La légende dorée - SAINTS NAZAIRE ET CELSE

SAINT FÉLIX, PAPE

Félix fut élu et ordonné pape à la place de Libère, qui, ne voulant pas approuver l'hérésie arienne, fut, par. l'ordre de Constance, fils de Constantin, envoyé en exil, où il resta trois ans. C'est pour cela que tout le clergé romain ordonna Félix à sa place, du vouloir et du consentement de Libère lui-même. Ce Félix, ayant convoqué un concile, condamna, en présence de quarante-huit évêques, Constance empereur arien hérétique et deux prêtres qui le soutenaient. Constance indigné chassa Félix de son évêché et rappela Libère à la condition d'être en communion seulement avec Constantin et les autres que Félix avait condamnés. Libère, accablé par les ennuis de l'exil, souscrivit à l'hérésie; et il en résulta que la persécution augmenta à tel point que beaucoup de prêtres et de clercs furent tués dans l'église sans que Libère s'y opposât. Félix, chassé de son évêché, habitait dans une terre d'où on l'arracha pour le conduire au martyre qu'il subit, en ayant la tête tranchée, vers l'an du Seigneur 340.





SAINT SIMPLICE ET SAINT FAUSTIN

Simplice et Faustin étaient frères; ils refusèrent de sacrifier, et endurèrent à Rome beaucoup de tourments sous l'empereur Dioclétien. A la fin on porta l'arrêt de leur condamnation; ils furent décapités et leurs corps jetés dans le Tibre mais leur soeur nommée Béatrice retira leurs dépouilles du fleuve et les ensevelit honorablement. Lucrétius qui était préfet et vicaire de Dioclétien passait autour de leur domaine, la fit prendre et lui commanda de sacrifier aux idoles. Sur son refus, Lucrétius la fit étrangler durant la nuit par ses esclaves. La vierge Lucine enleva son cops et l'ensevelit à côté de ses frères. Après quoi, le préfet Lucrétiuss'empara de leur maison, où au milieu d'un repas qu'il donnait à ses amis, il se permit d'insulter les martyrs; alors un petit enfant encore à la mamelle et enveloppé de langes, s'écria, dans les bras de sa mère qui était présente, de sorte que tout le monde l'entendit: «Écoute, Lucrétius, tu as tué, tu as usurpé; voici que tu es livré au pouvoir de l'ennemi.» A l'instant Lucrétius saisi et tremblant est appréhendé par le démon qui le tourmenta si violemment pendant trois heures qu'il mourut au milieu du repas. Les assistants témoins de cela se convertirent à la foi : ils racontaient à tous le martyre de sainte Béatrice qui avait été vengée dans le repas. Or, ils souffrirent vers l'an du Seigneur 287.





SAINTE MARTHE

[L'interprétation du nomme saincteMarthe. Marthe peut estre dicte ainsi cômesacrifiant ou amaigrissant: elle sacrifia à Ihùcrist quant elle le hostella: et luyadministra le pain et le vin de quoy luy-mesmesacrifia son sainct corps: amaigrissant, car elle amaigrit son corps par penitence si dîme il s'ensuit après] *.

Marthe, qui donna l'hospitalité à J.-C., descendait de race royale et avait pour père Syrus et pour mère Eucharie. Son père fut gouverneur de Syrie et de beaucoup de pays, situés le long de la mer. Marthe possédait avec sa soeur, et du chef de sa mère, trois châteaux, savoir Magdalon, Béthanie et une partie de la ville de Jérusalem. On ne trouve nulle part. qu'elle se soit mariée, ni qu'elle ait eu commerce avec aucun homme. Or, cette noble hôtelière servait le Seigneur et voulait que sa soeur le servît aussi; car il lui semblait que ce n'était pas même trop du monde tout entier pour le service d'un hôte si grand. Après l'ascension du Seigneur, quand les apôtres se furent dispersés, elle et son frère Lazare, sa soeur Marie-Magdeleine, ainsi que saint Maximin qui les avait baptisés et auquel elles avaient été confiées par l'Esprit-Saint, avec beaucoup d'autres encore, furent mis par les infidèles sur un navire dont on- enleva les rames, les voiles et les gouvernails, ainsi que toute espèce d'aliment. Sous la direction de Dieu, ils arrivèrent

* Consulter les Monuments de l'apostolat de sainte Madeleine et de sainte Marthe , par M. Faillon et le Bréviaire romain.

