La légende dorée - SAINT ÉTIENNE

SAINT JEAN, APÔTRE ET ÉVANGÉLISTE

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Jean veut dire grâce de Dieu, ou en qui est la grâce, ou auquel la grâce a été donnée, ou auquel un don a été fait de la part de Dieu. De là quatre privilèges de saint Jean. Le premier fut l'amitié particulière de J.-C. En effet, le Sauveur aima saint Jean plus que les autres apôtres et lui donna de plus grandes marques d'affection et de familiarité. Il veut donc dire grâce. de Dieu parce qu'il fut gracieux à Dieu. Il paraît même qu'il a été aimé plus que Pierre. Mais il y a amour de coeur et démonstration de cet amour. On trouve deux sortes de démonstrations d'amour: l'une qui consiste dans la démonstration de la familiarité, et l'autre dans les bienfaits accordés. Il aima Jean et Pierre également. Mais quant à l'amour de démonstration, il aima mieux saint Jean, et quant aux bienfaits donnés, il préféra Pierre. Le second privilège est la parole de la chair; en effet, saint Jean a été choisi vierge par le Seigneur; alors en lui est la grâce, c'est-à-dire la grâce de la pureté virginale, puisqu'il voulait se marier quand J.-C. l'appela *. Le troisième privilège, c'est la révélation des mystères: en effet, il lui a été donné de connaître beaucoup de mystères, par exemple, ce qui concerne la divinité du Verbe et la fin du monde. Le quatrième privilège,, c'est d'avoir été chargé du soin de la mère de Dieu: alors on, peut dire qu'il a reçu un don de Dieu. Et c'était le plus grand présent que le Seigneur putfaire que de lui,confier le soin de sa mère. Sa vie a été écrite par Miletus **, évêque de Laodicée, et abrégée par Isidore dans son livre De la naissance, de la vie et de la mort des Saints Pères.

* C'est l'opinion de Bède, Sermon des Jean; - de Rupert, - Sur Saint Jean, ch. I; - de saint Thomas d'Aquin, t. II, p. 186; - de sainte Gertrude en ses Révélations, liv. IV, c. IV.
** Le livre de Miletus a été publié en dernier lieu à Leipsig, par Heine, 1848. Il est reproduit ici en majeure partie.

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Jean, apôtre et évangéliste, le bien-aimé du Seigneur, avait été élu alors qu'il était encore vierge. Après la Pentecôte, et quand les apôtres se furent séparés, il partit pour l'Asie, où il fonda un grand nombre d'églises. L'empereur Domitien, qui entendit parler de lui, le fit venir et jeter dans une cuve d'huile bouillante, à la porte Latine. Il en sortit sain et entier, parce qu'il avait vécu affranchi de la corruption de la chair *. L'empereur ayant su que Jean n'en continuait pas moins à prêcher, le relégua en exil dans l'île inhabitée de Pathmos et où le saint écrivit l'Apocalypse. Cette année-là, l'empereur fut tué en haine de sa grande cruauté et tous ses actes furent annulés par le sénat; en sorte que saint Jean, qui avait été bien injustement déporté dans cette île, revint à Ephèse, où il fut reçu avec grand honneur par tous les fidèles qui se pressèrent au-devant de lui en disant: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.» Il entrait dans la ville, comme on portait en terre Drusianequi l'aimait beaucoup et qui aspirait ardemment son arrivée. Les parents, les veuves et les orphelins lui dirent: «Saint Jean, c'est Drusiane que nous allons inhumer; toujours elle souscrivait à vos avis, et nous nourrissait tous; elle souhaitait vivement votre arrivée, en disant «O si j'avais le bonheur de voir l'apôtre de Dieu avant «de mourir!» Voici que vous arrivez et elle n'a pu  vous voir.» Alors Jean ordonna de déposer le brancard et de délier le cadavre: «Drusiane, dit-il, que mon

* Tertullien, Prescriptions, ch. XXXVI; - Saint Jérôme, Sur Saint Jean, liv. I, c. XIV.

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Seigneur J.-C. te ressuscite, lève-toi, va dans ta maison et me prépare de la nourriture.» Elle se leva aussitôt, et s'empressa d'exécuter l'ordre de l'apôtre, tellement qu'il. lui semblait qu'il l'avait réveillée et non pas ressuscitée.

Le lendemain, Craton le philosophe convoqua le peuple sur la place, pour lui apprendre comment on devait mépriser ce monde. Il avait fait acheter à deux frères très riches, du produit de leur patrimoine, des pierres précieuses qu'il fit briser en présence de l'assemblée. L'apôtre vint à passer par là et appelant le philosophe auprès de lui, il condamna cette manière de mépriser le monde par trois raisons: 1. il est loué par les hommes, mais il est réprouvé par le jugement de Dieu; 2. ce mépris ne guérit pas le vice; il est donc inutile, comme est inutile le médicament qui ne guérit point le malade; 3. ce mépris est méritoire pour celui qui donne ses biens aux pauvres. Comme le Seigneur dit au jeune homme: «Allez vendre tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres.» Craton lui dit: «Si vraiment ton Dieu est le maître, et qu'il veuille que le prix de ces pierreries soit donné aux pauvres, fais qu'elles redeviennent entières, afin que, de ta part, cette oeuvre tourne à sa gloire, comme j'ai agi pour obtenir de la renommée auprès des. hommes,» Alors saint Jean, rassemblant dans sa main les fragments de ces pierres, fit une prière, et elles redevinrent entières comme devant. Aussitôt le philosophe ainsi que les deux jeunes gens crurent, et vendirent les pierreries, dont ils distribuèrent le prix aux pauvres.

