La légende dorée - PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE.
Blaise pourrait venir de blandus doux, ou de Belasius, bela signifie habitude et syor, petit. En effet saint Blaise fut doux en ses discours; il eut l'habitude des vertus et il se fit petit par l'humilité de sa conduite.
Blaise excellait en douceur et en sainteté, ce qui le fit élire parles chrétiens évêque de Sébaste; ville de Cappadoce. Après avoir reçu l'épiscopat, il se retira dans une caverne où il mena. la vie érémitique, à cause de la persécution de Dioclétien **. Les oiseaux lui apportaient sa nourriture, et s'attroupaient véritablement ensemble autour de lui, et ne le quittaient que quand il avait levé les mains pour les bénir. Si quelqu'un d'eux avait du mal, il venait aussitôt à lui et retournait parfaitement guéri. Le gouverneur du pays
* Tiré de ses actes.
** Bréviaire.
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avait envoyé des soldats pour chasser; et après s'être fatigués longtemps en vain, ils vinrent par hasard à l'antre de saint Blaise, où ils trouvèrent une grande multitude de bêtes rangées devant lui. Or, n'ayant pu prendre aucune d'elles, ils furent remplis d'étonnement et rapportèrent cela à leur maître, qui aussitôt envoya plusieurs soldats avec ordre de lui amener Blaise avec tous les chrétiens. Mais cette nuit-là même, J.-C. était apparu au saint par trois fois en lui disant : «Lève-toi et offre-moi le sacrifice.» Voici que les soldats arrivèrent et lui dirent: «Sors d'ici, le gouverner t'appelle.» Saint Blaise répondit: «Soyez les bienvenus, mes enfants; je vois à présent que Dieu ne m'a pas oublié.» Pendant le trajet, qu'il fit avec eux, il ne cessa de prêcher, et en leur présence il opéra beaucoup de miracles. Une femme apporta aux pieds du saint son fils qui était mourant d'un os de poisson arrêté dans la gorge; elle lui demanda avec larmes la guérison de son enfant. Saint Blaise lui imposa les mains et fit une prière pour que cet enfant, aussi bien que tous ceux qui demanderaient quoi que ce fût en son nom, obtinssent le bienfait de la santé; et sur-le-champ, il fut guéri *.
Une pauvre femme n'avait qu'un seul pourceau qu'un loup lui ravit; et elle priait saint Blaise de lui faire rendre son pourceau. Il lui dit en souriant : «Femme, ne te désole pas: ton pourceau te sera rendu.» Et aussitôt le loup vint et rendit la bête à cette veuve. Or, saint Blaise ne fut pas plutôt entré
* Bréviaire.
dans la ville que, par ordre du prince; il fut jeté en prison. Le jour suivant, le Gouverneur le fit comparaître devant lui. En le voyant, il le salua en lui adressant ces paroles flatteuses: «Blaise, l'ami des dieux, soyez le bienvenu.» Blaise lui répondit: «Honneur et joie à vous, illustre gouverneur; mais n'appelez pas dieux ceux qui sont des démons, parce qu'ils seront livrés au feu éternel avec ceux qui les honorent.» Le gouverneur irrité le fit meurtrir à coups de bâton, puis rejeter en prison. Blaise lui dit: «Insensé, tu espères donc par tes supplices enlever de mon coeur l'amour de mon Dieu qui me fortifie lui-même ?» Or, la veuve à laquelle il avait fait rendre son pourceau, entendit cela; elle tua l'animal, et en porta la tête et les pieds, avec une chandelle et du pain, à saint Blaise. Il l'en remercia, mangea, et lui dit: «Tous les ans, offre une chandelle à une église qui porte mon nom, et tu en retireras bonheur, toi, et ceux qui t'imiteront.» Ce qu'elle ne manqua pas de faire; et il en résulta en sa faveur une grande prospérité. Après quoi, le gouverneur fit tirer Blaise de sa prison; et comme il ne le pouvait amener à honorer les dieux, il ordonna de le suspendre à un, arbre et de déchirer sa chair avec des peignes de fer; ensuite il le fit reporter en prison.
Or, sept femmes qui le suivirent dans le trajet ramassaient les gouttes de son sang. On se saisit d'elles aussitôt et on les força de sacrifier aux dieux. Elles dirent: «Si tu veux que nous adorions tes dieux, fais-les porter avec révérence à l'étang afin qu'après avoir été lavés, ils soient plus propres quand nous les (288) adorerons,» Le gouverneur devient: joyeux et fait exécuter au plus vite ce qu'elles ont demandé. Mais elles prirent les dieux et les jetèrent au milieu de l'étang, en disant: «Si ce sont des dieux, nous le verrons.» A ces mots le gouverneur devint fou de colère et se frappant lui-même, il dit à ses gardés: «Pourquoi n'avez-vous pas tenu nos dieux afin qu'ils ne fussent pas jetés au fond du lac?» Ils répondirent: «Vous vousêtes laissé mystifier par les paroles trompeuses de ces: femmes et elles les ont jetés dans l'étang.» «Le vrai Dieu n'autorise pas les tromperies, reprirent-elles; mais s'ils étaient des dieux, ils auraient certainement prévu ce que nous leur voulions faire.» Le gouverneur irrité fit préparer du plomb fondu, des peignes de fer; de plus, il fit préparer d'un- côté sept cuirasses rougies au feu, et il fit placer d'un autre côté sept chemises de lin. Il leur dit de choisir ce qu'elles préféraient; alors une d'entre elles, qui avait deux jeunes enfants, accourut avec audace, prit les chemises et les jeta dans le foyer, ces enfants dirent à leur mère «O mère chérie, ne nous laisses pas vivre après toi; mais de même que tu nous as rassasiés de la douceur de ton lait, rassasie-nous encore de la douceur du royaume du ciel» Alors le gouverneur commanda de les suspendre et de réduire leurs chairs en lanières avec des peignes de fer. Or, leur chair avait la blancheur éclatante de la neige et au lieu, de sang il en coulait du lait. Comme elles, enduraient les supplices avec répugnance, un ange du Seigneur vint vers elles et leur communiqua une force virile en disant: «Ne craignez point : un bon ouvrier qui commence bien (289) et qui mène son oeuvre à bien, mérite la bénédiction de celui qui le fait travailler; pour ce qu'il a fait, il reçoit le prix de son labeur, et il est joyeux de posséder son salaire.» Alors le gouverneur les fit détacher et jeter dans le foyer; mais Dieu permit que le feu s'éteignit et qu'elles sortissent sans avoir éprouvé aucune douleur. Le gouverneur leur dit: «Cessez donc d'employer la magie et adorez nos dieux.» Elles répondirent: «Achève ce que tu as commencé, parce que déjà nous sommes appelées au royaume céleste.» Alors il porta une sentence par laquelle elles. devaient avoir la tête tranchée. Au moment où elles allaient être décapitées, elles se mirent à genoux et adorèrent Dieu en disant: «O Dieu qui nous, avez ôtées des ténèbres et qui nous, avez amenées à cette très douce lumière, qui nous avez choisies pour vous être sacrifiées, recevez nos âmes et faites-nous parvenir à la vie éternelle.» Elles eurent donc la tête tranchée et passèrent au Seigneur.
Après cela, le gouverneur se fit présenter saint Blaise et lui dit: «Adore à l'instant nos dieux, ou ne les adore pas.» Blaise lui répondit: «Impie, je ne crains pas tes menaces; fais ce que tu veux; je te livre mon corps tout entier.» Alors il le fit jeter dans l'étang. Mais saint Blaise fit le signe. de la croix sur l'eau qui s'endurcit immédiatement comme une terre sèche; et il dit «Si vos dieux, sont de vrais dieux, faites-nous voir leur puissance et entrez ici.» Et soixante-cinq qui s'avancèrent furent aussitôt engloutis dans l'étang. Mais il descendit un ange du Seigneur qui dit au saint: «Sors, Blaise, et reçois la (290) couronne que Dieu t'a préparée.» Quand il fut sorti, le gouverneur lui dit: «Tu es donc bien déterminé à ne pas adorer les dieux?» «Apprends, misérable, répondit Blaise, que je suis le serviteur de J.-C. et que je n'adore pas les démons.» Et à l'instant l'ordre fut. donné de le décapiter Quant à Blaise, il pria le Seigneur que si quelqu'un réclamait son patronage pour le mal 'de gorge, ou pour toute autre infirmité, il méritât aussitôt d'être exaucé. Et voici qu'une. voix du ciel se fit entendre à lui, qu'il serait fait comme il avait demandé. Ainsi fut décapité ce saint* avec deux petits enfants, vers l'an du Seigneur 283.
* Bréviaire.
Agathe tire son nom de agios, qui veut dire saint, et de Theos, Dieu. Sainte de Dieu: Trois qualités font les saints, comme dit saint Chrysostome: et elles furent toutes réunies en elle. Ce sont: la pureté du coeur, la présence de l'Esprit-Saint et l'abondance des bonnes rouvres. Ou bien Agathe vient encore de a privatif, sans, de geos terre, et Theos, Dieu, comme on dirait une divinité sans terre, c'est-à-dire, sans amour des biens de la terre. Ce mot viendrait encore, de aga, qui signifie, parlant et thau, consommation, comme ayant parlé d'une manière consommée et parfaite, ainsi qu'on peut s'en assurer par ses réponses. Ou bien il viendrait d'agath, esclavage et thaas, souverain, ce qui voudrait dire servitude souveraine, par rapport à ces paroles qu'elle prononça: «C'est une souveraine noblesse que celle par laquelle on prouve qu'on est au service de J.-C. Agathe viendrait encore d'aga, solennel, et thau, consommé, comme si on disait consommée; ensevelie solennellement; puisque les anges lui rendirent ce bon office.
** Tiré de ses actes qui ont servi à la rédaction de son office au Bréviaire.
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Agathe, vierge de race noble et très belle de corps, honorait sans cesse Dieu en toute sainteté dans la ville de Catane. Or, Quintien, consulaire en Sicile, homme ignoble, voluptueux, avare et adonné à l'idolâtrie, faisait tous ses efforts pour se rendre maître d'Agathe * . Comme il était de basse extraction, il espérait en imposer en s'unissant à une personne noble; étant voluptueux, il aurait joui de sa beauté; en s'emparant de ses biens, il satisfaisait son avarice; puisqu'il était idolâtre, il la contraindrait d'immoler aux dieux. Il se la fit donc amener. Arrivée en sa présence, et avant connu son inébranlable résolution, il la livra entre les mains d'une femme de mauvaise vie nommée Aphrodisie **, et à ses neuf filles débauchées comme leur mère, afin que, dans l'espace de trente jours, elles la fissent changer de résolution. Elles espéraient; soit par de belles promesses, soit par des menaces violentes, qu'elles la détourneraient de son bon propos. La bienheureuse Agathe leur dit: «Ma volonté est assise sur la pierre et a J.-C. pour base; vos paroles sont comme le vent, vos promesses comme la pluie, les terreurs que vous m'inspirez comme les fleuves. Quels que soient leurs efforts, les fondements de ma maison restent solides, rien ne pourra l'abattre.» En s'exprimant de la sorte, elle ne cessait de pleurer et
* Bréviaire.
** Ibidem.
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chaque jour elle priait avec le désir de parvenir à la palme du martyre. Aphrodisie voyant Agathe rester inébranlable dit à Quintien: «Amollir les pierres, et donner au fer, la flexibilité du plomb serait plus facile que de détourner l'âme de cette jeune fille des pratiques chrétiennes et de la,faire changer.» Alors Quintien la fit venir et lui dit: «De quelle condition es-tu? Elle, répondit «Je suis noble et même d'une illustre famille, comme ma parenté en fait foi. *» Quintien lui dit: «Si tu es noble, pourquoi, par ta conduite as-tu des habitudes de personne servile?» «C'est, dit-elle, que je suis servante de J.-C., voilà pourquoi je parais être une personne servile.» Quintien: «Puisque tu es noble, comment te dis-tu servante?» Elle répondit: «La souveraine noblesse, c'est d'être engagée au service de J.-C.**» Quintien: «Choisis le parti que tu voudras, ou de sacrifier aux dieux, ou d'endurer différents supplices,» Agathe lui répondit: «Que ta femme ressemble à ta déesse Vénus, et toi-même, sois tel que l'a été ton dieu Jupiter.» Alors Quintien ordonna de la souffleter avec force en disant: «N'injurie pas ton juge par tes plaisanteries téméraires.» Agathe répliqua: «Je m'étonne qu'un homme prudent comme toi en soit arrivé à ce point de folie d'appeler tes dieux ceux dont tu ne voudrais pas que ta femme, ou bien toi, suivissiez les exemples, puisque tu dis que c'est te faire injure que de te souhaiter de vivre comme eux. En, effet si tes dieux sont bons, je ne t'ai (293) souhaité que du bien; mais si tu as horreur de leur ressembler, tu partages mes sentiments.» Quintien «Qu'ai je besoin d'entendre une série de propos superflus? Ou sacrifie aux dieux, ou je vais te faire mourir par toute espèce de supplices.» Agathe: «Si tu me fais espérer d'être livrée aux bêtes, en entendant le nom de J.-C., elles s'adouciront; si tu emploies le feu, les anges répandront du ciel sur moi une rosée salutaire ; si tu m'infliges plaies et tortures, je possède en moi le Saint-Esprit par la puissance duquel je méprise tout.»
Alors le consul la fit jeter en prison, parce qu'elle le confondait publiquement par ses discours. Elle y alla avec grande liesse et gloire, comme si elle fût invitée à un festin; et elle recommandait son combat au Seigneur. Le jour suivant, Quintien lui dit: «Renie le Christ et adore les dieux.» Sur son refus, il la fit suspendre à un chevalet et torturer **. Agathe dit: «Dans ces supplices, ma délectation est celle d'un homme qui apprend une bonne nouvelle, ou qui voit une personne longtemps attendue, ou qui a découvert de grands trésors. Le froment ne peut être serré au grenier qu'après avoir été fortement battu pour être séparé de sa balle; de même mon âme ne peut entrer au paradis avec la palme du martyre que mon corps n'ait été déchiré avec violence par les bourreaux.» Quintien en colère lui fit tordre les mamelles et ordonna qu'après les avoir longtemps tenaillées, on
* Bréviaire.
** Ibidem.
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les lui arrachât. Agathe lui dit : «Impie, cruel et affreux tyran, n'as-tu pas honte de mutiler dans une femme ce que tu as sucé toi-même dans ta mène? J'ai dans mon âme des mamelles toutes saines avec lesquelles je nourris tous mes sens; et que j'ai consacrées au Seigneur dès mon enfance *. » Alors il commanda qu'on la fît rentrer en son cachot avec défense d'y laisser pénétrer les médecins, et de, né lui servir ni pain, ni eau. Et voilà que vers le milieu de la nuit, se présente à elle un vieillard précédé d'un enfant qui portait un flambeau, et ayant à la main divers médicaments. Et il lui dit: «Quoique ce magistrat insensé t'ait accablée de tourments, tu l'as encore tourmenté davantage par tes réponses, et quoiqu'il t'ait tordu ton sein; mais son opulence se changera en amertume: or comme j'étais présent lors de toutes tes tortures, j'ai vu que ta mamelle pourrait être guérie.» Agathe lui dit: «Je n'ai jamais employé la médecine pour mon corps, et ce me serait honte de perdre un avantage que, j'ai conservé si longtemps.» Le vieillard: «Ma fille, je suis chrétien, n'aie pas de honte.» Agathe: «Et qui me pourrait donner de la honte, puisque vous êtes un vieillard fort avancé en âge? d'ailleurs mon corps est si horriblement déchiré. que personne ne pourrait concevoir pour moi aucune volupté: mais je vous rends grâces, mon seigneur et père, de l'honneur que vous me faites en vous intéressant à moi.» «Et pourquoi donc, répliqua. le vieillard, ne me laisses-tu pas te guérir?» «Parce que,
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répondit Agathe, j'ai mon Seigneur J.-C. qui d'une seule parole guérit et rétablit toutes choses. C'est lui, s'il le veut, qui peut me guérir à l'instant.» Et le vieillard lui dit en souriant: «Et je suis son apôtre; et c'est lui-même qui m'a envoyé vers toi; sache que, en son nom, tu es guérie *. «Aussitôt l'apôtre saint Pierre disparut. La bienheureuse Agathe se prosterna et rendit grâces à Dieu; elle se trouva guérie par tout son corps et sa mamelle était rétablie sur sa poitrine. Or, effrayés de l'immense lumière qui avait paru, les gardes avaient pris la fuite en laissant le cachot ouvert, alors quelques personnes la prièrent de s'en aller. «A Dieu ne plaise que je m'enfuie, dit-elle, et que je perde la couronné de patience! je mettrais mes gardiens dans la tribulations. »
Quatre jours après, Quintienlui dit d'adorer les dieux afin qu'elle n'eût pas à endurer de plus grands supplices. Agathe lui répondit: «Tes paroles sont insensées et vaines; elles souillent l'air et sont iniques, Misérable sans intelligence; comment veux-tu que j'adore des pierres et que je répudie le Dieu du ciel qui m'a guérie?» Quintien: «Et qui t'a guérie?». Agathe: «J.-C., le fils de Dieu.» Quintien; «Tu oses encore proférer le nom du Christ que je ne veux pas entendre?» Agathe: «Tant que je vivrai, j'invoquerai J.-C. du coeur et des lèvres.» Quintien : «Je vais voir si le Christ te guérira.» Et il ordonna qu'on parsemât la place de fragments de pots cassés, que sur ces tessons on répandit des charbons ardents, puis
* Bréviaire.
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qu'on la roulât toute nue dessus. Pendant qu'on le faisait, voici qu'il survient un affreux tremblement de terre; il ébranla tellement la ville entière que deux conseillers de Quintien furent écrasés sous les ruines du palais et que tout le peuple accourut vers le consul en criant que c'était uniquement pour l'injuste cruauté exercée contre Agathe que l'on souffrait ainsi *. Quintien craignant et Je tremblement de terre, et une sédition du peuple, fit reconduire Agathe en prison; où elle fit cette prière: «Seigneur J.-C., qui m'avez créée, et m'avez gardée dès mon enfance, qui avez préservé mon coeur de souillure, qui l'avez sauvegardé contre l'amour du siècle, et qui m'avez fait vaincre les tourments, en m'octroyant la vertu de patience, recevez mon esprit et permettez-moi de parvenir jusqu'à votre miséricorde.» Après avoir adressé cette prière, elle jeta un grand cri, et rendit l'esprit vers l'an du Seigneur 253, sous l'empire de Dèce. Au moment où les fidèles ensevelissaient son corps avec des aromates et le mettaient dans le sarcophage, apparut un jeune homme vêtu de soieries, accompagné de plus de cent autres hommes fort beaux; ornés de riches vêtements blancs, qu'on n'avait jamais vus dans le pays; il s'approcha du corps de la sainte, à la tète de laquelle il plaça une tablette de marbre; après quoi il disparut aussitôt. Or, cette table, partait cette inscription: «Ame sainte, généreuse, honneur de Dieu, et libératrice de sa patrie.» En voici le sens: Elle eut une âme sainte; elle s'offrit généreusement, elle rendit honneur à Dieu,
* Bréviaire.
et elle délivra sa patrie. Quand ce miracle eut été divulgué, les gentils eux-mêmes et les Juifs commencèrent à grandement vénérer son sépulcre. Pour Quintien, comme il allait faire l'inventaire des richesses de la sainte, deux de ses chevaux prirent le mors aux dents et se mirent à ruer; l'un le mordit et l'autre le frappa du pied et le fit tomber dans un fleuve, sans qu'on ait pu jamais retrouver son corps. Un an après, vers le jour de la fête de sainte Agathe, une montagne très haute qui est près de la ville, fit éruption et vomit du feu qui descendait comme un torrent de la montagne, mettait en fusion les rochers et la terre, et venait avec impétuosité sur la ville. Alors une multitude de païens descendirent de la montagne, coururent au sépulcre de la sainte, prirent le voile dont il était couvert et le placèrent devant le feu. Le jour du martyre de cette vierge le feu s'arrêta subitement et ne s'avança pas. Voici ce que dit saint Ambroise en parlant de cette vierge, en sa préface: «O heureuse et illustre vierge qui mérita de purifier son sang par, un généreux martyre pour la gloire du Seigneur! O glorieuse et noble vierge, illustrée d'une double gloire, pour avoir fait toutes sortes de miracles au, milieu des plus cruels tourments, et qui, forte d'un secours mystérieux, a mérité d'être guérie par la visite de l'apôtre! Les cieux reçurent cette épouse du Christ; ses restes mortels sont l'objet d'un glorieux respect. Le choeur des anges y proclame la sainteté de son âme et lui attribue la délivrance de sa patrie.»
Vast ou Vedaste, vere dans aestus, parce qu'il se donne vraiment des. ardeurs d'affliction et de pénitence. Vast, viendrait encore de voeh distans, malheur éloigné, parce que le voeh éternel est éloigné de lui. En effet toujours les damnés diront: Malheur; d'avoir offensé Dieu! Malheur, d'avoir obéi au démon! Malheur, d'être né! Malheur, de ne pouvoir mourir! Malheur, pour être tourmenté si fort! Malheur, parce que jamais je ne serai délivré.
Saint Vast fut ordonné évêque d'Arras par saint Remi. Quand il arriva â la porte de la ville, il y trouva deux pauvres, demandant l'aumône, l'un aveugle, l'autre boiteux, et il leur dit: «Je n'ai ni or ni argent, mais ce que j'ai, je vous le donne.» Il fit ensuite une prière et les guérit l'un et l'autre.
Un loup avait fait sa demeure d'une église abandonnée et couverte par des ronces; Vast lui demanda d'en sortir et de n'oser plus y rentrer: ce qui arriva. Enfin, après avoir converti un grand nombre de personnes par ses paroles et ses couvres, la quarantième année de son épiscopat, il vit une colonne de feu descendre du ciel jusque sur sa maison: il comprit alors que sa fin était proche et peu de temps après, il mourut en paix, vers l'an du Seigneur 550.
Comme on faisait la translation de son corps, Omer, aveugle de vieillesse, chagrin de ne pouvoir contempler le corps du saint, recouvra la vue à l'instant, mais peu après, selon son désir, il redevint aveugle.
* Alcuin a écrit en meilleur style une vie ancienne de ce saint. Cette légende n'a rien qui n'y soit conforme.
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Saint Amand est appelé ainsi, parce qu'il fut aimable. Il posséda en effet les trois qualités qui rendent l'homme aimable: 1. Sa société fut agréable (Proverbes, c. XVIII). «L'homme dont la société est agréable sera plus aimé que le frère.» 2. Sa manière de vivre le rendait honorable: c'est ainsi qu'il est dit d'Esther (c. II) qu'elle était agréable à tous ceux qui la voyaient. 3. Il était plein de coeur (II, Rois, c. I).: «Paul et Jonathan étaient aimables et beaux.»
Amand, qui avait de nobles parents, entra dans un monastère. Un jour qu'il s'y promenait, il trouva un énorme serpent; par la vertu du signe de la croix et par sa prière il le força à rentrer dans son antre avec ordre de n'en plus sortir jamais **. Il vint au tombeau de saint Martin où il resta quinze ans couvert d'un cilice et ne se soutenant qu'avec de l'eau et du pain d'orge ***. Ensuite, il alla à Rome où il voulut passer la nuit en prières dans l'église de saint Pierre, mais le gardien de l'église le mit à la porte avec irrévérence.
* Philippe de Harvenq, au XIIe siècle, écrivit la vie de saint Amand sur une autre écrite par Baudemond, disciple du saint. La légende en reproduit exactement les principaux faits. - Hélinand, en sa Chronique; raconte, comme la légende, la vie de saint Amand.
** Philippe de Harvenq, c. III.
*** Idem., c. V.
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Par l'ordre de saint Pierre qui lui apparut devant la porte de l'église où il dormait, il alla dans les Gaules pour réprimander Dagobert de ses crimes. Mais le roi irrité le chassa de son royaume. Enfin, comme le prince n'avait point de fils, et qu'après s'être adressé à Dieu, il en eut obtenu un, il se demanda par qui il ferait baptiser son enfant et il lui vint à l'esprit de lui faire donner le baptême par Amand. On chercha donc le saint et on l'amena au roi qui se jeta à ses pieds, le pria de lui pardonner et de baptiser le fils que le Seigneur lui avait accordé. D'abord Amand consentit une première fois, mais redoutant les embarras des affaires du siècle, il refusa après une seconde demande et partit. Vaincu enfin par les sollicitations, il céda au voeu du roi. Pendant le baptême, comme personne ne répondait, l'enfant, dit: Amen *. Après quoi, le roi fit élever Amand sur le siège de Maestricht. Quand il vit que la plupart des habitants méprisaient ses prédications, il alla en Gascogne, où un bouffon, qui se moquait de ses paroles, fut saisi par le démon: il se déchirait lui-même avec ses dents. Après avoir confessé qu'il avait fait injure à l'homme de Dieu, il mourut de suite misérablement **.
Un jour que saint Amand se lavait les mains, un évêque fit conserver l'eau dont il s'était servi, et elle procura la guérison d'un aveugle, quelque temps après ***. Comme il voulait, avec l'agrément du roi, bâtir un
* Philippe de Harvenq., ch. XXVI-XXVIII; - Hélinand,Chron., an 660.
** Idem, c. XXIX, XXXVIII.
*** Idem, c. XXXIX.
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monastère, l'évêque de la ville voisine, qui voyait cela de mauvais oeil, envoya ses gens pour le tuer ou pour le chasser. Arrivés auprès du saint, ils employèrent la ruse en lui disant de venir avec eux et qu'ils lui montreraient un endroit convenable pour bâtir un monastère. Amand, qui connaissait d'avance leur malice, alla avec eux jusqu'au sommet de la montagne ait ils voulaient le tuer, tant il aspirait au martyre! Mais voici qu'une pluie tellement abondante et une si grande tempête enveloppèrent la montagne, qu'ils ne pouvaient se voir les uns les autres. Comme ils se croyaient près de mourir, ils se prosternèrent en demandant pardon au saint, en le priant de les laisser aller en vie. Alors il adressa une prière fervente et obtint une très grande sérénité. Ils revinrent donc chez eux, et saint Amand échappa ainsi à la mort*. Il opéra encore beaucoup d'autres miracles et mourut en paix, Il vécut vers l'an du Seigneur 653, au temps d'Héraclius.
Valentin vient de valorem tenens, c'est-à-dire; qui persévère dans la sainteté. Ou bien de valenstiro, soldat vaillant qu'il fut de J.-C. On appelle un soldat vaillant celui qui n'a jamais succombé, qui frappe avec force, qui se défend avec valeur, qui remporte de grandes victoires. Valentin ne succomba pas en fuyant le martyre, il frappa l'idolâtrie. en l'anéantissant, il défendit la foi en la confessant, et il vainquit en souffrant.
* Philippe de Harvenq, c. XL.
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Valentin fut un prêtre vénérable que l'empereur Claude se fit amener et auquel il adressa cette question: «Qu'est ceci, Valentin? pourquoi ne gagnes-tu pas notre affection en adorant nos dieux et en rejetant tes vaines superstitions?» Valentin lui répondit: «Si tu connaissais la grâce de Dieu, tu ne parlerais jamais ainsi, mais tu renoncerais aux idoles pour adorer Dieu qui est, au ciel.»Alors un de ceux qui accompagnaient Claude dit: «Qu'as-tu à dire, Valentin, de la sainteté de nos dieux?» Valentin lui répondit: «Je n'ai rien à dire, sinon qu'ils ont été des hommes misérables et souillés en toute manière.» Claude s'adressa à lui: «Si le Christ est le vrai Dieu, pourquoi ne me le dis-tu pas?» Valentin lui dit: «Oui, J.-C. est le seul Dieu; si tu crois en lui, ton âme sera sauvée, l'Etat s'agrandira, et tu remporteras la victoire sur tous les ennemis.» Alors, Claude, s'adressant à ceux qui étaient présents: «Romains, leur dit-il, écoutez comme cet homme parle avec sagesse et droiture.». Le préfet dit: «L'empereur s'est laissé séduire comment abandonnerons-nous ce à quoi nous tenons depuis notre enfance?» Et aussitôt le coeur de Claude fut changé. Or, Valentin fut confié à un des officiers pour être mis sous bonne garde. Quand le saint fut entré dans la maison de cet homme, il dit: «Seigneur J.-C., qui êtes la véritable lumière, éclairez cette maison, afin que vous y soyez reconnu comme le vrai Dieu.» Le préfet lui dit: «Je suis étonné de t'entendre dire que le Christ est la lumière: certes, si ma fille, qui est aveugle depuis longtemps, recouvré la vue, je ferai tout ce que tu me commanderas.» Alors (303) Valentin, par une prière, rendit la vue à sa fille et convertit tous ceux de la maison: Après quoi, l'empereur fit décapiter Valentin, vers l'an du Seigneur 280.
Julienne qui avait été fiancée à Euloge, préfet de Nicomédie, ne voulut s'unir à lui qu'à la condition expresse qu'il recevrait la foi de J.-C. Son père la fit dépouiller, et frapper rudement, puis il la livra au préfet. Celui-ci dit à sa femme. «Ma très chère Julienne, pourquoi m'as-tu trompé au point de me renier de cette façon?» Elle lui répondit: «Quand tu adoreras mon Dieu, j'acquiescerai à tes désirs, autrement tu ne seras jamais mon maître.» Le préfet lui dit: «Ma maîtresse, je ne. puis faire cela, parce que l'empereur me ferait couper la tête.» Julienne reprit: «Si tu crains de la sorte un empereur mortel, comment veux-tu que je ne craigne pas un empereur qui est immortel? Fais tout ce que tu veux, mais tu ne pourras pas me surprendre.» Alors le préfet la fit très durement frapper de verges, et pendre par les cheveux pendant un demi-jour, puis. il ordonna de lui verser sur la tête du plomb fondu. Ce tourment, ne lui ayant fait aucun mal, il l'enchaîna et l'enferma dans une prison: Le diable la vint trouver sous la figure d'un ange, et lui dit: «Julienne, je suis l'ange
* Bollandus a démontré que les actes de sainte Julienne sont authentiques.
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du Seigneur qui m'a envoyé vers vous afin que je vous exhorte à sacrifier aux dieux, pour que vous ne soyez pas si longtemps tourmentée et que vous ne mouriez pas dans des supplices si cruels.» Alors Julienne se mit à pleurer et elle pria en disant: «Seigneur mon Dieu, ne me laissez pas périr; mais faites-moi connaître quel est celui qui me donne de semblables conseils.» Une voix se fit entendre à elle et lui: dit de se saisir de lui, et de le forcer' à confesser qui il était. Quand elle l'eut tenu et qu'elle lui eut demandé qui il était, il lui dit qu'il était le démon et que son père l'avait envoyé pour la tromper. Julienne lui dit: «Et qui est ton père?» Il répondit : «C'est Beelzébuth qui nous fait commettre toute sorte de mal, et nous fait fouetter rudement, chaque fois que nous avons été vaincus par les chrétiens; aussi je sais que je suis venu ici pour mon malheur, parce que je n'ai pu te dompter.» Entre autres aveux, il dit qu'il était principalement tenu loin des chrétiens quand on célébrait le mystère du corps du Seigneur, comme aussi dans le moment des prières et des prédications. Alors Julienne 'lui lia les mains derrière le dos et le jetant par terre, elle le frappa très durement avec la chaîne qui lui servait de lien. Le diable poussait des cris et la priait en disant: «Madame Julienne, ayez pitié de moi.» Sur ces entrefaites le préfet, fit tirer Julienne de prison, et en sortant elle traînait derrière elle le démon lié; or, celui-ci la priait en disant: «Ma dame Julienne, ne me rendez pas davantage ridicule; je ne pourrai plus désormais avoir le dessus sur qui que ce soit: on dit les chrétiens (305) miséricordieux et vous n'avez aucune miséricorde pour moi.» Elle le traîna ainsi à travers toute la place et ensuite elle le jeta dans une latrine.
Arrivée en présence du préfet, elle fut étendue. sur une roue, d'une manière si brutale que tous ses os furent disloqués et que la moelle en sortait: mais un ange du Seigneur brisa la roue et la guérit en un instant. Ceux qui furent témoins de ce prodige crurent et furent décapités, les hommes au nombre de cinq cents et les femmes de cent trente. Après quoi Julienne fut jetée dans une chaudière pleine de plomb fondu; mais le plomb se changea en un bain tempéré. Le préfet maudit ses dieux, de ne pouvoir punir une jeune fille qui leur infligeait une si grande injure. Alors il ordonna de lui couper le cou. Comme on là conduisait à l'endroit où elle devait être exécutée, le démon, qu'elle avait battu, apparut sous la figure d'un jeune homme et criait en disant: «Ne l'épargnez pas, parce qu'elle a méprisé vos dieux et qu'elle m'a frappé cette nuit avec violence; rendez-lui donc ce qu'elle a mérité.» Or, comme Julienne levait les yeux pour voir quel était celui qui parlait de la sorte, le démon s'écria en prenant la fuite: «Hélas! hélas! que je suis misérable! je pense encore qu'elle veut me prendre et me lier.» Après que sainte Julienne eut été décapitée, le préfet fut englouti au fond de la mer dans une tempête avec trente-quatre hommes. Leurs corps, ayant été vomis par les flots, furent dévorés par les bêtes et les oiseaux.
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Il y a trois sortes de chaires: savoir, la royale (II, Rois, XXIII): «David s'assit dans la chaire, etc.; la sacerdotale (I, Rois, 1): «Héli était assis sur son siège, etc.»; la magistrale (saint Matth., XXIII): «Ils sont assis sur la chaire de Moïse, etc.» Or, saint Pierre s'assit sur la chaire royale, parce qu'il fut le premier de tous les rois: sur la sacerdotale, parce qu'il fut le pasteur de tous les clercs; sur la magistrale, parce qu'il fut le docteur de tous les chrétiens.
L'Eglise fait la fête de la chaire de saint Pierre parce que l'on rapporte que saint Pierre fut élevé à Antioche sur le siège cathédrale. On peut attribuer l'institution de cette solennité à quatre motifs. Le premier c'est que saint Pierre, prêchant à Antioche, Théophile, gouverneur de la ville, lui dit: «Pierre, pour quelle raison bouleverses-tu mon peuple?» Or, comme Pierre lui prêchait la foi de J.-C., le gouverneur le fit enchaîner avec ordre de le laisser sans boire ni manger. Mais comme Pierre allait presque défaillir, il reprit un peu de force, et, levant les yeux au ciel, il dit: «Jésus-Christ, secours des malheureux, venez à mon aide; je vais succomber dans ces tribulations.» Le Seigneur lui répondit: «Pierre, tu crois que je t'abandonne ; tu fais injure à ma bonté, si tu ne crains pas de parler ainsi contre moi. Celui qui subviendra à ta misère est proche.» Or, saint Paul, apprenant que saint Pierre était en prison, vint trouver Théophile et s'annonça
* Le plus ancien martyrologe, connu sous le nom de Libère,
à lui comme un ouvrier très habile en toutes sortes de travaux et d'art; il dit qu'il savait sculpter le bois et, les tables, peindre les tentes et que son industrie s'exerçait sur beaucoup d'autres objets encore. Alors Théophile le pria instamment de se fixer à sa cour. Quelques jours se passèrent, et Paul entra en cachette dans la prison de, saint Pierre. En le voyant presque mort et tout défait, il se mit à pleurer très amèrement, et pendant qu'il fondait en larmes et au milieu de ses embrassements il s'écria: «O Pierre, mon frère, ma gloire, ma joie, la moitié de mon âme, me voici, j'entre, reprenez des forces.» Alors Pierre, ouvrant les veux et le reconnaissant, se mit à pleurer, mais il ne put lui parler, et Paul, s'approchant, parvint à peine à lui ouvrir la bouche; et en lui faisant avaler quelque nourriture il le ranima un peu. La nourriture ayant rendu de la force à saint Pierre, celui-ci se jeta dans les bras de saint Paul, l'embrassa et ils pleurèrent beaucoup tous les deux. Paul étant sorti avec précaution vint dire à Théophile: «O bon Théophile, vous jouissez d'une grande gloire; votre courtoisie est celle d'un ami honorable. Un petit mal déshonore grand bien rappelez-vous la manière dont vous avez traité un adorateur de Dieu, qui s'appelle Pierre; comme s'il avait grande importance. Il- est couvert de haillons, défiguré, il est consumé de maigreur, tout est vil chez lui: ses discours seuls le font valoir: et vous tenez pour bien séant de le mettre en prison? Si plutôt il jouissait de son ancienne liberté, il pourrait vous rendre de meilleurs services, car selon qu'on le dit de cet homme, il guérit les infirmes, il ressuscite (308) les morts.» Théophile lui dit: «Ce sont des fables. que tu me dis là, Paul; car s'il pouvait ressusciter des morts, il se délivrerait lui-même de sa prison.» Paul? répondit: « De même que son Christ est ressuscité d'entre les morts; d'après ce qu'on dit, lui quine voulut pas descendre de la croix, on dit encore qu'à son exemple, Pierre ne se délivre pas et ne craint nullement de souffrir pour le Christ.» Théophile répondit: «Alors dis-lui qu'il ressuscite mon fils qui est mort depuis quatorze ans déjà et je le rendrai libre et sauf:» Paule entra, donc dans la prison de saint Pierre et lui dit comment il avait promis la. résurrection du fils du prince. Pierre lui dit : «C'est énorme, Paul, ce que tu as promis; mais avec la puissance de Dieu elle est très facile.» Or, Pierre ayant été tiré du cachot, fit ouvrir le tombeau, pria pour le mort qui ressuscita à l'instant *: (Il ne parait cependant pas vraisemblable. en tout point que, ou bien saint Paul aurait avancé qu'il savait travailler de toute sorte de métiers par lui-même, ou que la sentence de ce jeune homme aurait . été tenue-en suspens pendant quatorze ans.) Alors Théophile et le peuple entier d'Antioche et d'autres encore en grand nombre crurent au Seigneur et bâtirent une, grande église; au milieu de laquelle ils placèrent une chaire élevée pour saint Pierre afin qu'il plat être vus et écouté de tous. Il y siégea sept ans, puis il vint à Rome où il siégea vingt-cinq ans sur la chaire romaine. L'Eglise célèbre la mémoire de ce premier honneur, parce que, à dater de cette époque, les prélats
* Guillaume Durand, liv. VII, c. VIII.
de l'Eglise commencèrent à être; exaltés en puissance, en nom et en lieu. Alors fut accomplie cette parole du Psaume CVI: «Qu'on l'exalte dans l'assemblée du peuple.» Il faut observer qu'il y a trois églises où saint Pierre fut exalté: dans l'église militante, dans l'église méchante et dans l'église triomphante. De là trois fêtes que l'Eglise célèbre en son nom. Il a été exalté dans l'église militante, en la présidant, et en la dirigeant avec, honneur par son esprit, sa foi et ses moeurs. C'est l'objet de la fête de ce jour qui est appelée Chaire, parce qu'il reçut le pontificat de l'Eglise d'Antioche, et qu'il la gouverna glorieusement l'espace de sept ans. Secondement il fut exalté dans l'église des méchants, en la détruisant et en la convertissant à la foi. Et c'est l'objet de la seconde fête qui est celle de saint Pierre aux liens: Ce fut en effet en cette occasion qu'il détruisit l'église des méchants, et qu'il en convertit beaucoup à la foi. Troisièmement, il fut exalté dans l'Eglise triomphante, en entrant dans le ciel avec bonheur, et c'est l'objet de la troisième fête de saint Pierre qui est celle de son martyre, parce qu'alors il, entra en l'Eglise triomphante.
On peut remarquer qu'il y a plusieurs autres raisons pour lesquelles l'Eglise célèbre trois fêtes en l'honneur de saint Pierre; pour son privilège, pour sa charge, pour ses bienfaits, pour la dette dont nous lui sommes redevables et pour l'exemple. 1. Pour son privilège. Il en est trois que saint Pierre reçut à l'exclusion des autres apôtres, et c'est pour ces trois privilèges que l'église l'honore trois fois chaque année. Il fut le plus digne en autorité, parce qu'il a été le prince des apôtres (310) et qu'il a reçu les clefs du royaume des cieux: il fut plus fervent dans son amour; en effet il aima J.-C. d'un amour plus grand que les autres, comme cela est manifeste d'après différents passages de l'Évangile. Sa puissance fut plus efficace, car on lit dans les Actes des Apôtres que sous l'ombre de Pierre étaient, guéris les infirmes. 2. Pour sa charge, car il remplit lés fonctions de la prélature: sur l'Église universelle; et de même que Pierre fut le prince et le prélat de toute l'Église répandue dans les trois parties du monde, qui sont l'Asie, l'Afrique et l'Europe, de même l'Église célèbre sa fête trois fois par an. 3. Pour ses bienfaits, car. saint Pierre, qui a reçu le pouvoir de lier et d'absoudre, nous délivre de trois sortes de péchés, qui sont les péchés de pensée, de parole et d'action, ou bien des péchés que nous avons commis contre Dieu, contre: le prochain et contre nous-mêmes. Ou ce bienfait peut être le triple, bienfait que le pécheur obtient en l'Église: par la puissance des clefs: le premier, c'est la déclaration de l'absolution de la faute; le second, c'est la commutation de la peine éternelle en une peine temporelle; le troisième, c'est la rémission d'une partie de la peine temporelle. Et c'est pour ce triple bienfait. que saint Pierre doit être honoré par trois fois. 4. Pour la dette dont nous lui sommes redevables, car il nous soutient et nous a soutenus de trois manières, par sa. parole; par son exemple, et par des secours temporels, ou bien tsar le suffrage de ses prières; c'est pour cela que nous sommes obligés à l'honorer par trois fois. 5. Pour l'exemple; afin, qu'aucun pécheur ne désespère, quand bien même il eût renié Dieu trois fois, (311) comme saint Pierre, si toutefois, il veut le confesser comme lui de coeur, de bouche et d'action.
Le second motif pour lequel cette fête a été instituée est pris de l'itinéraire de saint Clément. Lorsque saint Pierre, qui prêchait la parole de Dieu, était près d'Antioche, tous les habitants de cette ville allèrent nu-pieds au-devant de lui, revêtus de cilices, la tête couverte de cendres; en faisant pénitence de ce qu'ils avaient partagé les sentiments de Simon le magicien contre lui. Mais Pierre, envoyant leur repentir, rendit grâces à Dieu: alors ils lui présentèrent tous ceux qui étaient tourmentés par les souffrances, et les possédés dû démon. Pierre les ayant fait placer devant lui et ayant invoqué sur' eux le nom du Seigneur, une immense lumière apparut en ce lieu, et tous furent, incontinent guéris. Alors ils accoururent embrasser les traces des pieds de saint Pierre. Dans l'intervalle de sept jours, plus de dix mille hommes reçurent le baptême, en sorte que Théophile, gouverneur de la ville, fit consacrer sa maison comme basilique, et y fit placer une chaire élevée afin que saint Pierre fût vu et entendu de tous. Et ceci ne détruit pas ce qui a été avancé plus haut.: Il peut en effet se faire que saint Pierre, par le moyen de saint Paul, ait été reçu magnifiquement par Théophile et par tout le peuple; mais . qu'après le départ de saint Pierre, Simon le magicien ait perverti le peuple, l'ait excité contré saint Pierre, et que, dans la suite, il ait fait pénitence et reçu une seconde fois l'apôtre avec de grands honneurs. Cette fête de la mise en chaire de saint Pierre est ordinairement appelée la fête du banquet de saint Pierre et (312) c'est le troisième motif de son institution. Maître Jean Beleth dit * que c'était une ancienne coutume des gentils; de faire chaque. année, au mois de février, à jour fixe, des offrandes de viandes sur les tombeaux de leurs parents: ces viandes étaient, consommées la nuit par les démons; mais les païens pensaient qu'elles étaient saccagées par les âmes errantes autour des tombeaux, auxquelles ils donnaient le nom d'ombres. Les anciens en effet avaient l'habitude de dire, ainsi que le rapporte le même auteur, que dans les corps humains ce sont des âmes, dans les enfers ce sont des mânes: mais ils donnaient aux âmes le nom d'esprits quand elles montaient au ciel et celui d'ombres quand la sépulture était récente ou quand elles erraient autour des tombeaux. Or, cette coutume touchant ces banquets fut abolie difficilement chez les chrétiens : les saints Pères, frappés de cet abus et décidés à l'abolir, tout à fait, établirent la fête de l'intronisation de saint Pierre, aussi bien de celle qui eut lieu à Rome que de celle qui se fit à Antioche; ils la placèrent à pareil, jour que se tenaient ces banquets, en sorte que quelques-uns lui donnent encore le nom de fête du banquet de saint Pierre **.
Le quatrième motif de l'institution de cette fête se tire de la révérence que l'on doit à la couronne cléricale: car d'après une tradition, c'est là l'origine de la tonsure. En effet quand saint Pierre prêcha à Antioche,
* Chapitre: LXXXIII.
** Saint Augustin, au livre VI de ses Confessions, parle de cet usage qui subsistait encore en 570, dans les Gaules, d'après un concile de Tours.
on lui rasa le haut de la tête, en haine du nom chrétien: et ce qui avait été pour saint Pierre un signe de mépris par rapport à J.-C. devint dans la suite une marque d'honneur pour tout le clergé. Mais il faut faire attention à trois particularités par rapport à la couronne des clercs: la tête rasée, les cheveux coupés à la tête, et le cercle qui la forme. La tête est rasée dans sa partie supérieure pour trois raisons. Saint Denys; dans sa Hiérarchie ecclésiastique, en assigne deux que voici: «Couper les cheveux, signifie une vie paré et sans forme: car trois choses résultent des cheveux coupés ou de la tête rasée, qui sont: conservation de propreté, changement de forme, et dénudation. Il y a conservation de propreté puisque les cheveux font amasser des ordures dans la tête; changement de forme, puisque les cheveux sont pour l'ornement de da tête; la tonsure signifie donc une vie pure et sans forme. Or, cela veut dire que les clercs doivent avoir la pureté de coeur à l'intérieur, et une manière d'être sans forme, c'est-à-dire sans recherche, à l'extérieur. La dénudation indique qu'entre eux et Dieu, il ne doit se trouver rien, mais qu'ils doivent être unis immédiatement à Dieu et contempler la gloire du Seigneur sans avoir de voile qui leur couvre le visage. On coupe les cheveux de la tête pour donner à comprendre par là que les clercs doivent retrancher de leur esprit toutes pensées superflues, avoir toujours l'ouïe prête et disposée à la parole de Dieu, et se détacher absolument des choses temporelles, excepté dans ce qui est de nécessité. La tonsure a la figure d'un cercle pour bien des raisons: 1. parce que cette (314) figure n'a ni commencement ni fin; ce qui indique que les clercs sont les ministres d'un Dieu qui n'a aussi ni commencement ni fin; 2. parce que cette figure, qui n'a aucun angle, signifie qu'ils ne doivent point avoir d'ordures en leur vie; car, ainsi que dit saint Bernard, ou il y a angle, il y a ordures; et ils doivent conserver la vérité dans, la doctrine; car, selon saint Jérôme, la vérité n'aime pas les angles; 3. parce que cette figure est la plus belle de toutes; ce qui a porte Dieu. à faire les créatures célestes avec cette figure, pour signifier que les clercs doivent avoir la beauté de l'intérieur dans le coeur et celle de l'extérieur dans la manière de vivre; 4. parce que cette figure est de toutes la plus simple: d'après saint Augustin, aucune figure n'est obtenue avec une seule ligne, il n'y a que le cercle seulement qui n'en renferme qu'une; on voit par là que les clercs doivent posséder la simplicité des colombes, selon cette parole de l'Evangile: «Soyez simples comme des colombes.»
La légende dorée - PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE.