La légende dorée - SAINT PATRICE *
L'annonciation du Seigneur, est ainsi appelée parce que, à pareil jour, un ange annonça 1'avénement du Fils de Dieu dans la chair. Il a été convenable que l'incarnation du Fils de Dieu fût précédée par l'annonciation de l'ange, et' cela pour trois raisons: 1. pour conserver un certain ordre, savoir: afin que l'ordre de la réparation correspondît à l'ordre de la prévarication. Car de même que le diable tenta la femme (373) pour l'amener au doute, du doute au consentement, du consentement à la chute, de même l'ange annonça à la Vierge pour l'exciter à la foi, par la foi au consentement et par: le consentement à ce qu'elle conçût le Fils de Dieu; 2. à raison du ministère de l'ange; car l'ange étant le ministre et le serviteur du Très-Haut, et la bienheureuse Vierge ayant été choisie pour être la mère de Dieu, il est de toute convenance que le ministre serve la maîtresse, il était donc juste que l'annonciation fût faite à la Sainte Vierge par le ministère d'un ange; 3. pour réparer la chute de l'ange. En effet puisque l'incarnation n'avait pas seulement pour objet de réparer la chute de l'homme, mais aussi de réparer la ruine de l'ange, les anges n'en devaient donc pas être exclus. Et comme la femme . n'est pas exclue de la connaissance du mystère de l'Incarnation et de la résurrection, de même aussi le messager angélique ne le doit pas ignorer. Il y a plus, Dieu a annoncé à la femme l'un et l'autre mystère par le moyen d'un ange, savoir: l'Incarnation à la Vierge Marie et la résurrection à Marie-Madeleine.- La bienheureuse Vierge étant donc restée depuis la troisième année de son âge jusqu'à la quatorzième dans le temple avec les autres vierges, et ayant fait voeu de conserver la chasteté, à moins que Dieu n'en disposât autrement, Joseph la prit pour épouse après qu1l en eut reçu une révélation divine, et que son rameau eut reverdi, ainsi qu'il est rapporté plus au long dans l'histoire de la Nativité de la bienheureuse Marie. Il alla à Bethléem, d'où il était originaire, afin de pourvoir à tout ce qui était nécessaire pour les noces; quant à Marie, elle revint à (374) Nazareth dans la maison de ses parents. Nazareth veut dire fleur. «Ainsi, dit saint Bernard, la fleur voulut naître d'une fleur, dans une fleur, et dans la saison des fleurs.» Ce fut donc là que l'ange lui apparut et la salua en disant: Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Saint Bernard s'exprime ainsi: «L'exemple de Gabriel nous invite à saluer Marie, comme, aussi le tressaillement de saint Jean; ainsi que le profit que nous retirons du consentement de la Bienheureuse Vierge.» Mais ici, il convient de rechercher les motifs pour lesquels le Seigneur a voulu que sa mère se mariât. Saint Bernard en donne trois raisons: «Il fut nécessaire, dit ce Père, que Marie fût mariée avec Joseph, puisque 1 . par là le mystère reste caché aux démons; 2. l'époux est le garant de la virginité; 3. et la pudeur, comme la réputation de la Vierge, est sauve; 4. c'était afin que l'opprobre fût effacé dans toutes les conditions de ta femme, savoir, dans les mariées, les vierges et les veuves: trois conditions dans lesquelles se trouva la Vierge elle-même; 5. afin qu'elle pûtrecevoir des services de son époux; 6. pour être une preuve de la bonté du mariage; 7. pour que la suite de sa généalogie fût, établie par son mari. Or, l'ange lui dit Salut, pleine de grâce. Saint Bernard dit en expliquant ces mots: «La grâce de la divinité est dans son sein, la grâce de la charité dans son coeur, la grâce de l'affabilité dans sa bouche: dans ses mains la grâce de la miséricorde et de la largesse.» Il ajoute : «Elle est vraiment pleine; car de sa plénitude tous les captifs reçoivent rédemption; malades, guérison; (375) tristes, consolation; pécheurs,, pardon; justes, grâce; anges, allégresse; enfin toute la Trinité, gloire, le Fils de l'homme, substance de la chair humaine. » Le Seigneur est avec vous: «Avec vous est le Seigneur qui est Père, qui a engendré celui que vous avez conçu: le Seigneur Saint-Esprit, duquel vous avez conçu; et le Seigneur Fils que vous revêtez de votre chair.» Vous êtes bénie entre les femmes, c'est-à-dire, par dessus toutes les femmes, car en effet vous serez mère et vierge et mère de Dieu. Les femmes étaient sujettes à une triple malédiction d'opprobre, malédiction de péché et malédiction de supplice: la malédiction d'opprobre atteignait celles qui ne concevaient point, ce qui fait dire à Rachel: «Le Seigneur m'a tirée de l'opprobre où j'ai été». (Genèse, XXX, 20); la malédiction du péché était pour celles qui concevaient: ce qui fait dire à David: «Voilà que j'ai été conçu dans les iniquités» (Ps. L). La malédiction du supplice affligeait celles qui enfantaient: il est dit dans la, Genèse (III): «Vous enfanterez dans la, douleur.» Seule la Vierge Marie est bénie entre toutes les femmes; elle dont la virginité est unie, à la fécondité, dont la fécondité est unie à la sainteté dans l'a, conception, et à la sainteté de laquelle vient se joindre la joie dans l'enfantement. Elle est pleine de grâces, au témoignage de saint Bernard; pour quatre raisons, qui brillèrent en son esprit: ce furent la dévotion de l'humilité, le respect de la pudeur, la grandeur de sa foi, et le martyre de son coeur.
On ajoute: Le Seigneur est avec vous, pour quatre qualités qui resplendirent du ciel en sa personne (376) (c'est encore la pensée de saint Bernard). Ce sont la sanctification de Marie, la salutation angélique, la venue du Saint-Esprit et l'Incarnation du Fils de Dieu. Il est dit encore: Vous êtes bénie entre les femmes, pour quatre autres privilèges qui, d'après saint Bernard, resplendirent en sa chair: elle fut la reine des vierges, féconde sans corruption, enceinte sans être incommodée, elle mit au monde sans douleur. - Aussitôt qu'elle eut entendu, elle fut troublée du discours de l'ange et elle examinait en elle-même ce que c'était que cette salutation. Elle fut donc troublée du discours de l'ange, mais non de son apparition, parce que la bienheureuse Vierge avait souvent vu des anges, mais elle ne les avait jamais entendu parler de cette manière. «L'ange, dit saint Pierre de Ravenne, était venu doux en apparence, mais terrible en ses paroles. Aussi celui dont la vue l'avait doucement réjouie, la troubla quand il parla. Le trouble qu'elle ressentit, dit saint Bernard, est l'effet de sa pudeur virginale; si elle ne fut pas troublée outre mesure, elle le dutà sa force d'âme; en se taisant et en réfléchissant, elle donnait une preuve de prudence et de discrétion.» Et alors l'ange la rassura et lui dit : «Ne craignez point, Marie, vous avez trouvé grâce auprès du, Seigneur.» «Vous avez trouvé; ajoute saint Bernard, la grâce de Dieu, la paix des hommes, la destruction de la mort, la réparation de la vie.» - Voici que vous concevrez et que vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus, c'est-à-dire, de Sauveur, car il sauvera son peuple de ses péchés. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut. (377) «Ce qui signifie, dit saint Bernard: celui qui est le grand Dieu, sera grand, c'est-à-dire, grand homme, grand docteur, grand prophète.» Alors Marie dit à l'ange: comment cela se pourra-t-il faire, puisque je ire connais point d'homme? c'est-à-dire, puisque je ne me propose pas d'en connaître: Elle fut donc vierge, d'esprit, de coeur et de propos délibéré. Mais voilà que Marie interroge; or, qui interrogé, doute. Pourquoi alors n'y eut-il que Zacharie qui ait été frappé de mutisme? Sur cela saint Pierre de Ravenne apporte quatre raisons: «Celui dit-il, qui connaît les cours, ne considère pas seulement les paroles, mais le fond même des coeurs, il a porté son jugement non pas sur ce qu'ils ont dit, mais sur ce qu'ils ont pensé. La cause par laquelle ils interrogent n'est pas pareille, leur espérance n'est pas la même. Marie a cru contre la nature, Zacharie a douté pour la nature. Celle-ci s'informe de l'enchaînement des faits; l'autre prétend impossibles les choses que Dieu veut être faites. Celui-là, malgré es exemples qui l'y poussent, ne parvient pas à la foi; celle-ci y accourt sans avoir de modèle. Elle admire qu'une vierge enfante et il contesta la conception. Marie ne doute donc pas du fait, mais elle en demande le mode et les circonstances: car comme il v a trois modes de conception, le naturel, le spirituel et le merveilleux, elle s'informe de quel mode elle doit concevoir. Et l'ange lui répondit en disant: Le Saint-Esprit viendra en vous, et lui-même opérera la conception en, vous. C'est pour cela que l'on dit: qui a été conçu, du Saint-Esprit, pour quatre raisons.
