La légende dorée - LA CIRCONCISION DU SEIGNEUR

L'ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR

L'Epiphanie du Seigneur est célèbre par quatre miracles, ce qui lui a fait donner quatre noms différents. En effet, aujourd'hui, les Mages adorent J.-C., Jean-Baptiste le Sauveur, J.-C. change l'eau en vin et il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains. Jésus avait treize jours, lorsque, conduits par l'étoile, les Mages vinrent le trouver, d'où vient le nom de Epiphanie, epi, au-dessus, phanos, apparition, ou bien parce que l'étoile apparut d'en haut, ou bien parce que J.-C. lui-même a été montré aux Mages, comme le vrai Dieu, par une étoile vue dans les airs. Le même jour, après vingt-neuf ans révolus, alors qu'il atteignait trente ans, parce qu'il avait vingt-neuf ans et treize jours; Jésus, dit saint Luc, avait alors environ trente ans commencés, ou bien, d'après Bède, il avait trente ans accomplis, ce qui est aussi la croyance de l'Eglise romaine; alors, dis-je, il fut baptisé dans le Jourdain, et de là vient le nom de Théophanie, deTheos, Dieu et phanosapparition, parce que en ce moment la Trinité se manifesta: le Père dans la voix qui se fit entendre, le (148) Fils dans la chair et le Saint-Esprit sous l'apparence d'une colombe. Le même jour, un an après, alors qu'il avait trente ou trente et un ans, il changea l'eau en vin: d'où vient le nom de Bethanie, de beth, maison, parce que, par un miracle opéré dans une maison, il apparut vrai Dieu. En ce même jour encore, un an après, comme il avait trente et un ou trente-deux ans et treize jours, il rassasia cinq mille hommes avec cinq pains, d'après Bède, et cette hymne qu'on chante en beaucoup, d'églises et qui commence par ces mots : Illuminans altissimum*. De là vient le nom de Phagiphanie de phagémanger, bouchée. Il y a doute si ce quatrième miracle a été opéré en ce jour, tant parce qu'on ne le trouve pas ainsi en l'original de Bède, tant parce qu'en saint Jean (VI) au lieu où il parle de ce prodige, il dit: «Or, le jour de Pâques était proche.» Cette quadruple apparition eut donc lieu aujourd'hui. La première par l'étoile sur la crèche; la seconde par la voix du Père sur le fleuve du Jourdain; la troisième par le changement de l'eau en vin au repas et la quatrième par la multiplication des pains dans le désert. Mais c'est principalement la première apparition que l'on célèbre aujourd'hui, ainsi nous allons en exposer l'histoire.

Lors de la naissance du Seigneur, trois mages vinrent à Jérusalem. Leur nom latin c'est Appellius, Amérius, Damascus; en hébreu on les nomme Galgalat, Malgalat et Sarathin; en grec, Caspar, Balthasar, Melchior. Mais qu'étaient ces, mages? Il y a là-dessus


* Bréviaire mozarabe.

trois sentiments, selon les trois significations du mot mage. En effet, mage veut dire trompeur, magicien et sage. Quelques-uns prétendent que, en effet, ces rois ont été appelés mages, c'est-à-dire trompeurs, de ce qu'ils trompèrent Hérode en ne revenant point chez lui. Il est dit dans l'Evangile, au sujet d'Hérode «Voyant qu'il avait été trompé par les mages.» Mage veut encore dire magicien. Les magiciens de Pharaon sont appelés mages, et saint Chrysostome dit qu'ils tirent leur nom de là. D'après lui, ils seraient des magiciens qui se seraient convertis et auxquels le Seigneur a voulu révéler sa naissance, les attirer à lui, et par là donner aux pécheurs l'espoir du pardon. Mage est encore la même chose que sage. Car mage en hébreu signifie scribe, en grec philosophe, en latin sage. Ils sont donc nommés mages, c'est-à-dire savants, comme si on disait merveilleusement sages. Or, ces trois sages et rois vinrent à Jérusalem avec une grande suite. Mais on demande pourquoi les mages vinrent à Jérusalem, puisque le Seigneur n'y était point né. Remigius* en donne quatre raisons: La première, c'est que les mages ont bien su le temps de la naissance de J.-C., mais ils n'en ont pas connu le lieu or, Jérusalem étant une cité royale et possédant un souverain sacerdoce, ils soupçonnèrent qu'un enfant si distingué ne devait naître nulle part ailleurs si ce n'est dans une cité royale. La deuxième, c'était pour connaître plus tôt le lieu de la naissance, puisqu'il y avait là des docteurs dans la loi et des scribes. La troisième,

* Moine d'Auxerre en 890, Bibliothèque des Pères, Homé1. VII.

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pour que les Juifs restassent inexcusables; ils auraient pu dire en effet: «Nous avons bien connu le lieu de la naissance, mais nous en avons ignoré le temps et c'est le motif pour lequel nous ne croyons point.» Or, les Mages désignèrent aux Juifs le temps et les Juifs indiquèrent le lieu aux Mages. La quatrième, afin que l'empressement des Mages devînt la condamnation de l'indolence des Juifs: car les Mages crurent à un seul prophète et les Juifs refusèrent de croire au plus grand nombre. Les Mages cherchent un roi étranger, les Juifs ne cherchent pas celui qui est le leur propre : les uns vinrent de loin, les autres restèrent dans le voisinage. Ils ont été rois et les successeurs de Balaam ils sont venus eu voyant l'étoile, d'après la prophétie de leur père: «Une étoile se lèvera sur Jacob et un homme sortira d'Israël.» Un autre motif de leur venue est donné par saint Chrysostome dans son original sur saint Mathieu. Des auteurs s'accordent à dire que, certains investigateurs de secrets choisirent douze d'entre eux, et si l'un venait à mourir, son fils ou l'un de ses proches le remplaçait. Or, ceux-ci, tous les ans, après un mois écoulé, montaient sur la montagne de la Victoire, y restaient trois jours, se lavaient et priaient Dieu de leur montrer l'étoile prédite par Balaam. Une fois, c'était le jour de la naissance du Seigneur, pendant qu'ils étaient là, vint vers eux sur la montagne une étoile singulière: elle avait la forme d'un magnifique enfant, sur la tête duquel brillait une croix, et elle adressa ces paroles aux Mages: «Hâtez-vous d'aller dans la terre de Juda, vous chercherez un roi nouveau-né, et vous l'y trouverez.» Ils se mirent (151) aussitôt en chemin. Mais comment, en si peu de temps, comment, en treize jours, avoir pu parcourir un si long chemin, c'est-à-dire de l'Orient à Jérusalem, qui est censée occuper le centre du monde? On peut dire, avec Remigius, que cet enfant vers lequel ils allaient,, a bien pu les conduire si vite, ou bien l'on peut croire, avec saint Jérôme, qu'ils vinrent sur des dromadaires, espèce d'animaux très alertes, qui font en une journée le chemin qu'un cheval met trois jours à parcourir. Voilà pourquoi on l'appelle dromadaire, dromos course, arès courage. Arrivés à Jérusalem, ils demandèrent: «Où est celui qui est né roi des Juifs?» Ils ne demandent pas s'il est né, ils le croyaient, mais ils demandent où il est né. Et comme si quelqu'un leur avait dit: «D'où savez-vous que ce roi est né?» Ils répondent: «Nous avons vu son étoile dans l'Orient et nous sommes venus l'adorer;» ce qui veut dire : «Nous qui restons en Orient, nous avons vu une étoile indiquant sa naissance; nous l'avons vue, dis-je, posée sur la Judée. Ou bien: nous qui demeurons dans notre pays, nous avons vu son étoile dans l'Orient, c'est-à-dire dans la partie orientale.» Par ces paroles, comme le dit Remigius, dans son original, ils confessèrent un vrai homme, un vrai roi et un vrai Dieu. Un vrai homme, quand ils dirent: «Où est celui qui est né?» Un vrai roi en disant: «Roi des Juifs;» un vrai Dieu en ajoutant: «Vous sommes venus l'adorer.» Il a été en effet ordonné de n'adorer aucun autre que Dieu seul. Mais Hérode qui entendit cela fut troublé et Jérusalem tout entière avec lui. Le roi est troublé pour trois motifs: 1. dans la crainte que (152) les Juifs ne reçussent comme leur roi ce nouveau-né, et ne le chassassent lui-même comme étranger. Ce qui fait dire à saint Chrysostome: «De même qu'un rameau placé en haut d'un arbre est agité par un léger souffle, de même les hommes élevés au faîte des dignités sont tourmentés même par un léger bruit.» 2. Dans la crainte qu'il ne soit inculpé par, les Romains, si quelqu'un était appelé roi sans avoir été institué par Auguste. Les Romains avaient en effet ordonné que ni dieu ni roi ne fût reconnu que par leur ordre et avec leur permission. 3. Parce que, dit saint Grégoire, le roi du ciel étant né, le roi de la terre a été troublé. En effet, la grandeur terrestre est abaissée, quand la grandeur céleste est dévoilée. - Tout Jérusalem fut troublée avec lui pour trois raisons: 1. parce que les impies ne sauraient se réjouir de la venue du Juste; 2. pour flatter Je roi troublé, en se montrant troublés eux-mêmes; 3. parce que comme le choc des vents agite l'eau, ainsi les rois se battant l'un contre l'autre, le peuple est troublé, et c'est pour cela qu'ils craignirent être enveloppés dans la lutte entre le roi de fait et le prétendant.» C'est la raison que donne saint Chrysostome.

