La légende dorée - L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX

SAINT JEAN, APÔTRE, DEVANT LA PORTE LATINE

Saint Jean, apôtre et évangéliste; prêchait à Ephèse quand il fut pris par le proconsul, et invité à immoler aux dieux. Comme il rejeta cette proposition, il est mis en prison: on envoie alors à l'empereur Domitien une lettre dans laquelle saint Jean est signalé comme un grand sacrilège, un contempteur dès dieux et un adorateur du crucifié. Par l'ordre de Domitien, il est conduit à Rome, où, après lui avoir coupé tous les cheveux par dérision, on le jette dans une chaudière d'huile bouillante sous laquelle on entretenait un feu ardent: c'était devant la porte de la ville qu'on appelle Latine. Il n'en ressentit cependant aucune douleur, et en sortit parfaitement sain. En ce lieu donc, les chrétiens bâtirent une église, et ce jour est solennisé comme le jour du martyre de saint Jean. (68) Or, comme le saint apôtre n'en continuait pas moins à prêcher J.-C., il fut, par l'ordre de Domitien, relégué dans file de Pathmos. Toutefois les empereurs romains, qui ne rejetaient aucun Dieu, ne persécutaient pas les apôtres parce que ceux-ci prêchaient J.-C.; mais parce que les apôtres proclamaient la divinité de Jésus-Christ sans l'autorisation du Sénat qui avait défendu que cela ne se fît de personne. - C'est pourquoi dans l'Histoire ecclésiastique, on lit que Pilate envoya une fois une lettre à Tibère au sujet de Jésus-Christ*. Tibère alors consentit à ce que la foi fût reçue par les Romains, mais le Sénat s'y opposa formellement, parce que J.-C. n'avait pas été appelé Dieu d'après son autorisation. Une autre raison rapportée par une chronique, c'est que J.-C. n'avait pas tout d'abord apparu aux Romains. Un autre motif c'est que J.-C. rejetait le culte de tous les dieux qu'honoraient les Romains. Un nouveau motif encore, c'est que J.-C. enseignait le mépris du monde et que les Romains étaient des avares et des ambitieux. Me Jean Beleth assigne de son côté une autre cause pour laquelle les empereurs et le Sénat repoussaient J.-C. et les apôtres: c'était que J.-C. leur paraissait un Dieu trop orgueilleux et trop jaloux, puisqu'il ne daignait pas avoir d'égal. Voici une autre raison: donnée par Orose (liv. VII, ch. IV): «le Sénat vit avec peine que c'était à Tibère et non pas à lui que Pilate avait écrit au sujet des miracles de J.-C. et c'est sur ce prétexte qu'il ne voulut pas le mettre au rang des dieux.

* Eusèbe, 1. II, c. II.

Aussi Tibère irrité fit périr un grand nombre de sénateurs, et en condamna d'autres à l'exil.» -  La mère de Jean, apprenant que son fils était détenu à Rome, et poussée par une compassion de mère, s'y rendit pour le visiter. Mais quand elle fut arrivée, elle apprit qu'il avait été relégué en exil. Alors elle se retira dans la ville de Vétulonia eu Campanie, où elle rendit son âme à Dieu. Son corps resta longtemps enseveli dans un autre, mais dans la suite, il fut révélé à saint Jacques, son fils. Il répandit alors une grande et suave odeur et opéra de nombreux et éclatants miracles; il fut transféré avec grand honneur dans la ville qu'on vient de nommer.





LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE (LES ROGATIONS)

Deux fois par an arrivent les litanies; à la fête de saint Marc, c'est la litanie majeure, et aux trois jours qui précèdent l'ascension du Seigneur, c'est la litanie mineure. Litanie veut dire supplication, prière ou rogation. La première a trois noms différents, qui sont: litanie majeure, procession septiforme, et croix noires.

I. On l'appelle litanie majeure, pour trois motifs, savoir: à raison de celui qui l'institua, ce fut saint Grégoire, le grand pape; à raison du lieu où elle fuit instituée qui est Rome, la maîtresse et la capitale du Inonde, parce qu'à Rome se trouvent le corps du prince (70) des apôtres et le saint siège apostolique; à raison de la cause pour laquelle elle ut instituée: ce fut une grande et très grave épidémie. En effet les Romains, après avoir passé le carême dans la continence, et avoir reçu à Pâques le corps du Seigneur, s'adonnaient sans frein à la débauche dans les repas, aux jeux et à la luxure; alors Dieu provoqué leur envoya une épouvantable peste qu'on nomme inguinale, autrement apostume ou enfle de l'aine. - Or, cette peste était si violente que les hommes mouraient subitement, dans les chemins, à table, au jeu, dans les réunions, de sorte que, s'il arrivait, comme on dit, que quelqu'un éternuât, souvent alors il rendait l'âme. Aussi entendait-on quelqu'un éternuer, aussitôt on courait et on criait: «Dieu vous bénisse» et c'est là, dit-on, l'origine de cette coutume, de dire: Dieu vous bénisse, à quelqu'un qui éternue.

Ou bien encore, d'après ce qu'on en rapporte, si quelqu'un bâillait, il arrivait souvent qu'il mourait tout de suite subitement. Aussi, dès qu'on se sentait l'envie de bâiller, tout de suite, on se hâtait de faire sur soi le signe de la croix; coutume encore en usage depuis lors. On peut voir dans la vie de saint Grégoire l'origine de cette peste.

II. On l'appelle procession septiforme, de la coutume qu'avait établie saint Grégoire de partager en sept ordres ou rangs les processions qu'il faisait de son temps. Au premier rang était tout le clergé, au second tous les moines et les religieux, au troisième les religieuses, au quatrième tous les enfants, au cinquième tous les laïcs, au sixième toutes les veuves et (71) les continentes, au septième toutes les personnes mariées. Mais comme il n'est plus possible à présent d'obtenir ces sept divisions de personnes, nous y suppléons par le nombre des litanies; car on doit les répéter sept fois avant de déposer les insignes.

III. On l'appelle les croix noires, parce que les hommes se revêtaient d'habits noirs, en signe de deuil, à cause de la mortalité, et comme pénitence, et c'est peut-être aussi pour, cela qu'on couvrait de noir les croix et les autels. Les fidèles doivent aussi revêtir alors des habits de pénitence.

