S. Léon, textes choisis - SERMON SUR LE GRAND CAREME (5)

SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR

Nous célébrons, bien-aimés, cette fête tant désirée, que l'univers entier voit toujours venir avec joie, la fête de la Passion du Seigneur. Dans les transports de notre allégresse, il ne nous est pas permis de garder le silence, et quoiqu'il soit difFIcile de parler souvent et d'une manière convenable de la même solennité, il est du devoir d'un pontife, dans cette grande circonstance, de faire entendre à son peuple les accents de sa voix paternelle. Cet admirable sacrement de la Miséricorde divine est un sujet intarissable, et on ne saurait jamais l'épuiser, parce qu'on ne saurait jamais en dire assez. Que notre faiblesse succombe donc sous le poids de la Gloire du Seigneur, et que les paroles nous manquent pour expliquer les oeuvres de sa Miséricorde. Que notre intelligence soit trop faible, notre esprit trop borné, notre éloquence insufFIsante, il est avantageux pour nous de ne pouvoir comprendre dans toute sa grandeur la majesté de Dieu. Le Prophète a dit: " Cherchez le Seigneur et Il vous fortiFIera, cherchez continuellement sa Face " (Ps 104,4), car personne ne doit avoir la présomption de croire qu'il a parfaitement approfondi ce qu'il tâche de connaître, de peur qu'il ne cesse d'approcher de la vérité en cessant de la chercher. Mais entre tous les actes de la divinité qui sont l'objet de notre admiration, en est-il un qui soit plus au-dessus des forces de notre intelligence que le mystère de la Passion et qui mérite davantage nos réflexions? Toutes les fois que nous pensons, selon notre faiblesse, à la Puissance de Jésus Christ, qui est égale à celle de son Père, puisque son essence est la même, son Humilité nous paraît bien plus admirable que sa Toute- Puissance elle-même, et il est bien plus difficile de comprendre l'abaissement de la Majesté divine, que l'élévation de la Nature humaine. Mais ce qui nous facilite l'intelligence de ce mystère, c'est que, bien que le Créateur soit bien différent de la créature, et la Divinité impassible de la chair soumise à la souffrance, cependant les propriétés des deux natures sont réunies en une seule Personne, et les faiblesses et la toute-puissance, les humiliations et la gloire sont le propre de cette personne.

Telle est, bien-aimés, la règle de notre foi que nous avons tirée du Symbole et qui est fondée sur l'autorité de l'institution apostolique: nous confessons que notre Seigneur Jésus Christ, Fils unique de Dieu, le Père tout-puissant, est né de la vierge Marie et du saint Esprit; et nous n'avons point de sentiments contraires à sa Majesté, lorsque nous disons qu'Il a été crucifié, qu'Il est mort sur la croix et qu'Il est ressuscité le troisième jour. L'humanité et la divinité, unies ensemble, ont agi toutes deux d'une manière propre à leur nature; le passible est joint à l'impassible, sans que la faiblesse de l'une fasse tort à la puissance de l'autre, et sans que cette même faiblesse de la nature humaine soit indigne de la Majesté divine. C'est avec justice que saint Pierre a été loué d'avoir compris et confessé cette unité: lorsque le Sauveur du monde demanda ce que les disciples pensent de sa Personne, il répondit aussitôt sans hésiter: " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant " (Mt 16,16). Ce n'est point la chair et le sang qui lui ont révélé cette vérité; au contraire, ils ne pouvaient que mettre obstacle aux connaissances intérieures; c'est l'Esprit de Dieu qui agissait dans le coeur de saint Pierre,S pour qu'il apprenne d'abord ce qu'il devra enseigner et qu'il entende, pour la confirmation de la foi qu'il devra prêcher: " Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle " (Mt 16,18). La foi chrétienne qui est fondée sur une pierre inébranlable et qui ne redoute point les portes de la mort, confesse dans sa puissance que Jésus Christ est vrai Dieu et vrai homme; qu'Il est FIls de la vierge Marie et qu'Il est le Créateur de sa mère; que Lui, Maître du temps, est né dans le temps, que Lui, le Seigneur de toutes les Vertus célestes, est cependant de la race des mortels et que Lui-même ignorant le péché, a été immolé pour les pécheurs dans une chair semblable à celle du péché.

