S. Léon, textes choisis - A L'IMPÉRATRICE PULCHERIE

AU CLERGÉ ET AU PEUPLE DE LA VILLE DE CONSTANTINOPLE

Si ce qui s'est passé dernièrement à Éphèse nous a vivement affligé, car les lois de la justice et celles de la religion ont été foulées aux pieds, d'un autre côté, votre piété sincère et vos acclamations contre l'injuste sentence nous ont fait éprouver une grande joie. Bons fils, vous conserverez toujours votre amour à votre excellent père, et vous ne souffrirez pas qu'on porte le moindre changement aux saintes doctrines qu'il vous a enseignées. Sans doute, comme le saint Esprit vous l'a révélé, ils sont souillés par l'hérésie de Manichée, ces hommes qui nient la vérité de la Nature humaine de notre Seigneur Jésus Christ et attribuent à un vain fantôme toutes ses actions corporelles. De peur que vous ne tombiez dans cette erreur, nous vous avons déjà fait remettre une lettre par nos enfants Épiphane et Denys, notaires de l'Église romaine, et, d'après votre désir, nous vous écrivons de nouveau. Vous ne douterez point ainsi que nous ne veillions sur vous avec une sollicitude toute paternelle et que nous n'employions tous les moyens possibles pour faire cesser, avec le secours de la Miséricorde de Dieu, le scandale que des ignorants et des insensés ont fait naître. Qu'aucun de ceux qui ont pu se laisser convaincre par de pareilles impiétés n'ose se glorifier de son rang dans l'Église: car si l'ignorance est à peine tolérable chez un laïc, quel juste châtiment ne mérite-t-elle pas chez des hommes chargés de conduire les autres, et surtout quand ils défendent des opinions dangereuses et les font adopter par les esprits inconstants, à l'aide des caresses et des menaces? Ils méprisent les saints membres du Corps de Jésus Christ, mais la liberté catholique ne subira pas leur joug. Ils manquent de la Grâce divine et ils doivent être privés du sacrement du salut, ces hommes qui nient la Nature humaine de Jésus Christ et contestent ainsi les vérités de l'évangile et rejettent le Symbole. Ils ne comprennent pas que cette impiété les conduit à détruire la réalité de la Passion et de la Résurrection; car comment auraient pu s'accomplir ces mystères, si notre Sauveur n'a pas la chair d'un homme? Dans quelles ténèbres d'ignorance sont-ils plongés, dans quelle honteuse paresse ont-ils vécu pour ne pas avoir appris, soit par des discours, soit par des lectures, ce qui dans l'Église de Dieu retentit de tous côtés, cette vérité du Corps et du Sang de Jésus Christ, que les enfants eux-mêmes confessent à la communion, distribution mystique de la nourriture spirituelle où notre chair, après avoir reçu cette nourriture céleste, s'unit à la Chair de Celui qui S'est incarné. Aussi, pour vous confirmer dans votre charité qui s'est opposée avec une foi digne d'éloges aux ennemis de la vérité, je vous dirai comme l'Apôtre: " C'est pourquoi moi aussi, ayant entendu parler de votre foi au Seigneur