'émerveillait d'où pouvait venir une pareille suavité. Or; comme les marchands étaient en pleine mer, ils découvrirent aux navires qui allaient de conserve avec eux qu'ils portaient le corps de saint Marc; un des gens dit: «C'est probablement le corps de quelque Egyptien que l'on vous a donné, et vous pensez emporter le corps de saint Marc.» Aussitôt le navire qui portait le corps de saint Marc vira de bord avec une merveilleuse célérité et se heurtant contre le navire où se trouvait celui. qui venait de parler, il en brisa un côté. Il ne s'éloigna point avant que tous ceux qui le montaient n'eussent acclamé qu'ils croyaient que le corps de saint Marc s'y trouvât.

Une nuit, les navires étaient emportés par un courant très rapide, et les nautoniers; ballottés par la tempête et enveloppés de ténèbres, ne savaient où ils allaient; saint Marc apparut au moine gardien de son corps, et lui dit: «Dis à tout ce monde de carguer vite les voiles, car ils ne sont pas loin de la terre.» Et on les cargua. Quand le matin fut. venu, on se trouvait vis-à-vis une île. Or, comme on longeait divers rivages, et qu'on cachait à tous le saint trésor, des habitants vinrent et crièrent: «Oh! que vous êtes heureux, vous qui portez le corps de saint Marc ! Permettez que nous lui rendions nos profonds hommages (467).» Un matelot encore tout à fait incrédule est saisi par le démon et vexé jusqu'au moment où, amené auprès du corps, il avoua qu'il croyait que c'était celui de saint Marc. Après avoir été délivré, il rendit gloire à Dieu et eut par la suite une grande dévotion au saint. Il arriva que, pour conserver avec plus de précaution le corps de saint Marc, on le déposa au bas d'une colonne de marbre, en présence d'un petit nombre de personnes; mais par le cours du temps, les témoins étant morts, personne ne pouvait savoir, ni reconnaître, à aucun indice, l'endroit où était le saint trésor. Il y eut des pleurs dans le clergé, une grande désolation chez les laïcs, et un chagrin profond dans tous. La peur de ce peuple dévot était en effet qu'un patron si recommandable n'eût été enlevé furtivement. Alors on indique un jeûne solennel, on ordonne une procession plus solennelle. encore; mais voici que, sous les veux et à la surprise de tout le monde, les pierres se détachent de la colonne et laissent voir à découvert la châsse où le corps était caché. A l'instant on rend des actions de grâces au Créateur quia daigné révéler le saint patron; et ce jour, illustré par la gloire d'un si grand prodige, fut fêté dans la suite des temps *.

Un jeune homme, tourmenté par un cancer dont les vers lui rongeaient la poitrine, se mit à implorer d'un coeur dévoué les suffrages de saint Marc; et voici que, dans son sommeil, un homme en habit de pèlerin lui apparut se hâtant dans sa marche. Interrogé par lui qui il était et où il allait en marchant si vite, il lui

* Au 23 juin.

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répondit qu'il était saint Marc, qu'il courait porter secours à un navire en péril. qui l'invoquait. Alors il étendit la main, en toucha le malade qui, à son réveille matin, se sentit complètement guéri. Un instant après le navire entra dans le port de Venise et ceux qui le montaient racontèrent le péril dans lequel ils s'étaient trouvés et comme saint Marc leur était venu en aide. On rendit grâces pour ces deux miracles et Dieu fut proclamé admirable dans Marc, son saint.

Des marchands de Venise qui allaient à Alexandrie sur un vaisseau sarrasin, se voyant dans un péril imminent, se jettent dans une chaloupe, coupent la corde, et aussitôt le navire est englouti dans les flots qui enveloppent tous les Sarrasins. L'un d'eux invoqua saint Marc et fit comme il put, voeu de recevoir le baptême et de visiter son église, s'il lui prêtait secours. A l'instant, un personnage éclatant lui apparut, l'arracha des flots et le mit avec les autres ans la chaloupe. Arrivé à Alexandrie, il fut ingrat envers son libérateur et ne se pressa ni d'aller à l'église de saint Marc, ni de recevoir les sacrements de notre foi. De rechef saint Marc lui apparut et lui reprocha son ingratitude. Il rentra donc en lui-même, vint à Venise, et régénéré dans les fonts sacrés du baptême, il reçut le nom de Marc. Sa foi en J.-C. fut parfaite et il finit sa vie dans les bonnes oeuvres. - Un homme qui travaillait au haut du campanile de saint Marc de Venise, tombe tout à coup à l'improviste; ses membres sont déchirés par lambeaux; mais, dans sa chute, il se rappelle saint Marc, et implore son patronage alors il rencontre une poutre qui le retient. On lui (469) donne une corde et il s'en relève sans blessure; il remonte ensuite à son travail avec dévotion pour le terminer. - Un esclave au service d'un noble habitant de la Provence, avait fait voeu de visiter le corps de saint Marc; mais il n'en pouvait obtenir la permission: enfin il tint moins de compte de la peur, de son maître temporel que de son maître céleste. Sans prendre congé;, il partit avec dévotion pour accomplir son voeu. A son retour, le maître, qui était fâché, ordonna de lui arracher les yeux. Cet homme cruel fut favorisé dans son dessein par des hommes plus cruels encore qui jettent, par terre, le serviteur de Dieu, lequel invoquait saint Marc, et s'approchent avec des poinçons pour lui crever les yeux: les efforts qu'ils tentent sont inutiles, car le fer se rebroussait et se cassait tout d'un coup. Il ordonne donc que ses jambes soient rompues et ses pieds coupés à coups de haches, mais le fer qui est dur de sa nature s'amollit comme le plomb. Il ordonne qu'on lui brise la figuré et les dents avec des maillets de fer; le fer perd sa force et s'émousse par la puissance de Dieu. A cette vue son maître stupéfait demanda pardon et alla avec son esclave visiter en grande dévotion le tombeau de saint Marc. - Un soldat reçut au bras dans une bataille une blessure telle que sa main restait pendante. Les médecins et ses amis lui conseillaient de la faire amputer; mais ce soldat qui était preux, honteux d'être manchot, se fit remettre la main à sa place et l'assujettit avec des bandeaux sans aucun médicament. Il invoqua les suffrages de saint Marc et sa main fut guérie aussitôt: il n'y resta
* Est-ce le sujet d'un tableau du Tintcret?

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qu'une cicatrice qui fut un témoignage d'un si grand miracle et un monument d'un pareil bienfait. - Un homme de la ville de Mantoue, faussement accusé par des envieux, fut mis en une prison, où, après être resté 40 jours dans le plus grand ennui, il se mortifia par un jeûne de trois jours en invoquant le patronage de saint Marc. Ce saint lui apparaît et lui commande de sortir avec confiance de sa prison. Cet homme, que l'ennui avait endormi, ne se mit pas en peine d'obéir aux ordres du saint, tout en se croyant le jouet d'une illusion. Il eut une seconde et une troisième apparitions du saint qui lui renouvela les mêmes ordres. Revenu à soi, et voyant la porte ouverte, il sortit avec confiance de la prison et brisa ses entraves comme si c'eût été des liens d'étoupes. Il marchait donc en plein jour au milieu des gardes et des autres personnes présentes, sans être vu, tandis que lui voyait tout le monde. Il vint au tombeau de saint Marc pour s'acquitter dévotement de sa dette de remerciements.

L'Apulie entière était en proie à la stérilité, et pas une goutte de pluie n'arrosait cette terre. Alors il fut révélé que c'était un châtiment de ce qu'on ne célébrait pas la fête de saint Marc. Donc on invoqua ce saint et on promit de fêter avec solennité le jour de sa fête. Le saint fit cesser la stérilité. et renaître l'abondance en donnant un air pur et une pluie convenable. - Environ l'an 1212, il y avait à Pavie, dans le, couvent des Frères Prêcheurs, un frère de sainte et religieuse vie, nommé Julien, originaire de Faënza, jeune de corps, mais vieux d'esprit; dans sa dernière maladie il s'inquiéta de sa position auprès du prieur, (471) qui lui répondit que sa mort était prochaine. Aussitôt la figure du malade devint resplendissante de, joie et il se mit à crier en applaudissant des mains et de tousses membres: «Faites place, mes frères, car ce sera dans un excès d'allégresse que mon âme va sortir de mon corps, depuis que j'ai entendu d'agréables nouvelles.» Et en élevant les mains- au ciel, il se mit à dire: «Educ de custodia animam meam, etc. Seigneur, tirez mon âme de sa prison. Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort?» Il s'endormit alors d'un léger sommeil, et vit,venir à lui saint Marc qui se plaça à côté de son lit: et une voix qui s'adressait au saint, lui dit: «Que faites-vous, ici, ô Marc?» Celui-ci répondit: «Je suis venu trouver ce mourant, parce que son ministère a été agréable à Dieu.» La voix se fit encore entendre: «Comment se fait-il que de tous les saints, ce soit vous de préférence qui soyez venu à lui?» «C'est, répondit-il, parce qu'il a eu pour moi une dévotion spéciale et qu'il a visité avec une dévotion toute particulière le lieu où repose mon corps. C'est donc pour cela que je suis venu le visiter à l'heure de sa mort.» Et voici que des hommes couverts d'aubes blanches remplirent toute la maison. Saint Marc leur dit: «Que venez-vous faire ici?» «Nous venons, répondirent-ils, pour présenter l'âme de ce religieux devant le Seigneur.» A son réveil, ce frère envoya chercher aussitôt le prieur qui  m'a lui-même raconté ces faits, et lui rendant compte de tout ce qu'il avait vu, il s'endormit heureusement et en grande joie dans le Seigneur *.

* La traduction française de M. Jehan Batallier intercale ici un miracle que le texte latin ne fournit pas, et que nous copions :

«Si côe ung autre chevalier chevauchoist tout arme dessus un pont, le cheval cheut sur le pont, et le chevalier cheut, ou parfont de leaue en bas. Et si côme il vit qu'il nistroit iamais de la par force ppre, il reclama le benoit Marc: et le sainct luy tendit une lance et le mist hors de leaue et doncqs il vît a Venise et racôta le miracle et acôplit son voeu devotemêt.»






La légende dorée - SAINT AMBROISE *