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à Marseille. De là ils allèrent au territoire d'Aix où ils convertirent tout le peuple à la foi. Or, sainte Marthe était très éloquente et gracieuse pour tous. Il y avait, à cette époque;- sur les rives du Rhône, dans un bois entre Arles et Avignon, un dragon, moitié animal, moitié poisson, plus épais qu'un boeuf, plus long qu'un cheval, avec des dents semblables à des épées et grosses comme des cornes, qui était armé de chaque côté de deux boucliers; il se cachait dans le fleuve d'où il ôtait la vie à tous les passants et submergeait les navires. Or, il était venu par mer de la Galatic d'Asie, avait été engendré par Léviathan, serpent très féroce qui' vit dans. l'eau, et d'un animal nommé Onachum, qui naît dans la Galatie: contre ceux qui le poursuivent, il jette, à la distance d'un arpent, sa fiente comme un dard et tout ce qu'il touche, il le brille comme si c'était du feu. A la prière des peuples, Marthe alla dans le bois et l'y trouva mangeant un homme. Elle jeta sur lui de l'eau bénite et lui montra une croix. A l'instant le monstre dompté resta tranquille comme un agneau. Sainte Marthe le lia avec sa ceinture et incontinent il fut tué par le peuple à coups de lames et de pierres. Or, les habitants du pays appelaient ce dragon Tarasque et en souvenir de cet évènement ce lieu s'appelle encore Tarascon,au lieu de Nerluc, qui signifie lieu noir, parce qu'il se trouvait là des bois sombres et couverts. Ce fut en cet endroit que sainte Marthe, avec l'autorisation de son maître Maximin et de sa soeur, se fixa désormais et se livra sans relâche à la prière et aux jeunes. Plus tard après avoir rassemblé un grand nombre de soeurs, elle bâtit (309) une basilique en l'honneur de la bienheureuse vierge Marie. Elle y mena une vie assez dure, s'abstenant d'aliments gras, d'oeufs, de fromage et de vin, ne mangeant qu'une fois par jour. Cent fois le jour et autant de fois la nuit, elle fléchissait les genoux.

Elle prêchait un jour auprès d'Avignon, entré la ville et le fleuve du Rhône, et un jeune homme se trouvait de l'autre côté du fleuve, jaloux d'entendre ses paroles, mais dépourvu de barque pour passer, il se dépouilla de ses vêtements et se jeta à la nage; tout à coup il est emporté par la force du courant et se noie aussitôt. Son corps fut à peiné retrouvé, deux jours après; on l'apporta aux pieds de sainte Marthe pour qu'elle le ressuscitât. Elle se prosterna seule, les bras étendus en forme de croix sur la terre et,fit cette prière: «O Adonay, Seigneur J.-C., qui avez autrefois ressuscité mon frère Lazare, votre ami, mon cher hôte, ayez égard à la foi de ceux qui  m'entourent et ressuscitez cet enfant.» Elle, prit,parla main ce jeune homme qui se leva aussitôt et reçut le saint baptême. Eusèbe rapporte au VIIe livre de son Histoire ecclésiastique *, que l'Hémorrhoïsse, après avoir, été guérie, fit élever dans sa cour ou son verger, une statue à la ressemblance de J.-C., avec une robe et sa frange, comme elle l'avait- vu, et elle avait pour cette tarage une grande vénération. Or, les herbes croissant aux pieds de la statue et qui n'étaient bonnes à rien auparavant, dès lors qu'elles atteignaient à la frange,

* Il revient sur ce récit dans son commentaire sur saint Luc, mais sans prétendre que c'est Marthe. - Cf. Nicéphore Callixte,Iib. X, XXX.

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acquéraient une telle vertu que beaucoup d'infirmes qui en faisaient usage étaient guéris. Cette Hémorrhoïsse que le Seigneur guérit; saint Ambroise dit * que ce fut sainte Marthe, Saint Jérôme de son côté rapporte, et l'Histoire tripartite confirme**, que Julien l'apostat fit enlever la statue élevée par l'Hémorrhoïsse et,y substitua la sienne; mais la foudre la brisa.

Or, le Seigneur révéla un an d'avance à sainte Marthe le moment de sa mort: et pendant toute cette année, la fièvre ne la quitta point. Huit jours avant son trépas, elle entendit les choeurs des anges qui portaient l'âme de sa soeur au ciel. Elle rassembla de suite `sa communauté de frères et de soeurs: «Mes compagnons et très doux élèves, leur dit-elle, je vous en prie, réjouissez-vous avec moi, parce que je vois les choeurs des anges portant en triomphe l'âme de ma soeur au trône qui lui a été promis. O très belle et bien-aimée soeur! vis avec ton maître et mon hôte dans la demeure bienheureuse!» Et aussitôt sainte Marthe, pressentant sa mort prochaine, avertit ses gens d'allumer des flambeaux autour d'elle et de veiller jusqu'à son trépas. Au milieu de la nuit qui précéda le jour de sa mort, ceux qui la veillaient s'étant laissé appesantir par le sommeil, un vent violent s'éleva et éteignit toutes les lumières, et la sainte qui vit une foule d'esprits malins, prononça cette prière: «O Dieu, mon père, mon hôte chéri, mes séducteurs se sont rassemblés pour me dévorer; ils tiennent écrites à la main

