S. Léon, textes choisis - SERMON SUR LE GRAND CAREME (1)
Le saint Apôtre nous avertit, bien-aimés, de nous dépouiller, " eu égard à notre vie passée, du vieil homme qui se corrompt par les convoitises trompeuses " (Ep 4,22), afin de nous sanctifier de plus en plus chaque jour par la pureté de nos moeurs. Si Dieu demeure en nous, si le saint Esprit habite en nous, selon ces paroles de l'Apôtre: " nous sommes le temple du Dieu vivant " (2Co 6,16), il faut employer tout le zèle que nous possédons à purifier notre coeur, afin que ce ne soit pas un séjour indigne d'un hôte si illustre. De même qu'on veille avec une louable sollicitude à réparer avec soin les maisons construites par les mains des hommes, lorsque les pluies, les tempêtes ou le temps les ont dégradées, de même il nous faut mettre la plus scrupuleuse attention à ce que nos coeurs ne soient point corrompus par quelque défaut ou quelque impureté. Quoique ce temple construit par Dieu ne puisse subsister sans son Secours, ni rester dans son entier sans sa divine Protection, cependant, comme nous sommes des pierres vives et une matière animée, il faut que nous coopérions aux soins que le Créateur prend de nous; il faut que notre obéissance seconde la grâce, et que nous travaillions toujours en accord avec Celui sans Lequel nous ne pouvons rien faire de méritoire. Si nous trouvons quelque chose de difficile ou d'impossible dans la pratique des commandements de Dieu, pour fortifier nos faiblesses, il nous faut recourir à la Grâce de Celui qui a fait ces commandements. Il nous donne ces préceptes, afin que nous ayons le désir de les suivre, et Il nous donne la force nécessaire pour y parvenir. " Jette ton souci sur le Seigneur, a dit le Prophète, et Lui te nourrira. " (Ps 54,23). Y a-t-il quelqu'un qui ait assez d'orgueil, qui se trouve assez pur et innocent pour se flatter de ne jamais avoir besoin de la grâce qui nous purifie? C'est une folle pensée, c'est la marque d'une grande vanité, que de se croire inaccessible à toutes les tentations qui nous assiègent en cette vie. A chaque pas, on rencontre des dangers et des embûches. Les passions nous émeuvent, les attraits des plaisirs nous tentent, le gain nous séduit, les pertes nous désespèrent, la calomnie nous déchire et les louanges de ceux qui nous flattent ne sont pas toujours sincères. Ici la haine nous attaque, là ce sont de fausses louanges qui nous trompent, et il est plus facile de se soustraire aux coups de la première, que de ne point se laisser séduire par les mensonges des secondes. Il y a tant d'incertitude dans le choix des moyens à employer pour devenir vertueux et les nuances qui les séparent du mal sont si difficiles à saisir, que si quelqu'un a le talent de rester dans un sage juste- milieu, et de ne point tomber soit dans l'excès du mal, soit dans la fausse exagération du bien, il est bien rare que sa consciencieuse probité reste à l'abri des morsures de la calomnie, et que sa justice échappe aux coups des méchants. Quand la pensée humaine considère l'incertitude des choses de ce monde, que de nuages s'élèvent dans l'esprit, que d'erreurs s'enfantent dans la dépravation de la pensée ! Cette multitude d'événements contraires qui traversent la vie sont des sujets éternels de plaintes et de murmures. Quoique tous les fidèles soient convaincus que les soins de la Providence s'étendent sans cesse sur toutes les parties de l'univers, que les choses de ce monde ne sont point placées sous l'influence des astres qui est nulle, et que tout est soumis à la Volonté du souverain Maître du monde, dont la Clémence est égale à l'Équité, comme le dit le Prophète, " toutes les Voies du Seigneur sont miséricorde et vérité " (Ps 24,10), cependant, lorsque certains événements ne tournent pas selon nos souhaits, et que nous voyons en ce monde l'impie triompher de l'homme juste, il arrive ordinairement que les plus grandes âmes elles-mêmes sont frappées de découragement, et qu'elles se permettent de murmurer comme s'il y avait quelque injustice dans le principe de ces événements. Le grand Prophète avoue lui-même qu'il a été troublé par cette inconstance des choses humaines, et qu'elle a mis sa foi en péril. " Pour moi, dit- il, mes pieds ont presque chancelé, mes pas ont failli glisser, parce que j'ai envié les impies, en voyant la paix des pécheurs" (Ps 72,2-3). comme il est peu de gens qui aient assez de force et de courage pour rester impassibles et vertueux devant tous les événements divers qui pourront leur arriver, et que la prospérité ne contribue pas moins que l'adversité à corrompre la vertu des fidèles, il est nécessaire de veiller avec le plus grand soin à guérir les blessures qui déchirent sans cesse notre faible humanité. J'ai exposé en peu de mots quelques-uns de ces périls qui nous menacent dans la vie, et qui nous menacent toujours, comme l'enseigne l'Écriture par ces paroles: " Qui dira: J'ai purifié mon coeur, je suis net de mon péché? " (Pr 20,9). Que tous les fidèles soient donc bien persuadés que la pénitence leur est nécessaire, et qu'ils ont besoin tous d'obtenir la rémission de leurs péchés.
