La légende dorée - SAINT THOMAS DE CANTORBÉRY *

SAINT SILVESTRE

Silvestre vient de sile qui veut dire lumière, et de terra terre, comme lumière de là terre, c'est-à-dire de l'Église qui, semblable à une bonne terre, contient la graine des bonnes oeuvres, la noirceur de l'humilité et la douceur de la dévotion. C'est, à ces trois qualités, dit Pallade, qu'on distingue la bonne terre. Ou bien Silvestre viendrait de silva, forêt et Theos, Dieu, parce qu'il attira à la foi des hommes sylvestres, incultes et durs. Ou comme il est dit dans le Glossaire: Sylvestre signifie vert, agreste, ombreux, couvert de bois. Vert dans la contemplation dés choses célestes, agreste par la culture de soi-même, ombreux, en refroidissant en lui toute concupiscence, couvert de bois, c'est-à-dire planté au milieu des arbres du ciel. Sa légende fut compilée par Eusèbe de Césarée; le bienheureux Gélase rappelle qu'elle a du être lue par les catholiques dans un comité de soixante-dix évêques, ce qui est relaté aussi dans le décret.

Silvestre naquit d'une mère appelée Juste de non et d'effet; il fut instruit par Cyrien, prêtre, et il exerçait l'hospitalité avec un grand zèle. Un homme fort .chrétien, nommé Timothée, fut reçu chez lui, alors qu'on fuyait le saint à cause de la persécution. Ce Timothée prêcha l'espace d'un an et trois mois et obtint ensuite la couronne du martyre pour avoir annoncé avec un zèle persévérant la foi de J.-C. Or, le préfet Tarquinius, pensant que Timothée regorgeait de biens, les exigea de Silvestre avec menaces de mort; Toutefois, après s'être assuré que véritablement Timothée ne possédait pas les richesses qu'on lui supposait, il commanda à Silvestre de sacrifier aux idoles, autrement il aurait à passer le lendemain par divers genres (117) de supplices. Silvestre lui dit: «Insensé, tu mourras cette nuit, puis tu subiras des tourments éternels, et que tu le veuilles ou non, tu reconnaîtras le vrai Dieu que nous honorons.» Silvestre est donc conduit en prison et Tarquiniusest invité à un dîner: Or, en mangeant, il se mit, dans le gosier, une arête de poisson qu'il ne put ni rejeter ni avaler, en sorte qu'au milieu de la nuit, le défunt fut porté au tombeau avec deuil. Et Silvestre, qui était aimé singulièrement non pas tant des chrétiens que des païens, fut délivré de prison, et il y eut grande joie. Il avait, en effet, un aspect angélique, une parole éloquente; il était bien fait de corps; saint en oeuvres, puissant en conseil, catholique dans sa foi, fort d'espérance, et d'une immense charité. Après la mort de Meletriade, évêque de la ville de Rome, Silvestre fut, élu, malgré lui, souverain Pontife par tout le peuple. Il conservait écrits sur un registre les noms de tous les orphelins, des veuves et des pauvres qu'il pourvoyait de tout ce qui leur était nécessaire. Ce fut lui qui institua le jeûne du quatrième, du sixième jour et du samedi, et qui fit réserver le jeudi comme le dimanche. Les chrétiens grecs prétendant qu'on devait célébrer le samedi de préférence au jeudi, Silvestre répondit que cela ne pouvait pas être, parce que c'était une tradition apostolique et qu'on devait compatir à la sépulture du Seigneur. Ils lui répliquèrent: «Il y a un samedi où l'on honore la sépulture et où l'on jeûne une fois par an.» Silvestre répondit: «De même que tout dimanche est honoré à cause de la résurrection, de même tout samedi est honoré pour la sépulture du Seigneur.» Ils (118) cédèrent donc sur le samedi, mais ils firent beaucoup d'opposition par rapport au jeudi, en disant que ce jour ne  devait pas faire partie des solennités chrétiennes. Mais Silvestre en démontra la dignité en trois points principaux. En effet, c'est le jour où le Seigneur monta au ciel, où il institua le sacrifice de son corps et de son sang, et où l'Eglise fait le Saint-Chrême tous alors acquiescèrent à ses raisons.

Pendant la persécution de Constantin, Silvestre sortit de la ville et resta avec ses clercs sur une montagne. Or, en punition de sa tyrannie; Constantin devint couvert d'une lèpre incurable. D'après l'avis des prêtres des idoles, on lui amena trois mille enfants pour les faire égorger et puis se baigner dans leur sang frais et chaud. Quand il sortit pour 'aller ait lieu oit le bain devait être préparé, les mères des enfants vinrent au-devant de lui et, les cheveux épars, elles se mirent à pousser des hurlements pitoyables; alors Constantin, ému, fit arrêter son char et se leva pour parler: «Ecoutez-moi, dit-il, chevaliers, compagnons d'armes, et vous tous qui êtes ici: la dignité du peuple romain a pris naissance dans la source de compassion qui fit porter cette loi que celui-là serait condamné à mort qui tuerait un enfant à la guerre. Combien grande donc serait notre cruauté d'infliger à nos enfants ce que nous proscrivons nous-mêmes de faire aux enfants des étrangers! Que nous servirait-il d'avoir dompté les barbares, si nous sommes vaincus par la cruauté? Car avoir vaincu les nations étrangères par la force, c'est le fait des peuples belliqueux, mais vaincre ses vices et ses fautes, c'est l'excellence (119) des bonnes moeurs. Or, dans les premiers combats nous somme plus forts que les barbares, et dans les seconds nous sommes les vainqueurs de nous-mêmes. Celui qui est défait dans cette lutte, obtient la victoire quoique vaincu; mais le vainqueur est vaincu après sa victoire, si la pitié ne l'emporté sur la cruauté. Que la pitié soit donc victorieuse en cette rencontre. Nous ne pourrons être véritablement vainqueurs de tous nos adversaires, si nous sommés vaincus en pitié. Celui-là se montre le maître de tous qui cède à la compassion. Il me vaut mieux de mourir en respectant la vie de ces innocents, que de recouvrer, par leur mort, une vie entachée de cruauté, vie qu'il n'est pas certain que je recouvre, mais qui certainement serait entachée de cruauté, si je la sauvais ainsi.» Il ordonna donc que les enfants seraient rendus à leurs mères, auxquelles il fit fournir une quantité de voitures. Ce fut ainsi que ces mères,  qui étaient venues en versant des larmes, retournèrent chez elles pleines de joie. Quant à l'empereur, il revint à son palais *. La nuit suivante saint Pierre et saint Paul ltiiapparurent et lui dirent

«Puisque tu as eu horreur de répandre le sang innocent, le Seigneur J.-C. nous a envoyés pour te fournir le moyen de recouvrer la santé. Fais venir l'évêque Silvestre qui est caché sur le mont Soracte; il te montrera une piscine, dans laquelle tu te laveras trois fois, après quoi tu seras entièrement guéri de ta lèpre. Et en réciprocité de cette guérison due à J.-C., tu détruiras

* Lettre du pape Adrien Ier à Constantin et à Irène; - Nicéphore, Histoire, VII, XXXIV.

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ras les temples des idoles; tu élèveras des églises en l'honneur de ce même J.-C., et désormais sois son adorateur.» A son réveil, Constantin envoya aussitôt des soldats vers Silvestre. En les voyant, le saint, crut être appelé à l'honneur du martyre; il se recommanda à Dieu et, après avoir exhorté ses compagnons, il se présenta sans crainte devant Constantin. L'empereur lui dit: «Je vous félicite de votre heureuse venue.» Et quand Silvestre l'eut salué à son tour, le prince lui raconta en détail la vision qu'il avait eue pendant son sommeil. Sur la demande qu'il lui adressa pour savoir ,quels étaient les deux dieux qui lui étaient apparus, Silvestre répondit qu'ils n'étaient pas des dieux, mais les apôtres de J.-C. Sur la prière de l'empereur, Silvestre se fit apporter les ,images des apôtres; et l'empereur ne les eut pas plutôt regardées, qu'il s'écria

«Ils ressemblent à ceux qui me sont apparus.» Silvestre l'admit au nombre des catéchumènes, lui imposa huit jours de jeûne, et l'invita à ouvrir les prisons. Or, quand l'empereur descendit dans les eaux du baptistère, un admirable éclair de lumière y brilla: il en sortit, guéri * et il assura avoir vu J.-C. Le premier jour après son baptême, il ordonna par une loi que J.-C. fût adoré comme le vrai Dieu dans la ville de Rome; le second jour, que tout blasphémateur serait puni de mort; le troisième que quiconque insulterait

* Livre pontifical du pape Damase. Biniusdans ses notes sur ce livre prouve par l'autorité d'auteurs chrétiens et païens que réellement Constantin fut guéri de la lèpre dans son baptême, quoique Eusèbe n'en fasse aucune mention, dans la crainte de déplaire aux successeurs de ce prince.

un chrétien fût privé de la moitié de ses biens; le quatrième que, comme l'empereur à Rome, le pontife romain serait tenu pour chef de tous les évêques; le cinquième, que celui qui se réfugierait dans une église, serait à l'abri de toute poursuite; le sixième, que personne n'eût à construire une église dans l'enceinte d'une ville, sans la permission de son évêque; le septième, que la dîme des domaines royaux serait accordée pour la construction des églises; le huitième, l'empereur vint à d'église de saint Pierre s'y accuser avec larmes de ses fautes, et prenant ensuite une bêche, il ouvrit le premier la terre pour les fondations de la basilique qui allait être construite, et il tira douze corbeilles de terre qu'il porta sur ses épaules pour les jeter au dehors.