On appelle litanie mineure, celle qui précède de trois jours la fête de l'Ascension. Elle doit son institution à saint Mamert, évêque de Vienne, du temps de l'empereur Léon qui commença à régner l'an du Seigneur 458. Elle fut donc établie avant la, litanie majeure. Elle a reçu le nom de litanie mineure, de rogations et de procession. On l'appelle litanie mineure pour la distinguer de la première, parce qu'elle fut établie par un moins grand évêque, dans un lieu inférieur et pour une maladie moindre. Voici la cause de son institution: Vienne était affligée de fréquents et affreux tremblements de terre qui renversaient beaucoup de maisons et d'églises. Pendant la nuit, on entendait, des bruits et des clameurs répétés. Quelque chose de plus: terrible encore arriva; le feu du ciel tombale jour de Pâques et consuma le palais royal tout entier. Il y eut un autre fait plus merveilleux. De même que par la permission de Dieu, des démons entrèrent autrefois dans des pourceaux, de même aussi par la permission de Dieu, pour (72) les péchés des hommes, ils entraient dans des loups et dans d'autres bêtes féroces et sans craindre personne, ils couraient en plein jour non seulement par les chemins mais encore par la ville, dévorant çà et là des enfants, des vieillards et des femmes. Or, comme ces malheurs arrivaient journellement, le saint évêque Mamert ordonna un jeûne de trois jours et institua des litanies; alors cette tribulation s'apaisa. Dans la suite, cette pratique s'établit et fat approuvée par l'Église; de sorte qu'elle s'observe universellement. - On l'appelle encore rogations, parce qu'alors nous implorons les suffrages de tous les saints: et nous avons raison d'observer cette pratique en ces temps-ci, de prier les saints et de jeûner pour différents motifs: 1. pour que Dieu apaise le fléau de la guerre, parce que c'est particulièrement au printemps qu'il éclate; 2. pour qu'il daigne multiplier par leur conservation les fruits tendres encore; 3. pour mortifier chacun en soi les mouvements déréglés de la chair qui sont plus excités à cette époque. Au printemps en effet le sang a plus de chaleur et les mouvements déréglés sont plus fréquents; 1. afin que chacun se dispose à la réception du Saint-Esprit; car par le; ,jeûne, l'homme se rend plus habile, et par les prières il devient plus digne. Maître Guillaume d'Auxerre assigne deux autres raisons: 1. comme Jésus-Christ a dit en montant au ciel: «Demandez et vous recevrez», l'Église doit adresser ses demandes avec plus de confiance; 2. 1'Eglise jeûne et prie afin de se dépouiller de la chair par la mortification des sens, et de s'acquérir des ailes à l'aide de l'oraison; car (73) l'oraison, ce sont les ailes au moyen desquelles l'âme s'envole vers le ciel, pour ainsi suivre les traces de J.-C. qui y est monté afin de nous ouvrir le chemin et qui a volé sur les ailes des vents. En effet l'oiseau, dont le corps est épais et les ailes petites, ne saurait bien voler, comme cela est évident, par l'autruche.

On l'appelle encore procession, parce qu'alors l'Eglise fait généralement la procession. Or, on y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière; en quelques églises on porte un dragon avec une queue énorme, et on implore spécialement le patronage de tous les saints. Si l'on y porte la croix et si l'on sonne les cloches, c'est pour que les démons effrayés prennent, la fuite. Car de même qu'à l'armée le roi a les insignes royaux, qui sont les trompettes et les étendards, de même J.-C., le roi éternel dans son Eglise militante, a les cloches pour trompettes et les croix pour étendards; et de même encore qu'un tyran serait en grand émoi, s'il entendait sur son domaine les trompettes d'un puissant roi son ennemi, et s'il envoyait les étendards, de même les démons, qui sont dans l'air ténébreux, sont saisis de crainte quand ils sentent sonner les trompettes de J.-C., qui sont les cloches; et qu'ils regardent les étendards qui sont les croix. - Et c'est la raison qu'on donne de la coutume de l'Église de sonner les cloches, quand on voit se former les tempêtes; les démons, qui en sont les auteurs, entendant les trompettes du roi éternel, prennent alors l'épouvante et la fuite, et cessent d'amonceler les tempêtes: il y en a bien encore une autre raison, c'est que les cloches, en cette occasion, avertissent les (71) fidèles et les provoquent à se livrer à la prière dans le péril qui les menace. La croix est réellement encore l'étendard du roi éternel, selon ces paroles de l'Hymne

Vexilla regis prodeunt;

Fulget Crucis mysterium

Quo carne carnisconditor

Suspensus est patibulo *.

Or, les démons ont une terrible peur de cet étendard, selon le témoignage de saint Chrysostome: «Partout où les démons aperçoivent le signe du Seigneur, ils fuient effrayés le bâton qui leur a fait leurs blessures.» C'est aussi la raison pour laquelle, en certaines élises, lors des tempêtes, on sort la croix de l'église et on l'expose contre la tempête, afin que les démons, voyant l'étendard du souverain roi, soient effrayés et prennent la fuite. C'est donc pour cela que la croix est portée à la procession, et que l'on sonne les cloches, alors les démons qui habitent les airs prennent l'épouvante et la fuite, et s'abstiennent de nous incommoder**. Or, on y porte cet étendard pour représenter la victoire de la Résurrection et celle de

* L'étendard du Roi apparaît; le mystère de la Croix éclate le créateur de l'homme, homme lui-même, est suspendu à un gibet.

Ce sont les paroles de la 1re strophe de l'hymne du temps de la Passion, telle qu'elle se récitait avant la correction exécutée avec plus ou moins de piété et de bonheur au XVIIe siècle.
**Saint Paul, au IIe chapitre de la Lettre aux Ephésiens, appelle le démon, le Prince de la puissance de l'air, Principent potestatis aëris hujus.

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l'Ascension de J.-C. qui est monté aux cieux avec un grand butin. Cet étendard qui s'avance dans les airs, c'est J.-C. montant au ciel. Or, ainsi que l'étendard porté à la procession est suivi de la multitude des fidèles, ainsi J.-C. montant au ciel est accompagné d'un cortège immense de saints. Le chant des processions représente les cantiques et les louanges des anges accourant au-devant de J.-C. qui monte au ciel, et l'accompagnant de leurs acclamations puissantes et unanimes jusque dans le ciel.

Dans quelques églises encore, et principalement dans les églises gallicanes, c'est la coutume de porter, derrière la croix, un dragon avec une longue queue remplie de paille ou de quelque autre matière semblable, les deux premiers jours; mais le troisième jour cette queue est vide: ce qui signifie que le, diable a régné en ce monde au premier jour qui représente le temps avant la loi et le second jour qui marque le temps de la loi, mais au troisième jour c'est-à-dire, au temps de la grâce, après la Passion de J.-C., il a été expulsé de son royaume. En cette procession nous réclamons encore le patronage de tous les saints.

Nous avons donné plus haut quelques-unes des raisons pour lesquelles nous prions alors les saints: Il y en a encore d'autres générales pour lesquelles Dieu nous a ordonné de le prier; ce sont: notre indigence, la gloire des saints et l'honneur de Dieu. En effet les saints peuvent connaître les voeux de ceux qui leur adressent des supplications; car dans ce miroir éternel, il aperçoivent quelle joie c'est pour eux, et quel secours c'est pour nous. La première raison donc (76) c'est notre indigence: elle provient ou bien de ce que nous méritons peu; quand donc ces mérites de notre part sont insuffisants, nous nous aidons de ceux d'autrui: ou bien cette indigence se manifeste dans la contemplation: Or, puisque nous ne pouvons contempler la souveraine lumière en soi, nous prions de pouvoir la regarder dans les saints: ou bien cette indigence réside dans l'amour: parce que le plus souvent l'homme étant imparfait ressent en soi-même plus d'affection pour un saint en particulier que pour Dieu même. La seconde raison, c'est la gloire des saints car Dieu veut que nous les invoquions pour obtenir par leurs suffrages ce que nous demandons, afin de les glorifier eux-mêmes et en les glorifiant de les louer. La troisième raison, c'est l'honneur de Dieu; en sorte que le pécheur qui a offensé Dieu, honteux, pour ainsi dire, de s'adresser à Dieu personnellement, peut implorer ainsi le patronage de ceux qui sont les amis de Dieu, Dans ces sortes de processions on devrait répéter souvent ce cantique angélique: Sancte Deus, sanctefortis, sancte et immortalis, miserere nobis. En effet saint Jean Damascène, au livre III, rapporte que l'on célébrait des litanies à Constantinople, à l'occasion de certaines calamités, quand un enfant fut enlevé au ciel du milieu du peuple; revenu au milieu de la foule, il chanta devant tout le monde ce cantique qu'il avait appris des anges et bientôt après cessa la calamité. Au concile de Chalcédoine, ce cantique fut approuvé. Saint Damascène conclut ainsi: «Pour nous, nous disons due par ce cantique les démons sont éloignés.» Or, il y a quatre motifs de louer et d'autoriser ce chant: 1. (77) parce que ce fut un ange qui l'enseigna; 2. parce

qu'en le récitant cette calamité s'apaisa; 3. parce que le concile de Chalcédoine l'approuva; 4. parce que les démons le redoutent *.»

* Une lettre du pape Félix III; Marcel dans sa Chronique; Nicéphore, liv. IV, ch. XLVI; le concile de C. P. racontent le même fait.





SAINT BONIFACE, MARTYR **

Saint Boniface souffrit le martyre, sous Dioclétien et Maximien, dans la ville de Tarse; mais il fut enseveli à Rome sur la voie latine. C'était l'intendant d'une noble matrone appelée Aglaë. Ils vivaient criminellement ensemble; mais touchés l'un et l'autre par la grâce de Dieu, ils décidèrent que Boniface irait chercher des reliques des martyrs dans l'espoir de mériter, au moyen de leur intercession, le bonheur du salut, par les hommages et l'honneur qu'ils rendraient à ces saints corps. - Après quelques jours de marche, Boniface arriva dans la ville de Tarse et s'adressant à ceux qui l'accompagnaient: «Allez, leur dit-il, chercher où nous loger: pendant ce temps j'irai voir les martyrs au combat; c'est ce que je désire faire tout d'abord.» Il alla en toute hâte au lieu des exécutions: et il vit les bienheureux martyrs, l'un suspendu par les pieds sur un foyer ardent, un autre étendu sur
** Bréviaire; - Martyrologe d'Adon, au 5 juin. Ruinart a donné ces actes dans son recueil.

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quatre pièces de bois et soumis à un supplice lent, un troisième labouré avec des ongles de fer, un quatrième auquel on avait coupé les mains, et le dernier élevé en l'air et étranglé par des bûches attachées à son cou. En considérant ces différents supplices dont se rendait l'exécuteur un bourreau sans pitié, Boniface sentit grandir son courage, et son amour pour J.-C. et s'écria: «Qu'il est grand le Dieu des saints martyrs!» Puis il courut se jeter à leurs pieds et embrasser leurs chaînes: «Courage, leur dit-il, martyrs de J.-C.; terrassez le démon, un peu de persévérance! Le labeur est court, mais le repos sera long ensuite, viendra le temps où vous serez rassasiés d'un bonheur ineffable. Ces tourments que vous endurez pour l'amour de Dieu n'ont qu'un temps; ils vont cesser et tout à l'heure, vous passerez à la joie d'une félicité qui n'aura point. de fin; la vue de votre roi fera votre bonheur; vous unirez vos voix au concert des choeurs angéliques, et revêtus de la robe brillante de l'immortalité vous verrez du haut du ciel vos bourreaux impies tourmentés tout vivants dans l'abîme d'une éternelle misère.» - Le juge Simplicien, qui aperçut Boniface, le fit approcher de son tribunal et lui demanda: «Qui es-tu?» «Je suis chrétien, répondit-il, et Boniface est mon nom.» Alors le juge en colère le fit suspendre et ordonna de lui écorcher le corps avec des ongles de fer, jusqu'à ce qu'on vit ses os à nu ensuite il fit enfoncer des roseaux aiguisés sous les ongles de ses mains. Le saint martyr; les yeux levés au ciel, supportait ses douleurs avec joie. A cette vue, le juge farouche ordonna de lui verser du plomb fondu (79) dans la bouche. Mais le saint martyr disait: «Grâces vous soient rendues, Seigneur J.-C., Fils du Dieu vivant.» Après quoi, Simplicien fit apporter une chaudière qu'on emplit de poix. On la fit bouillir et Boniface y fut jeté la tête la première. Le saint ne souffrit rien; alors le juge commanda de lui trancher la tête. Aussitôt un affreux tremblement de terre se fit ressentir et beaucoup d'infidèles, qui avaient pu apprécier le courage de cet athlète, se convertirent. - Cependant les compagnons de Boniface le cherchant partout et ne l'ayant point trouvé, se disaient entre eux : «Il est quelque part dans un lieu de débauche, ou occupé à faire bonne chère dans une taverne.» Or, pendant qu'ils devisaient ainsi, ils rencontrèrent un des geôliers. «N'as-tu pas vu, lui demandent-ils, un étranger, un Romain?» «Hier, leur répondit-il, un étranger a été décapité dans le cirque.» «Comment était-il?» «C'était, ajoutèrent-ils, un homme carré de taille, épais, à la chevelure abondante, et revêtu d'un manteau écarlate.» «Eh bien! répondit le geôlier, celui que vous cherchez a terminé hier sa vie par le martyre.» «Mais, reprirent-ils, l'homme que nous cherchons est un débauché, un ivrogne.» «Venez le voir, dit le geôlier.» Quand il leur eut montré le tronc du bienheureux martyr et sa tête précieuse, ils s'écrièrent: «C'est bien celui que nous cherchons veuillez nous le donner.» Le geôlier répondit: «Je ne puis pas vous délivrer son corps gratuitement.» Ils donnèrent alors cinq cents pièces d'or, et reçurent le corps du saint martyr qu'ils embaumèrent et renfermèrent dans des linges de prix; puis l'ayant mis dans (80) une litière, lis revinrent pleins de joie et rendant gloire à Dieu. Or, un ange du Seigneur apparut à Aglaé et lui révéla ce qui était arrivé à Boniface. A l'instant elle alla au-devant du saint corps et fit construire, en son honneur, un tombeau digne de lui, à une distance de Rome de cinq stades. Boniface fut donc martyrisé, le 14 mai, à Tharse, métropole de la Cilicie, et enseveli à Rome le 9 juillet. - Quant à Aglaë, elle renonça au monde et à ses pompes: après avoir distribué tous ses biens aux pauvres et aux monastères, elle affranchit ses esclaves, et passa le reste de sa vie dans le jeûne et la prière. Elle vécut encore douze ans sous l'habit de religieuse, dans la pratique continuelle des bonnes oeuvres et fut enterrée auprès de saint Boniface.





L'ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR

Notre Seigneur monta au ciel quarante jours après sa résurrection. Il y a sept considérations à établir par rapport à l'Ascension: 1. le lieu où elle se fit; 2. pourquoi J.-C. n'a pas monté au ciel de suite après sa résurrection, mais pourquoi il a attendu quarante jours; 3. de quelle manière il monta; 4. avec qui il monta; 5. à quel titre il monta; 6. où il monta; 7. pourquoi il monta.

I. Ce fut du mont des Olives que J.-C. s'éleva aux cieux. D'après une autre version, cette montagne a reçu le nom de montagne des trois lumières; en effet, du côté de l'occident, elle était éclairée, la nuit, par (81) le feu du temple, car un feu brûlait sans cesse sur l'autel, le matin, du côté de l'orient, elle recevait les premiers rayons du soleil, même avant la ville; il y avait en outre sur cette montagne une quantité d'oliviers dont l'huile sert d'aliment à la lumière, et voilà pourquoi on l'appelle la montagne des trois lumières. J.-C. commanda à ses disciples de se rendre à cette montagne; car le jour de l'ascension même, il apparut deux fois: la première, aux onze apôtres qui étaient à table dans le cénacle. Aussi bien les apôtres que les autres disciples, ainsi que les femmes, toits habitaient dans cette partie de Jérusalem appelée Mello, ou montagne de Sion. David y avait construit un palais; et c'était là que se trouvait ce grand cénacle tout meublé où J.-C. avait commandé qu'on lui préparât la Pâques, et dans ce cénacle habitaient alors les onze apôtres; quant aux autres disciples avec les saintes femmes, ils occupaient tout autour différents logements.

Comme ils étaient à table dans le cénacle, le Seigneur: leur apparut et leur reprocha leur incrédulité et après qu'il eut mangé avec eux, et qu'il leur eut ordonné d'aller à la montagne des Oliviers, du côté de Béthanie, il leur apparut en cet endroit une seconde fois; répondit' à quelques questions indiscrètes; après quoi il leva les mains pour les bénir et' de là en leur présence, il monta au ciel. Voici, sur ce lieu de l'ascension, ce que dit Sulpice, évêque de Jérusalem, et après lui la Glose *: « Après qu'on eut bâti là une

* Extrait de l'Histoire scholastique de Pierre Comestor.

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église, le lieu où J.-C. montant au ciel posa les pieds, ne put jamais être recouvert par un pavé; il y a plus, le marbre sautait à la figure de ceux qui le posaient. Une preuve que cet endroit avait été foulé par les pieds de c'est qu'on voit imprimés des vestiges de pieds, et que la terre conserve encore une figure qui ressemble à des pas qui y ont été gravés.»