Pour briser les fers du genre humain, qui était esclave depuis sa prévarication fatale, Jésus Christ a caché sa Puissance et sa Majesté au démon, et ne S'est présenté à lui qu'avec nos faiblesses et nos imperfections. Si cet ennemi cruel et superbe eût pu pénétrer la Sagesse de la divine Miséricorde, il se serait plutôt appliqué à adoucir et à calmer l'esprit des Juifs, qu'à leur inspirer une haine injuste, de crainte de perdre ses nombreux esclaves en voulant attaquer la liberté de Celui qui ne lui devait rien. Sa propre ruse l'a trompé: il a fait condamner le Fils de Dieu au supplice qui a régénéré tous les enfants des hommes; il a versé le sang innocent, qui a été le prix de la réconciliation du monde et qui a servi de breuvage salutaire à l'humanité. Le Sauveur a souffert le genre de mort qu'Il avait choisi Lui- même. Il a permis que des hommes furieux portassent sur Lui leurs mains impies et concourussent ainsi par leur crime même à l'accomplissement de ses projets. Et sa Bonté pour ses bourreaux fut si grande, que du haut de la croix Il priait son Père de ne point Le venger et de leur pardonner sa mort. Il disait: " Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font " (Lc 23,34). L'efficacité de cette prière fut telle qu'un seul sermon de saint Pierre convertit à la pénitence un grand nombre de ces mêmes hommes qui venaient de crier: " Que son Sang retombe sur nous et sur nos enfants ! " (Mt 27,25), et on baptisa dans un seul jour près de trois mille Juifs (Ac 2,41), et ils n'avaient tous qu'un même coeur et qu'une même âme (Ac 4,32); ils étaient tous prêts à mourir pour Celui dont ils avaient demandé le supplice à grands cris. Le traître Judas ne put participer à cette grâce, parce qu'il était le fils de la perdition et que le démon s'était emparé de lui; il s'abandonna à son désespoir avant que le Sauveur eût accompli le sacrement de la rédemption de tous les hommes. Comme le Seigneur est mort pour tous les impies, Il aurait peut-être trouvé remède à ses crimes s'il ne s'était hâté à s'étrangler lui-même. Ce coeur rempli de fiel, adonné au vol et au mensonge et rempli de l'idée de son parricide, n'avait jamais réfléchi aux maximes de son Maître ni à la Grâce dont Il parlait si souvent; il ne se souvenait plus de ces paroles du Sauveur: " Car Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs " (Mt 9,13), et " le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu " (Lc 19,10). Judas ne s'était point fait une idée véritable de la Clémence de Jésus Christ, qui, non content de guérir les impuretés du corps, cicatrisait aussi les blessures des âmes faibles, comme on peut le voir par les paroles qu'Il adressa au paralytique: " Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés " (Mt 9,2), ou par ce qu'Il dit à la femme adultère qu'on Lui amena: " Je ne te condamne pas non plus: va, et ne pèche plus " (Jn 8,11). Jésus Christ prouvait par toutes ses actions qu'Il était venu sur la terre pour être le Sauveur du monde et non son Juge. Le traître Judas ne comprit point ces vérités; il porta sur lui-même ses mains criminelles, et ce ne fut point par un sentiment de repentir, mais avec la fureur d'un homme qui veut mourir: après avoir vendu l'Auteur de la vie à ses meurtriers, il mit le comble à sa damnation en terminant sa vie par un crime.

Ce que les faux témoins, ce que les cruels princes du peuple, ce que les prêtres impies de Jérusalem ont osé faire contre la Personne de Jésus Christ, grâce à la lâcheté du juge et avec le secours d'une populace ignorante, doit être détesté dans tous les siècles et pourtant il fallait qu'il en fût ainsi. Autant le supplice de Jésus Christ était cruel dans l'esprit des Juifs, autant il est admirable par la vertu du Crucifié. Le peuple déploie sa fureur contre un seul Homme, et Jésus Christ a compassion de tous les hommes. Il permet à la cruauté de Le faire souffrir, et cette licence du crime sert à l'accomplissement de la Volonté éternelle. Ainsi, les fidèles doivent considérer les choses qui se sont passées à la mort du Fils de Dieu et que l'Évangile nous a apprises, non seulement comme des mystères opérés pour la rédemption des pécheurs, mais encore comme des exemples de justice qui nous sont proposés. Pour examiner cette proposition avec soin, nous la développerons mercredi: j'espère que nous serons secondé par la Grâce de Dieu et que nous pourrons nous acquitter de nos promesses par le secours de vos prières et par la protection de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.



SERMON SUR LA FETE DES APOTRES SAINTS PIERRE ET PAUL

Tout l'univers, bien-aimés, prend part aux fêtes de l'Église; l'unité de la foi exige que l'on célèbre de tous côtés avec une joie commune les mystères qui ont été accomplis pour le salut de tous. Mais la fête de ce jour, outre la vénération générale qui lui est due par toute la terre, demande de nous et de notre cité des hommages tout particuliers. Dans ces lieux où les premiers des apôtres ont souffert une mort si glorieuse, nous devons, le jour de leur martyre, faire éclater notre allégresse et notre amour d'une manière plus grande que dans toutes les autres villes du monde. O Rome ! Ce sont ces hommes illustres qui ont fait briller pour toi les lumières de l'évangile; tu étais le centre de l'erreur, et par eux tu es devenue l'école de la vérité. Ils sont tes pères et tes véritables pasteurs; ils ont jeté sur ton sein les bases éternelles d'un royaume qui ne périra jamais; tu leur dois plus qu'aux hommes qui ont creusé les fondements de tes premières murailles, qu'à ces hommes dont l'un, celui qui t'a donné ton nom, rougit ton sol du sang de son frère. Ce sont ces glorieux apôtres qui t'ont donné cette gloire dont tu brilles maintenant, pour que, nation sainte, peuple élu, ville sacerdotale et impériale,... tu présides plus largement par la religion divine que par la domination terrestre. Quoique des victoires sans nombre aient porté au loin les limites de ta puissance, que la terre et la mer aient subi ton joug, cependant tu as fait moins de conquêtes les armes à la main que par la paix chrétienne.