* Sermon XLVI.
** Lib. VI, c. XLI.

les méchancetés que j'ai commises: mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi, mais venez à mon aide.» Et voilà qu'elle vit sa soeur venir à elle; elle tenait à la main une torche avec laquelle elle alluma les flambeaux et les lampes: et tandis qu'elles s'appelaient chacune par leur nom, voici que J.-C. vint et dit : Venez, hôtesse chérie, et où je suis, vous y serez avec moi. Vous  m'avez reçu dans votre maison, et moi je vous recevrai dans mon paradis; ceux qui vous invoqueront, je les exaucerai par amour pour vous.» L'heure de sa mort approchant, elle se fit transporter dehors, afin de pouvoir regarder le ciel; et elle ordonna qu'on la posât par terre sur de la cendre; ensuite qu'on lui tînt une croix devant elle: et elle fit cette prière: «Mon cher hôte, gardez votre pauvre petite servante; et comme vous avez daigné demeurer avec moi, recevez-moi de même dans votre céleste demeure.» Elle se fit ensuite lire la Passion selon saint Luc, et quand on fut arrivé à ces mots: «Mon père, je remets mon âme entre vos mains», elle rendit l'esprit. Le jour suivant qui était un dimanche, comme on célébrait les laudes auprès de son: corps, vers l'heure de tierce, Notre-Seigneur apparut à saint Front qui célébrait la messe à Périgueux, et qui, après l'épître, s'était endormi sur sa chaire: «Mon cher Front, lui dit-il, si vous voulez accomplir ce que vous avez autrefois promis à notre hôtesse, levez-vous vite et suivez-moi.» Saint Front ayant obéi à cet ordre, ils vinrent ensemble en un instant à Tarascon où ils chantèrent des psaumes autour du corps de sainte Marthe et firent tout l'office, les autres leur répondant; (312) ensuite ils placèrent de leurs mains son corps dans le tombeau. Mais à Périgueux, quand on eut terminé ce qui était à chanter, le diacre qui devait lire l'évangile, ayant éveillé l'évêque en lui;demandant la bénédiction, celui-ci répondit à moitié endormi: «Mes frères, pourquoi me réveillez-vous? Notre-Seigneur J.-C.  m'a conduit où était le corps de Marthe, son hôtesse, et nous lui avons donné la sépulture: envoyez-y vite des messagers pour nous rapporter notre anneau d'or et nos gants gris que j'ai ôtés afin de pouvoir ensevelir le corps; je les ai remis au sacriste et les ai laissés par oubli, car vous  m'avez éveillé si vite!» On envoya donc des messagers qui trouvèrent tout ainsi que l'évêque avait dit; ils rapportèrent l'anneau et un seul gant, car le sacriste retint l'autre comme preuve de ce qui s'était passé. Saint Front ajouta encore: «Comme nous sortions de l'église après l'inhumation, un frère de ce lieu, qui était habile dans les lettres, nous suivit pour demander au Seigneur de quel nom il l'appellerait. Le Seigneur ne lui répondit rien, mais il lui montra un livre qu'il tenait tout ouvert. à la main, dans lequel rien autre chose n'était écrit que ce verset: «La mémoire de mon- hôtesse qui a été pleine de justice sera éternelle; elle n'aura pas à craindre d'entendre des paroles mauvaises au dernier jour (Ps. III).» Le frère, qui parcourut chaque feuillet du livre, y trouva ces mots écrits à chaque page. Or, comme il s'opérait beaucoup de miracles au tombeau de sainte Marthe, Clovis, roi des Francs, qui s'était fait chrétien et qui avait été baptisé par saint Remy, souffrait d'un grand mal de reins; il vint donc au tombeau de la sainte et (313) y obtint une entière guérison. C'est pourquoi il dota ce lieu, auquel il donna une terre d'un espace de trois milles à prendre autour sur chacune des rives du Rhône, avec les métairies et les châteaux, en affranchissant le tout. Or, Manille, sa servante, écrivit sa vie; ensuite elle alla dans l'Esclavonie où, après avoir prêché l'évangile, elle mourut en paix dix ans après le décès de sainte Marthe.





SAINT ABDON ET SAINT SENNEN *

Abdon et Sennen souffrirent le martyre sous l'empereur Dèce, qui, après avoir soumis la Babylonie avec d'autres provinces, et y avoir trouvé des chrétiens,les emmena avec lui à la ville de Cordoue où' il les fit mourir par différents supplices. Deux vice-rois, Abdon et Sennen, prirent leurs corps et les ensevelirent. On les accusa de cette action auprès de Dèce qui les fit comparaître devant lui. On les chargea de chaînes et on les conduisit à Rome, où ils comparurent devant l'empereur et devant le Sénat; on leur dit qu'ils avaient ou à sacrifier et qu'alors ils rentreraient libres dans leurs états, ou à se voir condamnés à être la pâture des bêtes féroces. Ils ne manifestèrent que du mépris pour les idoles sur lesquelles ils crachèrent; après quoi ils furent traînés à l'amphithéâtre où on lâcha sur eux deux lions et quatre ours, qui, loin de

* Bréviaire, romain. Ce récit est conforme aux actes publiés par les Bollandistes.

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toucher ces saints, en furent même les gardiens. On les fit donc mourir par le glaive, après quoi on leur lia les pieds et on les traîna jusqu'à l'idole du soleil devant laquelle on les jeta. Au bout de trois jours, le sous-diacre Quirinus vint les recueillir et les ensevelit dans sa maison. Ils souffrirent vers l'an du Seigneur 253. Du temps de Constantin, ces martyrs révélèrent oit étaient leurs corps que les chrétiens transférèrent dans le cimetière de Pontien. Par leur mérite Dieu y accorde de nombreux bienfaits au peuple.





SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE

Germain vient de germe, et ana, qui veut dire en haut, c'est donc un germe d'en haut. On trouve en effet trois qualités dans le blé qui germe, savoir une chaleur naturelle, une humidité nutritive, et un principe de semence. De là vient que saint Germain est appelé une semence en germe: car il posséda une chaleur produite par l'ardeur de son amour, une humidité qui développa sa dévotion, et un principe de semence puisque, par la force de sa prédication, il engendra beaucoup de monde à la foi et aux bonnes moeurs. Le prêtre Constantin écrivit sa vie qu'il adressa à saint Cinsurius, évêque d'Auxerre*.

Germain naquit à Auxerre d'une famille des plus nobles. Après de longues études consacrées aux arts libéraux, il partit pour Rome afin de se former à la science du droit. Il s'y acquit tant de considération

* Héricus, moine d'Auxerre, a écrit sa vie en vers et ses miracles en prose.

que le Sénat l'envoya dans les Gaules pour remplir les fonctions de gouverneur de toute la Bourgogne. A Auxerre qu'il affectionnait, il possédait, au milieu de la ville, un pin aux branches duquel il suspendait; pour qu'on les admirât, les têtes des bêtes fauves tuées par lui à la chasse. Mais saint Amateur, évêque de cette ville, le gourmandait souvent de cette vanité, et lui conseillait même de faire abattre cet arbre dans la crainte de quelque mauvais résultat pour les chrétiens. Or, Germain n'y voulait absolument pas consentir. Mais un jour qu'il était absent, saint Amateur fit couper et brûler ce pin. Quand Germain l'apprit, il oublia les sentiments que lui inspirait la religion chrétienne et, revint à la ville avec des soldats, dans le dessein de faire mourir l'évêque: mais celui-ci, qui avait appris par révélation que Germain devait un jour lui succéder, céda devant sa fureur et gagna Autun. Peu après, il revint à Auxerre et ayant attiré Germain dans l'église, il le tonsura en lui prédisant qu'il devait être son successeur. Ce qui eut lieu: car quelque temps après l'évêque mourut en saint et. le peuple demanda à l'unanimité Germain pour évêque. Il distribua tous ses biens aux pauvres, traita sa femme comme si elle eût été sa soeur, et pendant trente ans, il mortifia tellement son corps que jamais il n'usa de pain de froment, ni de vin, ni d'huile, ni de légumes, ne mangeant même rien qui fût accommodé avec du sel. Deux fois l'an cependant, savoir: à Pâques et à Noël, il prenait du vin, encore il y mêlait tant d'eau qu'il n'y avait plus goût de vin. Il commençait ses repas en prenant d'abord de la cendre; ensuite il mangeait du pain d'orge. (316) Son jeûne était continuel, car il ne mangeait jamais . que sur le soir. L'été comme l'hiver, il avait pour tout vêtement un cilice et une coule. Et quand il ne lui arrivait pas de donner cet habit à quelqu'un, il le portait jusqu'à ce qu'il fût tout usé et en lambeaux. Les ornements de son lit, c'était la cendre, un cilice et un sac :  il n'avait pas de coussin pour tenir sa tête plus élevée que les épaules; mais toujours dans les,gémissements, il portait à son cou des reliques des saints; jamais il ne quittait son vêtement, rarement sa chaussure et sa ceinture. Tout dans sa conduite était au-dessus des forces d'un homme. Sa vie fut telle en effet qu'il eût été incroyable de la concevoir salis miracles; mais ils furent si nombreux qu'on les croirait imaginés à plaisir, si les mérites qu'il avait acquis n'avaient précédé ces prodiges.

Un jour qu'il avait reçu l'hospitalité dans un endroit, il fut étonné de voir, après le souper, apprêter la table, et il demanda pour qui ou préparait un second repas. Comme on lui disait que c'était pour les bonnes femmes qui voyagent pendant la nuit, saint Germain prit la résolution de veiller cette nuit-là; et il vit une foule de démons qui venaient se mettre à table sous 1a forme d'hommes et de femmes. Il leur défendit de s'en aller, réveilla tous les membres de la maison et leur demanda s'ils connaissaient ces personnes. On lui répondit que c'étaient tous les voisins et voisines; alors en commandant aux démons de ne pas s'en aller, il envoya au domicile de chacun d'eux; et on les trouva tous dans leur lit. Saint Germain les conjura; et ils dirent qu'ils étaient des démons qui se (317) jouaient ainsi des hommes. En ce temps-là, florissait le bienheureux saint Loup, évêque de Troyes. Quand Attila attaquait cette ville, le bienheureux Loup lui demanda de dessus la porte à haute voix qui il était pour venir fondre ainsi sur eux. «Je suis, lui répondit-il, Attila, le fléau de Dieu.» L'humble prélat lui répliqua avec gémissement: «Et moi je suis Loup; hélas! je ravage le troupeau de Dieu et j'ai besoin d'être frappé par le fléau de Dieu.» Et à l'instant il fit ouvrir les portes. Mais Dieu aveugla les ennemis qui passèrent d'une porte à l'autre, sans voir personne et sans faire aucun mal. Le bienheureux Germain prit avec lui saint Loup et partit pour les îles Britanniques où pullulaient les hérétiques; et comme ils étaient sur la ruer, une tempête extraordinaire s'éleva; mais à la prière de saint Germain, il se fit aussitôt un grand calme. Ils furent reçus avec de grands honneurs par le peuple; leur arrivée avait été annoncée par les démons que saint Germain avait chassés des obsédés. Après qu'ils eurent convaincu les hérétiques, ils retournèrent en leur propre pays.

Germain était couché malade dans un endroit, quand soudain un incendie embrasa toute la bourgade. On le priait de se laisser emporter pour échapper à la flamme, mais il voulut rester exposé à l'incendie, et le feu, qui consuma tout à droite et à gauche, ne toucha pas à l'habitation où il se trouvait. Comme il retournait une seconde fois en Bretagne pour confondre les hérétiques, un de ses disciples, qui l'avait; suivi en toute hâte, tomba malade à Tonnerre et y mourut: Saint Germain, revenant sur ses pas, fit ouvrir le (318) sépulcre et demanda au mort, en l'appelant par son nom, ce qu'il faisait, s'il désirait encore combattre avec lui. Celui-ci se leva sur son séant et répondit qu'il goûtait des douceurs infinies et qu'il ne voulait pas être rappelé désormais sur la terre. D'après le consentement que lui donna saint Germain de rester dans le repos, il déposa sa tète et se rendormit de: nouveau dans le Seigneur *. Pendant le cours de ses prédications, le roi de la Bretagne lui refusa l'hospitalité aussi bien qu'à ses compagnons. Le porcher du roi, qui revenait de faire paître ses bêtes, en rapportant à sa chaumière des provisions qu'il avait reçues au palais, vit le bienheureux Germain et ses compagnons accablés de faim et de froid; il les accueillit avec bonté dans sa maison, et commanda qu'on tuât pour ses hôtes le seul veau qu'il possédât. Après le souper, saint Germain fit disposer tous les os du veau sur sa peau et à sa prière le veau se leva tout aussitôt. Le lendemain, Germain se hâta de se, rendre chez le roi et lui demanda avec force,pourquoi i1, lui avait refusé l'hospitalité. Le roi grandement saisi ne put lui répondre; alors Germain lui dit: «Sors et cède le royaume à meilleur que toi.» Et par un ordre qu'il reçut de Dieu, Germain fit venir le porcher avec sa femme et en présence de la multitude étonnée, il le constitua roi; et depuis lors ce sont les descendants du porcher qui gouvernent la nation des Bretons **. Les Saxons étaient en guerre avec les Bretons et se voyaient inférieurs

* Héricus, moine d'Auxerre, qui a écrit la vie et, les miracles du saint.
** Ibid., c. VIII.

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en nombre, ils appelèrent alors les saints qui passaient par là; ceux-ci les instruisirent et tous accoururent à l'envi pour recevoir le baptême. Le jour de Pâques, transportés par la ferveur de leur foi, ils jettent leurs armes de côté et se proposent de combattre avec grand courage; les ennemis, à cette nouvelle, se ruent avec audace contre des gens désarmés; mais Germain, qui se tenait caché avec les siens, les avertit tous, que quand il crierait lui-même Alleluia, ils lui répondissent ensemble en poussant le même cri. Et quand ils l'eurent fait, une terreur tellement grande s'empara des ennemis qui se précipitaient sur eux, qu'ils jetèrent leurs armes, dans la persuasion que non seulement les montagnes, mais encore le ciel s'écroulaient sur leur tète; alors ils prirent tous la fuite*. Une fois qu'il passait par Autun, il vint au tombeau de saint Cassien, évêque, auquel il demanda comment il se trouvait. Celui-ci lui répondit de son cercueil ces mots qui furent entendus de tous les assistants: «Je jouis d'un doux repos, et j'attends la verne du rédempteur.» Et Germain lui dit: «Reposez encore longtemps en J.-C., et intercédez pour nous avec ferveur, afin que nous méritions d'obtenir les joies de la sainte résurrection.» A son arrivée à Ravenne, il fut reçu avec honneur par l'impératrice Placidie et par son fils Valentinien. Quand vint l'heure du repas, la reine lui envoya un magnifique vase d'argent rempli de mets exquis; il le reçut, mais ce fut pour distribuer les mets à ceux qui l'accompagnaient et pour donner aux pauvres l'argent du

*Ibid.

vase qu'il garda par devers lui. Pour tenir lieu de (320) présent, il envoya à l'impératrice une écuelle de bois dans laquelle était un pain d'orge; ce qu'elle reçut de bonne grâce et dans la suite elle fit enchâsser cette écuelle dans de l'argent.

Une fois encore, l'impératrice l'invita à un dîner que le saint accepta avec bonté. Or, comme il était exténué par les jeûnes,, la prière et les travaux, il se fit conduire sur un âne depuis son logement jusqu'au palais: mais pendant le repas, l'âne de saint Germain mourut. La reine, qui l'apprit, fit offrir à l'évêque un cheval extrêmement doux. Quand le saint l'eut vu, il dit: «Qu'on  m'amène mon âne, parce que, comme il  m'a amené, il me ramènera.» Et allant vers le cadavre: «Lève-toi, dit-il, âne, retournons au logis. Aussitôt l'âne se leva, se secoua, et comme s'il n'avait éprouvé aucun mal, il porta Germain à son hôtellerie. Mais avant de sortir de Ravenne, Germain prédit qu'il n'avait plus longtemps à rester sur la terre. Peu de temps après, la fièvre le saisit et le septième jour il s'endormit dans le Seigneur: son corps fut transporté dans les Gaules, selon qu'il l'avait demandé à l'impératrice. Il mourut vers l'an du Seigneur 430.

Saint Germain avait promis à saint Eusèbe de consacrer à sa place, quand il reviendrait, une église que le saint évêque de Verceil avait fondée. Mais quand il eut appris le trépas du bienheureux Germain, saint Eusèbe fit allumer des cierges pour consacrer lui-même son église. Or, plus on les allumait, plus ils s'éteignaient. Eusèbe comprit par là que la dédicace devait (321) être remise à une autre époque, ou bien qu'elle devait être faite par un autre évêque. Mais lorsque le corps de saint Germain fut amené à Verceil, et qu'on l'eut fait entrer dans l'église, à l'instant tous les cierges s'allumèrent par miracle. Alors saint Eusèbe se souvint de la promesse du bienheureux Germain, et il comprit qu'il avait exécuté, après sa mort, ce qu'il avait promis de faire étant en vie. Il ne faut pas croire qu'il soit ici question du grand Eusèbe de Verceil; celui-ci mourut du temps de l'empereur Valens, et il s'écoula plus de 50 ans depuis sa mort jusqu'à celle de saint Germain. Ce fut sous un autre Eusèbe, qu'arriva ce qui vient d'être raconté.





SAINT EUSÈBE

Eusèbe est ainsi appelé de eu, qui veut dire bien et, sebe, qui signifie éloquence ou poste. Eusèbe s'interprète encore bon culte. En effet il fut rempli de bonté, en se sanctifiant, d'éloquence en défendant la foi, il resta à son poste en souffrant le martyre avec constance; et il rendit à Dieu un bon culte par le respect qu'il eut pour lui.