II. Pourquoi J.-C. n'est-il pas monté de suite après sa résurrection, mais a-t-il voulu attendre pendant quarante jours? Il y en a trois raisons: 1 . pour qu'on ait la certitude de la résurrection. Il était en effet plus difficile de prouver la vérité de la résurrection que celle de la Passion: car, du premier au troisième jour, on pouvait prouver la vérité de la passion: mais pour avoir la preuve certaine de la résurrection, il fallait un plus grand nombre de témoignages; et c'est pour cela qu'il était nécessaire qu'il y eût plus de temps entre la résurrection et l'ascension, qu'entre la passion et la résurrection. A ce sujet, saint Léon,  pape, s'explique comme il suit dans un sermon sur l'ascension: «Aujourd'hui est accompli le nombre de quarante jours qui avait été disposé par un arrangement très saint, et qui avait été dépensé au profit de notre instruction. Le Seigneur, en prolongeant, jusqu'à ce moment, le délai de sa présence corporelle, voulait affermir la foi en la résurrection par des témoignages authentiques. Rendons: grâces à cette divine économie et au retard nécessaire que subirent les saints pères. Ils doutèrent, eus, afin que nous, nous ne doutassions pas.» 2. Pour consoler les apôtres. Or, puisque les consolations divines surpassent les tribulations et (83) que le temps de la passion fut celui de la tribulation des apôtres, il devait donc y avoir plus de jours de consolation que de jours de tribulation. 3. Pour une signification mystique: c'est pour donner à comprendre que les consolations divines sont aux tribulations comme un. an est à un jour, comme un jour est à une heure, comme une heure est à un moment. Il est clair que les consolations divines sont aux tribulations comme un an est à un jour par ce passage d'Isaïe (c. LXI) : «Je dois prêcher l'année de la réconciliation du Seigneur et le jour de la vengeance de notre Dieu.» Voilà donc que pour un jour de tribulation, il rend une année de consolation. Il est clair que les consolations divines sont aux tribulations comme un jour est à une heure, par ce fait que le Seigneur resta. mort pendant quarante heures; c'est le temps de la tribulation: et qu'après être ressuscité, il apparut pendant quarante jours à ses disciples, et c'était le temps de la consolation. Ce qui fait dire à la Glose: «Il était resté mort pendant quarante heures, c'est pour cela qu'il confirmait, pendant quarante jours, la certitude qu'il avait repris la vie.» Isaïe laisse à entendre que les consolations sont aux tribulations comme une. heure est à un moment; quand il dit (c. LIV): «J'ai détourné mon visage de vous pour un moment, dans le temps de ma colère; mais je vous ai regardés ensuite avec une compassion qui ne finira jamais.»

III. La manière dont il monta au ciel fut 1. accompagnée d'une grande puissance, selon ce que dit Isaïe (LXIII): «Quel est celui qui vient d'Edom, marchant avec une force toute puissante?» Saint Jean dit aussi  (III) (84): «Personne n'est monté au ciel, par sa propre force, que celui qui est descendu du ciel, c'est-à-dire, le cils de l'homme qui est dans le ciel.» Car quoiqu'il fût monté sur un groupe de nuages, cependant il ne l'a point fait parce que ce groupe lui fût devenu nécessaire, mais c'était pour montrer que toute créature est prête à obéir à son créateur. En effet il est monté par la puissance de sa divinité, et c'est en, cela qu'est caractérisée la puissance ou le souverain domaine, d'après ce qui est rapporté dans les histoires ecclésiastiques au sujet d'Enoch et d'Elie: car Enoch fut transporté, Elie fut soulevé, tandis que J.-C. a monté par sa puissance propre. «Le premier, dit saint Grégoire, fut engendré et engendra, le second fut engendré mais n'engendra pas, le troisième rie fut pas engendré et n'engendra pas.» Il monta au ciel 2. publiquement, à la vile de ses disciples: aussi est-il dit (Actes, I): «Ils le virent s'élever.» (Saint Jean) «Je vais à celui qui  m'a envoyé et personne de vous ne me demande: où allez-vous?» la glose dit ici : «C'est donc publiquement, afin qu'il ne vienne à la pensée de personne de soulever des questions sui- ce qui se voit à l'oeil nu.» Il voulut monter, à la vue de ses disciples, pour qu'ils fussent eux-mêmes des témoins de l'ascension, qu'ils conçussent de la joie en voyant la nature humaine portée au ciel, et qu'ils désirassent y suivre J.-C. Il monta au ciel 3. avec joie, au milieu des concerts des anges. Le Psaume dit (XLVI): «Dieu est monté au milieu des cris de joie.» «Au moment de l'Ascension de dit saint Augustin, le ciel est tout stupéfait, les astres sont dans (85) l'admiration, les bataillons sacrés applaudissent, les trompettes sonnent, et mêlent leur harmonie à celle des choeurs joyeux.» - Il monta 4. avec rapidité. «Il part avec ardeur, dit le Psalmiste, pour courir comme un géant dans sa carrière;» car en effet il monta avec une extraordinaire vitesse puisqu'il parcourut un si grand espace comme en un moment. - Le rabbin Moïse, très grand philosophe, avance que chaque cercle, ou chaque ciel de quelque planète que ce soit, a de profondeur un chemin de 500 ans, c'est-à-dire, que l'espace en est si étendu qu'un homme mettrait cinq cents ans à le parcourir sur un chemin uni: la distance d'un ciel à un autre est de même, dit-il, un chemin de 500 ans; et comme il y a sept cieux, il y aura, d'après lui, à partir du centre de la terre jusqu'aux profondeurs du ciel de Saturne, qui est le septième un chemin de sept mille ans; et jusqu'au point le plus éloigné du ciel, sept mille cinq cents ans, c'est-à-dire, Lin espace si grand que quelqu'un qui marcherait sur une plaine mettrait 7500 ans à le parcourir, s'il pouvait vivre assez. Or, l'année se trouve composée de 365 jours, et le chemin qu'on fait en un jour est de quarante milles, chaque mille a deux mille pas ou coudées.» Voilà donc ce que dit le rabbin Moyse. Or, s'il dit la vérité. Dieu le sait, car lui seul connaît cette mesure puisqu'il a tout fait en nombre, en poids et en mesure. C'est donc là le grand élan que prit J.-C. de 1a terre au ciel. Et au sujet de cet élan et de quelques autres que fit J.-C. citons les paroles de saint Ambroise,: «J.-C. prit son essor et vint dans ce monde; il était avec son père et il vint dans (86) une Vierge, de la Vierge il passa dans le berceau ; il descendit dans le Jourdain il monta sur la croix; il descendit dans le tombeau; il ressuscita du tombeau et il est assis à la droite de son père. »

IV. Avec qui a-t-il monté? Il faut savoir qu'il monta avec un grand butin d'hommes et une grande multitude d'anges. Qu'il soit monté avec un nombreux butin d'hommes, cela est évident par ces paroles du Psaume LXVII: «Vous êtes monté en haut; vous avez pris un grand nombre de captifs; vous avez fait des présents aux hommes.» Qu'il soit monté avec une multitude d'anges, cela est évident, encore par ces questions qu'adressèrent, lors de l'ascension de Jésus-Christ, les anges d'un ordre inférieur à ceux d'un ordre supérieur, ainsi qu'il se trouve dans Isaïe : «Quel est celui qui vient d'Edom, de Bosra avec sa robe teinte de rouge?» La Glose, dit ici que plusieurs des anges qui n'avaient pas une pleine connaissance des mystères de l'incarnation, de la passion et de la résurrection, en voyant monter ail ciel le Seigneur avec une multitude d'anges et de saints personnages, et cela par sa propre puissance, se mettent à admirer ce mystère de l'incarnation et de la passion; alors ils disent aux anges qui accompagnent le Seigneur: «Quel est celui-ci qui vient... etc.» et encore avec le Psaume: «Quel est ce roi de gloire?» Saint Denis, au livre de la Hiérarchie angélique (ch. VII), semble insinuer que pendant que J.-C. montait, trois questions furent adressées par les anges. La première fut celle des anges majeurs les uns aux autres: la seconde fut celle des anges majeurs à J.-C.; la (87) troisième fut adressée par les anges inférieurs à ceux d'un ordre plus élevé. Les plus grands se demandent donc les uns aux autres: «Quel est celui-ci qui vient d'Edom, de Bosra, avec sa robe teinte de rouge?»Edom veut dire sanglant meurtrier, Bosra signifie fortifié, c'est comme s'ils se disaient: «Quel est celui-ci qui vient de ce monde ensanglanté par le péché et fortifié contre Dieu par la malice?» Ou bien encore : «Quel est celui-ci qui vient d'un monde meurtrier et d'un enfer fortifié?» Et le Seigneur répondit: «C'est moi dont la parole est la parole de justice, et je suis combattant pour sauver (Is., LXIII).» Saint Denis dit ainsi: «C'est moi, dit-il, qui parle justice et jugement pour le salut.» Dans la rédemption du genre humain, il y eut justice, en tant que le créateur ramena la créature qui s'était éloignée, de son maître, et il y eut jugement, en ce que J.-C., par sa puissance, chassa. le diable, usurpateur, de l'homme qu'il possédait. Mais ici saint Denis pose cette question: «Puisque les anges supérieurs sont le plus près de Dieu, et qu'ils sont immédiatement illuminés par lui, pourquoi s'adressent-ils des questions, comme s'ils avaient le désir de s'instruire mutuellement?» Saint Denis répond lui-même et son commentateur expose que : en s'interrogeant, ils montrent que la science a pour eux de l'attrait; en se questionnant d'abord les uns les autres, ils manifestent qu'ils n'osent pas d'eux mènes devancer la procession divine. Ils commencent donc par s'interroger tout d'abord pour ne prévenir, par aucune interrogation prématurée, l'illumination que Dieu opère en eux. Donc cette question (88) n'est pas un examen de la doctrine, mais un aveu d'ignorance. - La seconde question est celle qu'adressèrent à J.-C. ces anges de premier degré «Pourquoi donc, disent-ils, votre robe est-elle rougie, et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les vêtements de ceux qui foulent dans le pressoir?» On dit que le Seigneur avait un vêtement, c'est-à-dire, son corps, rouge ou plein de sang, par la raison qu'en montant au ciel, il portait encore sur lui les cicatrices de ses plaies: car il voulut conserver ces cicatrices en son corps, pour cinq motifs ainsi énumérés par Bède dont voici les paroles: «Le Seigneur conserva ses cicatrices et, il les doit conserver jusqu'au jugement, pour affermir la foi en sa résurrection, pour les montrer à son père alors qu'il le supplie en faveur des hommes, pour que, les bons voient avec quelle miséricorde ils ont été rachetés, et les méchants reconnaissent avoir été justement damnés; enfin pour porter les trophées authentiques de la victoire éternelle qu'il a remportée. » Donc à cette question le Seigneur répondit ainsi : «J'ai été seul à fouler le vin, sans qu'aucun homme de tous les peuples fût avec moi.» La croix peut être appelée un pressoir, sous la pression duquel il a tellement été écrasé qu'il a répandu tout son sang. Ou bien ce qu'il appelle pressoir, c'est le diable qui a tellement. enveloppé et étreint le genre humain dans les liens du péché qu'il a exprimé tout ce qu'il y avait en lui de spirituel, en sorte qu'il n'en reste que la cape. Mais notre guerrier a foulé le' pressoir, il a rompu les liens des pécheurs, et après avoir monté au ciel, il a ouvert la demeure du ciel et a répandu le (89) vin du Saint-Esprit. La troisième question est celle qu'adressèrent les anges inférieurs aux supérieurs «Quel est, dirent-ils, ce roi de gloire?» Voici ce que dit saint Augustin par rapport à cette question et à la réponse qu'il était convenable d'y donner: «L'immensité des airs est, sanctifiée par le cortège divin, et toute la troupe des démons qui vole dans l'air se hâte de fuir à la vue de J.-C. qui s'élève.» Les anges accoururent à sa rencontre et demandent: «Qui est ce roi de gloire?» D'autres anges leur répondent: «C'est celui qui est éclatant par sa blancheur et par sa couleur de rose; c'est celui qui n'a ni apparence, ni beauté il fut faible sur le bois, fort quand il partage le butin; il fut vil dans un corps chétif, et équipé au moment du combat; il fut hideux en sa mort, et beau dans sa résurrection; il reçut une blancheur éclatante de la Vierge sa mère, et il était rouge de sang sur la croix sans éclat au milieu des opprobres, il brille dans le ciel.»

V. A quel titre il monta. Il en eut trois, répond saint Jérôme, avec le Psaume (XLIV). La vérité, la douceur et la justice. «La mérité, car vous avez accompli ce que vous aviez promis par la bouche des prophètes; la douceur, car vous vous êtes laissé immoler comme, une brebis pour la vie de votre peuple; la justice, parce que vous avez employé non pas la puissance; mais la justice pour délivrer l'homme, et la force de votre droite vous dirigera merveilleusement: la puissance, ou la force vous dirigera, vers le ciel.

VI. Où il monta: Il faut savoir que J.-C. monta (90) au-dessus de tous les cieux, -selon l'expression de saint Paul dans son épître aux Ephésiens (IV): «Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses. L'apôtre dit: «Au-dessus de tous les cieux», car il v en a plusieurs; au-dessus desquels il monta. Il y a le ciel matériel, le rationnel, l'intellectuel et le supersubstantiel. Le ciel matériel est multiple, savoir: l'aérien, l'éthéré, l'olympien, l'igné, le sidéral, le cristallin, et l'empyrée. Le ciel rationnel, c'est l'homme juste appelé ciel puisqu'il est l'habitation de Dieu; car de même que- le ciel est le trône et l'habitation de Dieu, selon cette expression d'Isaïe (LXVI): «Le ciel est mon trône»; de même l'âme juste, d'après le livre de la Sagesse, est le trône de la sagesse. L'homme juste est encore appelé ciel, eu raison des saintes habitudes, parce que les saints par leur manière de vivre et leurs désirs habitent dans le ciel, comme le disait l'apôtre: «Notre conservation est dans les cieux.» En raison encore des bonnes oeuvres continuelles; parce que de même que le ciel roule par un mouvement continu, de même aussi les saints se meuvent continuellement dans les bonnes oeuvres. Le ciel intellectuel, c'est l'ange. En effet l'ange est appelé ciel parce que, ainsi que les cieux, il est élevé à une très haute dignité et excellence. Quant à cette dignité et excellence, 1 . Denys parle de cette manière dans soit livre des Noms divins (chap. IV): «Les esprits divins sont au-dessus des autres êtres; leur vie l'emporte sur celle des autres créatures vivantes; leur intelligence et leur connaissance dépassent le sens et la (91) raison: mieux que tous les êtres, ils tendent au beau et au bien et y participent.» 2. Ils sont extrêmement beaux en raison de la nature et de la;foire. Saint Denys encore en parlant de leur beauté dit au même. livre . «L'ange est la manifestation de la lumière cachée; c'est un miroir pur, d'un éclat brillant, sans tache aucune ni souillure, immaculé, recevant, s'il est permis de le dire, la beauté, la forme excellente de la divinité.» 3. lis sont pleins de force en raison de leur vertu et de leur puissance. Le Damascène parle ainsi de leur force au livre 11, chap. III: «Ils sont forts et disposés à l'accomplissement de la volonté de Dieu; et partout on les trouve réunis, tout aussitôt que, par un simple signe de Dieu, ils en perçoivent les ordres.» Le ciel possède hauteur, beauté et force. L'Ecclésiastique dit au sujet des deux premières qualités (XLIII): «Le firmament est le lieu où la beauté des corps les plus hauts parait avec éclat c'est l'ornement du ciel, c'est lui qui en fait luire la gloire.» Au livre de Job il est dit (XXXVII) par rapporta la force: «Vous avez peut-être formé avec lui les cieux qui sont aussi solides que s'ils étaient d'airain fondu.» Le ciel supersubstantiel, c'est le siège de l'excellence divine, d'où J.-C. est venu et jusqu'où il remonta plies tard. Le Psaume l'indique par ces paroles (VII): «Il part de l'extrémité du ciel, et il va jusqu'à l'autre extrémité.» Donc J.-C. monta au-dessus de ces cieux jusqu'au ciel supersubstantiel. Le Psaume porte qu'il monta au-dessus de tous les cieux matériels quand il dit (VIII): «Seigneur, votre magnificence a été élevée au-dessus des cieux.» Il monta (92) au-dessus de tous les cieux matériels jusqu'au ciel empyrée lui-même, non pas comme Elie qui monta dans un char de feu, jusqu'à la région sublunaire sans la traverser, mais qui fut transporté dans le paradis terrestre dont l'élévation est telle qu'il touche à la région sublunaire (Rois, IV, II; Ecclé., VIII), sans aller au delà. C'est donc dans le ciel empyrée que réside J.-C. c'est là sa propre et spéciale demeure avec les anges et les autres saints. Et cette habitation convient à ceux qui l'occupent. Ce ciel en effet l'emporte sur les autres en dignité, en priorité, en situation et en proportions: c'est aussi pour cela que c'est une habitation digne de J.-C., qui surpasse tous les cieux rationnels et intellectuels en dignité, en éternité, par son état d'immutabilité et par les proportions de sa puissance. De même aussi, c'est une habitation convenable pour les Saints: car ce ciel est uniforme, immobile, d'une splendeur parfaite et d'une capacité immense: et cela convient bien aux anges et aux saints qui ont été uniformes dans leurs oeuvres, immobiles dans leur amour, éclairés dans la foi ou la science, et remplis du Saint-Esprit. Il est évident que J.-C. monta au-dessus de tous les cieux rationnels, qui sont tous les saints, par ces paroles du Cantique des cantiques (II): «Le voici qui vient sautant sur les montagnes, passant par-dessus les collines.» Par les montagnes on entend les anges, et par les collines les hommes saints. Il est évident qu'il monta au-dessus de tous les cieux intellectuels, qui sont les anges, par ces mots du Psaume (CIII): «Seigneur, vous montez sur les nuées et vous marchez sur les ailes des vents. » (93) «Il a monté au-dessus dés chérubins, il a volé sur les ailes des vents (XCVIII).» il est encore évident que Jésus-Christ monta jusqu'au ciel supersubstantiel, c'est-à-dire, jusqu'au siège de Dieu, par ces paroles de saint Marc (XVI): «Et le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé, fut élevé dans le ciel; et il y est. assis à la droite de Dieu.» La droite de Dieu, c'est l'égalité en Dieu. Il a été singulièrement dit et donné à mon Seigneur, par le Seigneur de siéger à la droite de sa gloire, comme dans une gloire égale, dans une essence consubstantielle, pour une génération semblable en tout point, pour une majesté qui n'est pas inférieure, et pour une éternité qui n'est pas postérieure. On peut dire encore que J.-C. dans son ascension atteignit quatre sortes de sublimités: celle du lieu, celle de la récompense acquise, celle de la science, celle de la vertu. De la sublimité du lieu qui est la première, il est dit aux Ephésiens (IV): «Celui qui est descendu, c'est le même qui a monté au-dessus de tous les cieux.» De la sublimité de la récompense acquise qui est la seconde, on lit aux Philippiens (II) . «Il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix: c'est pourquoi Dieu l'a élevé.» Saint Augustin dit sur ces paroles: «L'humilité est le mérite de la distinction et la distinction est la récompense de l'humilité.» De la sublimité de la science, le Psaume (XCVIII) dit: «Il. monta au-dessus des chérubins»; c'est autant dire, au-dessus de toute plénitude de science. De la sublimité de la vertu qui est la quatrième, il est dit aux Ephésiens: «Parce qu'il a monté au-dessus des Séraphins.» (III) «L'amour de J.-C. envers nous surpasse toute connaissances. »

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VII. Pourquoi J.-C., est-il monté au ciel. Il y a neuf fruits ou avantages à retirer de l'Ascension. Le 1eravantage, c'est, l'acquisition de l'amour de Dieu (Saint Jean, XVI):«Si je ne  m'en vais pas, le Paraclet ne viendra pas.» Ce qui fait dire à Saint Augustin : «Si vous  m'êtes attachés comme des hommes de chair, vous ne serez pas capables de posséder le Saint-Esprit.» Le 2e avantage, c'est une plus grande connaissance de Dieu (Saint Jean, XIV): «Si vous  m'aimiez, vous vous réjouiriez certainement parce que je  m'en vais à mon Père; car mon Père est plus grand que moi.» Saint Augustin dit à ce propos: «Si je fais disparaître cette. forme et cette nature d'esclave, par laquelle je suis inférieur à mon Père, c'est afin que vous puissiez voir Dieu avec les veux de l'esprit.» Le 3e avantage, c'est le mérite de la foi. A ce sujet saint Léon s'exprime de la sorte dans son sermon 12e sur l'Ascension: «C'est alors que la foi plus éclairée commence à comprendre à l'aide de la raison que le Fils est égal au Père; il ne lui est plus nécessaire de toucher la substance corporelle de J.-C., par laquelle il est inférieur à son Père. C'est là le privilège des grands esprits de croire, sans appréhension, ce que 1'oei1 du corps ne saurait apercevoir, et de s'attacher, par le désir, à ce à quoi l'on ne peut atteindre par la vue.» Saint Augustin dit au livre de ses Confessions: «Il a bondi comme un géant pour fournir sa carrière. Il n'a pas apporté de lenteur, mais il a couru en proclamant par ses paroles, par ses actions, par sa mort, par sa vie; en descendant sur la terre, en montant au ciel, il crie pour que nous revenions à lui, et il a (95) disparu aux yeux de ses apôtres, afin que nous rentrions dans notre coeur pour l'y trouver.» Le 4eavantage, c'est la sécurité, s'il est monté au ciel, c'est pour être notre avocat auprès de son Père. Nous pouvons bien être en sûreté, quand nous pensons avoir un pareil avocat devant le Père. (Saint Jean, I, II): «Nous avons pour avocat auprès du Père J.-C., qui est juste; car c'est lui qui est la victime de propitiation pour nos péchés.» Saint Bernard dit en parlant de cette sécurité: «Tu as, ô homme, un accès assuré auprès de Dieu: Tu y vois la mère devant le Fils, et le Fils devant le Père: cette mère montre à son fils sa poitrine et ses mamelles; le Fils montre à son Père son côté et ses blessures. Il ne pourra donc y avoir de refus, là où il y a tant de preuves de charité.» Le 5e avantage, c'est notre dignité. Oui, notre dignité est extraordinairement grande, puisque notre nature a été élevée jusqu'à la droite de: Dieu. C'est pour cela que les anges, en considération de cette dignité dans les hommes, se sont désormais refusés à recevoir leurs adorations, comme il est dit dans l'Apocalypse (XIX): «Et je me prosternai (c'est saint Jean qui parle) aux pieds de l'ange pour l'adorer. Mais il me dit: gardez-vous bien de le faire; je suis serviteur de Dieu comme vous, et comme vos frères.» La Glose fait ici cette remarque: «Dans l'ancienne loi, l'ange ne refusa pas l'adoration de l'homme, mais après l'ascension du Seigneur, quand il eut vu que l'homme était élevé au-dessus de lui, il appréhenda d'être adoré.» Saint Léon parle ainsi dans son 2e sermon sur l'Ascension: «Aujourd'hui la faiblesse de notre nature a été élevée en J.-C., (96) au-dessus de toutes les plus grandes puissances jusqu'au trône où Dieu est assis. Ce qui rend plus admirable la grâce de Dieu, c'est qu'en enlevant ainsi au regard des hommes ce qui leur imprimait à juste titre un respect sensible, elle empêche la foi de faillir, l'espérance de chanceler et la charité de se refroidir.» - Le 6e avantage, c'est la solidité de notre espérance. Saint Paul dit aux Hébreux (IV): «Ayant donc pour grand pontife Jésus, Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux, demeurons fermes dans la profession que; nous avons faite d'espérer.» Et plus loin (VI): «Nous avons mis notre refuge dans la recherche et l'acquisition des biens à nous proposés par l'espérance, qui sert à notre âme comme une ancre ferme et assurée laquelle pénètre jusqu'au dedans du voile où Jésus, notre précurseur, est entré pour nous.» Saint Léon dit encore à ce sujet: «L'Ascension de J.-C. est le gage de notre élévation, d'autant que là où la gloire du chef a précédé, le corps espère y parvenir.» Le 7eavantage est de nous montrer le chemin. Le prophète Nichée dit (III): «Il a monté pour nous ouvrir le chemin.» Saint Augustin ajoute: «Le Sauveur s'est fait lui-même notre voie. Levez-vous et marchez, vous avez un chemin tout tracé; gardez-. vous d'être lents.» Le huitième avantage, c'est de nous ouvrir la porte du ciel: car de même que le premier Adam a ouvert les portes de l'enfer, de même le second a ouvert les portes du paradis. Aussi l'Eglise chante-t-elle: Tu devicto mortis aculeo, etc. *: «Après

* Paroles du Te Deum.

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avoir vaincu l'aiguillon de la mort, vous avez ouvert aux croyants le royaume des cieux.» Le 8e avantage, c'est de nous préparer une place. «Je vais, dit J.-C. dans saint Jean; je vais vous préparer une place.» Saint Augustin commente ainsi ces paroles: «Seigneur; préparez ce que vous préparez: car vous nous préparez pour vous, et c'est vous-même que vous nous préparez, quand vous préparez une place où nous habiterons en vous et où vous habiterez en nous.»






La légende dorée - L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX