La légende dorée - SAINT PIERRE, MARTYR

SAINT PHILIPPE, APOTRE

Philippe signifie bouche de lampe, ou bouche des mains ou bien il vient de philos, amour, et uper, au-dessus, qui aime les choses supérieures. Par bouche de lampe, on entend sa prédication brillante; par bouche des mains, ses bonnes oeuvres continuelles; par amour des choses supérieures; sa contemplation céleste.

Saint Philippe, apôtre, après avoir prêché vingt ans en Scythie, fut pris par les païens qui voulurent le forcer à sacrifier devant une statue de Mars. Mais aussitôt, il s'élança de dessous le piédestal un dragon. qui tua le fils du pontife employé à porter le feu pour le sacrifice, deux tribuns dont les soldats tenaient Philippe dans les chaînes: et son souffle empoisonna les autres à tel point qu'ils tombèrent tous malades. Et Philippe dit: «Croyez-moi, brisez cette statue, et à sa place adorez la croix du Seigneur, afin que vos malades soient guéris et que les morts ressuscitent.» Mais ceux qui étaient souffrants criaient: «Faites-nous seulement guérir, et de suite nous briserons ce Mars.» (34) Philippe commanda alors au dragon de descendre au désert, pour qu'il ne nuisit à qui que ce fût. Le monstre se retira aussitôt, et disparut. Ensuite Philippe les guérit tous et il obtint la vie pour les trois morts. Ce fut ainsi que tout le monde crut. Pendant une année entière il les prêcha, et après leur avoir ordonné des prêtres et des diacres, il vint en Asie dans la ville de Hiérapolis, où il éteignit l'hérésie des Ebionites qui enseignaient que J.-C. avait pris une chair fantastique. Il avait là avec lui deux de ses filles, vierges très saintes, par le moyen desquelles le Seigneur convertit beaucoup de monde à la foi. Pour Philippe, sept jours avant sa mort, il convoqua les évêques et les prêtres, et leur dit: «Le Seigneur  m'a accordé ces sept jours pour vous donner des avis.» Il avait alors 87 ans. Après quoi les infidèles se saisirent de lui, et l'attachèrent à la croix, comme le maître qu'il prêchait. Il trépassa de cette manière heureusement au Seigneur. A ses côtés furent ensevelies ses deux filles, l'une à sa droite, et l'autre à sa gauche. Voici ce que dit Isidore de ce Philippe dans le Livre de la Vie, de la naissance et de la mort des saints *: «Philippe prêche J.-C. aux Gaulois; les nations barbares voisines, qui habitaient dans les ténèbres, sur les bords de l'océan furieux, il les conduit à la lumière de la science et au port de la foi; enfin, crucifié à Hiérapolis, ville de la province de Phrygie, et lapidé, il y mourut, et y repose avec ses filles.» Quant à Philippe qui fut un des sept diacres, saint Jérôme dit, dans son martyrologe,

* Ch. XLV.

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que le 8e des ides de juillet, il mourut à Césarée, illustre par ses miracles et ses prodiges; à côté de lui furent enterrées trois de ses filles, car la quatrième repose à Ephèse. Le premier Philippe est différent de celui-ci, en ce que le premier fut apôtre, le second diacre; l'apôtre repose à Hiérapolis, le diacre à Césarée. Le premier eut deux filles prophétesses, le second en eut quatre, bien que dans l'Histoire ecclésiastique on paraisse dire que ce fut saint Philippe, apôtre, qui eut quatre filles prophétesses: mais il vaut mieux s'en rapporter à saint Jérôme.


* Eusèbe, Histoire ecclésiastique, I. III, c. XXXI.





SAINTE APOLLONIE (APOLLINE) **

Au temps de l'empereur Dèce, une affreuse persécution s'éleva à Alexandrie contre les serviteurs de Dieu. Un homme nommé Devin devança. les ordres de l'empereur, comme ministre des démons, en excitant, contre les chrétiens, la superstition de la populace qui dans son ardeur était dévorée de la soif du sang des justes. Tout d'abord on se saisit de quelques personnes pieuses de l'un et de l'autre sexe. Aux uns, on déchirait le corps, membre après membre, à coups de fouets; à d'autres, on crevait les yeux avec des roseaux pointus, ainsi que le visage, après quoi on les chassait de la ville. Quelques-uns étaient traînés aux pieds des idoles afin de les leur faire adorer; mais
** Eusèbe, Histoire ecclésiastique, liv. VIII, ch. XXXI.

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comme ils s'y refusaient avec horreur, on leur liait les pieds avec des chaînes, on les traînait à travers les rues de toute la ville, et leurs corps étaient arrachés par flambeaux dans cet atroce et épouvantable supplice. Or, il y avait; en ce temps-là, une vierge remarquable, d'un age fort avancé, nommée Apollonie, ornée des fleurs de la chasteté, de la sobriété et de la pureté, semblable à une colonne des plus solides, appuyée sur l'esprit même du Seigneur, elle offrait aux anges et aux hommes le spectacle admirable de bonnes oeuvres inspirées par la foi et par une vertu céleste. La multitude en fureur s'était donc ruée sur les maisons des serviteurs de Dieu, brisant tout avec un acharnement étrange; on traîna d'abord au tribunal des méchants la bienheureuse Apollonie, innocente de simplicité, fort, de sa vertu, et n'ayant pour se défendre que la conscience d'un coeur intrépide, et la pureté d'une conscience sans tache; elle offrait avec grand dévouement son âme à Dieu et abandonnait à ses persécuteurs son corps tout chaste pour qu'il fût tourmenté. Lors donc que cette bienheureuse vierge fut entre leurs mains, ils eurent la cruauté de lui briser d'abord les dents; ensuite, ils amassèrent du bois pour en dresser un grand billot et la menacèrent de la brûler vive, si elle ne disait avec eux certaines paroles impies. Mais la sainte n'eut pas plutôt vu le bûcher en flammes, que, se recueillant un instant, tout d'un coup, elle s'échappe des mains des bourreaux, et se jette elle-même dans le brasier dont on la menaçait. De là l'effroi des païens cruels qui voyaient une femme plus pressée de recevoir la mort qu'eux de l'infliger. Eprouvée déjà par (37) différents supplices, cette courageuse martyre ne se laissa pas vaincre par la douleur des tourments qu'elle subissait, ni par l'ardeur des flammes, car son coeur était bien autrement embrasé des rayons de la vérité. Aussi ce feu matériel, attisé par la main des hommes, ne put détruire dans son cour intrépide l'ardeur qu'y avait déposée l'oeuvre de Dieu. Oh! la grande et l'admirable lutte que celle de cette vierge, qui, par l'inspiration de la grâce de Dieu, se livra aux flammes pour ne pas brûler, et se consuma pour ne pas être consumée; comme si elle n'eût pas été la proie du feu, et des supplices! Elle était libre de se sauvegarder, mais sans combat, elle ne pouvait acquérir de gloire. Cette vierge et martyre intrépide de J.-C. méprise les délices mondaines, foule par ses mépris les joies d'ici-bas, et sans autre désir que de plaire au Christ, son époux, elle reste inébranlable dans sa résolution de garder sa virginité, au milieu des tourments les plus violents. Ses mérites éminents la font distinguer au milieu des martyrs pour le glorieux triomphe qu'elle a heureusement remporté. Assurément il y eut dans cette femme un courage viril, puisque la fragilité de son sexe ne fléchit point dans une lutte si violente. Elle refoule la crainte humaine par l'amour de Dieu, elle se saisit de la croix du Christ comme d'un trophée; elle combat et remporte plus promptement la victoire avec les armes de la foi qu'elle n'aurait fait avec le fer, aussi bien contre les passions que contre tous les genres de supplices. Daigne nous accorder aussi cette grâce celui qui avec le Père et le Saint-Esprit règne dans les siècles des siècles.





SAINT JACQUES, APÔTRE (LE MINEUR)

Jacques veut dire, qui renverse, qui supplante celui qui se hâte, qui prépare. Ou bien il se tire de ia, qui signifie Dieu, et cobar, charge, poids. Ou bien Jacques vient dejaculum, javelot, et tope, coupure, coupé par des javelots. Or, on le dit qui renverse parce qu'il renversa le monde par le mépris qu'il en fit: il supplanta le démon qui est toujours hâtif: il prépara son corps à toutes sortes de bonnes oeuvres. Les mauvaises passions résident en nous par trois causes, ainsi que le dit saint Grégoire de Nisse: par mauvaise éducation, ou conversation, par mauvaise habitude du corps, ou par vice d'ignorance. Elles se guérissent, ajoute le même auteur, par la bonne habitude, par le bon exercice, et par l'étude de bonne doctrine. Ce fut ainsi que saint Jacques se guérit et qu'il eut son corps préparé à toutes sortes de bonnes oeuvres. Il fut un poids divin par la gravité de ses moeurs; il fut coupé par le fer, en souffrant le martyre.

Saint Jacques, apôtre, est appelé Jacques d'Alphée, c'est-à-dire fils d'Alphée, frère du Seigneur, Jacques le mineur, et Jacques le Juste. On l'appelle Jacques d'Alphée, non seulement selon la chair, mais encore selon l'interprétation du nom: car Alphée, veut dire docte, document, fugitif, ou bien millième. Il est nommé Jacques d'Alphée, parce qu'il fut docte, par inspiration de science; document, par l'instruction des autres; fugitif, du monde, qu'il méprisa; et millième, par sa réputation d'humilité. On le nomme frère du Seigneur, parce qu'il lui ressemblait au point que beaucoup les prenaient l'un pour l'autre en les voyant. Ce fut pour cela que lorsque les Juifs vinrent se saisir de J.-C., de peur de prendre Jacques à sa place, Judas, (39) qui vivant avec eux savait les distinguer, leur donna pour signal le baiser. C'est encore le témoignage de saint Ignace eu son épître saint Jean l'évangéliste où il dit: «Si cela  m'est possible, je veut vous aller joindre à Jérusalem, pour voir ce vénérable Jacques, surnommé le juste, qu'on dit ressembler à J.-C. de figure, de vie, et de manière d'être, comme s'ils avaient été deux jumeaux de la même mère: ce Jacques dont on dit: si je le vois, je vois en même temps J.-C. dans chacun de ses membres.» On l'appelle encore frère du Seigneur, parce que J.-C. et Jacques, qui descendaient de deux soeurs, descendaient aussi, prétendait-on, de deux frères, Joseph et Cléophas: car on ne le nomme pas frère du Seigneur parce qu'il aurait été le fils de Joseph, l'époux de Marie, mais d'une autre femme, d'après certains témoignages, mais parce qu'il était fils de Marie, fille de Cléophé: Et ce Cléophéfut bien le frère de Joseph, époux de Marie, quoique maître Jean Beleth(ch. CXXIV) dise que Alphée, père de Jacques dont nous parlons, fut frère de Joseph,, époux de Marie. Ce que personne ne croit. Or, les Juifs appelaient frères ceux qui étaient parents des deux souches: Ou bien encore on l'appelle frère du Seigneur eu raison de la prérogative et de l'excellence de sa sainteté pour laquelle, de préférence aux autres apôtres, il fut ordonné évêque de Jérusalem. On l'appelle encore Jacques le mineur, pour le distinguer de Jacques le majeur, fils de Zébédée; car quoique Jacques de Zébédéeeût été plus âgé, il fut cependant,appelé après lui. De là vient la coutume qui s'observe dans la plupart des maisons religieuses que celui qui vient le (40) premier s'appelle major, et celui qui vient le dernier s'appelle minor, quand bien même celui-ci serait plus ancien d'âge ou plus digne par sa sainteté. On l'appelle aussi Jacques le Juste, à cause du mérite de son excellentissime sainteté: car, d'après saint Jérôme, il fut en telle révérence et sainteté au peuple, que c'était à qui pourrait toucher le bord de son vêtement. En parlant de sa sainteté, Hégésippe, qui vivait peu de temps après les apôtres, écrit, selon les Histoires ecclésiastiques: «Jacques, le frère du Seigneur, généralement surnommé le Juste, fut chargé du soin de l'Eglise depuis J.-C. jusqu'à nos jours. Il fut saint dès le sein de sa mère; il ne but ni vin, ni bière; il ne mangea jamais de viande; le fer ne toucha pas sa tête; il n'usa jamais d'huile, ni de bain; il était toujours couvert d'une robe de lin. Il s'agenouillait tant de fois pour prier que la peau de ses genoux était endurcie comme la plante des pieds. En raison de cet état de justice extraordinaire et constante, il fut appelé juste et abba, qui veut dire défense du peuple et justice. Seul de tous les apôtres, à cause de cette éminente sainteté, il avait la permission d'entrer dans le saint des saints.» (Hégésippe.) On dit encore que ce fut le premier des apôtres qui célébra la messe; car, pour l'excellence de sa sainteté, les apôtres lui firent cet honneur de célébrer, 1e premier d'entre eux, la messe à Jérusalem, après l'ascension du Seigneur, même avant d'avoir été élevé à l'épiscopat, puisqu'il est dit, dans les Actes, qu'avant son ordination, les disciples persévéraient dans la doctrine enseignée par les apôtres, et dans la communion de la fraction du pain, ce qui s'entend de (41) la célébration de la messe: ou bien peut-être, dit-on qu'il a célébré le premier en habits pontificaux, comme plus tard saint Pierre célébra la messe le premier à Antioche, et saisit Marc à Alexandrie. Sa virginité fut perpétuelle, au témoignage de saint Jérôme en son livre contre Jovinien. Selon que le rapportent Josèphe et saint Jérôme, en son livre des Hommes illustres, le Seigneur étant mort la veille du sabbat, saint Jacques fit voeu de ne point manger avant de l'avoir vu ressuscité d'entre les morts; et le jour de la résurrection, comme il n'avait pris jusque-là aucune nourriture, le Seigneur lui apparut ainsi qu'à ceux qui étaient avec. lui, et dit: «Mettez la table et du pain.» Puis prenant le pain, il le bénit et le donna à Jacques le Juste en disant Lève-toi, mon frère, mange, car le fils de l'homme est ressuscité des morts.» La septième année de son épiscopat, les apôtres s'étant réunis à Jérusalem, saint Jacques leur demanda quelles merveilles le Seigneur avait opérées par eux devant le peuple; ils les lui racontèrent. Saint Jacques et les autres apôtres prêchèrent, pendant sept jours, dans le temple, en présence de Caïphe et de quelques autres Juifs qui étaient sur le point de consentir à recevoir le baptême, lorsque tout à coup un homme entra dans le temple et se mit à crier: «O Israélites, que faites-vous? Pourquoi vous laissez-vous tromper par,ces magiciens?» Or, il émut si grandement le peuple, qu'on voulait lapider les apôtres. Alors il monta sur, les degrés d'où prêchait saint Jacques, et le renversa par terre depuis ce temps-là il boita beaucoup. Ceci arriva à saint Jacques la septième année après l'ascension du Seigneur.