Jésus et de votre charité pour tous les saints, je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mention de vous dans mes prières, afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit de sagesse et de révélation, dans sa connaissance, et qu'Il illumine les yeux de votre coeur, pour que vous sachiez quelle est l'espérance qui s'attache à son Appel, quelle est la richesse de la gloire de son Héritage qu'Il réserve aux saints, et quelle est envers nous qui croyons l'infinie grandeur de sa Puissance, se manifestant avec efficacité par la vertu de sa Force. Il l'a déployée en Christ, en Le ressuscitant des morts, et en Le faisant asseoir à sa Droite dans les lieux célestes, au-dessus de toute Domination, de toute Autorité, de toute Puissance, de toute dignité, et de tout nom qui se peut nommer, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle à venir. Il a tout mis sous ses Pieds, et Il L'a donné pour Chef suprême à l'Église, qui est son Corps, la Plénitude de Celui qui remplit tout en tous ". (Ep 1,15&endash;23) Qu'ils nous disent, les adversaires de la vérité, quelle nature le Père tout-puissant a placée au-dessus de toutes choses, car " toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui " (Jn 1,3), Il est nécessairement supérieur à toutes les créatures qui, de tout temps, ont été soumises à Celui qui les a créées. Éternel, Il est de la Nature du Père, Il est semblable au Père, Il ne forme qu'un avec Lui. Si donc sa Puissance, sa Dignité, sa Gloire ont été augmentées, c'est qu'Il possédait une nature inférieure qui n'avait ni la puissance, ni la grandeur, ni la gloire de la Nature divine. C'est Arius qui a inspiré son impiété à ces hommes qui nient la nature humaine dans le Verbe, refusent avec mépris de croire que l'humilité de notre nature ait été jointe à la Majesté de Dieu, prétendant que le Corps du Sauveur était un vain fantôme, et attribuent plutôt à sa Divinité qu'à sa Chair toutes ses Actions et toutes ses Souffrances corporelles. Il est bien insensé celui qui ose défendre une pareille doctrine, car elle détruit la foi et la vérité du sacrement; d'après elle, ou la Divinité a souffert, ou bien il n'y a rien eu de réel dans le mystère de la Passion. Le fils de Dieu impassible est de toute éternité de l'essence immuable de la Trinité avec le Père et le saint Esprit. Quand les temps furent venus, temps fixés par l'éternelle Sagesse et révélés au monde par les prophètes, Il S'est fait homme sans perdre sa Substance divine, mais en revêtant notre nature. Il " est venu chercher et sauver ce qui était perdu " (Lc 19,10); Il vint parmi nous, non comme une apparition passagère, mais bien sous des formes visibles et palpables, en prenant la chair et l'âme d'un homme dans le sein de la Vierge, sa mère; Dieu, Il S'unit à la forme de l'esclave, à la nature de la chair du péché: et l'Homme n'a pas altéré la Divinité, et le Dieu a glorifié l'humanité.

