La légende dorée - SAINT HILAIRE *

SAINT MACHAIRE *

169

Machairevient de macha, génie, et ares, vertu, ou de macha, percussion et rio, maître. Il fut en effet ingénieux contre les tromperies du démon, vertueux dans sa vie; il frappa son corps pour le dompter, et il fut maître dans l'exercice de la prélature.

L'abbé Machairedescendit à travers la solitude du désert et entra pour dormir dans un monument où étaient ensevelis des corps de païens; il en prit ail qu'il mit sous sa tête en guise d'oreiller. Or, les démons, voulant l'effrayer, l'appelaient comme on fait à, une femme, en disant: «Levez-vous et venez au bain avec nous.» Et un autre, démon qui était sous lui comme s'il élit été dans le corps mort, disait: «J'ai un étranger sur moi, je lie puis venir.» Machaire ne fut pas effrayé, mais il battait le cadavre en disant : «Lève-toi et va-t-en, si tu peux.» Et les démons, en entendant ces paroles, s'enfuirent en criant à haute voix: «Vous nous avez vaincus, Seigneur !» Un jour l'abbé Machaire, traversant un marais pour aller à sa cellule, rencontra le diable qui portait une faux de moissonneur et qui voulait le frapper, sans pouvoir en venir à bout. Et il lui dit: «Machaire, tu me fais bien du mal, parce que je ne puis l'emporter sur toi. Et cependant vois, tout ce que tu fais, je le fais aussi tu jeûnes et je ne mange absolument rien; tu veilles, et moi je ne dors jamais. Il n'y a qu'une chose en

* Tiré des Vies des Pères du désert.

170

laquelle tu me surpasses.» «En quoi? lui dit l'abbé.» «C'est en humilité, répondit le diable; elle fait que je ne puis rien contre toi.» Comme les tentations venaient l'assaillir, il alla prendre un grand sac qu'il emplit de sable, le mit sur ses épaules et le porta ainsi nombre de jours à travers le désert.Théosèbe l'ayant rencontré, lui dit: «Père, pourquoi portez-vous un si lourd fardeau?» Il lui répondit: «Je tourmente celui qui me tourmente.» L'abbé Machaire vit Satan passer sous la figure d'un homme couvert de vêtements de lin tout déchirés, et de chacun des trous, pendaient des bouteilles; et il lui dit: «Où vas-tu?» «Je vais, répondit-il, faire boire les frères.» Machaire lui dit: «Pourquoi portes-tu tant de bouteilles?» II répondit: «Je les porte pour les donner à goûter aux frères. Si l'une ne leur plaît pas, j'en offre une autre, voire une troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il tombe à la bonne.» Et quand le diable revint, Machaire lui dit: «Qu'as-tu fait.» Il répondit: «Ils sont tous des saints; personne d'eux n'a voulu  m'écouter, si ce n'est un seul qui s'appelle Théotite.». Machaire se leva aussitôt, et alla trouver le frère qui s'était laissé tenter,, et le convertit par son exhortation. Après quoi, Machairerencontrant encore le diable lui dit: «Où vas-tu?» « Chez les frères, répondit-il.'» A sou retour le vieillard, le voyant venir: «Que font-ils, les frères, dit-il?» Le diable: «Mal.» «Et pourquoi, dit Machaire?» «Parce que ce sont tous des saints, et le plus grand mal encore, c'est que le seul que j'avais, je l'ai perdu et c'est le plus saint de tous.» En entendant cela, le vieillard (171) rendit grâces à Dieu. - Un jour, saint Machaire: trouva une tête de mort et, après qu'il eut prié, il lui demanda, de qui était la tête. Elle répondit, qu'il avait été païen. Et Machaire lui dit: «Où est ton âme?» Elle répondit: «Dans l'enfer.» Comme il demandait s'il était beaucoup profond: Elle répondit que sa profondeur était égale à la distance qu'il y a de la terre au ciel. Machaire continua: «Y en a-t-il qui soient plus avant que toi?» «Oui, dit-il, les juifs.» Machaire: «Et au-dessous des juifs, y en a-t-il?» Le diable: «Les plus enfoncés de tous sont les faux chrétiens, qui, rachetés par le sang de J.-C., estiment comme rien une . si. précieuse rançon.» Comme il traversait une solitude profonde; à chaque mille, il fichait un roseau en terré, pour savoir par où revenir. Or, ayant cheminé pendant neuf jours, comme il se reposait, le diable ramassa tous les roseaux, et les plaça auprès de sa tête; aussi eut-il beaucoup de peine pour rentrer.

Un frère était singulièrement tourmenté par ses pensées, il se disait, par exemple, qu'il était inutile dans sa cellule, au lieu que s'il habitait parmi les hommes, il pourrait être utile à bien du monde.

Ayant manifesté ces pensées à Machaire, celui-ci lui dit: «Mon fils, réponds-leur;: «Voici ce que «je fais, je garde les murailles de cette cellule pour «l'amour de J.-C.» Un jour, avec la main, il tua un moucheron qui l'avait piqué; et beaucoup de sang sortait de la piqûre; il se reprocha d'avoir vengé sa propre injure, et resta tout nu six mois dans le désert, d'où il sortit entièrement couvert de plaies que lui (172) avaient occasionnées les insectes. Après quoi, il mourut en paix et devint illustre par beaucoup de miracles.





SAINT FÉLIX SUR LE PINCIO

Félix est surnommé in pinci, ou bien du lieu où il repose, ou des stylets avec lesquels on prétend qu'il souffrit, car pinca signifie stylet.

On dit que saint Félix était maître d'école, et que sa sévérité était par trop grande. Ayant été pris par les païens il confessa ouvertement J.-C. et fut livré à ses écoliers qui le tuèrent à coups de stylet et de poinçon. Cependant l'Eglise paraît croire qu'il ne fut pas martyr, mais confesseur. Toutes les fois qu'il était mené à une idole pour lui sacrifier, il soufflait dessus et à l'instant elle était renversée. On lit, dans une autre légende, que Maxime, évêque de Nole, fuyant la persécution, tomba parterre, saisi par la faim et la gelée. Félix lui fut envoyé par un ange; et comme il n'avait rien à lui donner à manger, il vit une grappe de raisin pendant à un églantier, il lui en exprima le jus dans la bouche, le mit sur ses épaules et l'emporta. Après la mort de Maxime, Félix fut élu évêque. S'étant livré ensuite à la prédication, il fut recherché par le persécuteur; alors il se cacha dans des décombres de murailles en se glissant par un petit trou, et aussitôt des araignées conduites par la main de Dieu vinrent tendre leurs toiles sur cette ouverture. Les persécuteurs, qui les aperçoivent, jugent qu'il n'y a là personne et (173) passent outre. Félix s'en vint de là en un autre lieu où il fut nourri pendant trois mois par une veuve dont il ne regarda jamais la figure. Enfin le calme ayant été rendu, il revint à son église et il y reposa en paix. Il fut enseveli auprès de la ville dans un lieu appelé Pincis. Il avait un frère, comme lui nommé Félix. Comme on le forçait aussi d'adorer les idoles, il dit: «Vous êtes les ennemis de vos dieux, car si vous me conduisez vers leurs images, je soufflerai sur eux comme mon frère et ils tomberont.» Saint Félix cultivait un jardin, dont quelques-uns voulurent prendre les légumes. En pensant commettre leur vol, pendant toute la nuit, ils cultivèrent parfaitement le jardin. Le matin Félix les salua; alors ils confessèrent leur péché et retournèrent chez eux. Les gentils vinrent pour s'emparer de Félix; mais une douleur grave les saisit à la main. Comme ils poussaient des hurlements, Félix leur parla en ces termes : «Dites: «J.-C. est Dieu» et la douleur cessera aussitôt.» Après avoir prononcé ces paroles, ils furent guéris. Le pontife des idoles vint le trouver et lui dire: «Seigneur, voici mon Dieu; dès qu'il vous voit venir, à l'instant il prend la fuite, et comme je lui disais: «Pourquoi fuis-tu?» il répondit «Je ne puis supporter la vertu de ce Félix.» Si donc mon Dieu vous craint ainsi, à combien plus forte raison dois-je vous craindre moi-même.» Félix l'ayant instruit dans la foi, il se fit baptiser. Félix disait à ceux qui adoraient Apollon: «Si Apollon est le vrai Dieu, qu'il me dise ce que je serre en ce moment dans ma main?» Or il tenait un petit billet sur lequel était écrite l'oraison dominicale. Comme il ne répondait (174) rien, les gentils se convertirent. Enfin après avoir célébré la messe, et avoir donné la paix au peuple, il se coucha sur le pavé, se mit en prières et mourut dans le Seigneur.





SAINT MARCEL *

Marcellus vient de arcens malum a se, qui éloigne le mal de soi, ou de maria percellens qui frappe la mer, c'est-à-dire, qui éloigne et foule aux pieds les adversités du monde, le monde étant comparé à la mer; car, comme dit saint Chrysostome sur saint Mathieu: «Sur la mer, il y a un bruit confus, une crainte continuelle, l'image de la mort, une véhémence infatigable des eaux, et une agitation constante.

Alors que Marcel était souverain pontife de Rome, il reprocha à l'empereur Maximien son excessive rigueur contre les chrétiens; et comme il célébrait la messe en une église consacrée dans la maison d'une dame, l'empereur irrité fit de cette maison une étable pour les animaux et y plaça sous bonne garde Marcel lui-même pour y faire le service. Après avoir passé plusieurs années à soigner ces bêtes, il reposa dans le Seigneur vers l'an 287.

* Bréviaire.





SAINT ANTOINE **

Antoine vient de ana, au-dessus, et ateneus, qui tient: les choses d'en haut, et méprise celles de la terre. Il méprisa (175) d'ailleurs le monde qui est immonde, inquiet, transitoire, trompeur, amer. Voici ce que saint Augustin en dit: «O monde. impur, pourquoi tant de bruit? Pourquoi t'attaches-tu à nous perdre? Tu veux nous retenir et tu fuis. Que ferais-tu si tu n'étais pas passager? Qui ne tromperais-tu pas, si tu étais doux? Tu es amer et tu présentes des aliments agréables seulement à l'extérieur.» Saint Athanase a écrit sa vie.
** Saint Athanase rapporte tous les faits consignés dans cette légende.

Antoine avait vingt ans quand il entendit lire dans l'Eglise: «Si tu veux être parfait, va vendre tout ce que tu as et le donne aux pauvres.» Alors il vendit tous ses biens, les distribua aux pauvres et mena la vie érémitique. Il eut à supporter de la part des démons d'innombrables tourments. Une fois qu'aidé de la foi, il avait surmonté l'esprit de fornication, le diable écrasé lui, apparut sous la figure d'un enfant noir et s'avoua vaincu par lui: car il avait obtenu aussi par ses prières de voir le démon de la fornication qui séduisait les jeunes gens; et l'ayant vu sous la forme que nous venons de mentionner; il dit: «Tu  m'as apparu sous un aspect bien vil, et je ne te craindrai plus désormais.» Une autre fois qu'il était caché dans un tombeau, une multitude de démons le battit avec une telle violence que celui qui lui apportait à manger le transporta comme un mort sur ses épaules: tous ceux qui s'étaient rassemblés pleuraient son trépas, mais Antoine reprit vie aussitôt en présence des assistants désolés, et se fit reporter dans le même tombeau par son serviteur. Comme il était étendu par terre à cause de la douleur de ses blessures, il provoquait encore par force d'esprit les démons à de nouvelles luttes. Alors ceux-ci lui apparurent sous différentes formes de bêtes féroces, et le (176) déchirèrent à coups de dents, de cornes et de griffes. Mais tout à coup apparut une clarté admirable qui mit en fuite les démons, et Antoine fut incontinent guéri. Ayant reconnu que J.-C. était là, il dit: «Où étiez-vous, bon Jésus? Où étiez-vous? Que n'étiez-vous ici dès le commencement pour me prêter secours et me guérir de mes blessures!» Le Seigneur lui répondit : « Antoine, j'étais ici, mais je restais te regarder combattre; or, maintenant que tu as lutté avec vigueur, je rendrai ton nom célèbre dans tout l'univers.» Sa ferveur était si grande que, au moment où l'empereur Maximien faisait massacrer les chrétiens, il suivait lui-même les martyrs, afin de mériter d'être martyrisé avec eux, et se désolait véhémentement de ne recevoir pas cette faveur.

En voyageant dans un autre désert, il trouva un plat d'argent et se mit à dire à part lui: «Comment ce plat ici, où il n'y a pas trace d'homme? Si un voyageur l'avait laissé tomber, il n'eût pu ne pas s'en apercevoir à cause de sa grandeur. Ceci, diable, c'est un artifice de ta part: mais tu ne pourras jamais changer ma volonté.» Et en disant cela, le plat s'évanouit comme de la fumée. Peu de temps après, il trouva une grande masse d'or pur, mais le saint s'enfuit comme devant du feu. Il arriva ainsi à une montagne, où il passa vingt ans, pendant lesquels il se rendit illustre par d'innombrables miracles. Une fois qu'il était ravi en esprit, il vit le monde entier rempli de filets enlacés les uns dans les autres: et il s'écria : « Oh! qui pourra s'en dégager?» Et il entendit une voix qui dit: «L'humilité.» Une fois les anges (177) l'élevaient en l'air; viennent les démons qui l'empêchent de passer en lui opposant les péchés qu'il avait commis depuis sa naissance. Les anges leur dirent: «Vous ne devez pas raconter des fautes qui ont été effacées par la miséricorde de J.-C.: mais si vous en savez d'autres qu'il ait commises depuis qu'il s'est fait moine, produisez-les.» Et comme ils n'en pouvaient produire, Antoine est élevé librement en l'air par les anges et déposé libre.

Voici ce que raconte saint Antoine lui-même: «J'ai vu un jour un diable d'une stature extraordinaire qui osa se dire la force et la providence de Dieu et  m'adressa ces paroles: «Que veux-tu que je te donne, Antoine?» Mais moi, je lui jetai une masse de crachats à la figure; je me précipitai sur lui au nom de J.-C. et aussitôt il disparut.» Le diable lui apparut une fois comme un géant énorme dont la tête semblait toucher le ciel. Antoine lui ayant demandé qui il était et ayant reçu réponse qu'il était Satan; celui-ci dit ensuite: «Pourquoi les moines m'attaquent-ils ainsi, et pourquoi les chrétiens me maudissent-ils?» Antoine lui répondit: «Ils ont raison; puisque tu les importunes souvent par tes embûches.» Et le diable reprit: «Je ne les importune pas du tout; ce sont eux-mêmes qui se brouillent les uns les autres; car je suis réduit à néant puisque J.-C. règne à présent partout.» Un archer vit un jour saint Antoine qui prenait quelque délassement avec les frères et cela lui ,déplut. Alors Antoine lui dit: «Mets une flèche sur ton arc et tire.» Il le fit et comme il était prié de le faire une seconde et une troisième fois, l'archer dit: (178) «Je pourrai bien tirer tant de fois que je  m'exposerai au chagrin de briser mon arc.» Antoine reprit: «Il en est de même dans le service de Dieu; si nous voulions y persister outre mesure, nous serions brisés vite: il convient donc de se délasser quelquefois.» Ce qu'ayant entendu cet homme, il se retira édifié.

Quelqu'un demanda à Antoine: «Que dois-je observer pour plaire à Dieu?» Antoine répondit: «Quelque part que vous alliez, ayez toujours Dieu devant les yeux: Dans vos actions, appuyez-vous du témoignage des Saintes Écritures: En quelque lieu que vous vous fixiez, ne le quittez pas trop vite: Observez ces trois points et vous serez sauvé.» Un abbé demanda à Antoine: «Que ferai-je?» Antoine lui dit: «N'ayez pas confiance en votre propre justice; contenez votre ventre et votre langue, et n'ayez pas à vous repentir d'une chose passée.» Puis il ajouta. «De même que les poissons meurent pour rester quelque temps sur la terre, de même les moines qui restent hors de leur cellule, et qui séjournent avec les gens du monde, perdent bientôt la résolution qu'ils ont prise de vivre dans la retraite.» Saint Antoine dit encore: «Celui qui, une fois entré en solitude, y reste, est délivré de trois ennemis. l'ouïe, le parler et la vue: il ne lui en reste plus qu'un à combattre: c'est son coeur.»

Quelques frères vinrent avec un vieillard visiter l'abbé Antoine; et celui-ci dit aux frères: «Vous avez un bon compagnon dans ce vieillard.» Puis il dit au vieillard: «Père, vous avez trouvé de bons frères avec vous!» «Ils sont bons, il est vrai, dit celui-ci, mais leur maison est sans porte, car qui veut, entre dans (179) l'étable et délie l'âne.» Il parlait ainsi, car ce qu'ils avaient au fond du coeur était aussitôt sur leurs lèvres. L'abbé Antoine dit qu'il y a trois mouvements corporels, l'un qui vient de nature, l'autre, de plénitude de nourriture, le troisième, du démon. Il v avait un frère qui n'avait renoncé au siècle qu'en partie, car il s'était réservé quelque bien. Antoine lui dit: «Allez acheter de la viande.» Il y alla et comme il rapportait sa viande, les chiens se jetaient sur lui et le mordaient. Alors Antoine dit: «Ceux qui renoncent au siècle et qui veulent avoir de l'argent sont ainsi attaqués et déchirés par les démons.» Antoine, dans son désert, se trouva accablé d'ennui: «Seigneur, disait-il, je veux être sauvé, et mes pensées m'en empêchent.» Après quoi il se leva, sortit et vit quelqu'un qui s'asseyait et travaillait, puis qui se levait et priait. Or, c'était un ange du Seigneur qui lui dit. «Fais de même et tu seras sauvé.» Un jour les frères interrogèrent Antoine sur l'état des âmes: la nuit suivante, une voix l'appela et lui dit: «Lève-toi, sors et regarde.» Et voilà qu'il vit un homme très grand, affreux, qui touchait par sa tête. aux nuages: il étendait les mains. pour empêcher quelques hommes qui avaient des ailes de voler vers le ciel; il n'en pouvait retenir d'autres qui volaient sans difficulté et le saint entendait des cantiques de joie mêlés à des cris de douleur: il comprit que c'était l'ascension des âmes dont quelques-unes étaient empêchées par le diable qui les retenait dans ses filets, et qui gémissait de ne pouvoir entraver les saints dans leur vol.» Un jour, Antoine travaillait avec les frères, il leva les yeux au ciel et eut (180) une affligeante vision: il se prosterna et pria Dieu de détourner le crime qui se devait commettre; alors les frères l'interrogeant sur cela, il dit avec larmes et sanglots qu'un crime inouï menaçait le monde. «J'ai vu, dit-il, l'autel du Seigneur entouré d'une multitude de chevaux qui brisaient tout à coups de pied: la foi catholique sera renversée par un tourbillon affreux et les hommes, semblables à des chevaux, saccageront les choses saintes.» Puis une voix se fit entendre : «Ils auront mon autel en abomination.» Or, deux arts après, les Ariens firent irruption dans l'Église dont ils scindèrent l'unité; souillèrent les baptistères et les églises, et immolèrent comme des brebis les chrétiens sur les autels.

Un grand d'Égypte, de la secte d'Arius, appelé Ballachius, ravageait l'Église de Dieu, fouettait les vierges et les moines tout nus en public. Antoine lui écrivit en ces termes: «Je vois venir sur toi la colère de Dieu: cesse à l'instant de persécuter les chrétiens de peur que la vengeance divine ne te saisisse; elle te menace d'une mort prochaine.» Le malheureux lut la lettre, s'en moqua et la jeta par terre en vomissant des imprécations; après avoir fait battre rudement les porteurs, il répondit à Antoine . «De même que tu as grand soin des moines, nous te soumettrons, nous aussi, à une discipline rigoureuse.» Et cinq jours après, il montait un cheval très doux qui, par ses morsures, le jeta à terre, lui rongea et lui déchira les jambes; il mourut le troisième jour. Quelques frères demandèrent une, parole de salut à Antoine et il leur répondit: «Vous avez entendu la parole du Seigneur : (181) «si quelqu'un vous frappe sur une joue, présentez-lui l'autre.» «Nous ne pouvons, dirent-ils, exécuter cela.» «Au moins, reprit Antoine, supportez avec patience, quand on vous frappera d'un côté.» «Nous ne le saurions encore, répondirent-ils.» Antoine dit : Au moins, laissez-vous plutôt frapper que de frapper vous-mêmes.» «Nous ne pouvons pas davantage.» Alors Antoine dit à son disciple: «Préparez des friandises à ces frères, parce qu'ils sont bien délicats: la prière seule vous est nécessaire.» On lit ces détails dans les Vies des Pères. Enfin, Antoine, parvenu à l'âge de 105 ans, embrassa ses frères et mourut en paix sous Constantin, qui régna vers l'an du Seigneur 340.





SAINT FABIEN *

Fabien, comme on dirait fabriquant la béatitude suprême, c'est-à-dire se l'acquérant à un triple droit, d'adoption, d'achat et de combat.

Fabien fut citoyen romain. Le pape étant mort, le peuple était rassemblé pour en élire un autre; Fabien vint, lui aussi, avec la foule, connaître le résultat de l'élection. Et voici qu'une colombe blanche descendit sur sa tête. Tout le monde en fut rempli d'admiration et on le choisit pour pape. Le pape Damase dit qu'il envoya dans toutes les régions sept diacres et il leur

* Bréviaire.

182

adjoignit sept sous-diacres pour recueillir les actes de tous les martyrs. Haymon rapporte * que l'empereur Philippe, voulant assister aux vigiles de Pâques et participer aux mystères, il lui résista et ne lui permit d'y assister qu'après avoir confessé ses péchés et être resté parmi les pénitents. Enfin la treizième année de son pontificat, il fut décapité par l'ordre de Décius et obtint ainsi la couronne du martyre. Il souffrit vers l'an du Seigneur 253**.

* Hist. sacrée, liv. VI, c. II.
** Saint Fabien gouverna l'Église Romaine de longues années et souffrit du temps de Dèce. Lors de son élection, il y eut beaucoup de personnes qui virent le Saint-Esprit paraître sur lui sous la forme d'une colombe. Il fit recueillir et écrire les Actes du Martyre des Saints laissés sans précaution chez les notaires. Il fit élever un grand nombre de basiliques dans les cimetières des Saints et en fit la dédicace. C'est lui qui établit que le vieux chrême serait brûlé et que l'on en consacrerait tous les ans du nouveau le jour de la Cène du Seigneur.





SAINT SÉBASTIEN ***

Sébastien, Sebastianus, vient de sequens, suivant, beatitudo, béatitude; astin, ville et anaau-dessus; ce qui veut dire qu'il a suivi la béatitude de la cité suprême et de la gloire d'en haut. Il: la posséda et l'acquit au prix de cinq deniers, selon saint Augustin, avec la pauvreté, le royaume; avec la douleur, la joie; avec le travail, le repos; avec l'ignominie, la gloire et avec la mort, la vie. Sébastien viendrait encore de basto, selle. Le soldat, c'est le Christ; le cheval, l'Église et la selle, Sébastien; au moyen de laquelle Sébastien combattit dans (183) l'Église et obtint de surpasser beaucoup de martyrs. Ou bien Sébastien signifie entouré, ou allant autour: entouré, il le fut de flèches comme un hérisson; allant autour, parce qu'il allait trouver tous les martyrs et les réconfortait.
*** Actes du saint dans les oeuvres de saint Ambroise.

Sébastien était un parfait chrétien, originaire de Narbonne et citoyen de Milan. Il fut tellement chéri des empereurs Dioclétien et Maximien qu'ils lui donnèrent le. commandement de la première cohorte et voulurent l'avoir constamment auprès d'eux. Or, il portait l'habit militaire dans l'unique intention d'affermir le coeur des chrétiens qu'il voyait faiblir dans les tourments. Quand les très illustres citoyens Marcellien et Marc, frères jumeaux, allaient être décollés pour la foi de J.-C., leurs parents vinrent pour arracher de leurs coeurs leurs bonnes résolutions. Arrive leur mère, la tête découverte, les habits déchirés, qui s'écrie en découvrant son sein: «O chers et doux fils, je suis assaillie d'une misère inouïe et d'une douleur intolérable. Ah, malheureuse que je suis! Je perds mes fils qui courent de plein gré à la mort: si des ennemis me les enlevaient, je poursuivrais ces ravisseurs au milieu de leurs bataillons; si une sentence les condamnait a être renfermés, j'irais briser la prison, dussé-je en mourir. Voici une nouvelle manière de périr: aujourd'hui on prie le bourreau de frapper, on désire la vie pour la perdre, on invite la mort à venir. Nouveau deuil, nouvelle misère! Pour avoir la vie, des fils, jeunes encore, se dévouent à la mort et des vieillards, des parents infortunés sont forcés de tout subir.» Elle parlait encore quand le père, plus âgé que la mère; arrive porté sur les bras de ses (184) serviteurs. Sa tête est couverte de cendres; il s'écrie en regardant le ciel: «Mes fils se livrent d'eux-mêmes â la mort; je suis venu leur adresser mes adieux et ce que j'avais préparé pour  m'ensevelir, malheureux que je suis! je l'emploierai à la sépulture de mes enfants. O mes fils! bâton de ma vieillesse, double flambeau de mon coeur, pourquoi aimer ainsi la mort? Jeunes gens, venez ici, venez pleurer sur mes fils. Pères, approchez donc, empêchez-les, ne souffrez pas un forfait pareil: mes yeux, pleurez jusqu'à vous éteindre afin que je ne voie pas mes fils hachés par le glaive.» Le père venait de parler ainsi quand arrivent leurs épouses offrant à leurs yeux leurs propres enfants et poussant des cris entremêlés de hurlements: «A qui nous laissez-vous? quels seront les maîtres de ces enfants? qui est-ce qui partagera vos grands domaines? hélas! Vous avez donc des coeurs de fer pour mépriser vos parents, pour dédaigner vos amis, pour repousser vos femmes, pour méconnaître vos enfants et pour vous livrer spontanément aux bourreaux!» A ce spectacle, les coeurs de ces hommes se prirent à mollir. Saint Sébastien se trouvait là; il sort de la foule: «Magnanimes soldats du Christ, s'écrie-t-il, n'allez pas perdre une couronne éternelle en vous laissant séduire par de pitoyables flatteries.» Et s'adressant aux parents : «Ne craignez rien, dit-il, vous ne serez pas séparés; ils vont dans le ciel vous préparer des demeures d'une beauté éclatante: car dès l'origine du mondé, cette vie n'a cessé de tromper ceux qui espèrent en elle; elle dupe ceux qui la recherchent; elle illusionne ceux qui comptent sur elle; elle rend tout incertain, en (185) sorte qu'elle ment à tous. Cette vie, elle apprend au voleur, ses rapines; au colère, ses violences; au menteur, ses fourberies. C'est elle qui commande les crimes, qui ordonne les forfaits, qui conseille les injustices; cette persécution que nous endurons ici est violente aujourd'hui et demain elle sera évanouie . une heure l'a amenée, une heure l'emportera; mais les peines éternelles se renouvellent sans cesse, pour sévir; elles entassent punition sur punition, la vivacité de leurs flammes augmente sans mesure. Réchauffons nos affections dans l'amour du. martyre. Ici le démon croit vaincre; mais alors qu'il saisit, il est captif lui-même quand il croit tenir, il est garrotté; quand il vainc, il est vaincu; quand il tourmente, il est tourmenté; quand il égorge, il est tué; quand il insulte, il est honni.» Or, tandis que saint Sébastien parlait ainsi, tout à coup, pendant près d'une heure, il fut environné d'une grande lumière descendant du ciel, et, au milieu de cette splendeur, il parut revêtu d'une robe éclatante de blancheur; en même temps il fut entouré de sept anges éblouissants. Devant lui apparut encore un jeune homme qui lui donna la paix et lui dit: «Tu seras toujours avec moi.» Alors que le bienheureux Sébastien adressait ces avis, Zoé, femme de Nicostrate, dans la maison duquel les saints étaient gardés, Zoé, dis-je, qui avait perdu la parole, vint se jeter aux pieds de Sébastien en lui demandant pardon par signes. Alors Sébastien dit: «Si je suis le serviteur de J.-C. et si tout ce que cette femme a entendu sortir de mes lèvres est vrai, si elle le croit, que celui qui a ouvert la bouche de son prophète Zacharie (186) ouvre sa bouche.» A ces mots, cette femme s'écria «Béni soit le discours de votre bouche, et bénis soient tous ceux qui croient ce que vous avez dit: j'ai vu un ange tenant devant vous un livre dans lequel tout ce que vous disiez était écrit.» Son mari, qui entendit cela, se jeta aux pieds de saint Sébastien en lui demandant de le pardonner; alors il délia les martyrs et les pria de s'en aller en liberté. Ceux-ci répondirent qu'ils ne voulaient pas 'perdre la couronne à laquelle ils avaient droit. En effet une telle grâce et une si grande efficacité étaient accordées par le Seigneur aux paroles de Sébastien, qu'il n'affermit pas seulement Marcellien et Marc dans la résolution de souffrir le martyre, mais qu'il convertit encore à la foi leur père Tranquillin et leur mère avec beaucoup d'autres que le prêtre Polycarpe baptisa tous.