Aussitôt qu'Hélène, mère de l'empereur Constantin, qui habitait Béthanie, eut appris ces événements, elle écrivit à son fils pour le louer d'avoir renoncé aux faux dieux; mais elle lui reprocha amèrement d'adorer comme Dieu, à la place de celui des Juifs, un homme qui avait été attaché à une croix. Alors l'empereur répondit à sa mère qu'elle amenât avec elle des docteurs pris parmi les Juifs, que lui-même produirait des docteurs chrétiens, afin qu'à la suite de la discussion, on vît de quel côté se trouvait la vraie foi. Or, sainte Hélène amena cent quarante et un Juifs très doctes, parmi lesquels s'en trouvaient douze qui l'emportaient de beaucoup sur les autres en sa, gesse et en éloquence. Silvestre avec ses clercs et les Juifs dont on vient de parler se réunirent par devant l'empereur pour disputer; d'un commun accord, on établit deux juges qui (122) se trouvaient être des gentils très éclairés et probes: Craton et Zénophile, auxquels il appartiendrait de dire leur sentiment sur lés matières à traiter. Quoique gentils, ils étaient très loyaux et fidèles; ils convinrent donc ensemble que quand l'un serait levé pour parler, l'autre se tairait. Le premier des douze qui s'appelait Abiatharcommença et dit : « Puisque ceux-ci reconnaissent trois dieux, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il est manifeste qu'ils vont contre la loi qui dit: Voyez que je suis le seul Dieu et qu'il n'y a point d'autre Dieu que moi. Enfin s'ils disent que le Christ est Dieu, parce qu'il a opéré beaucoup. de signes, dans notre loi aussi, il y eut beaucoup de personnes qui firent plusieurs miracles, et cependant jamais elles n'osèrent s'en prévaloir pour usurper le nom de la divinité, comme ce Jésus, que ceux-ci adorent.» Silvestre: lui répondit: «Nous adorons un seul Dieu, mais nous ne disons pas qu'il vive dans un si grand. isolement; qu'il n'ait pas la joie de posséder un fils. Nous sommes en mesure de vous démontrer par vos livres mêmes la trinité de personnes. Nous appelons Père celui dont le prophète a dit: «Il  m'a invoqué, vous êtes mon Père.» Fils, celui dont il est dit au même livre: «Tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui.» Le Saint-Esprit, dont le même a dit: «Toute leu force est dans l'esprit de sa bouché.» Nous y lisons encore: «Faisons l'homme à notre image et a ressemblance», d'où l'on peut conclure évidemment la pluralité de personnes et l'unité de la divinité; car ,quoique ce soient trois personnes, elles ne font cependant qu'un Dieu; ce qu'il nous est facile de montrer (123) jusqu'à un certain point par un exemple visible. Alors il prit la pourpre de l'empereur et y fit trois plis. «Voici, dit-il, trois plis;» et en les dépliant: «vous voyez, ajouta-t-il, que les trois plis font une seule pièce, de même trois personnes sont un seul Dieu. Pour ce qu'on dit qu'il ne doit pas être un Dieu d'après ses miracles, puisque bien d'autres saints en ont fait et ne se sont cependant pas dits des dieux, comme J.-C., lequel a voulu prouver par là qu'il est Dieu; certainement Dieu n'a jamais laissé sans châtier grandement ceux qui s'enorgueillissaient contre lui; comme cela est prouvé par Dathanet Myron, et par beaucoup d'autres; comment donc a-t-il pu mentir et se dire Dieu, ce qui n'était pas, lorsque en se disant Dieu, il ne s'en est suivi aucun châtiment? et cependant ses actions merveilleuses restent efficaces.» Alors les juges dirent: «Il est constant qu'Abiathar a été vaincu par Silvestre, et la raison enseigne que s'il n'eût pas été Dieu en se disant Dieu, il n'eût pu donner la vie aux morts.» Le premier, ayant été écarté, le second qui s'appelait Jonas s'approcha au combat: «Abraham, dit-il, en recevant de Dieu la circoncision, a été justifié et tous les enfants d'Abraham sont encore justifiés par la circoncision donc celui qui n'aura pas été circoncis ne sera pas justifié.» Silvestre lui dit: «Il est constant que Abraham, avant sa circoncision, a plu à Dieu et qu'il a été appelé l'ami de Dieu, donc la circoncision ne l'a pas sanctifié; mais c'est par sa foi et sa justice qu'il plut à Dieu; donc il n'a pas reçu la circoncision comme justification, mais comme signe de distinction.» Celui-ci ayant été (124) vaincu à son tour, Godolias, le troisième, vint dire : «Comment votre Christ peut-il être Dieu, puisque vous convenez qu'il est né, qu'il a été tenté, trahi, dépouillé, abreuvé de fiel, lié, crucifié, enseveli? Tout cela n'est pas d'un Dieu.» Silvestre lui répondit: «Par vos livres nous allons prouver que toutes ces choses ont été prédites de J.-C. Ecoutez les paroles d'Isaïe touchant sa naissance. «Voici qu'une vierge enfantera»; celles de Zacharie sur sa tentation: «J'ai vu Jésus le grand prêtre debout devant un ange et Satan qui se tenait debout à sa droite»; celles du psalmiste par rapport à sa trahison: «Celui qui mangeait mon pain «a fait éclater sa trahison contre moi.» Le même sur son dépouillement. «Ils ont partagé mes vêtements»; et encore au sujet du fiel dont il a été abreuvé: «Ils  m'ont donné du fiel pour ma nourriture et du vinaigre pour ma boisson.» Esdras dit de ce qu'il a été lié «Vous  m'avez lié, non pas comme un père qui vous a délivrés de la terre d'Égypte; vous avez crié devant le tribunal du juge, vous  m'avez humilié en  m'attachant sur le bois, vous  m'avez trahi.» Jérémie parle ainsi de sa sépulture: «Dans sa sépulture, les morts revivront.» Godoliasn'ayant rien à répondre, les juges le firent retirer. Vint le quatrième, Annas, qui parla ainsi: «Silvestre attribue à son Christ ce qui s'applique à d'autres, il lui reste à prouver que ces prédictions regardent le Christ.» Silvestre lui dit: «Montrez m'en donc un autre que lui qu'une vierge ait conçu, qui ait -été abreuvé avec du fiel, couronné d'épines, crucifié, qui soit mort et ait été enseveli, qui soit ressuscité d'entre les morts et monté aux cieux?» Alors (125) Constantin dit : «S'il ne démontre pas qu'il s'agit d'un autre, il est vaincu.» Comme Annas ne le pouvait faire, il est remplacé par un cinquième appelé Doeth. «Si, dit-il, ce Christ, né de la race de David, avait été autant sanctifié que vous l'avancez, il n'a pas dû être baptisé pour être sanctifié de nouveau?» Silvestre lui répliqua: «De même que la circoncision a pris sa fin dans la circoncision de J.-C., de même nôtre baptême reçut son commencement de sanctification dans le baptême de J.-C., donc il n'a pas été baptisé pour être sanctifié, mais pour sanctifier.» Comme Doeth se taisait, Constantin dit: «Si Doethavait quelque réplique à faire, il ne se tairait pas.» Alors le sixième, qui était Chusi, prit la parole: «Nous voudrions, dit-il, que Silvestre nous exposât les causes de cet enfantement virginal.» Silvestre lui dit: «La terre dont Adam fut formé était vierge et n'avait pas encore été souillée, car elle ne s'était pas encore ouverte pour boire le sang humain; elle n'avait pas encore porté d'épines de. malédiction; elle n'avait pas encore servi de sépulture à l'homme; ni été donnée pour nourriture au serpent: Il a donc fallu que de la vierge Marie fût formé un nouvel Adam, afin que comme le serpent avait vaincu celui qui était né d'une vierge, de même il fût vaincu à son tour par le fils d'une vierge; il a fallu que celui qui avait été. le vainqueur d'Adam dans le paradis devînt aussi le tentateur du Seigneur dans le désert,: afin que celui qui avait vaincu;Adam par la gourmandise, fût vaincu par le jeûné: en Notre-Seigneur.» Celui-ci vaincu, Benjamin, le septième, se mit à dire: «Comment votre (126) Christ peut-il être le fils,de Dieu, quand il a pu être tenté par le diable, à tel point que, ici il est pressé dans sa faim de faire du pain avec des pierres; là il est transporté sur les hauteurs du temple; ailleurs, il est induit à adorer le diable lui-même.» A cela Silvestre répondit: «Donc s'il a vaincu le diable, parce qu'il avait été écouté d'Adam, qui mangea; il est certain qu'il a été vaincu en ce qu'il a été méprisé par J.-C., qui jeûna. Au reste, nous avouons bien qu'il a été tenté non en tant que Dieu, mais en tant qu'homme. Il a été tenté trois fois pour éloigner de nous toutes les tentations, et pour nous enseigner la manière de vaincre. Souvent, en effet, dans l'homme, la victoire par l'abstinence est suivie de la tentation de la gloire humaine, et celle-ci est accompagnée du désir des possessions et de la domination. Il a été vaincu par J.-C. afin de nous apprendre à vaincre. A Benjamin mis hors de cause succéda Aroël qui était le huitième: «Il est certain, dit-il, que Dieu est souverainement parfait et que par conséquent il n'a besoin,de personne; qu'a-t-il eu besoin alors de naître dans le Christ? Pourquoi encore l'appelez-vous le Verbe. Il est certain encore que Dieu avant d'avoir un fils n'a pu être appelé Père donc si plus tard il a pu être appelé le père du Christ, il n'était pas immuable.» A cela Silvestre répondit : «Le Fils a été engendré par le Père avant les temps, pour créer ce qui n'était point, et il est né dans le temps, pour restaurer ce qui avait péri. Quoi qu'il eût pu tout restaurer d'un seul mot, toutefois, il ne pouvait pas, ans devenir homme, racheter par sa passion, puisqu'il n'était pas apte à souffrir dans sa (127) divinité. Or, ce n'était pas imperfection, mais perfection, de n'être pas passible dans sa divinité. Il est évident encore que le Fils de Dieu est appelé Verbe, par ces paroles du prophète: «Mon coeur a émis un bon Verbe.» Enfin Dieu fut toujours Père parce que toujours son Fils a existé; car son Fils est son Verbe, sa sagesse, sa force. Or, le Verbe a toujours été dans le Père, selon ces mots: «Mon coeur a émis un bon verbe.» Toujours sa sagesse a été avec lui: «Je suis sortie de la bouche de Dieu, je suis la première née avant toute créature.» Toujours sa force a été en lui. «J'étais enfanté avant les collines; les fontaines n'avaient pas encore jailli de la terre que j'étais avec lui.» Or, puisque le Père n'a jamais été sans son Verbe, sans sa sagesse, sans sa force, comment pouvez-vous penser que ce nom lui ait été attribué dans le temps?» Aroel se retira et Jubal, le neuvième, s'avança et dit: «Il est constant que Dieu ne condamne pas les mariages et qu'il ne les a pas maudits; pourquoi donc niez-vous que celui que vous adorez soit sorti du mariage? à moins que vous ne veuilliez aussi nous jeter de la poudre aux yeux à cet égard. Et encore pourquoi est-il puissant et se laisse-t-il tenter? pourquoi a-t-il la force et souffre-t-il? pourquoi est-il la vie et meurt-il? Enfin vous serez amené à dire qu'il y a deux fils: l'un que le Père a engendré, l'autre que là Vierge a mis au monde. De plus, comment peut-il se faire que la souffrance ait eu prise sur un homme qui a été enlevé au ciel, sans que celui par lequel il a été enlevé eût subi aucune lésion?» Silvestre répliqua: «Nous ne disons (128) pas que J.-C. est né d'une vierge pour condamner les mariages; mais nous acceptons , avec raison les causes de cet enfantement virginal. Par cette assertion les mariages ne sont pas rendus méprisables mais louables, puisque cette vierge qui enfanta le Christ est née de mariage. Ensuite J.-C. est tenté pour vaincre toutes les tentations du diable: il, souffre pour surmonter toutes les souffrances; il meurt pour détruire l'empire de la mort. Le fils de Dieu est unique dans le Christ et de même qu'il est invisible en tant qu'il est Fils de Dieu, de même il est visible en tant qu'il est J.-C. Il est invisible par cela qu'il est Dieu et il est visible par cela qu'il est homme. Que cet homme ait souffert et qu'il ait été enlevé au ciel sans souffrance de la part de celui qui l'a enlevé, nous pouvons le démontrer par un exemple. Prenons-le dans la pourpre du roi: elle fut laine et la teinture ajoutée à cette laine a donné la couleur pourpré. Alors qu'on la tenait dans les doigts et qu'elle était tordue en fil, qui est-ce qui était tordu? était-ce la couleur qui est celle de la dignité royale, où ce qui était laine avant d'être pourpre? La laine c'est l'homme, la pourpre c'est Dieu qui étant avec l'humanité a souffert sur la croix, mais n'a reçu aucune atteinte de la passion.» Le dixième s'appelait Thara. Il dit: «Cet exemple ne me plaît pas, car la couleur et la laine sont foulées ensemble.» Quoique tous eussent réclamé, Silvestre dit: «Prenons alors un autre exemple: un arbre couvert des rayons du soleil, quand il,est abattu, reçoit le coup et la lumière resté sans atteinte. Il en est de même, alors c'est l'homme qui souffre et non pas le Dieu.»