Alors Hérode convoqua tous les prêtres et les scribes pour leur demander où naîtrait le Christ. Quand il en eut appris que c'était à Bethléem de Juda, il appela les mages en secret et s'informa auprès d'eux de l'instant auquel l'étoile leur était apparue, pour savoir ce qu'il avait à faire, si les mages ne revenaient pas; et il leur recommanda qu'après avoir trouvé l'enfant, ils revinssent le lui dire, en simulant vouloir adorer celui (153) qu'il voulait tuer. Or, remarquez qu'aussitôt les mages entrés à Jérusalem, l'étoile cesse de les conduire, et cela pour trois raisons. La 1re pour qu'ils soient forcés de s'enquérir du lieu de la naissance de J.-C.; afin par là d'être assurés de cette naissance, tant à cause de l'apparition de l'étoile qu'à cause de l'assertion de la prophétie: ce qui eut lieu. La 2e parce que en cherchant un secours des hommes, ils méritèrent justement de perdre celui de Dieu. La 3e parce que les signes ont été, d'après l'apôtre, donnés aux infidèles, et la prophétie aux fidèles: c'est pour cela qu'un signe fut donné aux Mages, alors qu'ils étaient infidèles; mais ce signe ne devait plus paraître dès lors qu'ils se trouvaient chez les juifs qui étaient fidèles. La glose entrevoit ces trois raisons. Mais lorsqu'ils furent sortis de Jérusalem, l'étoile les précédait, jusqu'à ce qu'arrivée au-dessus du lieu où était l'enfant, elle s'arrêta. De quelle nature était cette étoile? il y a trois opinions, rapportées par Remi;lus en son original. Quelques-uns avancent que c'était le saint Esprit, afin que, devant descendre plus tard surale Seigneur après son baptême, sous la forme d'une colombe, il apparût aussi aux Mages sous la forme d'une étoile. D'autres disent, avec saint Chrysostome, que ce fut l'ange qui apparut aux bergers, et ensuite aux Mages aux bergers eu leur qualité de juifs et raisonnables, elle apparut sous une forme raisonnable, mais aux gentils qui étaient, pour ainsi dire, irraisonnables, elle prit une forme matérielle. Les autres, et c'est le sentiment le plus vrai, assurent que ce fut une étoile nouvellement créée, et qu'après avoir accompli son (154) ministère, elle revint à son état primitif. Or, cette étoile, selon Fulgence, différait des autres en trois manières, 1. en situation, parce qu'elle n'était pas située positivement dans le firmament, mais elle se trouvait suspendue dans un milieu d'air voisin de la terre; 2. en éclat, parce qu'elle était plus brillante que les autres; cela est évident, puisque le soleil ne pouvait pas en diminuer l'éclat; loin de là, elle paraissait en plein midi; 3. en mouvement, parce qu'elle allait en avant des Mages, comme ferait un voyageur; elle n'avait donc point un mouvement circulaire, mais une espèce de mouvement animale( progressif. La glose en touche trois autres raisons à ces mots sur le 2e chapitre de saint Mathieu: «Cette étoile de la naissance du Seigneur, etc.» La 1re elle différait dans son origine, puisque les autres avaient été créées au commencement du monde, et que celle-ci venait de l'être. La 2e dans sa destination, les autres avaient été faites pour indiquer des temps et des saisons, comme il est dit dans la Genèse (I, 14) et celle-ci pour montrer le chemin aux Mages; la 3e dans sa durée, les autres sont perpétuelles, celle-ci, après avoir accompli son ministère, revint à son état primitif.

Or, lorsqu'ils virent l'étoile, ils ressentirent une très grande joie. Observez que cette étoile aperçue par les Mages est quintuple; c'est une étoile matérielle, une étoile spirituelle, une étoile intellectuelle, une étoile raisonnable, et une étoile supersubstantielle. La première, la matérielle, ils la- virent en Orient; la seconde, la spirituelle qui est la foi, ils la virent dans leur coeur, car si cette étoile, c'est-à-dire, la foi, n'avait (155) pas projeté ses rayons dans leur coeur, jamais ils ne fussent parvenus à voir la première. Or, ils eurent la foi en l'humanité du Sauveur, puisqu'ils dirent: «Où est celui qui est né?» Ils eurent la foi en sa dignité royale, quand ils dirent: «Roi des juifs.» Ils eurent la foi en sa divinité puisqu'ils ajoutèrent: «Nous sommes venus l'adorer.» La troisième, l'étoile intellectuelle, qui est l'ange, ils la virent dans le sommeil, quand ils furent avertis par l'ange de ne pas revenir vers Hérode. Mais d'après une glose particulière, ce ne fut pas un ange, mais le Seigneur lui-même qui leur apparut. La quatrième, la raisonnable, ce fut la Sainte Vierge, ils la virent dans l'hôtellerie. La cinquième, la supersubstantielle, ce fut J.-C., qu'ils virent dans la crèche; c'est de ces deux dernières qu'il est dit: «En entrant dans la maison, ils trouvèrent l'enfant avec Marie, sa mère...» etc. Et chacune d'elles est appelée étoile: la 1re par le Psaume: «La lune et les étoiles que vous avez créées.» La 2edans l'Ecclésiastique (XLIII, 10): «La beauté du ciel, c'est-à-dire de l'homme céleste, c'est l'éclat des étoiles, c'est-à-dire des vertus.» La 3edans Baruch (III, 31): «Les étoiles ont répandu leur lumière chacune en sa place, et elles ont été dans la j oie.» La ie par la Liturgie: «Salut, étoile de la mer.» La 5e dans l'Apocalypse (XXII, 16): «Je suis le rejeton et le fils de David, l'étoile brillante, et l'étoile du matin.» En voyant la première et la seconde, les Mages se sont réjouis; en voyant la troisième, ils se sont réjouis de joie; en voyant la quatrième ils se sont réjouis d'une joie grande; en voyant la cinquième, ils se sont réjouis d'une très grande joie. Ou (156) bien ainsi que dit la glose: «Celui-là se réjouit de joie qui se réjouit de Dieu, qui est la véritable joie, et il ajoute «grande», car rien n'est plus grand que Dieu; et il met «très» grande, parce qu'on peut se réjouir plus ou moins de grande joie. Ou bien par l'exagération de ces expressions, l'évangéliste a voulu montrer que les hommes se réjouissent plus des choses perdues qu'ils ont retrouvées que de celles qu'ils ont toujours possédées.

Après être entrés dans la chaumière, et avoir trouvé l'enfant avec sa mère, ils fléchirent les genoux et chacun offrit ces présents: de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Ici saint Augustin s'écrie: «O enfance extraordinaire, à laquelle les astres sont soumis. Quelle grandeur! quelle gloire immense dans celui devant les langes duquel les anges se prosternent, les astres assistent, les rois tremblent, et les partisans de la sagesse se mettent à genoux! O bienheureuse chaumière! ô trône de Dieu, le second après le ciel, où ce n'est pas une lumière qui éclaire, mais une étoile! ô céleste palais dans lequel habite non pas un roi couvert de pierreries, mais un Dieu qui a pris un corps, qui a pour couche délicate une dure crèche, pour plafond doré, un toit de chaume tout noir, mais décoré par l'obéissance d'unie étoile! Je suis saisi quand je vois les lampes et que je regarde les cieux; je suis enflammé, quand je vois dans une crèche un mendiant plus éclatant encore que les astres.» Et saint Bernard : «Que faites-vous? vous adorez un enfant à la mamelle dans une vile étable? Est-ce que c'est un Dieu? Que faites-vous? Vous lui offrez de l'or? Est-ce donc un Roi? Où (157) donc est sa cour, où est son trône, où sont les courtisans de ce roi? Est-ce que la cour, c'est l'étable? Le trône la crèche, les courtisans de ce roi, Joseph et Marie Ils sont devenus insensés, pour devenir sensés.» Voici ce que dit encore à ce sujet saint Hilaire dans le second livre de la Trinité: «Une vierge enfante, mais celui qui est enfanté vient de Dieu. L'enfant vagit, on entend des anges le louer, les langes sont sales, Dieu est adoré. C'est pourquoi la dignité de la puissance n'est pas perdue, puisque l'humilité de la chair est adoptée. Et voici comment dans Jésus enfant on rencontre des humiliations, des infirmités, mais aussi des sublimités, et l'excellence de la divinité.» A ce propos encore saint Jérôme dit, sur l'épître aux Hébreux: «Regardez le berceau de J.-C., voyez en même temps le ciel; vous apercevez un enfant pleurant dans une crèche, mais en même temps faites attention aux cantiques des anges. Hérode persécute, mais les Mages adorent; les Pharisiens ne le connaissent point, mais l'étoile le proclame; il est baptisé par un serviteur, mais on entend la voix de Dieu qui tonne d'en haut: il est plongé dans l'eau, mais la colombe descend; il y a plus encore, c'est le Saint-Esprit dans la colombe.»