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La trentième année de son épiscopat, les Juifs n'ayant pu tuer saint Paul, parce qu'il en avait appelé à César et qu'il avait été envoyé à Rome, tournèrent contre saint Jacques leur tyrannie et leur persécution. Hégésippe, contemporain des apôtres, raconte, et on le trouve aussi dans l'Histoire ecclésiastique *, que les juifs cherchant l'occasion de le faire mourir, allèrent le trouver et lui dire: «Vous t'en prions; détrompe le peuple de la fausse opinion où il est que Jésus est le Christ. Vous te conjurons de dissuader, au sujet de Jésus, tous ceux qui se rassembleront le jour de Pâques. Tous nous obtempérerons à ce que tu diras, et nous, comme le peuple, nous rendrons de toi ce témoignage que tu es juste et que tu ne fais acception de personne.» Ils le firent donc monter sur la plate-forme du temple et lui dirent en criant à haute voix: «O le plus juste des hommes, auquel nous devons tous obéir, puisque le peuple se trompe au sujet de Jésus qui a été crucifié, expose-nous ce qu'il t'en semble.» Alors saint Jacques répondit d'une voix forte: «Pourquoi m'interrogez-vous touchant le Fils de l'homme voici qu'il est assis dans les cieux, à la droite de la puissance souveraine, et qu'il doit venir pour juger les vivants et les morts.» En entendant ces paroles, les chrétiens furent remplis d'une grande joie et écoutèrent l'apôtre volontiers; mais les, Pharisiens et les Scribes dirent: «Nous avons mal fait en provoquant ce témoignage de Jésus; montons donc et nous le précipiterons du haut en bas, afin que les autres

* Eusèbe, livre II, ch. XXIII.

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effrayés n'aient pas la présomption de le croire.» Et tous à la fois s'écrièrent avec force: «Oh! oh! le juste est aussi dans l'erreur.» Ils montèrent et le jetèrent en bas, après quoi, ils l'accablèrent sous une grêle de pierres en disant: «Lapidons Jacques le Juste.» Il ne fut cependant pas tué de sa chute, mais il se releva et se mettant sur ses genoux, il dit: «Je vous en prie, Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font.» Alors un des prêtres, qui était des enfants de Rahab, s'écria: «Arrêtez, je vous prie, que faites-vous? C'est pour vous que prie ce juste, et vous le lapidez!» Or, l'un d'entre eux prit une perche. de foulon, lui en asséna un violent coup sur la tête et lui fit sauter la cervelle. C'est ce que raconte Hégésippe. Et saint Jacques trépassa au Seigneur par ce martyre sous Néron qui régna l'an 57: il fut enseveli au même lieu auprès du temple. Or, comme le peuple voulait venger sa mort, prendre et punir ses meurtriers, ceux-ci s'enfuirent aussitôt. - Josèphe rapporte (liv. VII) que ce fut en punition du péché de la mort de Jacques le Juste qu'arrivèrent la ruine de Jérusalem et la dispersion des Juifs: mais ce ne fui pas seulement pour la mort de saint Jacques, mais principalement pour la mort du Seigneur qu'advint cette destruction, selon que l'avait dit le Sauveur: «Ils ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps auquel Dieu t'a visitée.» Mais parce que le Seigneur ne veut pas la mort du pécheur, et afin que les Juifs n'eussent point d'excuses, pendant 40 ans, il attendit qu'ils fissent pénitence, et par les apôtres, particulièrement par saint Jacques, frère du (44) Seigneur, qui prêchait continuellement au milieu d'eux, il les rappelait au repentir. Or, comme il ne pouvait les rallier par ses avertissements, il voulut, du moins les effrayer par des prodiges: car, dans ces 40 ans qui leur furent accordés pour faire pénitence, on vit des monstruosités et des prodiges. Josèphe les raconte ainsi : Une étoile extraordinairement brillante, qui avait une ressemblance frappante avec une épée, paraissait menacer la ville qu'elle éclaira d'une lumière fatale pendant une année entière. A une fête des Azymes, sur la neuvième heure de la nuit, une lueur si éclatante entoura l'autel et le temple que l'on pensait qu'il fit grand jour. A la même fête, une bénisse que l'on menait pour l'immoler mit au monde un agneau, au moment où elle était entre les mains des ministres. Quelques jours après, vers le coucher du soleil, on vit des chars et des quadriges portés dans toute la région de l'air, et des cohortes de gens armés s'entrechoquant dans les nuages et cernant la ville de bataillons improvisés. En un autre jour de fête, qu'on appelle Pentecôte, les prêtres, étant la nuit dans le temple intérieur pour remplir le service ordinaire, ressentirent des mouvements et un certain tumulte; en même temps, ils entendirent des voix qui criaient: «Sortons de, ces demeures.» Quatre ans avant la guerre, un homme nommé Jésus, fils d'Ananias, venu à là fête des tabernacles, se mit tout à coup à crier: «Voix du côté de l'orient; voix du côté de l'occident; voix du:côté des quatre vents; voix contre Jérusalem et contre le temple; voix contre les époux et les épouses; voix contre tout le peuple.» Cet homme est pris, battu, fouetté ; (45) mais il ne savait dire autre chose, et plus on le frappait, plus haut il criait. On le conduit alors au juge, qui l'accable de cruels tourments; il le fait déchirer au point qu'on voyait ses os: mais il n'eut ni une prière ni une larme; à chaque coup qu'on lui assénait, il poussait les mêmes cris avec un certain hurlement; à la fin il ajouta: «Malheur! malheur à Jérusalem!» (Récit de Josèphe.)

Or, comme les Juifs n'étaient pas convertis par ces avertissements, et qu'ils ne s'épouvantaient point de ces prodiges, quarante ans après, le Seigneur amena à Jérusalem Vespasien et Tite qui détruisirent la ville de fond en comble. Et voici ce qui les. fit venir à Jérusalem; on le trouve dans une histoire apocryphe: Pilate, voyant qu'il avait condamné Jésus innocent, redouta la colère de l'empereur Tibère, et lui dépêcha, pour porter ses excuses, un courrier du nom d'Albin : or, à la même époque, Vespasien avait le gouvernement de la Galatie au nom de Tibère César. Le courrier fut poussé eu Galatie par les vents contraires et amené à Vespasien. C'était une coutume du pays que quiconque faisait naufrage appartenait corps et biens au gouverneur. Vespasien s'informa qui il était, d'où il venait, et où il allait. «Je suis, lui répondit-il, habitant de Jérusalem: je viens de ce pays et j'allais à Rome.» Vespasien lui dit: «Tu viens de la terre des sages, tu connais la science de la médecine, tu es médecin, tu dois me guérir.» En effet Vespasien, dès son enfance, avait une espèce de vers dans le nez. De là son nom de Vespasien. Cet homme lui répondit : «Seigneur, je ne me connais pas en médecine, aussi (46) ne te puis-je guérir.» Vespasien lui dit: «Si tu ne me guéris, tu mourras.» Albin répondit: «Celui qui a rendu la vue aux aveugles, chassé les démons, ressuscité les morts, celui-là sait que j'ignore l'art de guérir.» Et quel est, répliqua Vespasien, cet homme dont tu racontes ces merveilles?» Albin lui dit : «C'est Jésus de Nazareth que les Juifs ont tué par jalousie; si tu crois en lui, tu obtiendras ta guérison.» Et Vespasien dit: «Je crois, car puisqu'il a ressuscité les morts, il pourra aussi me délivrer de cette infirmité.» Et comme il parlait ainsi, des vers lui tombèrent du nez et tout aussitôt il recouvra la santé. Alors Vespasien, au comble de la joie, dit: «Je suis certain qu'il fut le fils de Dieu ce-lui qui a pu rie guérir. Eh bien! J'en demanderai l'autorisation à César: j'irai à main armée à Jérusalem anéantir tous les traîtres et les meurtriers de Jésus.» Puis il dit à Albin, le messager de Pilate: «Avec ma permission, tu peux retourner chez toi, ta vie et tes biens saufs.» Vespasien alla donc à Rome et obtint de Tibère-César la permission de détruire la Judée et Jérusalem. Alors pendant plusieurs années, il leva plusieurs corps de troupes; c'était au temps de l'empereur Néron, quand les Juifs se furent révoltés contre l'empire. Ce qui prouve, d'après les chroniques, qu'il ne le fit pas par zèle pour J.-C., mais parce que les Juifs avaient secoué la domination des Romains. Vespasien arriva donc à Jérusalem avec une nombreuse armée, et au jour de Pâques, il investit la ville de toutes parts, et y enferma une multitude infinie de Juifs venus pour célébrer la fête.

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Pendant un certain espace de temps, avant l'arrivée de Vespasien à Jérusalem, les fidèles qui s'y trouvaient, avertis par le Saint-Esprit de s'en aller, se retirèrent dans une ville nommée Pella, au delà du Jourdain, afin que les hommes saints ayant quitté la cité, la justice divine pût exercer sa vengeance sur ce pays sacrilège, et, sur ce peuple maudit. La première ville de la Judée attaquée fut celle de Jonapatam, dont Josèphe était le commandant et le chef; mais Josèphe opposa avec ses hommes urne vigoureuse résistance. Cependant connue il voyait la ruine prochaine de cette place, il prit onze Juifs avec lesquels il s'enferma dans un souterrain, où, après avoir éprouvé pendant quatre jours les horreurs de la faim, ces Juifs, malgré Josèphe, aimèrent mieux mourir que de se soumettre au joug de Vespasien: ils préféraient se tuer les uns les autres et offrir leur sang en sacrifice à Dieu. Or, parce que Josèphe était le plus élevé en dignité parmi eux, ils voulaient le tuer le premier, afin que Dieu fût plus vite apaisé par l'effusion de soit sang, ou bien ils voulaient se tuer mutuellement (c'est ce qu'on voit en une chronique), afin de ne pas se rendre aux Romains. Mais Josèphe, en homme de prudence qui ne voulait pas mourir, s'établit juge de la mort et dit sacrifice, et ordonna qu'on tirerait au sort deux, par deux, à qui serait tué le premier par l'autre. On tira donc le sort qui livra à la mort tantôt l'un, tantôt l'autre, jusqu'au dernier avec lequel Josèphe avait à tirer lui-même. Alors Josèphe, qui était fort et adroit, lui enleva son épée et lui demanda de choisir la vie ou la mort en lui intimant l'ordre de se (48) prononcer sur-le-champ. Cet homme effrayé répondit: «Je ne refuse pas de vivre, si, grâce à vous, je puis conserver la vie.» Alors Josèphe parla en secret à un des familiers de Vespasien, que lui-même connaissait bien aussi, et demanda qu'on lui laissât la vie. Et ce qu'il demanda, il l'obtint. Or, quand Josèphe eut été amené devant Vespasien, celui-ci lui dit: «Tu aurais mérité la mort, situ n'avais été délivré parles sollicitations de cet homme.» «S'il y a eu quelque chose de mal fait, répondit Josèphe, on peut le tourner à bien.» Vespasien reprit: «Un vaincu, que peut-il faire?» Josèphe lui dit: «Je puis faire quelque chose, si je sais me faire écouter favorablement.» Vespasien répondit: «Soit, parle convenablement, et si tu dis quelque chose de bon, on t'écoutera tranquillement.» Josèphe reprit: «L'empereur romain est mort, et le Sénat t'a fait empereur.» «Puisque tu es prophète, dit Vespasien, pourquoi n'as-tu pas prédit à cette ville qu'elle devait tomber en mon pouvoir? Je le lui ai prédit pendant quarante jours, répondit Josèphe.» En même temps arrivent les députés romains, proclamant que Vespasien est élevé à l'empire, et ils le conduisent à Rome. Eusèbe en sa chronique témoigne aussi que Josèphe prédit à Vespasien, et la mort de l'empereur, et son élévation. Alors Vespasien laissa Tite,, son fils, au siège de Jérusalem. Or, celui-ci, apprenant que son frère avait été proclamé empereur (c'est ce qu'on lit dans la même histoire apocryphe), fut rempli d'un tel transport de joie

* Lib. II, R. DCCCXX, p. 546. (Migne).

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qu'une contraction nerveuse le saisit à la suite d'une fraîcheur et qu'il fut paralysé d'une jambe. Josèphe apprenant que Tite était paralysé, rechercha avec un soin extrême la cause et les circonstances de cette maladie. La cause, il ne la put découvrir, ni on ne put lui dire de quelle nature était la maladie; pour le temps où elle s'est déclarée, il apprend que c'est en entendant annoncer que son frère était élu empereur. En homme prévoyant et sage Josèphe, avec ce peu de renseignements, se livra à des conjectures qui lui firent trouver la nature de la maladie, par la circonstance où elle s'était déclarée, savoir: que sa position était le résultat d'un excès de joie et d'allégresse. Or, ayant remarqué que les contraires se guérissent par les contraires, sachant encore que ce qui est occasionné par l'amour se détruit souvent par la douleur, il se mit à chercher s'il ne se trouvait personne en butte à l'inimitié de ce prince. Il y avait un esclave tellement à charge à Tite qu'il lui suffisait de le regarder pour être tout bouleversé; son nom, il ne le pouvait même entendre prononcer. Josèphe dit alors à Tite : «Si tu souhaites être guéri, accueille bien tous ceux qui seront de ma compagnie.» Tite répondit: «Quiconque viendra en ta compagnie peut être certain d'être bien reçu.» Aussitôt Josèphe fit préparer un festin, plaça sa table vis-à-vis de celle de Tite, et fit mettre l'esclave à sa droite. En le voyant, Tite contrarié frémit de mécontentement, et comme la joie l'avait refroidi, la fureur où il se mit le réchauffa. Ses nerfs se détendirent et il fut guéri. Après quoi Tite rendit ses bonnes grâces à son esclave, et accorda (49) son amitié à Josèphe. Peut-on s'en rapporter à cette histoire, apocryphe? Est-elle ou non digne de récit? J'en laisse l'appréciation au lecteur.