Dieu dont la puissance est infinie, qui est également juste et bon, qui n'a jamais refusé sa Miséricorde aux hommes, qui les a toujours comblés de bienfaits et qui les a assistés de ses Grâces, afin qu'ils Le connussent, a envoyé au monde son Verbe, qui Lui est égal et coéternel, par compassion pour leur aveuglement et le penchant qu'ils ont à faire le mal. Le Verbe S'est fait chair et Il a uni la nature divine à la nature humaine de telle sorte que l'abaissement de la Divinité faisait la gloire de l'humanité. La divine Providence a étendu les limites de l'Empire romain, afin que les effets de sa Grâce ineffable se répandissent parmi tout l'univers. Dieu a réuni ainsi en une seule toutes les nations de la terre; cette unité convenait à ses Desseins; il devait être plus facile de prêcher l'évangile à l'univers quand tous les empires, n'en formant plus qu'un seul, seraient soumis aux lois d'une seule ville. Mais cette ville, qui ne connaissait point l'Auteur de sa puissance, tandis qu'elle commandait à tous les peuples du monde, pliait sous le joug de l'erreur de toutes les nations, et elle croyait être très religieuse parce qu'elle accueillait avec avidité toutes les folies qui désolaient le monde; aussi, plus les liens avec lesquels le démon la tenait enchaînée étaient solides, plus la liberté que Jésus Christ lui a donnée doit paraître admirable.

Lorsque les douze apôtres eurent reçu du saint Esprit le don des langues et qu'ils se partagèrent l'univers pour y propager la parole divine, Pierre, le prince des apôtres, eut en partage la capitale de l'Empire romain, afin que cette lumière de la vérité, qui devait éclairer tout le genre humain, étant placée au centre de l'univers, répandît plus aisément ses rayons de tous côtés. Y avait-il quelque nation au monde dont il n'y eût alors des hommes dans cette ville, ou qui ignorât ce que Rome avait appris? C'était donc là qu'il fallait terrasser la philosophie ! C'était là qu'il fallait détruire les vains mensonges de la sagesse humaine, là qu'il fallait renverser le culte des démons, là enfin qu'il fallait anéantir l'impiété de toutes les erreurs sacrilèges, puisque dans cette ville toutes les superstitions et toutes les erreurs étaient réunies !

Bienheureux apôtre Pierre, tu ne crains pas de venir dans cette grande cité, tandis que l'apôtre Paul, ton compagnon de gloire et de travaux, est occupé à l'organisation d'autres églises; tu entres dans cette forêt remplie de bêtes féroces; tu marches sur cet océan tumultueux avec plus de constance que sur la mer; tu ne trembles point à l'aspect de cette maîtresse du monde, toi qui fus saisi de crainte, dans la maison de Caïphe, à la voix d'une simple servante. Est-ce que la tyrannie de Claude et la férocité de Néron étaient moins à craindre que le jugement de Pilate ou que la méchanceté des Juifs? Mais ton amour vainquit tes craintes; tu ne pensas point devoir céder à la terreur alors que tu travaillais au salut de ceux que tu avais pris en affection. Tu pris le sentiment de cette charité intrépide, lorsque tu donnas des témoignages d'un amour sincère à ton Maître, qui t'interrogea par trois fois et qui te confia la garde de son troupeau, en te recommandant de lui faire part de la même nourriture dont tu avais été nourri toi-même.

Les miracles que tu avais opérés, la grâce dont tu étais comblé et l'épreuve que tu avais faite de tes vertus, augmentaient ta confiance. Tu avais déjà instruit les Juifs, qui avaient cru; tu avais déjà fondé l'Église d'Antioche, où le nom de chrétiens fut donné aux premiers fidèles; tu avais déjà prêché l'évangile dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bythinie et tu ne doutais plus du succès de ton ouvrage et du temps qui te restait pour l'accomplir, lorsque tu faisais entrer l'étendard de la croix du Christ dans les murs de la cité romaine, où la gloire de ton martyre et l'honneur de ta dignité t'attendaient, selon les décrets de la Providence.

Paul, ton collègue à l'apostolat, ce vase d'élection, cet illustre docteur des Gentils, accourut alors et vint partager tes travaux dans cette ville où la pudeur, l'innocence et la liberté étaient aux abois sous la tyrannie du cruel Néron, dont la rage, excitée par toutes les mauvaises passions, en vint à cet excès de folie de soulever le premier contre le nom chrétien les fureurs d'une persécution générale, comme s'il eût prétendu anéantir la Grâce de Dieu en massacrant les saints. L'un des plus grands bienfaits de cette grâce est que le mépris de cette vie temporelle nous ouvre la porte des félicités éternelles. La mort des saints du Seigneur est précieuse devant ses Yeux. La religion fondée sur la Croix du Christ et cimentée de son Sang ne peut être ébranlée par les supplices les plus cruels. Les persécutions, loin d'abattre l'Église, la font briller d'une nouvelle splendeur: le champ du Seigneur produit alors au contraire une plus riche moisson, tous les grains qui tombent renaissent multipliés. Les milliers de martyrs qui reçurent les palmes du triomphe prouvent d'une glorieuse manière combien se multiplièrent ces deux illustres grains de la Semence divine; ces dignes émules des glorieux apôtres entourèrent notre cité d'une vaste ceinture de tombeaux qui couronnent son front comme un diadème composé de perles précieuses.

Nous devons nous réjouir, bien-aimés, d'une si puissante protection, nous fortifier dans la foi et nous encourager à la patience par leur exemple; mais la fête des bienheureux apôtres doit encore exciter notre joie; Dieu les a choisis entre tous les membres de son Église, et Il en a fait les yeux mystiques du Corps dont la tête est le Christ. Nous ne devons établir aucune différence entre leurs mérites et leurs vertus qui sont inénarrables. Leur élection, leurs travaux et leur mort les rendent tous deux parfaitement égaux. Notre propre expérience nous l'a appris et nos aînés nous l'ont confirmé: les prières de ces deux illustres patrons nous sera d'un grand secours pour obtenir la Miséricorde de Dieu dans les travaux de cette vie; car, si nous sommes accablés par le poids de nos propres péchés, les mérites des apôtres nous soutiennent par notre Seigneur Jésus Christ, qui forme, avec le Père et le saint Esprit, une seule Puissance et une seule Divinité dans les siècles des siècles. Amen.