La faute de nos premiers parents, dont le péché originel a été transmis à toute leur postérité, ne pouvait être effacée; et nous ne pouvions échapper à la damnation éternelle, si le Verbe ne se faisait Chair et n'habitait parmi nous dans cette même nature, cette même chair et ce même sang que les nôtres. C'est ainsi que l'Apôtre a dit dans son Épître aux Romains: " Ainsi donc, comme par une seule offense la condamnation a atteint tous les hommes, de même par un seul acte de justice la justification qui donne la vie s'étend à tous les hommes. Car, comme par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul beaucoup seront rendus justes " (Rm 5,18&endash;19). Et dans une autre épître: " Car, puisque la mort est venue par un homme, c'est aussi par un Homme qu'est venue la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ " (1Co 21&endash;22). Ils sont étrangers à tout sacrement de la religion chrétienne ceux qui ne confessent pas la vérité de la nature humaine prise par le fils unique de Dieu dans le sein de la Vierge de la descendance de David; ils ne connaissent ni l'Époux ni l'Épouse; ils ne peuvent assister au banquet nuptial. La Chair de Jésus Christ est la Robe du Verbe; celui qui confesse le Christ en est revêtu. Mais celui qui rougit de ce vêtement et le rejette comme indigne, quoiqu'il s'approche de la table royale et prenne part au banquet sacré, convive parjure, il n'échappera pas à la justice du Roi, comme le Seigneur l'a prédit Lui-même; il sera chassé, ses pieds et ses mains seront chargés de fers et il sera lancé dans les ténèbres extérieures où il y aura des sanglots et des grincements de dents. Aussi quiconque ne confesse pas la Nature humaine de Jésus Christ, est jugé indigne du mystère de l'Incarnation, et ne jouira des bienfaits du sacrement dont l'Apôtre parle en ces termes: " Parce que nous sommes membres de son Corps. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair "; et il a ajouté pour expliquer ces paroles: " Ce mystère est grand; je dis cela par rapport à Christ et à l'Église ". (Ep 5,30&endash;32) Dès le commencement de la race humaine, l'Avènement du Christ dans la chair a été annoncé à tous les hommes. Ils seront deux dans la même chair, a-t-il été dit; et en vérité, ils sont deux dans la même chair: Dieu et l'homme, le Christ et l'Église qui est née de la chair de l'Époux; quand, par le sang et l'eau qui coulaient de son Côté sur la croix, elle a reçu le sacrement de la rédemption et de la régénération. Et tel est le nouvel état de la créature qui, par l'eau du baptême, n'est point privée de sa chair, mais purifiée de la tache originelle; de telle sorte que son corps devient celui de Jésus Christ, car le Corps du Christ est celui d'un homme. Nous ne devons donc pas dire que le Christ est seulement Dieu, comme les manichéens, ou comme l'hérétique Photinus, qu'Il est seulement homme; nous ne devons pas croire qu'il Lui manque rien de la nature humaine, soit l'âme, soit la raison, soit la chair; proposition impie développée par les apollinaristes, qui prétendaient que le Verbe n'avaient pas pris sa chair dans le sein d'une vierge, mais qu'Il était Lui-même changé en chair. Nous ne devons pas admettre davantage que la bienheureuse vierge Marie ait conçu un homme sans la Divinité, homme qui, une fois créé du saint Esprit, ait été habité par le Verbe ensuite, erreur qui a été justement condamnée dans la personne de Nestorius; mais telle doit être notre croyance: Le Christ, fils de Dieu, Dieu véritable, né de Dieu le Père, de toute éternité, est aussi un homme véritable, né d'une femme à une époque déterminée; son Humanité, par laquelle Il est inférieur au Père, n'a porté aucune altération à sa Nature divine, par laquelle Il est égal à Dieu. Il n'y a qu'un seul Christ en deux natures; Il l'a prouvé Lui-même quand Il a dit comme Dieu: " Moi et le Père nous sommes un " ); et comme Homme: " Le Père est plus grand que Moi " (Jn 14,28). Cette profession de foi est la seule qui soit aux coeurs des véritables chrétiens; c'est la seule qui soit bonne et impérissable; vous la défendrez avec zèle et amour; vous y persévérerez; vous la confesserez avec constance. Et, comme après la Miséricorde de Dieu il faut aussi mériter les bonnes grâces de vos princes chrétiens, demandez avec sagesse et humilité au très clément empereur qu'il daigne ordonner la convocation d'un concile général, comme je l'en ai déjà prié, afin de retremper le courage et l'ardeur des bons catholiques et de purifier les hérétiques qui consentiront à rentrer dans la bonne voie.