Pouvons-nous, bien-aimés, trouver un temps plus favorable pour recourir aux remèdes divins, qu'à l'époque de ces fêtes où nous célébrons les divins mystères de notre rédemption? Préparons-nous par le jeûne du carême à nous bien acquitter de ce devoir. Non seulement ceux qui doivent être régénérés à une vie nouvelle dans le baptême par le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, mais encore tous les régénérés peuvent se servir utilement de ce divin remède pour se sanctifier: les premiers afin de se rendre dignes de la grâce qu'ils n'ont point encore reçue, les seconds afin de conserver celle qu'ils ont déjà reçue. Car l'Apôtre dit: " Ainsi donc, que celui qui croit être debout prenne garde de tomber ! " (1Co 10,12). Personne n'est si solide dans sa vertu qu'il puisse être sûr de sa persévérance. Profitons donc, bien- aimés, des avantages que peut nous procurer un temps si salutaire, et employons tous nos efforts à purifier notre conscience. Quelque pure et quelque régulière que soit la vie que nous menons dans ce monde, elle se ressent toujours des imperfections de notre nature, et quelque belle que soit l'âme que Dieu a créée à son Image, la fumée de la vanité obscurcit sa beauté et il faut la repolir sans cesse pour lui rendre son éclat. Si cela est nécessaire aux âmes les plus pures, combien n'est-ce point plus nécessaire à celles qui passent toute l'année dans une nonchalance ou dans une sécurité qu'on ne saurait comprendre? Notre charité nous fait un devoir de les avertir de ne point se tant complaire dans leurs vertus, quoique nous ne puissions lire dans leur conscience. Dieu seul voit tout; les lieux les plus obscurs, les murailles les plus épaisses ne dérobent rien à ses Regards; Il ne connaît pas seulement nos pensées et nos actions, Il sait encore ce que nous penserons et ce que nous ferons à l'avenir. Telle est la Science de ce souverain Juge; nous devons redouter ses Regards pénétrants; Il pénètre la matière et aucun secret ne Lui est inconnu. Il voit avec clarté les choses les plus obscures, celles qui sont muettes Lui répondent, le silence Lui parle, l'esprit dénué du secours de la voix s'entretient avec Lui. Que personne ne méprise la Bonté patiente du Seigneur, parce que ces crimes sont encore impunis, et qu'il ne croie point qu'Il n'est pas irrité, parce qu'Il n'a point encore ressenti les effets de sa Colère. La vie est courte et la jouissance des voluptés de ce monde ne dure guère: vains plaisirs qui seront suivis de douleurs et de peines éternelles si l'on n'a recours à la pénitence tandis que l'arrêt de la justice divine est encore suspendu.
Ayons donc recours à la Miséricorde du Seigneur, qui nous tend les Bras, et que tous les fidèles purifient leurs coeurs afin de célébrer dignement la fête de Pâques. Que la méchanceté s'adoucisse, que les colères s'apaisent, que l'on se pardonne réciproquement, et que celui qui demande pardon de ses offenses oublie de se venger des autres. Car si nous disons à Dieu: " Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés " (Mt 6,12), nous nous imposons de lourdes chaînes, si nos actions ne répondent point à nos paroles. Si jusqu'ici nous n'avons point exactement observé toutes les conditions que renferme cette prière, maintenant rentrons en nous-mêmes, examinons notre conscience, et sachons obtenir l'oubli de nos fautes en oubliant celle des autres. Puisque le Sauveur du monde a dit: " Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi " (Mt 6,14 Lc 6,4), il est aisé d'obtenir ce que l'on demande, Dieu devant régler son jugement sur l'indulgence de celui qui le prie. Il écoute une prière avec justice et miséricorde, et Il a soumis sa Justice à notre bonté afin, pour ainsi dire, de n'avoir point le droit d'être sévère envers ceux qui seraient cléments.
