La légende dorée - SAINT PAUL, APÔTRE.

LES SEPT FRÈRES QUI FURENT LES FILS DE SAINTE FÉLICITÉ

Les sept frères étaient fils de sainte Félicité; leurs noms sont: Janvier, Félix, Philippe, Silvain, Alexandre, Vital et Martial. D'après l'ordre de l'empereur Antonin, ils furent amenés tous avec leur mère auprès du préfet Publius qui les avait mandés devant lui, et qui exhorta la mère à avoir pitié d'elle et de ses enfants: Elle dit: « Je ne me laisserai ni gagner par tes caresses, ni effrayer par tes menaces. Ma confiance repose dans l'Esprit-Saint que je possède ; vivante, je triompherai de toi, mais morte, ma victoire sera encore plus grande.» Et se tournant vers ses enfants, elle dit: «Mes enfants, levez la tête et (223) regardez le ciel, mes très chers, car c'est là que J.-C. nous attend. Combattez «avec courage pour J.-C., et persistez dans son amour.» Quand le préfet eut entendu cela, il lui fit donner des soufflets. Et comme la mère et ses fils paraissaient très constants dans la foi, tous furent tués dans divers supplices sous les yeux de leur mère qui les encourageait. Cette sainte Félicité est appelée par saint Grégoire plus que martyre, parce qu'elle fut martyrisée sept fois dans ses enfants et la huitième fois dans son propre corps. Le même saint parle ainsi dans ses homélies: «Sainte Félicité qui, par sa foi, fut la servante de J.-C., devint aussi martyre du même J.-C. par, sa prédication. Elle craignait de laisser vivre, après elle, les sept enfants qu'elle avait, autant que les parents charnels ont coutume de craindre de leur survivre. Elle enfanta dans l'esprit ceux qu'elle avait enfantés dans la chair, afin de donner à Dieu par ses paroles ceux qu'elle avait donnés au monde par la chair. Ces enfants qu'elle savait être son sang, elle ne pouvait les voir mourir sans douleur, mais elle avait dans le coeur un amour si fort , qu'elle put surmonter la douleur corporelle. Aussi ai-je bien raison d'appeler cette femme plus qu'une martyre, car elle mourut autant de fois et avec tant de douleur qu'elle avait de fils. Après avoir mérité tous ces martyres, elle obtint pour elle aussi la palme victorieuse des martyrs; car ce n'était pas assez pour l'amour qu'elle portait à J.-C. que de mourir une seule fois.» - Ils souffrirent vers l'an du Seigneur 110.





SAINTE THÉODORE *

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L'interprétation de SaincteThéodore. - Théodore est dicte atheos, c'est-à-dire Dieu. Et de oraison, et ce vault autant adire comme oraison a Dieu. Car elle oura et depria tant Dieu que 1e pechie quelle avoitfait lui fust pardonne.


Théodore était une femme mariée et de noble extraction. Du temps de l'empereur Zénon, elle habitait Alexandrie avec son époux, homme riche et craignant Dieu. Or, le démon, jaloux de la sainteté de Théodore, enflamma un riche de concupiscence pour elle. Il la fatiguait de messages répétés et de présents afin de la faire consentir à sa passion; mais elle renvoyait ses messagers avec dédain et méprisait ses présents. Il la tourmentait au point de ne lui laisser aucun instant de repos et peu s'en fallut qu'elle en perdît la vie. Enfin il lui adressa une magicienne, qui l'exhortait beaucoup à avoir pitié de cet homme et à se rendre à ses désirs. Or, comme Théodore répondait que jamais elle ne commettrait un péché si énorme sous les yeux de Dieu qui voit tout, la magicienne ajouta: «Tout ce qu'on fait de jour, Dieu le sait certainement et le voit, mais tout ce qui se passe sur le soir et après le soleil couché, Dieu ne le voit pas du tout.» Et la jeune femme dit à la magicienne

«Est-ce que tu dis la vérité?» «Oui, répondit-elle,

* Il y avait une église du nom de cette sainte, Paris, rue des Postes. Sa vie est tirée de Métaphraste. Surius et Lepomanus la rapportent.

je dis la vérité.» Théodore, trompée par les paroles de cette femme, lui dit de faire venir l'homme chez elle vers le soir et qu'elle accomplirait sa volonté. La magicienne ayant rapporté cela, cet homme entra dans des transports de joie; il vint chez Théodore à l'heure qu'elle avait indiquée, commit un crime avec elle et se retira. Mais Théodore rentrant en soi-même versait des larmes très amères, et se frappait la figure en disant: «Ah! malheur à moi! j'ai perdu mon âme; j'ai détruit ce qui me rendait belle.» Son mari, revenu à la maison, voyant sa femme dans la désolation et dans les pleurs, sans en connaître la cause, s'efforçait de la consoler: mais elle ne voulait accepter aucune consolation. Le matin étant venu, elle alla à un monastère de religieuses et demanda à, l'abbesse si Dieu pouvait avoir connaissance d'un crime grave qu'elle avait commis à la chute du jour. L'abbesse lui répondit: « Rien ne peut être caché à Dieu qui sait et voit tout ce qui se passe, à telle heure que ce soit.» Théodore pleura amèrement et dit: «Donnez-moi le livre du saint Evangile, afin que moi-même je tire mon sort.» Et en ouvrant le livres elle trouva ces mots: «Quod scripsi, scripsi, ce que j'ai écrit, je l'ai écrit.» Elle revint à sa maison et un jours pendant que son mari était absent, elle se coupa la. chevelure, prit les habits de son mari et alla en toute hâte à un monastère de moines éloigné de huit milles, elle demanda à être reçue dans la communauté et l'obtint. Quand on lui demanda son nom, elle répondit qu'elle s'appelait Théodore. Elle s'acquittait en toute humilité de ce qu'on lui donnait à faire, et son (226) service était agréable à tout le monde. Or, quelques années après, l'abbé appela frère Théodore, et lui commanda d'atteler les boeufs et d'aller chercher de l'huile à la ville. Quant à son mari, il pleurait beaucoup dans la crainte que sa femme ne fût partie avec un autre homme. Et voici que l'ange du Seigneur lui dit: «Lève-toi dès le matin; reste dans la rue du martyre de saint Pierre, apôtre, et celle qui viendra au-devant de toi, ce sera ton épouse.» Après quoi, Théodore vint avec des chameaux; elle vit et reconnut alors son mari et se dit en elle-même. «Hélas mon bon mari, que de peines je me donne pour être délivrée du péché que j'ai commis contre toi!» Et quand elle se fut approchée, elle le salua en disant : « Joie à mon seigneur.» Or, il ne la reconnut point, mais après avoir attendu très longtemps et s'être dit qu'il avait été trompé, une voix se fit entendre qui lui dit: «Celui qui t'a salué hier matin, était ton épouse.»

La bienheureuse Théodore était d'une telle sainteté qu'elle opérait beaucoup de miracles: car elle arracha un homme de la gueule d'une bête féroce qui l'avait lacéré, et le ressuscita par ses prières. Elle poursuivit elle-même l'animal, le maudit: et il tomba mort aussitôt. Mais le diable qui ne voulait point supporter sa sainteté lui apparut: «Prostituée plus qu'aucune autre, lui dit-il, adultère, tuas quitté ton mari pour venir ici et me mépriser; par toutes mes terribles puissances, je te livrerai des combats, et si je ne te fais renier le crucifié, tu pourras dire que ce n'est pas moi qui t'attaque.» Mais elle fit le signe de la croix (227) sur elle et à l'instant le démon disparut. Une autre fois, elle revenait de la ville avec des chameaux; ayant reçu l'hospitalité dans un endroit, une jeune fille vint la trouver la nuit et lui dit: «Dors avec moi.» Théodore l'ayant repoussée avec dédain, cette fille en alla trouver un autre qui était couché au même lieu. Or, quand elle se vit enceinte, on lui demanda de qui elle avait conçu, elle dit: «C'est le moine Théodore qui a dormi avec moi.» L'enfant étant né, on le. porta à l'abbé du monastère. Celui-ci, après avoir tancé Théodore qui réclamait son indulgence, lui mit l'enfant sur les épaules et la chassa du monastère. Or, elle resta pendant sept ans hors du cloître, et elle nourrit l'enfant du lait dés troupeaux. Le diable, jaloux d'une si grande patience, se présenta devant elle sous les trais de son mari: «Que faites-vous ici, madame? lui dit-il. Voici que je languis pour vous, et ne puis trouver aucune consolation; venez donc, ma lumière; quand vous auriez fait le mal avec un autre homme, je vous le pardonne.» Mais celle-ci, persuadée que, c'était son mari, lui répondit: «Je ne demeurerai plus désormais avec vous parce que le, fils de Jean le soldat a couché avec moi, et je veux faire pénitence de la faute que j'ai commise envers vous.» Puis elle se mit en prières et aussitôt la vision disparut: elle reconnut alors que c'était le démon. Une autrefois encore le diable voulut l'effrayer; car les démons se présentèrent à elle sous la forme de bêtes terribles et il y avait un homme qui les excitait en disant: «Mangez cette prostituée. » Mais elle pria et les bêtes disparurent. Une autre fois, c'était une troupe de (228) soldats qui venaient conduits par un prince que les autres adoraient, et les soldats dirent à Théodore: «Lève-toi et adore notre prince.» Elle répondit: «J'adore le Seigneur Dieu.» Lorsqu'on eut rapporté cela au prince, il la fit amener et battre jusqu'à la croire morte; après quoi toute la foule s'évanouit. Une autre fois encore, elle vit auprès d'elle une quantité d'or; mais elle prit la fuite en se signant et se recommandant à Dieu.- Un jour, elle vit un homme qui portait une corbeille pleine de 'toutes sortes de mets et cet homme lui dit: «Le prince qui t'a frappé  m'a chargé de te dire: Prends et mange, car il t'a maltraité par ignorance.» Alors elle se signa et tout disparut. Après sept ans révolus, l'abbé, en considération de sa patience, la réconcilia et la fit entrer dans le monastère avec son enfant. Quand elle y eut passé deux ans, de manière à ne mériter que des éloges, elle prit l'enfant et s'enferma avec lui dans sa cellule. L'abbé, qui en fut informé, envoya quelques moines écouter avec la plus grande attention ce qu'elle pouvait dire avec cet enfant. Or, elle le serra dans ses bras et le baisa en disant: «Mon fils bien-aimé, le temps de ma vie s'est écoulé, je te laisse à Dieu; qu'il soit ton père et ton soutien, fils chéri; vis dans la pratique du jeûne et de la prière, et sers tes frères avec dévouement.» En disant ces mots; elle rendit l'esprit et s'endormit heureusement dans le Seigneur vers l'an de J.-C. 470. À cette vue, l'enfant se mit à verser d'abondantes larmes. Or, cette nuit-là même, l'abbé du monastère eut la vision suivante: On faisait des préparatifs pour des noces magnifiques auxquelles se rendaient les ordres (229) des anges, des prophètes, des martyrs et de tous les saints: au milieu d'eux, une femme marchait seule, environnée d'une gloire ineffable: arrivée au lieu- du festin, elle s'assit sur un lit et tous les assistants étaient pleins d'attention pour elle, quand se fit entendre une voix qui disait: «Celui-ci est le père Théodore qui a été accusé faussement d'avoir eu un enfant. Sept ans se sont, écoulés depuis cette époque; et elle a été châtiée pour avoir souillé le lit de son mari.» L'abbé, à son réveil, se hâta d'aller avec les frères à la cellule de Théodore qu'il trouva déjà morte. Après être entrés, ils la découvrirent et trouvèrent que c'était une femme. Aussitôt l'abbé envoya chercher le père de la fille qui avait sali la réputation de Théodore et il lui dit: «L'homme de ta fille est mort»; et en ôtant les vêtements, le père reconnut que c'était une femme.

Quand on apprit cela, il y eut une grande et générale frayeur; alors l'ange du Seigneur parla ainsi à l'abbé:      «Lève-toi vite, prends un cheval et cours à la ville, et celui que tu rencontreras prends-le et le ramène avec toi.» Il était sur le chemin, quand un homme accourut au-devant de lui: L'abbé lui ayant demandé où il allait, cet homme lui dit: « Ma femme est morte et je vais la voir.» Et l'abbé fit monter à cheval avec lui le mari de Théodore; quand ils furent arrivés, ils pleurèrent beaucoup et ils l'ensevelirent avec de grands honneurs. Alors le mari de Théodore prit la cellule de sa femme, où il resta jusqu'au moment qu'il s'endormit dans le Seigneur. L'enfant de Théodore suivit les avis de sa nourrice et se fit remarquer (230) par une entière honnêteté de moeurs, de sorte qu'à la mort de l'abbé, il fut élu à l'unanimité pour le remplacer.





SAINT ALEXIS *

Alexis vient de a, qui veut dire beaucoup, et lexis, qui signifie sermon. De là Alexis, qui est très fort sur la parole de Dieu.

Alexis fut le fils d'Euphémien, homme d'une haute noblesse à Rome, et le premier à la cour de l'empereur: il avait pour serviteurs trois mille jeunes esclaves revêtus de ceintures d'or et d'habits de soie. Or, le préfet Euphémien était rempli de miséricorde, et tous les jours, dans sa maison, on dressait trois tables pour les pauvres, les orphelins, les veuves et les pèlerins qu'il servait avec empressement; et à l'heure de none, il prenait lui-même son repas dans la crainte du Seigneur avec des personnages religieux. Sa femme nommée Aglaë avait la même dévotion et les mêmes goûts. Or, comme ils n'avaient point d'enfant, à leurs prières Dieu accorda un fils, après la naissance duquel ils prirent la ferme résolution de vivre désormais dans la chasteté. L'enfant fut instruit dans les sciences libérales, et après avoir brillé dans tous les arts de la philosophie, et avoir atteint l'âge de puberté, on lui choisit une épouse de la maison de; l'empereur et on le maria. Arriva l'heure de la nuit où il alla avec son


* Sigebert de Gemblours, Chron, an., 405.

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épouse dans la chambre nuptiale: alors le saint jeune homme commença par instruire cette jeune personne de la crainte de Dieu, et à la porter à conserver la pudeur de la virginité. Ensuite il lui donna son anneau d'or et le bout de la ceinture qu'il portait en lui disant de les conserver: «Reçois ceci, et conserve-le tant qu'il plaira à Dieu, et que le Seigneur soit entre nous.» Après quoi il prit de ses biens, alla. à la mer et s'embarqua à la dérobée sur un vaisseau qui faisait voile pour Laodicée, d'où il partit pour Edesse, ville de Syrie, dans laquelle on conservait un portrait de Notre-Seigneur J.-C. peint sur .un linge sans que l'homme y ait mis la main. Quand il y fut arrivé, il distribua aux pauvres tout ce qu'il avait apporté avec soi, puis se revêtant de mauvais habits, il commença par se joindre aux autres pauvres qui restaient sous le porche de l'église de la Vierge Marie. Il gardait des aumônes ce qui pouvait lui suffire; le reste, il le donnait aux pauvres. Cependant, son père; inconsolable de la disparition de son fils, envoya ses serviteurs par tous pays, afin de le chercher avec soin. Quelques-uns vinrent à Edesse et Alexis les reconnut; mais eux ne le reconnurent point, et même ils lui donnèrent l'aumône comme aux autres pauvres. En l'acceptant, il rendit grâces à Dieu en disant «Je vous rends grâces, dit-il, Seigneur, de ce que vous  m'avez fait recevoir l'aumône de mes serviteurs.» A leur retour, ils annoncèrent au père qu'on n'avait pu le trouver en aucun lieu. Quant à sa mère, à partir du Jour de son départ, elle étendit un sac sur le pavé de sa chambre, où au milieu de ses veilles, elle poussait ces cris (232) lamentables: «Toujours je demeurerai ici dans le deuil, jusqu'à ce que j'aie retrouvé mon fils.» Pour son épouse, elle dit à sa belle-mère: «Jusqu'à ce que j'entende parler de mon très cher époux, semblable à une tourterelle; je resterai dans la solitude avec vous.» Or, la dix-septième année qu'Alexis demeurait dans le. service de Dieu sous le porche dont il a été question plus haut, une image de la Sainte Vierge qui se trouvait là, dit enfin au custode de l'église: «Fais entrer l'homme de Dieu, parce qu'il est digne du royaume du ciel et l'Esprit divin repose sur lui: sa prière s'élève comme l'encens en la présence de Dieu.» Et comme le custode ne savait de qui la Vierge parlait, elle ajouta: «C'est celui qui est assis dehors sous le porche.» Alors le custode se hâta de sortir et fit entrer Alexis dans l'église. Ce fait étant venu à la connaissance du public, on se mit à lui donner dés marques de vénération; mais Alexis, fuyant la vaine gloire, quitta Edesse et vint à Laodicée, où il s'embarqua dans l'intention d'aller à Tharse de Cilicie; cependant Dieu en disposa autrement, car le navire, poussé par le vent, aborda au port de Rome. Quand Alexis eut vu cela, il se dit en lui-même: «Je resterai inconnu dans la maison de mon père et je ne serai à charge à aucun autre.» Il rencontra son père qui revenait du palais entouré d'une multitude de gens obséquieux, et il se mit à lui crier: «Serviteur de Dieu, je suis un pèlerin, fais-,moi recevoir dans ta maison, et laisse-moi me nourrir des miettes de ta table, afin que le Seigneur daigne avoir pitié de toi, à ton tour, qui es pèlerin aussi.» En entendant ces mots, le père, par amour (233) pour son fils, l'introduisit chez lui; il lui donna un lieu particulier dans sa maison, lui envoya de la nourriture de sa table; en chargeant quelqu'un d'avoir soin de lui. Alexis persévérait dans la prière, macérait son corps par les jeûnes et par les veilles. Les serviteurs de la maison se moquaient de lui à tout instant; souvent ils lui jetaient sur la tête l'eau qui avait servi, et l'accablaient d'injures: mais il supportait tout avec une grande patience. Il demeura donc inconnu de la sorte pendant dix-sept ans dans la maison de son père.