LETTRES CHOISIES DE SAINT LÉON LE GRAND, PAPE DE ROME

A TURIBIUS, ÉVEQUE D'ASTORGA EN GALICE

Votre lettre fraternelle que m'a remise votre diacre me prouve le zèle digne d'éloges avec lequel vous défendez la vérité de la foi catholique, et la tendre sollicitude avec laquelle vous exercez vos devoirs de pasteur envers le troupeau que Dieu vous a confié. Ainsi le fléau de l'hérésie dévaste encore vos contrées; la sentine impure du priscillianisme exhale de nouveaux miasmes. Il n'est point, en effet, d'impiété monstrueuse dont ces hérétiques ne se soient fait une règle de foi; ils ont fouillé dans la boue de toutes les pensées mondaines pour réunir les plus infâmes, et il n'en est pas un seul qu'ils ne se soient approprié. Si l'on jette un regard sur les hérésies qui ont pris naissance avant Priscillien, on n'y trouvera point une seule erreur dont il n'ait fait usage; et non content de profiter des mensonges de tous ceux qui s'éloignaient de l'évangile de Jésus Christ, en se cachant sous son divin Nom, il s'est lancé dans les ténèbres du paganisme, et s'est adonné à la science mystérieuse de la magie et aux vaines illusions des mathématiciens, au point de placer sous la puissance des démons et l'influence des astres la foi et la raison des événements. Selon ses dogmes impies, la vertu ne recevra point de récompense, ni le vice de châtiment. Il n'existe ni lois humaines, ni lois divines; car quel jugement serait-il possible de porter sur les bonnes ou les mauvaises actions des hommes, si c'est la fatalité qui dirige leurs actions et les mouvements des astres qui commandent à leur pensée? C'est cette impiété qui dans son incompréhensible folie a marqué des douze signes du ciel le corps entier de l'homme, de telle sorte qu'ils présidassent à ses diverses parties, et que la créature, que Dieu a faite à son image, fût liée aux astres aussi étroitement que ses membres le sont entre eux. C'est avec raison que nos pères, qui virent naître cette hérésie criminelle, se sont efforcés par tout l'univers de préserver les églises du monde de ses fureurs. Quand les princes de la terre ont frappé du glaive des lois Priscillien et plusieurs de ses disciples, ils avaient bien compris que, si les hommes avaient la permission de vivre selon leurs principes, il n'y avait plus ni honnêteté, ni pudeur, ni fidélité conjugale, ni respect pour les lois divines et humaines. Et cette juste rigueur a été d'un grand secours à la clémence de l'Église. Car, bien qu'elle se contente de la douceur des lois ecclésiastiques et qu'elle ne veuille point de sanglantes exécutions, cependant elle reçoit un grand secours des sévères constitutions des empereurs; la crainte du supplice contraint les hérétiques à recourir au remède de la pénitence. Mais les priscillianistes ont profité de l'invasion des barbares dans les provinces, qui fit suspendre l'exercice des lois au milieu des désordres de la guerre, et mit obstacle aux synodes des évêques qui commencèrent dès lors à être peu fréquents, pour semer en liberté le poison de leurs doctrines perfides; et même un grand nombre de ceux qui devaient s'opposer à leur progrès y ont contribué de toutes leurs forces. Et quelle partie du peuple pourrait être exempte de ce fléau, comme vous me le dites, lorsque les coeurs des prêtres eux-mêmes sont en proie à cette maladie mortelle, lorsqu'ils substituent eux- mêmes la doctrine de Priscillien à l'évangile du Christ, qu'ils corrompent le véritable sens des saintes Écritures par de fausses explications, et que, sous les noms des prophètes et des apôtres, ils n'enseignent pas ce que le saint Esprit nous a révélé, mais bien ce que le démon leur inspire? Comme dans votre pieux zèle, vous m'avez adressé dix-sept chapitres qui contiennent ces erreurs déjà condamnées autrefois, je vais y répondre avec beaucoup de soin, afin de faire ressortir jusqu'à l'évidence l'impiété de tous ces blasphèmes.

Telles sont, comme vous le marquez dans votre premier chapitre, leurs croyances impies sur la divine Trinité: ils affirment que le Père, le Fils et le saint Esprit sont une seule et même personne et que ce Dieu unique est tantôt appelé Père, tantôt Fils, tantôt saint Esprit; Celui qui créa, Celui qui fut créé et Celui qui procède de l'Un et de l'Autre ne font qu'un; c'est une unité en trois mots, mais non pas en trois personnes. Ils ont tiré ce blasphème des sabelliens, et ils prétendent ainsi que le Père a souffert la passion. Car, si le Fils est le même que le Père, le Père a été crucifié comme le Fils; et toutes les souffrances que le Fils a éprouvées sous sa forme d'esclave, en obéissant au Père, le Père Lui-même les a partagées. Cette doctrine est entièrement opposée à la foi catholique qui explique ainsi l'unité de la Trinité: le Père, le Fils et le saint Esprit, unis sans se confondre, sont coéternels et égaux: ce n'est pas une seule et même personne, mais une même nature qui forme l'unité de la Trinité.

Je vois dans le second chapitre qu'ils prétendent que Dieu ne posséda pas certaines vertus de toute éternité. Il paraît qu'ils ont adopté en cela cette erreur d'Arius, qui fait le Père antérieur au Fils, et ne Le regardent comme Père que lorsqu'Il eût créé le Fils. L'Église catholique les maudit, et ceux qui pensent comme eux que Celui qui est de la même essence que Dieu, fut jamais séparé de Lui, comme si Dieu pouvait changer ou augmenter. Dieu ne serait pas immuable s'Il pouvait diminuer ou augmenter.

Le troisième chapitre désigne ces insensés qui avancent que Jésus Christ est appelé Fils unique de Dieu, parce que seul Il est né d'une vierge; ce qu'ils n'auraient pas osé dire s'ils ne s'étaient inspirés de Paul de Samosate et de Photinus, qui prétendirent que notre Seigneur Jésus Christ n'existait pas avant de naître de la Vierge. Ils donnent encore un autre sens à ces paroles; ils disent que Dieu n'a pas eu un seul Fils, mais plusieurs autres et que Jésus, qui seul naquit d'une femme, fut appelé unique parce que seul des enfants de Dieu Il naquit de cette manière. De quelque façon qu'ils expliquent leurs paroles, soit qu'ils veuillent que Jésus Christ ait tiré son principe de sa mère, soit qu'ils nient qu'Il est Fils unique de Dieu le Père, ils sont tombés dans l'impiété la plus horrible, puisque Jésus Christ, Dieu et Verbe, est né de la vierge Marie, et que le Verbe seul est né de Dieu le Père.

Dans le quatrième chapitre il est dit qu'ils ne fêtent pas comme nous le jour de la naissance du Christ, jour que l'Église a consacré, parce que Jésus Christ prit à cette époque un corps véritable, parce que, Verbe, Il S'incarna et habita parmi nous. Ils jeûnent ce jour-là, ainsi que le dimanche qui est sanctifié par la résurrection du Christ. S'ils en agissent ainsi, c'est qu'à l'exemple des marcionites, des manichéens, leurs alliés, comme nous nous en sommes assurés nous-mêmes, ils ne croient pas que Jésus Christ soit né sous une véritable forme humaine, mais qu'Il n'en prit que les apparences. Ils passent le dimanche, consacré par la résurrection du Sauveur, dans les austérités du jeûne en l'honneur du Soleil, comme nous l'avons découvert, afin de différer en tout point de nos croyances, et donner aux austérités le jour que nous consacrons à la joie. Que ces ennemis de la Croix de Jésus Christ et de sa Résurrection soient donc jugés selon leurs doctrines.

Le cinquième chapitre se réfère à leurs assertions selon lesquelles l'âme de l'homme est d'essence divine et de même nature que le Créateur. La foi catholique condamne cette impiété tirée de certains philosophes et des manichéens, car elle sait que rien ne peut être fait d'aussi grand et aussi sublime que la nature de Dieu Lui-même. Il n'y a que le Fils et le saint Esprit qui soient de la même nature que Dieu. Excepté cette Trinité, consubstantielle, coéternelle et immuable, toutes les créatures dans le principe ont été tirées du néant. Tout ce qui brille parmi les créatures n'est pas Dieu; tout ce qui est grand et admirable parmi elles n'est point la Divinité même qui fit toutes ces grandes et admirables choses. Aucun homme n'est la Vérité ni la Sagesse, ni la Justice elle-même; mais beaucoup participent à la Vérité, à la Sagesse, à la Justice: Dieu seul ne participe à rien; le Bien n'est pas une de ses Qualités, mais son Essence même. Immuable, Il ne reçoit aucune diminution, aucune augmentation; Il reste éternellement le même. Immuable, Il crée toutes choses, et rien ne se fait qu'Il n'ait ordonné. Ils sont donc par trop superbes et par trop aveugles ceux qui disent que l'âme de l'homme est d'essence divine; ils ne comprennent pas qu'ils attaquent l'immutabilité du Créateur, et abaissent sa Divinité à toutes les infirmités de la nature de nos âmes.

La sixième remarque indique qu'ils disent que le démon ne fut jamais bon, que Dieu ne le créa point, mais qu'il sort du chaos et des ténèbres: ainsi personne ne l'a créé; il est le principe et la substance de tout mal. La foi catholique enseigne que la substance de toutes les créatures fut bonne, et qu'il n'existait dans le principe aucune nature du mal. Dieu, qui a créé toutes choses, n'a rien fait que de bon. Le démon serait donc bon, s'il était resté tel qu'il a été créé. Mais, parce qu'il abusa de l'excellence de sa nature et s'écarta de la vérité, il ne changea point de substance, mais il dégénéra du souverain bien, comme ces hommes qui de la vérité se précipitent dans l'erreur, et sont condamnés pour la perversité de leur propre volonté. Le mal était en eux, mais ne formait pas leur nature; c'était seulement une condition de leur nature.

En septième lieu, ils condamnent le mariage et ont horreur de la procréation des enfants, imitant en cela, comme en presque toutes choses, l'immoralité des manichéens. Ils réprouvent ainsi l'union conjugale, comme leurs moeurs le prouvent, parce qu'ils ne trouvent pas la liberté du vice, là où la pudeur et l'espoir de la procréation doivent être conservés.

Leur septième erreur est d'attribuer au démon la création de l'homme et du principe de la reproduction; aussi ne croient- ils pas à la résurrection de la chair, parce que la nature du corps, selon eux, n'est pas conforme à la dignité de l'âme. Cette erreur est sans doute l'oeuvre du démon; elle tire sa source du poison immonde de la doctrine de Manichée: les catholiques en ont déjà fait justice.

La neuvième remarque manifeste leur assertion selon laquelle les prophètes sont nés, à la vérité, des femmes, mais que le saint Esprit les a conçus, pour qu'on ne croie pas qu'une race, sortie de la semence de la chair, puisse être inspirée par Dieu. La foi catholique enseigne que le Père de toutes choses a créé la substance de l'âme et du corps et qu'Il anime dans le sein de la mère le corps qui reste soumis au péché et à la mort qui nous ont été transmis par nos premiers parents. Le saint Esprit régénéra les prophètes non dans le sein de la mère, mais en vertu du baptême. C'est pourquoi David, qui était un prophète, dit à Dieu: " Tes Mains m'ont fait et façonné ". (Ps 118,73 Jb 10,8) C'est pourquoi le Seigneur dit à Jérémie: " Avant que Je t'eusse formé dans le ventre de ta mère, Je te connaissais " (Jr 1,5).

Dans le dixième chapitre il est dit qu'ils prétendent que les âmes qui sont enfermées dans les corps des humains ont péché dans un corps et dans une demeure célestes, et que c'est en punition de ces fautes qu'elles tombent de cette condition sublime dans une inférieure. Ils ajoutent que dans les astres et dans les airs elles ont été renfermées dans des corps sous des conditions plus ou moins douces, dans un rang plus ou moins élevé, et que l'inégalité des conditions et des destinées des hommes sur cette terre n'est ainsi que la conséquence de causes précédentes. La religion catholique, qui est la vérité, a constamment prêché que les âmes n'existaient pas avant leur introduction dans les corps, et n'étaient incorporées que par l'Oeuvre de Dieu, qui est leur Créateur; et parce que la prévarication du premier homme soumit au péché toute la race humaine, on ne peut être libéré de la condition du vieil homme que par le sacrement du baptême; et l'Apôtre dit: " Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ " (Ga 3,27&endash;28). Que signifient donc le cours des astres et les illusions des destins? Qu'importe l'instabilité des choses humaines et leur diversité? Dieu par sa Grâce a rendu tous les hommes égaux; et ils ne peuvent être malheureux ceux qui dans les périls de cette vie resteront fidèles à sa Loi et répéteront dans la tentation ces paroles de l'Apôtre: " Qui nous séparera de l'Amour de Christ? Sera-ce la tribulation, ou l'angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée? Selon qu'il est écrit: C'est à cause de Toi qu'on nous met à mort tout le jour, qu'on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. Mais dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés ". (Rm 8,35&endash;37) Aussi l'Église, qui est le Corps de Jésus Christ, ne redoute rien de l'inconstance des événements, car ses richesses ne sont pas de ce monde. Elle ne craint rien des destins contraires, Elle qui grandit par sa patience dans les tribulations.

Leur onzième blasphème est de penser que les corps des hommes sont soumis aux influences des astres; aussi s'étudient-ils à se les rendre favorables par leurs prières. Ceux qui à l'exemple des païens s'adonnent à de pareilles folies, ne font point partie de l'Église, car ils se sont entièrement séparés du Corps de Jésus Christ.

En douzième lieu, ils divisent les membres des corps en douze parties, ainsi que les qualités de l'âme; ils placent les premières sous la protection des douze signes du zodiaque, et les secondes en opposition sous celle des noms des patriarches. Aussi, confondus dans ces inextricables erreurs, ils n'entendent plus ces paroles de l'Apôtre: " Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s'appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde, et non sur Christ. Car en Lui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité. Vous avez tout pleinement en Lui, qui est le Chef de toute domination et de toute autorité ". (Col 2,8&endash;10). Ils ne comprennent pas celles-ci: " Qu'aucun homme, sous une apparence d'humilité et par un culte des anges, ne vous ravisse à son gré le prix de la course, tandis qu'il s'abandonne à ses visions et qu'il est enflé d'un vain orgueil par ses pensées charnelles, sans s'attacher au Chef, dont tout le Corps, assisté et solidement assemblé par des jointures et des liens, tire l'accroissement que Dieu donne ". (Col 2,18&endash;19) Qu'est-il donc besoin d'apprendre ce que la Loi n'a point enseigné, ce que les prophéties n'ont point annoncé, ce qui ne se trouve ni dans les vérités de l'évangile, ni dans la doctrine apostolique? Certes, ils ignorent aussi le sens de cette autre phrase de l'Apôtre: " Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d'entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l'oreille de la vérité, et se tourneront vers les fables ". (2Tm 4,3&endash;4) Nous ne devons rien avoir de commun avec des gens qui veulent enseigner ou croire de semblables doctrines, et qui s'efforcent par tous les moyens possibles de persuader que la résurrection de la chair est un mensonge, et qui rejettent ainsi les bienfaits du mystère de l'Incarnation du Christ. Car Il n'aurait pas revêtu l'homme tout entier, si l'homme tout entier n'avait dû être sauvé.