Or, le siège de Jérusalem dura deux ans. Au nombre des maux qui firent le plus souffrir lés assiégés, il faut tenir compte d'une famine si affreuse que les parents arrachaient leur nourriture à leurs enfants, les maris à leurs femmes, et les femmes à leurs maris, non seulement d'entre les mains, mais même d'entre les dents: les jeunes gens les plus robustes par l'âge, semblables à des spectres errant par les rues, tombaient d'inanition tant ils étaient pressés par la faim. Ceux qui ensevelissaient les morts tombaient souvent morts. sur les morts eux-mêmes. Comme on ne pouvait soutenir la puanteur des cadavres, on les fit ensevelir au dépens du trésor public. Et quand le trésor fut épuisé, on jeta au-dessus des murs les cadavres qui s'amoncelaient. Tite, en faisant le tour de la place, vit les fossés remplis de corps morts dont la puanteur infectait le pays; alors il leva les mains au ciel en pleurant, et il dit: «O Dieu, tu le vois, ce n'est pas moi qui en suis l'auteur.» Car la famine était si grande, dans Jérusalem qu'on y mangeait les chaussures et les courroies. Pour comble d'horreur, une dame  de noble race et riche, ainsi qu'on le lit dans l'Histoire ecclésiastique, avait été dépouillée,de tout par des brigands qui se jetèrent sur sa maison, et ne lui laissèrent absolument rien à manger. Elle prit dans ses bras son fils encore à la mamelle, et lui dit : « O fils, plus malheureux encore que ta malheureuse mère ! à quoi te réserverai-je? sera-ce à la guerre ou (51) à la faim, ou encore au carnage? Viens donc à cette heure, ô mon enfant; sois la nourriture de ta mère, le scandale des brigands, et l'entretien des siècles.» Après avoir dit ces mots, elle égorgea son fils, le fit cuire, en mangea une moitié et cacha l'autre. Et voici que les brigands, qui sentaient l'odeur de la viande cuite, se ruent incontinent dans la maison, et menacent cette femme de mort, si elle ne leur donne la viande. Alors elle découvrit les membres de l'enfant : «Voici, dit-elle, à vous a été réservée la meilleure part.» Mais ils furent saisis d'une horreur telle qu'ils ne purent parler. «C'est mon fils, ajouta-t-elle, c'est moi qui ai commis le crime; mangez sans crainte; j'ai mangé la première de l'enfant que j'ai mis au monde: n'ayez garde d'être plus religieux qu'une. mère et plus délicats que des femmes: si la pitié vous domine, et si vous éprouvez de l'horreur, je mangerai tout entier ce dont j'ai déjà mangé une moitié. »  Les brigands se retirèrent tout tremblants et effrayés. En tin la seconde année de l'empire de Vespasien, Tite prit Jérusalem, la ruina, détruisit le temple jusque dans ses fondements, et de même que les Juifs avaient acheté J.-C. trente deniers, de même Tite fit vendre trente Juifs pour un denier. D'après le récit de Josèphe, quatre-vingt-dix-sept mille Juifs furent vendus, et onze cent mille périrent par la faim et par l'épée.

On lit encore que Tite, en entrant dans Jérusalem, vit un mur d'une grande épaisseur, et le fit creuser. Quand on y eut percé un trou, on y trouva dans l'intérieur un vieillard vénérable par son aspect et ses cheveux blancs. Interrogé qui il était, il répondit qu'il (52) était Joseph, de la ville de Judée nommée Arimathie, qu'il avait été enfermé et muré là pour avoir enseveli J.-C.: et il ajouta que depuis ce moment, il avait été nourri d'un aliment céleste, et fortifié par une lumière divine. Pourtant l'évangile de Nicodème dit que les Juifs ayant reclus Joseph, J.-C. en ressuscitant le tira de là et le conduisît à Arimathie. On peut dire alors qu'après sa délivrance, Josèphe ne cessa de prêcher J.-C. et qu'il fut reclus une seconde fois. L'empereur Vespasien étant mort, Tite, son fils, lui succéda à l'empire. Ce fut, un prince rempli de clémence, d'une générosité et d'une bonté telles que, selon le dire d'Eusèbe dans sa chronique et le témoignage de saint Jérôme, un jour qu'il n'avait pas fait une bonne action, ou qu'il n'avait rien donné, il dit: «Mes amis, j'ai perdu ma journée.» Longtemps après, des Juifs voulurent réédifier Jérusalem; étant sortis de bon matin ils trouvèrent plusieurs croix tracées par la rosée, et ils s'enfuirent effrayés. Le lendemain matin, dit Milet dans sa chronique, chacun d'eux trouva des croix de sang empreintes sur ses vêtements. Plus effrayés encore, ils prirent de nouveau la fuite, mais étant revenus le troisième jour, ils furent consumés par une vapeur enflammée sortie des entrailles de la terre.





L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX

Cette fête est appelée l'Invention de la Sainte Croix, parce qu'on rapporte que la sainte croix fut trouvée à pareil jour. Mais auparavant, elle avait été trouvée par Seth, fils d'Adam, dans le paradis. terrestre, comme il est raconté plus bas; par Salomon, sur le Liban; par la reine de Saba, dans le temple, de Salomon; par les Juifs, dans l'eau de la piscine; et en ce Jour par sainte Hélène, sur le mont du Calvaire.

L'Invention de la Sainte Croix eut lieu plus de deux cents ans après la résurrection de J.-C. On lit dans l'évangile de Nicodème (ch. XIX) qu'Adam étant devenu malade, Seth, son fils, alla à la porte du paradis et demanda de l'huile du bois de la miséricorde pour oindre le corps de son père afin qu'il recouvrât la santé. L'archange Michel lui apparut et lui dit: «Ne pleure pas et ne te mets point en peine d'obtenir de l'huile du bois de la miséricorde, car il te sera absolument impossible d'en obtenir, avant que cinq mille cinq cents ans soient révolus. Cependant on croit, que d'Adam jusqu'à la passion du Seigneur il s'écoula seulement 5099 ans. On lit encore ailleurs que l'ange lui offrit un, petit rameau et lui ordonna de le planter sur le mont Liban. Mais ou lit, dans une histoire apocryphe des Grecs, que l'ange lui donna du bois de l'arbre par le fruit duquel Adam avait péché, en l'informant que sole père serait guéri. quand ce bois porterait du fruit. A son retour, Seth trouva son père mort et il planta ce rameau sur sa tombe. Cette branche plantée devint en croissant un grand arbre qui subsista jusqu'au, temps de Salomon. (Mais il faut laisser au lecteur à juger si ces choses sont vraies, puisqu'on n'en fait mention dans aucune chronique, ni dans aucune histoire authentique.) Or, Salomon considérant la beauté de cet arbre le fit couper et mettre dans la maison du Bois *.

* Au IIIe livre des Rois, ch. VII, il est question de cette maison qui. fut construite par Salomon. Elle reçut le nom de maison du Bois, saltus, à cause de la quantité de cèdres qui entra dans sa construction.