Ayant vu en esprit que le terme de sa vie était proche, il demanda du papier, et de l'encre; et il écrivit le récit de toute sa vie. Un jour de dimanche, après la messe solennelle, une voix se fit entendre dans le sanctuaire en disant: «Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes fatigués et je vous soulagerai.», Quand on entendit cela, on fut effrayé; tout le monde e jeta la face contre terre, quand pour la seconde fois, la voix se fit entendre et dit: «Cherchez l'homme de Dieu afin qu'il prie pour Rome.» Les recherches n'ayant abouti à rien, la voix dit de nouveau: «C'est dans la maison d'Euphémienque vous devez chercher.» On s'informa auprès de lui, et il dit qu'il ne savait pas de qui on voulait parler. Alors les empereurs Arcadius et Honorius vinrent avec le pape Innocent à la maison d'Euphémien: et voilà que celui qui était chargé d'Alexis vint trouver son maître et lui dire: «Voyez, Seigneur, si ce ne serait pas notre pèlerin; car vraiment c'est un homme d'une grande patience.» Euphémien courut aussitôt, mais il le trouva (234) mort: il vit sa figure toute resplendissante comme celle d'un ange: ensuite il voulut prendre le papier qu'il avait dans la main, mais il ne put l'ôter. En sortant il raconta ces détails aux empereurs et aux pontifes qui, étant entrés dans le lieu où gisait le pèlerin, dirent: «Quoique pécheurs, nous avons cependant le gouvernement du royaume; et l'un de nous a la charge du gouvernement pastoral de l'Eglise universelle, donne-nous donc ce papier:afin que nous sachions ce qui y est écrit:» Le pape s'approchant prit le papier, que le défunt laissa aussitôt échapper, et il le fit lire devant tout le peuple, en présence du père lui-même. Alors Euphémien, qui entendait cela, fut saisi d'une violente douleur; il perdit connaissance et tomba pâmé sur la terre. Revenu un peu à lui, il déchira ses vêtements, s'arracha les cheveux blanchis, se tira la barbe, et se déchira lui-même de ses propres mains, puis se jetant sur le corps de son fils, il criait: «Malheureux que je suis! pourquoi, mon fils, pourquoi  m'as-tu contristé de la sorte? pourquoi pendant tant d'années m'as-tu plongé dans la douleur et les gémissements? Ah! que je suis malheureux de te voir, toi, le bâton de ma vieillesse, étendu sur un grabat! tu ne parles pas: ah! misérable que je suis! quelle consolation pourrai-je jamais goûter maintenant?» Sa mère en entendant cela, semblable à une lionne qui a brisé le piège où elle était prise, s'arrache les vêtements, se rue échevelée, lève les yeux au ciel, et comme la foule était si épaisse qu'elle ne pouvait arriver jusqu'au saint corps, elle criait: «Laissez-moi passer, que je voie mon fils, que (235) je voie la consolation de mon âme, celui qui a,sucé mes mamelles.» Arrivée au corps, elle se jeta sur, lui en criant: «Quel malheur pour moi! mon fils,, la lumière de mes yeux, qu'as-tu fait là? pourquoi avoir agi si cruellement envers nous? Tu voyais ton père et ta malheureuse mère en larmes, et tu ne te faisais pas connaître à nous! Tes esclaves t'injuriaient et tu le supportais!» Et à chaque instant elle se jetait sur le corps, tantôt étendant les bras sur lui, tantôt caressant de ses mains ce visage angélique, tantôt l'embrassant: «Pleurez tous avec moi, s'écriait-elle; puisque, pendant dix-sept ans, je l'ai eu dans ma maison et je n'ai pas su que ce fût mon fils. Et encore il y avait des esclaves qui l'insultaient et qui l'outrageaient en le souffletant! Suis-je malheureuse! qui donnera à mes yeux une fontaine de larmes pour pleurer nuit et jour celui qui est la douleur de mon âme?» La femme d'Alexis, vêtue d'habits de deuil, accourut baignée de larmes. «Quel malheur pour moi! quelle désolation! me voici veuve, je n'ai plus personne à regarder et sur lequel j'aie à lever les yeux. » Mon miroir est brisé, l'objet de mon espoir a péri. Aujourd'hui. commence pour moi une douleur qui n'aura point de fin.» Le peuple témoin de ce spectacle versait d'abondantes larmes. Alors le pontife et les empereurs avec lui placèrent le corps sur un riche brancard, et le conduisirent au milieu de la ville. On annonçait au peuple qu'on avait trouvé l'homme de Dieu que tous les citoyens recherchaient. Tout le monde courait au-devant du saint. Y avait-il un infirme? il touchait ce très saint corps, et aussitôt il était guéri; les aveugles (236) recouvraient la vue, les possédés du démon étaient délivrés; tous ceux qui étaient souffrants de n'importe quelle infirmité recevaient guérison. Les empereurs, à la vue de tous ces prodiges, voulurent porter eux-mêmes, avec le souverain pontife, le lit funèbre, pour être sanctifiés aussi par ce corps saint. Alors les empereurs firent jeter une grande quantité d'or et d'argent sur les places publiques, afin que la foule, attirée par l'appât de cette monnaie, laissât parvenir le corps du saint jusqu'à l'église. Mais la populace qui ne tint aucun compte de l'argent, se portait de plus en plus auprès du corps saint pour le toucher. Enfin ce fut après de grandes difficultés qu'on parvint à le conduire à l'église de saint Boniface, martyr; on l'y laissa sept jours qui furent consacrés à la prière. Pendant ce temps on éleva un tombeau avec de l'or et des pierres précieuses de toute nature, et on y plaça le saint corps avec grande vénération. Il en émanait une odeur si suave que tout le monde le pensait plein d'aromates. Or, saint Alexis mourut le 16 des calendes d'août, vers l'an 398.





SAINTE MARGUERITE

Marguerite est ainsi appelée d'une pierre précieuse blanche, petite et remplie de vertus. Ainsi sainte Marguerite fut blanche par virginité, petite par humilité, vertueuse par l'opération des miracles. On dit que cette pierre a la vertu d'arrêter le sang, de modérer les passions du coeur, et de conforter l'esprit. De même sainte Marguerite eut vertu contré l'effusion de son sang par constance, parce qu'elle posséda une grande constance dans son martyre; elle eut vertu contre les passions du coeur, c'est-à-dire, contre la tentation du démon qui fut vaincu par elle: elle eut vertu pour conforter son esprit, par la doctrine avec laquelle elle affermit le coeur de plusieurs et les convertit à la foi. Théotime *, homme érudit, a écrit sa légende.

Marguerite, citoyenne d'Antioche, fut fille de Théodose, alias Edesius, patriarche des gentils. Elle fut confiée à une nourrice; et quand elle eut atteint l'âge de raison, elle fut baptisée et c'est pour cela qu'elle était grandement haïe de son père. Parvenue à l'âge de quinze ans, elle gardait un jour, avec d'autres jeunes vierges, les brebis de sa nourrice, quand le préfet Olibrius, passant par là et voyant. une jeune. personne si belle, s'éprit d'amour pour elle et lui dépêcha ses esclaves en disant: «Allez et saisissez-vous d'elle: si elle est de condition libre, je la prendrai pour ma femme ; si elle est esclave, j'en ferai ma concubine.» Quand elle eut été amenée en sa présence, il s'informa de sa famille, de son nom et de sa religion. Or, elle répondit qu'elle était noble de naissance, Marguerite. de nom, et chrétienne de religion. Le préfet lui dit: «Les deux premières qualités te conviennent fort bien, savoir: que tu sois noble, et que tu sois réellement une très belle marguerite; mais la troisième ne te convient; pas, savoir: qu'une jeune personne si belle et si noble ait pour Dieu un crucifié.» «D'où, sais-tu, répondit
* Ce Théotime aurait été, dit-on, témoin oculaire des faits rapportés ici. Un bréviaire espagnol les raconte aussi sous le nom de sainte Marine qui serait la même. que sainte Marguerite (Cf. Bivar sur Dexter).

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Marguerite, que le Christ a été crucifié?» Olibrius reprit: «Je l'ai appris des livres des chrétiens.» Marguerite lui dit: «Puisque tu as lu le châtiment. et la gloire de J.-C., pourquoi rougirais-tu de. croire un point et de rejeter l'autre?» Et comme Marguerite avançait que J.-C. avait été crucifié de son plein gré. pour nous racheter, et qu'elle affirmait qu'il vivait maintenant dans l'éternité, ce préfet en colère la fit jeter en prison; mais le lendemain, il la fit appeler en sa présence et lui dit: «Jeune fille frivole, aie pitié de ta beauté, et adore nos Dieux pour que tu sois heureuse.» Elle répondit: «J'adore celui devant lequel la terré tremble, la mer s'agite, et toutes les créatures sont dans la crainte.» Le préfet lui dit: «Si tu ne  m'obéis, je ferai déchirer ton corps.» Marguerite répondit: «J.-C. s'est livré à la mort pour moi; eh bien ! je désire aussi mourir pour lui.» Alors le préfet la fit suspendre au chevalet; puis il la fit battre d'abord avec des verges, ensuite avec des peignes de fer, si cruellement, que ses os étaient dénudés, et que le sang ruisselait de son corps comme de la fontaine la plus limpide. Or, ceux qui étaient là pleuraient et disaient: «O Marguerite, vraiment nous avons compassion de toi, en voyant déchirer si cruellement ton corps. Quelle beauté tu as perdue à cause de ton incrédulité! cependant il en est temps encore, crois, et tu vivras.» Elle leur répondit : «O mauvais conseillers, retirez-vous, et vous en allez; ce tourment de la chair est le salut de l'âme», et elle dit au préfet : «Chien impudent et lion insatiable, tu as pouvoir sur le corps, mais J.-C. se réserve l'âme.» Or, le préfet se (239) couvrait la figure avec sa chlamyde, car il ne pouvait supporter la vue d'une telle effusion de sang. Il la fit ensuite détacher et ordonna de l'enfermer dans une prison, où une clarté merveilleuse se répandit. Pendant qu'elle était dans son cachot, elle pria le Seigneur de lui montrer, sous une forme visible, l'ennemi avec lequel elle avait à combattre; et voici qu'un dragon effroyable lui apparut; comme il s'élançait pour la dévorer, elle fit un signe de croix, et le monstre disparut: ou bien, d'après ce qu'on lit ailleurs, il lui mit sa gueule sur la tête et la langue sur le talon et l'avala à l'instant; mais pendant qu'il voulait l'absorber, elle se munit du signe de la croix; ce qui fit crever le dragon, et la vierge sortit saine et sauve. Mais ce qu'on rapporte du dragon qui la dévora et qui creva est regardé comme apocryphe et de peu de valeur.

Le diable vint encore pour tromper Marguerite, en prenant une forme humaine. A sa vue, elle se mit en prières, et après s'être levée, le diable s'approcha d'elle et lui prenant la main: «Tout ce que tu as fait, lui dit-il, est bien suffisant: ne t'occupes plus donc de ma personne.» Mais Marguerite le prit par la tête, le jeta par terre sous elle; et lui posant le pied droit sur le crâne, elle dit: «Sois écrasé, superbe démon, sous les pieds d'une femme.» Le démon criait: «O bienheureuse Marguerite, je suis vaincu! si un jeune homme l'avait emporté sur moi, je ne  m'en serais pas préoccupe; mais me voici vaincu par une jeune fille et j'en suis d'autant plus affligé que ton père et ta mère ont été mes amis.» Alors elle le força à dire pour quel motif il était venu. Il répondit qu'il était (240) venu pour lui conseiller d'obéir aux avis du président: Elle le força encore à dire pourquoi il employait tant de manières pour tenter les chrétiens. Il répondit qu'il avait naturellement de la haine contre les hommes vertueux, et bien qu'il en frit souvent repoussé; il était acharné à les séduire: et comme il était jaloux, à l'égard des hommes de la félicité qu'il avait perdue, sans pouvoir la recouvrer, il n'avait cependant pour but que de la ravir aux autres. Et il ajouta que Salomon renferma une multitude infinie de démons dans un vase, et qu'après sa mort ces esprits malins jetaient du feu de ce vase; les hommes, dans l'idée qu'un grand trésor y était renfermé, le brisèrent: et les démons qui en sortirent remplirent les airs. Quand il eut dit ces mots, la vierge leva le pied et lui dit: «Fuis, misérable», et aussitôt le démon disparut. Marguerite resta rassurée; car puisqu'elle avait vaincu le chef, elle aurait sans aucun doute le dessus sur le ministre. Le lendemain, le peuple étant rassemblé, elle fut amenée en la présence du juge, et comme elle refusait avec mépris de sacrifier, elle fut dépouillée, et son. corps fut brûlé avec des torches enflammées; de telle sorte que tout le monde s'étonnait qu'une fille si délicate pût supporter autant de tourments. Ensuite il la fit lier et jeter dans un bassin plein d'eau, afin que ce changement de supplice augmentât la violence de la douleur : mais à l'instant la terre trembla et la jeune fille en sortit saine, à la vue de tous. Alors cinq mille hommes crurent et furent condamnés à être décapités pour le nom de J.-C. Le préfet, dans la crainte que les autres ne se convertissent, fit de suite couper (241) la tête à sainte Marguerite. Elle demanda alors un instant pour prier: et elle pria pour elle-même, pour ses bourreaux, et encore pour ceux qui feraient mémoire d'elle et qui l'invoqueraient avec dévotion, ajoutant que toute femme en couches qui se recommanderait à elle enfanterait heureusement: et une voix se fit entendre du ciel qui dit qu'elle pouvait être certaine d'avoir été , exaucée dans ses demandes. Elle se leva ensuite et dit au bourreau: «Frère, prends ton épée et me frappe.» D'un seul coup il abattit la tête de Marguerite, qui reçut ainsi la couronne du martyre. Or, elle souffrit le 16 des calendes d'août; ainsi qu'on le trouve en son histoire. On lit ailleurs que ce fut le 3 des ides de juillet. Voici comment parle un saint de cette sainte vierge: «La bienheureuse Marguerite fut remplie de la crainte de Dieu, douée de justice, revêtue de religion, inondée de componction, recommandable, par son honneur, et d'une patience insigne; on ne trouvait en elle; rien de contraire à la religion chrétienne; haïe par son père elle était aimée de N.-S. J.-C.





SAINTE PRAXÈDE *

Praxèdeviendrait de prasin, vert, elle verdit et porta fleur de virginité.

Sainte Praxède, vierge, fut la soeur de sainte Pudentienne, de saint Donat et de saint,Timothée qui furent (213) instruits dans la foi par les apôtres. Au milieu de la fureur d'une persécution, ils ensevelirent les corps d'un grand nombre de chrétiens, et donnèrent leurs biens aux pauvres; enfin ils reposèrent en paix, vers l'an du Seigneur 165, sous Marc et Antoine le second.

* Bréviaire; - Martyrologes.





SAINTE MARIE-MAGDELEINE *

Marie signifie mer amère, ou illuminatrice, ou illuminée. Ces trois significations font comprendre les trois excellentes parts qu'elle a choisies, savoir: la part de la pénitence, de la contemplation intérieure et de la gloire céleste. C'est de ces trois parts que le Seigneur a dit: «Marie a choisi une excellente part qui ne lui sera pas enlevée.» La première part ne lui sera pas enlevée à cause de la fin qu'elle se proposait d'acquérir, la béatitude; ni la seconde à cause de la continuité, parce que la contemplation de la vie est continuée par la contemplation de la patrie: ni la troisième en raison de son éternité. En tant donc qu'elle a choisi l'excellente part de pénitence, elle est appelée mer amère, parce qu'elle y eut beaucoup d'amertumes: ce qui est clair par l'abondance des larmes qu'elle répandit et avec lesquelles elle lava les pieds du Seigneur. En tant qu'elle a choisi l'excellente part de la gloire céleste, elle reçoit le nom d'illuminatrice, parce qu'elle y a reçu avec avidité ce qu'elle a dans la suite rendu avec abondance: elle y a reçu la lumière avec laquelle elle a plus tard éclairé les autres. En tant qu'elle a choisi l'excellente part de la gloire céleste, elle est nommée illuminée, parce qu'elle est maintenant illuminée dans son esprit par la lumière de la parfaite connaissance, et que, dans son corps, elle sera illuminée de clarté. Madeleine veut dire restant coupable (manens rea) ou bien encore munie, invaincue, magnifique, qualités qui indiquent ce qu'elle fut avant, pendant, et après sa conversion.

* Raban, Maur, Bréviaires de: Provence.

Avant sa conversion en. effet, elle restait coupable et engagée a la damnation éternelle; pendant sa conversion, elle était munie et invaincue, parce qu'elle était armée de pénitence; elle se munit donc excellemment de toutes les armes de la pénitence; car autant elle a eu de délectation, autant elle en a fait l'objet de ses holocaustes. Après sa conversion elle fut magnifique par la surabondance de grâces, car où avait abondé le péché, là a surabondé la grâce *.

Marie, surnommée Magdeleine, du château de Magdalon, naquit des parents les plus illustres, puisqu'ils descendaient de la race royale. Son père se nommait Syrus et sa mère Eucharie. Marie possédait en commun avec Lazare, son frère et Marthe, sa sueur, le château de Magdalon, situé à deux milles de Génézareth, Béthanie qui est proche de Jérusalem, et une grande partie de Jérusalem. Ils se partagèrent cependant leurs biens de cette manière: Marie eut Magdalon d'où elle fut appelée Magdeleine, Lazare retint ce qui se trouvait à Jérusalem, et Marie posséda Béthanie. Mais comme Magdeleine recherchait out ce qui peut flatter les sens, et que Lazare avait son temps employé au service militaire, Marthe, qui était pleine de prudence, gouvernait avec soin les intérêts de sa sueur et ceux de son frère; en outre elle fournissait le nécessaire

* Pour la vie de sainte Marie-Magdeleine, consulter les Monuments de l'apostolat, par M. Faillon, prêtre de Saint-Sulpice. Celte publication extraordinaire confirme les faits de la légende, à l'exception du pèlerinage du prince à Rome et à Jérusalem avec saint Pierre. Toutefois, M. Faillon ne parait rejeter ce fait qu'en s'appuyant sur l'impossibilité où le prince aurait pu d'être reconnu par saint Pierre à la croix qu'il portait sur l'épaule. Ce qui ne paraît pas rigoureux.

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aux soldats, à ses serviteurs, et aux pauvres. Toutefois ils vendirent tous leurs biens après l'ascension,de J.-C. et en apportent le prix aux apôtres. Comme donc Magdeleine regorgeait de richesses et que la volupté est la compagne accoutumée de nombreuses possessions, plus elle brillait par ses richesses et sa beauté, plus elle salissait son corps par la volupté; aussi perdit-elle son nom propre pour ne plus porter que celui de pécheresse. Comme J.-C. prêchait çà et là, inspirée par la volonté divine, et ayant entendu ire que J.-C. dînait chez Simon le lépreux, Magdeleine y alla avec empressement, et n'osant pas, en sa qualité de pécheresse, se mêler avec les justes, elle resta aux pieds du Seigneur, qu'elle lava de ses larmes, essuya avec ses cheveux et parfuma d'une essence précieuse: car les habitants du pays, en raison de l'extrême chaleur du soleil, usaient de parfums et de bains. Comme Simon le pharisien pensait à part soi que si J.-C. était un prophète, il ne se laisserait pas toucher par une pécheresse, le Seigneur le reprit de son orgueilleuse justice et remit à cette femme tous ses péchés. C'est à cette Marie-Magdeleine que le Seigneur accorda tant de bienfaits et donna de si grandes marques d'affection. Il chassa d'elle sept démons, il l'embrasa entièrement d'amour pour lui; il en fit son amie de préférence; il était son hôte; c'était elle qui; dans ses courses, pourvoyait à ses besoins, et en toute occasion il prenait sa défense. Il la disculpa auprès dit pharisien qui la disait immonde, auprès de sa soeur qui la traitait de paresseuse, auprès de Judits qui l'appelait prodigue. En voyant ses larmes, (245) il ne put retenir les siennes. Par son amour, elle obtint que son frère, mort depuis trois jours, fût ressuscité; ce fut à son amitié que Marthe, sa soeur, dut d'être délivrée d'un flux de sang, dont elle était affligée depuis sept ans; à ses mérites Martille, servante, de sa soeur, dut d'avoir l'honneur de proférer ce mot si doux qu'elle dit en s'écriant: «Bienheureux le sein qui vous a porté.» D'après saint Ambroise, en effet, c'est de Marthe et de sa servante qu'il est question en cet endroit. C'est elle, dis-je, qui lava les pieds du Seigneur de ses larmes, qui les essuya avec ses cheveux, qui les parfuma d'essence, qui, le temps de la grâce arrivé, fit tout d'abord une pénitence exemplaire, qui choisit la meilleure part, qui se tenant assise aux, pieds du Seigneur écouta sa parole, et lui parfuma la tête, qui était auprès de la croix lors de la passion, qui prépara des aromates dans l'intention d'embaumer son corps, qui ne quitta pas le sépulcre quand les disciples se retirèrent; ce fut à elle la première que J.-C. apparut lors de sa résurrection, et if la fit l'apôtre des apôtres.

Après l'ascension du Seigneur, c'est-à-dire quatorze ans après la passion, les Juifs ayant massacré depuis longtemps déjà saint Étienne et ayant chassé les autres disciples de leur pays, ces derniers se retirèrent dans les régions habitées par les gentils, pour y semer la parole de Dieu. Il y avait pour lors avec les apôtres saint Maximin, l'un des 72 disciples, auquel Marie-Magdeleine avait été spécialement recommandée par saint Pierre. Au moment de cette dispersion, saint Maximin, Marie-Magdeleine, Lazare, son (246) frère, Marthe, sa soeur, et Manille, suivante de Marthe, et enfin le bienheureux Cédonius, l'aveugle-né guéri  par le Seigneur, furent mis par les infidèles sur un vaisseau tous ensemble avec plusieurs autres chrétiens encore; et abandonnés sur la mer sans aucun pilote afin qu'ils fussent engloutis en même temps. Dieu permit qu'ils abordassent à Marseille. N'ayant trouvé la personne qui voulût les recevoir, ils restaient sous le portique d'un temple élevé à la divinité du pays. Or, comme sainte Marie-Magdeleine voyait le peuple accourir pour sacrifier aux dieux, elle se leva avec un visage tranquille, le regard serein, et par des discours fort adroits, elle le détournait du culte des idoles et lui prêchait sans cesse J.-C. Tous étaient dans l'admiration pour ses manières fort distinguées, pour sa facilité à parler, et pour le charme de son éloquence. Ce n'était pas merveille si une bouche qui avait embrassé avec autant de piété et de tendresse les pieds du Sauveur, eût conservé mieux que les autres le parfum de la parole de Dieu.

Alors arriva un prince du pays avec son épouse qui venait sacrifier aux idoles pour obtenir un enfant. Magdeleine, en leur annonçant J.-C., les dissuada d'offrir des sacrifices. Quelques jours s'étant écoulés, Magdeleine, se montra dans une vision à cette dame et lui dit: «Pourquoi, vous qui vivez dans l'abondance, laissez-vous les saints. de Dieu mourir de faim et de froid?» Elle finit par la menacer que si elle ne persuadait pas à son mari de venir au secours de la misère des saints, elle encourrait la colère du Dieu tout puissant. Toutefois la princesse n'eut pas la force de (247) découvrir sa vision à son mari. La nuit suivante Magdeleine lui apparut et lui dit la même chose; mais cette femme négligea encore d'en faire part à son. époux. Une troisième fois, au milieu du silence de la nuit, Marie apparut à l'un et à l'autre; elle frémissait et le feu de sa colère jetait une lumière qui aurait fait croire que toute la maison était eu flammes. «Dors-tu, tyran, dit-elle? membre de Satan qui est ton père, tu reposes avec cette vipère, ta femme, qui n'a pas voulu te faire connaître ce que je lui ai dit

Te reposes-tu, ennemi de la croix de J.-C.? Quand ton estomac est rempli d'aliments de toutes sortes, tu laisses périr de faim et de soif les saints de Dieu. Tu es couché dans un palais; autour de toi ce ne sont que tentures de soie, et tu les vois désolés et sans asile, et tu passes outre. Non, cela ne finira pas de cette sorte: et ce ne sera pas impunément que tu auras différé de leur faire du bien.» Elle dit et se retira. - A son réveil la femme, haletante et effrayée, dit  à son mari troublé comme elle: «Mon seigneur, avez-vous eu le même songe que moi?» «Oui, répondit-il, et je ne puis  m'empêcher d'admirer et de craindre. Qu'avons-nous donc à faire?» «Il vaut mieux pour nous, reprit la femme, nous conformer à ce qu'elle dit, plutôt que d'encourir la colère de son Dieu dont elle nous menace.» Ils reçurent donc les saints chez eux, et leur fournirent le nécessaire.

Or, un jour que Marie-Magdeleineprêchait, le prince dont on vient de parler lui dit: «Penses-tu pouvoir justifier la foi que tu prêches?» « Oui, reprit-elle, je suis prête à la défendre; elle est confirmée par les (248) miracles quotidiens et la prédication de mon maître  saint Pierre, qui préside à Rome. Le prince et son épouse lui dirent: «Nous voilà disposés à obtempérer à tous tes dires, si tu nous obtiens un fils du Dieu que tu prêches.» «Alors, dit Magdeleine, ce ne sera pas moi qui serai un obstacles.» Et la bienheureuse pria pour eux le Seigneur qu'il leur daignât accorder un fils. Le Seigneur exauça ses prières et la dame conçut.. Alors son mari voulut partir pour aller trouver saint Pierre, afin de s'assurer si ce qu'avait annoncé Magdeleine touchant J.-C. était réellement la vérité. Sa femme lui dit: «Quoi! mon seigneur, pensez-vous partir sans moi? Point du tout; si vous partez, je partirai, si vous venez, je viendrai, si vous restez, je resterai.» Son mari lui dit: «Il n'en sera pas ainsi, ma dame; car vous êtes enceinte et sur la mer on court des dangers sans nombre; vous pourriez donc, facilement être exposée; vous resterez en repos à la maison et vous veillerez sur nos possessions.» Elle n'en persista pas moins, et obstinée comme l'est une personne de son sexe, elle se jeta avec larmes aux pieds de son mari qui obtempéra enfin à sa demande. Alors Marie mit le signe de la croix sur leurs épaules de crainte: que l'antique ennemi ne leur nuisit en route. Ils chargèrent un vaisseau de tout ce qui leur était nécessaire, et après avoir laissé le reste à la garde de Marie-Madgdeleine, ils partirent. Ils n'avaient voyagé qu'un jour et une nuit quand la mer commença à s'enfler, le vent à gronder, de sorte que tous les passagers et principalement la dame enceinte et débile, ballottés ainsi par les vagues, furent en proie

aux plus graves inquiétudes; les douleurs de l'enfantement saisirent la femme tout à coup, et au milieu de ses souffrances et de la violence de la tempête, elle mit un enfant au monde et expira. Or, le petit nouveau-né palpitait éprouvant. le besoin de se nourrir du lait de sa mère qu'il semblait chercher en poussant des vagissements pitoyables. Hélas! quelle douleur! En recevant la vie, cet enfant avait donné la mort à sa mère, il ne lui restait plus qu'à mourir lui-même puisqu'il n'y avait personne pour lui administrer la nourriture nécessaire à sa conservation. Que fera le pèlerin envoyant sa femme morte, et son, fils qui, par ses cris plaintifs, exprimait le désir de prendre le sein? Il se lamentait beaucoup en disant: «Hélas! malheureux! que feras-tu? Tu as souhaité un fils et tu as perdu la mère qui lui donnait la vie.» Les matelots criaient: «Qu'on jette ce corps à la mer, avant que nous ne soyons engloutis en même temps que lui, car tant qu'il sera avec nous, cette tempête ne cessera pas.» Et comme ils avaient pris le cadavre pour le jeter à la mer: «Un instant, dit le pèlerin, un instant: si vous ne voulez pas attendre ni pour la mère ni pour moi, ayez pitié au moins de ce petit enfant qui crie; attendez un instant, peut-être que la mère a seulement perdu connaissance dans sa douleur et qu'elle vit encore.» Et voici que non loin,du vaisseau apparut une colline; à cette vue, il pensa qu'il n'y avait rien de mieux à faire que d'y transporter le corps de la mère et l'enfant plutôt que de les jeter en pâture, aux bêtes marines. Ce fut par prières et par argent qu'il parvint à obtenir des matelots d'aborder. Et comme le rocher (250) était si dur qu'il ne- put creuser une fosse, il plaça le corps enveloppé d'un manteau dans un endroit des plus écartés de la montagne et déposant son fils contre son sein, il dit: «O Marie-Magdeleine; c'est pour mon plus grand malheur que tu as abordé à Marseille! Pourquoi, faut-il que j'aie eu le malheur d'entreprendre ce voyage d'après tes avis? As-tu demandé à Dieu que ma femme conçût afin qu'elle pérît? Car voici qu'elle a conçu et, en devenant mère, elle subit la mort; son fruit est né et il faut qu'il meure, puisqu'il n'y a personne pour le nourrir. Voici ce que j'ai obtenu par ta prière, je t'ai confié tous mes biens, je les confie à ton Dieu. Si tu as quelque pouvoir, souviens-toi de l'âme de la mère et à ta prière que ton Dieu ait pitié de l'enfant et ne le laisse pas périr.» Il enveloppa alors dans son manteau le corps de sa femme et de son fils et remonta sur le vaisseau.

Quand il fut arrivé chez saint Pierre, celui-ci vint à sa rencontre, et en voyant le signe de la croix attaché sur ses épaules il lui demanda qui il était et doit il venait. Le pèlerin lui raconta tout ce qui s'était passé. - Pierre lui dit: «La paix soit avec vous,. vous avez bien fait de venir et vous avez été bien inspiré de croire. Ne vous tourmentez pas si votre femme dort, et si son enfant repose avec elle; car le Seigneur a le pouvoir de donner à qui il veut, de reprendre ce qu'il a donné, de rendre ce qui a été enlevé, et de changer votre douleur en joie. »  Or, saint Pierre le conduisit lui-même à Jérusalem et lui montra chacun des endroits où J.-C. avait prêché, et avait fait des miracles, comme aussi le lieu où il avait souffert, et celui d'où (251) il était monté aux cieux. Après avoir été instruit avec soin dans la foi par saint Pierre, il remonta sur un vaisseau après deux ans révolus, dans l'intention. de regagner sa patrie. Dieu permet que„ dans le trajet, ils passassent auprès de la colline où avait été déposé le corps de sa femme avec le nouveau-né, et par prière et par argent il obtint d'y débarquer. Or, le petit enfant, qui avait été gardé sain et sauf par sainte Marie-Magdeleine, venait souvent sur le rivage, et comme tous les enfants, il avait coutume de se jouer avec des coquillages et dès cailloux. En abordant, le pèlerin vit donc un petit enfant qui s'amusait, comme on le fait à son âge, avec des pierres; il ne se lassait pas, d'admirer jusqu'à ce qu'il descendît de la nacelle. En l'apercevant, l'enfant, qui n'avait jamais vu de semblable chose, eut peur, courut comme il avait coutume de le faire au sein de sa mère sous le manteau de laquelle il se cacha. Or, le pèlerin; pour mieux s'assurer de ce qui se passait, s'approcha de cet endroit et y trouva un très bel enfant qui prenait le sein de sa mère. Il l'accueillit dans ses bras. «O bienheureuse Marie-Magdeleine, dit-il, quel bonheur pour moi ! comme tout me réussirait, si ma femme vivait et pouvait retourner avec moi dans notre patrie! Je sais, oui, je sais, et je crois sans aucun doute que vous qui m'avez donné un enfant et qui l'avez nourri sur rocher pendant deux ans, vous pourriez, par vos prières, rendre à sa mère la santé dont elle a joui auparavant.» A ces mots, la femme respira et dit comme si elle se réveillait: «Votre mérite est grand, bienheureuse Marie-Magdeleine, vous êtes glorieuse, vous qui, dans les (252) douleurs de l'enfantement, avez rempli pour moi l'office de sage-femme, et qui en toute circonstance m'avez rendu les bons soins d'une servante.» En entendant ces paroles, le pèlerin fut plein d'admiration. «Vivez-vous, dit-il, ma chère épouse?» «Oui, répondit-elle, je vis; je viens d'accomplir le pèlerinage que vous avez fait vous-même. C'est: saint Pierre qui vous a conduit à Jérusalem et qui vous a montré tous les lieux où J.-C. a souffert, est mort et a été enseveli, et beaucoup d'autres encore; moi, c'est avec sainte Marie-Magdeleine pour compagne et pour guide que j'ai vu chacun de ces lieux avec vous; j'en ai confié le souvenir à ma mémoire.» Alors elle énuméra tous les endroits où J.-C. a souffert, raconta les miracles qui avaient eu son mari pour témoin, sans la moindre hésitation. Le pèlerin joyeux prit la mère et l'enfant,s'embarqua et peu après ils abordèrent à Marseille, où, étant entrés, ils trouvèrent sainte Marie-Magdeleineannonçant la parole de Dieu avec ses disciples. Ils se jetèrent à ses pieds en pleurant, lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé, et reçurent le saint baptême des mains du bienheureux Maximin. Alors ils détruisirent dans Marseille tous les temples des idoles, et élevèrent des églises en l'honneur de J.-C., ensuite ils choisirent à l'unanimité le bienheureux Lazare pour évêque de la cité. Enfin conduits par l'inspiration de Dieu, ils vinrent à Aix dont ils convertirent la population à la foi de J.-C. en faisant beaucoup de miracles et où le bienheureux Maximin fut de son côté, ordonné évêque.

Cependant la bienheureuse Marie-Magdeleine, qui (253) aspirait ardemment se livrer à la contemplation dés choses supérieures, se retira dans un désert affreux où elle resta inconnue l'espace de trente ans, dans un endroit préparé par les mains des anges. Or, dans ce lieu, il n'y avait aucune ressource, ni cours d'eau, ni arbres, ni herbe, afin qu'il restât évident que notre Rédempteur avait disposé de la rassasier; non pas de nourritures terrestres, mais seulement des mets du ciel. Or, chaque jour, à l'instant des sept heures canoniales; elle était enlevée par les anges au ciel et elle y entendait, même des oreilles du corps, les concerts charmants des choeurs célestes. Il en résultait que, rassasiée chaque jour à cette table succulente, et ramenée par les mêmes anges aux lieux qu'elle habitait, elle n'éprouvait pas le moindre besoin d'user d'aliments corporels. Un prêtre, qui désirait mener une vie solitaire, plaça sa cellule dans un endroit voisin de douze stades de celle de Marie-Magdeleine. Un jour donc, le Seigneur ouvrit les yeux de ce prêtre qui putvoir clairement comment les anges descendaient dans le lieu où demeurait la bienheureuse Marie, la soulevaient dans les airs et la rapportaient une heure après dans le même lieu, en chantant les louanges du Seigneur. Alors le prêtre, voulant s'assurer de la réalité de cette vision; après s'être recommandé parla prière à son créateur, se dirigea avec dévotion et courage vers cet endroit . il n'en était éloigné que d'un jet e pierre, quand, ses jambes commencèrent à fléchir, une crainte violente le saisit et lui ôta la respiration: s'il revenait en. arrière, ses jambes et ses pieds reprenaient des forces pour marcher, mais s'il rebroussait chemin pour tenter de (254) s'approcher du lieu en question, autant de fois la lassitude s'emparait de son corps, et son esprit s'engourdissait. L'homme de Dieu comprit donc qu'il y avait là un secret du ciel auquel l'esprit humain ne pouvait atteindre. Après avoir invoqué le nom du Sauveur il s'écria: «Je t'adjure par le Seigneur, que si tu es . un homme ou. bien une créature raisonnable habitant cette, caverne, tu me répondes et tu me dises la vérité. «Et quand il eut répété, ces mots par trois fois, la  bienheureuseMarie-Magdeleine lui répondit: «Approchez plus près, et vous pourrez connaître la vérité de tout ce que votre âme désire.» Quand il se fut approché tout tremblant jusqu'au milieu de la voie à parcourir, elle lui dit: «Vous souvenez-vous qu'il est question, dans l'Évangile, de Marie, cette fameuse pécheresse, qui lava de ses larmes les pieds du Sauveur, et les essuya de ses cheveux, ensuite mérita le pardon de ses fautes?» Le prêtre lui répondit: «Je  m'en. souviens; et depuis plus de trente ans la sainte église croit et confesse ce fait.» - «C'est moi, dit-elle, qui suis cette femme. J'ai demeuré inconnue aux hommes l'espace de trente ans, et comme il vous a été accordé de le voir hier, chaque jour, je suis enlevée au ciel par les mains des anges, et j'ai eu le bonheur d'entendre des oreilles du corps les admirables concerts des choeurs célestes, sept fois par chaque jour. Or, puisqu'il  m'a été révélé par le Seigneur que je dois sortir de ce monde, allez trouver le bienheureux Maximin, et dites-lui que, le jour de Pâques prochain, à l'heure qu'il a coutume de se lever pour aller à matines, il entre seul dans son oratoire et qu'il  m'y (255) trouvera transportée par le ministère des anges.» Le prêtre entendait sa voix, comme on aurait dit de celle d'un ange, mais il ne voyait personne. Il se hâta donc d'aller trouver saint Maximin, et lui raconta tous ces détails. Saint Maximin, rempli d'une grande: joie, rendit alors au Sauveur d'immenses actions de grâce, et au jour et à l'heure qu'il lui avait été dit, en entrant dans son oratoire, il voit la bienheureuse Marie-Magdeleine debout dans le choeur, au milieu des anges qui l'avaient amenée. Elle était de deux coudées au-dessus de terre, debout au milieu des anges et priant Dieu, les mains étendues. Or, comme le bienheureux Maximin tremblait d'approcher auprès d'elle, Marie dit en se tournant vers lui: «Approchez plus près ; ne fuyez pas votre fille, mon père.» En s'approchant, selon qu'on le lit dans les livres de saint Maximin lui-même, il vit que le visage de la sainte rayonnait de telle sorte par les continuelles et longues communications avec les anges, que les rayons du soleil étaient moins éblouissants que sa face. Maximin convoqua tout le clergé et le prêtre dont il vient d'être parlé. Marie-Magdeleinereçut le corps et le sang du Seigneur des mains de l'évêque, avec une grande abondance de larmes. S'étant ensuite prosternée devant la base de l'autel, sa très sainte âme passa au Seigneur après qu'elle fut sortie de son corps, une odeur si suave se répandit dans le lieu même, que pendant près de sept jours, ceux qui entraient dans l'oratoire la ressentaient. Le bienheureux Maximin embauma le très saint corps avec différents aromates, l'ensevelit, et ordonna qu'on l'ensevelit lui-même auprès d'elle après sa mort.