Quant à Tranquillin, qui était très gravement malade, il ne fut as plutôt baptisé que de suite il fut guéri. Le préfet de la ville de Rome, très malade lui-même, pria Tranquillin de lui amener celui qui lui avait rendu la santé. Le prêtre Polycarpe et Sébastien vinrent donc chez lui et il les pria de le guérir aussi. Sébastien lui dit de renoncer d'abord à ses idoles et de lui donner la permission de les briser; qu'à ces conditions, il recouvrerait la santé. Comme Chromace, le préfet, lui disait de laisser ce soin à ses esclaves et de ne pas s'en charger lui-même, Sébastien lui répondit: «Les gens timides redoutent de briser leurs dieux; mais encore si le diable en profitait pour les blesser, les infidèles ne manqueraient pas de dire qu'ils ont été blessés parce qu'ils brisaient leurs dieux.» (187) Polycarpe et Sébastien ainsi autorisés détruisirent plus de deux cents idoles. Ensuite ils dirent à Chromace: «Comme pendant que nous mettions en pièces vos idoles, vous deviez recouvrer la santé et que vous souffrez encore, il est certain que, ou vous n'avez pas renoncé à l'infidélité, ou bien vous avez réservé quelques idoles.» Alors Chromace avoua qu'il avait une chambre où était rangée toute la suite des étoiles, pour laquelle son père avait dépensé plus de deux cents livres pesant d'or; et qu'à l'aide de cela il prévoyait l'avenir. Sébastien lui dit: «Aussi longtemps que vous conserverez tous ces vains objets, vous ne conserverez pas la santé.» Chromace ayant consenti à tout, Tiburce, son fils, jeune homme fort distingué, dit: «Je ne souffrirai pas qu'une oeuvre si importante soit détruite.; mais pour ne paraître pas apporter d'obstacles à la santé de mon père, qu'on chauffe deux fours, et si, après la destruction de cet ouvrage, mon père n'est pas guéri, que ces hommes soient brûlés tous les deux.» Sébastien répondit: «Eh bien! soit.» Et comme on brisait tout, un ange apparut au préfet et lui déclara que J.-C. lui rendait la santé; à l'instant il fut guéri et courut vers l'ange pour lui baiser les pieds; mais celui-ci l'en empêcha, par la raison qu'il n'avait, pas encore reçu le baptême. Alors lui, Tiburce, son fils, et quatre cents personnes de sa maison furent baptisées. Pour Zoé, qui était entre les mains des infidèles, elle rendit l'esprit dans des tourments prolongés. A cette nouvelle, Tranquillin brava tout et dit: «Les femmes sont couronnées avant nous. Pourquoi vivons-nous encore?» Et quelques jours après, il fut lapidé.

188

On ordonna à saint Tiburce ou de jeter de l'encens en l'honneur des dieux sur un brasier ardent, ou bien de marcher nu-pieds sur ces charbons. Il fit alors le signe de la croix sur soi, et il marcha- nu-pieds sur le brasier. Il me semble, dit-il, marcher sur des roses au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.» Le préfet Fabien se mit à dire: «Qui ne sait que le Christ volis a enseigné la matie?» Tiburce lui répondit: «Tais-toi, malheureux!:car tu n'es pas digne de prononcer un nom si saint et si suave à la bouche.» Alors le préfet en colère le fit décoller. Marcellien et Marc sont attachés à un poteau, et après y avoir été liés, ils chantèrent ces paroles du Psaume: «Voyez comme il est bon et agréable pour des frères d'habiter ensemble, etc.» Le préfet leur dit: «Infortunés, renoncez à ces folies et délivrez-vous vous-mêmes.» Et ils, répondirent: «Jamais nous n'avons été mieux traités. Notre désir serait que tu nous laissasses attachés pendant que nous sommes revêtus de notre corps.» Alors le préfet ordonna que l'on enfonçât des lances dans leurs côtés, et ils consommèrent ainsi leur martyre. Après quoi le préfet fit son rapport à Dioclétien touchant Sébastien. L'empereur le manda et lui dit: «J'ai toujours voulu que, tu occupasses le premier rang parmi les officiers de mon palais, or tu as agi en secret contre mes intérêts, et tu insultes aux dieux.» Sébastien lui répondit: «C'est dans ton intérêt que toujours j'ai honoré J.-C. et c'est pour la conservation de l'empire Romain que toujours j'ai adoré le Dieu qui est dans le ciel.» Alors Dioclétien le fit lier au milieu d'une plaine et ordonna aux archers qu'on le perçât à coups de (189) flèches. Il en fut tellement couvert, qu'il paraissait être comme un hérisson; quand on le crut mort, on se retira. Mais ayant été hors de danger quelques jours après, il vint se placer sur l'escalier, et reprocha durement aux empereurs qui descendaient du palais les maux infligés par eux aux chrétiens. Les empereurs dirent: «N'est-ce pas là Sébastien que nous avons fait périr dernièrement à coups de flèches?» Sébastien reprit: «Le Seigneur  m'a rendu la vie pour que je pusse venir vous reprocher à vous-mêmes les maux dont vous accablez les chrétiens.» Alors l'empereur le fit fouetter jusqu'à ce qu'il rendît l'esprit; il ordonna de jeter son corps dans le cloaque pour qu'il ne fût pas honoré par les chrétiens comme un martyr. Mais saint Sébastien apparut la nuit suivante à sainte Lucine, lui révéla le lieu où était son corps et lui commanda de l'ensevelir auprès des restes des apôtres: ce qui fut exécuté. Il souffrit sous les empereurs Dioclétien et Maximien qui régnèrent vers l'an du Seigneur 287. Saint Grégoire rapporte, au premier livre de ses Dialogues, qu'une femme de Toscane, nouvellement mariée, fut invitée à se rendre à la dédicace d'une église de saint Sébastien; et la nuit qui précéda la fête, pressée par la volupté de la chair, elle ne put s'abstenir de son mari. Le matin, elle partit, rougissant plutôt des hommes que de Dieu. Mais à peine était-elle entrée dans l'oratoire Où étaient les reliques de saint Sébastien, que le diable s'empara d'elle, et la tourmenta en présence de la foule. Alors un prêtre de cette église saisit un voile de l'autel pour en couvrir cette femme, mais le diable s'empara aussitôt de ce prêtre lui-même. (190) Des amis conduisirent la. femme à des enchanteurs afin de la délivrer parleurs sortilèges. «Mais à l'instant où ils l'enchantaient, et par la permission de Dieu, une légion composée de 6666 démons entra en elle et la tourmenta avec plus de violence. Un personnage d'une grande sainteté, nommé Fortunat, la guérit par ses prières. On lit dans les Gestes des Lombards qu'au temps du roi Gombert, l'Italie entière fut frappée d'une peste si violente que les vivants suffisaient à peine à ensevelir les morts; elle fit de grands ravages, particulièrement à Rome et à Pavie. Alors un bon ange apparut sous une forme visible à une foule de personnes, ordonnant au mauvais ange qui le suivait et qui avait un épieu à la main, de frapper et d'exterminer. Or, autant de fois il frappait une maison, autant il y avait de morts à enterrer. Il fut révélé alors, par l'ordre de Dieu, à une personne, que la peste cesserait entièrement ses ravages si l'on érigeait à Pavie un autel à saint Sébastien. Il fut en effet élevé dans l'église de Saint-Pierre aux liens. Aussitôt après, le fléau cessa. Les reliques de saint Sébastien y furent apportées de Rome. Voici ce que saint Ambroise écrit dans sa préface: «Seigneur adorable, à l'instant où le sang du bienheureux martyr Sébastien est répandu pour la confession de votre nom, vos merveilles sont manifestées parce que vous affermissez la vertu dans l'infirmité, vous augmentez notre zèle, et par sa prière vous conférez du secours aux malades. »






La légende dorée - SAINT HILAIRE *