1. Pour montrer que c'est par l'ineffable charité (378) divine que le Verbe de Dieu s'est fait chair: «Dieu a tellement aimé le monde, dit saint Jean (III), qu'il lui a donné son Fils unique.» C'est la raison qu'en donne le Maître des sentences *. 2. Pour faire voir qu'il y a ici une grâce accordée sans qu'elle eût été méritée, en sorte que quand on dit: qui a été conçu du Saint-Esprit, il reste démontré que c'est l'effet seulement d'une grâce qui n'a été précédée par. aucun mérite de la part des hommes. Cette raison est de saint Augustin. 3. Pour montrer que c'est par la vertu et par l'opération du Saint-Esprit qu'il a été conçu. Cette raison vient de saint Ambroise. 4. Pour le motif de la conception, et cette raison est celle de Hugues de Saint Victor. Il dit que le motif de la conception naturelle, c'est l'amour du mari pour sa femme, et de la femme pour son mari: «Il en fut de même dans la Vierge, dit-il; parce que l'amour du- Saint-Esprit brûlait singulièrement dans son coeur, alors l'amour du Saint-Esprit opérait des merveilles dans sa chair.» Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Ce qui s'explique ainsi d'après la glose: L'ombre se forme ordinairement de la lumière et d'un corps interposé : La vierge, aussi bien qu'un pur homme, ne pouvait prendre la plénitude de la divinité, mais la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, alors que dans Marie, la lumière incorporelle de la divinité a pris le corps de l'humanité, afin qu'ainsi il fût possible à Dieu de souffrir. Saint Bernard paraît toucher cette explication quand il dit: «Parce que Dieu est esprit,
* Pierre Lombard, évêque de Paris.
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et que nous sommes l'ombre de son corps, il s'est abaissé jusqu'à nous afin que par le moyen de la chair vivifiée, nous voyions le Verbe dans la chair, le soleil dans le nuage, la lumière dans la lampe, et la chandelle dans la lanterne.» Voici comment saint Bernard explique encore ce passage: « C'est comme si l'ange disait: ce mode par lequel vous concevrez du Saint-Esprit, J.-C., la vertu de Dieu le cachera de son ombre dans son asile le plus secret, afin qu'il soit connu de lui et de vous seulement. C'est comme s'il disait encore: Pourquoi me demandez-vous ce que vous allez éprouver en vous-même? Vous le saurez, vous le saurez, oui, heureusement vous le saurez, mais, ce sera par L'entremise du docteur qui sera en même temps auteur. J'ai été envoyé pour annoncer la conception virginale, mais non pour la créer. Ou bien encore: il vous couvrira de son ombre, c'est-à-dire, il éteindra en vous l'ardeur du vice.» Et voici que votre cousine Elisabeth a conçu un fils dans sa vieillesse. L'ange dit: voici; pour montrer qu'il avait opéré dans le voisinage une grande nouveauté. Il y a quatre causes pour lesquelles la conception d'Elisabeth est annoncée à Marie; elles sont de saint Bernard.
La première c'est le comble de l'allégresse, la seconde la perfection de la science, la troisième la perfection de la doctrine, la quatrième la condescendance de la miséricorde. Voici en effet les paroles de saint Jérôme: «La conception d'une cousine stérile est annoncée à Marie, afin de causer joie sur joie, alors qu'à un miracle vient se joindre un autre miracle: ou bien c'est qu'il était tout à fait convenable que la (380) vierge apprit de la bouche de l'ange, avant de le connaître par un homme, une parole qui devait être divulguée, en tous lieux, afin que la mère de Dieu ne parût pas écartée des conseils de son fils, si elle restait dans l'ignorance des événements qui arrivaient si près d'elle sur la terre. Ou plutôt encore, Marie, instruite et de l'avènement du Sauveur, et de celui du Précurseur, quant au temps et à l'enchaînement des faits, pouvait dans la suite découvrir la vérité aux écrivains et aux prédicateurs de l'Evangile; ou bien, afin que sachant que sa cousine déjà vieille et cependant enceinte, Marie qui était toute jeune encore, pensât à lui être utile, et donner au petit prophète Jean le moyen de faire sa cour au Seigneur et d'opérer, eu présence d'un miracle, un miracle plus admirable encore.» Plus loin saint Bernard dit: «O vierge, hâtez-vous de répondre. O ma dame, répondez une parole et recevez, le verbe, prononcez-vous et recevez la divinité, dites un mot qui ne dure qu'un instant et renfermez en vous l'éternel. Levez-vous, courez, ouvrez. Levez-vous pour prouver votre foi, courez pour montrer votre dévouement; ouvrez pour donner une marque de votre consentement.» Alors Marie, étendant les mains et tournant les, yeux vers le ciel: Voici, dit-elle, la servante dit Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Saint Bernard s'exprime ainsi: «On rapporte que les uns ont reçu le Verbe de Dieu dans l'oreille, les autres dans la bouche, et dans la main. Pour Marie elle 1'a reçu dans son oreille, par la salutation angélique; dans son coeur, par la foi; dans sa bouche, par la confession; dans sa main, par le toucher; dans son sein, par (381) l'incarnation; dans son giron, quand elle le tenait; dans ses bras, lorsqu'elle l'offrit:» Qu'il me soit fait selon votre parole. Saint Bernard explique ainsi ce passage: «Je ne veux point qu'il me soit fait en forme de parole vide et déclamatoire, ni en figure, ni en imagination; mais je veux qu'il descende en moi par l'inspiration calme du Saint-Esprit, que sa personnalité prenne chair, et qu'il habite corporellement en mon sein.» Et aussitôt le Fils de Dieu fut conçu en ses entrailles; il réunissait les perfections d'un Dieu et les perfections d'un homme, et dès le premier jour de sa conception,, il avait, la même sagesse, la même puissance que quand il atteignit l'âge de trente ans. Alors Marie partit, s'en alla vers les montagnes de la Judée chez Elisabeth et après qu'elle l'eut saluée, Jean, tressaillit, dans le sein de sa mère. La glose dit: Ne le pouvant faire avec la langue, il tressaille de coeur pour saluer J.-C. et commencer l'office de Précurseur. La sainte Vierge aida sa cousine, pendant trois mois, jusqu'à la naissance de saint Jean qu'elle leva de terre de ses mains; comme on lit dans le Livre des Justes. Ce fut à pareil jour, dit-on, que dans le cours des temps, Dieu opéra quantité de merveilles racontées par un poète dans les beaux vers suivants :
Salve, festa dies, quaevulnera nostra coerces,
Angelus est missus, et passus in cruce Christus.
Est Adam factus et eodemtempore lapsus,
Ob meritumdecimae cadit Abel fratris ab ense.
Offert Melchisedech, Ysaac supponitur aris.
Est decollatus Christi baptista beatus.
Est Petrus ereptus, Jacobus sub Herode peremptus.
Corpora Sanctorum cum Christo multa resurgunt.
Latro dolce tamen per Christum suscipit, amen *.
*Voici comme maistre Jean-Batallier traduit cette poésie :
le frère Iehan qui translatay ce liure les vueil aussi mettre en frâcays en la manière qui s'en suit.
Ie, te salue iour tressait
Qui nez plaies nous restrains.
Lange y fut envoie ce iour
Dieu y souffrit mort ce iour
A ce leur fut fait Adam home :
Et a ce tour mordit en la pomme.
Abel fut occis pour sa disme
De son propre frère mesmes.
Melchisedech offrit a lautel:
Abraham fist de Ysaac autel,
Et Herode par son meschief
Coppa a Baptiste le chief.
Pierre sa prison renua :
Et Herode iaqs tua.
Avecques Dieu sa compaignie
Suscita corps saintz grant partie,
Le larron qui eut en memoire
Ihesucrist, fust mis en sa gloyre.
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Un soldat ** riche et noble renonçant au siècle, entra dans l'ordre des Cisterciens et parce qu'il ne savait pas les lettres; les moines n'osant pas renvoyer: chez les laïcs un si noble personnage, lui donnèrent un maître, pour savoir si par aventure il pourrait apprendre quelque chose et, par ce moyen, le faire rester chez eux. Mais après avoir reçu pendant bien du temps les leçons de son maître, il ne put apprendre rien absolument que ces deux mots: Ave Maria. Il les retint avec un tel amour que partout où il allait, en tout ce qu'il faisait, à chaque instant il les ruminait. Enfin il vient à mourir et il est enseveli avec les autres frères dans le cimetière: Or, voici que sur sa tombe pousse un lys magnifique et sur chaque feuille sont écrits en lettres d'or ces mots: Ave Maria. Tout le monde accourut pour contempler un si grand
** La chronique de Granceyintitulée Roue de fortune, commentée par le P. Viguier; raconte ce fait comme étant arrivé au fils du comte de Blammont lequel épousa la sixième fille de Grancey (Cf. Paulin Paris, Cabinet historique, t. l, p. 135).
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miracle. On retira la terre de la fosse et on trouva que la racine du lys partait de la bouche du défunt. On comprit alors avec quelle dévotion il avait répété ces deux mots, puisque Dieu le rendait illustre par l'honneur d'un si grand prodige *. - Un chevalier, dont le castel était sur un grand chemin, dépouillait sans merci tous les passants. Cependant tous les jours il saluait la Vierge mère,de Dieu et quelque empêchement qui lui survînt, il ne voulut jamais passer un jour sans réciter la salutation angélique. Or, il arriva qu'un saint religieux vint à passer par là et le chevalier dont il est question ordonna de le dépouiller aussitôt. Mais le saint homme pria les brigands de le conduire à leur maître parce qu'il avait quelques secrets à lui communiquer. Amené devant l'homme d'armés, il le pria de faire assembler toutes les personnes de sa famille et de son castel pour leur prêcher la parole de Dieu. Quand on fut réuni, le religieux dit: «Certainement vous n'êtes pas tous ici; il manque encore quelqu'un.» Comme on l'assurait qu'ils y étaient tous : « Cherchez bien, reprit le voyageur, et vous trouverez qu'il manque quelqu'un.» Alors l'un d'eux s'écria que le camérier seul, n'était pas venu. Le religieux dit: «Oui, c'est lui seul qui manque.» On envoie aussitôt le chercher et il se plaça au milieu des autres. Mais en voyant l'homme de Dieu, il roulait des yeux affreux, agitait la tête comme un fou et n'osait s'approcher de plus près. Alors le saint homme lui
* Thomas de Catempée, Denys le Chartreux, etc., rapportent aussi cette merveille.
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dit: «Je t'adjure, par le nom de J.-C., de nous dire qui tu es et de découvrir en présence de l'assemblée le motif qui t'a conduit ici.» Et celui-ci répondit «Hélas! c'est parce que je suis adjuré et bien malgré moi que je suis: forcé de me découvrir: en effet je ne suis pas un homme, mais un démon qui a pris la figure humaine et je suis resté sous cette forme depuis quatorze ans avec ce seigneur: notre prince m'a envoyé ici pour observer avec le plus grand soin le jour qu'il ne réciterait pas la salutation à sa Marie, afin que je m'emparasse de lui et l'étranglasses aussitôt en mourant ainsi dans ses mauvaises actions, il aurait été des nôtres: car chaque jour qu'il disait cette salutation, je ne pouvais avoir puissance sur lui: de jour en jour je le surveille avec la plus grande attention et il n'en a passé aucun sans la saluer.» En entendant, cela le chevalier tomba dans une véhémente stupeur, se jeta aux pieds de l'homme de Dieu, demanda pardon et, dans la suite, il changea de manière de. vivre. Alors le saint homme dit au démon: «Je te commande, démon, au nom de N. S. J.-C., de t'en aller d'ici, et de ne- plus revenir. désormais en un lieu où tu auras l'audace. de nuire à quiconque invoquera la glorieuse mère de Dieu.» Immédiatement après cet ordre, le démon s'évanouit et le chevalier laissa aller l'homme de Dieu libre, après lui avoir témoigné respect et remercîments *.
* Un livre intitulé : Fleurs des exemples, rapporte cette légende comme extraite d'un Anselme qui a écrit un livre de Miracles, c.XV.
A Rome on célèbre la fête de saint Timothée, qui vint d'Antioche en cette ville du temps du pape Melchiade. Il fut reçu par le prêtre Sylvestre, qui devint dans la suite évêque de la ville, et qui le chargea de remplir les fonctions que les souverains pontifes eux-mêmes redoutaient alors d'exercer. Or, Sylvestre ne se faisait pas seulement un bonheur de lui donner l'hospitalité mais, ayant dépouillé toute crainte, il comblait d'éloges la conduite et la doctrine de Timothée qui, pendant un an et trois mois, enseigna la vérité de J.-C. Après avoir converti beaucoup de peuples, étant devenu digne du martyre, il fut pris par les païens et livré à Tarquin, préfet de la ville. Après avoir enduré des tourments cruels et une longue détention, il refusa de sacrifier aux idoles, et, comme un bon athlète de Dieu, il fut tourmenté et enfin décapité avec des assassins. Saint Sylvestre le porta la nuit dans sa maison et y fit venir le saint évêque, Melchiade, qui, avec tous les prêtres et les diacres; passa la nuit entière en actions de grâces et le mit au rang des martyrs. Alors une femme très chrétienne, nommée Théone, pria le saint pape de lui permettre d'élever, à ses frais, dans son jardin, un tombeau à côté de celui de l'apôtre
* Il est question au 22 août, dans le Martyrologe romain, d'un Timothée qui souffrit à Rome sur la voie d'Oste; en outre un ms. du Martyrologe d'Usuard cite, au 2 avril, un saint Timothée, martyr à Antioche.
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saint Paul; pour y déposer le corps de saint Timothée. Tous les chrétiens jugèrent convenable que Timothée eût sa sépulture auprès de celle de saint Paul qui avait eu autrefois pour disciple un saint de ce nom.
Dans sa Passion, J -C. souffrit d'amères douleurs: Il fut indignement méprisé; mais nous procura des avantages d'une valeur immense. La douleur fut produite par cinq causes: Premièrement, parce que cette passion fut ignominieuse, quant au lieu qui était lui-même ignominieux, puisque c'était au calvaire où les malfaiteurs étaient punis; quant au supplice qui fut infâme puisque J.-C. fut condamné à la mort la plus honteuse. En effet la croix était le supplice des larrons, et bien que la croix eût été autrefois une grande opprobre, elle est maintenant une immense gloire. Ce qui fait dire à saint Augustin: «La croix qui était le supplice des larrons a passé maintenant sur le front des empereurs. Si Dieu a conféré un pareil honneur à ce qui fut son supplice, que m'accordera-t-i1 pas à son serviteur?» Cette passion fut ignominieuse à cause de ceux auxquels J.-C. fut associé, puisqu'il a été placé entre des scélérats, c'est-à-dire, avec des larrons, qui d'abord ont été des scélérats; l'un d'eux, Dismas, s'est converti plus tard; il était à la droite du Sauveur, d'après l'évangile de Nicodème; l'autre à gauche fut damné, (387) c'était Gesmas. A l'un il donna le royaume, à l'autre le supplice. Saint Ambroise dit: «Alors qu'il était suspendu à la croix, l'auteur de la miséricorde en partageait les fonctions en différentes classes: il confiait la persécution aux apôtres, la paix à ses disciples, son corps aux Juifs, ses vêtements à ceux qui le crucifiaient, son âme à son père, un paranympheà une Vierge, le paradis au larron, l'enfer aux pécheurs et la croix aux chrétiens pénitents. Voilà le testament de J.-C. attaché à la croix.» La 2e cause de douleur, c'est que sa passion fut injuste, parce qu'il n'a pas commis le péché, que le mensonge n'a pas souillé sa bouche, et que la peiné qui n'est pas méritée est infiniment regrettable. En effet on l'accusait principalement de trois crimes, savoir: d'empêcher de payer le tribut, de se dire roi, et de se proclamer Fils de Dieu. Contre ces trois accusations, au jour du vendredi saint, nous adressons en la personne du Sauveur trois excuses: Popule meus, quid fecitibi, etc: * «Mon peuple, que t'ai-je fait?» J.-C. y expose trois bienfaits qu'il a accordés aux Juifs: la délivrance de l'Egypte, . leur conduite à travers le désert, la plantation de la vigne dans un lieu très fertile; comme si J.-C. disait, «Tu m'accuses au sujet du paiement du tribut: tu devrais bien plutôt me remercier, puisque je t'ai délivré du tribut; tu m'accuses de m'être dit roi: tu devrais plutôt me remercier pour t'avoir traité en roi dans le désert; tu m'accuses de m'être proclamé le Fils de Dieu: tu devrais plutôt me remercier pour t'avoir choisi
* A l'adoration de la croix.
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comme ma vigne, et que je t'ai planté dans un lieu très fertile.» 3. La douleur vint de ce qu'il souffrit de la part de ses amis. En effet la, douleur serait plus tolérable si elle venait de ceux qui, pour un motif quelconque, devaient être ses ennemis, ou bien de ceux auxquels il aurait porté quelque préjudice, et pourtant, il souffre de ses amis, c'est-à-dire de ceux qui devraient être ses amis. Il souffre de ses proches, savoir: de ceux de la race desquels, il est né. C'est d'eux qu'il est dit dans le Psaume (XXXVII): «Mes amis et mes proches se sont élevés et déclarés contre moi.» Et dans Job (XIX) : «Mes amis m'ont fui comme ceux qui m'étaient les plus étrangers.» Il souffre de ceux auxquels il avait fait du bien (Saint Jean, X): «J'ai fait devant vous plusieurs bonnes oeuvres.» Voici les paroles de saint Bernard: «O bon Jésus, quelle douceur fut la vôtre, dans vos rapports avec les hommes! Que ne leur avez-vous pas donné et avec une bien grande abondance! Quelles duretés, quelles méchancetés vous avez souffertes pour eux, des paroles rudes, des coups plus rudes encore, les tourments les plus rudes.» 4. A raison de la délicatesse de son corps. C'est de J.-C. que David parle en figure quand il dit: «Il était faible et délicat comme un petit vermisseau de bois» (Rois, II, XXIII): «O Juifs, dit saint Bernard, vous êtes des pierres, vous frappez une pierre plus tendre; le son qu'elle rend c'est celui de la piété, elle fait jaillir l'huile de la charité.» Saint Jérôme dit aussi: «Jésus a été livré aux Juifs pour être frappé, et ce très sacré corps et cette poitrine qui contenait Dieu, ils l'ont sillonné de coups de fouets.» 5. Sa douleur fut universelle: il souffrit (389) dans chacun de ses membres et de ses sens. 1. Il souffrit dans ses yeux, parce qu'il a pleuré, saint Paul le dit en son Epître aux Hébreux (v): Saint Bernard s'exprime de la sorte: «Il a monté haut pour être entendu de plus loin; il criait avec force, pour que personne ne pût s'excuser; a ses cris il joignit les larmes afin d'exciter la compassion des hommes.» Il versa (les larmes deux autres fois, encore; ce fut à la résurrection de Lazare et sur Jérusalem. Les premières furent des larmes d'amour, ce qui a fait dire à ceux qui le virent pleurer: «Voyez comme il l'aimait!» Les secondes furent des larmes de compassion, mais les troisièmes furent des larmes de douleur. 2. Il souffrit dans l'ouïe quand on l'accablait d'opprobres. et de blasphèmes: or, on compte quatre circonstances; où J.-C. entendit des opprobres et des blasphèmes. Sa noblesse était infinie: quant à sa nature divine, il fut le fils du roi éternel; et quant à la nature humaine, il était de race royale; comme homme encore, il fut le roi des rois et le seigneur des seigneurs. II annonça une visite ineffable, car c'est lui qui est la voie, la vérité et la vie; aussi dit-il en parlant de soi-même: «Votre parole c'est la vérité, car le Fils c'est la parole ou le verbe du Père.» Il posséda une puissance incomparable car «toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui.» Enfin il fut d'une extraordinaire bonté, car «personne n'est bon si ce n'est Dieu seul.» J.-C: entendit des opprobres et des blasphèmes en raison de ces quatre qualités: 1. A raison de sa noblesse. Saint Math. (XII): «Est-ce que ce n'est pas le fils du charpentier? Sa mère ne s'appelle-t-elle (390) pas Marie? etc.» 2. A raison de sa puissance. Saint Math. (XII): «Il ne chasse les démons que par Béelzébut, prince des démons.» En saint Mathieu encore (XXVII): «Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même!» Voici qu'ils le disent impuissant, quand, il a été, d'un seul mot, assez puissant pour renverser ses persécuteurs. En effet quand il leur eut demandé : «Oui cherchez-vous?» qu'ils eurent répondu: «Jésus de Nazareth»; et qu'il eut dit: «C'est moi», à l'instant ils tombèrent par terre. «Un mot, dit saint Augustin, adressé à une foule haineuse, féroce, redoutable par ses armes, l'a frappée sans aucun dard, l'a renversée par terre en vertu de la divinité qui se cachait. Que fera-t-il quand il jugera, s'il a fait cela avant d'être jugé? Que pourra-t-il, quand il régnera, celui qui a exercé un pareil pouvoir quand il était près de mourir?» 3. A raison de la vérité. Saint Jean, (VIII) : «Tu te rends témoignage à toi-même; ton témoignage n'est pas véritable.» Les voici qui l'appellent menteur et cependant il. est la voie, la vérité et la vie. Cette vérité Pilate ne mérita ni de la connaître, ni de l'entendre, parce qu'il ne le jugea pas selon la vérité. Il commença son jugement par la vérité, mais il ne resta pas dans la vérité, et c'est pour cela. qu'il mérita de commencer par une question au sujet de la vérité, mais il ne fut pas digne de recevoir une solution. II y a, d'après saint Augustin, une autre raison pour laquelle il n'entendit pas la réponse; car, après avoir adressé cette question, à l'instant même, il se ressouvint de la coutume qu'avaient les Juifs de délivrer un prisonnier au temps de Pâques; et en raison de cela il sortit aussitôt (391) sans attendre une réponse. La troisième raison, d'après saint Chrysostome, est que, sachant cette question difficile, elle exigeait beaucoup de temps, une longue discussion. Or, comme il avait hâte de délivrer J.-C., il sortit aussitôt. On lit pourtant dans l'Evangile de Nicodème que quand Pilate eut demandé à Jésus: «La vérité, qu'est-ce?» Jésus lui répondit: «La vérité vient du ciel.» Et Pilote dit: «Sur la terre il n'y a donc pas de vérité?» Jésus lui dit: «Comment la vérité peut-elle exister sur la terre, quand elle est jugée par ceux qui ont le pouvoir ici-bas?» 4. A raison de sa bonté: car ils disaient qu'il était pécheur au fond du coeur. Saint Jean, (IX): «Nous savons que cet homme est pécheur; qu'il était un séducteur dans ses paroles.» Saint Luc, (XIII): «Il a soulevé le peuple en enseignant par toute la Judée, en commençant par la Galilée jusqu'ici.» - Qu'il était prévaricateur de la loi dans ses Oeuvres. Saint Jean, (IX): «Cet homme n'est pas de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat.» 3. Il souffrit de son odorat: parce qu'il put sentir une grande puanteur dans ce lieu du calvaire où se trouvaient les corps fétides des morts. L'Histoirescholastique dit * que le crâne (calvaria), c'est a proprement parler l'os nu de la tête de l'homme, et parce que les condamnés étaient décapités et que beaucoup de crânes gisaient là pêle-mêle, on disait le lieu du crâne ou le calvaire. 4. Il souffrit dans le sens du goût. Aussi quand il criait: «J'ai soif,» on lui donna du vinaigre mêlé de myrrhe et de fiel, afin qu'avec le vinaigre, il mourût
* Evang., ch. CLXX.
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plus vite et que ses gardes fussent plus tôt relevés de leur faction: on dit en effet que les crucifiés meurent plus vite quand ils boivent du vinaigre. Ils y mêlèrent de la myrrhe pour qu'il souffrît dans l'odorat et du fiel pour qu'il souffrît dans le goût. Saint Augustin dit: «La pureté est abreuvée de vinaigre au lieu de vin; la douceur est enivrée de fiel; l'innocence est punie pour le coupable; la vie meurt pour le mort.» 5. Il souffrit dans le toucher, car dans toutes les parties de son corps, «depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui (Isaïe, I).» Sur ce que J.-C. ressentit de la douleur dans tous les sens : «Cette tête, dit saint Bernard, l'objet de la vénération des esprits angéliques, est percée d'une forêt d'épines; cette face, la plus belle parmi celles des enfants des hommes, est salie par les crachats des Juifs ces yeux plus brillants que le soleil sont éteints par la mort; ces oreilles accoutumées aux concerts des anges; entendent les insultes des pécheurs; cette bouche qui instruit; les anges est abreuvée de fiel et de vinaigre; ces pieds dont on adore l'escabeau parce qu'il est saint, sont attachés à la croix avec des clous; ces mains qui ont construit les cieux sont étendues sur la croix et percées de clous: le corps est fouetté, le coeur est percé d'une lance, que faut-il de plus? Il ne resta en lui que la langue pour prier en faveur des pécheurs et pour confier sa mère à son disciple.»
Secondement, dans sa Passion J.-C. fut bafoué et honni: car quatre fois on se moqua de lui: 1. dans la maison d'Anne, où il reçut des crachats et des soufflets, et où on lui couvrit les yeux d'un voile. Saint (393) Bernard dit à ce sujet: «Votre visage, bon Jésus tout aimable, que les anges aiment à regarder, ils. l'ont sali de crachats, ils l'ont frappé avec leurs mains, ils l'ont couvert d'un voile par dérision,ils ne lui ont pas épargné les blessures amères.» 2. Dans la maison de Hérode, qui, le prenant pour un fou et un esprit égaré, parce qu'il n'avait pu en obtenir une réponse, le revêtit d'un habit de dérision. Ce qui fait dire à saint Bernard : «Tu es homme .et tu te couronnes de fleurs; moi je suis Dieu et j'ai une couronne d'épines; tu as des gants aux mains, et moi j'ai des clous qui percent les miennes; tu danses revêtu d'habits blancs, et moi, pour toi, à la cour d'Hérode, j'ai été couvert d'une robe blanche; tu danses, et moi, j'ai souffert dans mes pieds: toi, dans tes danses, tu étends les bras, en croix au milieu des transports d'allégresse, et moi, je les ai eus étendus en signe d'opprobre; moi, j'ai été dans la douleur sur .la croix, et. toi, tu tressailles d'aise en croix; tu as le côté découvert ainsi que la poitrine par vaine gloire et moi, j'ai eu mon côté percé pour toi. Cependant reviens à moi et je le recevrai.» Mais pourquoi le Seigneur, au temps de sa Passion, se taisait-il en présence d'Hérode, de Pilate et des Juifs? Il y en a trois raisons. La première, c'est qu'ils n'étaient pas dignes d'entendre sa réponse; la deuxième, parce que Eve avait péché en parlant trop, alors J.-C. a voulu satisfaire en se taisant; la troisième, c'est. parce que n'importe la réponse sortie de sa bouche, ils calomniaient et altéraient tout. Il fut honni et bafoué dans la maison de Pilate, où les soldats le revêtirent d'un manteau d'écarlate, lui donnèrent un roseau dans les mains, (394) placèrent une couronne d'épines sur sa tête et disaient en fléchissant le genou: «Salut, roi des Juifs.» Or, cette couronne d'épines, on dit qu'elle fut tressée de jonc marin dont la pointe est aussi dure que pénétrante; d'où l'on peut penser que ces épines firent jaillir le sang de sa tête. A ce sujet saint Bernard s'exprime ainsi: «Cette divine tête fut percée jusqu'au cerveau par une forêt d'épines.» Il y a trois opinions différentes sur le lieu où l'âme a son siège principal. Les uns disent dans le coeur, à raison de ces paroles: «C'est du coeur que sortent les mauvaises pensées, etc.» Les autres, dans le sang, à cause de ce qui est dit dans le Lévitique (XVII): «La vie de la chair est dans le sang;» les troisièmes, dans la tête, d'après ce texte: «Il inclina la tête et rendit l'esprit.» Par le fait, les Juifs paraissent avoir connu ces trois opinions; car pour arracher son âme de son corps, ils la cherchèrent dans sa tête, lorsqu'ils enfoncèrent les épines jusqu'à la cervelle; ils l'ont cherchée dans le sang, en lui ouvrant les veines des mains et des pieds; ils l'ont cherchée dans le coeur, quand ils percèrent son côté. Contre ces trois sortes de moqueries, au jour du vendredi Saint, nous faisons trois adorations avant de découvrir la croix, en disant: Dieu saint, Dieu fort, Dieu immortel, pitié pour nous: agios, etc., comme pour honorer par trois fois celui qui trois fois a été bafoué pour nous: 4. Sur la croix (saint Math., XXVII): «Les princes des prêtres, se moquant de lui avec les scribes et les anciens, disaient: «S'il est le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui.» Saint Bernard commente ainsi ce passage: « Pendant ce (395) temps-là; il donne une plus grande preuve de patience, il recommande l'humilité, il fait acte d'obéissance, il accomplit toute charité. Ces perles de vertus ornent les extrémités de la croix: en haut se trouve la charité, à droite l'obéissance, à gauche la patience, et au bas la racine de toutes les vertus qui est l'humilité. Toutes ces souffrances de J.-C. Ont été recueillies brièvement par saint Bernard quand il dit: «J'aurai souvenance, toute ma vie, des labeurs qu'il a supportés, dans ses prédications; de ses fatigues, dans ses courses; de ses veilles, dans la prière; de ses tentations dans son jeûne; de ses larmes de compassion, des pièges qui lui étaient tendus dans ses discours, enfin des outrages, des crachats, des soufflets, des moqueries, des clous, des reproches.»
Troisièmement la Passion de J.-C. fut pour nous la source d'avantages infinis. Son utilité est triple; on y trouve, la rémission des péchés, la collation de la gâte, et l'exhibition de la gloire; et toutes les trois sont indiquées sur le titre de la croix, parce, qu'il y a Sauveur pour la première, de Nazareth * pour la deuxième, et roi, des Juifs pour la troisième, parce que là nous serons. tous rois. Saint Augustin dit en parlant de l'utilité de la Passion: «J.-C. a effacé la coulpe présente, passée et future; il a détruit les péchés passés en les remettant, les péchés présents en y soustrayant les hommes, les péchés futurs en donnant une grâce au moyen de laquelle on' peut les éviter.» Le même Père dit encore à ce sujet: «Admirons,
* Nazareth signifie en hébreu ornement ou couronne.
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félicitons, aimons, louons, adorons, puisque par là mort de notre Rédempteur nous avons été appelés des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la, corruption à l'incorruption, de l'exil à la patrie, du deuil à la joie.» Quatre raisons démontrent combien fut utile le mode de notre rédemption, savoir: parce qu'il fut parfaitement accueilli de Dieu qui devait être fléchi; il fut très convenable pour guérir la maladie, très efficace pour attirer le genre humain, très habilement pris pour défaire l'ennemi des hommes. 1. Il fut parfaitement accueilli de Dieu qui devait être fléchi et réconcilié, parce que, dit saint Anselme en son ouvrage Cur Deus homo (liv. II, c. II) : « L'homme ne peut, pour l'honneur de Dieu, souffrir volontairement et sans y être obligé, rien de plus redoutable et de plus pénible que la mort, et jamais, l'homme ne put se donner davantage à Dieu que quand il s'est. livré à la mort en son honneur.» C'est ce qui est dit par saint Paul en son épître aux Éphésiens (V): «Il s'est livré à Dieu comme une oblation et une hostie d'agréable odeur.» Et saint Augustin, au livre De la Trinité, dit comment ce sacrifice apaisa Dieu et le réconcilia avec nous: «Quelle chose pouvait être plus agréablement reçue que notre chair. devenue une. matière de sacrifice dans le corps de notre prêtre?» Et comme dans tout sacrifice quatre circonstances sont à considérer: à qui il est offert, ce qui est offert, pour qui il est offert, et celui qui offre. Celui-là même qui est seul médiateur entre Dieu et les hommes nous réconcilie par le sacrifice de paix à Dieu avec lequel il ne fait qu'un; et auquel il offrait (397) ce sacrifice, en ne faisant qu'un avec ceux pour lesquels il l'offrait. En sorte que celui qui offrait et ce qui était offert, c'est la même personne. Le même saint Augustin dit encore, sur la manière par laquelle nous avons été réconciliés par J.-C., que J.-C. est prêtre et sacrifice, comme il est Dieu et temple tout à la fois. Prêtre, par l'entremise duquel nous sommes réconciliés; sacrifice, par lequel nous sommes réconciliés, Dieu auquel nous sommes réconciliés, temple dans lequel nous sommes réconciliés. Le même Père adresse dans la personne de J.-C. ces reproches à ceux qui faisaient peu de cas de cette réconciliation : «Comme vous étiez l'ennemi de mon Père,, à vous a réconciliés par' moi; comme vous étiez loin de lui, je. suis venu pour vous racheter; comme vous erriez par les montagnes et les forêts, je vous ai cherchés, et c'est au milieu des pierres et du bois que je vous ai trouvés; et de crainte que vous ne fussiez déchirés sous la dent vorace des loups et des bêtes féroces, je vous ai recueillis, je vous ai portés sur mes épaules, je vous ai rendus à mon Père. J'ai travaillé, j'ai sué, j'ai présente ma tète pour qu'on y mît la couronne d'épines; j'ai placé mes mains sous les clous,, j'ai ouvert mon côté avec la lance; j'ai été déchiré non par des injures, mais par des tourments sauvages; j'ai versé mon sang, j'ai donné mon âme pour vous unir à moi, et vous vous arrachez de mes bras!»
2. Le mode de notre rédemption fut très convenable pour guérir notre maladie. Or, la convenance se tire du temps, du lieu et du mode. 1. Du temps, parce qu'Adam fut créé et commit le péché au mois de mars, (398) le vendredi, et à la sixième heure, et c'est pourquoi J.-C. a voulu souffrir dans le mois de mars, car il fut annoncé et souffrit le même jour, comme ce fut encore le vendredi et à la sixième heure. 2. Du lieu: or, le lieu de la Passion peut-être entendu en trois manières, savoir: le lieu commun, le lieu particulier et le lieu singulier.: Le lieu commun fut la terre de promission, le particulier, celui du calvaire et le lieu singulier, la croix. Dans le lieu commun fut formé le premier homme parce qu'on dit qu'il a été créé près de Damas et sur le territoire de cette ville. Il fut enseveli dans le lieu particulier, parce que ce fut dans l'endroit où J.-C. a souffert qu'Adam fut, dit-on, enseveli; toutefois ceci n'est pas authentique, puisque, d'après saint Jérôme, Adam a été enseveli sur le mont Hébron, selon ce qui est expressément rapporté au livre de Josué (XIV). Il. fut déçu au lieu singulier, non! pas que ce soit sur le bois où J.-C. a souffert qu'Adam fut déçu, mais pourtant il est dit que de même que Adam fut déçu dans le bois, de même J.-C. souffrit sur le bois. Il est rapporté dans une histoire des Grecs que ce fut sur un bois de la même espèce. 3. Du mode de guérir, lequel fut par les semblables et par, les contraires; par les semblables, parce que d'après saint Augustin en son livre de la Doctrine chrétienne; l'homme séduit par la femme, né de la femme, a délivré, comme étant homme, les autres hommes, comme . mortel, les mortels et les morts, par la mort. Saint Ambroise dit: «Adam fut formé d'une terre vierge, J.-C. naquit d'une vierge. Adam fut fait à l'image de Dieu, J.-C. est l'image de Dieu. De la femme est (399) venue la folie, par la femme est venue la sagesse; Adam était nu, J.-C. fut nu; la mort vint par l'arbre; la vie par la croix; Adam resta dans le désert, J.-C. resta au désert.» Par les contraires: parce que le premier Homme, selon saint Grégoire, avait péché par orgueil, par désobéis sauce. et par gourmandise; car il voulut s'assimiler à Dieu par la sublimité de la science, transgresser les limites du commandement de Dieu et goûter la suavité de la pomme: et comme la guérison doit s'opérer par les contraires, ce mode de satisfaction fut très convenable; car il s'opéra par l'humiliation, par l'accomplissement de la volonté divine et par, l'affliction. Ces trois modes sont indiquées dans la 2. Epitre aux Philippiens : «Il s'est humilié», c'est le premier mode, «en se faisant obéissant», c'est le second, « jusqu'à la mort», c'est le troisième.
3. Ce mode fut très efficace pour attirer le genre humain. Car jamais il ne put attirer le genre humain davantage à son amour et à la confiance, tout en sauvant le libre arbitre. Or, voici: ce que dit saint Bernard, pour démontrer comment il nous, attire par, là à son amour: «O bon Jésus, ce calice que vous avez bu, cette oeuvre de notre rédemption vous rend aimable par-dessus tout. C'est absolument cela qui vous assure facilement tout notre amour pour-vous, c'est-à-dire qui. provoque notre amour avec plus de douceur, qui l'exige, avec plus de droit, qui l'assujettit plus vite et qui l'affecte avec plus de force. En effet où vous vous êtes anéanti, où vous vous êtes. dépouillé de l'éclat qui vous est naturel, c'est là que votre dévouement brille le plus, là que votre charité s'est (400) répandue avec plus de profusion, là que votre grâce a projeté ses plus grands rayons.» Quant à la confiance que ce mode- nous inspire, il est dit dans l'Épître aux Romains (VIII): «Puisque Dieu n'a pas épargné son propre fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses? Là-dessus saint Bernard s'exprime ainsi: «Qui ne sera pas entraîné à l'espoir d'obtenir la confiance, quand il considère la disposition de son corps, savoir: sa tête inclinée pour nous baiser, ses bras étendus pour nous embrasser, ses mains percées pour nous octroyer des largesses, son côté ouvert pour nous aimer, ses pieds attachés pour rester avec nous, son corps étendu pour se sacrifier tout entier à nous.»
Quatrièmement : Le mode de notre rédemption fut très convenable pour détruire l'ennemi du genre humain. (Job, XXVI.) «Sa sagesse a dompté l'orgueil» (et XL) : « Pourrez-vous enlever Léviathan avec l'hameçon?» J.-C. avait caché l'hameçon de sa divinité sous la nourriture de son humanité et le diable voulant saisir la nourriture de la chair fut pris par l'hameçon de la divinité. Saint Augustin parle ainsi de cette capture adroite: «Le rédempteur est venu et le trompeur a été vaincu: et qu'a fait le Rédempteur à celui qui nous tenait captifs? il tendit un piège qui fut sa croix et pour amorce il y mit son sang. Quant à lui, il ne. voulut pas répandre le sang de son débiteur: c'est pourquoi il s'éloigna des débiteurs.» C'est cette dette que l'apôtre appelle la cédule que J.-C. a abolie en l'attachant à la croix. Et saint Augustin dit à propos de cette cédule: «Eve a emprunté le péché au (401) démon; elle a écrit la cédule; elle a donné un garant et l'usure court pour sa postérité: or, elle a emprunté le péché au démon, quand, malgré le précepte de Dieu, elle a consenti à sa mauvaise jussion ou à sa suggestion: elle a écrit la cédule quand elle. a étendu la main vers le fruit défendu; elle a donné un garant, quand elle a fait consentir Adam au péché et de cette manière l'usure court pour sa race.» Saint Bernard met dans la bouche de J.-C. ces reproches adressés à ceux qui méprisent cette rédemption par laquelle nous avons été affranchis de la puissance de notre ennemi : «Mon peuple, dit le Seigneur, qu'ai-je pu te faire que je n'aie fait? Quelle raison as-tu de plutôt servir ton ennemi que moi? Il ne vous a pas créés, lui, il ne vous nourrit pas. Si c'est peu aux yeux des ingrats, ce n'est pas lui, c'est moi qui vous ai rachetés. A quel prix? Ce n'a pas été avec de l'Or ou de l'argent qui se corrompt; ce n'a pas été avec le soleil, ni avec la lime; ce n'a pas été quelqu'un des anges, mais c'est moi qui vous ai rachetés de mon propre sang. Au reste si je n'ai pas une foule de droits à ce que vous vous mettiez à mon service, oubliez tout, mais au moins convenez avec moi d'un denier par jour.» Maintenant, comme J.-C. a été livré à la mort par l'avarice de Judas, par la jalousie des juifs, parla peur de Pilate,il reste à voir quel châtiment Dieu infligea à chacun d'eux à raison de ce péché. Vous trouverez dans la légende de saint Mathias le châtiment et l'origine de Judas, dans la légende de saint Jacques le mineur, le châtiment et la ruine des Juifs. Voici ce que rapporte une légende apocryphe touchant le châtiment et l'origine de Pilate.
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Un roi nommé Tyrusconnut charnellement une fille nommée Pila, dont le père appelé Atus était meunier; il en eut un fils. Or, Pila composa un nom du sien et de celui de son père qui s'appelait Atus, et le donna à son fils qui fut Pilate. Celui-ci, dès l'âge de trois ans, fut envoyé au roi par Pila. Ce roi avait un fils de la reine son épouse qui paraissait du même âge à peu près que Pilate. Devenus un peu plus grands, souvent ces deux enfants jouaient ensemble à la lutte, à la fronde et à d'autres ébats. Mais le fils légitime du roi, comme plus noble de race, était toujours plus adroit que Pilate, et plus habile en toute sorte d'exercice, d'où il résulta que Pilate, poussé par une basse jalousie, et entraîné par une douleur amère, tua son frère en cachette. Le roi en conçut un grand désespoir; il assembla son conseil pour savoir ce qu'il ferait de cet enfant, scélérat et homicide. Tous les membres du conseil s'écrièrent à l'unanimité qu'il était digne de mort: mais le roi, ayant repris du calme, ne voulut pas ajouter iniquité sur iniquité, il l'envoya donc en otage pour le tribut qu'il devait annuellement aux Romains; voulant par là n'avoir point à se reprocher la mort de ce fils, et de plus espérant être quitte du tribut payé aux Romains. Or, il y avait en ce temps-là, à Rome, un fils du roi de France envoyé aussi à Rome pour les tributs. Pilate s'attacha à lui, et le voyant meilleur que soi dans ses moeurs et son esprit, aiguillonné par là jalousie, il le tua. Les Romains cherchant ce qu'on en pourrait faire, se dirent : «Si on laisse vivre celui qui a tué son frère, qui a égorgé un otage, il sera utile en bien des choses à la (403) république, et avec la férocité qui le caractérise, il domptera la férocité des ennemis.» Ils ajoutèrent «Puisqu'il est digne de mort, qu'on le mette dans l'île de Pontos avec la qualité de juge chez un peuple qui: ne veut en souffrir aucun, voyons si, par aventure, il parvient à dompter leur méchanceté habituelle; s'il ne réussit pas, il serai puni comme il l'a mérité.» Pilate fut donc envoyé chez cette nation féroce, bien informé du mépris qu'elle professait pour ses juges: en réfléchissant sur sa mission et en considérant qu'une sentence de mort était suspendue sur sa tête, il voulut conserver sa vie, et par menaces, par promesses, par supplices et par dons, il subjugua cette nation méchante. Or, pour avoir dompté un pays pareil, il reçut le nom de Ponce de l'île de Pontos. Hérode entendit parler de l'adresse de cet homme; émerveillé de ses ruses et rusé lui-même, il parvint, par ses présents et ses messages, à l'attirer auprès de soi et lui confia sa place et sa puissance sur la Judée et sur Jérusalem. Comme Pilate avait amassé des sommes immenses, il partit pour Rome, à l'insu d'Hérode, offrit à Tibère de l'argent à l'infini. Au moyen de ces largesses, il parvint à faire accepter par l'empereur ce qu'il tenait d'Hérode. Ce fut la cause de l'inimitié entre Pilate et Hérode, inimitié qui dura jusqu'à la Passion de J.-C., époque à laquelle ils se réconcilièrent parce que Pilate lui envoya le Seigneur. L'Histoire scholastique assigne d'autres causes à leur inimitié. Un homme, qui se faisait passer pour le Fils de Dieu, avait séduit beaucoup de Galiléens: les ayant menés en Garizim, où il avait dit qu'il monterait au ciel, Pilate survint et (404) le fit tuer avec tous ceux qu'il avait séduits, dans la crainte qu'il n'en fît autant des Juifs. C'est pour cela qu'ils devinrent ennemis parce que Hérode avait le gouvernement de la Galilée. L'une et l'autre causes peuvent être vraies. Alors quand Pilate eut eu livré aux Juifs le Seigneur afin de le crucifier, il craignit le ressentiment de Tibère-César pour avoir fait verser le sang innocent, et envoya à César un de ses familiers lui offrir ses excuses. Or, sur ces entrefaites Tibère souffrait d'une grande maladie on lui apprit qu'il se trouvait à Jérusalem un médecin qui guérissait toutes sortes de maux, par une seule parole; mais on ignorait que Pilate et les Juifs l'eussent crucifié. Tibére s'adressant à Volusien, un de ses intimes: «Va vite, lui dit-il, outre mer, et dis à Pilate de m'envoyer ce médecin qui me rendra la santé.» Quand Volusien fut arrivé auprès de Pilate, et lui eut communiqué les ordres de l'empereur, Pilate effrayé, demanda un délai de quatorze jours. Dans ce laps de temps, Volusiens'informa auprès d'une dame, nommée Véronique, qui avait été amie avec J.-C., où l'on pourrait trouver le Christ Jésus: Véronique lui dit: «Ah! c'était mon Seigneur et,mon Dieu: trahi par jalousie, il fut condamné à mort par Pilate, qui l'a fait attacher à la croix.» Alors Volusien fut très chagriné : « Je suis bien en peine, lui dit-il, de ne pouvoir exécuter les ordres de mon maître.» Véronique répondit : «Alors que mon Seigneur parcourait le pays en prêchant, comme j'étais privée, bien malgré moi, de sa présence, je voulus faire exécuter son portrait, afin que lorsqu'il ne me serait plus donné de le voir, je (405) pusse au moins me consoler en regardant son image alors je portai de la toile au peintre, quand le Seigneur vint au-devant de moi et me demanda où j'allais. Lorsque je lui eus exposé le sujet de ma course, il me demanda la toile, et me la rendit avec l'empreinte de sa face vénérable. Si donc votre maître regarde avec dévotion les traits de cette image, à l'instant il aura l'avantage de recouvrer la santé.» Volusien lui répartit: «Peut-on se procurer ce portrait à prix d'or ou à prix d'argent?» «Non, répondit-elle, mais seulement au prix d'une ardente dévotion. Je partirai avec vous: je montrerai ce portrait à César pour qu'il le voie et je reviendrai.» Volusienrevint alors à Rome avec Véronique et dit à l'empereur Tibère : «Jésus, que vous aviez grand désir de voir, a été livré à la mort par Pilate et par les Juifs qui l'ont attaché à une croix par jalousie. Or, est venue avec moi une dame qui porte l'image de ce même Jésus; si vous regardez ce portrait avec dévotion, vous obtiendrez,à l'instant votre guérison et la santé.» Alors César fit étendre des tapis de soie sur le chemin et commanda qu'on lui présentât le portrait: il ne veut pas plutôt regardé qu'il recouvra sa santé première. Ponce Pilate fut donc pris par l'ordre de César et conduit à Rome. L'empereur apprenant que Pilate était arrivé, le fit venir par devant lui et il était furieusement irrité à son encontre. Mais Pilate apporta avec lui la tunique sans couture de Notre-Seigneur, qu'il revêtit au moment de paraître devant l'empereur. Tout aussitôt que l'empereur l'eut vu, il fut entièrement dépouillé de sa colère et se leva à l'instant, sans oser lui (406) adresser le moindre reproche; et lui, qui en l'absence de Pilate, était si cruel et si terrible, devint extraordinairement doux quand celui-ci fut en sa présence. Après l'avoir congédié, il fut aussitôt enflammé d'une terrible manière contre Pilate, s'accusant d'être un misérable de ne pas lui avoir découvert toute la fureur de son coeur, et tout de suite il le fit rappeler, jurant et protestant que Pilate était digne de mort, et qu'il ne méritait pas de vivre sur terre. Mais dès qu'il le vit, à l'instant il le salua et toute la fureur de son âme avait disparu. On est dans l'admiration partout; l'empereur lui-même s'étonne de ce que quand Pilate est absent, il est outré de colère, et que, quand il est devant lui, il ne peut lui dire rien de désagréable. Enfin par inspiration divine, ou bien peut-être, par le conseil de quelque chrétien, il le fait dépouiller de cette tunique et à l'instant il reprend contre lui sa première férocité d'âme: ce qui émerveilla de plus en plus l'empereur, mais on lui dit que cette tunique avait appartenu au Seigneur Jésus. Alors l'empereur fit renfermer Pilate dans une prison, jusqu'à ce qu'il eût délibéré sur son sort d'après le conseil des sages. On porta contre Pilate une sentence qui le condamnait à la mort la plus honteuse. A cette nouvelle, Pilate se perça avec son couteau et ce fut ainsi qu'il mourut. César informé de la mort de. Pilate: «Vraiment, dit-il, il est mort de la façon la plus honteuse, puisqu'il a choisi lui-même sa main pour se punir.» On attache donc son corps à une meule énorme et il est noyé dans le Tibre: mais les esprits malins et sordides se réjouirent d'avoir en leur puissance le corps malin et (407) sordide de ce sordide, et le saisissant tantôt dans l'eau, tantôt dans l'air ils produisaient des inondations étranges, causaient foudres, tempêtes, tonnerres, grêles terribles dans les airs, au point que tout le monde était sous l'influence d'une crainte horrible. C'est pourquoi les Romains le retirèrent du Tibre et par dérision ils le portèrent à Vienne où ils le jetèrent au fond du Rhône. Or,Vienne a pour étymologie voie de la géhenne, parce que c'était autrefois un lieu de malédiction: elle serait mieux nommée Bienne par ce qu'on dit qu'elle fut bâtie dans l'espace de deux ans (bisannus). Mais là encore il y eut des esprits qui opérèrent les mêmes prodiges: les habitants ne pouvant supporter d'être si grandement vexés par les démons, portèrent loin d'eux ce vase de malédiction et J'envoyèrent ensevelir au territoire de la ville de Lausanne. Les citoyens de ce pays, tourmentés à l'excès par les vexations qui s'étaient produites ailleurs, l'ôtèrent du territoire et le plongèrent dans un puits tâché au fond des montagnes, où, d'après certaines relations, des machinations diaboliques paraissent fomenter. Ce qui est rapporté jusqu'ici est tiré d'une histoire apocryphe. On laisse au lecteur à juger de la valeur de ce récit. Notez pourtant que l'Histoire scholastique rapporte que Pilate fut accusé, par-devant Tibère, par les juifs, du massacre affreux des Innocents; de placer, malgré les réclamations des juifs, les images des gentils dans le Temple; d'employer à son usage l'argent du trésor de Corban avec lequel il avait fait construire un aqueduc pour sa maison, et que, pour tons ces méfaits, il fut déporté en exil à Lyon, d'où il était (408) originaire, afin qu'il y mourût au milieu des opprobres de sa race. Cela peut être, si cependant l'Histoire scholastique dit vrai, car d'abord il y avait déjà eu un édit par lequel il devait être déporté à Lyon en exil, et ce fut avant le retour de Volusien qu'il fut envoyé à César et qu'il fut déporté à Lyon. Mais dans la suite Tibère apprenant de quelle manière il avait fait mourir le Christ, le rappela de l'exil et l'amena à Rome. Eusèbe et Bède en leurs chroniques ne disent pas qu'il fut relégué en exil, mais seulement qu'après avoir éprouvé malheurs sur malheurs, il se tua de sa propre main.
La légende dorée - SAINT PATRICE *