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Cependant, ainsi que le dit Jean Beleth. (ch. CLI), On ne pouvait le mettre nulle part, et il n'y avait pas moyen de lui trouver un endroit où il pût être employé convenablement: car il était tantôt trop long, tantôt trop court: si on l'avait raccourci dans les proportions qu'exigeait la place où on le voulait employer, il paraissait si court qu'on ne le regardait plus comme bon à rien. En conséquence, les ouvriers, de dépit, le rejetèrent et le mirent sur une pièce d'eau pour qu'il servît de pont aux passants. Or, quand la reine de Saba vint entendre la Sagesse de Salomon, et voulut passer sur cette pièce, elle vit en esprit que le Sauveur du monde devait être suspendu à ce bois, et pour cela elle ne voulut point passer dessus, mais aussitôt elle l'adora. Cependant dans l'Histoire scholastique (liv. III Rois, c. XXVI), on lit que la reine de Saba vit cette pièce dans la maison du Bois, et en revenant à son palais elle communiqua à Salomon que sur ce bois devait être suspendu celui dont la mort devrait être la cause de la destruction du royaume des Juifs. C'est pourquoi Salomon le fit ôter du lieu où il était, et enterrer dans les entrailles les plus profondes de la terre. Dans la suite on y établit la Piscine Probatique où les Nathinéens * lavaient les victimes, et ce n'est pas seulement à la descente de l'ange, mais

* C'étaient des Gabaonites qui étaient attachés au service du temple depuis Josué. Cf. Paralipomènes, IX, 2; Sigonius, De Repub. Hebraeor., liv. IX, ch. VII.

encore à la vertu de ce. bois que l'on attribue que l'eau en était troublée et que les infirmes y étaient guéris. Or, quand approcha le temps de la passion de J.-C., on rapporte que cette pièce surnagea, et les Juifs, en la voyant, la prirent pour en fabriquer la croix du Seigneur. On dit encore que cette croix fut faite de quatre essences de bois, savoir de palmier, de cyprès, d'olivier et de cèdre. De là ce vers :

Ligna Crucispalma, cedrus, cupressus, oliva.

Car dans la croix, il y avait le bois qui servait de montant droit, la traverse,la tablette de dessus, et le tronc où était fixée la croix, ou bien, selon Grégoire de Tours*, la tablette qui servait de support, sous les pieds de J.-C. Par là on, peut voir que chacune des pièces pouvait être d'une de ces essences de bois dont on vient de parler. Or, l'apôtre paraît avoir eu en vue ces différentes sortes de bois quand il dit : «Afin que vous puissiez comprendre avec tous. les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur» (Ep. aux Ephés., c. II, 18). Ces paroles sont expliquées comme il suit par l'illustre docteur saint Augustin: «La largeur de la croix du Seigneur, dit-il, c'est la traverse, sur laquelle on a étendu ses mains sa longueur allait depuis la terre jusqu'à cette traverse en largeur sur quoi tout le corps de J.-C. fut attaché, moins les mains; sa hauteur, c'est à partir de cette largeur jusqu'à l'endroit de dessus où se trouvait la tête; sa profondeur, c'était la partie

* Miracul., liv. I, c. VI.

cachée et enfoncée dans la terre. Dans la croix on trouve décrites toutes les actions d'un homme chrétien, qui sont de faire de bonnes oeuvres en J.-C., de lui être persévéramment attaché, d'espérer les biens célestes, et ne pas profaner les sacrements.

Ce bois précieux de la croix resta caché sous terre deux cents ans et plus: mais il fut découvert ainsi qu'il suit par Hélène, mère de l'empereur Constantin. En ce temps-là, sur les rives du Danube, se rassembla une multitude innombrable de barbares voulant passer le fleuve, et soumettre à leur domination tous les pays jusqu'à l'occident. Dès que l'empereur Constantin le sut, il décampa et vint se placer avec son. armée sur le Danube. Mais la multitude des barbares s'augmentant, et passant déjà le fleuve, Constantin fut, frappé d'une grande terreur, en considérant qu'il aurait à livrer bataille le lendemain. Or, la nuit suivante, il est réveillé par un ange qui l'avertit de regarder en l'air. Il tourne les veux vers le ciel et voit le signe de la croix formée par une lumière fort resplendissante, et portant écrite en lettres d'or cette inscription: «In hoc signo vinces, par ce signe tu vaincras.» Réconforté par cette vision céleste, il fit faire une croix semblable qu'il ordonna de porter à la tête de son armée: se précipitant alors sur les ennemis, il les mit en fuite et en tua une multitude immense. Après quoi Constantin convoqua tous les pontifes des temples et s'informa avec beaucoup de soin de quel Dieu c'était le signe. Sur leur réponse qu'ils l'ignoraient, vinrent plusieurs chrétiens qui lui firent connaître le mystère de la sainte croix et la foi de la Trinité. Constantin (57) crut alors parfaitement en J.-C. et reçut le saint baptême des mains d'Eusèbe, pape, ou selon quelques livres, évêque de Césarée. Mais dans ce récit, il y a beaucoup de points contredits par l'Histoire tripartite et par l'Ecclésiastique, par la Vie de saint Silvestre et les Gestes des pontifes romains. D'après certains auteurs, ce ne fut pas ce Constantin que le pape Silvestre baptisa après sa conversion à la foi, comme paraissent l'insinuer plusieurs histoires, mais ce fut Constantin, le père de ce Constantin, ainsi qu'on le voit dans des historiens. En effet ce Constantin reçut la foi d'une autre manière rapportée dans la légende de saint Silvestre, et ce n'est pas Eusèbe de Césarée qui le baptisa, mais bien saint Silvestre. Après la mort de son père, Constantin, qui n'avait pas perdu le souvenir de la victoire remportée par la vertu de la sainte croix, fit passer Hélène, sa mère, à Jérusalem pour trouver cette croix, ainsi que nous le dirons plus bas.

Voici maintenant un récit tout différent de cette victoire, d'après l'Histoire Ecclésiastique (ch. IX). Elle rapporte donc que Maxence ayant envahi l'empire romain, l'empereur Constantin. vint lui présenter la bataille vis-à-vis le pont Albin. Comme il était dans une grande anxiété, et qu'il levait souvent les yeux au ciel pour implorer son secours, il vit en songe, du côté de l'orient dans le ciel, briller une croix, couleur. de feu: des anges se présentèrent devant lui et lui dirent: «Constantin, par cela tu vaincras.» Et, selon le témoignage de l'Histoire tripartite *, tandis que

* Liv. IX, c. IX.

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Constantin s'étonnait de ce prodige, la nuit suivante, J.-C. lui apparut avec le signe vu dans le ciel; il lui ordonna de faire des images pareilles qui lui, porteraient bonheur dans les combats. Alors Constantin fut rendu à la joie et assuré de la victoire; il se marqua le front du signe qu'il avait vu dans le ciel, fit transformer les enseignes militaires sur le modèle de la croix et prit à la main droite une croix d'or. Après quoi il sollicita du Seigneur que cette droite, qu'il avait munie du signe salutaire de la croix, ne fût ni ensanglantée, ni souillée du sang romain, mais qu'il remportât la victoire sur le tyran sans effusion de sang. Quant à Maxence, dans l'intention de tendre un piège, il fit disposer des vaisseaux, fit couvrir le fleuve de faux ponts. Or, Constantin s'étant approché du fleuve, Maxence accourut à sa rencontre avec peu de monde, après avoir donné ordre aux autres corps de le suivre; mais il oublia lui-même qu'il avait fait construire un faux pont, et s'y engagea avec une poignée de soldats. Il fut pris au piège qu'il avait tendu lui-même, car il tomba dans le fleuve qui était profond; alors Constantin fut acclamé empereur à l'unanimité. D'après ce qu'on lit dans une chronique assez authentique, Constantin ne crut pas parfaitement d'ès ce moment; il n'aurait même pas alors reçu le baptême; mais peu de temps après, il eut une vision de saint Pierre et de saint Paul; et quand il eut reçu la vie nouvelle du baptême et obtenu la guérison de sa lèpre, il crut parfaitement dans la suite en J.-C. Ce fut alors qu'il envoya sa mère Hélène à Jérusalem pour chercher la croix du Seigneur. Cependant saint Ambroise; dans (59) la lettre où il rapporte la mort de Théodose, et l'Histoire tripartite *, disent que Constantin reçut le baptême seulement dans ses derniers moments; s'il le différa jusque-là, ce fut pour pouvoir le recevoir dans le fleuve du Jourdain. Saint Jérôme en dit autant dans sa chronique. Or, il est certain qu'il fut fait chrétien sous le pape saint Silvestre, quant à savoir s'il différa son baptême, c'est douteux; ce qui fait qu'en la légende de saint Silvestre, il y a là-dessus, comme en d'autres points, bien peu de certitude. Or, l'histoire de l'Invention de la sainte croix, telle qu'on la lit dans les histoires ecclésiastiques conformes en cela aux chroniques, paraît plus authentique de beaucoup que celle qu'on récite dans les églises. Il est en effet constant qu'il s'y trouve des endroits peu' conformes à la vérité, si ce n'est qu'on veuille dire, comme ci-dessus, que ce ne fut pas Constantin, mais son père qui portait le même nom: ce qui du reste né paraît pas très plausible, quoique ce soit le récit de certaines histoires d'outre-mer.

Hélène arrivée à Jérusalem fit réunir autour d'elle les savants qu'on trouva dans toute la contrée. Or, cette Hélène était d'abord restée dans une hôtellerie**, mais épris de sa beauté, Constantin se l'attacha, selon que saint Ambroise l'avance en disant: «On assure qu'elle fut hôtelière, mais elle fut unie à Constantin

* Liv. III, ch. XII.
** Le mot latin stabularia voudrait dire servante de cour. Saint Ambroise paraît l'indiquer quelques lignes plus loin. Nous avons mieux aimé donner un féminin au mot, hôtelier, hôtelière est un mot qui a vieilli.

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l'ancien qui, dans la suite, posséda l'empire. Bonne hôtelière, qui chercha avec tant de soin la crèche du Seigneur! Bonne hôtelière, qui connut cet hôtelier dont les soins guérirent cet homme blessé parles brigands *! Bonne hôtelière, qui a regardé toutes choses comme des ordures afin de gagner J.-C. **! Et pour cela Dieu l'a tirée de l'ordure pour l'élever sur un trône» (saint Ambroise). D'autres affirment, et c'est l'opinion émise dans une chronique assez authentique, que cette Hélène. était fille de Clohel, roi des Bretons;Constantin en venant dans la Bretagne la prit pour femme, parce qu'elle était fille unique. Delà vient qui• l'île de Bretagne échut à Constantin après la mort clé Clohel. Les Bretons eux-mêmes (attestent; on lit pourtant ailleurs qu'elle était de Trèves. Or, les Juifs, remplis de crainte, se disaient les uns aux autres: «Pour quel motif pensez-vous que la Reine nous ait convoqués auprès d'elle?» L'un d'eux nommé Judas, dit: «Je sais, moi, qu'elle veut apprendre de nous. l'endroit oit se trouve le bois de la croix sur lequel le Christ a été crucifié. Gardez-vous bien d'être assez présomptueux pour le lui découvrir. Sinon tenez pour très certain que notre loi sera détruite et que toutes les traditions de nos pères seront totalement. abolies: car Zachée mon aïeul l'a prédit à mon père Siméon et mon père  m'a dit avant de mourir: «Fais attention, mon fils, à l'époque où l'on cherchera la croix du Christ: dis où elle se trouve, avant d'être

* Allusion à la parabole du Samaritain de l'Evangile.
** Expression de saint Paul dans l'Epître aux Philippiens, c. III, 8.

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mis à la torture; car à dater de cet instant le pouvoir des Juifs, à Jamais aboli, passera entre les mains de ceux qui adorent le crucifié, parce que ce Christ était le fils de Dieu.» Alors j'ai répondu: «Mon père, si vraiment nos ancêtres ont su que ce Christ était le fils de Dieu, pourquoi l'ont-ils attaché au gibet de la croix?» «Le Seigneur est témoin, répondit-il, que je n'ai jamais fait partie de leur conseil; mais que souvent je me suis opposé à leurs projets: or, c'est parce que le Christ reprochait les vices des Pharisiens qu'ils le firent crucifier: mais il est ressuscité le troisième jour et il a monté au ciel à la vue de ses disciples. Mon frère Etienne, que les Juifs en démence ont lapidé, a cru en lui. Prends garde donc, mon fils, de n'oser jamais blasphémer le Christ ni ses disciples.» - « Il ne paraît cependant pas, très probable que le père de ce Judas ait existé au temps de la Passion de J.-C., puisque de la passion jusqu'au temps d'Hélène, sous laquelle vécut Judas, il s'écoula plus de 270 ans; à moins qu'on ne veuille dire qu'alors les hommes vivaient plus longtemps qu'à présent. » Cependant les Juifs dirent à Judas: «Nous n'avons jamais entendu dire choses semblables. Quoi. qu'il. en soit, si: la Reine t'interroge, aie soin de ne lui faire aucun aveu.» Lors donc qu'ils furent en présence, de la Reine, et qu'elle leur eut demandé le lieu où le Seigneur avait été crucifié, pas un d'eux ne consentit à le lui indiquer alors elle les condamna tous à être brûlés. Ils furent saisis d'effroi et signalèrent Judas, en disant: «Princesse, voici le fils d'un juste et d'un prophète qui a connu parfaitement la loi; demandez-lui tout ce que (62) vous voulez, il vous l'indiquera.» Alors elle les congédia tous à l'exception de Judas qu'elle retint et auquel elle dit: «Je te propose la vie ou la mort; choisis ce que tu préfères. Montre-moi donc le lieu qui s'appelle Golgotha, où le Seigneur a été crucifié, afin que je puisse trouver sa croix.» Judas répondit

«Comment puis-je le savoir, puisque deux cents ans et plus se sont écoulés et que je n'étais pas né à cette époque?» La Reine lui dit: « Par le crucifié, je te ferai mourir de faim, si tu ne me dis la vérité.» Elle ordonna donc qu'il fût jeté dans tin puits desséché pour y endurer les horreurs de la faim. Or, après y être resté six jours sans nourriture, le septième il demanda à sortir, en promettant de découvrir la croix. On le retira. Quand il fut arrivé à l'endroit, après avoir fait une prière, tout à coup la terre tremble, il se répandit une fumée d'aromates d'une admirable odeur; Judas lui-même, plein d'admiration, applaudissait des deux mains et disait: «En vérité, ô Christ, vous êtes le Sauveur du monde!» Or, d'après l'Histoire ecclésiastique, il y avait, en ce lieu, un temple de Vénus construit, autrefois par l'empereur Hadrien, afin que si quelque chrétien eût voulu y adresser ses adorations, il parût adorer Vénus : et, pour ce motif, ce lieu avait cessé d'être fréquenté et était presque entièrement délaissé, mais la Reine fit détruire ce temple jusque dans ses fondements et en fit labourer la place. Après quoi Judas se ceignit et se mit à creuser avec courage. Quand il eut atteint à la profondeur de vingt pas, il trouva trois croix enterrées, qu'il porta incontinent à la reine. Or, comme l'on ne savait pas (63) distinguer celle de J.-C. d'avec celles des larrons; on les plaça au milieu de la ville pour attendre que la gloire de Dieu se manifestât. Sur la onzième heure, passa le corps d'un jeune homme qu'on portait en terre: Judas arrêta le cercueil, mit une première et nue seconde croix sur le cadavre du défunt, qui ne ressuscita pas, alors on approcha la troisième croix dit corps et à l'instant il revint à la vie.

