La légende dorée - SAINT BERNARD

SAINT TIMOTHÉE

Timothée viendrait de timorem tenens, tenant peur, ou de timor, et Théos, crainte de Dieu. Et selon le mot de saint Grégoire, le saint est pris de peur en considérant où il a été, où il sera, où il est et où il n'est pas. Où il a été, c'est-à-dire dans (479) le péché; où il sera, au jugement; où il est, dans la misère; où il n'est pas, dans la gloire.

Timothée fut tourmenté à Rome sous Néron par le préfet de la ville; ses plaies furent arrosées de chaux vive: * et pendant qu'il souffrait ces supplices affreux, il rendait grâces à Dieu. Deux anges lui apparurent alors et lui dirent: «Lève la tête aux cieux et vois.» En regardant il vit lés cieux ouverts et J.-C. tenant une couronne ornée de pierres précieuses qui lui disait «Tu la recevras de ma main.» Un homme nommé Apollinaire, voyant cela, se fit baptiser. C'est pourquoi le président ordonna que tous deux fussent décapités, puisqu'ils persévéraient dans leur confession. Ce qui arriva vers l'an du Seigneur 57.

* Bréviaire romain.





SAINT SYMPHORIEN

Symphorien vient de symphonie. Car il fut comme un instrument de musique qui rend des sons harmonieux de vertu. Dans un instrument de musique il y a trois choses, comme elles existèrent dans Symphorien. D'après Averroës, l'objet qui résonne doit être dur à la résistance, doux pour la prolongation des sons et large quant à leur ampleur. De même Symphorien fut comme un instrument de musique; il fut dur à lui-même par austérité, doux aux autres par mansuétude et large à tous par grandeur de charité.

Symphorien était originaire de la ville d'Autun. Dès sa jeunesse, il excellait par une telle gravité de moeurs qu'il semblait prévenir la vieillesse. Les païens (480) célébraient une fête de Vénus et l'on portait sa statue devant le préfet Héraclius. Symphorien qui s'y trouva ne voulut pas l'adorer; alors il fut battu longtemps et jeté en prison. On le fit sortir ensuite du cachot et comme on le forçait à sacrifier et qu'on lui promettait de grandes récompenses, il dit: «Notre Dieu sait récompenser le mérite comme il sait punir les péchés. Cette vie que nous avons à payer à Dieu comme une dette, payons-la en dévouement. On se repent, trop tard, d'avoir tremblé devant son juge. Vos présents trompeurs qui paraissent avoir la douceur du miel ne sont que poison à ceux dont l'esprit est assez crédule pour les accepter. Votre cupidité, en voulant tout posséder, ne possède rien, parce que enlacée dans les artifices du démon, elle est retenue dans les entraves d'un misérable gain: et vos joies, semblables à une eau glacée, se brisent dès qu'elles reçoivent les rayons du soleil.» Alors le juge, rempli de colère, porta une sentence de mort contre Symphorien. On le conduisait à l'endroit de l'exécution, quand sa mère lui cria de dessus le mur: «Mon fils, mon fils, souviens-toi de la vie éternelle: regarde en haut, et vois celui qui règne dans le ciel. Ta vie n'est point détruite, puisqu'elle est changée en une meilleure * ». Bientôt après il fut décapité, et son corps enlevé par les chrétiens fut enseveli honorablement. Il s'opérait tant de miracles à son tombeau que les païens l'avaient en grand honneur. Grégoire de Tours rapporte ** qu'un chrétien ramassa

* Bréviaire romain.
** De Glor. Mart., l. IV, c. LII.

481

trois pierres à l'endroit où son sang avait été répandu et qu'il les renferma dans une boîte d'argent revêtue de bois. Il la déposa dans un château qu'un incendie dévora tout entier; mais la boîte fut retirée intacte et entière dit milieu du foyer. Il pâtit vers l'an du Seigneur 270.





SAINT BARTHÉLEMY

Barthélemy signifie fils de celui qui suspend les eaux, ou fils de celui qui se suspend. Ce mot vient de Bar, qui veut dire fils, de thelos, sommité, et de moys, eau. De là Barthélemy, c'est-à-dire, le fils de celui qui,suspend les eaux de Dieu; donc, qui élève l'esprit des docteurs en haut, afin. qu'ils versent 'en bas les eaux de la doctrine. C'est un nom Syrien et non pas Hébreu, il v a trois manières d'être suspendu, que notre saint posséda. En effet il fut suspendu, c'est-à-dire élevé au-dessus de l'amour du monde, porté à l'amour des choses du ciel, entièrement appuyé sur la grâce et le secours de Dieu, de sorte que toute sa vie dépendit non de ses mérites mais de l'aide de Dieu. Par la seconde étymologie,est indiquée la profondeur de sa sagesse dont saint Denys dit ce qui suit dans sa Théologie mystique *: «Le divin Barthélemy avance que la Théologie est tout ensemble développée et briève, l'évangile ample, abondant et néanmoins concis.» Saint Barthélemy veut insinuer par là, , d'après l'opinion de Denys, que la nature suprême de Dieu s'élève au-dessus de tout, au-dessus de toute négation, comme de toute affirmation.

Saint Barthélemy, apôtre, en venant dans l'Inde **, qui est située aux extrémités du monde, entra dans

* Chapitre I, 3
** Bréviaire romain.

482

un temple où se trouvait une idole nommée Astaroth, et il s'y arrêta comme ferait un voyageur. Dans cette idole habitait un démon qui prétendait faire du bien aux malades; or, il ne les guérissait pas, mais il suspendait seulement leurs souffrances. Cependant comme le temple était rempli de malades et que, malgré les sacrifices offerts tous les jours pour les infirmes des pays les plus éloignés, on ne pouvait avoir aucune réponse d'Astaroth, les malades allèrent à une autre ville où l'on adorait une idole nommé Bérith. Ils demandèrent à Bérith pourquoi Astaroth ne donnait pas de réponse, et il dit: «Notre Dieu est lié dans des chaînes de feu; il n'ose ni respirer, ni parler, à dater du moment où est: entré l'apôtre de Dieu Barthélemy.» Ils lui disent: «Et quel est ce Barthélemy?» Le démon répondit: «C'est l'ami du Dieu tout-puissant; il est venu en cette province pour chasser tous les dieux de l'Inde.» Et ils dirent: «Dis-nous à quels signes nous pourrions le trouver.» Le démon reprit: «Il a les cheveux crépus et noirs, le teint pâle, les yeux grands, le nez régulier et droit, la barbe longue et mêlée de quelques poils blancs, la taille bien prise; il est revêtu d'une robe sans manches avec des noeuds couleur de pourpre, son manteau est blanc, garni de pierres précieuses couleur de pourpre à chaque coin. Depuis vingt ans qu'il les porte, ses habits et ses sandales ne s'usent ni ne se salissent. Chaque jour il fléchit les genoux cent fois pour prier, et autant pendant la nuit. Les anges voyagent avec lui, et ils ne le laissent pas se fatiguer, ni avoir faim. Son visage , est toujours le même, toujours il est joyeux et gai. Il prévoit tout, il (483) sait tout. Il connaît et comprend les langues de tous les pays, et ce que je vous dis en ce moment, il le sait, déjà; quand vous le cherchez, s'il le veut, il se montrera à vous, mais, s'il ne le veut pas, vous ne pourrez le trouver. Or, je vous prie, quand vous l'aurez rencontré, conjurez-le de ne pas venir ici de peur que ses anges ne me fassent ce qu'ils ont déjà fait à mon compagnon.» Après donc qu'on l'eut cherché avec soin pendant deux jours sans le trouver, un démoniaque s'écria titi jour: «Apôtre de, Dieu, Barthélemy, tes prières me brûlent.» L'apôtre lui dit: «Tais-toi, et sors de cet homme.» A l'instant le possédé fut délivré. En apprenant cela, le roi de ce pays, nommé Polimius, qui avait une fille lunatique, envoya prier l'apôtre de venir chez lui et de guérir, sa fille. L'apôtre étant venu chez le roi, et voyant sa fille enchaînée, parce qu'elle déchirait par ses morsures ceux qui l'approchaient, ordonna de la délier; et comme les serviteurs n'osaient l'approcher, il dit: «Déjà je tiens enchaîné le démon qui était en elle, et vous craignez?» Ou la délia et elle fut délivrée. Alors le roi fit charger des chameaux d'or, d'argent et de pierres précieuses, et fit chercher l'apôtre qu'on ne put rencontrer nulle part. Le lendemain matin, cependant, le roi étant seul dans sa chambre, l'apôtre lui apparut et lui dit: «Pourquoi m'as-tu cherché toute la journée avec de l'or, de l'argent et des pierres précieuses? Ces présents sont utiles à ceux qui sont avides des biens de la terre; quant à moi, je ne désire rien; de terrestre, rien de charnel.» Alors saint Barthélemy se mit à lui apprendre beaucoup de choses sur la manière dont nous avons (484) été rachetés; il lui montra, entre autres, que J.-C. avait vaincu le diable par convenance prodigieuse, par puissance, par justice et par sagesse. 1. Il fut convenable en effet que celui qui avait vaincu le fils d'une vierge, c'est-à-dire, Adam créé de la terre, alors qu'elle était encore vierge, fût vaincu par le fils de la Vierge. 2. Il le vainquit par puissance: comme le diable, en faisant tomber l'homme, avait usurpé l'empire de Dieu, J.-C. l'en chassa avec sa toute-puissance. Et comme le vainqueur d'un tyran envoie ses compagnons de victoire pour arborer ses drapeaux partout et pour abattre ceux du tyran, de même J.-C. vainqueur envoie partout ses messagers afin de renverser le culte du diable et établir à la place le culte de J.-C. 3. Il le vainquit avec justice. Il était juste en effet que celui qui avait vaincu l'homme par le manger, et qui le tenait encore sous sa puissance, fût vaincu par le jeûne d'un homme, et dépouillé de son usurpation. 4. Il le vainquit par sagesse, puisque les artifices du diable furent déjoués par l'habileté de J.-C. Tel fut l'artifice du diable: comme un épervier qui saisit un oiseau, il devait saisir J.-C. dans le désert; si en jeûnant J.-C. n'avait pas faim, il n'y aurait plus de doute qu'il fût Dieu; mais s'il avait faim, il l'aurait vaincu lui-même parla gourmandise comme il avait fait du premier homme; mais Dieu ne se fit pas connaître, parce qu'il eut faim; il ne put pas être vaincu, car il résista à sa tentation. Quand donc il eut enseigné au roi les mystères de la foi, il ajouta que s'il voulait recevoir le baptême, il lui montrerait son Dieu, chargé de chaînes.

Le lendemain, les pontifes offraient, vis-à-vis du (485) palais du roi, un sacrifice à l'idole, quand le démon se mit à crier en disant: «Cessez, misérables, de m'offrir des sacrifices, de peur que vous ne souffriez pire encore que moi qui suis lié de chaînes de feu par l'ange, de J.-C., que les Juifs ont crucifié, avec la pensée qu'il serait retenu par la mort: au lieu qu'il a enchaîné la mort elle-même, notre reine, et qu'il retient captif, dans des chaînes de feu, notre prince, l'auteur de la mort.» Aussitôt tous se mirent en oeuvre d'attacher des cordes pour renverser l'idole, mais ils ne le purent. Alors l'apôtre commanda au démon de sortir de l'idole on la brisant: et à l'instant le démon sortit et brisa lui-même toutes les idoles du temple. Puis l'apôtre fit une prière et tous les infirmes furent guéris. Alors saint Barthélemy consacra le temple à Dieu et ordonna au démon de s'en aller dans le désert. L'ange du Seigneur apparut en cet endroit, et en volant autour, du temple, il gava le signe de la crois avec le doigt aux quatre angles en disant: «Voici ce que dit le Seigneur: Comme je vous ai purifiés de votre infirmité, de même aussi ce temple sera purifié de toute souillure, et de la présence de celui qui l'habitait, puisque l'apôtre l'a fait s'en aller au désert. Mais auparavant, je vous le ferai voir. Ne craignez pas en le regardant, mais faites sur votre front un signe pareil à celui que j'ai sculpté sur ces pierres.» Et il leur montra un Éthiopien plus noir que la suie, à la figure anguleuse, avec une longue barbe, et des cheveux qui lui tombaient aux pieds, des yeux enflammés et jetant des étincelles comme le fer rouge; des flammes couleur de soufre lui sortaient de la bouche et des yeux, et il avait les mains liées (486) derrière le dos avec des chaînes de feu. Et l'ange lui dit: «Puisque tu as entendu l'ordre de l'apôtre, et que tu as brisé toutes lés idoles en sortant du temple, je te délierai afin que tu puisses aller en tel endroit où aucun homme n'habite, et que tu y restes jusqu'au jour du jugement.» Quand il fut délié il disparut en hurlant et faisant un grand bruit: mais l'ange du Seigneur s'envola vers le ciel à la vue de tous les assistants. Alors le roi avec son épouse, ses enfants et tout le peuple reçut le baptême après quoi il quitta son royaume pour se faire le disciple de l'apôtre.

Tous les pontifes des temples s'assemblèrent et allèrent trouver le roi Astyage, son frère. Ils portèrent contre l'apôtre des plaintes concernant la perte de leurs dieux, la profanation du temple et la séduction magique qu'on avait exercée contre le roi *. Alors le roi Astyage indigné fit partir mille hommes armés pour prendre l'apôtre. Quand il eut été amené au roi, celui-ci lui dit: «Es-tu celui qui a perverti mon frère?» L'apôtre répondit: «Je ne l'ai pas perverti, mais je l'ai converti.» Le roi lui dit: «De même que tu as fait que mon frère abandonnât son Dieu pour croire au tien, de même aussi je te ferai abandonner ton Dieu pour sacrifier au mien.» L'apôtre repartit: «Le Dieu qu'adorait ton frère, je l'ai lié, et je l'ai fait voir lié; après quoi je l'ai forcé à briser la statue de l'idole: si tu parviens à en faire autant à mon Dieu, alors tu pourras  m'inviter à adorer la statue, sinon, de mon côté, je briserai tes dieux et tu croiras au mien.»

* Bréviaire romain.

487

Comme l'apôtre parlait encore, on annonce au roi que son dieu Baldach s'était renversé et brisé en morceaux. A cette nouvelle, le roi déchira la robe, de pourpre dont il était revêtu; ensuite il fit fouetter l'apôtre avec des verges, et commanda qu'on l'écorchât vif. Mais les chrétiens enlevèrent son corps, et l'ensevelirent avec honneur. Quant au roi Astyage, et aux pontifes des temples, ils furent saisis par les démons et ils moururent: mais le roi Polimius fut ordonné évêque et après avoir rempli avec honneur pendant vingt ans, le ministère épiscopal, il mourut en paix et plein de vertus. - Il y a différentes opinions sur le genre de la passion de saint Barthélemy car le bienheureux Dorothée dit qu'il fut crucifié. Voici ses paroles: «Barthélemy prêcha aux Indiens et il traduisit dans leur langue l'Évangile selon saint Mathieu. Il s'endormit à Albane,ville de la grande Arménie, et fut crucifié la tête en. bas.» Mais saint Théodore dit qu'il fut écorché. Cependant, dans beaucoup de livres, on lit qu'il fut seulement décapité. On peut concilier ces opinions différentes, en disant qu'il fut d'abord crucifié, ensuite qu'il fut descendu de la croix avant de mourir, et que pour ajouter à ses tortures, il fut écorché et, qu'en dernier lieu, il eut la tête tranchée.

L'an du Seigneur 831, les Sarrasins, qui envahirent la Sicile, ravagèrent l'île de Lipard,  où reposait le corps de saint Barthélemy, et brisant son tombeau, ils dispersèrent ses ossements. Or, voici comme on rapporte que son corps fut transporté, de l'Inde dans cette île. Ces païens voyant que son corps était en grande vénération à cause de la quantité de miracles (488) qu'il opérait, en furent remplis d'indignation et ils le renfermèrent dans un coffre de plomb qu'ils jetèrent dans la mer. Dieu permit qu'il abordât dans l'île susdite*; et comme les Sarrasins avaient dispersé ses os, quand ils se furent retirés, le saint apparut à un moine et lui dit: «Lève-toi, rassemblé mes os qui ont été dispersés.» Le moine lui répondit: «Pour quelle raison devons-nous ramasser vos os ou vous rendre quelque honneur, quand vous nous avez laissé exterminer sans nous secourir?» L'apôtre reprit: «Pendant un long espace de, temps, le Seigneur a épargné ce peuple en vue de mes mérites; mais ses péchés s'augmentant de plus en plus et criant jusqu'au ciel, je n'ai plus pu obtenir pardon pour lui.» Comme le moine lui demandait comment il pourrait jamais trouver ses os qui étaient confondus avec beaucoup d'autres, l'apôtre lui dit: «La nuit, tu iras pour les rassembler, et ceux que tu verras briller comme du feu, tu les enlèveras.» Le moine trouva tout ainsi que l'apôtre lui avait dit :  il enleva les os, et, s'embarquant sur un vaisseau, il les transporta à Bénévent, métropole de la Pouilles Maintenant on dit qu'ils sont à Rome, quoique les Bénéventins assurent les posséder encore. - Une femme avait apporté un vase plein d'huile qu'elle voulait verser dans la lampe de saint Barthélemy. Mais de quelque façon que l'on penchât le vase sur la lampe, il ne pouvait rien en sortir, quoique en touchant l'huile avec les doigts on la trouvât liquide. Alors quelqu'un s'écria: «Je pense qu'il n'est pas agréable à l'apôtre

* Grég. de Tours, De Glor. Martyr., l. I, c. XXXVIII.

489

qu'on verse de cette huile dans sa lampe.» C'est pourquoi on versa dans une autre lampe cette huile qui coula aussitôt.

Quand l'empereur Frédéric détruisit Bénévent, il donna l'ordre de raser toutes les-églises; car son intention était de transporter la ville entière dans un autre endroit. Alors un homme rencontra quelques personnages revêtus d'aubes blanches, et resplendissants, qui, paraissaient parler ensemble et discuter entre eux une question. Cet homme, rempli d'étonnement, demanda qui ils étaient, et l'un d'eux répondit : «Voici l'apôtre Barthélemy avec les autres saints dont il se trouvait des églises. dans la ville: ils se sont réunis pour chercher et discuter quelle peiné devra subir celui qui les a chassés de leurs demeures: déjà ils ont décidé entre eux et leur sentence est inviolable, que le coupable sera traduit sans retard au tribunal de Dieu, devant lequel il aura à répondre de tout cela.».Et de vrai, peu après, ledit empereur mourut misérablement. - On lit dans un livre des Miracles des Saints, qu'un Docteur célébrait solennellement chaque année la fête de saint Barthélemy. Un jour qu'il prêchait, le diable lui apparut sous l'apparence d'une jeune fille remarquablement belle: Le prédicateur jeta les yeux sur elle et l'invita à dîner. Pendant le repas, elle faisait tous ses efforts pour lui inspirer de l'amour. Saint Barthélemy vint à la porte sous la figure d'un pèlerin qui demanda avec instance qu'on le fit entrer pour l'amour de saint Barthélemy. La jeune fille s'y opposa et on envoya au pèlerin un pain que celui-ci refusa d'accepter. Alors, par le messager il envoya prier le (490) maître de lui dire ce qui était plus particulièrement propre à l'homme. Le maître prétendait que c'était le rire, mais la jeune fille répondit: «Dites plutôt le péché, avec lequel l'homme est conçu, naît et vit.» Barthélemy répondit que le maître avait bien parlé, mais quels femme avait donné une réponse renfermant un sens plus profond. En second lieu, le pèlerin envoya demander au maître de lui indiquer un endroit n'ayant qu'un pied d'étendue où Dieu avait manifesté les plus grandes merveilles. Comme le maître disait que, c'était l'endroit de la croix dans lequel Dieu a opéré des miracles, la femme dit: «C'est plutôt la tête de l'homme, dans laquelle existe comme un petit monde.» L'apôtre approuva la sentence de l'un et de l'autre. Troisièmement il demanda quelle distance il y avait depuis le haut du ciel, jusqu'au bas de l'enfer. Comme le maître avouait qu'il ne le savait pas, la femme dit: «Je vois maintenant que je suis surpassée: mais je le sais, moi, qui suis tombée de l'un dans l'autre; et il faut que je te montre cela.» Alors le diable en poussant un grand hurlement se précipita dans l'abîme. Or, quand on chercha le pèlerin, on ne le trouva pas. On lit quelque chose d'à peu près semblable de saint André.

Saint Ambroise dans la préface qu'il a composée pour cet apôtre raconte ainsi sa légende en abrégé. «O Jésus, vous avez daigné manifester d'une manière admirable votre majesté à ceux que vous avez chargés de prêcher votre Trinité qui forme une seule divinité.. Parmi eux, c'est sur saint Barthélemy que vous avez daigné jeter les yeux pour l'envoyer prêcher un peuple éloigné. Aussi l'avez-vous orné de toutes sortes de (491) vertus. Ce peuple, bien que séparé du reste du monde, vous a été acquis, et a été rapproché de vous par les mérites de la prédication de votre apôtre. De quelles louanges n'est pas digne cet homme merveilleux! Ce n'est pas assez pour lui de gagner à la foi les coeurs de ceux qui l'environnent; il vole plutôt qu'il ne marche vers les extrémités du monde habitées par les Indiens: Une multitude innombrable de malades le suit dans le temple du démon et, à l'instant ce père du mensonge ne donne plus de réponses. Oh! combien furent merveilleux les prodiges de sa vertu! Un sophiste veut argumenter contre lui; l'apôtre ordonne et le sophiste reste, muet et épuisé. La fille du roi que le démon tourmentait, il la délivre et la rend guérie à son père. Oh! prodige de sainteté! il force le démon à réduire en poudre les idoles sous lesquelles l'antique ennemi du genre humain se faisait adorer. Il peut bien être compté dans l'armée du ciel celui auquel apparut un ange envoyé de la cour céleste afin de rendre un témoignage certain à la vérité! Cet ange montre, le démon enchaîné, et grave sur la pierre le signe de la croix qui a sauvé les hommes. Le roi et la reine sont baptisés avec leur peuplé, et les habitants de douze villes vous confessent de corps et de cour. Enfin, sur la dénonciation des pontifes païens, un tyran, le frère de Polémius encore néophyte, fait battre de verges l'apôtre, et le fait écorcher et périr de la mort la plus atroce.» Le bienheureux Théodore *, abbé et docteur, dit entre autres ces paroles, au sujet de saint

* Cf. Anastase le Biblioth., t. III, p. 732.

492

Barthélemy: «L'apôtre Barthélemy prêcha premièrement en Lycaonie, ensuite dans l'Inde, enfin dans Albane, ville de la grande Arménie où il fut d'abord écorché et enfin décapité; il y fut aussi enseveli. Quand il reçut du Seigneur la mission de prêcher, je pense qu'il entendit qu'on lui adressait ces mots: «Mon disciple, va prêcher, va au combat: affronte les périls; j'ai achevé l'oeuvre de mon père; j'ai été témoin le premier; accomplis la tâche qui t'est imposée;  marche sur les pas de ton maître; donne sang pour sang, chair pour chair; endure ce que j'ai enduré pour toi dans ma passion. Que tes armes soient la bénignité au milieu de tes fatigues, et la douceur vis-à-vis des méchants, et la patience dans cette vie qui passe.» L'apôtre accepta, et comme un serviteur fidèle, il acquiesça à l'ordre de son Seigneur; il s'avance plein de joie comme la lumière du monde, afin d'éclairer ceux qui vivaient dans les ténèbres: c'est le sel de la terre qui conserve les peuples énervés; c'est le laboureur qui met la dernière main à la culture des coeurs. L'apôtre saint Pierre enseigne aussi les nations, saint Barthélemy en fait autant: Pierre opère de grands prodiges ; Barthélemy fait des miracles éclatants; Pierre est crucifié la tête en bas; Barthélemy, après avoir été écorché vif, est décapité. Autant Pierre conçoit de mystères, autant en pénètre Barthélemy. Il féconde l'Eglise comme le prince des apôtres; les grâces qu'ils ont reçues tous les deux se balancent. De même que la harpe produit des accords harmonieux, de même Barthélemy, qui tient le milieu dans le mystérieux nombre douze, s'accorde avec ceux qui le (493) précèdent comme avec ceux qui le suivent pour produire des sons mélodieux au moyen de la parole divine. Tous les apôtres, en se partageant l'univers, ont été établis les pasteurs du Roi des rois. L'Arménie qui s'étend de Ejulath jusqu'à Gabaoth est la partie qui lui échoit; aussi voyez-le se servir de sa langue comme d'un soc pour labourer le champ de l'esprit des hommes, dans les coeurs desquels il enfouit la parole de sa foi; il plante les jardins et les vignes du Seigneur; il greffe les remèdes qui guériront les passions de chacun; il extirpe les épines nuisibles, il coupe le bois de l'impiété; il entoure le dogme de défenses. Mais qu'ont-ils gagné pour l'offrir au Créateur! Au lieu des honneurs, ils n'ont que déshonneur, au lieu. de bénédiction, malédiction, au lieu des récompenses, .des tourments; au lieu d'une vie de repos, la mort la plus amère: car après avoir subi des supplices intolérables, Barthélemy;fut écorché par les impies comme s'ils avaient prétendu en faire un sac et après sa sortie de ce monde, il ne méprisa pas ceux qui l'avaient tué; mais ceux qui se perdaient, il les attirait par des miracles, ceux qui étaient des adversaires, il les gagnait par des prodiges. Cependant il n'y avait rien qu'il n'employât pour calmer leur fureur aveugle, et pour les éloigner du mal. Or, comment se comportent-ils ensuite? Ils s'acharnent contre le corps du saint. Les malades méprisent celui qui les voulait guérir; les orphelins, celui qui les menait parla, main, les aveugles, leur conducteur, les naufragés, leur pilote, les morts, celui qui leur rendait la vie. Et comment cela? En jetant ce corps saint dans la mer.»


494

« Le flot poussa des rivages de l'Arménie le coffre où étaient les ossements du saint avec quatre autres coffres d'os de martyrs qui avaient été jetés aussi dans la mer. Pendant tout le trajet, les quatre coffres précédaient celui de l'apôtre auquel ils semblaient faire cortège. Ils abordèrent ainsi, auprès de la Sicile, dans une île appelée Lipari. Le prodige fut révélé à l'évêque d'Ostie qui se trouvait présent. Ce trésor inestimable vint dans un lieu très pauvre. Cette pierre des plus précieuses vint aborder sur un rocher; cette lumière resplendissante se répandit dans un lieu obscur. Les quatre autres coffres allèrent dans différents pays et laissèrent le saint apôtre dans l'île citée plus-haut. En effet l'apôtre laissa les quatre martyrs par derrière et envoya l'un, savoir: Papinus, dans une ville de Sicile nommée Milas, un autre qui s'appelait Lucien, à Messine; les deux autres, il les fit aller dans la Calabre, savoir: Grégoire dans la cité de Colonne, et Achatius dans la cité de Chale où jusque aujourd'hui ils brillent par les faveurs qu'ils accordent. Le corps de saint Barthélemy fut reçu au chant des hymnes, au milieu des louanges; on alla au-devant de lui avec des flambeaux, et on éleva en son honneur un temple magnifique. - Le mont Volcano, voisin de l'île, causait: des dommages aux habitants parce qu'il jetait du feu: il s'éloigna de sept stades sans qu'on le vît, et s'arrêta au milieu de la mer, en sorte qu'aujourd'hui encore on n'en aperçoit plus que comme l'apparence d'un feu qui s'échappe. Maintenant donc, salut, ô bienheureux des bienheureux! Trois fois heureux Barthélemy, qui êtes la splendeur de la lumière divine, le (495) pêcheur de la sainte Eglise, l'homme habile à prendre les poissons doués de raison, le doux fruit du palmier vivace, l'exterminateur du diable occupé à blesser le monde par ses violences! Gloire à vous, soleil qui éclairez tout ce qu'il y a sur la terre, bouche de Dieu, langue de feu qui répand la sagesse, fontaine intarissable de santé, qui avez sanctifié la mer dans votre course, qui avez, rougi la terre de la pourpre de votre sang, qui êtes monté aux cieux, où vous brillez dans l'armée divine, qui êtes environné d'un éclat, d'une gloire incorruptible; et qui nagez dans des transports d'un bonheur sans fin! * »





SAINT AUGUSTIN

Augustin fut ainsi nommé, ou bien en raison de l'excellence, ale sa dignité, ou bien pour l'ardeur de son amour; ou bien par la signification étymologique de son nom. 1. L'excellence de sa dignité. De même qu'Auguste excellait sur tous les rois, de même Augustin excelle sur tous les docteurs, selon ce qu'en dit Remi. Daniel compare les autres docteurs a des étoiles quand il dit (XII): «Ceux qui enseignent aux autres la voie de la justice luiront comme des étoiles dans toute l'éternité.» Mais saint Augustin est comparé au soleil dans l'épître qu'on chante en sa messe **. Il a lui dans le temple de Dieu comme un soleil éclatant de lumière. 2. L'ardeur de son amour. De même que le mois d'Auguste (août) est très chaud, de même saint Augustin brûla extraordinairement du feu de l'amour divin.

* Théodore Studite, traduit par Anastase le Bibliothécaire.
** C'était sans doute l'épître de la messe de saint Augustin telle qu'elle se lisait au XIII. siècle, et, qui était prise du L. chapitre de l'Ecclésiastique.

496

Aussi dit-il de lui au livre de ses Confessions: «Vous avez percé mon coeur des flèches de votre charité, etc.» Il dit encore dans le même ouvrage: «Quelquefois vous répandez en moi une douceur si merveilleuse, les sentiments que j'éprouve sont si extraordinaires que, s'ils recevaient leur perfection, ils surpasseraient tout ce qu'on peut ressentir ici-bas.» 3. L'étymologie de son nom. Augustin, vient de augeo, augmenter et de astin, ville, et ana, en haut. Augustin, c'est donc celui qui augmente la cité d'en haut. Et c'est pour cela qu'on chante dans son office *: Qui praevaluit,amplificare civitatem. Voici comme il parle lui-même de cette ville dans le livre XI de la Cité de Dieu: «Dans la Trinité, la cité sainte a son origine, sa beauté, sa béatitude. Demandez-vous son auteur? C'est Dieu qui l'a créée; - l'auteur de sa sagesse? C'est Dieu qui l'éclaire; l'auteur de sa félicité? C'est Dieu dont elle jouit; Dieu perfection de son être, lumière de sa contemplation, joie de sa fidélité; elle est, elle voit, elle aime; elle vit dans l'éternité de Dieu; elle brille dans la vérité de Dieu; elle jouit dans la bonté de Dieu.» - Ou bien selon le Glossaire, Augustin veut dire magnifique, heureux, lumineux; car il fut magnifique dans sa vie, lumineux dans sa doctrine, et heureux dans la gloire. Sa vie fut compilée par Possidius, évêque de Catane, ainsi que le dit Cassiodore, en son livre des Hommes illustres **.

Augustin, docteur éminent, naquit dans la province, d'Afrique, en la ville de Carthage, de parents fort distingués; son père s'appelait Patrice et sa mère Monique. Il fut instruit dans les arts libéraux suffisamment pour être regardé comme un profond philosophe et comme un rhéteur très habile. Il lut et comprit seul

* Le bienheureux Jacques avait un office propre de saint Augustin sous les yeux, car ces paroles ne se rencontrent pas dans les Sacramentaires.
** La vie de saint Augustin est compilée ici d'après Possidius et le livre des Confessions.

497

les ouvrages d'Aristote et tous les livres qui traitent des arts libéraux; il l'assure dans son livre des Confessions: «J'ai lu, dit-il, et compris, sans aucun secours, tout ce que je pus lire traitant de ce qu'on appelle les arts libéraux. Tout ce qui tient à l'art de parler et de raisonner, aux dimensions es corps, à la musique, aux nombres, je l'ai appris sans beaucoup de peines et sans le secours de personne; vous le savez, ô Seigneur, mon Dieu, puisque cette vivacité de conception, cette pénétration d'esprit sont des avantages que je tiens de vous, cependant je ne songeais pas à vous en témoigner ma reconnaissance.» Mais parce que la science isolée de la charité enfle sans édifier, il tomba dans l'erreur des Manichéens qui affirment que le corps de J.-C. est fantastique et nient la résurrection de la chair. Et cela dura pendant l'espace de neuf ans, c'est-à-dire tout le temps de sa jeunesse. Il en vint au point de dire que le figuier pleurait quand on en arrachait les feuilles ou le fruit, A l'âge de dix-neuf ans, comme il lisait l'ouvrage d'un philosophe et dans lequel on démontre qu'il faut mépriser les vanités du monde et s'attacher à la philosophie, il fut contrarié de ne pas rencontrer dans ce livre, qui l'attachait beaucoup, le nom de J.-C. qu'il avait sucé, pour ainsi dire, avec le lait de sa mère. Quant à celle-ci, elle pleurait beaucoup et s'efforçait de le ramener à l'unité de foi. Un jour, dit-il au III. livre de ses Confessions, elle se vit debout sur une règle en bois, fort affligée; quand vient à elle un jeune homme qui lui demanda la cause

* L'Hortensius, de Cicéron.

498    

d'une si grande tristesse. Quand elle lui eut répondu Je déplore la perte de mon fils»., le jeune homme répondit: «Consolez-vous, voyez, il est où vous êtes.» Et voici que tout à coup elle vit son fils à côté d'elle. Quand elle eut raconté sa vision à Augustin, celui-ci dit à sa mère: «Vous voustrompez, ma mère, vous vous trompez; on ne voies a pas dit cela; mais on vous a dit que vous étiez où je suis.» «Non, s'écria-t-elle, non, car l'on ne  m'a pas dit: «Vous êtes où il est, mais  il est où vous êtes.» Cette mère pleine de zèle priait avec importunité, d'après les paroles de saint Augustin dans ses Confessions, un saint évêque de vouloir bien intercéder pour son fils. Et cet homme vaincu en quelque sorte par ses instances lui répondit ces paroles prophétiques: «Allez, soyez tranquille; car il est impossible qu'un fils ainsi pleuré périsse pour ton jours.» Après avoir enseigné pendant bien des années la rhétorique à Carthage, il vint à Rome, secrètement, sans en prévenir sa mère, et il y rassembla beaucoup de disciples. En effet sa mère l'ayant accompagné jusqu'au port pour le retenir ou pour aller avec lui, il la trompa et partit cette nuit-là même à la dérobée. Le matin quand elle s'en aperçut, elle fit retentir ses clameurs aux oreilles de Dieu. Or, chaque jour, le matin et le soir, elle allait à l'église et priait pour son fils. A cette époque, les habitants de Milon envoyèrent prier Symmaque, préfet de Rome, de leur envoyer un maître de rhétorique. C'était alors saint Ambroise, un homme de Dieu, qui était évêque de Milan; Augustin y fut envoyé. Mais sa mère, qui ne pouvait pas goûter de repos, vint le joindre après de grandes (499) difficultés; elle le trouva ni tout à fait manichéen, ni tout à fait catholique. Or, Augustin se prit à s'attacher à saint Ambroise, et à écouter souvent ses prédications. Le saint évêque balançait. beaucoup si dans ses discours il parlerait pour ou contre le manichéisme. Une fois pourtant Ambroise parla longtemps contre cette hérésie, de sorte que par les raisons et par les autorités avec lesquelles il la réfuta, cette erreur fut extirpée entièrement du coeur d'Augustin.

Il raconte ainsi au livre de ses Confessions ce qui lui arriva dans la suite: «A peine eus-je commencé à vous connaître, la faiblesse de ma vue fut éblouie par les flots de lumière que vous lançâtes alors sur moi: une horreur mêlée d'amour fit frémir mon âme, et je découvris que j'étais bien éloigné de vous, dans une région qui vous est étrangère, il me semblait entendre une voix qui me criait d'en haut: «Je suis la nourriture des forts; croissez et vous pourrez vous «nourrir de moi. Vous ne me changerez point, en votre propre substance, comme ces aliments dont votre chair se nourrit; mais ce sera vous qui serez changés en moi.» Or, comme il était bien aise de voir que le Sauveur est lui-même la voie véritable, mais qu'il lui répugnait encore de marcher dans ses étroits sentiers, le Seigneur lui inspira la pensée d'aller trouver Simplicienen qui brillait la lumière, c'est-à-dire la grâce divine, et de lui révéler toutes ses agitations, de sorte que le connaissant bien, il pût lui indiquer le moyen le plus propre à le faire entrer dans la voie de Dieu, où l'un marchait d'une façon et l'autre d'une autre. Il avait pris en aversion la vie qui se menait dans le (500) monde, quand il la comparait aux douceurs et à la beauté de la demeure céleste qu'il aimait. Alors Simplicien se mit à l'exhorter en lui disant: «Combien d'enfants et de jeunes filles qui servent Dieu dans le sein de son Eglise! Et vous ne pourrez pas ce qu'ont pu ceux-ci et celles-là? L'ont-ils pu par eux. mêmes et non par le Seigneur leur Dieu? Pourquoi compter sur vos propres forces? N'avoir que vous-même pour appui, c'est comme si vous n'en aviez point. Jetez-vous dans son sein, il vous recevra, il vous guérira.» Au milieu de ces entretiens, on vint à parler de Victorin; alors Simplicien, enchanté, lui raconte comment ce vieillard n'étant encore que gentil, avait mérité, à cause de sa sagesse, qu'on lui dressât une statue à Rome, sur le forum; chose extraordinaire pour ce temps-là! et comment il ne cessait de se dire chrétien. Car comme Simplicien disait à Victorin: «Je n'en croirai rien, tant que je ne vous aurai pas vit dans l'église.» Mais lui se moquait de cette réponse, en disant: «Sont-ce donc les murailles qui font qu'un homme soit chrétien?» Enfin Victoria vint à l'église, et comme on lui donnait, en cachette, dans la crainte qu'il n'en 'rougît, le livre qui contenait le symbole de la foi afin de le lire tout haut, comme c'était alors la coutume, il monta alors sur l'estrade et en prononça à haute voix les paroles; Rome eu était dans l'admiration et l'Eglise toute joyeuse. Sa présence avait soudainement excité un frémissement et dans un transport unanime suivi d'un profond, silence, chacun s'écria: «C'est Victorin! c'est Victoria!»Saint Augustin reçut alors la visite d'un ami, nommé Pontitient, (501) qui venait d'Afrique; celui-ci lui raconta la vie et les miracles du grand Antoine qui menait de mourir eu Egypte sous l'empereur Constantin. Augustin embrasé fortement par les exemples de ces personnages et en proie à une agitation intérieure que trahissait l'expression de son visage, se tourna vers Alype, son compagnon, et s'écria avec force: «Qu'attendons-nous? Qu'avez-vous entendu? Voici des ignorants qui s'empressent de ravir le ciel, et nous, avec notre science, nous nous précipitons dans l'enfer! Rougirions-nous de marcher après eux, parce qu'ils ont pris le devant, au lieu de, rougir de n'avoir pas même le courage de les suivre?» Alors il alla dans un jardin s'étendre sous un figuier; c'est encore lui qui le rapporte dans ses Confessions; et là, en versant des larmes amères, il poussait ces cris lamentables. «Jusqu'à quand? Jusqu'à quand? Demain et toujours demain? Tout à l'heure; encore un instant.» Mais cet instant n'avait point de terme et ce court répit se prolongeait indéfiniment. Il se plaignait beaucoup de cette lenteur qui l'engourdissait, selon ce qu'il en dit plus tard dans le même ouvrage: «O faiblesse de mon intelligence! que vous êtes élevé, Seigneur, dans les choses les plus élevées! Que vous pénétrez profondément les plus profondes ! Jamais vous ne vous éloignez de nous, et cependant nous avons tant de peine à retourner à vous. Agissez en nous, Seigneur, mettez-vous à l'oeuvre, réveillez-nous et rappelez-nous; enflammez-nous et entraînez-nous; embrasez-nous, pénétrez-nous de vos douceurs.» J'appréhendais de me voir libre de toutes les entraves du monde autant qu'il (502) faudrait craindre de s'y voir engagé. J'ai commencé bien tard à vous aimer, ô beauté toujours ancienne et toujours nouvelle! J'ai commencé bien tard à vous aimer! vous étiez au-dedans de moi; mais j'étais hors de moi; et c'était là que je vous cherchais: quand j'étais moi-même si difforme à vos yeux; je brûlais pour ces beautés qui sont l'ouvrage de vos mains. Vous étiez avec moi et je n'étais pas avec vous. Vous  m'avez appelé, vous avez crié et vous avez ouvert mes oreilles sourdes jusqu'alors. Vous avez frappé mon âme de vos éclairs; vous avez lancé vos rayons sur elle et mes yeux aveuglés se sont ouverts. Vous  m'avez fait sentir l'odeur de vos parfums et je respire, je soupire pour vous. Vous m'avez touché, et mon ardeur s'est enflammée pour jouir de votre paix.» Et comme il versait des larmes amères, il entendit une voix qui lui dit: «Prenez et lisez; prenez et lisez.» Et il se hâta d'ouvrir le livre de l'apôtre, et il lut le chapitre sur lequel ses yeux se portèrent d'abord: «Revêtez-vous de Notre-Seigneur J.-C.», et à l'instant furent dissipées les ténèbres où ses doutes l'avaient plongé. Sur ces entrefaites, il fut tourmenté d'un très violent mal de dents, en, sorte qu'il en serait presque venu à .croire, c'est lui qui le dit, à l'opinion du philosophe Cornélius, qui faisait consister le souverain bien de l'âme dans la sagesse et le souverain bien du corps dans l'absence entière du sentiment de la douleur. Or, cette douleur fut si violente qu'il en perdit la parole. Ce fut alors, ainsi qu'il le rapporte dans ses Confessions, qu'il écrivit sur des tablettes de cire que tous ses amis priassent pour lui, afin que le Seigneur le guérit. Il se (503) mit lui-même à genoux avec les autres, et à l'instant il se sentit guéri. Il écrivit donc au saint pontife Ambroise pour lui confier ses intentions, en le priant de lui indiquer ce qu'il devait lire, de préférence, dans les Livres saints, pour le rendre plus digne de la foi catholique. L'évêque recommanda la lecture du prophète Isaïe, qui lui paraissait avoir prédit le plus clairement l'Evangile et la vocation des gentils. Mais Augustin n'en comprenant pas le commencement et pensant qu'il était partout obscur, l'abandonna, en se réservant d'y revenir lorsque les saintes Ecritures lui seraient devenues plus familières. Or, quand l'époque de Pâques fut arrivée, Augustin, parvenu à l'âge de trente ans, reçut, avec Alype, son ami, le saint baptême ainsi que son fils Adéodat, enfant plein d'esprit, qu'il avait eu dans sa jeunesse, alors qu'il était encore païen et philosophe. Il devait ce bonheur aux mérites de sa  mère et à la prédication de saint Ambroise, Alors, diton, saint Ambroise s'écria: Te Deum laudamus!et Augustin répondit: Te Dominum confitemur. Et ce fut . ainsi que tous les deux composèrent, en se répondant alternativement, cette hymne qu'ils chantèrent en entier jusqu'à la fin. C'est ce qu'atteste encore Honorius (d'Autun), Patrol. lat., 172, dans son livre intitulé Miroir de l'Eglise. Cependant dans quelques livrés anciens, le Te Deum est intitulé ainsi: «Cantique compilé par saint Ambroise et saint Augustin.» Tout aussitôt après, Augustin fut affermi merveilleusement dans la foi catholique; il abandonna toutes les espérances qu'il pouvait attendre du monde et renonça à donner des leçons dans les écoles. Il raconte lui-même dans (504) ses Confessionsl'abondance des douceurs que lui faisait éprouver l'amour divin: «Vous aviez, dit-il, Seigneur, percé mon coeur des traits de votre amour et je portais vos paroles comme fixées au fond de mes entrailles; les exemples de vos serviteurs qui étaient passés, par votre secours, des ténèbres à la lumière et de la mort à la vie, se pressaient en foule dans mon esprit pour enflammer mon ardeur et dissiper ma languissante apathie. Je sortais de cette vallée de larmes et je chantais le cantique des degrés *, blessé des flèches aiguës et des charbons ardents qui venaient de vous. Je trouvais une douceur infinie, dans ces premiers jours, à considérer la profondeur de vos desseins sur le salut des hommes. Combien de larmes je versai en prêtant l'oreille à ce mélodieux concert dés, hymnes et des cantiques qui retentissaient dans vôtre église! Pendant que mes oreilles cédaient au, charme de ces paroles, votre vérité se glissait par elles dans mon coeur: mes larmes coulaient par torrents, et c'était un bien pour moi de les répandre. Ce fut alors en effet qu'on établit le chant des cantiques dans l'église de Milan. Je  m'écriais du fond de mon coeur: Oh ! ce sera dans la paix ! oh! ce sera dans son sein (ah

quelles paroles !) que je dormirai, que je me reposerai, que je prendrai mon sommeil! car vous êtes bien cet être qui ne change point: en vous je trouve le repos qui fait oublier toutes les. peines: Je lisais ce psaume en entier ** et je brûlais, moi qui tout à l'heure n'étais

* C'est-à-dire le psaume CXIX, Ad te levavi.
** Le psaume IV, Cum invocarem, exaudivit me Deus.

505

qu'un ennemi acharné, un aveugle et furieux détracteur de ces Ecritures qui distillent un miel céleste et brillent de tout l'éclat de votre lumière: je séchais de douleur en pensant aux ennemis de ce divin Livre. O Jésus, mon appui! Que soudain il me parut doux: de renoncer aux douceurs des vains amusements! Ce que j'avais tant redouté de perdre; je le quittai avec joie. Car vous les chassiez loin de moi ces douceurs; vous, la véritable et la souveraine douceur; vous les chassiez pour prendre leur place, vous qui êtes plus suave que toutes les voluptés, mais d'une suavité inconnue de la chair et du sang; qui êtes plus brillant que toute lumière, mais plus caché que ne l'est aucun secret; qui êtes plus élevé que toutes les dignités, mais non aux yeux de ceux qui s'élèvent eux-mêmes.»

Après quoi, il se prépara à revenir en Afrique avec Nébrode, Evode et sa mère. Mais arrivés à Ostie, sa pieuse mère mourut. Alors Augustin revint dans ses propriétés, où se livrant; avec ceux qui lui étaient. attachés, aux jeûnes et à la prière, il écrivait des livres et instruisait les ignorants. Sa réputation se répandait partout: on le trouvait admirable dans tous ses écrits et dans ses actions. Il avait soin de ne point aller dans les villes où les sièges étaient vacants, de peur qu'il ne fût exposé aux embarras de l'épiscopat. Il y avait dans le même temps à Hippone un homme jouissant d'une grande fortune qui envoya dire à saint Augustin que, s'il venait le trouver et le faire jouir de son entretien, il pourrait bien renoncer au monde. A cette nouvelle, Augustin se hâta de venir. Alors Valère, évêque d'Hippone, informé de sa (506) réputation, l'ordonna prêtre de son église, malgré toutes ses résistances. Quelques-uns attribuaient ses larmes à son orgueil, et lui disaient, pour le consoler, que le poste qu'il occupait comme prêtre, bien qu'inférieur à son mérite, était un acheminement vers l'épiscopat. Aussitôt Augustin établit un monastère de clercs, dans lequel il commença à vivre selon la règle instituée par les saints apôtres, et d'où il sortit au moins dix évêques. Or, comme l'évêque Valère était grec de naissance et peu versé dans les lettres et dans la langue latine, il donna à Augustin le pouvoir de prêcher en sa présence dans l'église, ce qui était contre les usages de l'Orient: mais comme beaucoup d'évêques ne lés suivaient pas en ce point, il né s'en inquiéta pas, pourvu que le bien qu'il ne pouvait opérer se fit par un autre que soi. Dans le même temps, il convainquit, gagna et réfuta Fortunat, prêtre manichéen et d'autres hérétiques, principalement les rebaptiseurs, les donatistes et les manichéens. Alors Valère commença à craindre qu'on ne lui enlevât Augustin et que quelque autre ville ne le demandât pour évêque. Et on aurait bien pu le lui ravir, s'il n'eût pris garde de l'envoyer dans un lieu retiré, de manière qu'on ne putle trouver. Il demanda donc à l'archevêque de Carthage la permission de se démettre en faveur d'Augustin qui serait promu à l'évêché d'Hippone. Mais Augustin s'opposa de toutes ses forces à ce projet: enfin, pressé- et poussé, il fut obligé de céder, et il se chargea du fardeau de l'épiscopat. Dans la suite; il dit et il écrivit qu'on n'aurait pas dû l'ordonner évêque du vivant de celui qu'il remplaçait. Il sut plus tard que (507) cela était défendu par un concile général; aussi ne voulait-il pas faire pour d'autres ce qu'il regrettait qu'on eût fait pour lui. Et il donna tous ses soins à ce que dans les conciles des évêques il fût statué que ceux qui conféraient les ordres intimassent toutes les ordonnances des Pères à ceux qui devaient être ordonnés. On lit qu'il dit plus tard en parlant de lui-même: «Je n'ai jamais mieux reconnu que Dieu fût irrité contre moi, que quand j'ai été placé au gouvernail de l'église, alors que je n'étais pas digne d'être mis au nombre des rameurs.» Ses vêtements, sa chaussure et ses autres ornements n'étaient ni trop brillants ni trop négligés, toutefois ils étaient simples et convenables. On lit en effet qu'il dit de soi: «Je l'avoue, je rougis d'avoir un habit précieux; c'est pour cela que quand on  m'en donne un, je le vends, afin de pouvoir au moins en partager le produit, puisque je ne puis partager l'habit.» Sa table était servie frugalement et simplement, et avec les herbes et les légumes, il y avait le plus souvent de la viande pour les infirmes et les hôtes. Pendant les repas, il goûtait plus la lecture ou la discussion que les mets eux-mêmes et il avait fait graver dans sa salle ce distique contre le poison de la médisance:

Quisquis amatdictis absentûm rodere vitam,

Hanc mensamindignam noverit esse sibi *.

Aussi il arriva une fois que quelques-uns de ses collègues dans l'épiscopat avec lesquels il vivait dans

* O vous qui des absents déchirez la conduite,

Sachez qu'aux détracteurs ma table est interdite.

508

la familiarité, s'étant permis de médire, il les reprit durement, et dit que s'ils ne cessaient, ou bien il effacerait ces vers ou bien il allait quitter la table. Ayant invité un jour quelques intimes à un repas, l'un d'eux, plus curieux que les autres, entra dans la cuisine, où, ayant trouvé tout refroidi, il demanda à son retour à saint Augustin quels mets le père de famille avait commandé de servir. Augustin, qui ne s'occupait pas de choses pareilles, lui répondit: «Et je ne le sais pas plus que vous.»

Il disait avoir appris trois choses de saint Ambroise: la première de ne demander jamais de femme pour quelqu'un; la seconde, de ne jamais exciter personne qui voulût s'engager dans l'état militaire, à suivre ce parti; et la troisième, de n'accepter aucune invitation pour un repas. Quant à la première, c'était dans la crainte que les époux ne se convinssent pas et se querellassent; quant à la seconde, c'était de peur que. si les militaires se livraient à la calomnie, cela ne lui fût reproché; enfin, quant à la troisième, c'était pour ne point dépasser les bornes de la tempérance. Telle fut sa pureté et son humilité, que même les péchés les plus légers, qui parmi nous sont réputés nuls ou minimes, il les avoue dans le livre des Confessions et s'en accuse en toute humilité devant Dieu: car il s'y accuse qu'étant enfant, il jouait à la paume, au lieu d'aller à l'école. Il s'accuse encore de, ne vouloir ni lire, ni, s'appliquer, si son maître ou ses parents ne l'y forçaient; de ce qu'étant enfant, il lisait volontiers les fables des poètes, comme celle d'Enée, et qu'il pleurait sur Didon se tuant par amour; de dérober sur la (509) table ou dans le cellier quelque chose qu'il pûtdonner aux enfants, ses compagnons de jeu; de les avoir trompés quelquefois au jeu. Il s'accuse aussi d'avoir volé, à l'âge de seize ans, des poires sur l'arbre de son voisin.

Dans ce même livre de ses Confessions, il s'accuse d'une légère délectation qu'il éprouvait quelquefois en mangeant: «Vous  m'avez appris, dit-il, Seigneur, à ne considérer les aliments que comme un remède, et c'est dans cet esprit que je  m'efforce de satisfaire à ce besoin. Mais lorsque je passe de la douleur que me cause la faim à cet état de quiétude qui s'empare de moi quand elle est apaisée, alors la concupiscence me tend des pièges. Cette transition est vraiment une volupté, et il n'est pas d'autre voie pour satisfaire à cette nécessité à laquelle nous sommes réduits.

«En effet le boire et le manger étant nécessaires à la conservation de notre existence, un certain plaisir s'est attaché à cette nécessité comme une compagne inséparable: mais bien souvent elle s'efforce de prendre les devants, pour  m'obliger à faire pour elle-même ce que je dois et ne veux faire seulement que pour ma santé. Pour les excès du vin, j'en suis bien éloigné, et j'espère que vous me ferez la race de n'y tomber jamais. Après les repas, un  certain engourdissement peut s'emparer de quelqu'un des vôtres, vous me ferez la grâce d'en être préservé. Quel est donc l'homme, ô mon Dieu, qui n'est pas quelquefois entraîné au delà des bornes que lui prescrit la nécessité? Oh! celui-là est grand; qu'il glorifie votre nom. Mais ce n'est pas (510)  moi qui suis un malheureux pécheur!» Il ne se croyait pas exempt de fautes par rapport à l'odorat et il disait: «Quant aux plaisirs qu'excitent en nous les odeurs, je  m'en inquiète peu: je ne les recherche pas quand elles me manquent; quand elles viennent à moi, je ne les repousse pas, toujours disposé à  m'en priver pour toujours. C'est du moins, si je ne me trompe, ce que je crois ressentir: car nul ne doit être dans une sécurité complète dans cette vie qu'à juste titre on peut appeler une tentation continuelle, puisque celui qui de méchant est devenu bon, ne sait pas si de bon il ne deviendra pas plus méchant.» Voici ce qu'il dit touchant le sens de l'ouïe: «Les plaisirs de l'ouïe avaient pour moi, je l'avoue, plus de charmes et plus d'attraits; mais vous avez rompu ces liens et  m'en avez affranchi. S'il  m'arrive d'être plus ému par la mélodie que par les paroles que l'on chante, alors je reconnais avoir péché et je préférerais ne point entendre chanter en cette occasion.»

Il s'accuse encore des péchés de la vue, comme quand il dit qu'il aimait trop volontiers à voir un chien courir, qu'il prenait plaisir à regarder la chassé, quand il lui arrivait de passer dans la campagne, qu'il examina avec trop d'attention des araignées enveloppant des mouches dans leurs toiles, alors qu'il était chez lui. Il s'accuse de cela devant Dieu comme de choses qui distraient dans es bonnes méditations et qui troublent les prières. Il s'accuse aussi de désirer les louanges et d'être entraîné par la vaine gloire: «Celui, dit-il, Seigneur, qui ambitionne les louanges des hommes, alors qu'il s'attire votre blâme, (511) ne sera point défendu par les hommes lorsque vous le jugerez, ni délivré par eux; lorsque vous le condamnerez.

Un homme que l'on félicite de quelque bienfait qu'il a reçu de votre main; se complaît plus dans les louanges qu'on lui donne, que dans la grâce qui les lui a méritées. Nous sommes tous les jours exposés sans relâche à ces sortes de tentation, et la langue de l'homme est une fournaise où nous sommes mis journellement à l'épreuve. Néanmoins je ne voudrais pas que le bon témoignage des autres n'ajoutât rien à la satisfaction que j'éprouve du bien qui peut être en moi; mais il faut l'avouer non seulement ce bon témoignage l'augmente, mais le brame la diminue. Je suis contristé des éloges que l'on me prodigue, soit qu'ils se rapportent à des choses que je suis fâché. de trouver en moi, soit que l'on y estime de petites qualités plus qu'elles ne le méritent.»

Ce saint homme réfutait les hérétiques avec une si grande énergie, qu'ils disaient entre eux publiquement que ce n'était pas pécher de tuer Augustin qu'ils regardaient comme un loup à égorger; et ils affirmaient aux assassins que Dieu leur pardonnerait alors tous leurs péchés.

Il eut à subir grand nombre d'embûches de leur part quand il avait besoin de voyager; mais la providence de Dieu permettait. qu'ils se trompassent de chemin et qu'ils ne le rencontrassent point. Pauvre lui-même, il se souvenait toujours des pauvres, et il leur donnait libéralement de tout ce qu'il pouvait avoir : car il en vint jusqu'à faire briser et fondre les vases (512) sacrés afin d'en donner la valeur aux pauvres, aux captifs et aux indigents. Il ne voulut jamais acheter ni champ, ni maison à la ville ou à la campagne. Il refusa grand nombre d'héritages qui lui avaient été légués, par la raison que cela devait appartenir de préférence aux enfants ou aux parents des défunts. Quant aux biens de l'Eglise, il n'y était pas attaché: ils ne lui donnaient aucun tracas; mais le jour et la nuit, il méditait les Saintes Ecritures et les choses de Dieu. Jamais il ne s'occupait de nouvelles constitutions qui auraient pu lui embarrasser l'esprit que toujours il voulait conserver exempt de tout tracas extérieur, afin de pouvoir se livrer avec liberté à des méditations continuelles et à des. lectures assidues. Ce n'est pas qu'il empêchât quelqu'un de bâtir, à moins qu'il ne s'aperçût qu'on le fît sans mesure. Il louait aussi beaucoup ceux qui avaient le désir de la mort, et il rapportait fort souvent à ce sujet les exemples de trois évêques. C'était saint Ambroise qui, au lit de la mort, répondit à ceux qui lui demandaient d'obtenir pour soi, par ses prières, un prolongement de vie: «Je n'ai pas vécu de manière à rougir de vivre parmi vous, et je ne crains pas de mourir, puisque nous avons un bon maître.» Réponse que saint Augustin vantait extraordinairement. Il citait encore l'exemple d'un autre évêque auquel on disait qu'il était fort nécessaire à l'Eglise, et que cette raison ferait que Dieu le délivrerait encore, et qui répondit: «Si je ne devais jamais mourir, ce serait bien; mais si je dois mourir un jour, pourquoi pas maintenant? » Il rapportait encore ce que saint Cyprien racontait d'un autre évêque qui, souffrant beaucoup, demandait le (513) rétablissement de sa santé. Un jeune homme d'une grande beauté lui apparut alors et lui dit avec un mouvement d'indignation: «Vous craignez de souffrir, vous ne voulez pas mourir, que vous ferai-je?» Il ne laissa demeurer avec lui aucune femme, pas même sa soeur Germaine, ni les filles de son frère qui s'étaient vouées ensemble au service de Dieu. Il disait que, quand bien même on n'aurait aucun soupçon mauvais par rapport à sa soeur et à ses nièces, cependant parce que ces personnes auraient besoin des services d'autres femmes, qui viendraient chez elles, avec d'autres, ce pourrait être un sujet de tentation pour les faibles, ou certainement une source de mauvais soupçons pour les méchants. Jamais il ne voulait parler seul à seule avec une femme, à moins qu'il ne se fût agi d'un secret. Il fit du bien à ses parents, non pas en leur procurant des richesses, mais en les empêchant, d'être dans l'a gêne ou bien dans l'abondance. Il était rare qu'il s'entremît en faveur de quelqu'un par lettres ou par paroles, imitant en cela la conduite d'un philosophe qui par amour de sa réputation ne rendit pas de grands services à ses amis, et qui répétait souvent: «Presque toujours, pouvoir qu'on demande, pèse.» Mais quand il le faisait, il mesurait son style de manière à ne pas être importun, mais à mériter d'être exaucé en faveur de la politesse de sa demande.

Il préférait avoir à juger les procès de ceux qui lui étaient inconnus, plutôt que ceux de ses amis; et il disait que parmi les premiers il pouvait distinguer le coupable, sans avoir rien à craindre, et que de l'un d'eux il s'en ferait un ami, mais qu'entre ses amis, il (514)  en perdrait certainement un, savoir celui contre lequel il prononcerait sa sentence. Beaucoup d'églises l'invitèrent; il y prêchait la parole de Dieu et opérait des conversions. Quelquefois, dans ses prédications, il sortait du cadre qu'il s'était tracé; alors il disait que cela entrait dans le plan de Dieu pour le salut de quelqu'un. Ce qui fut évident, par rapport à un homme d'affaires des manichéens, qui se convertit en assistant a une prédication où saint Augustin fit une digression contre cette hérésie. En ce temps-la mes Goths s'étaient emparés de Rome; alors les idolâtres et les infidèles insultaient beaucoup les chrétiens; à cette occasion, saint Augustin composa son livre de la Cité de Dieu, pour démontrer qu'ici-bas les justes doivent souffrir et les impies prospérer. Il y traite des deux cités, celle de Jérusalem et celle de Babylone- et de leurs rois, parce que le roi de Jérusalem, c'est J.-C., et le roi de Babylone, c'est le diable. «Deux amours, dit-il, ont bâti ces deux cités, l'amour de soi, allant jusqu'au mépris de Dieu, a bâti la cité du' diable, et l'amour de Dieu, allant jusqu'au mépris de soi, la cité de Dieu.» Pendant qu'Augustin vivait encore, vers l'an du Seigneur 440, les Vandales s'emparèrent de toute la province d'Afrique, ravageant tout, et n'épargnant ni le sexe, ni le rang, ni l'âge. Quand ils arrivèrent devant la ville d'Hippone, ils l'assiégèrent vigoureusement. Au milieu de cette- tribulation, saint Augustin, plus que personne, passa les . dernières années de sa vie dans l'amertume et la tristesse. Ses larmes lui servaient de pain le jour et la nuit, en voyant ceux-ci tués, ceux-là forcés de fuir, les églises veuves de leurs prêtres, et les villes détruites et  sans habitants: Au milieu de tant de maux, il se consolait par cet adage d'un sage, qui disait. Celui-là n'est pas: nu grand homme qui regarde comme chose extraordinaire que les arbres tombent, que les pierres s'écroulent et que les mortels meurent.» Mais il rassembla ses frères et leur dit: «Oui, j'ai prié Dieu afin qu'il nous délivre de ces périls, ou qu'il nous accorde la patience, ou bien qu'il  m'enlève de cette vie pour n'être point forcé devoir tant de calamités.» Il n'obtint que la troisième demande, car après trois mois de siège, en février, la fièvre le prit, et il se mit au lit. Comprenant que sa fin approchait, il se fit écrire les sept Psaumes de la pénitence qu'il commanda,d'attacher à la muraille, à côté de son lit., d'où il les lisait, en versant sans cesse des larmes abondantes; et afin de ne penser qu'à Dieu et de n'être gêné par personne,: dix jours avant sa mort, il défendit de laisser entrer qui que ce fût dans sa. chambre, si ce n'est le médecins ou bien celui qui lui apportait quelque nourriture. Or, un malade vint le trouver, et le pria instamment de lui imposer les mains et de le guérir. Augustin lui répondit: «Que dis-tu là, mon fils? Penses-tu que si je pouvais faire chose pareille; je ne me l'accorderais pas pour moi? » Mais le malade insistait, et lui assurait que dans une vision qu'il avait eue, il lui avait été ordonné de venir le trouver, et qu'il serait guéri. Alors Augustin, voyant sa foi, pria pour lui et il fut guéri. Il délivra beaucoup d'énergumènes et fit plusieurs autres miracles. Au livre XXII de la Cité de Dieu, il rapporte, comme ayant été opérés par un (516) autre, deux miracles qu'il fit. «A ma connaissance, dit-il, une jeune personne d'Hippone, ayant répandu sur elle une huile où le prêtre qui priait pour elle avait mêlé ses larmes, fut délivrée du démon.» Il dit encore au même endroit: «Il est aussi à ma connaissance que le démon quitta soudain un jeune possédé; un évêque avait prié pour ce jeune homme sans le voir.» Il n'y a aucun doute qu'il ne parle de lui-même, mais par humilité, il n'a pas voulu se  nommer. Il rapporte, dans ce même ouvrage, qu'un malade devait être taillé, et on craignait beaucoup qu'il ne mourait de cette opération. Le malade pria Dieu avec abondance de larmes; Augustin pria avec lui et pour lui, et sans aucune incision, il reçut une guérison parfaite. Enfin, à l'approche de son trépas, il laissa cet enseignement mémorable, savoir que l'homme, quelque excellent qu'il soit, ne doit pas mourir sans confession, et sans recevoir l'Eucharistie. Quand ses derniers instants furent arrivés, jouissant de toutes ses facultés, la vue et l'ouïe encore saines, à l'âge de 77 ans, et de son épiscopat la 40e, en présence de ses frères rassemblés et priant, il passa au Seigneur. Il ne fit aucun testament, parce que ce pauvre de J.-C. ne laissait rien qu'il prît léguer. Il vivait vers l'an du Seigneur 400.

Augustin, cet astre éclatant de sagesse, cette forteresse de la vérité, ce rempart de la foi, l'emporta sans comparaison sur tous les docteurs de l'Eglise, aussi bien par son génie que par sa science: Il fut aussi illustre par ses vertus que par sa doctrine: C'est ce qui fait que le bienheureux Remi, en parlant de saint (517) Jérôme et de quelques autres docteurs, conclut ainsi «Saint Augustin les surpassa tous par le génie et par la science. Car bien que saint Jérôme avoue avoir lu les 6000 ouvrages d'Origène, cependant saint Augustin en a tant écrit, que non seulement, personne, y passât-il ses jours et ses nuits, ne saurait transcrire ses livrés, mais qu'il ne s'en rencontre pas même un, qui les ait lus en entier.» Volusien, auquel saint Augustin adressa une lettre, parle ainsi: «Cela ne se trouve pas dans la loi de Dieu si saint Augustin l'ignore.» Saint Jérôme dit dans une lettre écrite par lui à saint Augustin: «Je n'ai encore pu répondre à vos deux opuscules si pleins d'érudition et d'une éloquence si brillante; certes, tout ce qu'on peut dire, tout ce à quoi peut atteindre le génie, et tout ce qu'on saurait puiser dans les saintes Ecritures, vous l'avez traité, vous l'avez épuisé: mais je prie Votre Révérence de me permettre de donner à votre génie les éloges qu'il mérite.» Dans son ouvrage des Douze Docteurs, saint Jérôme écrit ces mots sur saint Augustin: «Saint Augustin, évêque, est comme l'aigle qui plane sur le sommet des montagnes: Il ne s'occupe pas de ce qui se trouve au bas, mais il traite avec clarté de ce qu'il y a de plus élevé dans les cieux; il embrasse d'un coup d'oeil la terre avec les eaux qui l'entourent.» On peut juger du respect et de l'amour qu'éprouvait saint Jérôme pour saint Augustin par les lettres que celui-ci lui adressa. Il s'exprime ainsi dans l'une d'elles «Jérôme, au saint et très heureux seigneur pape, salut. En tout temps, j'ai eu le plus profond respect pour votre béatitude, et j'ai chéri  J.-C. notre Sauveur (518) qui habite en vous; mais aujourd'hui je veux, s'il est possible, ajouter quelque chose encore et mettre le comble à ma pensée; c'est que je ne me permets pas de passer même une heure sans avoir votre nom, présent à mon esprit.» Dans une autre lettre qu'il lui envoie: «Tant s'en faut, dit-il, que j'ose toucher à quoi que ce soit des ouvrages de votre béatitude; j'ai déjà assez de corriger les miens, sans porter la main sur ceux des autres. » Saint Grégoire s'exprime ainsi dans une lettre écrite à Innocentius, préfet d'Afrique

«Nous nous réjouissons du désir que vous manifestez de recevoir de nous l'exposition sur Job. Mais si vous souhaitez vous rassasier de quelque nourriture délicieuse, lisez les opuscules de saint Augustin, votre compatriote; vous trouverez que c'est, en comparaison de notre livre, de la fleur de farine à côté de quelque chose de fort inférieur venant de nous.» Voici ce qu'il écrit dans son Registre: «On lit que saint Augustin ne consentit pas même à habiter avec sa, soeur; car, disait-il, elles qui sont avec ma, soeur ne sont pas mes soeurs. La précaution excessive de ce grand docteur doit nous servir de leçon. On lit dans la Préface Ambroisienne: «Nous adorons, Seigneur, votre magnificence au jour de la mort de saint Augustin: car votre force, qui opère dans tous, a fait que cet homme embrasé de votre esprit, ne se laissa pas vaincre par les promesses des attraits fallacieux vous l'aviez en effet rempli de tout genre de piété, en sorte qu'il vous était tout à la fois, l'autel, le sacrifice, le prêtre et le temple.» Saint Prosper dans son Traité de la vie contemplative (Julien Pomère, l. III), (519) parle ainsi. de saint Augustin: «Il avait un génie pénétrant, une éloquence suave; un grand fonds de littérature classique; il avait scruté les matières ecclésiastiques; il était clair dans ses discussions de tous les jours, grave dans son maintien, habile à résoudre une question, attentif à réfuter les hérétiques, catholique dans l'exposition du dogme, sûr dans l'explication des écritures canoniques.» Saint Bernard dit de son côté: «Augustin, c'est le fléau le plus redoutable des hérétiques.»

Après sa mort, les barbares ayant fait invasion dans le pays, ils profanèrent les lieux saints; alors les fidèles prirent le corps de saint Augustin et le transportèrent en Sardaigne. 280 ans s'étant écoulés depuis sa mort, vers l'année du Seigneur 718, Luitprand, pieux roi des Lombards, apprenant que la Sardaigne avait été dépeuplée par les Sarrasins, fit partir des messagers pour faire rapporter à Pavie les reliques du saint docteur *. Au prix d'une somme considérable, ils obtinrent le corps de saint Augustin et le transportèrent jusqu'à Gênes. Le saint roi l'ayant appris, il se fit un bonheur de venir à sa rencontre et de le recevoir. Mais le lendemain matin, quand on voulut reprendre le corps, on ne put le lever de l'endroit qu'il occupait, jusqu'au moment où le roi fit voeu que si le saint se laissait emmener, il ferait bâtir, au même lieu,. une église qui serait dédiée en son nom. Aussitôt on put prendre le corps sans difficulté.

* Vincent de Beauvais., Hist., l, XXIII, c. CXLVIII ; - Sigebert, an 721.

520

Le roi tint sa promesse et fit construire à Gènes une église en l'honneur de saint Augustin: Pareil miracle arriva le lendemain dans une villa du diocèse de Tortone, nommée Casal, où l'on construisit encore une église en l'honneur de saint. Augustin. De plus, Luitpraud concéda cette même villa avec toutes ses dépendances, pour être possédée à perpétuité par ceux qui desserviraient l'église. Or, comme le roi voyait qu'il plaisait au saint qu'on lui élevât une église partout où il s'arrêtait, dans la crainte qu'il ne se choisît un autre lieu que celui où il voulait le mettre, partout où on passait la nuit avec le saint corps, il fondait une église en son honneur. Ce fut ainsi qu'on arriva à Pavie dans des transports de joie, et que l'on plaça les saints restes avec de grands honneurs dans l'église de saint Pierre, appelée au Ciel d'or. - Un meunier, qui avait une dévotion toute spéciale à saint Augustin, souffrait à la jambe d'une tumeur nommée phlegma salsum, et il invoquait pieusement saint Augustin à son secours. Le saint, dans une vision, lui toucha la jambe et le guérit. A son réveil, se trouvant délivré, il rendit grâces à Dieu et à saint Augustin. - Un enfant avait la pierre et de l'avis des médecins, il fallait le tailler. La mère qui craignait que l'enfant ne mourût, s'adressa dévotement à saint Augustin pour qu'il secourût son fils. Elle n'eut pas plutôt fini sa prière que l'enfant rendit la pierre en urinant et recouvra une parfaite santé.

Dans un monastère, appelé Elémosina, un moine, la veille de la fête de saint Augustin, fut ravi en extase et vit une nuée lumineuse descendant du ciel, et sur (521) cette nuée saint Augustin assis revêtu de ses habits pontificaux. Ses yeux étaient comme deux rayons de soleil illuminant toute l'église qui était remplie d'une odeur très suave. - Saint Bernard étant à Matines s'assommeilla un peu, et pendant qu'on chantait une leçon de saint Augustin, il vit un jeune homme très beau gui se tenait debout, et de la bouche duquel sortait une si grande abondance d'eau que toute l'église, paraissait devoir en être remplie. Saint Bernard ne fit pas difficulté de penser que c'était saint Augustin qui a fait couler dans l'Eglise entière des fontaines de doctrine. - Un homme, qui aimait singulièrement saint Augustin, donna beaucoup d'argent à un moine, gardien du saint corps, pour avoir un doigt d'Augustin. Le moine reçut bien l'argent, mais, à la place' du doigt de saint Augustin, il lui donna le doigt d'un mort qu'il enveloppa dans de la soie. L'homme le reçut avec respect et lui adressait sans cesse ses hommages avec grande dévotion, le pressant sur sa bouche, sur ses yeux et le suspendant à sa poitrine. Dieu, qui voyait sa foi, lui donna d'une manière aussi miraculeuse que miséricordieuse un doigt de saint Augustin; l'autre avait disparu. Cet homme étant rentré dans sa patrie, il s'y fit beaucoup de miracles et le bruit en alla jusqu'à Pavie. Mais comme,le moine assurait que c'était le doigt d'un mort, on ouvrit le sépulcre et on trouva, qu'il manquait un des doigts du saint. L'abbé, qui sur le fait, déposa le moine de son office et le punit sévèrement. - En Bourgogne*, dans un monastère nommé.

* Herbert, De miraculis, l. III, c. XXXVIII; - Opp. de saint Bernard.

522

Fontaines, vivait un moine appelé Hugues, très dévot à saint Augustin, dont il lisait les ouvrages avec bonheur. Il le priait souvent de ne pas permettre qu'il trépassât de ce monde un autre jour que celui où l'on solennisait sa fête. Quinze jours auparavant, la fièvre le saisit si violemment que la veille de la fête on le posa par terre dans l'église comme un mourant. Et voici que plusieurs personnages beaux et brillants, en aubes, entrèrent processionnellement dans l'église dudit monastère: à leur suite venait un personnage vénérable revêtu d'habits pontificaux. Un moine qui était alors dans l'église fut saisi à cette vue; il demanda qui ils étaient et où ils allaient. L'un d'eux lui répondit que c'était saint Augustin avec ses chanoines qui venait assister à la mort de ce moine qui lui était dévot afin de porter son âme au royaume de la gloire. Ensuite cette noble procession entra dans l'infirmerie, et après y être restée quelque temps, la sainte âme du moine fut délivrée des liens de la chair. Son doux ami le fortifia contre les embûches des ennemis et l'introduisit dans la joie du ciel. - On lit encore que, de son, vivant, saint Augustin, étant occupé à lire, vit passer devant lui le démon portant un livre sur ses épaules. Aussitôt le saint l'adjura de lui ouvrir ce livre pour voir ce qu'il contenait. Le démon lui répartit que c'étaient les péchés des hommes qui s'y trouvaient écrits, péchés qu'il avait recueillis de tous côtés et qu'il y avait couchés. Et à l'instant saint Augustin lui commanda que, s'il se trouvait porté quelqu'un de ses péchés, il le lui donnât à lire de suite. Le livre fut ouvert et saint Augustin n'y trouva rien d'écrit, si ce n'est qu'une (523) fois, il avait oublié de réciter complies. Il commanda au diable d'attendre son retour; il entra alors dans l'église, récita les complies avec dévotion et après avoir fait ses prières accoutumées, il revint et dit au démon de lui montrer encore une fois l'endroit qu'il voulait relire. Le diable, qui retournait toutes les feuilles avec rapidité, finit par trouver la page, mais elle était blanche: alors il dit tout en colère: «Tu  m'as honteusement déçu; je me repens de t'avoir montré mon livre, puisque tu as effacé ton péché par la vertu de tes prières.» Ayant parlé ainsi, il disparut tout plein de confusion.

Une femme avait à souffrir les injures de quelques personnes pleines de malice: elle vint trouver saint Augustin pour lui demander conseil. L'ayant trouvé qui étudiait, et l'ayant salué avec respect, il ne la regarda;ni ne lui répondit pointa, Elle pensa que peut-être c'était par une sainteté extrême qu'il ne voulait pas jeter les regards sur une femme: cependant elle s'approcha et lui exposa son affaire avec soin. Mais il ne se tourna pas vers elle, pas plus qu'il ne lui adressa de réponse: alors elle se retira pleine de tristesse. Un autre jour que saint Augustin célébrait la messe et que cette femme y assistait, après l'élévation, elle se vit transportée devant le tribunal de la très sainte Trinité, où elle vit Augustin, la face inclinée, discourant avec la plus grande attention et en termes sublimes sur la gloire de la Trinité. Et une voix se fit entendre qui lui dit: «Quand tu as été chez Augustin, il était tellement occupé à réfléchir sur la gloire de la sainte Trinité qu'il n'a pas remarqué que (524) tu sois venue le trouver; mais retourne chez lui avec assurance; tu le trouveras affable et tu recevras un avis salutaire.» Elle le fit et saint Augustin l'écouta avec bonté et lui donna un excellent conseil. - On rapporte aussi qu'un saint homme étant ravi en. esprit dans le ciel et examinant tous les saints dans la gloire, n'y voyant pas saint Augustin, demanda à quelqu'un des bienheureux où il était. Il lui fut répondu: «Augustin réside au plus haut des cieux, où il médité sur la gloire de la très excellente Trinité.» - Quelques habitants de Pavie étaient détenus en prison par le marquis de Malaspina. Toute boisson leur fut refusée afin de pouvoir en extorquer une grosse somme d'argent. La plupart rendaient déjà l'âme, quelques-uns buvaient leur urine. Un jeune homme d'entre eux, qui avait une grande dévotion pour saint Augustin; réclama son assistance. Alors au milieu de la nuit; saint Augustin apparut à ce jeune homme,  et comme s'il lui prenait la main, il le conduisit au fleuve de Gravelon où avec une feuille de vigne trempée dans l'eau, il lui rafraîchit tellement la langue, que lui, qui aurait souhaité boire de l'urine, n'aurait plus souhaité maintenant boire du nectar. - Le prévôt d'une église, homme fort dévot envers saint Augustin; fut malade pendant trois ans au point de ne pouvoir sortir du lit. La fête de saint Augustin était proche, et déjà on sonnait les vêpres de la vigile, quand il se mit à prier saint Augustin de tout coeur. Saint Augustin se montra à lui revêtu d'habits blancs et en l'appelant trois fois par son nom, il lui dit: «Me voici, tu  m'as appelé assez longtemps, lève-toi de suite, et va me (525) célébrer l'office des Vêpres.» Il se leva guéri, et, à l'étonnement de tous, il entra dans l'église, où il assista dévotement à tout l'office.  - Un pasteur avait un chancre affreux entre les épaules. Le mal s'accrut au point de le laisser absolument sans forces. Comme il priait saint Augustin, celui-ci lui apparut, posa la main sur la partie malade et la guérit parfaitement; Le même homme, dans la suite, perdit la vue. Il s'adressa avec confiance à saint Augustin, qui, un jour sur le midi, lui apparut, et en lui essuyant les yeux avec les mains, il lui rendit la santé .

Vers l'an du Seigneur 912, des hommes gravement malades, au nombre de plus de quarante, allaient à Rome de l'Allemagne et de la Gaule pour visiter le tombeau des apôtres. Les uns courbés se traînaient par terre sur des sellettes, d'autres se soutenaient sur des béquilles,, ceux qui étaient aveugles se laissaient traîner par ceux qui marchaient en avant, ceux-là enfin avaient les mains et les pieds paralysés. Ils passèrent une montagne et parvinrent à un endroit appelé la Charbonnerie. Ils étaient près d'un lieu qui se nomme Cana, à une distance de trois milles de Pavie, quand saint Augustin revêtu de ses ornements pontificaux, et sortant d'une église érigée en l'honneur des saints Côme et Damien, leur apparut et leur demanda où, ils se dirigeaient. Ils lui répondirent qu'ils allaient à Rome; alors saint Augustin ajouta: «Allez à Pavie et demandez le monastère de saint Pierre qui s'appelle Ciel d'or, et là vous obtiendrez les miséricordes que vous désirez. Et comme ils lui demandaient son nom, il dit : «Je suis Augustin autrefois évêque de l'église (526) d'Hippone.» Aussitôt il disparut à leurs regards. Ils se dirigèrent donc vers Pavie, et étant arrivés au monastère indiqué et apprenant que c'était là que- reposait le corps de saint Augustin, ils se mirent toits à élever la voix et à crier tous ensemble: «Saint Augustin, aidez-nous.» Leurs clameurs émurent les citoyens et les moines qui s'empressaient d'accourir à un spectacle si extraordinaire. Or, voilà que, par l'extension de leurs nerfs, une grande quantité de sang se mit à couler,de telle sorte que depuis l'entrée du monastère, jusqu'au tombeau de saint Augustin, la terre paraissait en être tolite couverte. Parvenus au tombeau, tous furent entièrement guéris, comme S'ils n'avaient jamais été estropiés. Depuis ce moment, la renommée du saint se propagea  de plus en plus et une multitude d'infirmes vint à son tombeau, où tous recouvraient la santé, et laissaient des gages de leur guérison. Telle fut la quantité de ces gages que tout l'oratoire de saint Augustin et le portique en étaient pleins, en sorte que cela devint la cause d'un grand embarras pour entrer et pour sortir. La nécessité força les moines à les ôter. - Il y a trois choses qui sont l'objet des désirs des personnes du monde, les richesses, les plaisirs et les honneurs. Or, le saint atteignit à un tel degré de perfection qu'il méprisa les richesses, qu'il repoussa les honneurs et qu'il eut les plaisirs en aversion. - Il méprisa les richesses; c'est lui-même, qui Passure dans ses Soliloques, où la raison l'interroge et lui dit: «Est-ce que tu ne désires pas,de richesses?» Et Augustin répond : «Je ne saurais avouer ce premier point: j'ai trente ans, et il y en a bien quatorze que j'ai cessé de les (527) désirer. Des richesses, je n'en désire que ce qu'il faut pour me procurer ma nourriture. C'est un. livre de Cicéron qui  m'a entièrement convaincu qu'il ne faut en aucune manière souhaiter les richesses.» Il a repoussé les honneurs: il le témoigne dans le même livre. «Que pensez-vous des honneurs?» lui demande la raison. Et saint Augustin répond: «Je l'avoue, c'est seulement depuis peu de temps, presque depuis quelques jours que j'ai cessé de les ambitionner.» Les plaisirs et les richesses, il les méprisa, par rapport à la chair et au goût. La raison lui demandé donc: «Quelle est votre opinion au sujet d'une épouse? Ne .vous plairait-elle. pas, si elle était belle, chaste, honnête, riche, et surtout si vous aviez la certitude qu'elle ne vous serait pas à charge?» Et saint Augustin répond: «Quelque bien que vous la vouliez peindre; quand vous la montreriez comblée de tous les dons, j'ai décidé que je n'avais rien tant à craindre que le commerce avec une femme.» «Je ne demande pas, reprend la raison, ce que vous avez décidé, je vous demande si vous vous y sentez porté? Et saint Augustin répond: «Je ne cherche, je ne désire rien à ce sujet: les souvenirs qui  m'en restent me sont à charge, affreux et détestables.» Pour ce qui est du second point, la raison l'interroge en disant: «Et pour la nourriture, qu'avez-vous à dire?»

Pour ce qui est du boire, et du manger, des bains et des autres plaisirs du corps, ne me demandez rien. J'en prends ce qu'il me faut seulement, pour conserver la santé.»






La légende dorée - SAINT BERNARD