Deux, autres jeunes tiens d'une famille honorable (96) imitèrent l'exemple des précédents, vendirent tout ce qu'ils avaient, et après l'avoir donné aux pauvres, ils suivirent l'apôtre. Mais un jour qu'ils voyaient leurs serviteurs revêtus de riches et brillants vêtements, tandis qu'il ne leur restait qu'un seul habit, ils furent pris de tristesse. Saint Jean, qui s'en aperçut à leur physionomie, envoya chercher sur le bord de la mer . des bâtons et des cailloux qu'il changea en or et en pierres fines. Par l'ordre de l'apôtre, ils les montrèrent pendant sept jours à tous les orfèvres et à tous les lapidaires; à leur retour ils racontèrent que ceux-ci n'avaient jamais vu d'or plus pur ni des, pierreries si précieuses; et il leur élit: «Allez racheter vos terres que vous avez vendues, parce que vous avez perdu les richesses du ciel; brillez comme des fleurs afin de vous faner comme elles; soyez riches dans le temps pour que vous soyez mendiants dans l'éternité.» Alors l'apôtre parla plus souvent encore contre les richesses, et montra que pour six raisons, nous devions être préservés de l'appétit immodéré de la fortune. La première tirée de l'Ecriture, dans le récit du riche en sa table que Dieu réprouva, et du pauvre Lazare que Dieu élut; la seconde puisée dans la nature, qui nous fait venir pauvres et nus, et mourir sans richesses; la troisième prise de la créature: le soleil, la lune, les astres, la pluie, l'air étant communs à tous et partagés entre tous sans préférence, tous les biens devraient donc être en commun chez les hommes; la quatrième, est la fortune. Il dit alors que le riche devient l'esclave de l'argent et du diable; de l'argent, parce qu'il ne possède pas les richesses, mais que ce sont elles qui le possèdent; du (97) diable, parce que, d'après l'évangile, celui qui aime l'argent est l'esclave de Mammon. La cinquième est l'inquiétude: ceux qui possèdent ont jour et nuit des soucis, soit pour acquérir, soit pour conserver. La sixième, ce sont les risques et périls auxquels sont exposées les richesses; d'où résultent deux sortes de maux: ici-bas, l'orgueil; dans l'éternité, la damnation éternelle: perte de deux sortes de biens: ceux de la grâce, dans la vie présente ceux de la gloire éternelle, dans la vie future. Au milieu de cette discussion contre les richesses, voici, qu'on portait en terre un jeune homme mort trente jours après son mariage. Sa mère, sa veuve et les autres qui le pleuraient, vinrent se jeter aux pieds de l'apôtre et le prier de le ressusciter comme Drusiane au nom du Seigneur. Après avoir pleuré beaucoup et avoir prié, Jean ressuscitas l'instant le jeune homme auquel il ordonna de raconter à ces deux disciples quel châtiment ils avaient encouru et quelle gloire ils avaient perdue. Celui-ci raconta alors bien des faits, qu'il, avait vus sur la gloire du paradis, et sur les peines de l'enfer. Et il ajouta: «Malheureux que vous êtes, j'ai vu vos anges dans les pleurs et les démons dans la joie; puis il leur dit, qu'ils' avaient perdu les palais éternels construits des pierreries brillantes, resplendissant d'une clarté merveilleuse, remplis de banquets copieux, pleins de délices, et d'une joie, d'une gloire interminables. Il raconta huit peines de l'enfer qui sont renfermées dans ces deux vers :

Vers et ténèbres, tourment, froid et feu,

Présence du démon, foule de criminels, pleurs.

Alors celui qui avait été ressuscité; se joignit aux deux (98) disciples qui se prosternèrent aux pieds de l'apôtre et le conjurèrent de leur faire miséricorde. L'apôtre leur dit: «Faites pénitence trente jours, pendant lesquels. priez que ces bâtons et ces pierres reviennent dans leur état naturel.» Quand ils eurent exécuté cet ordre, il leur dit: «Allez porter ces bâtons et ces pierres où vous les avez pris.»

Ils le firent; les bâtons et les pierres redevinrent alors ce qu'ils étaient, et les jeunes gens recouvrèrent la grâce de toutes les vertus, qu'ils avaient possédées auparavant.

Après que Jean eut prêché par toute l'Asie, les adorateurs de Jules excitèrent une sédition parmi le peuple et traînèrent le saint à un temple de Diane pour le forcer à sacrifier. Jean leur proposa cette alternative ou qu'en invoquant Diane, ils fissent crouler l'église de J.-C., et qu'alors il sacrifierait aux idoles; ou qu'après avoir lui-même invoqué J.-C., il renverserait le temple de Diane et alors eux-mêmes crussent en J.-C. La majorité accueillit la proposition tous sortirent du temple; l'apôtre fit sa prière, le temple: croula jusque dans ses fondations et l'image de Diane fut réduite en pièces. Mais le pontife des idoles, Aristodème, excita une affreuse sédition dans le peuple; une partie se préparait à se ruer contre l'autre. L'apôtre lui dit: «Que veux-tu que je fasse pour te fléchir?» «  Si tu veux, répondit Aristodème, que je croie en ton Dieu, je te donnerai du poison à boire, et si tu n'en ressens pas les atteintes, ton Seigneur sera évidemment le vrai Dieu.» L'apôtre reprit: «Fais ce que tu voudras.» «Je veux, dit Aristodème, que tu (99) en voies mourir d'autres auparavant afin que ta crainte augmente.» Aristodèmealla demander au proconsul deux condamnés à mort, auxquels, en présence de tous, il donna du poison. A peine l'eurent-ils pris qu'ils rendirent l'âme. Alors l'apôtre prit la coupe et se fortifiant du signe de la croix, il avala tout le poison sans éprouver aucun mal, ce qui porta tous les assistants à louer Dieu. Aristodème dit encore: «Il me reste un doute, mais si tu ressuscites ceux qui sont morts du poison, je croirai indubitablement.» Alors l'apôtre lui donna sa tunique. «Pourquoi, lui dit-il,  m'as-tu donné ta tunique?» «C'est, lui répondit saint Jean, afin que tu sois tellement confus que tu brises avec ton infidélité.» «Est-ce que ta tunique me fera croire?» dit Aristodème. «Va, dit l'apôtre, la mettre sur les corps de ceux qui sont morts et dis: «L'apôtre de J.-C.  m'a envoyé vers vous polir vous ressusciter «au nom de J.-C.» Il l'eut à peine fait que sur-le-champ ils ressuscitèrent. Alors l'apôtre baptisa au nom de J.-C. le pontife et le proconsul qui crurent, eux et toute leur famille; ils élevèrent ensuite une église en l'honneur de saint Jean.

Saint Clément d'Alexandrie rapporte, dans le  IVe livre de l'Histoire ecclésiastique *, que l'apôtre convertit un jeune homme beau, mais fier, et le confia à un évêque à titre de dépôt. Peu de temps après, le jeune homme abandonne l'évêque et se met à la-têted'une bande de voleurs. Or quand l'apôtre revint, il

* Clément d'Alexandrie, Quisdives, ch. XLII; - Eusèbe, l. III, ch. XXIII; - SaintChrysostome, ad Theodos lapsum, liv. I, ch. II.

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réclama son dépôt à l'évêque. Celui-ci croit qu'il est question d'argent et reste assez étonné. L'apôtre lui dit: «C'est ce jeune homme que je vous réclame; c'est celui que je vous avais recommandé d'une manière si pressante.» «Père saint, répondit l'évêque, il est mort quant à l'âme et il reste sur une telle montagne avec des larrons dont il est lui-même le chef. »

En entendant ces paroles, saint Jean déchiré ses vêtements, se frappe la tête avec les poings. «J'ai trouvé là un bon gardien de l'âme d'un frère, ajouta-t-il!» Il se fait aussitôt préparer un cheval et court avec intrépidité vers la montagne. Le jeune homme, l'ayant reconnu, fut couvert de honte et s'enfuit aussitôt sur son cheval. L'apôtre oublie son âge, pique son coursier de ses éperons- et crie après le fuyard: «Bien-aimé fils, qu'as-tu à fuir devant un père et un vieillard sans défense? Ne crains pas, mon fils; je rendrai compte de toi à J.-C., et bien certainement je mourrai volontiers pour toi. comme J.-C. est mort pour nous. Reviens, mon fils, reviens; c'est le Seigneur qui m'envoie.» En entendant cela, le brigand fut tout contrit, revint et pleura à chaudes larmes. L'apôtre se jeta à ses pieds et se mit à embrasser sa main comme si elle eût déjà été purifiée par la pénitence: il jeûna et pria pour lui, obtint sa grâce et par la suite il l'ordonna évêque. On lit encore dans l'Histoire ecclésiastique * et dans la glose sur la seconde épître canonique de saint Jean, que ce saint

*Eusèbe, liv. IV, ch. XIV; - Saint Irénée, Advers. Haeres, liv. III, ch. III; - Théodor., liv. II.

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étant entré à Ephèse pour prendre un bain, il y vit Cérinthe l'hérétique et qu'il se retira vite en disant «Fuyons d'ici, de peur que l'établissement ne croule sur nous; Cérinthe, l'ennemi de la vérité, s'y baigne.»

Cassien*, au    livre de ses conférences, raconte qu'un homme apporta une perdrix vivante à saint. Jean. Le saint la caressait et la flattait pour l'apprivoiser. Un enfant témoin de cela dit en riant à ses camarades: «Voyez. comme ce vieillard joue avec un petit oiseau comme ferait un enfant.» Saint Jean devina ce qui se passait, appela l'enfant qui lui dit «'est donc vous qui êtes Jean qui faites cela et qu'on dit si saint?» Jean lui demanda ce qu'il tenait à la main. Il lui, répondit qu'il avait un arc. «Et qu'en fais-tu? ,» «C'est pour tuer des oiseaux et des bêtes, lui dit l'enfant.» «Comment? lui dit l'apôtre.» Alors l'enfant banda son arc et le tint ainsi à la main. Comme l'apôtre ne lui disait rien, le jeune homme débanda son arc. «Pourquoi donc, mon fils, lui dit Jean, as-tu débandé ton arc?» «C'est, répondit-il; que si je le tenais plus longtemps tendu, il deviendrait trop mou pour lancer les flèches.» Alors l'apôtre dit: «Il en est de même de l'infirmité humaine, elle s'affaiblirait dans la contemplation, si en restant toujours fermement occupée, sa fragilité ne prenait pas quelques instants de relâche. Vois l'aigle; il vole plus haut que tous les oiseaux; il regarde fixement le soleil, et cependant, par la nécessité de sa nature, il descend sur la terre. Ainsi l'esprit de l'homme, qui se relâche un

* XXIVe conférence, ch. XXI.

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peu de la contemplation, se porté avec plus d'ardeur vers les choses célestes, en renouvelant souvent ses essais.» Saint Jérôme * assure que saint Jean vécut à Ephèse jusqu'à une extrême vieillesse; c'était avec, difficulté que ses disciples le portaient à bras à l'église; il ne pouvait dire que quelques mots, et à chaque pause il répétait: «Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres.» Enfin étonnés de ce qu'il disait toujours la même chose, les frères qui étaient avec lui, lui demandèrent: «Maître, pourquoi répétez-vous toujours les mêmes paroles?» Il leur répondit: que c'était le commandement du Seigneur; et que si on l'observait, cela suffisait. Hélinaud rapporte ** aussi que quand saint Jean l'évangéliste entreprit d'écrire son évangile, il indiqua un jeûne par avance, afin de demander dans la prière d'écrire que son livre soit digne du sujet. Il se retira, dit-on, dans un lieu solitaire pour écrire la parole de Dieu, et qu'il pria que tandis qu'il vaquerait à ce travail, il ne fût gêné ni par la pluie ni par le vent. Les éléments, dit-on, respectent encore aujourd'hui, en ce lieu, les prières de l'apôtre. A l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans et l'an soixante-sept, selon Isidore ***, après la passion du Seigneur, J.-C. lui apparut avec ses disciples et lui dit: «Viens avec moi, mon bien-aimé, il est temps

*Sur l'épître aux Galates.
** Il est probable que J. de Voraginepossédait le commencement de la chronique d'Hélinand, dans les ouvrages, duquel nous n'avons pas rencontré trace de ce fait. On sait qu'il ne nous reste de son histoire qu'à partir de l'année 634, au livre XLV.
*** De ortu et obituPatrum, ch. LXXII.

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de t'asseoir à ma table avec tes frères.» Jean se leva et voulut marcher. Le seigneur lui dit: «Tu viendras auprès de moi dimanche.» Or le dimanche arrivé; tout le peuple se réunit à l'Eglise qui avait été dédiée en son nom. Dès le chant des oiseaux, il se mit à prêcher, exhorta les chrétiens à être fermes dans la foi et fervents à pratiquer les commandements de Dieu. Puis il fit creuser une fosse carrée vis-à-vis l'autel et en jeter la terre hors de l'église. Il descendit dans la fosse, et les bras étendus, il dit à Dieu: «Seigneur J.-C., vous  m'avez invité à votre festin; je viens vous remercier de l'honneur; que vous  m'avez fait; je sais que c'est de tout coeur,que j'ai soupiré après vous.» Sa prière finie, il fut environné d'une si grande lumière que personne ne putle regarder. Quand la lumière eut disparu, on trouva la fosse pleine de manne, et jusqu'aujourd'hui il se forme de la manne en ce lieu, de telle sorte qu'au fond de la fosse, il paraît sourdre un sable fin comme on voit l'eau jaillir d'une fontaine *. Saint Edmond, roi d'Angleterre, n'a jamais rien refusé à quelqu'un qui lui adressait une demande au nom de saint Jean l'évangéliste. Un pèlerin lui demanda donc un jour l'aumône avec importunité au nom de saint Jean l'évangéliste; alors que son camérier était absent. Le roi; qui n'avait rien sous la main qu'un anneau de prix le lui. donna. Plusieurs jours après, un soldat anglais, qui était outre-mer, fut chargé de remettre au roi l'anneau de

* Saint Augustin, Saint Jean, homélie 424; - Grégoire de Tours, Gloria M., liv. I, ch. XXX; - Itinerarium Willebaudi, en l'an 745.

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la part du même pèlerin qui lui dit: «Celui à qui et pour l'amour duquel vous avez donné cet anneau, vous le renvoie.» On vit clairement par là que c'était saint Jean qui lui était apparu sous la figure d'un pèlerin. Isidore, dans son livre De la naissance, de la vie: et de la mort des Saints Pères, dit ces mots: «Jean a changé en or les branches d'arbres des forêts; les pierres du rivage en pierreries; des fragments de perles cassées redevinrent entières; à son ordre une veuve fut ressuscitée; il fit rappeler l'âme dans le corps d'un jeune homme; il but un poison mortel et échappa au danger, enfin il rendit à la vie ceux qui avaient bu de ce poison et qui cri avaient été tués.»





LES INNOCENTS

Les Innocents furent ainsi nommés pour leur vie, leur châtiment et leur innocence acquise. Leur vie fut innocente, n'ayant jamais nui, ni à Dieu par désobéissance, ni au prochain par injustice, ni à eux-mêmes par malice en péchant. Ils furent innocents dans leur vie et simples dans la foi . Le châtiment, ils le subirent innocemment et injustement, ainsi qu'il est dit au psaume: «Ils répandirent un sang innocent.» Ils possédèrent l'innocence acquise; dans- leur martyre, ils méritèrent l'innocence baptismale, c'est-à-dire que le péché originel fut effacé. en eux.. En parlant de cette innocence, le psalmiste dit: « Conservez l'innocence et considérez la droiture,» c'est-à-dire conservez l'innocence baptismale et considérez la droiture d'une vie pleine de bonnes oeuvres.

Les Innocents furent tués par Hérode l'Ascalonite. La sainte Ecriture fait mention de trois Hérode que leur infâme cruauté a rendus célèbres. Le premier fut Hérode l'Ascalonite, sous (105) lequel naquit le Seigneur et par qui furent massacrés les enfants. Le second fut Hérode Antipas, qui fit décoller saint Jean-Baptiste. Le troisième fut Hérode Agrippa, qui tua saint  Jacques et emprisonna saint Pierre. On a fait ces vers à leur sujet :

Ascalonita necat pueros, AntipaJoannem,

Agrippa Jacobum,claudens in carcere Petrum.

Mais racontons en peu de mots l'histoire du premier Hérode. Antipater l'Icluméen, ainsi qu'on lit dans l'Histoire scholastique*, se maria à une nièce du roi des Arabes: il en eut un, fils, qu'il appela Hérode et qui plus tard fut surnommé l'Ascalonite. Ce fut lui qui reçut le royaume de Judée de César-Auguste et dès lors, pour la première fois; le sceptre sortit de Juda. Il eut six fils: Antipater, Alexandre, Aristobule, Archelaüs, Hérode, Antipas. et Philippe. Il envoya à Rome, pour s'instruire dans les arts libéraux, Alexandre et Aristobule dont la mère était juive; leurs études achevées, ils revinrent. Alexandre se fit grammairien et Aristobule devint un orateur très véhément: déjà ils avaient eu des différends. avec leur père pour la possession du trône. Le père eu fut offensé et s'attacha à faire prévaloir Antipater. Comme ils avaient comploté la mort de leur père et qu'ils avaient été chassés par lui, ils allèrent se plaindre à César de l'injustice qu'ils avaient subie. Sur ces entrefaites, les Mages viennent à Jérusalem et s'informent avec grand soin de la naissance d'un nouveau roi. A . cette nouvelle, Hérode se trouble, et, craignant que de la race légitime des rois, il ne fût né un rejeton qu'il ne pourrait chasser comme usurpateur, il prie les Mages de l'avertir aussitôt qu'ils l'auraient trouvé, simulant vouloir adorer celui qu'il voulait tuer. Cependant les Mages retournèrent en leur pays par un autre chemin. Hérode, ne les voyant pas revenir, crut qu'ils avaient eu honte de retourner vers lui, parce qu'ils auraient été les dupes de l'apparition de l'étoile et ne s'occupa plus de rechercher l'enfant. Mais ayant appris le récit des bergers et les prédictions de Siméon et d'Anne, ses appréhensions redoublèrent et il se

* Sozomène, Histoire Tripartite, ch. II.

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crut indignement trompé par les Mages. Il pensa donc alors à tuer les enfants qui étaient à Bethléem, pour faire périr avec eux celui qu'il ne connaissait pas. Mais sur les avis de l'Ange, Joseph avec sa mère et l'Enfant s'enfuit en Egypte et demeura sept ans à Hermopolis, jusqu'à la mort d'Hérode. Or, quand le Seigneur entra en Egypte, toutes les idoles furent renversées, selon la prédiction d'Isaïe. Et de même que lors de la sortie des enfants d'Israël de l'Égypte, il n'y eut pas une maison où parla main de Dieu, le premier né, ne fût mort, de même il n'y eut pas de temple dans lequel une idole ne fût renversée. Cassiodore rapporte dans son Histoire Tripartite *, qu'à Hermopolis, en Thébaïde, il existe un arbre appelé Persidis qui a la propriété de guérir ceux des malades au cou desquels on attache de son fruit, de ses feuilles ou de son écorce. Or, comme la bienheureuse Marie s'enfuyait en Egypte avec son fils; cet arbre s'inclina jusqu'à terre et adora humblement Jésus-Christ.

Hérode se préparait à massacrer les enfants, lorsqu'une lettre de César-Auguste le cita à comparaître devant lui pour répondre aux accusations de ses fils. En traversant Tharse, il sut que les mages avaient passé la mer sur des vaisseaux tharsiens, et il fit brûler toute la flotte, selon qu'il avait été prédit : «D'un souffle impétueux vous briserez les vaisseaux de Tharsis.» (Ps. VI.) Le père ayant vidé ses différends avec ses enfants devant César, il fut arrêté que ceux-ci obéiraient en tout à leur père, et que celui-là céderait l'empire à qui il voudrait. Hérode, devenu plus hardi à son retour par l'affermissement de son pouvoir, envoya égorger tous les enfants qui se trouvaient à Bethléem, âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps qu'il avait supputé d'après les mages. Ceci a

* Liv. VI, chap. XLII.

besoin de deux éclaircissements: le premier par rapport au temps, et voici comment on l'explique: âgés de deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, en commençant par les enfants de deux ans jusqu'aux enfants d'une nuit.

Hérode avait en effet appris des mages qu'un prince était né le jour même de l'apparition de l'étoile, et comme il s'était déjà écoulé un an depuis son voyage à Rome et son retour, il croyait que le Seigneur avait un an et quelques jours de plus; c'est pour cela qu'il exerça sa fureur sur ceux qui étaient plus âgés, c'est-à-dire, qui avaient deux ans et au-dessous, jusqu'aux enfants qui, n'avaient qu'une nuit: dans la crainte que cet enfant, auquel les autres obéissaient, ne subît quelque transformation qui le rendrait ou plus vieux ou plus jeune. C'est le sentiment le plus commun et le plus vraisemblable. Le second éclaircissement se tire de l'explication qu'en donne saint Chrysostome. Il entend ainsi l'ordre du nombre d'années; depuis deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, depuis les enfants de deux ans jusqu'à cinq., Il avance ainsi que l'étoile, apparut aux mages pendant un an avant là naissance du Sauveur. Or, depuis qu'il avait: appris cela, Hérode avait: été à Rome et son. projet fut différé d'un an. Il croyait donc que le Sauveur était né quand l'étoile apparut aux mages. D'après son calcul, le Sauveur aurait eu deux ans: voilà pourquoi il fit massacrer les enfants de deux à cinq ans, mais pas moins jeunes que de deux ans. Ce qui rend cette assertion vraisemblable, ce sont les ossements des innocents dont quelques-uns sont trop grands pour ne (108) pouvoir appartenir à des corps qui n'auraient eu que deux ans *. On pourrait peut-être encore dire que les hommes étaient de plus haute taille alors qu'aujourd'hui. Mais Hérode en fut bientôt puni. En effet Macrobe rapporte et Méthodien en sa chronique dit que le petit fils d'Hérode était en nourrice et qu'il fut tué avec les autres par les bourreaux. Alors fut accomplie la parole du Prophète: «Rama, c'est-à-dire les hauts lieux, retentirent des pleurs et des gémissements des pieuses mères.»

Mais Dieu dont les desseins sont souverainement équitables ** ne permit pas que l'affreuse cruauté d'Hérode restât impunie. Il arriva, par le jugement de Dieu, que celui qui avait privé tant de parents de leurs enfants fut aussi privé des siens plus misérablement encore. Car Alexandre et Aristobule inspirèrent de nouveaux soupçons à leur père.

Un de leurs complices avoua que Alexandre lui avait fait de grandes promesses s'il empoisonnait son père: un barbier déclara aussi qu'on lui avait promis des récompenses considérables, si en rasant la barbe d'Hérode, il lui coupait la gorge: il ajouta qu'Alexandre aurait dit que l'on ne pouvait .rien espérer d'un vieillard qui se teignait les cheveuxpour paraître jeune. Le père, irrité, les fit tuer; sur le trône, il établit Antipater pour régner après lui, et il substitua encore Antipas à Antipater. De plus, Hérode affectionnait particulièrement Agrippa, ainsi qu'Hérodiade, femme

* Tout ce récit est copié dans l'Histoire scholastique, Ev, C. XI.
** Eusèbe, Histoire-ecclésiastique, livreI1, c. VIII.

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de Philippe, qu'il avait eus d'Aristobule. Pour ces deux motifs Antipater conçut une haine si implacable contre son père, qu'il tenta de s'en défaire par le poison; Hérode s'en méfiant, le fit jeter en prison. César-Augusteapprenant qu'il avait tué ses fils: «J'aimerais mieux, dit-il, être le pourceau d'Hérode que son fils; car comme prosélyte, il épargne ses porcs et il tue ses enfants.» Parvenu à l'âge de 70 ans, Hérode tomba gravement malade: il était miné par une forte fièvre, ses membres se pourrissaient et ses douleurs étaient incessantes; il avait les pieds enflés, les testicules rongés de vers; il exhalait une puanteur intolérable; sa respiration était courte et ses soupirs continuels. Ayant pris un bain d'huile par l'ordre des médecins, on l'en sortit presque mort.

Ayant entendu dire que les juifs seraient contents de le voir mourir, il fit rassembler dans une prison les plus nobles jeunes gens de toute la Judée et dit à Salomé sa soeur: «Je sais que les juifs se réjouiront de ma mort; mais il pourra s'y répandre bien des larmes et j'aurai de nobles funérailles, si vous voulez obéir à mon ordre; c'est, aussitôt que j'aurai rendu l'esprit, de tuer tous ceux que je garde en prison afin qu'ainsi toute la Judée me pleure malgré qu'elle en ait.» Après chaque repas, il avait coutume de manger une pomme qu'il pelait lui-même avec une épée. Or, comme il tenait cette arme à la main, il fut pris d'une toux violente et regardant autour de lui si personne ne l'empêcherait de se frapper, il leva la main pour le faire, mais un de ses cousins lui retint le bras en l'air. Aussitôt, comme s'il eût été mort, des gémissements (110) retentirent dans le palais. A ces cris, Antipater bondit de .joie, et promit toute sorte de présents aux gardes, si on l'en délivrait. Quand Hérode en fut informé, il souffrit plus de la joie de son fils que de:sa propre mort; il envoya alors des satellites, le fit tuer et institua Archélaüs son successeur. Il mourut cinq jours après. Il avait été fort heureux en bien des circonstances, mais il eut fort à souffrir dans son intérieur.

Salomé délivra tous ceux dont le roi avait ordonné la mort. Remi, dans son original sur saint Mathieu *, dit que Hérode se suicida de l'épée avec laquelle il pelait une pomme, et que sa sueur Salomé fit tuer tous ceux qui étaient en prison, ainsi qu'elle l'avait décidé avec son frère.

* Homélie 6e de Remi d'Auxerre.





SAINT THOMAS DE CANTORBÉRY *

Thomas veut dire abyme, jumeau, et coupé. Abyme, c'est-à-dire, profond en humilité, ce qui est clair par son cilice, et , en lavant les pieds des pauvres; jumeau, car dans sa prélature, il eut deux qualités éminentes, celle de la parole et celle de l'exemple. Il fut coupé dans son martyre.

Thomas de Cantorbéry, restant à la cour du roi d'Angleterre vit commettre différentes actions contraires . à la religion; il se retira alors pour se mettre sous la conduite de l'archevêque de Cantorbéry qui le nomma son archidiacre. Il se rendit cependant aux instances
* Tirée de sa vie écrite par plus de dix auteurs contemporains.

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de l'archevêque qui lui conseilla de conserver la charge de chancelier du roi, afin que, par la prudence, dont il était excellemment doué, il devînt un obstacle au mal que les méchants pourraient exercer contre l'église. Le roi avait pour lui tant d'affection que, lors du décès de l'archevêque, il voulut l'élever sur le siège épiscopal. Après de longues résistances, il consentit à recevoir ce fardeau sur les épaules. Mais tout aussitôt il fut changé en un autre homme: il était devenu parfait, il mortifiait sa chair par le cilice et parles jeûnes; car il portait non seulement un cilice au lieu de chemise, mais il avait des caleçons de poil de chèvre qui le couvraient jusqu'aux genoux. Il employait une telle adresse à cacher sa sainteté que, tout en conservant une honnêteté exquise, sous des habits convenables et n'ayant que des meubles décents, il se conformait aux moeurs de chacun. Tous les jours, il lavait à genoux les pieds de treize pauvres auxquels il donnait un repas et quatre pièces d'argent. Le roi s'efforçait de le faire plier à sa volonté au détriment de l'église, en exigeant qu'il sanctionnât; lui aussi, des coutumes dont ses prédécesseurs avaient joui contre les libertés ecclésiastiques. Il n'y voulut jamais consentir, et il s'attira ainsi la haine du roi et des princes. Pressé un jour par le roi, lui et quelques évêques, sous l'influence de la mort dont on les menaçait et trompé par les conseils de plusieurs grands personnages, il consentit de bouche à céder au voeu du monarque; mais s'apercevant qu'il pourrait en résulter bientôt un grand détriment pour les âmes, il s'imposa dès lors de plus rigoureuses mortifications il cessa de dire la messe, jusqu'à ce qu'il (112) eût pu obtenir d'être relevé, par le souverain Pontife, des suspenses qu'il croyait avoir encourues. Requis de confirmer par écrit ce qu'il avait promis de bouche, il résista au roi avec énergie, prit lui-même sa croix pour sortir de la cour, aux clameurs des impies qui disaient: «Saisissez le voleur, à mort le traître:» Deux personnages éminents et pleins de foi vinrent alors lui assurer avec serment qu'une foule de grands avaient juré sa mort. L'homme de Dieu, qui craignait pour l'église plus encore que pour lui, prit la fuite, et vint trouver à Sens le juge Alexandre, et avec des recommandations pour le monastère de Pontigny, il arriva en France. De son côté, le roi envoya à Rome demander des légats afin de terminer le différend mais il n'éprouva que dés refus, ce qui l'irrita plus encore contre le prélat. Il mit la saisie sur tous ses biens et sur ceux de ses amis, exila tous es membres de sa famille, sans avoir aucun égard pour la condition ou le sexe, le rang ou l'âge des individus. Quant au saint, tous les jours, il priait pour le roi et pour le royaume d'Angleterre. Il eut alors une révélation qu'il rentrerait dans son église, et qu'il recevrait du Christ la palme du martyre. Après sept ans d'exil, il lui fut accordé de revenir et fut reçu avec de grands honneurs.

Quelques jours avant le martyre de Thomas, un jeune homme mourut et ressuscita miraculeusement et il disait avoir été conduit jusqu'au rang le plus élevé des saints où il avait vu une place vide parmi les apôtres. Il demanda à qui appartenait cette place, un ange lui répondit qu'elle était réservée par le Seigneur à un illustre prêtre anglais. Un ecclésiastique (113) qui tous les jours célébrait la messe en l'honneur de, la Bienheureuse Vierge, fut accusé auprès de l'archevêque qui le fit comparaître devant lui et le suspendit de son office, comme idiot et ignorant. Or, le bienheureux Thomas avait caché sous son lit son cilice qu'il, devait recoudre quand il en aurait le temps; la bienheureuse Marie apparut au prêtre et lui dit: «Allez dire à l'archevêque que celle pour l'amour de laquelle vous disiez vos messes a recousu son cilice qui est à tel endroit et qu'elle y a laissé le fil rouge dont elle s'est servi. Elle vous envoie pour qu'il ait à lever, l'interdit dont il vous a frappé.» Thomas en entendant cela et trouvant tout ainsi qu'il avait été dit, fut saisi, et en relevant le prêtre de son interdit, il lui recommanda de tenir cela sous le secret. Il défendit, comme auparavant les droits de l'Église et il ne se laissa fléchir ni par la violence, ni par les prières du roi. Comme donc on ne pouvait l'abattre en aucune manière, voici venir avec leurs armes des soldats du roi qui demandent à grands. cris où  est l'archevêque. Il alla au-devant d'eux et leur dit: «Me voici, que voulez-vous?» «Nous venons, répondent-ils, pour te tuer tu n'as pas plus long temps à vivre.» Il leur dit: «Je suis prêt à mourir pour Dieu, pour la défense de la justice et la liberté de l'Église. Donc si c'est, à moi que vous en voulez, de la part du Dieu tout-puissant et sous peine d'anathème, je vous défends de faire tel marque ce soit à ceux qui sont ici, et je, recommande la cause de l'Église et moi-même à Dieu, à la bienheureuse Marie, à tous les saints et à saint Denys.» Après quoi sa tête vénérable tombe sous le glaive des impies, la (114) couronne de son chef est coupée, sa cervelle jaillit sur le pavé de l'église et il est sacré martyr du Seigneur l'an 1174. Comme les clercs commençaient Requiem aeternam de la messe des morts qu'ils allaient célébrer pour lui, tout aussitôt, dit-on, les choeurs des anges interrompent la voix des chantres et entonnent la messe d'un martyr: Laetabitur justus in Domino, que les autres clercs continuent. Ce changement est vraiment l'ouvrage de la droite du TrèsHaut, que le chant de la tristesse ait été changé en un cantique de louange, quand celui pour lequel on venait de commencer les prières des morts, se trouve à l'instant partager les honneurs des hymnes des martyrs. Il était vraiment doué d'une haute sainteté ce martyr glorieux du Seigneur auquel les anges donnent ce témoignage d'honneur si éclatant en l'inscrivant eux-mêmes par avance au catalogue des martyrs. Ce saint souffrit donc la mort pour l'Église, dans une église; dans le lieu saint, dans un temps saint, entre les mains des prêtres et des religieux, afin que parussent au grand jour et la sainteté du patient et la cruauté des persécuteurs. Le Seigneur daigna opérer beaucoup d'autres miracles par son saint, car en considération de ses mérites, furent rendus aux aveugles la vue, aux sourds l'ouïe, aux boiteux le marcher, aux morts la vie. L'eau dans laquelle on lavait les linges trempés de son sang, guérit beaucoup de malades. Par coquetterie et afin de paraître plus belle, une dame d'Angleterre désirait avoir des yeux vairons et pour cela elle vint, après en avoir fait le veau, nu-pieds au tombeau de saint Thomas. En se levant après sa prière, elle (115) se trouva tout à fait aveugle; elle se repentit alors et commença à prier saint Thomas de lui rendre au moins les yeux tels qu'elle les avait, sans parler d'yeux vairons, et ce fut à peine si elle putl'obtenir.

Un plaisant avait apporté dans un vase, à son maître à table, de l'eau ordinaire au lieu de l'eau de saint Thomas. Ce maître lui dit: «Si tu ne  m'as jamais rien volé, que saint Thomas te laisse apporter l'eau, mais si tu es coupable de vol, que cette eau s'évapore aussitôt.» Le serviteur, qui savait avoir rempli le vase; il n'y avait qu'un instant, y consentit. Chose merveilleuse! On découvrit le vase, et il fut trouvé vide et de cette manière le serviteur fut reconnu menteur et convaincu d'être fin voleur. Un oiseau, auquel on avait appris à parler, était poursuivi par un aide, quand il se mit à crier ces mots qu'on lui avait fait retenir: «Saint Thomas, au secours, aide-moi. L'aigle tomba mort à l'instant et l'oiseau fut sauvé. Un particulier que saint Thomas avait beaucoup aimé tomba gravement malade; il alla à son tombeau prier pour recouvrer la santé: ce qu'il obtint à souhait. Mais en revenant guéri, il se prit à penser que cette guérison n'était peut-être pas avantageuse à son âme. Alors il retourna prier au tombeau et demanda que si sa guérison ne devait pas lui être utile pour son salut, son infirmité lui revînt, et il en fut ainsi qu'auparavant. La vengeance divine s'exerça sur ceux qui l'avaient massacré: les uns se mettaient les doigts en lambeaux avec les dents, le corps des autres: tombait en pourriture; ceux-ci moururent de paralysie, ceux-là succombèrent misérablement dans des accès de folie.

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La légende dorée - SAINT ÉTIENNE