On lit cependant, dans les histoires ecclésiastiques *, qu'une femme des premiers rangs de la ville gisait demi-morte, quand Macaire, évêque de Jérusalem, prit la première et la deuxième croix, ce qui ne produisit aucun résultat: mais quand il posa sur elle la troisième,, cette femme rouvrit les yeux et fut guérie à l'instant. Saint Ambroise dit, de son côté, que Macaire distingua la croix du Seigneur, par le titre qu'avait fait mettre Pilate, et dont l'évêque lut l'inscription qu'on trouva aussi. Alors le diable se mit à vociférer en l'air: «O Judas, disait-il, pourquoi as-tu fait cela? Le Judas qui est le mien a fait tout le contraire: car celui-ci, poussé par moi, fit la trahison, et toi, en me reniant, tu as trouvé la croix de Jésus. Par lui, j'ai Bagué les âmes d'un grand nombre; par toi, je parais perdre celles que j'ai gagnées: par lui, je régnais sar le peuple; par toi, je suis chassé de mon royaume. Toutefois je te rendrai la pareille, et je susciterai contre toi un autre roi qui, abandonnant la foi dit crucifié, te fera renier dans les tourments le crucifié.»

* Sozomène. - Hist. eccl., l. II, c. I; - Nicéph. cal., l. XVII, c. XIV, XV; - Evagr., IV, 26.

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Ceci paraît se rapporter à l'empereur Julien: celui-ci, lorsque Judas fut devenu évêque de Jérusalem, l'accabla de nombreux tourments et le fit mourir martyr de J.-C. En entendant les vociférations du diable, Judas ne craignit rien, mais il ne cessa de maudire le diable en disant: «Que le Christ te damne dans l'abîme du feu éternel!» Après quoi Judas est baptisé, reçoit le nom de Cyriaque, puis est ordonné évêque de Jérusalem, quand le titulaire fut mort. (Belette, c. XXV). Mais comme la bienheureuse Hélène ne possédait pas les clous du Seigneur, elle pria l'évêque Cyriaque d'aller au Golgotha et de les chercher. Il y vint et aussitôt après avoir adressé des prières à Dieu, les clous apparurent brillants dans la terre, comme de l'or. Il les prit et les porta à la reine. Or, celle-ci se mit à genoux par terre et, après avoir incliné la tête, elle les adora avec grande révérence. Hélène porta une partie de la croix à son fils, et renferma l'autre dans des châsses d'argent qu'elle laissa à Jérusalem; quant aux clous avec lesquels le corps du Seigneur avait été attaché, elle les porta à son fils. Au rapport d'Eusèbe de Césarée, elle en fit deux freins dont Constantin se servait dans les batailles, et elle mit les autres à son casque en guise d'armure. Quelques auteurs, comme Grégoire de Tours*, assurent que le corps du Seigneur fut attaché avec quatre clous Hélène en mit deux au frein du cheval de l'empereur, le troisième à la statue de Constantin qui domine la ville de Rome, et elle jeta le quatrième dans la mer

* Miracul., lib. I, ch. VI.

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Adriatique qui jusque-là avait été un gouffre pour les navigateurs. Elle ordonna que cette fête de l'Invention de la sainte croix fût célébrée chaque année solennellement. Voici ce que dit saint Ambroise e: «Hélène chercha les clous du Seigneur et les trouva. De l'un elle fit faire des freins; elle incrusta l'autre dans le diadème: belle place que la tête pour ce clou; c'est une couronne sur le front, c'est une bride à la main: c'est l'emblème de la prééminence du sentiment, de la lumière de la foi, et de la puissance impériale.» Quant à l'évêque saint Cyriaque, Julien l'apostat le fit mourir plus tard, pour avoir trouvé la sainte croix dont partout il prenait à tâche de détruire le signe. Avant de partir contre les Perses, il fit inviter Cyriaque à sacrifier aux idoles: sur le refus du saint, Julien lui fit couper le bras en disant: «Avec cette main il a écrit beaucoup de lettres qui ont détourné bien du monde de sacrifier aux dieux.» Cyriaque lui répondit : «Chien insensé, tu  m'as bien rendu service; car avant de croire à J.-C., trop souvent j'ai écrit des lettres que j'adressais aux synagogues des Juifs afin que personne ne crût en J.-C. et voilà que tu viens de retrancher de mon corps ce qui en avait été le scandale.» Alors Julien fit fondre du plomb qu'il ordonna de lui verser dans la bouche; ensuite il fit apporter un lit en fer sur lequel Cyriaque fut étendu et au-dessous on mit des charbons ardents et. de la graisse. Comme Cyriaque restait immobile, Julien lui dit : «Si tu ne veux pas sacrifier aux idoles, dis au moins

* De obitu Theod., nos 47-48.

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que tu n'es pas chrétien.» L'évêque s'y refusa avec horreur. Julien fit creuser une fosse profonde qu'on fit remplir de serpents venimeux. Cyriaque y fut jeté, mais les serpents moururent aussitôt. Julien ordonna alors que Cyriaque fût jeté dans une chaudière pleine d'huile bouillante. Or, comme le saint voulait y entrer spontanément, il se signa, et pria le Seigneur de le baptiser une seconde fois dans l'eau du martyre, mais Julien furieux lui fit percer la poitrine avec une épée. Ce fut ainsi que saint Cyriaque mérita de consommer son martyre dans le Seigneur.

La grandeur de la vertu de la Croix est manifeste dans ce notaire fidèle, trompé par un magicien qui le conduisit en un lieu où il avait fait venir des démons, en lui promettant des richesses immenses. Il vit un Ethiopien de haute stature, assis sur un trône élevé, et entouré d'autres Ethiopiens- debout, armés de lances et de bâtons. Alors l'Ethiopien demanda à ce magicien: «Quel est cet enfant?» Le magicien répondit: «Seigneur, c'est votre serviteur.» Le démon dit au notaire: «Si tu veux  m'adorer, être mon serviteur, et renier ton Christ, je te ferai asseoir à ma droite.» Mais le notaire se hâta de faire le signe de la croix et s'écria qu'il était de toute son âme le serviteur du Sauveur J.-C. Il n'eut pas plutôt fait le signe de la croix que toute cette multitude de démons disparut. Peu de temps après, ce même notaire entra un jour avec son maître dans le temple de Sainte-Sophie; se trouvant ensemble devant une image du Sauveur, le maître remarqua que cette image avait les yeux fixés sur le notaire qu'elle regardait attentivement (67). Plein de surprise, le maître fit passer le jeune homme à droite et vit que l'image avait encore tourné les veux de ce côté, en les dirigeant sur le notaire. I1 le fit de nouveau revenir à gauche, et voici que l'image tourna encore les yeux et se mit à regarder le notaire comme auparavant. Alors le maître le conjura de lui dire ce qu'il avait fait à Dieu pour mériter que l'image le regardât, ainsi. Il répondit qu'il n'avait la conscience d'aucune bonne action, si ce n'est qu'il n'avait pas voulu renier le Sauveur devant le diable.






La légende dorée - SAINT PIERRE, MARTYR