Fait aux ides d'octobre, sous le consulat des très illustres Astère et Protogène.



A L'EMPEREUR MARCIEN

Toute l'Église a tressailli de joie lorsque, par un bienfait de la Miséricorde de Dieu, l'hérésie la plus pernicieuse a été détruite par le zèle saint et glorieux de votre Clémence; vous avez consacré votre puissance au service de Dieu; vous avez aidé les prêtres du Seigneur de toute votre foi et de tout votre pouvoir à parvenir plus promptement au but de leurs travaux. Quoique, en vertu du saint Esprit qui les inspire, ce soit le devoir des serviteurs du Siège apostolique de défendre en toute circonstance les vérités et la liberté de l'évangile, cependant cette fois, c'est par la seule Grâce de Dieu que nous avons triomphé; et dans cette victoire de la vérité Dieu a permis que les seuls auteurs de l'hérésie périssent et que l'Église recouvrât son unité. Cette guerre que l'ennemi de notre paix avait suscitée s'est donc terminée d'une manière si heureuse que, le Christ triomphant, les mêmes lauriers couronnèrent tous les évêques; et, la lumière de la vérité brillant avec éclat, les ténèbres de l'erreur et ses partisans furent seuls chassés au loin.

Sur ce qui concerne nos croyances touchant la résurrection de notre Seigneur, il fut très avantageux, pour jeter les bases de la foi, que certains apôtres aient douté de la réalité de la Chair de Jésus Christ; car, en se convainquant eux-mêmes par les sens de la vue et du toucher, lorsqu'ils examinèrent la marque des clous et la cicatrice du coup de lance, ils mirent fin aux doutes de tous ceux qui pourraient hésiter à croire; il en est de même aujourd'hui, lorsque l'infidélité de quelques-uns est confondue; tous ceux qui chancelaient dans leurs croyances s'y trouvent confirmés, et l'aveuglement des uns sert à éclairer les autres. Il est digne et juste que votre Clémence se glorifie de ses travaux; car elle a pourvu avec sagesse à ce que les embûches du démon ne puissent nuire aux Églises d'Orient, et elle a compris avec fidélité qu'on ne saurait jamais offrir d'holocauste plus agréable à Dieu qu'en réunissant les peuples, les évêques et les rois, pour confesser tous de la même manière la Médiateur de Dieu et des hommes, l'Homme Jésus Christ.

Après cette heureuse pacification de l'Église universelle qui nécessita la réunion d'un si grand nombre d'évêques, je m'étonne et je me plains de ce que le souffle de l'ambition vient encore troubler cette paix que Dieu nous a accordée. Quoique mon frère Anatolius ait compris qu'il était du dernier intérêt pour lui d'abandonner les erreurs de ceux qui l'avaient ordonné et de revenir à la foi catholique par une correction salutaire, il eût dû se garder néanmoins de troubler par sa cupidité cette Église qu'il sait ne devoir qu'à notre bienveillance. Il devrait se rappeler que, par égard pour votre demande et rassuré par votre piété, quand l'illégalité de sa consécration le faisait chanceler sur son siège, j'ai plutôt écouté ma bonté que la justice, désireux que j'étais d'apaiser tous les troubles que le démon avait suscités, même par des moyens peu licites. Le souvenir de ces faits devrait lui inspirer plus de modestie que d'orgueil. Et quand ses vertus l'auraient porté à l'épiscopat, quand même il aurait été consacré légalement après un mûr examen et d'une manière solennelle, il n'en serait pas moins criminel en violant les anciennes règles, les canons des pères et les décrets du saint Esprit. Je vous le dis à vous, chrétien vraiment pieux, à vous, prince vraiment orthodoxe, l'évêque Anatolius perd ses propres mérites en voulant augmenter ses droits d'une manière injuste.

Que la cité de Constantinople soit glorieuse comme nous le désirons par la protection de Dieu; qu'elle jouisse longtemps, sous le règne de votre Clémence, des privilèges d'une ville impériale. Mais il ne faut pas confondre les choses divines et les choses humaines; aucune construction ne sera éternelle et stable, à l'exception de cette seule pierre que le Seigneur a posée Lui-même pour être le fondement de son Église. Celui qui convoite le bien d'autrui, perd son propre bien. Qu'il suffise à Anatolius d'avoir obtenu l'épiscopat dans une si grande ville, à l'aide des recommandations de votre Majesté et de mon approbation. Qu'il ne dédaigne point la Cité Impériale dont il ne peut faire un siège apostolique, et qu'il n'espère point non plus s'élever jamais sur les ruines des autres. Les décrets des saints pères ont établi les privilèges des Églises, et les canons du concile de Nicée les ont déterminés; l'ambition d'aucun homme ne peut y rien retrancher, y rien ajouter. Avec l'Aide du Christ je maintiendrai fidèlement, dans leur intégrité, ces règles saintes de nos pères qui furent faites, pour la discipline de toute l'Église, dans le concile de Nicée par l'inspiration du saint Esprit; c'est à moi qu'a été confié le soin de les faire observer, et je me montrerai bon et fidèle serviteur; car si je prêtais les mains à ce qu'on les violât, ce qui n'arrivera jamais, si la volonté d'un seul de mes frères avait plus de poids auprès de moi que l'utilité générale de toute l'Église, je me rendrais coupable d'un grand crime.