La libéralité convient aussi aux âmes douces et bienveillantes. Rien n'est plus digne de l'homme que d'imiter son Créateur, et, à son exemple, de secourir les frères, selon l'étendue de ses ressources. Lorsqu'on nourrit ceux qui ont faim, que l'on prend soin de ceux qui sont nus, et que l'on porte secours aux infirmes, n'est-ce point remplacer le Seigneur? La bonté du serviteur n'est-elle point un effet de la Bonté du Maître? Quoiqu'Il n'ait besoin d'intervention pour répandre sur nous les dons de sa Miséricorde, Il a ainsi tempéré sa Toute-Puissance, qu'Il subvient aux hommes par le ministère des hommes eux-mêmes, et c'est avec justice qu'on Le remercie des oeuvres de charité qu'Il exerce par les mains de ces créatures. Voilà pourquoi le Sauveur du monde dit à ses disciples: " Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " (Mt 5,16), le Sauveur à jamais béni qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles.
Bien-aimés, la vertu et la sagesse de la foi chrétienne consistent dans l'amour de Dieu et du prochain; celui qui aime à servir Dieu et à secourir son prochain possède toutes les vertus. Il nous est toujours nécessaire de faire croître dans nos coeurs et d'exercer cette double charité; mais il faut redoubler de ferveur pendant le carême, afin que ce jeûne de quarante jours, qui nous prépare à célébrer la fête de Pâques, produise le même effet sur notre coeur que ces paroles du prophète Isaïe, dont se servit Jean le Baptiste: " Préparez au désert le chemin de l'Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu " (Is 40,3). Si l'on considère, soit cette partie du peuple qui depuis longtemps est entrée dans la lice des combats évangéliques, et qui fournit cette carrière spirituelle avec courage pour mériter les récompenses qui nous attendent, soit ceux qui, coupables de péchés mortels dont ils connaissent l'énormité, se mettent en devoir de faire pénitence, pour en obtenir l'absolution, soit ceux qui doivent être régénérés dans le baptême par la Grâce du saint Esprit et dépouiller le vieil Adam pour revêtir le nouveau, qui est Jésus Christ; on verra qu'on peut adresser convenablement et utilement à tous ces paroles: " Préparez au désert le chemin de l'Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu " (Is 40,3). Mais quelles sont les Voies du Seigneur, quels sont ses Sentiers? Nous en sommes instruits par ce même prophète qui, nous promettant les secours et les dons de la Grâce divine, nous révélait la régénération future, et nous disait pour compléter sa prophétie: " Toutes les vallées seront relevées, toutes les montagnes et les collines seront abaissées; les chemins tortus seront redressés " (Is 40,4). Les vallées sont le symbole de la mansuétude des humbles, et les collines et les montagnes, celui de l'arrogance des orgueilleux. Comme la Vérité nous apprend que " quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera élevé " (Lc 14,11), ce n'est pas sans raison que le prophète nous prédit que les vallées seraient relevées et les montagnes aplanies, afin que, celles-là présentant une surface plane et celles-ci une ligne droite, le voyageur n'ait à redouter aucun danger, aucun obstacle. Quoique le chemin qui mène à la vie soit étroit et difficile, cependant celui que la vérité et la piété soutiennent, y marche sans difficulté, et il aime à parcourir cette voie construite avec la pierre solide des vertus, et non point avec le sable mouvant du vice.
Mais, afin de connaître plus parfaitement par quels chemins il faut marcher pour mériter les récompenses que Dieu nous a promises, écoutons ces paroles du prophète David: " Toutes les Voies du Seigneur sont miséricorde et vérité " (Ps 24,10). Les fidèles doivent régler leurs actions sur les modèles que Dieu leur propose. Et c'est avec justice qu'Il exige de nous que nous L'imitions, puisqu'Il nous a créés à son Image et à sa Ressemblance. Nous ne participerons point à sa Gloire, si la miséricorde et la vérité ne règnent dans nos coeurs. Ceux qui veulent être sauvés doivent, pour mériter leur salut, se conduire de la même manière que le Sauveur S'est conduit pour nous racheter; de telle sorte qu'ils soient miséricordieux et sincères, comme la Miséricorde divine et la Vérité éternelle. Un esprit juste suit la voie de la vérité, comme un esprit bienveillant suit celle de la miséricorde. Ce n'est pas que ces sentiers soient différents et qu'on parvienne aux vertus par des voies différentes, comme si c'était autre chose de devenir miséricordieux et de parvenir à être juste. On n'est pas miséricordieux sans être juste; on n'est pas juste sans être miséricordieux. Celui qui ne possède pas ces deux vertus, ne possède ni l'une ni l'autre. La charité soutient la foi, la foi fortifie la charité. Et ce sont toutes deux de véritables vertus qui portent de véritables fruits, lorsqu'elles sont unies l'une à l'autre par des liens indissolubles. Là où elles ne sont point réunies, elles manquent toutes les deux. Elles s'éclairent et se fortifient mutuellement, jusqu'à ce que le désir alimenté par notre foi soit récompensé par la vision et que nous puissions voir et aimer de façon ininterrompue ce que maintenant nous ne pouvons ni aimer sans la foi, et ni croire sans l'amour. Puisque, comme dit l'Apôtre, " en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l'incirconcision n'a de valeur, mais la foi qui est agissante par la charité " (Ga 5,6), appliquons- nous à posséder de la même manière la charité et la foi en même temps. Ce sont deux ailes qui servent à l'âme pieuse de l'élever jusqu'aux pieds du Très-Haut, et qui l'empêchent de succomber sous le fardeau des choses temporelles. Celui qui a dit: " Or sans la foi il est impossible de Lui être agréable " (He 11,6), a dit aussi: " quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien " (1Co 13,2). Si nous voulons célébrer dignement la fête de Pâques, tâchons de nous perfectionner dans les deux vertus, qui renferment tous les préceptes divins. C'est par le moyen de la foi et de la charité que les fidèles deviennent le temple et le sacrifice de Dieu. Que la foi nous fasse espérer ce que nous croyons, que la charité nous rende propice ce que nous aimons. L'un et l'autre est le propre de ceux qui croient et de ceux qui aiment. Si nous forçons notre intelligence à reconnaître l'autorité du Seigneur, il faut aussi que nous nous unissions à Lui par la pratique de ces vertus. Dieu a dit: " Soyez saints parce que Je suis saint " (Lv 19,2), et le Seigneur dit: " Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux " (Lc 6,36). Et, pour que nous ne doutions point que Dieu ne nous tienne compte de tout ce que nous donnons aux pauvres, comme si nous le donnions à Lui-même, voyons ce que pense le Seigneur de ceux qui font l'aumône, et de quelle manière ils seront traités au jour du jugement, dans ces paroles qu'Il adresse à ceux qui seront placés à sa droite: " Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde; car J'ai eu faim, et vous M'avez donné à manger; J'ai eu soif, et vous M'avez donné à boire; J'étais étranger, et vous M'avez recueilli; J'étais nu, et vous M'avez vêtu; J'étais malade, et vous M'avez visité; J'étais en prison, et vous êtes venus vers Moi. Les justes Lui répondront: Seigneur, quand T'avons- nous vu avoir faim, et T'avons-nous donné à manger; ou avoir soif, et T'avons-nous donné à boire? Quand T'avons-nous vu étranger, et T'avons-nous recueilli; ou nu, et T'avons-nous vêtu? Quand T'avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes- nous allés vers Toi? Et le Roi leur répondra: Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à Moi que vous les avez faites. " (Mt 25,34-40). Quoi de plus utile et quoi de plus facile que la pratique de cette vertu? Elle mériterait des louanges, quand même elle ne serait fondé que sur un sentiment naturel, et que l'homme qui se porterait à secourir son semblable n'y serait excité que par la seule compassion qu'il aurait de sa misère. Mais comme cette charité n'est point inspirée par la foi, elle n'obtiendra pas à son auteur les éternelles récompenses; car il y a une grande différence entre les oeuvres faites en vue du ciel et celles qui se rapportent uniquement à la terre. La bienfaisance mondaine finit avec ceux qui en ont profité; mais la charité chrétienne subsiste en Dieu Lui-même, c'est par sa Grâce que nous l'exerçons, et nos oeuvres tournent à sa Gloire; car le Seigneur a dit Lui-même: " Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " (Mt 25,16).
Réjouissez-vous, âmes fidèles, reconnaissez que votre gloire est la Gloire de Celui qui vous inspire. Que l'approche de la fête de Pâques redouble votre ferveur. Il est de votre devoir de vous préparer à compatir aux douleurs de Celui qui a souffert pour tous. La vie des personnes pieuses a toujours quelque ressemblance avec le supplice du Sauveur; elles mutilent la concupiscence de la chair avec le fer de la continence, et la vertu du saint Esprit qui habite en elles étouffe leurs passions. Il est facile de trouver en soi des sujets de mortification. Il faut éteindre le feu de la colère, humilier l'orgueil et bannir la luxure. Il faut aussi arracher tout entière la racine de l'avarice afin d'extirper tous les maux dans leur principe, si cela est possible. Il faut sans cesse, à l'époque où nous sommes, purifier son âme, lui soumettre le corps, dont elle est naturellement le maître, imposer à la chair le frein de la continence, et repousser loin de soi tout ce qui s'oppose à nos pieux désirs. Lorsque l'âme et le corps se purifient, pour se préparer à célébrer dignement la Pâque du Seigneur, on contracte une habitude louable, dont on retire de grands avantages pendant toute la vie. Ne traitons point avec trop de hauteur les personnes qui nous sont soumises; oublions de nous venger des offenses que nous avons reçues, et que les criminels se réjouissent d'avoir atteint ces saints jours, où les saints et pieux empereurs se relâchent de la sévérité dans la punition publique des crimes. Que la haine et l'envie soient bannies, que l'union et la bienveillance resserrent leurs liens, et que l'âme souillée par la méchanceté s'efforce de se purifier et de reprendre des sentiments de bonté. Autant le jugement de Dieu sera sévère contre les âmes dures et insensibles, autant il sera indulgent pour les âmes miséricordieuses.