Eusèbe, qui conserva sa virginité,:n'était encore que catéchumène quand il fut baptisé par le pape Eusèbe qui lui donna son nom. A son baptême, on vit les mains des anges le lever des fonts sacrés. Une dame, qui s'était éprise de sa beauté, voulut entrer dans sa chambre, mais elle en fut empêchée par les anges qui le gardaient: alors elle vint le lendemain matin se jeter à ses pieds et lui demander pardon . (322) Après avoir été ordonné prêtre, il brilla par une sainteté telle que dans la solennité de la messe, on voyait les anges qui le servaient. En ce temps-là, comme l'hérésie d'Arius infectait l'Italie entière de ses poisons, favorisée qu'elle était par l'empereur Constance, le pape Julien sacra Eusèbe évêque de Verceil: c'était alors une des principales villes de l'Italie. A cette nouvelle, les hérétiques firent fermer, toutes les portes de l'église; mais Eusèbe étant entré dans la ville, se mit à genoux à la porte de l'église principale dédiée à la bienheureuse Marie, et à l'instant toutes les portes ouvrirent à sa prière. Il chassa de son siège Maxence, évêque de Milan, qui était gâté par le poison de l'hérésie, et il établit en sa place Denys, fervent catholique. C'est ainsi qu'Eusèbe en Occident et Athanase en Orient purgeaient l'Eglise de la peste des Ariens. Cet Arius était un prêtre d'Alexandrie: il prétendait que le Christ était une pure créature: il avançait ce qu'il était, quand il n'était pas, et qu'il a été fait pour nous, afin que Dieu se servît de lui comme d'un instrument pour notre création. Alors le grand Constantin fit célébrer le concile de Nicée où cette erreur fut condamnée. Arius finit, quelque temps après, d'une mort misérable, car il rendit dans le lieu secret toutes ses entrailles et ses intestins. * Constance, fils de Constantin, se laissa corrompre aussi par l'hérésie; c'est pour cela qu'irrité grandement contre Eusèbe, il convoqua en concile

* Ruffin, Hist. Eccl. liv. X; - Vincent de B., liv. XV, c. XII, an 330.

beaucoup d'évêques, et y manda Denys: il adressa mainte et mainte lettres à Eusèbe qui, sachant que la malice prévaut dans la multitude, refusa de venir et s'excusa sur son grand âge. Alors pour lui enlever ce prétexte, l'empereur décida que le concile serait célébré à Milan. qui était tout proche. Quand il vit que Eusèbe faisait encore défaut, il ordonna aux Ariens de mettre par écrit leur croyance, il força Denys, évêque de Milan, et trente-trois autres évêques de souscrire à cette doctrine. Quand Eusèbe apprit cela, il se décida à quitter sa ville pour venir à Milan et il prédit qu'il v serait exposé à souffrir beaucoup *.

Comme il était sur le chemin de Milan, il arriva sur le bord d'un fleuve; une barque, qui était sur la rive opposée, vint à lui, sur l'ordre qu'il lui, en. donna; elle le transporta à l'autre rive, lui et ses compagnons, sans qu'il y eût aucun timonier. Alors Denys, dont il vient d'être question, alla à sa rencontre et se jeta à ses pieds pour lui demander pardon. Or, comme Eusèbe ne se laissait fléchir ni par les menaces ni par les flatteries de l'empereur, il dit en présence de toute l'assemblée: «Vous avancez que le Fils est inférieur au Père; comment se fait-il donc que vous  m'avez fait passer après mon fils et mon disciple? Or, le disciple n'est pas au-dessus du maître ni l'esclave plus que son seigneur, ni le fils au-dessus du père.» Frappés par cette raison, ils lai présentèrent l'écrit qu'ils avaient fait et que Denys avait signé. Et il dit: «Je ne souscrirai pas après mon

* Bréviaire romain.

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fils sur lequel je l'emporte en autorité; mais brûlez cet écrit, et faites-en un autre que je signerai, si vous le voulez.» Et ce fut par une inspiration divine que fut brûlé l'écrit que Denys et, trente-trois autres évêques avaient signé. Les Ariens écrivirent donc une autre pièce, et la donnèrent à Eusèbe et aux autres évêques pour la signer: mais sur les exhortations d'Eusèbe ils s'y refusèrent entièrement, et ils se félicitèrent de ce que la première pièce qu'ils avaient été forcés de souscrire eût été totalement brûlée. Constance irrité abandonna Eusèbe au bon plaisir des Ariens. Alors ceux-ci le saisirent au milieu des évêques, l'accablèrent de coups, et le traînèrent sur les degrés du palais, du haut en bas, et depuis le bas jusqu'en haut. Quoiqu'il perdît beaucoup de sang de sa tête meurtrie, il n'en persista pas moins dans ses refus; alors, ils lui lièrent les mains derrière le dos et le tirèrent par une corde attachée au cou. Quant à lui, il rendait grâces à Dieu, et disant qu'il était prêt à mourir pour confesser la foi catholique. Alors Constance fit conduire en exil le pape Libère, Denys, Paulin et tous les autres évêques qui avaient été entraînés par l'exemple d'Eusèbe. Scylopolis, ville de la Palestine, fut le lieu où les Ariens menèrent Eusèbe: ils le renfermèrent dans une pièce si étroite qu'elle était plus courte que. sa taille, et. plus- resserrée que son corps, en. sorte qu'il était courbé au point de ne pouvoir ni étendre les pieds, ni se tourner d'un côte ou d'un autre. Sa tête restait baissée; et il pouvait seulement remuer les épaules et les bras. Mais Constance étant mort, Julien, son successeur, désirant (325) plaire à tout le monde, fit rappeler les évêques exilés, rouvrir les temples des dieux, et voulut que chacun jouit de la paix sous la loi qu'il préférait choisir. Ce fut ainsi que Eusèbe, délivré de son cachot, vint trouver Athanase et lui exposer toutes les souffrances qu'il avait endurées: A la mort de Julien et sous l'empire de Jovinien, les Ariens restant calmes, Eusèbe revint à Verceil où le peuple le reçut avec dès témoignages d'une vive allégresse. Mais sous le règne de Valens, les Ariens, qui s'étaient multipliés de nouveau, entourèrent la maison d'Eusèbe, l'en arrachèrent et après l'avoir traîné sur le dos, ils,l'écrasèrent sous des pierres. I1 mourut de cette manière dans le Seigneur et fut enseveli dans l'église qu'il avait construite. On rapporte encore que Eusèbe obtint de Dieu par ses prières pour sa ville qu'aucun Arien n'y pourrait vivre. D'après la chronique, il Vécut au moins 88 ans. Il florissant vers l'an du Seigneur 350.





LES SAINTS MACCHABÉES

Les Macchabées furent sept frères, qui, avec; leur révérende mère et leur père Eléazar, n'ayant pas voulu, par respect pour la loi, manger de la viande de pourceau, souffrirent des supplices inouïs, dont on peut trouver un plus ample récit au IIe livre des Macchabées. Il faut remarquer que l'Eglise d'Orient célèbre la fête des saints de l'un et de l'autre Testament, tandis que l'église d'Occident ne fait pas la fête des (326) saints de l'Ancien, par la raison qu'ils sont descendus aux enfers. Il faut en excepter , les Innocents, parce que J.-C. a été tué dans chacun d'eux, et les Macchabées. Il y a quatre raisons pour lesquelles 1'Eglise fait la mémoire solennelle de ces derniers, bien qu'ils fussent descendus aux enfers: la première est qu'ils ont la prérogative du martyre. Ayant en effet enduré des supplices inouïs parmi les saints de l'Ancien Testament, il était juste qu'on célébrât la mémoire de leur martyre. Cette raison est donnée dans l'Histoire scholastique. La deuxième est pour rappeler un mystère. Le nombre septennaire est le nombre Universel *. Dans les Macchabées sont représentés tous les pères de d'Ancien Testament qui sont dignes de réputation. En effet, bien que l'Eglise ne célèbre pas leur fête, tant parce qu'ils sont descendus dans les limbes, que parce qu'il est survenu une multitude de nouveaux saints, cependant, dans ces sept martyrs, elle montre le respect qu'elfe a pour tous les autres, puisque ce nombre sept, ainsi qu'il vient d'être dit, est un nombre universel et général. La troisième est pour offrir un exemple dans les tribulations. On les propose comme un modèle aux fidèles, afin que la constance de, ces saints les anime de zèle pour la, foi, et les porte à souffrir pour la toi de l'Évangile,

* Voici ce que,dit saint Augustin au sujet du nombre septennaire (Cité de Dieu, lib. II, ch. XXXI). On pourrait s'étendre. beaucoup sur la perfection du nombre septennaire... Le premier nombre tout impair est trois, et le premier tout pair est quatre; la somme des deux forme le nombre sept, qui est souvent pris pour la généralité des nombres.

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comme les Macchabées ont valeureusement combattu pour ai loi de Moïse. La quatrième est tirée du motif de leur martyre; car ce fut pour la défense de leur loi qu'ils endurèrent de pareils supplices, comme c'est pour la défense de la loi évangélique que souffrent les chrétiens. Ces trois; dernières raisons sont celles que Me Jean Beleth assigne dans sa Somme des offices, chapitre V.






La légende dorée - SAINTS NAZAIRE ET CELSE