La légende dorée - par Jacques de Voragine du pays Génois, de l'ordre des Frères Prêcheurs.


LA LÉGENDE DORÉE

Des fêtes qui arrivent dans le temps de la rénovation, temps que l'Église reproduit à partir de l'Avent jusqu'à la Nativité du Seigneur.


L'AVENT DU SEIGNEUR

L'Avent du Seigneur est renfermé dans quatre semaines pour marquer les quatre sortes d'avènements de Jésus-Christ, savoir: en la chair, en l'esprit, en la mort et au jugement. La dernière semaine n'est pas tout à fait complète, parce que la gloire qui sera accordée aux saints, lors du dernier avènement, n'aura jamais, de fin. C'est aussi la raison pour laquelle le premier répons du 1er dimanche d'Avent a quatre versets, y compris le Gloria Patri, afin de désigner ces quatre avènements. C'est au lecteur à juger dans sa prudence auquel des quatre il préfère donner son attention. Or, bien qu'il y ait quatre sortes d'avènements, cependant l'Église s'occupe spécialement de deux; celui en la chair et celui du jugement, dont elle semble faire la mémoire: comme on le voit dans l'office de ce temps. De là vient encore que le jeûne de l'Avent est en partie (2) un jeûne de joie et en partie un jeûne de tristesse *; car en raison de l'avènement en la chair, c'est un jeûne de joie, et en raison de l'avènement du jugement, c'est un jeûne de tristesse.

Et pour l'indiquer, l'Eglise chante alors quelques cantiques de joie, à l'occasion de cet avènement de miséricorde et de jubilation; elle en omet quelques autres, à cause de l'avènement d'une justice pleine de sévérité et d'affliction.

Par rapport à l'avènement en la chair, on peut établir trois considérations: son opportunité, sa nécessité et son utilité. L'opportunité se tire en premier lieu du côté de l'homme qui, d'abord, sous la loi de nature, fut convaincu d'avoir perdu la connaissance de Dieu: de là sa chute dans les abominables erreurs de l'idolâtrie et l'obligation dans laquelle il se trouva de crier et de dire: «Seigneur, éclairez mes yeux...» (Illumina ocidos meos, Ps. XII). Vint ensuite le commandement de la loi sous laquelle l'homme fut convaincu d'impuissance. Auparavant il criait: «Tous sont disposés à obéir, mais il n'y a personne pour commander;» il était seulement instruit, mais non délivré du péché; aucune grâce ne l'aidait pour faire le bien; alors il fut forcé de crier et de dire: «Il y a quelqu'un pour commander, mais il ne se trouve personne pour obéir.» Le Fils de l'homme arriva donc

* L'Avent, qui a toujours été pour l'Eglise un temps de pénitence, était autrefois sanctifié par le jeûne comme le carême. Cf. Beleth, chanoine d'Amiens, Rationale divinorum. officiorum, Guillaume Durand, Rupert, D. Menard, sur le Sacramentaire de saint Grégoire, Martène et Durand, Baillet, etc.

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en temps opportun, quand l'homme fut convaincu d'ignorance et d'impuissance; car s'il fût venu plus tôt, l'homme, peut-être, eût attribué son salut à ses propres mérites, et par conséquent il n'eût pas eu de reconnaissance envers son médecin. L'opportunité se tire, en second lieu, du côté du temps, puisque le Sauveur vint dans la plénitude du temps (Galates, IV). «Beaucoup se demandent, dit saint Augustin, pourquoi J.-C. n'est pas venu plus tôt; c'est que la plénitude du temps n'était pas encore arrivée, d'après la disposition de celui par lequel toutes choses ont été faites dans le temps.» Enfin dès qu'arriva la plénitude du temps, vint celui qui devait nous délivrer du temps. Or une fois délivrés du temps, nous arriverons à cette éternité où le temps aura disparu. En troisième lieu, l'opportunité se tire du côté de la blessure et de la maladie. Comme elle était universelle, il devint opportun de fournir un remède universel, ce qui fait dire à saint Augustin: «Alors arriva le, grand médecin, quand par tout l'univers souffrait abattu le grand malade.» C'est la raison pour laquelle l'Eglise, dans les sept antiennes qu'elle chante avant la Nativité de Notre-Seigneur, montre l'innombrable complication de ces maladies et réclamé pour chacune d'elles l'intervention du médecin: car, avant la venue du Fils de Dieu en la chair, nous étions ignorants ou aveugles, engagés dans la damnation éternelle, esclaves du démon, enchaînés à la mauvaise habitude du péché, enveloppés de ténèbres, enfin des exilés chassés de leur patrie. Nous avions donc besoin d'un docteur, d'un rédempteur, d'un libérateur, d'un émancipateur, (4) d'un éclaireur et d'un Sauveur. Comme nous étions des ignorants et due nous avions besoin d'être instruits par le Fils de Dieu, voilà pourquoi tout d'abord, dans la première antienne, nous chantons: «O Sapientia... O sagesse sortie de la bouche du Très-Haut... venez nous enseigner la voie de la prudence.» Mais à quoi eût servi d'être instruits, si nous ne dussions pas être rachetés? aussi demandons-nous que le Fils de Dieu nous rachète, quand nous lui crions dans la seconde antienne: «O Adonaï... O Adonaï, chef de la maison d'Israël... venez, étendez votre bras pour nous racheter.» Mais à quoi bon avoir été instruits et rachetés, si après notre rédemption nous eussions encore été retenus captifs? C'est alors que nous demandons d'être délivrés, quand, dans la troisième antienne, nous chantons: «O radix Jesse... O rejeton de Jessé... venez nous délivrer; ne tardez pas.» Mais être délivrés et être rachetés, qu'était-ce pour des captifs, s'ils n'étaient cependant pas encore dégagés de tout lien, de manière à ne pas s'appartenir et ne pouvoir librement aller où ils voudraient? Il était donc peu avantageux qu'il nous eût rachetés et délivrés, si nous restions encore enchaînés. C'est pourquoi nous demandons à être dégagés de tous les liens du péché, quand, clans la quatrième antienne, nous disons à haute voix: «O clavis David... O clef de David... venez, faites sortir de sa prison le captif assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort.» Or parce que ceux qui sont restés longtemps dans une prison, ont les yeux troubles et ne sauraient distinguer les objets, libérés alors de la prison, il nous reste à être éclairés (5) pour voir où nous devons aller, et dans la cinquième antienne nous nous écrions: «O oriens... O orient, splendeur de lumière éternelle... venez et éclairez ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort.» Mais que sert d'être instruits, rachetés, délivrés de tous nos ennemis et éclairés, si nous ne devions être sauvés? Donc dans les deux antiennes suivantes, nous demandons d'être sauvés, en disant: «O Rex Gentium... O Roi des Nations... venez sauver l'homme que vous avez formé du limon.» Et encore: «O Emmanuel... O Emmanuel... venez nous sauver, ô Seigneur notre Dieu.» Par la première, nous demandons le salut des, nations, en disant: «O Roi des Nations.» Par la seconde, nous réclamons le salut des Juifs, auxquels Dieu avait donné la loi; en sorte que nous disons: «O Emmanuel, notre roi et notre législateur.»

L'utilité de l'avènement de J.-C. est attribuée à diverses causes par différents saints. Dieu lui-même, en saint Luc (IV), dit être venu et avoir été envoyé pour sept utilités: «L'Esprit du Seigneur est sur moi...» Il expose successivement en ce passage, qu'il a été envoyé pour consoler les pauvres, guérir ceux qui sont affligés, délivrer les captifs, éclairer les ignorants, remettre les péchés, racheter tout le genre humain et pour rendre à chacun selon ses mérites. Saint Augustin donne trois raisons de l'utilité de l'avènement de J.-C.: «Dans ce siècle livré à la malice, dit-il, qu'y a-t-il, si ce n'est naître, travailler et mourir? Voilà les denrées de notre pays: et c'est pour se les procurer que le marchand est descendu. Or par la (5) raison que le marchand donne et reçoit, qu'il donne ce qu'il a et qu'il reçoit ce dont il est privé, J.-C., dans ce marché, donne ce qu'il a et reçoit ce qui se trouve ici-bas en abondance: la naissance, le travail et la mort. En échange il donne de renaître, de ressusciter et de régner éternellement. Ce céleste marchand vient à nous pour recevoir le mépris et;combler d'honneurs, pour subir la mort et octroyer la vie, pour épuiser l'ignominie et donner la gloire.» Saint Grégoire énumère quatre utilités ou causes de, l'avènement de J.-C.: «Tous les orgueilleux issus de la race d'Adam, dit ce Père, n'avaient pour but que d'aspirer à tous les bonheurs ici-bas, d'éviter les adversités, de fuir les opprobres et de rechercher la gloire. Or le Seigneur, en s'incarnant, vient subir l'adversité, mépriser le bonheur, embrasser les opprobres et fuir la gloire. Le Christ attendu arrive; aussitôt il nous apprend des choses nouvelles, par là il opère des merveilles et détruit le mal.» Saint Bernard en assigne d'autres causes: «Nous souffrons, dit-il, bien misérablement de trois sortes de maladies, car nous sommes faciles à séduire, faibles pour agir et fragiles pour résister. Si nous voulons discerner entre lé bien et le mal, nous nous trompons; si nous essayons de faire le bien, le courage nous manque; si nous faisons des efforts pour résister au mal, nous nous laissons vaincre. De là la nécessité de la venue d'un Sauveur, afin qu'en habitant avec nous par la foi, il illumine notre aveuglement; qu'en restant avec nous, il aide à notre infirmité et qu'en se posant pour nous, il protège et défende notre fragilité. »


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Considérons deux faits par rapport au second avènement, c'est-à-dire au jugement . ce qui le précédera et ce qui l'accompagnera. Trois choses le précéderont; ce seront des signes terribles: l'Antéchrist avec ses impostures et la violence du feu. Les terribles signes précurseurs du jugement sont au nombre de cinq dans saint Luc (XXI): «Il y aura des signes dans le soleil; la lune et les étoiles; et sur la terre, la consternation des peuples, au bruit de la mer et des flots.» Les trois premiers signes sont dépeints dans l'Apocalypse (VI). «Le soleil devint noir comme un sac de poil, la lune paraissait être du sang et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre.» Or le soleil s'obscurcira ou quant à sa lumière, comme s'il paraissait gémir sur la mort du père de famille, c'est-à-dire de l'homme, ou parce qu'il surviendra mue plus grande lumière, savoir la lumière de J.-C., ou d'après une manière de parler métaphorique, parce que, selon saint Augustin, la vengeance divine sera si rigoureuse que le soleil lui-même n'osera regarder, ou, d'après une signification mystique, parce que le soleil de justice, J.-C. , sera alors si obscurci que pas un n'osera confesser son nom. Il est ici question du ciel aérien et ces étoiles dont on parle ne sont autre chose que là substance qui parait être celle de ces astres; alors il est dit qu'elles tomberont du ciel, comme si c'était la chute d'une substance, ainsi qu'on le pense communément des corps qui s'abaissent. L'Ecriture se conforme ici à notre manière ordinaire de parler. L'impression qui en résultera sera immense, parce que ce sera le feu qui dominera; le Seigneur agissant ainsi afin (8) d'imprimer de l'effroi aux pécheurs. Ou bien encore on dit que les étoiles tomberont, parce qu'elles projetteront au loin des queues pareilles à celles des comètes; ou bien que beaucoup qui paraissaient briller dans FEglise comme des étoiles, feront de lourdes chutes; ou enfin qu'elles perdront leur lumière et deviendront complètement invisibles. Le quatrième signe sera: la détresse sur la terre:c'est ce qu'on lit dans saint Mathieu (XXIV): «Il y aura alors une affliction telle qu'il n'y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde, etc.» Quelques-uns mettent pour cinquième signe le bouleversement de la mer détruite avec un grand fracas et transformée, selon ces paroles de l'Apocalypse (XXI): «Et la mer n'existe plus.» D'après d'autres, ce sera un bruit causé par le fracas des vagues qui s'élèveront de quarante coudées au-dessus des montagnes et qui ensuite tomberont. Saint Grégoire suit ici le sens littéral: «Alors il y aura une perturbation étrange et insolite sur la mer et les flots.» Saint Jérôme, en ses Annales des Hébreux*, trouve quinze signes précurseurs du jugement. Seront-ils successifs ou intermittents? il ne s'en explique pas. Le premier jour, la mer s'élèvera droit comme un mur de quarante coudées au-dessus des plus hautes montagnes. Le 2e jour, elle s'abaissera au point d'être presque invisible; le 3e jour, des bêtes marines nageront au-dessus de la mer et pousseront des rugissements qui s'élèveront jusqu'au ciel et Dieu seul aura
* Le B. Jacques de Voragine copie tous ces détails dans l'Histoire Scholastique de Pierre Comestor.

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l'intelligence de leurs mugissements; le ie, la! mer et l'eau brûleront; le 5e, les arbres et les herbes se couvriront d'une rosée de sang: s'il faut en croire quelques auteurs, ce cinquième jour encore, tous les oiseaux du ciel se. rassembleront dans les champs, chaque espèce à part, sans manger ni boire, mais resteront transis, à l'arrivée prochaine du souverain Juge. Au 6ejour, crouleront les édifices; on dit qu'en ce 6e jour encore la foudre ira du coucher du soleil jusqu'à son lever contre la face du firmament. Au 7e jour, les pierres s'entrechoqueront et se partageront en quatre, et on prétend que chaque morceau se frappera l'homme ne pourra s'en expliquer le son, Dieu seul le comprendra. Dans le 8e jour, tremblement de terré général, si violent, dit-on, que pas un homme, pas un animal ne pourra rester debout, mais tous seront jetés à terre. Le 9e, la terre sera nivelée et les collines et toutes les montagnes seront réduites en poussière. Le 10e, les hommes sortiront des cavernes et iront comme des hébétés, sans pouvoir se parler les uns aux autres. Le 11e les ossements des morts se lèveront et se tiendront sur leurs sépulcres, car depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, tous les tombeaux s'ouvriront pour que les morts en puissent sortir. Le 12e jour, chute des étoiles: tous les astres, fixes et errants, épandront des chevelures enflammées et changeront de substance. En ce jour encore, tous les animaux viendront mugir dans la campagne, restant sans manger ni boire. Au 13e jour, mort des vivants, pour ressusciter avec les autres. Le 14e jour, le ciel et la terre brûleront. Dans le l5e jour seront créés de (10) nouveaux cieux et une nouvelle terre, puis la résurrection générale.

Le second fait:qui précédera. le jugement sera le prestige de l'Antéchrist. Ses efforts auront pour but de tromper les hommes de quatre manières: 1. par la ruse qu'il emploiera- pour interpréter à faux les Ecritures: car il voudra persuader et prouver par l'Ecriture sainte qu'il est le Messie promis dans la loir et il détruira la toi de J.-C., pour établir la sienne. Sur ces paroles du psaume: «Etablissez sur eux un législateur, etc.» La glose porte que ce législateur est l'Antéchrist. Sur ces autres de Daniel (XI): «Et ils mettront dans le temple l'abomination de la désolation.» La glose dit: «l'Antéchrist siègera, dans le temple comme une divinité, pour abolir la loi de Dieu; 2. il trompera par ses oeuvres miraculeuses. La 2e  épître aux Thessaloniciens porte (2-9): «Il viendra accompagné de la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs. L'Apocalypse dit (XIII, 13): «Et il fit des signes, jusqu'à faire descendre du feu du ciel en terre.» La glose ajoute: «Comme l'esprit saint fut donné aux apôtres en forme de feu; ceux-là donneront l'esprit malin sous la forme du feu;» 3. il trompera par l'abondance de ses dons (XI, 39): «Il leur donnera beaucoup de puissance, dit Daniel (XI, 39) et il partagera la terre gratuitement. La glose ajoute: «l'Antéchrist comblera de présents ceux qu'il aura trompés, et il partagera la terre entre les soldats de son armée.» En effet ceux qu'il n'aura pu soumettre par la crainte, il les subjuguera par l'avarice; 4. il séduira par les supplices qu'il (10) infligera. «Il fera, ajoute Daniel (VIII), un ravage étrange et au delà de toute croyance.» Saint Grégoire dit encore, en parlant de l'Antéchrist: «Il tue ceux qui sont robustes, quand il vainc corporellement ceux qui n'ont point été vaincus.»

Le troisième signe précurseur du jugement sera la véhémence du feu, qui paraîtra devant la face du souverain juge. Ce sera Dieu lui-même qui enverra ce feu, 1. pour renouveler le monde; il purifiera et renouvellera tous les éléments, et comme les eaux du déluge, il s'élèvera de 25 coudées au-dessus de toutes les montagnes. L'Histoire scholastique * prétend que les ouvrages des hommes ne sauraient atteindre une plus grande élévation; 2. pour purifier les hommes, parce qu'il tiendra lieu du purgatoire à ceux qui seront trouvés encore vivants; 3. pour le plus affreux supplice des damnés; 4. pour le plus grand éclat des saints. Car, selon saint Basile, Dieu, après avoir purifié le monde, séparera la chaleur de la lumière; cette chaleur il l'enverra tout entière pour être le plus grand tourment des damnés, et la lumière ira vers les bienheureux pour augmenter leur joie.

Bien des circonstances accompagneront le jugement : 1. La discussion du juge: Le juge descendra dans la vallée de Josaphat pour juger les bons et les méchants; il placera les bons à droite et les méchants à gauche. On doit croire qu'il occupera un endroit élevé pour

* Chapitre XXXIV. L'Histoire scholastique est l'oeuvre de Pierre Comestor, chanoine et doyen de Sainte-Marie de Troyes, qui vivait dans la seconde moitié du XII. siècle.

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pouvoir être vu. Il ne faut pas penser que tous seront dans cette petite vallée; ce qui serait chose puérile, dit saint Jérôme; mais ils seront là, et dans les lieux environnants. Sur un petit espace de terre peuvent se placer des milliers d'hommes, surtout quand on les presse. Et encore, s'il est besoin, les élus seront élevés dans l'air, en raison de l'agilité de leurs corps. Les damnés pourront être:aussi suspendus par la . puissance de Dieu. Alors le juge discutera avec les méchants, et il leur fera un crime des oeuvres de miséricorde qu'ils n'auront pas accomplies; tous alors pleureront sur eux-mêmes, selon ce que dit saint Chrysostome sur saint Mathieu: «Les juifs pleureront sur eux-mêmes à la vue de J.-C. vivant et vivifiant, qu'ils regardaient comme un homme ayant subi la mort et en voyant son corps avec ses plaies, ils seront convaincus et ne pourront nier leur crime.» Les gentils pleureront aussi sur eux-mêmes, trompés qu'ils avaient été par les nombreuses discussions des philosophes; ils pensaient que c'était folie et chose irrationnelle d'adorer un Dieu crucifié. Les chrétiens pécheurs pleureront sur eux-mêmes, pour avoir mieux aimé le monde que Dieu ou J.-C. Les hérétiques pleureront sur eux-mêmes pour avoir dit que J.-C. était simplement un homme qui avait été crucifié, quand ils verront en lui le juge que les juifs ont fait souffrir. Sur elles-mêmes pleureront toutes les tribus de la terre; car il n'y aura plus de force pour lui résister, plus de faculté de fuir de sa présence, plus de moyen de faire pénitence, plus de temps laissé à la satisfaction.. Tout sera dans l'angoisse, il ne restera de place que pour le deuil.

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2. La différence des rangs. Saint Grégoire s'exprime ainsi: «Au jugement, il y aura quatre rangs: deux dés réprouvés et deux des Elus. Les uns sont jugés et condamnés, comme ceux auxquels il est dit: «J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger.» D'autres ne sont pas jugés et sont condamnés; tels sont ceux dont il est dit:, «Celui qui n'aura pas cru a déjà été jugé;» car ceux-là n'écoutent pas les paroles da juge, qui n'ont pas voulu garder la foi, pas même en un seul point. Les autres sont jugés et règnent: tels sont les parfaits qui jugeront les autres, non pas qu'ils portent la sentence, cela n'appartient, qu'au juge; mais on dit qu'ils jugent, en assistant le juge. Ce sera d'abord un sujet d'honneur pour les saints de siéger avec le souverain juge, ainsi qu'il l'a promis (Mathieu, V, 9). «Vous serez placés sur des trônes pour juger, etc...» Ensuite ils témoigneront de la sentence du juge; ils l'approuveront comme ont coutume de faire ceux qui la souscrivent. Au psaume CXLIX, il est dit: «Ils écriront la minute du jugement.» En troisième lieu, leur assistance sera pour la condamnation des damnés: elle sera portée contre eux d'après le témoignage des oeuvres de leur vie; 3. Les insignes de la Passion, qui sont: la croix, les clous et les cicatrices imprimées sur le corps de J.-C. Telles seront: 1. Les preuves ostensibles de sa victoire glorieuse; aussi les verra-t-on resplendissantes de gloire. Ce qui fait dire à saint Chrysostome sur saint Mathieu : « La croix et les cicatrices seront plus brillantes que les rayons du soleil.» Considérez aussi combien est grande la vertu de la croix. Le soleil sera obscurci et (14) la ligne ne donnera plus de lumière, pour nous apprendre que la croix est plus lumineuse que la lune, plus resplendissante que le soleil; 2. Ces insignes témoigneront de sa;miséricorde, qui seule aura sauvé les bons; 3. de sa justice; on verra par là avec combien d'équité les réprouvés seront damnés pour avoir méprisé leur rançon énorme que J.-C. a acquittée avec son sang. Aussi leur adressera-t-il ces reproches que saint Chrysostome met dans sa bouche: «J'ai été fait homme pour vous; pour vous j'ai été lié, moqué, meurtri et crucifié; où est le fruit de tant d'injures que j'ai reçues? Voici le prix du sang donné par moi pour le rachat de vos âmes. Quelles sont vos oeuvres en compensation de mon sang? Je vous ai préférés à ma gloire, alors que j'ai voilé ma divinité sous les apparences d'un homme, et vous m'avez prisé plus bas que toutes vos richesses. En effet la chose la plus vile de la terre, vous l'avez préférée à ma justice et à ma loi.»

Le quatrième fait, c'est la sévérité du juge: «La crainte ne le fera pas fléchir, car il est tout puissant.» (saint Chrysostome). Il n'y aura pas moyen de lui résister, ni de le fuir, etc. «Les présents ne le sauraient corrompre, il est si riche!» (saint Bernard). «Il viendra ce jour où les coeurs purs auront plus de valeur que les paroles adroites, et une conscience nette l'emportera sur les bourses pleines. C'est lui qui. ne se laissera pas tromper par les paroles, ni fléchir par les présents» (saint Augustin); «Le jour du jugement est attendu et apparaîtra alors le juge intègre par excellence, qui ne fera acception d'aucune personne puissante; dont le palais, ni par or, ni par argent, (15) ne pourra être souillé par la présence d'aucun évêque, abbé, ni comte.» Etant très bon, il ne saurait être entraîné ni par la haine, qui n'a aucune prise sur lui «Vous n'avez haï rien de ce que vous avez fait,» est-il dit au livre de la Sagesse (XI); ni par l'amour, car il est très juste: aussi ne délivrera-t-il pas ses frères, c'est-à-dire les faux chrétiens: «Le frère ne rachètera pas» (Psaume); ni par l'erreur, il est très sage (saint Léon).

Son aspect est redoutable, il connaît tous les secrets, pénètre dans ce qu'il y a de plus compact; pour lui les ténèbres luisent, les muets répondent, le silence parle, et l'esprit articule sans le secours de la voix. Or comme sa sagesse est tellement grande, contre elle donc ne pourront rien les allégations des avocats, ni les sophismes des philosophes, ni l'éloquence la plus brillante des orateurs, ni les ruses des fourbes.» A ce sujet, qu'on écoute saint Jérôme: «Combien de muets qui seront plus heureux là, que ceux qui parlent facilement; que de bergers plus heureux que les philosophes, de paysans que les orateurs; combien de niais l'emporteront sur l'adresse d'un Cicéron.»

Le cinquième fait, c'est l'accusateur affreux. Il y aura trois accusateurs contre le pécheur: Le premier, c'est le diable (saint Augustin). «Accourra alors le diable qui répétera les paroles de notre profession et qui nous opposera toutes nos actions, dans quel lieu, à quelle heure nous avons péché, ce que nous avons dû faire de bien alors. Cet adversaire devra dire en effet : «Très équitable juge, jugez que celui-ci m'appartient en raison de sa faute; lui qui n'a pas voulu être vôtre par la grâce: vôtre par sa nature, il est devenu mien (16) par sa misère; vôtre, à cause de votre passion:il est mien par ma persuasion. Désobéissant à vous, il n'a été obéissant qu'à moi; de vous, il a reçu la robe d'immortalité, de moi il a reçu ces lambeaux qui le recouvrent; il s'est dépouillé de votre vêtement, et il est venu ici avec le mien: Très équitable juge, jugez qu'il est mien et qu'il doit être damné avec moi.» Oh! pourra-t-il ouvrir la bouche celui qui est trouvé tel qu'il y aura justice à (envoyer avec le diable!» (;e sont les paroles de saint Augustin.

Le second accusateur sera le crime lui-même: Car chacun sera accusé par ses propres péchés. Il est écrit au livre de la Sagesse (IV): «Ils paraîtront pleins d'effroi au souvenir de leurs offenses: et leurs iniquités se soulèveront contre eux pour les accuser.» Saint Bernard ajoute: «Alors leurs oeuvres élèveront ensemble la voix et diront: C'est toi qui nous as faites; nous sommes tes oeuvres; nous ne te lâcherons point, mais nous serons constamment avec toi, et avec toi nous irons au jugement.» Et elles t'accuseront d'une infinité de crimes divers.

Le troisième accusateur, ce sera le monde entier (saint Grégoire). «Me demandez-vous quel sera celui qui vous accusera? Je vous réponds: Tout le monde car le créateur étant offensé, tout le monde l'est.» Saint Antoine commente ainsi saint Mathieu: «En ce jour-là, il n'y aura pour nous rien à répondre, alors que le ciel et la terre, l'eau, le soleil et la lune, les jours et les nuits, l'univers, en un mot, se lèvera devant Dieu contre nous pour rendre témoignage de nos fautes. Et quand l'univers se tairait, même nos (17) pensées, même nos oeuvres se lèveront en présence de Dieu et nous accuseront sans ménagement.»

Le sixième fait, c'est le témoin infaillible. Le pécheur en aura' trois à charge. Le premier qui viendra sera au-dessus de lui, ce sera Dieu; il sera juge et témoin. «Je suis juge et témoin, dit le Seigneur,» (Jérémie, XXIX). Le second sera au dedans de lui, ce sera sa conscience (saint Augustin). «Craignez-vous le juge à venir? corrigez dès aujourd'hui votre conscience; car ce qui défendra votre cause, ce sera le témoignage de votre conscience.» Le troisième témoin sera à côté de lui, son propre ange gardien, qui, comme le confident de tout ce qu'il a fait, rendra témoignage contre lui (Job, XX). «Les cieux (c'est-à-dire, les anges) dévoileront son iniquité.»

Le septième fait, ce sera l'accusation du pécheur. Voici ce qu'en dit saint Grégoire: «Oh! combien étroites seront alors les voies du pécheur! Au-dessus un juge irrité, au-dessous l'horrible chaos: à droite, les péchés accusateurs, à gauche un nombre infini de démons entraînant aux supplices,. au dedans une conscience bourrelée, au dehors un monde acharné. Le misérable pécheur ainsi environné, où fuira-t-il? Se cacher sera impossible, se montrer, intolérable.»

Le huitième fait, c'est la sentence irrévocable. En effet de cette sentence il ne pourra jamais avoir ni cassation, ni appel. Trois motifs s'opposent en justice criminelle à l'appel: 1. Un juge éminent. En effet on n'appelle pas d'un roi qui porte une sentence dans ses états, car il n'a personne au-dessus de lui dans son royaume, ainsi on n'en appelle ni de l'empereur, ni du (18) pape; 2. Un crime prouvé. Quand le crime est notoire il ne saurait y avoir appel; 3. L'urgence. Alors qu'il y a péril en la demeure il né saurait y avoir de sursis à l'exécution. Il y a encore trois motifs pour lesquels on ne reçoit point appel. Le pape lui-même ne pourrait le recevoir: 1. à cause de l'excellence du juge; le juge ici n'a aucun supérieur, mais il l'emporte sur tous en éternité, en dignité, en puissance. On pourrait en quelque sorte en appeler de l'empereur ou du pape à Dieu; mais on ne saurait en appeler de Dieu à quelqu'un puisqu'il n'est personne au-dessus de lui; 2. à cause de l'évidence du crime, car là les abominations et les crimes des réprouvés seront notoires et manifestes. «Il viendra le jour, dit saint Jérôme, où l'on verra toutes nos iniquités écrites comme sur un tableau;» 3. l'urgence. Rien de ce qui se fait là ne souffre de retard, mais tout s'écoule en un moment, en un clin d'oeil.





SAINT ANDRÉ, APÔTRE

André veut dire beau, ou caution, ou viril, d'ander, homme; ou bien encore anthrôpos, homme, d'ana, au-dessus, et tropostourné, ce qui est la même chose que converti, comme s'il eût été converti aux choses du ciel et élevé vers son créateur. Aussi, est-il beau dans sa vie, caution d'une doctrine pleine de sagesse, homme fort dans son supplice, et élevé en gloire. Son martyre fut écrit par les prêtres et les diacres d'Achaïe ou d'Asie qui en ont été les témoins oculaires.

André et quelques autres disciples furent appelés à trois reprises différentes par le Seigneur. La première (19) fois qu'il les appela à le connaître, ce fut un jour qu'André avec un autre disciple ouït dire par Jean, son maître: «Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde.» Et tout aussitôt, avec cet autre disciple, il vint et vit où demeurait Jésus, et ils passèrent ce jour auprès de lui. Et André ayant rencontré Simon, son frère, il l'amena à Jésus. Le lendemain ils retournèrent à leur métier de pêcheurs. Plus tard il les appela pour la seconde fois à vivre avec lui. Ce fut le jour où la foule se pressait sur, les pas de Jésus auprès du lac de Génésareth aussi appelé mer de Galilée; le Sauveur entra dans la barque de Simon et d'André, et après une pêche extraordinaire, il appela Jacques et Jean qui étaient dans une autre barque. Ils le suivirent et revinrent ensuite chez eux. Jésus les appela la troisième et dernière fois pour être ses disciples, lorsque se promenant sur le bord . de cette même mer où ils se livraient à la pêche : «Venez, leur dit-il, et je vous ferai pêcheurs d'hommes.» Ils quittèrent tout à l'instant pour le suivre toujours et ne plus retourner en leur maison. Toutefois il appela André et d'autres de ses disciples à l'apostolat, selon que le rapporte saint Marc (III): «Il appela à lui ceux qu'il voulut lui-même et ils vinrent à lui au nombre , de douze.»

Après l'ascension du Seigneur, et la séparation des Apôtres, André prêcha en Scythie et Mathieu en Myrmidonie *. Les habitants de ce dernier pays

* L'Ethiopie. Nicéphore appelle la ville Myrmenen, lib. I, c. XLI, il ajoute que c'était le pays des anthropophages.

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refusèrent d'écouter Mathieu, lui arrachèrent les yeux, le mirent dans les fers avec l'intention de le tuer quelques jours après. Sur ces entrefaites, l'ange du Seigneur apparut à saint André et lui ordonna d'aller en Myrmidoaie trouver saint Mathieu. Sur sa réponse qu'il n'en connaissait pas la route, il lui fut ordonné d'aller au bord de la mer et de monter sur le premier navire qu'il trouverait. Il exécuta tout de suite les ordres, qu'il recevait, et sous la conduite d'un ange, il vint, à l'aide d'un vent favorable, à la ville qui lui avait été désignée, trouva ouverte la prison de saint Mathieu et se mit à pleurer beaucoup et à prier en le voyant. Alors le Seigneur rendit à Mathieu le bon usage de ses deux yeux dont l'avait privé la malice des pécheurs. Mathieu s'en alla ensuite et vint à Antioche. André resta dans la ville dont les habitants, irrités de l'évasion de Mathieu, saisirent André et le traînèrent sur les places après lui avoir lié les mains. Et comme son sang coulait, il pria pour eux, et par sa prière les convertit à J.-C., de là il partit pour l'Achaïe *. Ce qu'on rapporte ici de la délivrance de Mathieu et de la guérison de ses deux yeux, je ne le crois. pas digne de foi; car ce serait peu d'honneur porter à un si grand évangéliste de croire qu'il n'a pu obtenir

* S. Jérôme; Épître 148 à Marcelle; - Grégoire de Tours De Gloria Martyr., lib. I, c. XXXI; -  S. Paulin, Gaudence de Bresce, Pierre Chrysologue, etc.

La lettre des prêtres d'Achaïe, sur le martyre de saint André, est une pièce du 1er au IIe siècle, qui a été démontrée authentique par le protestant Woog. Voyez sur cette épître la préface de Galland Veter Patr. Biblioth., I, prol., p. 38.

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pour soi-même ce que André obtint si facilement. Un jeune noble * s'étant attaché à l'apôtre malgré ses parents, ceux-ci mirent le feu à une maison où leur fils demeurait avec André. Comme la flamme s'élevait déjà fort haut, ce jeune homme prit un vase, en répandit l'eau sur le feu qui s'éteignit aussitôt. «Notre fils, dirent alors ses parents, est déjà un grand magicien.» Et pendant qu'ils voulaient monter au moyen des échelles, Dieu les aveugla au point qu'ils ne les voyaient même pas. Alors quelqu'un s'écria: «A quoi vous sert de vous consumer en vains efforts? Dieu combat pour eux et vous ne le voyez point! Cessez donc, de crainte que la colère de Dieu ne descende sur vous.» Or beaucoup de témoins de ce fait crurent au Seigneur; quant aux parents; ils moururent et furent enterrés cinquante jours après.

Une femme mariée à un assassin ne pouvait accoucher: «Allez, dit-elle à sa sueur, invoquer pour moi Diane notre déesse.» Le diable dit à celle qui l'invoquait: «Pourquoi t'adresser à moi qui ne saurais te secourir? Va plutôt trouver l'apôtre André qui pourra aider ta soeur **»

Elle y alla, et mena l'apôtre chez sa soeur en danger de périr. Il lui dit: «Il est juste que tu souffres, car tu es mal mariée; tu as conçu dans le mal, et tu as consulté les démons. Cependant repens-toi, crois en J.-C. et accouche.» Elle crut, et accoucha d'un avorton; puis sa douleur cessa.

* Abdias, Saint André, c. XII.
** Idem, Ibid., c. XXX.

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Un vieillard nommé Nicolas alla trouver l'apôtre et lui dit*: «Seigneur, depuis soixante-dix ans je vis esclave de passions infâmes. J'ai cependant reçu l'évangile, et ai prié pour que Dieu  m'accordât la continence. Mais accoutumé à ce péché, et séduit par la concupiscence, je suis retourné à mes désordres habituels. Un jour que brûlant, de mauvais, désirs, j'avais oublié que je portais l'évangile sur moi, j'entrai dans une maison de débauche: et la courtisane me dit aussitôt: «Sors, vieillard, sors, car tu es un ange de Dieu. Ne me touche pas et ne t'avise pas d'approcher; car je vois sur toi des prodiges.» Effrayé des paroles de cette femme, je me suis rappelé que j'avais apporté sur moi l'Évangile. Maintenant donc, saint de Dieu, obtenez mon salut par vos saintes prières.» En l'entendant, le bienheureux André se mit à pleurer, et depuis tierce jusqu'à none. il pria. Se levant de sa prière, il ne voulut point manger, mais il dit: «Je ne mangerai point avant de savoir si le Seigneur aura pitié de ce vieillard.» Après cinq jours de jeûne, une voix se fit entendre à André et dit: «André, tu obtiens ce que tu sollicites pour ce vieillard, mais de même que tu t'es macéré par le jeûne aussi faut-il que pour être sauvé, lui aussi s'affaiblisse par les jeûnes.»

C'est ce que fit le vieillard en jeûnant pendant six mois au pain et à l'eau; après quoi, plein de bonnes oeuvres, il reposa en paix. Et une voix dit à André: «Par ta, prière, j'ai recouvré Nicolas que j'avais perdu.»

* Abdias, Saint André, c. XXXIII.

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Un jeune chrétien confia ce qui suit sous le plus grand secret à saint André*. «Ma mère, éblouie de ma beauté, me tenta pour une oeuvre illicite: comme je n'y consentais pas, elle alla trouver le juge, dans l'intention de faire peser sur moi l'énormité d'un tel crime: mais priez pour moi de peur que je ne meure injustement; car lors de l'accusation, je préférerai me taire et perdre la vie plutôt que déshonorer ainsi ma mère.» Le jeune homme est donc mandé cri justice: André l'y suit. La mère accusé positivement son fils d'avoir voulu la violer. Interrogé plusieurs fois si la chose s'était ainsi passée, le jeune homme ne répondit mot. André dit alors à cette mère « O la plus cruelle des femmes, de vouloir la perte de ton fils unique pour satisfaire ta débauche!» La mère dit donc au juge: «Seigneur, voilà l'homme auquel s'est attaché pion fils après qu'il eût tenté de consommer son crime, sans pouvoir le commettre.» Alors le juge irrité condamna le jeune homme à être mis en un sac enduit de poix et de bitume puis ensuite jeté dans la rivière; et il ordonna de garder en prison André, jusqu'à ce qu'il eût trouvé un supplice pour le faire périr.

Mais à la prière d'André, un tonnerre horrible épouvanta les assistants, et un tremblement de terre les renversa tous, en même temps que la; femme, frappée de la foudre, était desséchée. Tous conjurèrent alors l'apôtre de ne pas les perdre. Il pria pour eux et le calme se fit. Le juge crut ainsi que toute sa maison.

* Adias, Saint André, c. VI.

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Comme l'apôtre était à Nicée, les habitants lui dirent que sur le chemin qui menait à la ville, se trouvaient sept démons qui tuaient les passants*. L'apôtre les fit venir sous la forme de chiens devant le peuple et leur commanda d'aller où ils ne pourraient nuire à personne. Aussitôt ils disparurent. A cette vue, ces hommes reçurent la foi de J.-C. En arrivant à la porte d'une autre ville, l'apôtre rencontra le convoi d'un jeune homme qu'on portait en terre: et comme il s'informait de l'accident, il lui fut dit que sept chiens étaient venus et l'avaient fait mourir dans son lit. André se mit à pleurer et dit: «Je sais bien, Seigneur, que c'est le fait des démons que j'ai chassés de Nicée.» Et s'adressant au père: «Que me donneras-tu, lui demanda-t-il, si je ressuscite ton fils?» «C'est tout ce que je possédais de plus cher au monde, répondit le père, je te le donnerai.» L'apôtre fit une prière et ressuscita l'enfant qui s'attacha à lui.

Un, jour quarante hommes vinrent par mer trouver l'apôtre afin de recevoir de lui la doctrine de la foi, mais le diable excita une tempête, qui les engloutit tous. Leurs corps ayant été rejetés sur le rivage, furent portés à l'apôtre et tout aussitôt ressuscités. Ils racontèrent tout ce qui leur était arrivé.

De là vient qu'on lit dans une des hymnes de son office: «Il rendit à la vie.quarante: personnes que les flots avaient englouties.» Maître Jean Beleth ** dit en traitant de la fête de saint André, qu'il avait le teint brun, la barbe épaisse et une petite taille.

* Abdias, Saint André, c. VII.

* Rationale, c. CLXIV,

Or saint André resta en Achaïe, y fonda de nombreuses églises et convertit beaucoup de monde à la foi du Christ. Il instruisit même la femme du proconsul Egée et la régénéra dans les eaux sacrées du baptême. A cette nouvelle, Egée vient à Patras pour contraindre les chrétiens à sacrifier aux idoles. André alla a sa rencontre et lui dit: «Il fallait que toi qui as l'honneur d'être ici-bas le juge des hommes, tu connusses et ensuite tu honorasses ton juge qui est dans le ciel, après avoir renoncé en ton coeur aux faux dieux.*.» Égée lui répliqua: «C'est toi qui es André: tu enseignes les dogmes de cette secte superstitieuse que les empereurs romains viennent  de prescrire d'exterminer.» «Les empereurs romains, dit André, n'ont pas encore appris que le Fils de Dieu, en venant sur la terre, a enseigné que les idoles sont des démons qui apprennent à offenser Dieu; en sorte qu'offensé par les hommes il détourne d'eux son visage, qu'irrité contre eux, il ne les exauce point, et qu'en ne les exauçant pas, ils sont les esclaves et le jouet du diable, jusqu'à ce que dépouillés de tout en sortant de leur corps, ils n'emportent avec eux rien autre que leurs péchés.» Egée: «Votre Jésus qui prêchait ces sottises a été attaché au gibet de la croix. André répartit: «C'est pour nous racheter et non pour des crimes qu'il a bien voulu souffrir le supplice de la croix.» Égée: «Il a été livré par son disciple, pris par les Juifs et crucifié par les soldats; comment donc peux-tu dire qu'il a souffert de plein gré le

* Abdias, Saint André, c. XXVI..

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supplice de la croix!» Alors André démontra par cinq raisons que Jésus-Christ avait souffert parce qu'il l'avait voulu. 1. Il a prévu et prédit sa passion à ses disciples, lorsqu'il dit: «Voici que nous allons à Jérusalem, etc...» 2. Quand saint Pierre voulut l'en détourner il s'indigna fortement et lui dit: «Va-t-en derrière moi; Satan, etc...» 3. Il a clairement annoncé qu'il avait le pouvoir et de souffrir et de ressusciter tout à la fois, lorsqu'il dit: «J'ai la puissance de quitter la vie et de la reprendre.» 4. Il a connu d'avance celui qui le trahissait, lorsqu'il lui donna du pain trempé, et cependant il ne se garda pas de lui. 5- Il choisit l'endroit où il savait que devait venir le traître. Lui-même assura avoir été témoin de chacun de ces 'faits; il ajouta que c'était un grand mystère que celui de la croix. Égée répondit: «On rie saurait appeler mystère ce qui 'fut un supplice; cependant si tu n'obtempères pas à mes ordres, je te ferai passer par l'épreuve du même mystère.» André: «Si j'étais épouvanté du supplice de la croix, je n'en proclamerais point la gloire. Or je veux t'apprendre ce mystère de la croix, peut-être qu'en le connaissant tu y croiras; tu l'adoreras et tu seras sauvé.» Alors il commença à lui dévoiler le mystère de la Rédemption et lui en prouva par cinq arguments la convenance et la nécessité. Le premier argument est que le premier homme ayant donné naissance à la mort par le bois, il était convenable que le second homme détruisît la mort en souffrant sur le bois. Le second, que le prévaricateur ayant été formé d'une terre immaculée, il était juste que le réconciliateur naquit d'une vierge immaculée.

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Le troisième, que Adam ayant étendu la main avec intempérance vers le fruit défendu, il seyait que le second Adam étendît sur la croix ses mains immaculées. Le quatrième, que Adam ayant goûté de l'arbre défendu un fruit agréable, il était convenable que le Christ, lorsqu'il fut abreuvé de fiel, détruisît le contraire par son contraire. Le cinquième est que, pour nous conférer son immortalité, il importait que le Christ prît avec lui notre mortalité: car si Dieu ne s'était fait mortel, l'homme ne fût pas devenu immortel. Alors Égée dit: «Va conter aux tiens ces rêveries, et obéis-moi en sacrifiant aux dieux tout-puissants.» «Chaque jour, répondit André, j'offre au Dieu tout-puissant l'agneau sans tache, et quand il a été mangé par tout le peuple, cet agneau reste vivant et entier.» Égée demandant comment cela pouvait-il se faire, André lui répondit de se mettre au nombre des disciples. Égée répliqua: «Avec des tourments, je saurai bien te faire expliquer la chose.» Et tout en colère, il le fit enfermer dans une prison. Le matin étant venu, il s'assit sur son tribunal et de nouveau il l'exhorta à sacrifier aux idoles. «Si tu ne  m'obéis, lui dit-il, je te ferai suspendre à cette croix que tu as glorifiée.» Et comme il le menaçait de nombreux tourments, André répondit: «Invente tout ce qui te paraîtra de plus cruel en fait de supplice. Plus je serai constant à souffrir dans les tourments pour le nom de mon roi, plus je lui serai agréable. Alors Égée le fit fouetter par vingt hommes, et le fit lier ensuite à une croix par les mains et par les pieds afin qu'il souffrît plus longtemps. Et comme il était (28)  conduit à la croix, il se fit un grand concours de peuple qui disait: «Il est innocent et condamné sans, preuves à verser son sang.» Cependant, l'apôtre pria cette foule de- ne point s'opposer, à son martyre. Et quand André aperçut la croix de loin, il la salua en disant: «Salut, ô croix consacrée par le sang de J.-C., et décorée par chacun de ses membres comme avec dés pierres précieuses. Avant que le seigneur eût été élevé sur toit tu étais un sujet d'effroi pour la terre; maintenant en procurant l'amour du ciel, tu es l'objet de tous les désirs. Plein de sincérité et dejoie, je viens à toi afin de te procurer la joie de recevoir en moi un disciple de celui qui a été pendu sur toi. En effet toujours je t'ai aimée et ai désiré t'embrasser. O bonne croix 1 qui as reçu gloire et beauté des membres du Seigneur. Toi que j'ai longtemps désirée, que-j'ai aimée avec. sollicitude, que j'ai recherchée sans relâche et qui enfin es préparée à, mon âme désireuse, reçois-moi du milieu des hommes, et me rends à mon maître afin qu'il me reçoive par toi, lui qui par toi  m'a racheté.» En disant ces mots, il se dépouilla de ses vêtements qu'il donna aux bourreaux. Alors ceuxci le suspendirent à la croix, comme il leur avait été prescrit. Pendant deux jours qu'il y vécût, ii prêcha à vingt mille hommes qui l'entouraient. Cette foule menaçait Égée de le faire mourir, en disant qu'un saint doux et pieux ne devait pas ainsi périr; Egée vint pour le délivrer. A sa vue André lui dit: «Pourquoi viens-tu vers nous? Si c'est pour demander pardon, tu l'obtiendras; mais si c'est pour me détacher, sache que je ne descendrai pas vivant de la croix. Déjà en (29) effet je vois mon roi qui  m'attend.» Et comme on voulait le délier, on ne put y parvenir, parce que les bras de ceux qui essayaient de le faire devenaient paralysés. Pour André, comme il voyait que le peuple le voulait délivrer, il fit cette prière sur la croix, comme la rapporte saint Augustin en son livre de la Pénitence. «Ne permettez pas, Seigneur, que je descende vivant, il est temps que vous confiiez mon corps à la terre, car tant que je l'ai porté, tant j'ai veillé à sa garde; j'ai travaillé à vouloir être délivré de ce soin, et à être dépouillé de ce très épais vêtement. Je sais combien je l'ai trouvé lourd à porter, redoutable à vaincre, paresseux à enflammer et prompt à faiblir. Vous savez, Seigneur, combien il était;porté à  m'arracher aux pures contemplations; combien il s'efforçait de me tirer du sommeil devotre charmant repos. Toutes et quantes fois il me fit souffrir de douleur. Chaque fois que je l'ai pu, Père débonnaire, j'ai résisté en combattant et j'ai vaincu avec votre aide. C'est à vous, juste et pieux rémunérateur, que je demande de ne plus me confier à ce corps: mais, je vous rends ce dépôt. Confiez-le à un autre, et ne  m'opposez plus par lui d'obstacles. Qu'il soit conservé et rendu à la résurrection, afin que vous retiriez honneur de ses âeuvres. Confiez-le à la terre afin de ne plus veiller, afin qu'il ne  m'empêche pas de tendre avec ardeur et librement vers vous qui êtes la source d'une vie de joie intarissable.» (Saint Augustin, De vexa et falsa poenit., c. VIII). Après ces paroles, une lumière éclatante venue du ciel l'entoura pendant une demi-heure, en sorte que personne ne pouvait fixer sur lui les yeux; et cette lumière disparaissant, il (30) rendit en même temps l'esprit. Maximilla, l'épouse d'Egée, prit le corps du saint apôtre et l'ensevelit avec honneur *. Quant à Egée, avant d'être rentré dans sa maison, il fut saisi par le démon et à la vue de tous il expira sur le chemin. On dit ** que du tombeau de saint André découle une manne semblable à de la farine et une huile odoriférante. Les habitants du pays en tirent un présage pour la récolte: car si ce qui coule est en petite quantité, la récolte sera peu-considérable, s'il en coule beaucoup, elle sera abondante. Peut-être qu'il en a été ainsi autrefois, mais aujourd'hui on prétend que son corps a été transporté à Constantinople.

Un évêque, qui menait une vie sainte, avait une vénération particulière pour saint André, en sorte qu'à chacun de ses ouvrages, il mettait en tête: «A l'honneur de Dieu et de saint André.» Or jaloux de la sainteté de ce personnage, l'antique ennemi, pour le séduire, après avoir employé toutes sortes de ruses, prit la forme d'une femme, merveilleusement belle. Elle vint au palais de l'évêque sous prétexte de vouloir se confesser à lui. Sur l'ordre de l'évêque de l'adresser à son pénitencier qui avait tous ses pouvoirs, elle répondit qu'elle ne révélera à nul autre qu'à lui les secrets de sa conscience. Le Prélat touché la fait entrer. «Je vous en conjure, Seigneur; lui dit-elle, ayez pitié de moi: car jeune encore, ainsi que vous le voyez, élevée dans les délices dès mou enfance, issue

* Bréviaire romain.
** Saint Grégoire de Tours, ubi supra.