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Hégésippe, ou bien Joseph, selon d'autres, est assez d'accord avec cette histoire. Il dit, en effet, dans son traité, que Marie-Magdeleine, après l'ascension du Seigneur, poussée par son amour envers J.-C. et par l'ennui qu'elle en avait, ne voulait plus jamais voir face d'homme; mais  que dans la suite elle vint au territoire d'Aix, s'en alla dans un désert où elle resta: inconnue l'espace de trente ans, et, d'après son récit chaque jour, elle était transportée dans le ciel pour les sept heures canoniales. Il ajoute cependant qu'un prêtre, étant venu chez elle, la trouva enfermée dans sa cellule. Il lui donna un vêtement sur la demande qu'elle lui en fit. Elle s'en revêtit, alla avec le prêtre à l'église où après avoir reçu la communion, elle éleva, les mains pour prier et mourut en paix vis-à-vis l'autel. - Du temps de Charlemagne, c'est-à-dire, l'an du Seigneur 769, Gyrard, duc de Bourgogne, ne pouvant avoir de fils de son épouse, faisait de grandes largesses aux pauvres, et construisait beaucoup d'églises et de monastères. Ayant donc fait bâtir l'abbaye de Vézelay, il envoya, de concert avec l'abbé de ce monastère, un moine avec une suite convenable, à la ville d'Aix, pour en rapporter, s'il était possible, les reliques de sainte Marie-Madeleine. Ce moine arrivé à Aix trouva la ville ruinée de fond en comble par les païens; le hasard, lui fit découvrir un sépulcre dont les sculptures en marbre lui prouvèrent que le corps de sainte Marie-Magdeleine était renfermé dans l'intérieur; en effet l'histoire de la sainte était sculptée avec un art merveilleux sur le tombeau. Une nuit donc le moine le brisa, prit les reliques et les emporta (257) à son hôtel. Or, cette nuit-là même, la bienheureuse Marie-Magdeleine apparut à ce moine et lui dit de n'avoir aucune crainte mais d'achever l'oeuvre qu'il avait entreprise.

A son retour, il était éloigné d'une demi-lieue de son monastère, quand il devint absolument impossible de remuer les reliques, jusqu'à l'arrivée de l'abbé avec les moines qui les reçurent en procession avec grand honneur. Un soldat qui avait l'habitude de venir chaque année en pèlerinage au corps de la bienheureuse Marie-Magdeleine, fut tué dans aine bataille. On l'avait mis dans le cercueil et ses parents en pleurs se plaignaient avec confiance à sainte Magdeleine de ce qu'elle avait laissé mourir, sans qu'il eût eu le temps de se confesser et de faire pénitence, un homme qui lui avait été si dévot. Tout à coup, à la stupéfaction générale,  celui qui était mort ressuscita, demanda un prêtre, et après s'être dévotement confessé et avoir reçu le viatique, il mourut en paix aussitôt. - Un navire sur lequel se trouvaient beaucoup d'hommes et de femmes fit naufrage. Mais une femme enceinte, se voyant en danger de périr dans la mer, invoquait, autant qu'il était en son pouvoir, sainte Magdeleine, et faisait voeu que si, grâce à ses mérites elle échappait au naufrage et mettait un fils au monde, elle le dédierait à son monastère. A l'instant, une femme d'un aspect et d'un port vénérable lui apparut,  la prit par le menton, et la conduisit saine et sauveur le rivage; quand tous les autres périssaient *. Peu de temps après, elle mit au

* Vincent de B., Hist., l. XXIV, c. XXXV.

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monde un fils, et accomplit fidèlement son voeu. - Il y en a qui disent que Marie-Magdeleine était fiancée à saint Jean l'évangéliste, et qu'il allait l'épouser quand J.-C. l'appela au moment de ses noces. Indignée de ce que le Seigneur lui avait enlevé son fiancé, Magdeleine s'en alla et se livra tout à fait à la volupté. Mais parce qu'il n'était pas convenable que la vocation de Jean fût pour Magdeleine une occasion de se damner, le Seigneur, dans sa miséricorde, la. convertit à la pénitence; et en l'arrachant aux plaisirs des sens, il la combla des joies spirituelles qui se trouvent dans l'amour de Dieu. Quelques-uns prétendent que si N.-S. admit saint Jean dans une intimité plus grande que les autres, ce fut parce qu'il l'arracha à l'amour de Magdeleine. Mais ce sont choses fausses et frivoles; car frère Albert, dans le prologue sur l'Evangile de saint Jean, pose en fait que cette fiancée dont saint Jean fut séparé au moment de ses noces par la vocation de J.-C., resta vierge, et s'attacha parla suite à la sainte Vierge Marie, mère de J.-C. et qu'enfin elle mourut saintement. - Un homme privé de la vue venait au monastère de Vézelay visiter le corps de sainte, Marie-Magdeleine, quand son conducteur lui dit qu'il commençait à apercevoir l'église. Alors l'aveugle s'écria à haute voix: «O sainte Marie-Magdeleine! que ne puis-je avoir le bonheur, de voir une fois votre église!» et à l'instant ses yeux furent ouverts. - Un homme avait écrit ses péchés sur: une feuille qu'il posa sous la nappe de l'autel de sainte Marie-Magdeleine, en la priant de lui en obtenir la rémission. Peu de temps après il reprit sa feuille et (259) tous les péchés en avaient été effacés. - Un homme détenu en, prison pour de l'argent qu'on exigeait de lui invoquait à son secours sainte Marie-Magdeleine; et voici qu'une nuit lui apparut une femme d'une beauté remarquable qui, brisant ses chaînes et lui ouvrant la porte, lui commanda de fuir. Ce prisonnier se voyant délivré s'enfuit aussitôt *. - Un clerc de Flandre, nommé Etienne, était tombé dans de si grands crimes, en s'adonnant à toutes les scélératesses, qu'il ne voulait pas plus entendre parler des choses qui regardent le salut. qu'il ne les pratiquait. Cependant il avait une grande dévotion en sainte Marie-Magdeleine; il jeûnait ses vigiles et honorait le jour de, sa fête. Une fois qu'il visitait soit tombeau; sainte Marie-Magdeleine lui apparut; alors qu'il n'était ni tout à fait endormi, ni tout à fait éveillé; elle avait la figure d'une belle femme; ses veux étaient tristes, et elle était soutenue a droite et, à gauche par deux anges: alors elle lui dit: «Je t'en prie, Etienne, pourquoi te livres-tu à des actions indignes de moi? Pourquoi n'es-tu pas touché des paroles pressantes que je t'adresse, de ma propre bouche? dès l'instant que tu as eu de la dévotion pour moi, j'ai toujours prié d'une manière pressante le Seigneur pour toi. Allons, courage, repens-toi, car je ne t'abandonnerai pas que tu ne sois réconcilié avec Dieu. » Et il se sentit inondé de tant de grâces que, renonçant au inonde, il entra en religion et mena une vie très parfaite. A sa mort, on vit sainte Marie-Magdeleineapparaître avec des anges auprès de son cercueil, et porter au ciel, avec des cantiques, son âme sous la forme d'une colombe **.

* Vincent de B., Hist., 1. XXIV, c. XXXV, ms. de la Bible, Bibliothèque nationale, n. 5296.
** Denys le Chartr., Sermon IV, de sainte Marie-Magdeleine.






La légende dorée - SAINT PAUL, APÔTRE.