Treizièmement, ils disent que chaque livre des saintes Écritures doit être placé sous le nom des patriarches, qui sont douze vertus qui opèrent la réforme de l'homme intérieur, et que, sans la science de ces livres ainsi consacrés, aucune âme ne peut retourner en cette substance dont elle est émanée, c'est-à-dire Dieu Lui-même. Elle méprise cette vanité impie, la sagesse chrétienne qui connaît la Nature inviolable et incorruptible du vrai Dieu, et qui sait que l'âme, soit dans le corps, soit séparé de lui, est soumise à la souffrance; certes, si elle était de la même nature que le Créateur, elle serait impassible comme Lui. Il n'y a aucune comparaison à établir entre le Créateur et la créature; le Créateur est immuable et n'éprouve par conséquent jamais aucun changement, mais la créature est muable même quand elle n'éprouve pas de changement. Car, si elle reste ainsi intacte, ce ne peut être que par la Grâce de Dieu, et non par sa propre nature.

Dans le quatorzième chapitre l'on apprend que, comme ils pensent que les actions du corps sont, à cause de la nature terrestre de celui-ci, soumises à l'influence des astres et des signes du zodiaque, ils prétendent avoir trouvé dans les Livres saints des choses qui ont été écrites par l'homme extérieur et terrestre (c'est-à-dire sous l'influence de la chair qui procède du mauvais principe, et sous ce prétexte ils rejettent l'ancien et une partie du nouveau Testament); de telle sorte que dans ces mêmes Écritures on remarquait une lutte entre la Divinité et l'humanité, et que le principe de l'âme était en opposition avec le principe du corps. Ces fables découlent de ce qu'ils croient l'âme d'essence divine, et la chair d'une mauvaise nature; car selon eux, ce n'est pas Dieu qui a créé le monde, les éléments et la chair, c'est l'auteur du mal, c'est le démon. Pour donner quelque apparence de vérité à leurs mensonges sacrilèges, ils ont donné de fausses interprétations aux paroles du saint Évangile.

Le quinzième chapitre dit qu'ils publient de fausses écritures à la place des véritables, dans des livres apocryphes qu'ils font passer pour canoniques; des personnes dignes de foi nous ont rapporté cette action détestable et digne du démon; nous avons plusieurs exemples de ces ouvrages. En effet, comment pourraient-ils tromper les simples d'esprit s'ils ne se servaient de ce faux titre, s'ils ne frottaient de miel les bords de la coupe empoisonnée, de peur qu'on ne s'aperçût du venin qui s'y trouve et qui doit donner la mort. Il faut donc que les évêques veillent avec le plus grand soin à ce que personne ne se serve de ces fausses écritures. Il faut que tous ces livres apocryphes, mis sous les noms des apôtres, soient non seulement défendus, mais encore confisqués et livrés aux flammes. Quoiqu'il se trouve dans certains d'entre eux des apparences de piété, ils n'en sont pas moins dangereux; le charme des fables qui s'y trouvent glisse dans le coeur à son insu le poison mortel de l'erreur. Si donc quelque évêque ne défend pas de conserver ces livres, et permet aux fidèles de lire, comme s'ils étaient canoniques, ces exemplaires que Priscillien a falsifiés, il sera jugé comme hérétique. Celui qui ne s'efforce pas de tirer les autres de leurs erreurs, fait voir qu'il les partage.

Vous me marquez, dans le seizième chapitre, votre juste chagrin de voir que les traits écrits par Dictinius, avant sa conversion, suivant les dogmes de Priscillien, sont lus avec respect par une foule de gens qui croient ainsi honorer sa mémoire, comme s'ils ne devaient pas admirer sa conversion de préférence à louer sa chute. C'est Priscillien qu'ils lisent et non pas Dictinius; les doctrines qu'il enseigna dans son erreur ne sont pas celles qu'il professa dans son repentir. Mais cette faute ne peut pas rester impunie; on ne doit pas tenir pour catholiques ceux qui se servent de ces livres qui ont été condamnés non seulement par l'Église, mais encore par l'auteur lui-même. On doit arracher aux méchants leur masque d'hypocrisie et ne point les laisser échapper à la justice des décrets impériaux à l'aide du nom de chrétien. S'ils se réunissent en apparence à l'Église catholique tandis que leurs coeurs en sont si éloignés, c'est pour rendre leurs complices ceux de nos frères qu'ils peuvent corrompre, et pour échapper, en se disant les nôtres, à la sévérité des lois. C'est ce que font les priscillianistes, c'est ce que font les manichéens dont les coeurs sont si étroitement unis, qu'ils ne diffèrent que de nom, et se rendent coupables des mêmes sacrilèges. Les croyances que les priscillianistes feignent de partager, les manichéens les combattent, et cependant la même pensée les conduit au même but; ceux-ci corrompent les croyances qu'ils ont feint de recevoir, et s'efforcent de les ébranler en les combattant. Dans leurs mystères exécrables qu'ils tiennent d'autant plus secrets qu'ils sont plus immondes, on trouve chez les uns comme chez les autres la même ardeur criminelle, la même obscénité, la même turpitude. Quoique nous rougissions de honte de parler de ces choses, cependant nous avons fait de grands efforts pour découvrir ces hideux mystères, et nous les avons dévoilés au peuple. Les manichéens dont nous nous sommes emparés, nous les ont confessés. Et pour que personne ne puisse douter de notre jugement, auquel ont assisté un grand nombre de prêtres, les premiers dignitaires de Rome, une grande partie du sénat et du peuple, ceux qui avaient commis le crime l'ont déclaré eux-mêmes. La lettre que je vous écrivis alors a dû vous donner connaissance de ces faits. Mais ce crime impur des manichéens, on a découvert depuis longtemps, et beaucoup de gens le savent que c'est l'une des coutumes adultères et incestueuses des priscillianistes. En effet, ces gens qui professent les mêmes doctrines impies pourraient-ils différer par les cérémonies? Aussi j'ai répondu dans cette instruction à chacune des questions posées dans votre libelle, et j'en ai suivi l'ordre avec exactitude. Comme je le pense, j'ai clairement exposé ma pensée sur les sujets que votre fraternité m'a soumis; et j'ai montré qu'il ne fallait pas souffrir que les prêtres du Seigneur partageassent des erreurs si profanes; ou, pour parler avec moins de sévérité, se laissassent entraîner vers elles. Comment osent-ils réclamer le respect dû à leur rang, ceux qui ne veillent pas sur les âmes qui leur sont confiées? Les bêtes féroces s'élancent vers le bercail, et ils n'en ferment point les portes; les loups dévorants rôdent autour de la bergerie, et ils ne posent pas de sentinelles pour les éloigner; les maladies fondent sur le troupeau, et ils ne savent leur opposer aucun remède. Bien plus, ils refusent de s'unir à ceux qui remplissent leurs devoirs avec fidélité. Et ce n'est que par feinte qu'ils anathématisent par de vaines souscriptions des impiétés que tout l'univers a déjà condamnées autrefois; que veulent-ils qu'on pense d'eux, si ce n'est qu'ils ne sont point du nombre de nos frères, mais qu'ils combattent pour nos ennemis ?

Vous m'avez annoncé à la fin de votre lettre que certains catholiques s'inquiètent de savoir si la Chair de Jésus Christ était restée dans le sépulcre quand Il descendit aux enfers, comme s'il y avait le moindre doute sur cette question. De même qu'elle est morte et qu'elle a été ensevelie réellement, de même elle a été ressuscitée réellement le troisième jour; Le Seigneur Lui-même l'avait résolu quand Il dit aux Juifs: " Détruisez ce temple et Je le relèverai en trois jours "; l'évangile ajoute: " Mais Il parlait du temple de son Corps ". (Jn 2,21) Le prophète David nous avait déjà prédit cette vérité; il a dit, en parlant au Nom du Seigneur: " AussiS ma Chair elle-même reposera dans l'espérance. Car Tu n'abandonneras pas mon Âme aux enfers, et Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption ". (Ps 15,9) Ces paroles prouvent que la Chair du Seigneur reposa réellement dans le sépulcre et ne put se corrompre, car le prompt retour de l'âme la rendit à la vie. C'est une impiété digne des priscillianistes ou des manichéens, qui feignent d'adorer le Christ, et nient son Incarnation, sa Mort et sa Résurrection, que de ne pas croire à cette vérité. Il faudra donc convoquer dans le lieu le plus convenable un concile général auquel assisteront les évêques des provinces voisines, afin d'examiner avec la plus sérieuse attention si quelques évêques ne se trouvent point souillés de quelques-unes des hérésies sur lesquelles je viens de vous faire savoir notre opinion. Si l'un d'entre eux en est infecté, il faudra le séparer de notre communion, à moins qu'il ne condamne positivement toutes les impiétés de cette secte criminelle. Sous aucun prétexte on ne doit point souffrir que celui qui a reçu la mission de prêcher les vérités de la foi ose se permettre de disputer contre l'évangile du Christ, la doctrine des apôtres et le Symbole de l'Église universelle. Quels seraient les disciples de pareils maîtres? Quelle serait donc la religion du peuple? Comment obtiendrait-il son salut s'il suivait les lois de ces impies qui, pour la ruine de la société, s'affranchissent des lois de la pudeur qu'ils méprisent; brisent les liens sacrés du mariage; défendent la propagation de l'espèce; condamnent la nature de la chair, et qui, insultant Dieu Lui-même, rejettent la Trinité comme un mensonge; confondent la propriété des Personnes qui la composent; enseignent que l'âme de l'homme est d'essence divine, eux qui ont dit que sa chair était soumise au démon; nomment Jésus Christ Fils unique, parce qu'Il est né d'une vierge, et non parce qu'Il est le Fils du Père éternel; et qui, dans leur contradiction, vont jusqu'à dire que le Christ n'est point réellement de la race de Dieu ni de celle d'une vierge; car ils affirment que sa Passion et sa Mort n'ont été que de trompeuses apparences, et que la résurrection de la Chair, s'élançant triomphante du sépulcre, n'est qu'un vain mensonge? C'est en vain qu'ils portent le nom de chrétien ceux qui ne s'opposent point à ces impiétés. Il faut y croire pour ne point se sentir embrasé d'un saint zèle au récit de ces infamies. En conséquence, j'ai écrit aux frères et co-évêques des provinces de Tarragone, de Carthagène, de Lusitanie et de Galice pour les inviter à se réunir en concile général. Je laisse au zèle de votre charité le soin de communiquer ma décision aux évêques de ces provinces. Si toutefois quelque obstacle s'opposait à cette réunion générale, il faudrait du moins vous rassembler avec les évêques de la Galice et nos frères Idacius et Céponius. Vous aviseriez ensemble aux moyens les plus prompts à employer pour cicatriser les blessures de cette malheureuse province.





S. Léon, textes choisis - SERMON SUR LE GRAND CAREME (5)