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même de race royale, je suis venue seule ici sous l'habit des pèlerins. Le roi mon père, prince très puis-, sont, voulant me marier à un grand personnage; je lui ai répondu quej'avais en horreur le lien du mariage, puisque j'ai consacré ma virginité pour toujours à J.-C. et qu'en conséquence je ne pourrais jamais cousentir à la perdre. Pressée d'obéir à ses ordres, ou de subir sur la terre différents supplices, je pris secrètement la fuite, préférant  m'exiler que de violer la foi jurée à mon époux. La renommée de votre sainteté étant parvenue à mes oreilles, je me suis réfugiée sous les ailes de votre protection, dans l'espoir de trouver auprès de vous un lieu de repos où je puisse jouir en secret des douceurs de la contemplation, me sauver des naufrages de la vie présente, enfuir le bruit et les agitations du monde.» Plein d'admiration pour la noblesse de sa race, la beauté de sa personne, sa grande ferveur, et l'élégance remarquable de ses paroles, l'évêque lui répondit avec bonté et douceur «Soyez tranquille, ma fille; ne craignez point, car celui pour l'amour duquel vous avez méprisé avec tant de courage et vous-même, et vos parents et vos biens, vous accordera, pour ce sacrifice, le comble de la grâce en cette vie et la plénitude de la gloire en l'autre. Aussi moi qui suis son serviteur, je  m'offre à vous avec ce qui  m'appartient: choisissez l'appartement qu'il vous plaira, et je veux qu'aujourd'hui vous mangiez avec moi.» «Veuillez, ah! veuillez, dit-elle, mon Père, ne pas exiger cela de moi, de peur d'éveiller quelque mauvais soupçon et de porter quelque atteinte à l'éclat de votre réputation.» «Nous serons (32) plusieurs, lui répondit l'évêque, nous ne serons pas seuls, et ainsi il n'y aura pas lieu de fournir eu quoi que ce soit l'apparence à mauvais soupçon.» Les convives se mirent à table, l'évêque se plaça en face de la dame et les autres de l'un et de l'autre côté. L'évêque eot beaucoup d'attention pour cette femme; il ne cessa de la regarder et d'en admirer la beauté. Pendant qu'il a les yeux fixés ainsi, son ême est atteinte, et tandis qu'il ne cesse de la regarder, l'antique ennemi lance contre son coeur uné flèche acérée. Le Diable, qui tenait compte de tout, se mit à augmenterde plus en plus sa beauté. Déjà l'évêque était sur le point de. donner son consentement à la tentation de commettre avec cette personne une action criminelle dès que la possibilité s'en présenterait, quand tout à coup un pèlerin vient heurter à la porte avec violence, demandant à grands cris qu'on lui ouvre. Comme on s'y refusait et que le pèlerin devenait importun par ses clameurs et ses coups répétés, l'évêque demande à la femme si elle voulait recevoir ce pèlerin. «Qu'on lui propose, dit-elle, quelque question difficile; s'il sait la résoudre, qu'on l'introduise; s'il ne le peut, qu'on l'éloigne, comme un ignorant, et comme une personne indigne de paraître devant l'évêque.» On applaudit à la proposition, et l'on se demande qui sera capable de poser la question. Et comme on ne trouvait personne: «Quelle autre, madame, reprit l'évêque, peut mieux poser la question que vous qui l'emportez sur nous autres en éloquence et dont la sagesse brille au-dessus de la nôtre à tous? Proposez donc vous-même une question.» «Qu'on lui demande, dit-elle, ce que Dieu a fait de plus merveilleux (33) dans une petite chose.» Le pèlerin auquel un messager porta la question répondit: «C'est la variété et l'excellence du visage. Parmi tant d'hommes qui ont existé depuis le commencement du monde, et qui existeront dans l'avenir, on n'en saurait rencontrer deux dont les visages soient semblables en tout point, et cependant, dans une si petite figure, Dieu a placé tous les sens du corps.» En entendant cette réponse on s'écria avec admiration: «C'est vraiment une excellente solution à la demande.» Alors la dame dit: «Qu'on lui en propose une seconde plus difficile qui mette sa science à meilleure épreuve: « Qu'on lui demande où la terre est plus, haute que le ciel tout entier.» Le pèlerin interrogé répondit: «Dans le ciel empyrée, où réside le corps. de J.-C. Le corps du Christ en effet, qui est plus élevé que tout le ciel, est formé de notre chair; or notre chair est une portion de la substance de la terre: comme donc le corps du Christ est au dessus de tous les cieux, et qu'il tire son origine de notre chair, que notre chair est formée de la terre, il est donc constant que là où le corps de J.-C. réside, là certainement la terre est plus élevée que le. ciel.» L'envoyé rapporte la réponse du pèlerin, et tous d'approuver cette solution merveilleuse et d'en louer hautementla sagesse. Alors la femme dit encore : «Qu'on lui pose de nouveau une troisième question très grave, compliquée, difficile à résoudre, obscure, afin que, pour la troisième fois, il soit prouvé qu'il est digne à juste titre d'être admis à la table de l'évêque. Demandez-lui quelle distance il y a de la terre au ciel.» Le pèlerin répondit à l'envoyé qui lui portait (34) la question: «Allez le demander à celui-là même qui' a posé la demande. Il le sait certainement et il pourra répondre mieux que je ne le ferais; car lui-même a mesuré cette distance, quand du ciel il est tombé dans l'abîme; pour moi je ne suis jamais tombé du ciel et n'ai jamais mesuré cet espace. Car ce n'est pas une femme, mais le diable qui s'est caché sous la ressemblance d'une femme.» A ces paroles le messager fut pâmé, et répéta devant tous les convives ce qu'il avait entendu. Tandis que l'étonnement et la stupeur ont saisi les convives, le vieil ennemi a disparu. L'évêque, rentrant en lui-même, se reprochait amèrement sa conduite et demandait avec lamentations le pardon de la faute qu'il avait commise. Il envoya aussitôt pour qu'on introduisît le pèlerin, mais on ne lé trouva plus. L'évêque convoqua le peuple, lui exposa de point en point ce qui s'était passé, et commanda des jeûnes et des prières pour que le Seigneur daignât révéler quel était ce pèlerin qui l'avait sauvé de si grand péril. Et cette nuit-là même, il fut révélé à l'évêque que c'était saint André qui, pour le délivrer, avait pris l'extérieur d'un pèlerin. L'évêque redoubla de dévotion envers le saint apôtre et il ne cessa de donner des preuves de sa vénération pour lui.

Le prévôt d'une ville* s'était emparé d'un champ de saint André, et par les prières de l'évêque, il en fut puni de très fortes fièvres. Il alla trouver le prélat, le conjurant d'intercéder en sa faveur et lui promit

* D'après saint Grégoire de Tours, De gloria nnartyrum, l. I, c. LXXIX, cet homme était Gomacharus, comte de la ville d'Agde, vers la fin du VIe siècle.

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de restituer le champ. Mais après sa guérison obtenue par l'intercession du pontife, il reprit une seconde fois la: terre. Alors l'évêque se mit en prières et brisa toutes les lampes de l'église, eu disant: «Qu'on n'allume plus ces lumières, jusqu'à ce que le Seigneur se venge lui-même de son ennemi, et que l'église recouvre ce qu'elle a perdu.» Et voilà que le prévôt eut encore de très fortes fièvres; il envoya alors demander à l'évêque de prier pour lui, l'assurant qu'il rendrait son champ, et en surplus un autre de la même valeur. Comme l'évêque lui faisait répondre toujours : «J'ai déjà prié, et Dieu  m'a exaucé,» le prévôt se fit porter chez le prélat et le força d'entrer dans l'église pour prier.

A l'instant où l'évêque entre dans l'église, le prévôt meurt subitement et le champ est restitué à l'église.






La légende dorée - par Jacques de Voragine du pays Génois, de l'ordre des Frères Prêcheurs.