Pourquoi maintenant les Mages offrent-ils des présents de cette nature! On en peut signaler une foule de raisons. 1. C'était une tradition ancienne, dit Remigius, que personne ne s'approcherait d'un dieu ou d'un roi, les mains vides. Les Perses et les Chaldéens avaient coutume d'offrir de pareils présents. Or, les Mages, ainsi qu'il est dit en (158) l'Histoire scholastique, vinrent des confins de la Perse et de la Chaldée, où coule le fleuve de Saba, d'où vient le nom de Sabée que porte leur pays. 2. La seconde est de saint Bernard: «Ils offrirent de l'or à la sainte Vierge pour soulager sa détresse, de l'encens, pour chasser la puanteur de l'étable, de la myrrhe pour fortifier les membres de l'enfant et pour expulser de hideux insectes. 3. Parce que avec l'or se paie le tribut, l'encens sert au sacrifice et la myrrhe à ensevelir les morts. Par ces trois présents, on reconnaît, dans le Christ la puissance royale, la majesté divine, et la mortalité humaine. 4. Parce que l'or signifie l'amour, l'encens la prière, la myrrhe, la mortification de la chair: Et nous devons les offrir tous trois à J.-C. 5. Parce que par ces trois présents sont signifiées trois qualités de J.-C.: une divinité très précieuse, une âme toute dévouée, et une chair intègre et incorruptible. Les offrandes étaient encore prédites par ce qui se trouvait dans l'arche d'alliance. Dans la verge qui fleurit, nous trouvons la chair de J.-C. qui est ressuscitée; au Psaume: «Ma chair a refleuri»; dans les tables où étaient gravés les commandements, l'âme dans laquelle sont cachés tous les trésors de la science et de la sagesse de Dieu; dans la manne, la divinité qui a toute saveur et toute suavité. Par l'or, donc, qui est le plus précieux des métaux, on entend la divinité très précieuse; par l'encens, l'âme très dévouée, parce que l'encens signifie dévotion et prière (Ps.): «Que ma prière monte comme l'encens.» Par la myrrhe qui est un préservatif de corruption, la chair qui ne fut pas corrompue. Les Mages, avertis en songe de ne pas revenir chez Hérode, retournèrent (159) par un autre chemin en leur pays. Voici comment partirent les Mages: Ils vinrent sous la direction de l'étoile; ils furent instruits par des hommes, mieux encore par dés prophètes; ils retournèrent sous la conduite de l'ange, et moururent dans le Seigneur. Leurs corps reposaient à Milan dans une église de notre ordre, c'est-à-dire des frères prêcheurs, mais ils reposent maintenant à Cologne. Car ces corps,d'abord enlevés par Hélène, mère de Constantin, puis transportés à Constantinople, furent transférés ensuite par saint Eustorge, évêque de Milan; mais l'empereur Henri les transporta de Milan à Cologne sur le Rhin, où ils sont l'objet de la dévotion et des hommages du peuple.





SAINT PAUL, ERMITE *

Paul, premier ermite, au témoignage de saint Jérôme qui a écrit sa vie, se retira, pendant la persécution violente de Dèce, dans un vaste désert où il demeura 60 ans, au fond d'une caverne, tout à fait inconnue des hommes. Ce Dèce, qui eut, deux noms, pourrait bien être Gallien qui commença à régner l'an du Seigneur 256. Saint Paul voyant donc les chrétiens en butte à toutes sortes de supplices, s'enfuit au désert. A la même époque, en effet, deux jeunes chrétiens sont pris, l'un d'eux a tout le corps enduit de miel et est exposé sous l'ardeur du soleil aux piqûres des mouches,

* Tiré de saint Jérôme.

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des insectes et des guêpes; l'autre est mis sur un lit des plus mollets, placé dans un jardin charmant, où une douce température, le murmure des ruisseaux, le chant des oiseaux, l'odeur des fleurs étaient enivrants. Le jeune homme est attaché avec des cordes tissées de la couleur des fleurs, de sorte qu'il ne pouvait s'aider ni des mains, ni des pieds. Vient une jouvencelle d'une exquise beauté, mais impudique, qui caresse impudiquement le jeune homme rempli de l'amour de Dieu. Or, comme il sentait dans sa chair des mouvements contraires à la raison, mais qu'il était privé d'armes, pour se soustraire à son ennemi, il se coupa la langue avec les dents et la cracha au visage de cette courtisane: il vainquit ainsi la tentation par la douleur, et mérita un trophée digne de louanges. Saint Paul effrayé par de pareils tourments et par d'autres encore, alla au désert. Antoine se croyait alors le premier des moines qui vécût en ermite; mais averti en songe qu'il y en a un meilleur que lui de beaucoup, lequel vivait dans un ermitage, il se mit à le chercher à travers les forêts; il rencontra un hippocentaure

cet être moitié homme, moitié cheval, lui indiqua qu'il fallait prendre à droite. Bientôt après, il rencontra un animal portant des fruits de palmier, dont la partie supérieure du corps avait la figure d'un homme et la partie inférieure, la forme d'une chèvre. Antoine le conjura de la part de Dieu de lui dire qui il était; l'animal répondit qu'il était un satyre, le Dieu des bois, d'après la croyance erronée des gentils. Enfin il rencontra un loup qui le conduisit à la cellule de saint Paul. Mais celui-ci ayant deviné que c'était Antoine (161) qui venait, ferma sa porte. Alors Antoine le prie de lui ouvrir, l'assurant qu'il ire s'en ira pas de là, mais qu'il y mourra plutôt. Paul cède et lui ouvre, et aussitôt ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre en s'embrassant. Quand l'heure du repas fut arrivée, un corbeau apporta une double ration de pain: or, comme Antoine était dans l'admiration, Paul répondit que Dieu le servait tous les jours de la sorte, mais qu'il avait doublé la pitance en faveur de son hôte. Il y eut un pieux débat entre eux pour savoir qui était le plus digne de rompre ce pain: saint Paul voulait déférer cet honneur à son hôte et saint Antoine à son ancien. Enfin ils tiennent. le pain chacun d'une main et le partagent égaleraient en deux. Saint Antoine, à son retour, était déjà près de sa cellule, quand il vit des anges portant l'âme de Paul, il s'empressa de revenir, et trouva le corps de Paul droit sur ses genoux fléchis, comme s'il priait; en sorte qu'il le pensait vivant; mais s'étant assuré qu'il était mort, il dit: «  O sainte âme, tu as montré par ta mort ce que tu étais dans ta vie.» Or, comme Antoine était dépourvu de ce qui était nécessaire pour creuser une fosse, voici venir deux lions qui en creusèrent une, puis s'en retournèrent à la forêt, après l'inhumation. Antoine prit à Paul sa tunique tissue avec da palmier, et il s'en revêtit dans la suite aux jours de solennité. Il mourut environ l'an 287.





SAINT REMI *

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On dit Remigius de remi qui signifie     paissant et gios, terre, comme paissant les habitants de la terre. Ou bien Remigius vient de remi, berger, et gyon combat, pasteur qui combat. Il nourrit son troupeau de la parole dans la prédication, de l'exemple dans la conversation, et de suffrages dans la prière. Il y a trois sortes d'armes, ta défensive comme le bouclier, l'offensive comme l'épée et la préservative comme la cuirasse ou le casque. Il lutta donc contre le diable avec le bouclier de la foi, l'épée de la parole de Dieu, et le casque de l'espérance. Sa vie fut écrite par Hincmar, archevêque de Reims.

Remi, docteur illustre et confesseur glorieux du Seigneur, eut sa naissance prédite comme il suit par un ermite. Les Vandales avaient ravagé toute la France, et un saint reclus aveugle adressait de fréquentes prières au Seigneur pour la paix de l'Eglise gallicane, quand un ange du Seigneur lui apparut et lui dit: «Apprends que la femme, appelée Cilinie, enfantera un fils du nom de Remi; il délivrera sa nation des incursions des méchants.» A son réveil, il courut immédiatement à la maison de Cilinie et raconta sa vision. Comme elle n'en croyait rien à raison de sa vieillesse, il répondit: «Quand tu allaiteras ton enfant, tu oindras avec soin mes, yeux de ton lait et aussitôt tu me rendras la vue.» Toutes ces choses étant ainsi arrivées successivement, Remi quitta le monde et s'enferma dans la retraite. Sa réputation grandit, et à l'âge de 22 ans, il fut élu, par le peuple,

* Grégoire de Tours, passim, Hincmar.

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archevêque de Reims. Or, sa mansuétude était telle que les oiseaux venaient jusque sur sa table manger dans sa main les miettes du repas. Ayant reçu l'hospitalité pendant quelque temps chez une matrone possédant une modique quantité de vin, Remi entra dans le cellier, fit le signe de la croix sur le tonneau, se mit en prières, et aussitôt le vin monta, de telle sorte qu'il se répandait au milieu du cellier. Or, en ce temps-là, Clovis, roi de France, était gentil et il n'avait pu être converti par son épouse qui était très chrétienne; mais quand il vit venir contre lui une armée innombrable d'Allemands, il fit voeu au Seigneur-Dieu qu'adorait sa femme, de recevoir la foi de J.-C., s'il lui  accordait la victoire sur ses ennemis. Il l'obtint à son souhait; il alla donc trouver saint Remi et lui demanda le baptême. Quand on vint aux fonts baptismaux, il ne s'y trouvait pas de saint chrême, mais voici qu'une colombe apporta, dans son bec, une ampoule avec du chrême, dont le pontife oignit le roi. Or, cette ampoule est gardée dans l'église de Reims et les rois de France en ont été sacrés jusqu'aujourd'hui. Longtemps après, Guénebauld, homme de grande prudence, s'étant marié à la nièce de saint Remi, les deux époux se délièrent mutuellement par esprit de religion, et Guénebauld fut ordonné évêque de Laon par saint Remi. Mais comme Guénebauld laissait trop souvent venir sa femme chez lui pour l'instruire, dans ces fréquents entretiens, son esprit se laissa enflammer de concupiscence et tous les deux tombèrent dans le péché. Sa femme conçut et enfanta un fils; elle en instruisit l'évêque, et celui-ci, tout confus, lui fit dire: «Puisque (164) l'enfant a été acquis par larcin, je veux qu'il soit appelé Larron.» Or, afin qu'aucun soupçonne se fit jour; Guénebault laissa venir sa femme chez soi comme auparavant; mais quand ils eurent pleuré leur péché premier, ils tombèrent encore dans une nouvelle faute. Après avoir donné le jour à une fille et l'avoir mandé à l'évêque, celui-ci répondit: «Appelez cette fille Renarde.» Enfin revenu à lui, Guénebault alla trouver saint Remi, et, se jetant à ses pieds, il voulut ôter son étole de son cou. Saint Remi l'en empêcha et ayant appris de sa bouche les malheurs dans lesquels il était tombé, il le consola avec douceur, l'enferma dans une étroite cellule l'espace de sept ans, et lui-même gouverna son église dans l'intérim. La septième année, le jour de la cène du Seigneur, Guénebault était en oraison lorsqu'un ange lui apparut, lui déclarant que son péché était pardonné et lui commandant de sortir de sa retraite. Comme il répondait: «Je ne puis, car mon seigneur Remi a fermé la porte et l'a scellée de son sceau,» l'ange lui dit: «Afin que vous sachiez que le ciel vous est ouvert, votre cellule va être ouverte sans que le sceau soit rompu.» Il parlait encore que la porte s'ouvrit. Alors Guénebault se jetant en travers de la porte, les bras en forme de croix, dit: «Quand bien même mon Seigneur J.-C. viendrait, ici pour moi, je n'en sortirai pas, à moins que mon seigneur Remi qui  m'y a enfermé n'y vienne.» Sur l'avis de l'ange, saint Remi vint à Laon et rétablit Guénebauld sur son siège. Il persévéra dans les bonnes oeuvres jusqu'à sa mort, et il eut pour successeur son fils Larron; qui fut saint aussi. Enfin saint Remi, (165) tout éclatant de vertus, reposa en paix l'an 500 du Seigneur. En ce jour, on célèbre le natalice de saint Hilaire, évêque de la ville de Poitiers.





SAINT HILAIRE *

Hilaire vient d'hilarité, parce qu'il servit Dieu avec un coeur plein de joie. Ou bien Hilaire vient de altus, haut, élevé, et arès vertu, parce qu'il fut élevé en science et en vertu, durant sa vie. Hilaire viendrait encore de hylè, qui veut dire matière primordiale, qui fut obscure, et en effet, dans ses oeuvres, il y a grande obscurité et profondeur.

Hilaire, évêque de Poitiers, originaire du pays d'Aquitaine, brilla, comme Lucifer, entre les astres. Tout d'abord il fut marié et eut une fille; mais il menait la vie d'un moine sous des habits laïcs; il était avancé en âge et en science, quand il fut élu,évêque. Or, comme le bienheureux Hilaire préservait, non seulement sa ville, mais toute la France, contre les hérétiques, à la suggestion de deux évêques qui s'étaient laissé gâter par l'hérésie, il fut relégué en exil, avec saint Eusèbe, évêque de Verceil, par l'empereur fauteur des hérétiques. Enfin, comme l'arianisme jetait partout des racines, et que liberté avait été donnée par l'empereur aux évêques, de se réunir et de discuter sur les vérités de la foi, saint Hilaire étant venu, à la requête des susdits évêques qui ne pouvaient supporter son éloquence, il fut forcé de revenir à Poitiers.

* Bréviaire, sa vie.

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Or, avant abordé à file de Gallinarie*, qui était pleine de serpents, dès en y descendant, il mit par son regard, ces reptiles en fuite: il planta un pieu au milieu de l'île, et ils ne purent le franchir, comme si cette partie d'île eût été une mer et non la terre. A Poitiers, par ses prières, il rendit la vie à un enfant mort sans baptême. En effet il resta prosterné sur la poussière jusqu'à l'instant où l'un et l'autre se levèrent, le vieillard de sa prière et l'enfant des bras de 1a mort. Apia, sa fille, voulant se marier, Hilaire, son père, l'instruisit et l'affermit dans le dessein de sauvegarder sa virginité. Au moment où il la vit bien résolue, craignant qu'elle ne variât dans sa conduite, il pria le Seigneur avec grande instance de la retirer à lui de la vie de ce monde: et il en fut ainsi, car peu de jours après, elle trépassa dans le Seigneur. Il l'ensevelit de ses propres mains; en voyant cela, la mère d'Apia pria l'évêque de lui obtenir ce qu'il avait obtenu pour sa fille, il le f i encore, car, par sa prière, il l'envoya par avance dans le royaume du ciel.

En ce temps-là, le pape Léon, corrompu par la perfidie des hérétiques, convoqua un concile de tous lés évêques, moins saint Hilaire qui y vint pourtant. Le pape, l'ayant su, ordonna que, à son arrivée, personne ne se lèverait, ni ne lui ferait place. Quand il fut entré, le pape lui dit: «. Vous êtes Hilaire, Gaulois.» «Je ne suis pas Gaulois, répondit Hilaire, mais de la Gaule; c'est-à-dire je ne suis pas né dans la Gaule, mais je suis évêque dans la Gaule.» Le

* Isolotta d'Arbenga, petite île de la mer de Gênes.

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pape reprit: «Eh bien! si vous êtes Hilaire de la Gaule, je suis, moi, Léon, le juge et l'apostolique du siège de Rome.» Hilaire dit: «Quand bien même vous seriez Léon, vous n'êtes pas le lion de la tribu de Juda, et si vous siégez en qualité de juge, ce n'est. pas sur le siège de la majesté *.» Alors le pape se leva plein d'indignation en disant: «Attendez un instant, je vais rentrer et je vous dirai ce que vous méritez.» Hilaire reprit. «Si vous ne rentrez pas, qui me répondra à votre place?» Le pape dit: «Je vais rentrer aussitôt, et j'humilierai ton orgueil.» Puis étant allé où les besoins de la nature l'appelaient, il fut attaqué de la dyssenterie et il mourut misérablement en rejetant tous ses intestins. Pendant ce temps, Hilaire voyant que personne ne se levait pour lui faire place, s'assit avec calme et patience par terre en disant les mots du Psautier: Domini est terra, «la terre est au Seigneur,» et tout aussitôt, par la permission de Dieu, la terre sur laquelle il était assis s'exhaussa jusqu'à ce qu'il eût été aussi haut placé que les autres évêques. Quand l'on eut connu. la mort misérable du pape, Hilaire se leva et confirma tous les évêques dans la foi catholique, et il les renvoya pleins de fermeté en leur pays. Mais ce miracle touchant la mort du pape Léon est douteux, car l'Histoire ecclésiastique et l'Histoire tripartite n'en font pas mention: d'ailleurs la chronique ne place pas:un pape de ce nom à cette époque; de plus saint Jérôme dit: que la sainte

* Jean Béleth rapporte ce propos dans son Rationale divinorum officiorum, ch. CXXII.

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Eglise Romaine est toujours restée immaculée et restera toujours sans être souillée par un hérétique. On pourrait cependant dire qu'il y a eu alors un pape de ce nom, mais qu'il n'a pas été canoniquement élu, et qu'il était tyranniquement intrus; ou même que c'était le pape Libère, fauteur de l'hérétique Constantin, qu'on aurait appelé Léon. Enfin après avoir fait une multitude de miracles, saint Hilaire, se sentant affaibli et connaissant que sa mort était prochaine, appela auprès de lui le prêtre Léonce qu'il chérissait tendrement; et vers le déclin du jour, il le pria de sortir, en lui recommandant, s'il entendait quelque chose, de l'en instruire. Celui-ci obéit et revint annoncer qu'il avait entendu des cris tumultueux dans la ville. Comme Léonce veillait en attendant son dernier soupir, à minuit Hilaire lui commanda encore de sortir et de lui rapporter ce qu'il entendrait. Ayant dit qu'il n'avait rien entendu, tout à coup une clarté extraordinaire, telle que le prêtre ne la pouvait supporter, éclata auprès d'Hilaire, et comme elle s'affaiblissait insensiblement, le saint rendit l'esprit au Seigneur. Il fleurit vers l'an 360, sous Constantin. La fête de ce saint tombe à l'octave de l'Epiphanie. Deux marchands possédaient en, commun une certaine quantité de cire: l'un d'eux avait offert sa. part à l'autel de saint Hilaire, l'autre ne voulant pas, offrir la sienne. Aussitôt la cire se partagea; une moitié resta au saint et l'autre revint à celui qui l'avait refusée.






La légende dorée - LA CIRCONCISION DU SEIGNEUR