Les réprouvés, placés à la gauche du Juge seront précipités dans les flammes éternelles, en punition de leur inhumanité; mais les élus, qui seront à sa droite, après avoir été loués de leurs bonnes oeuvres et de leurs pieuses aumônes, jouiront dans le royaume des cieux de la béatitude éternelle par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et qui règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.
En tout temps, bien-aimés, il est en notre devoir de nous conduire avec justice et équité et de soumettre nos pensées et nos actions aux lois du Seigneur, si nous voulons Lui plaire. Mais à l'approche de ces grands jours, pendant lesquels se sont accomplis les mystères de notre salut, il nous faut purifier nos coeurs avec plus de sollicitude que jamais, et nous appliquer à la pratique de la vertu avec plus de ferveur et plus de zèle que de coutume. Comme les mystères sont par eux-mêmes nos plus grandes solennités, nous devons les célébrer avec une plus grande exactitude. Il faut que dans nos plus grandes fêtes nous donnions les plus grandes preuves de notre amour pour la religion. Si l'on trouve qu'il soit d'un homme raisonnable et religieux de se parer les jours de fête et de témoigner par le luxe de ses vêtements de la joie qu'il éprouve dans son coeur, si l'on apporte un plus grand soin et un plus grand zèle à embellir, en ce jour, la maison de prière de ses plus beaux ornements, n'est-il pas convenable qu'une âme chrétienne, qui est le temple véritable, le temple vivant de Dieu, se couvre de ses plus riches parures, et que, pour célébrer le sacrement de sa rédemption, elle évite avec soin d'être souillée par aucune tache d'iniquité, ni flétrie d'aucune ride de mensonge? A quoi bon cette beauté extérieure qui est la marque apparente d'une âme pure, si l'intérieur est souillé par les ordures du vice? Il faut donc éviter avec un soin extrême tout ce qui peut ternir la pureté de l'âme et nuire à sa beauté. Que chaque homme examine sa conscience; qu'il censure lui-même, en juge sévère, ses propres défauts; qu'il voie si cette paix que nous donne Jésus Christ règne dans le fond de son coeur; si les désirs de l'esprit ne sont point combattus par la concupiscence de la chair; s'il ne méprise point ce qui est humble; s'il n'a point de pensées d'orgueil, s'il ne désire point des gains illégitimes; s'il ne complaît pas dans l'accroissement immodéré de ses richesses; si enfin il ne regarde point avec envie la prospérité de son prochain, et s'il ne se fait point une maligne joie des infortunes de ses ennemis. Et, s'il n'a trouvé dans son coeur aucune trace de ces passions, qu'il procède avec soin à l'examen des pensées qui frappent le plus ordinairement son esprit; et, s'il remarque qu'il aime à considérer les vaines images de l'ambition, qu'il se hâte d'expulser de son coeur ces choses qui, en nous plaisant, nous rendent criminels. Les hommes, tant qu'ils sont sur cette terre, ne peuvent espérer d'être insensibles aux passions et aux attraits du plaisir; cette vie n'est qu'une suite de tentations, et ceux qui ne craignent point d'y succomber y succombent trop souvent. Il y a de la présomption à croire qu'on puisse facilement se garder du péché, et cette présomption même est un péché, selon cette maxime du bienheureux apôtre Jean: " Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous " (1Jn 1,7).
Que personne ne s'abuse, mes frères; que personne ne s'aveugle soi-même. Qu'aucun fidèle n'ait tellement de confiance dans la pureté de son coeur qu'il se croie capable de braver les dangers de la tentation, car le tentateur qui veille sans cesse dresse ses plus secrètes et plus dangereuses embûches contre ceux qui commettent le moins de péchés. Qui pourra donc être à l'abri des artifices du démon, puisqu'il n'a même pas respecté la Majesté de notre Seigneur? Il avait vu fouler aux pieds son orgueil par l'humilité de Jésus Christ lorsqu'Il se fit baptiser; il avait compris que le jeûne de quarante jours était une preuve évidente que son corps n'était point soumis à la concupiscence, et cependant il ne désespéra point de Le séduire par ses plus dangereux artifices: il fonda son espérance sur la fragilité de la nature humaine; et comme il savait que Jésus Christ était véritablement un homme, il crut qu'il pourrait Le faire succomber à la tentation. Si le démon n'a point cru devoir tendre inutilement des embûches à notre Seigneur, à notre Sauveur, quelle ne doit pas être son espérance lorsqu'il attaque des créatures aussi fragiles que nous, nous qu'il attaque avec d'autant plus de haine et d'envie que nous avons renoncé à lui par le baptême, et qui, purifiés du péché originel qui nous soumettait à sa puissance, sommes devenus de nouvelles créatures par la régénération divine? Aussi, tant que nous sommes revêtus d'une chair mortelle, notre antique ennemi ne cesse de nous tendre des pièges pour nous faire tomber dans le péché; et sa fureur est plus ardente contre les membres de Jésus Christ lorsqu'ils sont sur le point de célébrer les plus augustes mystères. Le saint Esprit a eu soin de nous enseigner cette vérité, afin que nous nous préparions par un jeûne de quarante jours à la fête de Pâques. Voici le temps de nous purifier par cette sainte abstinence et de nous imposer une pénitence si utile; nous serons plus en état d'honorer la Pâque du Seigneur et de la célébrer dignement si nous vivons saintement pendant le carême et si nous observons avec fidélité le jeûne qui nous est prescrit.
Dans ces jours de jeûne, livrons-nous avec plus de zèle que jamais à la pratique des bonnes oeuvres, à laquelle nous devons nous appliquer en tout temps: " Pratiquons le bien envers tous, et surtout envers les frères en la foi " (Ga 6,10); et dans la distribution de nos aumônes, efforçons-nous d'imiter la bonté du Père céleste qui " fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes " (Mt 5,45). Quoiqu'il faille principalement secourir les fidèles dans leur infortune, il ne faut pas non plus abandonner à leurs malheurs ceux qui n'ont point encore reçu l'évangile. Il n'est pas juste de se dépouiller des sentiments de la nature qui nous prescrivent d'être bienveillants à l'égard de tous ceux qui sont d'un rang inférieur au nôtre, quels qu'ils soient, et surtout s'ils ont été régénérés par la grâce et rachetés par le sang de Jésus Christ. Nous avons de commun avec eux que nous sommes tous faits à l'image de Dieu, et que nous avons tous la même origine selon la chair et selon l'esprit; nous sommes sanctifiés par le même saint Esprit; nous vivons dans les mêmes croyances; nous participons aux mêmes sacrements. Ces liens qui nous unissent méritent d'être considérés; nous devons avoir égard à ce que tant et de si grandes choses nous sont communes avec eux, et montrer plus de douceur envers ceux qui sont nos esclaves, car nous sommes comme eux et avec eux les esclaves du Seigneur tout-puissant. Si donc quelque serviteur a commis de grandes fautes envers ses maîtres, le temps où nous sommes demande qu'on les oublie et qu'on lui pardonne. Que la compassion remplace la sévérité, et le pardon le châtiment. Que les prisons s'ouvrent; que les fers soient brisés, car c'est à cette condition que le Seigneur nous a promis sa Miséricorde: Il nous pardonnera nos fautes si nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Que tous les sujets de troubles disparaissent; qu'on étouffe les haines et les rivalités, et que tous les membres de Jésus Christ soient réunies par les liens de la charité. " Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! " (Mt 5,9); et ils sont non seulement ses fils, mais encore ses héritiers et cohéritiers du Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.
Le Tout-Puissant a fait paraître, bien-aimés, dans tous les temps et chaque jour des marques de sa Bonté divine, et il n'y a point de saison dans l'année qui ne soit sanctifiée par quelque mystère. Il veut ainsi que notre confiance en sa Miséricorde redouble toujours à mesure qu'Il nous donne de nouveaux secours pour notre salut. Mais il semble que dans ces grandes solennités où les coeurs se réunissent pour prier le Seigneur, toutes les grâces, tous les bienfaits qui nous sont accordés en divers temps, afin de nous sanctifier, se réunissent alors en une seule grâce, en un seul bienfait, dont l'abondance et les effets sont incomparables. Le grand mystère de la Pâque approche; pour le célébrer dignement, nous nous purifions par un jeûne solennel auquel tous les fidèles sans exception doivent se soumettre; car quel est le saint dont la sainteté ne puisse devenir plus grande, quelle est l'âme pieuse dont la piété ne doive augmenter? Existe-t-il quelqu'un qui à travers les périls de cette vie n'ait point succombé à la tentation, n'ait point commis de péché? Est-il quelqu'un qui n'ait à souhaiter de voir croître sa vertu, ou à désirer d'être débarrassé d'un vice quelconque, lorsque les adversités sont pour nous autant d'écueils et que les prospérités nous corrompent; lorsqu'il n'y a pas moins de périls pour nous dans les déceptions que dans les triomphes? Les grandes richesses sont des pièges dangereux et la pauvreté elle-même peut nous faire tomber en tentation; les unes inspirent l'orgueil, l'autre excite à murmurer contre la Providence. La santé nous tente, la maladie nous tente; celle-là nous fait oublier le Créateur, celle-ci nous donne un coupable chagrin. La crainte et la sécurité nous donnent aussi des pièges; et peu importe que l'esprit, soumis aux passions de la terre, se livre à la joie ou à la douleur, s'endorme au sein du plaisir, ou veille en proie à l'anxiété et à toutes sortes d'inquiétudes: dans les deux cas il pèche. Ainsi, tout nous prouve la vérité de cette sentence: Le chemin qui conduit à la vie est étroit et difficile (Mt 7,14); et, tandis que le chemin qui conduit à la mort est couvert d'une foule de malheureux, on ne voit que de rares vestiges de ceux qui entrent dans le chemin du salut. Mais d'où vient que le chemin de la gauche est plus fréquenté que celui de la droite, sinon que la multitude aime trop ses joies mondaines et les biens matériels, et bien que l'objet de nos désirs soit aussi incertain et périssable, l'attrait de la volupté nous entraîne à de plus grands travaux que l'amour de la vertu. Ainsi, tandis que le nombre de ceux qui désirent les joies de ce monde est innombrable, on trouve à peine quelques âmes pieuses qui préfèrent les voluptés éternelles à celles de la terre. Et, comme le bienheureux apôtre Paul dit: " les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles " (2Co 4,18). La voie de la vertu est pour ainsi dire cachée et difficile à trouver; car nous ne sommes sauvés qu'en espérance, et la vraie foi nous apprend à aimer par-dessus tout les choses invisibles.
C'est un travail long et difficile d'empêcher notre coeur inconstant de se livrer au péché et de le garantir de la contagion du vice dans cette vie, où sans cesse nous sommes exposés de tous côtés aux séductions des plaisirs mondains. Peut-on toucher à la poix sans que les mains en soient salies? Peut-on être exempt de maladies dans un corps si débile? peut-on se rouler dans la poussière sans être souillé? Enfin, qui peut se flatter d'une si grande pureté qu'il reste à l'abri de toutes les tentations qui nous entourent en cette vie et que nous ne saurions éviter? Dieu nous a fait entendre par son Apôtre " que désormais ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas, ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, ceux qui achètent comme ne possédant pas, et ceux qui usent du monde comme n'en usant pas, car la figure de ce monde passe " (1Co 7,29&endash;31). Bienheureux sont ceux qui fournissent leur carrière avec une chaste continence, qui ne s'attachent point aux choses matérielles que nous devons laisser, qui se considèrent comme des pèlerins sur la terre, plutôt que comme les maîtres de ce qu'ils possèdent, et qui bornent toutes leurs espérances aux Promesses divines sans s'abandonner aux désirs et aux passions de la chair.
Le temps où nous sommes, mes frères, exige de nous, plus que tout autre, ce détachement des choses humaines et cette vertu, et il nous est d'un grand secours pour les acquérir. La pratique de la vertu fait qu'on en contracte l'habitude et qu'on y persévère. Vous n'ignorez point que nous sommes arrivés à l'époque où le démon exerce sa fureur contre le monde avec plus de violence que jamais et que la vertu chrétienne doit se tenir prête à le combattre. Si quelques-uns se sont endormis dans leur paresse, si d'autres se sont trop adonnés aux affaires de ce monde, il faut à cette heure qu'ils se couvrent des armes spirituelles et que la trompette céleste les enflamme d'une sainte ardeur pour commencer le combat. Parce que cet ennemi, dont l'envie a introduit la mort sur la terre, est en proie à la plus furieuse jalousie, et une douleur plus vive que jamais le déchire à cette heure; car il voit de nouveaux peuples, des hommes de toutes les races devenir des enfants d'adoption, et la virginale fécondité de l'Église donner au Seigneur une foule de régénérés. Il se voit privé de sa puissance et chassé des coeurs de ceux qui étaient ses esclaves; il se voit enlever des milliers de vieillards, de jeunes gens et d'enfants de l'un et l'autre sexe. Il voit que le péché originel et les péchés personnels ne sont point des obstacles à la justification qui ne se donne point au mérite, mais est un pur effet de la grâce. Il voit ceux qui sont tombés et qui se sont laissés tromper par ses artifices, se purifier dans les larmes de la pénitence et se faire ouvrir les portes de la miséricorde par les clefs apostoliques, en se réconciliant avec Dieu. Il sent que le jour de la Passion approche et que son empire va être détruit par la puissance de la croix, de cette croix divine, qui, loin d'être un instrument de supplice pour notre Seigneur Jésus Christ qui n'était point soumis à la mort, fut l'instrument dont Il se servit pour racheter le monde. Aussi, pour empêcher que cet ennemi qui frémit de rage ne puisse satisfaire l'envie qui le dévore, mettons plus de zèle et de ferveur que jamais pour accomplir les commandements de Dieu. Et dans ce temps où tous les sacrements de la divine Miséricorde concourent à notre salut, faisons tous nos efforts pour préparer notre âme et notre corps à ces divins Mystères; et, afin de remplir tous nos devoirs, implorons la Grâce et le Secours de Dieu, sans lesquels nous ne pouvons rien faire. Il nous a donné des préceptes qui nous obligent à recourir à Lui; et que personne ne s'excuse sur sa faiblesse, car Celui qui nous a donné la volonté d'accomplir sa sainte Loi nous en donnera aussi le pouvoir, comme nous l'enseigne le bienheureux apôtre Jacques: " Si quelqu'un d'entre vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée " (Jc 1,5).
Quel est celui des fidèles qui peut ignorer à quelles vertus il doit s'appliquer et quels sont les vices qu'il doit combattre? Quel est l'homme assez rempli d'amour-propre ou assez ignorant pour ne point savoir lire dans sa conscience, et voir les vertus qu'il doit acquérir et les vices dont il doit se corriger? Personne n'est assez insensé pour ne point savoir apprécier sa conduite et ne point connaître ce qui se passe dans son coeur. Il ne faut point se flatter d'être parfait, ni se juger par la raison de la chair et du sang, mais se guider dans l'examen de ses actions sur les commandements de Dieu; les uns ordonnent ce qu'on doit faire, les autres défendent ce qui n'est pas permis; il est ainsi facile de se juger à l'aide des uns et des autres. Par un effet de la Miséricorde de Dieu, les commandements sont comme autant de miroirs qui représentent à l'homme l'image exacte de son âme, et lui montrent s'il est semblable à son Créateur. Dégageons-nous donc des affections et des tumultes de ce monde, et du moins dans ces jours où se sont accomplis les mystères de notre rédemption et de notre régénération, oublions la terre et portons toutes nos pensées vers le ciel.
Et parce qu'il est écrit que " nous bronchons tous de plusieurs manières " (Jc 3,2), notre premier devoir est de devenir miséricordieux et d'oublier les offenses des autres, afin que l'amour de la vengeance ne nous fasse point rompre ce pacte des plus pieux entre Dieu et nous par l'oraison dominicale. Puisque nous disons: " Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés " (Mt 6,12), soyons toujours prompts à oublier les injures, car Dieu nous tiendra compte de notre miséricorde, et nos vengeances nous retomberont sur nos têtes. L'homme qui est continuellement exposé aux dangers de la tentation doit préférer de beaucoup le pardon de ses crimes à la satisfaction de punir ceux des autres. Est-il rien de plus digne de la religion chrétienne que ce pardon général de toutes les offenses, non seulement dans l'Église, mais encore dans chaque famille? Que les menaces cessent et qu'on brise les chaînes de ceux qu'on a mis en prison; car c'est se charger de chaînes bien pesantes que de ne point vouloir rompre celles des autres. On sera soumis dans l'éternité aux mêmes lois qu'on a imposées aux autres sur cette terre. Aussi " heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ! " (Mt 5,7). Celui dont les jugements sont doux et équitables sera traité avec la même clémence qu'il aura traité les autres; on ne doit pas refuser de pardonner à ses frères quand chaque jour on désire obtenir de la Miséricorde de Dieu le pardon de ses fautes.
Puisque le Seigneur a dit Lui-même: " Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! " (Mt 5,9), il faut bannir loin de son coeur la haine et la jalousie. Personne ne doit se flatter de participer aux grâces du mystère de Pâques s'il ne se réconcilie avec ses frères. Car celui qui n'aura pas eu de charité pour ses frères ne sera point mis au nombre des enfants de Dieu. Il est aussi nécessaire, pour rendre le jeûne plus méritoire, d'y ajouter l'aumône et le soin des pauvres, et de retrancher à ses plaisirs pour secourir les infortunés et les malades. Ces bonnes actions feront bénir Dieu par toutes les bouches: celui qui distribue une partie de son bien en aumône, étant le ministre de la Miséricorde divine, qui a confié aux riches la portion des pauvres. Il faut achever de détruire par l'aumône les péchés qui ont été effacés par les eaux du baptême et les larmes de la pénitence: " Comme l'eau éteint le feu, dit l'Écriture, ainsi l'aumône éteint le péché " (Si 3,30), par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et qui règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.
S. Léon, textes choisis - SERMON SUR LE GRAND CAREME (1)