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Le onzième, gui était Siléon, dit: «Si c'est de ton Christ que les prophètes ont prédit, nous voudrions savoir les causes des étranges moqueries qu'il a endurées, les motifs de sa passion et de sa mort.»

« J.-C., reprit Silvestre, a eu faim pour nous rassasier; il a eu soif pour offrir à notre soif ardente la coupe de vie; il a été tenté, afin de nous délivrer de la tentation; il a été détenu, pour nous faire échapper à la capture des démons et il a été moqué, pour nous arracher à leur dérision; il a été lié, pour nous délier des noeuds de la malédiction; il a été humilié, pour nous exalter; il a été dépouillé, pour couvrir la nudité de la première prévarication du manteau de l'indulgence; il a reçu une couronne d'épines, pour nous restituer les fleurs du paradis que nous avions perdues; il fut suspendu au bois, pour condamner la concupiscence engendrée dans le bois; il a été abreuvé de fiel et de vinaigre, pour introduire l'homme dans uireterre où coule le lait et le miel et nous ouvrir des fontaines de miel; il a pris notre mortalité, pour nous donner son immortalité; il a été enseveli, pour bénir les sépultures des saints; il est ressuscité, pour rendre la vie aux morts; il est monté au ciel, pour ouvrir la porte du ciel; il est assis à la droite de Dieu, pour exaucer les prières des croyants.» Pendant que Silvestre développait ces vérités, tous, l'empereur comme les juges et les Juifs, se mirent d'une voix unanime à acclamer Silvestre de louanges. Alors le douzième indigné, il s'appelait Zambri, dit avec un extrême dédain: «Je  m'étonne que des juges, sages comme vous l'êtes, ajoutiez foi à des ambiguïtés de mots et que vous (130      ) estimiez que la toute-puissance de Dieu puisse se conclure de raisonnement humain. Mais plus de mots et venons-en aux faits: ce sont de grands fous ceux qui adorent un crucifié; car je sais, moi, le nom du Dieu tout-puissant, dont la force est plus grande que les rochers et aucune créature ne saurait l'entendre. Et pour vous prouver la vérité de ce que j'avance, qu'on  m'amène le taureau le plus furieux et dès l'instant que ce nom aura sonné, dans ses oreilles, tout aussitôt le taureau mourra.» Silvestre lui dit: «Et toi, comment donc as-tu appris ce nom sans l'avoir entendu?» Zambrireprit: «Il n'appartient pas à toi, l'ennemi des Juifs, de connaître ce mystère.» On amène donc un taureau très féroce, que cent hommes des plus robustes peuvent à peine traîner, et aussitôt que Zambri a proféré un mot dans son oreille, à l'instant le taureau rugit, roule les yeux et expire. Alors tous les Juifs poussent des acclamations violentes et insultent Silvestre. Mais celui-ci leur dit: «Il n'a pas prononcé le nom de Dieu, mais il a nommé celui du pire de tous les démons, car mon Dieu, J.-C., non seulement ne fait pas mourir les vivants, mais il vivifie les morts. Pouvoir tuer et rie pouvoir point rendre la vie, cela appartient aux lions, aux serpents et aux bêtes féroces. Si donc il veut que je croie qu'il n'a pas proféré le nom du démon, qu'il le dise encore une fois et qu'il rende la vie à ce qu'il a tué. Car il a été écrit de Dieu : «C'est moi qui tuerai et c'est moi qui vivifierai;» s'il ne le peut, c'est sans aucun doute qu'il a proféré le nom du démon, qui peut tuer un être vivant et qui ne peut rendre la vie à un mort.» Et comme Zambri (131) était pressé par les juges de ressusciter le taureau, il dit: «Que Silvestre le ressuscite au nom de Jésus le Galiléen et tous nous croirons en lui; car quand bien même il pourrait voler avec des ailes, il ne saurait pas faire cela.» Tous les Juifs donc promettent de croire s'il ressuscite le taureau. Alors Silvestre fit une prière et se penchant à l'oreille du taureau: «O nom de malédiction et de mort, dit-il, sors par l'ordre de Notre-Seigneur J.-C., au nom duquel je te dis: taureau, lève-toi et va tranquillement rejoindre ton troupeau.» Aussitôt le taureau se leva et s'en alla avec grande douceur. Alors la reine, les Juifs, les juges et tous les autres furent convertis à la foi. * Mais quelques jours après, les prêtres des idoles vinrent dire: à l'empereur: «Très saint empereur, depuis l'époque où vous avez reçu la foi du Christ, le dragon qui est dans le fossé tue de son souffle plus de trois cents hommes par jour.» Constantin consulta là-dessus Silvestre, qui répondit: «Par la vertu de J.-C., je ferai cesser tout ce mal.» Les prêtres promettent que, s'il fait ce miracle, ils croiront. Pendant sa prière, saint Pierre apparut à Silvestre et lui dit: «N'aie pas peur de descendre vers le dragon, toi et deux des prêtres qui t'accompagnent; arrivé auprès de lui, tu


* Le comte de Douhet, dans le Dictionnaire des Légendes, de Migne, avance que. le récit qu'on vient de lire n'est qu'un abrégé des Acta Sancti Silvestri, publié, par le P. Combéfis, d'après deux mss. existant aux bibliothèques Médicienne et Mazarine: La dispute avec les docteurs juifs, la destruction du dragon sont exposées avec encore plus de détails que dans Voragine. Nouvelle preuve que l'évêque de Gênes n'a rien inventé de son propre fonds:

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lui adresseras ces paroles: «N.-S. J.-C., né de la Vierge, qui a été crucifié et enseveli, qui est ressuscité et est assis à la droite du Père, doit venir pour juger les vivants et les morts. Or, toi, Satan, attends-le dans cette fosse tant qu'il viendra». Puis tu lieras sa gueule avec un fil et tu apposeras dessus un sceau où sera gravé le signe de la croix; ensuite revenus à moi sains et saufs, vous mangerez le pain que je vous aurai préparé.» Silvestre descendit donc avec les deux prêtres les quarante marches de la fosse, portant avec lui deux lanternes. Alors il adressa au dragon les paroles susdites, et, comme il en avait reçu l'ordre, lia sa gueule, malgré ses cris et ses sifflements. En remontant, il trouva deux magiciens qui les avaient suivis, pour voir s'ils descendraient jusqu'au dragon: ils étaient à demi morts de la puanteur du monstre. Il les ramena avec lui aussi sains et saufs. Aussitôt ils se convertirent avec une multitude infinie. Le peuple romain fut ainsi délivré d'une double mort, savoir de l'adoration des idoles et du venin du dragon. Enfin le bienheureux Silvestre, à l'approche de la mort, donna ces trois avis à ses clercs: conserver entre eux la charité, gouverner leurs églises avec plus de soin et préserver leur troupeau contre la morsure des loups. Après quoi il s'endormit heureusement dans le Seigneur, environ l'an 330.





LA CIRCONCISION DU SEIGNEUR

Quatre circonstances rendent la Circoncision du Seigneur célèbre et solennelle: la première est l'octave de Noël; la seconde, l'imposition d'un nom nouveau et annonçant le salut; la troisième, l'effusion du sang, et la quatrième le signe de la Circoncision.

Premièrement, c'est l'octave de la Nativité du Seigneur. Si les octaves des autres saints sont solennelles, à plus forte raison le sera l'octave du Saint des saints. Mais il ne semble pas que la naissance du Seigneur doive avoir une octave, parce que sa naissance menait à la mort. Or, les morts des saints ont des octaves, parce qu'alors ils naissent pour arriver à une vie éternelle, et pour ressusciter ensuite dans des corps glorieux. Par la même raison, il semble qu'il ne doive pas y avoir d'octave à la Nativité de la bienheureuse Vierge et de saint Jean-Baptiste, pas plus qu'à la résurrection du Seigneur, puisque cette résurrection a eu lieu réellement. Mais il faut observer, d'après le Prépositif *, qu'il y a des octaves de surérogation, comme est l'octave du Seigneur, dans laquelle nous suppléons à ce qui n'a pas été convenablement fait dans la fête, savoir, l'office de celle qui met au monde. Aussi autrefois c'était la coutume de chanter la messe Vultum tuum, etc., en l'honneur de la sainte Vierge. Il v a encore des octaves de vénération, comme à Pâques, à la Pentecôte, pour la sainte Vierge, et pour saint Jean-Baptiste; d'autres de dévotion, comme il peut s'en trouver pour chaque saint; d'autres enfin qui sont symboliques, comme sont les octaves instituées en l'honneur des saints et qui signifient l'octave de la résurrection.

* Ou Maître Prévost, chancelier de Paris, qui vivait en 1217; il a laissé une Somme Théologique qui n'a pas été imprimée.

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Secondement, c'est l'imposition d'un nom nouveau et salutaire. Aujourd'hui en effet il fut imposé au Sauveur un nom nouveau que la bouche du Seigneur a donné: «Aucun autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes, par lequel nous dévions être sauvés.» «C'est un nom, dit saint Bernard, qui est un miel à la bouche, une mélodie à l'oreille, une jubilation au coeur.» «C'est un nom, dit encore le même Père, qui, comme l'huile, brille aussitôt qu'on l'emploie, nourrit, quand on le médite; il oint et il adoucit les maux à l'instant qu'on l'invoque.» Or, J.-C. a eu trois noms, comme l'évangile le dit, savoir, Fils de Dieu, Christ et Jésus. Il est appelé Fils de Dieu, en tant qu'il est Dieu de Dieu; Christ, en tant qu'il est homme dont la personne divine a pris lia nature humaine; Jésus, en tant qu'il est Dieu uni à l'humanité. Au sujet de ces trois noms, écoutons saint Bernard: «Vous qui êtes dans la poussière, réveillez-vous et chantez les louanges de Dieu. Voici que le Seigneur vient avec le salut; il vient avec des parfums, il vient avec gloire. En effet Jésus ne vient pas sans sauver, ni le Christ sans oindre. Le fils de Dieu ne vient pas sans gloire, puisqu'il est lui-même le salut; il est lui-même le parfum, lui-même la gloire.» Mais il n'était pas connu parfaitement sous ce nom avant la passion. Quant au premier en effet, il n'était connu de quelques-uns que par conjecturé, par exemple, des démons qui le disaient Fils de Dieu; quant au second, il n'était connu qu'en particulier, c'est-à-dire de quelques-uns, mais en petit nombre, comme étant le Christ. Quant au troisième, il n'était connu que quant au mot, Jésus n'était pas (135) compris d'après sa véritable signification qui est sauveur. Mais après la résurrection, ce triple nom fut clairement manifesté: le premier par certitude, le second par diffusion, le troisième par signification. Or, le premier nom c'est Fils de Dieu. Et pour prouver que ce nom lui convient à bon droit, voici ce que dit saint Hilaire en son livre de la Trinité: «On connut de plusieurs manières que le Fils unique de Dieu est N.-S. J.-C. Le Père l'atteste; il s'en avantage, lui-même; les apôtres le prêchent; les hommes religieux le croient; les démons l'avouent; les juifs le nient; les gentils l'apprennent dans sa passion.» Le même père dit encore: «Nous connaissons N.-S. J.-C., de ces différentes manières, par le nom, par la naissance, par la nature, par la puissance et par la- manifestation.» Le second nom c'est Christ, qui signifie oint. En effet, il fut oint d'une huile de joie au-dessus de tous ceux qui participeront à sa gloire» (saint Paul aux Hébr.). En le disant oint, on insinue qu'il fut prophète, athlète, prêtre et roi. Or, ces quatre sortes de personnes recevaient autrefois des onctions. Il fut prophète dans l'enseignement de la doctrine, athlète en déformant le diable, Prêtre en réconciliant les hommes avec son père, roi en rétribuant des récompenses. C'est de ce second nom que vient le nôtre. Nous sommes appelés chrétiens de Christ. Voici ce que saint Augustin dit de ce nom: «Chrétien, c'est un nom de justice, de bonté, d'intégrité, de patience, de chasteté, de pudeur, d'humanité, d'innocence, de piété. Et toi, comment le revendiques-tu? comment te l'appropries-tu; quand c'est à peine s'il te reste quelques-unes de ces (136) qualités? Celui-là est chrétien qui ne l'est pas seulement par le nom, mais encore par les oeuvres» (saint Augustin). Le troisième nom c'est Jésus. Or, ce nom de Jésus, d'après saint Bernard, veut dire nourriture, fontaine, remède et lumière. Mais ici la nourriture a des effets multiples; c'est une nourriture confortable, elle engraisse, elle endurcit et elle donne la vigueur. Ecoutons saint Bernard sur ces qualités: «C'est une nourriture que ce nom de Jésus. Est-ce que vous ne vous sentez pas fortifiés, toutes les fois que vous vous en souvenez? Qu'y a-t-il qui nourrisse tant l'esprit de celui qui y pense? quoi de plus substantiel pour réparer les sens fatigués, rendre les vertus plus mâles, fomenter les bonnes moeurs, entretenir les affections chastes?» Secondement; c'est une fontaine. Saint Bernard en donne la raison. «Jésus est la fontaine scellée de la vie, qui se répand dans les plaines par quatre ruisseaux, qui sont pour nous sagesse, justice, sanctification, et rédemption: sagesse dans la prédication, justice dans l'absolution des péchés, sanctification dans la conversation ou la conversion, rédemption, dans la passion.» En un autre endroit ce père dit encore : «Trois ruisseaux émanèrent de Jésus: la parole de douleur, c'est la confession; le sang de l'aspersion, c'est l'affliction; l'eau de purification, c'est la componction.» Troisièmement c'est un remède. Voici ce que le même Bernard dit: «Ce nom de Jésus est encore un remède. En effet rien comme lui ne calme l'impétuosité de la colère, ne déprime l'enflure de l'orgueil, ne guérit les plaies de l'envie, ne repousse les assauts de la luxure, n'éteint la flamme de la convoitise, (137) n'apaise la soif de l'avarice et ne bannit tous les désirs honteux et déréglés.» Quatrièmement, c'est une lumière, dit-il: «D'où croyez-vous qu'ait éclaté sur l'univers entier la si grande et si subite lumière de la foi, si ce n'est de la prédication du nom de Jésus? C'est ce nom que Paul portait devant les nations et les rois comme un flambeau sur un candélabre.» En outre ce nom est d'une bien brande suavité. «Si vous écrivez un livre, dit saint Bernard, je ne suis pas content si je n'y lis Jésus; si vous discutez, si vous conférez, je ne suis pas content, si je n'entends nommer Jésus.» Et Richard de Saint-Victor: «Jésus, dit-il; est un nom suave, un nom délectable, un nom qui 'conforte le pécheur, et un nom d'un bon espoir. Eh bien donc, Jésus, soyez-moi Jésus.» Secondement c'est nu nom d'une grande vertu. Voici les paroles de Pierre de Ravesne: «Vous lui imposerez le nom de Jésus, c'est-à-dire, le nom qui a donné aux aveugles la vue, aux sourds l'ouïe, aux boiteux le marcher; aux muets la parole, aux morts la vie, et la vertu de ce nom a mis en fuite toute la puissance du diable sur les corps obsédés.» Troisièmement, il. est d'une haute excellence et sublimité. Saint Bernard: «C'est le nom de mon Sauveur, de mon frère, de ma chair, de mon sang; c'est le nom caché au siècle, mais qui a été révélé à 1a fin des siècles: nom admirable, nom ineffable, nom inestimable, et d'autant plus admirable qu'il est inestimable, d'autant plus gracieux qu'il est gratuit.» Ce nom de Jésus lui a été imposé par l'Eternel, par l'ange, par Joseph, son père putatif. En effet Jésus signifie Sauveur. Or, Sauveur se dit de trois manières: de la puissance de (138)  sauver, de l'aptitude à sauver, de l'action de sauver.

Quant à la puissance, ce nom lui convient de toute éternité; à l'aptitude de sauver, il lui fut imposé ainsi par l'ange et il lui convient dès le principe de sa conception; à l'action de sauver, Joseph le lui imposa en raison de sa passion future, et la glose sur ces paroles, «vous l'appellerez Jésus», dit: Vous imposerez un nom qui a été imposé par l'ange ou par l'Eternel; et la glose touche ici la triple dénomination qu'on vient d'établir. Quand on dit: vous imposerez le nom, on veut faire entendre la dénomination par Joseph; quand on dit: qui a été imposé par l'ange ou par l'Eternel, on veut faire entendre les deux autres. Donc c'est à bon droit qu'au jour qui commence l'année, selon la constitution de Rome, la capitale du monde, au jour qui est marqué de la lettre capitale de l'alphabet *; le Christ, le chef de l'Eglise est circoncis, qu'un nom lui est donné et qu'on célèbre le jour de l'octave de sa naissance.

Troisièmement, l'effusion du sang de J.-C. C'est aujourd'hui en effet que la première fois, pour nous, il a commencé à verser son sang, lui qui plus tard a voulu le répandre plus d'une fois. Car il a versé pour nous son sang à cinq reprises différentes: 1. dans la circoncision, et ce fut le commencement de notre rédemption; 2. dans la prière (du jardin) où il manifesta son désir de notre rédemption; 3. dans la flagellation, et cette effusion fut le mérite de notre rédemption,

*Dans le calendrier, chaque jour de la semaine est distingué par une des sept premières lettres de l'alphabet, et le premier jour est marqué de l'A capitale ou majuscule.

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parce que nous avons été guéris par sa lividité; 4. dans la crucifixion, et ce fut le prix de notre rédemption, car il a payé alors ce qu'il n'a pas pris (Ps. LXVIII, 5); 5. dans l'ouverture de son côté, et ce fut le sacrement de notre rédemption. En effet, il en est sorti du sang et; de l'eau, ce qui figurait due nous devions être purifiés par l'eau du baptême, lequel devait tirer toute son efficacité du sang de J.-C.

Quatrièmement enfin, le signe de la circoncision que J.-C. a daigné recevoir aujourd'hui. Or, le Seigneur voulut être circoncis pour beaucoup de motifs. 1. Pour lui-même, afin de montrer qu'il avait pris véritablement une chair d'homme. Il savait du resté qu'on devait soutenir qu'il avait pris non pas un vrai corps, mais un corps fantastique, et c'est pour confondre cette erreur qu'il a voulu être circoncis et répandre alors de son sang; en effet un corps fantastique ne jette pas de sang. 2. Pour nous-mêmes, afin de nous montrer l'obligation de nous circoncire spirituellement. Selon saint Bernard, «il y a deux sortes de circoncision qui doivent être faites par nous, l'extérieure dans la chair et l'intérieure dans l'esprit. La circoncision extérieure consiste en trois choses: dans notre manière d'être, afin qu'elle ne soit pas singulière; dans nos actions, pour qu'elles ne soient pas répréhensibles; dans nos discours, afin qu'ils n'encourent pas le mépris. Semblablement, l'intérieure consiste en trois choses: savoir, dans la pensée, pour qu'elle soit sainte, dans l'affection pure, dans l'intention» (Saint Bernard). Par un autre motif, il a voulu être circoncis pour nous sauver. De même en effet que l'on cautérise un membre afin de (140) guérir tout le corps, de même J.-C. a voulu supporter 1a cautérisation de la circoncision pour que tout le corps mystique fût sauvé (Coloss., II). «Vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme, mais qui consiste dans le dépouillement du corps charnel, c'est-à-dire de la circoncision de J.-C.;» la glose ajoute, dans le dépouillement des vices, comme par une pierre très aiguë, «or, la pierre était 1è Christ.» Dans l'Exode (IV, 25) on lit: «Séphora prit aussitôt une pierre très aiguë, et circoncit le prépuce de son fils.» Sur quoi la glose donne deux explications. La première: vous avez été circoncis, dis-je, d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme, c'est-à-dire que ce n'est pas couvre d'homme, mais couvre de Dieu, c'est-à-dire circoncision spirituelle. Cette circoncision se fait par le dépouillement du corps charnel, savoir, le dépouillement de la chair de l'homme, c'est-à-dire des vices et des désirs charnels, d'après le sens qu'on attribue au mot chair, dans ce passage de saint Paul (1 Corinth., VIII): «La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, etc...» Vous êtes, dis-je, circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite par la main, mais d'une circoncision spirituelle. La deuxième explication de la glose est celle-ci: vous avez été circoncis, dis-je, en J.-C., et cela d'une,circoncision qui n'est pas faite par la main, c'est-à-dire d'une circoncision légale: cette circoncision qui vient de la main, se fait dans le dépouillement du corps charnel, savoir, du corps qui est chair, c'est-à-dire de la peau de la chair qui est enlevée dans la circoncision légale. Vous n'êtes pas, dis-je, circoncis de (141) cette circoncision, mais de la circoncision" de J.-C., c'est-à-dire spirituelle, dans laquelle tous les vices sont retranchés. Aussi on lit dans saint Paul aux Romains (II, 28): «Le juif n'est pas celui qui l'est au dehors, et la véritable circoncision n'est pas celle qui se fait dans la chair et qui n'est qu'extérieure; mais le juif est celui qui l'est intérieurement; et la circoncision du coeur se fait par l'esprit et non selon la lettre de la loi; et ce juif tire sa louange, non des hommes, mais de Dieu. Vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme par le dépouillement du corps charnel, mais de la circoncision de J.-C.» 3. J.-C. a voulu être circoncis par rapport aux Juifs, afin qu'ils fussent inexcusables. Car s'il n'avait pas été circoncis, les Juifs auraient pu s'excuser et dire: Ce pourquoi nous ne vous recevons pas, c'est que vous n'êtes pas semblable à nos pères. 4. Par rapport aux démons, afin qu'ils ne connussent pas le mystère de l'incarnation. En effet, comme la circoncision était faite contre le péché originel, le diable crut que J.-C., qui était circoncis lui-même, était un pécheur semblable aux autres, puisqu'il avait besoin du remède de la circoncision. C'est pour cela aussi qu'il a voulu que sa mère fût mariée, quoiqu'elle soit toujours restée vierge. 5. Pour accomplir toute justice. Car, de même qu'il a voulu être baptisé pour accomplir toute justice, c'est-à-dire toute humilité, laquelle consiste à se soumettre à moindre:que soi, de même aussi il a voulu être circoncis afin de nous offrir un modèle d'humilité, puisque lui, l'auteur et le maître de la loi, a voulu se soumettre à la loi. 6. Pour (142) approuver la loi mosaïque qui était bonne et sainte, et qui devait être accomplie, parce qu'il n'était pas venu détruire la loi, mais l'accomplir. Et saint Paul a dit aux Romains (XV, 8): «Je vous déclaré que J.-C. a été le ministre des circoncis afin que Dieu fût reconnu véritable. par l'accomplissement des promesses faites à leurs pères.»

Quant aux raisons pour lesquelles la circoncision se faisait le huitième jour, on peut en assigner un grand nombre. 1. Selon le sens historique ou littéral. D'après le rabbin Moïse, profond philosophe et théologien, quoique juif, l'enfant, dans les sept jours qui suivent sa naissance, a les chairs aussi molles qu'il les avait dans le sein de sa mère, mais à huit jours il s'est fortifié et affermi, et c'est pour cela, ajoute-t-il, que le Seigneur n'a pas voulu que les petits enfants fussent circoncis, de peur qu'à cause de cette trop grande mollesse, ils ne fussent par trop blessés; et il n'a pas voulu que la circoncision eût lieu plus tard que le huitième jour, pour trois causes que ce philosophe énumère: 1. afin d'éviter le péril de mourir auquel aurait, pu être exposé l'enfant, si on l'avait différée davantage; 2. pour épargner la douleur à l'enfant: dans la circoncision, en effet, cette douleur est très vive; aussi le Seigneur a-t-il voulu que la circoncision se fit alors que l'imagination des enfants est peu développée pour qu'ils en ressentissent une moindre douleur; 3. pour épargner du chagrin aux parents, car comme la plupart des petits enfants mouraient de la circoncision, s'ils avaient été circoncis quand ils seraient devenus grands et qu'ils en fussent morts, le chagrin des (143) parents eût été plus grand que s'ils eussent succombé à huit jours seulement. 2. Selon le sens anagogique ou, céleste. La circoncision avait lieu au huitième jour pour donner à comprendre que dans l'octave de la résurrection, nous serions circoncis de toute peine et misère. Et d'après cela, ces huit jours seront les huit âges: le 1er d'Adam à Noë , le 2e de Noë à Abraham; le 3ed'Abraham à Moïse; le 4e de Moïse à David; le 5e de David à J.-C.; le 6e de J.-C. à la fin du monde; le 7e de la mort; le 8ede la résurrection. Ou bien encore par les huit jours, on entend les huit qualités que nous posséderons dans la vie éternelle et que saint Augustin énumère ainsi: «Je serai leur Dieu, c'est-à-dire, je serai ce qui les rassasiera. Je serai tout ce qu'on peut honnêtement désirer: vie, salut, force, abondance, gloire, honneur, paix et tout bien. Par les sept jours, on entend encore l'homme composé du corps et de l'âme. Il y a quatre jours qui sont les quatre éléments dont se compose le corps, et les trois jours sont les trois puissances de l'âme qui sont le concupiscible, l'irascible et le rationnel. L'homme donc qui maintenant a les sept jours, dès lors qu'il sera conjoint avec l'unité clé l'éternelle incommutabilité, aura alors huit jours, et dans ce huitième jour, il sera circoncis et délivré de toute peine et de toute coulpe. 3. Selon le sens tropologique ou moral, d'après lequel les huit jours peuvent être expliqués de diverses manières. Le premier peut être la connaissance du péché, d'après le Psalmiste: «Voici que je connais mon iniquité» (Ps. L). Le second c'est le bon propos de quitter le mal et de faire le bien; il est indiqué par l'enfant prodigue qui (144) dit: «Je me lèverai et j'irai à mon père.» Le troisième c'est la honte du péché, sur quoi l'apôtre dit: «Quel fruit avez-vous donc retiré de ce qui vous fait. maintenant rougir.» Le quatrième, c'est la crainte du jugement futur. «J'ai craint Dieu comme des flots suspendus au-dessus de moi» (Job). «Soit que je mange, soit que je boive, soit que je fasse quelque autre chose, il me semble toujours entendre résonner. à mes oreilles, cette parole: «Levez-vous; morts, et venez au jugement» (Saint Jérôme). Le cinquième, c'est la contrition, ce qu'a dit Jérémie (VI, 26): «Pleurez comme une mère qui pleure son fils unique.» Le sixième, c'est la confession (Ps. XXXI, 5): «J'ai dit: je confesserai contre moi-même mon injustice au Seigneur.» Le septième, c'est l'espoir du pardon. Car quoique Judas eût confessé son péché, il ne l'a cependant pas fait avec espoir de pardon, aussi n'a-t-il pas obtenu miséricorde. Le huitième, c'est la satisfaction : et ce jour-là, l'homme est circoncis spirituellement, non seulement de la coulpe, mais encore de tout châtiment. Ou bien les deux premiers jours sont la douleur de l'action du péché et le désir de s'en corriger : les deux suivants, de confesser le mal que nous avons fait et le bien que nous avons omis; les quatre autres sont la prière, l'effusion des larmes, l'affliction du corps et les aumônes. Ces huit jours peuvent fournir encore huit considérations sérieuses pour détruire en nous toute volonté de pécher; en sorte qu'une seule opérera une grande abstinence. Saint Bernard en énumère sept en disant: «Il y a sept choses qui sont de l'essence de l'homme; s'il les considérait, il ne (145) pécherait jamais, savoir, une matière vile, une action honteuse, un effet déplorable, un état chancelant, une mort triste, une dissolution misérable et une damnation détestable. La huitième peut offrir la considération d'une gloire ineffable.» 4. Selon le sens allégorique ou spirituel. Alors cinq jours seront les cinq livres de Moïse, qui contiennent la loi, les deux autres seront les prophètes et les psaumes; le huitième jour sera la doctrine évangélique. Mais dans les sept premiers jours, il n'y avait pas circoncision parfaite, tandis que dans le huitième, il se fait une circoncision parfaite de toute coulpe et de toute peine; c'est maintenant l'objet de notre espérance, mais enfin elle sera réalisée. Quels motifs a-t-on pu avoir en circoncisant? On en assigne six que voici: «caustique, signe, mérite, remède, figure, exemple.»

Quant à la chair de la circoncision du Seigneur, un ange l'apporta, dit-on, à Charlemagne qui la déposa avec honneur à Aix-la-Chapelle dans l'église de Sainte-Marie. Il l'aurait portée plus tard à Charroux *, et elle serait maintenant à Rome dans l'église qu'on appelle le Saint des Saints, où l'on voit cette inscription: «Ici se trouvent la chair circoncise de J.-C., son nombril et ses sandales.» C'est ce qui fait qu'il y a une station au Saint des Saints. Si tout cela est vrai, il faut avouer que c'est bien admirable. Car comme la chair est vraiment de la nature humaine, nous croyons que, J.-C. ressuscitant, elle est retournée à son lieu avec gloire. Cette assertion serait vraie

* Histoire scholast., Ev. c. VI, note.

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dans l'opinion de ceux qui avancent que cela appartient seulement à la nature humaine véritable reçue d'Adam, et celle-ci ressuscitera seule. Il ne faut pas passer sous silence qu'autrefois les païens et les gentils se livraient en ces calendes à bon nombre de superstitions que les saints eurent de la peine à extirper même parmi les chrétiens, et dont saint Augustin parle en un sermon. «On croyait, dit-il, que Janus était Dieu; on lui rendait de grands honneurs en ce jour: il était représenté avec deux visages, l'un derrière et l'autre par-devant, parce qu'il était le terme de l'année passée et le commencement de la suivante. En outre, en ce premier jour, on prenait des formes monstrueuses; les uns se revêtaient de peaux d'animaux, d'autres mettaient des têtes de bêtes, et ils prouvaient par là qu'ils n'avaient pas seulement l'apparence de bêtes, mais qu'ils en avaient le fonds. D'autres s'habillaient avec des vêtements de femmes, sans rougir de fourrer dans les tuniques des femmes des bras accoutumés à porter l'épée. D'autres observaient si scrupuleusement les augures, que si quelqu'un leur demandait du feu de leur maison ou réclamait un autre service, ils ne le lui accordaient pas. On se donne encore et on se rend mutuellement des étrennes diaboliques. D'autres font préparer des tables splendides pendant la nuit, et les laissent servies dans la croyance que, pendant toute l'année, leurs repas auront toujours la même abondance.» Saint Augustin ajoute: «Celui qui veut observer en quelque point la coutume des païens, il est à craindre que le nom de chrétien ne lui serve à rien. Car celui qui met de la (147) condescendance pour partager les jeux de quelques insensés, ne doit pas douter qu'il ne participe à leur péché. Pour vous, mes frères, qu'il ne vous suffise pas de ne pas commettre cette faute, mais partout où vous la verrez commettre, reprenez, corrigez et châtiez.» (Saint Augustin.)






La légende dorée - SAINT THOMAS DE CANTORBÉRY *