Comme je sais que votre glorieuse Clémence aime à veiller sur la paix des Églises et qu'elle donne une pieuse approbation à tout ce qui est convenable au maintien de l'ordre, je la prie et la supplie de se garder de prêter le moindre assentiment à d'injustes tentatives contre la paix des fidèles et l'unité catholique, et de réprimer d'une manière salutaire l'ambition de mon frère Anatolius, qui, s'il y persiste, pourra lui devenir préjudiciable. Il ne faut pas que, dans son ambition hostile à votre gloire et à l'Église, il veuille s'élever au- dessus de ses mérites; il lui appartient de briller par toutes les vertus qu'il pourra réunir; mais certes, il n'en possédera aucune si, au lieu de se gonfler d'orgueil, il ne s'empresse de faire place dans son coeur à la charité. Il n'aurait jamais dû concevoir cet injuste désir; et quand mes frères et collègues, qui me remplaçaient au concile, s'opposèrent à ses prétentions illicites, il eût agi convenablement en se désistant de ses projets devant leurs remontrances salutaires. Les actes de votre piété et les lettres d'Anatolius lui-même prouvent que les légats du Siège apostolique lui ont opposé, comme il était nécessaire, de justes réclamations; sa présomption, qui ne s'arrêta pas même après avoir été réprimandée, est donc inexcusable.

Déployez contre toute ambition condamnable cette vigueur que vous avez montrée en terrassant l'hérésie par la Grâce de Dieu; et, ce qui convient à votre piété et à votre gloire, ce qui est digne de votre justice de chrétien et d'empereur, contraignez cet évêque à obéir aux pères et à respecter la paix de l'Église, et défendez-lui de se faire un droit de ce que, dans mon zèle à cicatriser les plaies de l'Église, et dans mon amour pour la paix, j'ai bien voulu ne point annuler l'ordination sans exemple de l'évêque d'Antioche qu'il avait faite au mépris des canons. Qu'il s'abstienne donc de violer les lois ecclésiastiques; qu'il réprime les excès de son ambition, de peur qu'il ne soit retranché de l'Église universelle dont il veut troubler la paix. Cependant, j'aimerais mieux le chérir à cause de ses vertus que de le voir persévérer dans ses pensées d'orgueil qui pourraient le séparer de nous. Mon frère et collègue Lucien, qui m'a apporté les lettres de votre Clémence, avec mon fils, le diacre Basile, a accompli la mission dont vous l'avez chargé, avec le plus grand zèle, et, s'il n'a point eu de succès, on peut dire qu'il n'a point manqué à la cause, mais c'est plutôt la cause qui lui a manqué.

Fait le onzième jour des calendes de juin, sous le consulat du très illustre Herculanus.


A SON TRES CHER FRERE THÉODORET, ÉVEQUE

Nous avons appris par nos frères et collègues, qui sont de retour du saint concile, où le Siège du bienheureux Pierre les avait envoyés, que, protégé comme nous par le Bras du Tout- Puissant, tu es resté victorieux de l'impiété de Nestorius et de la fureur des eutychéens. Glorifions-nous donc en notre Seigneur et chantons avec le prophète: " Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre " (Ps 123,8). Il n'a pas permis qu'on nous portât préjudice dans la personne de nos frères; et ce divin mystère qu'Il avait défini par ma bouche, Il l'a confirmé par l'assentiment irrévocable de tous nos collègues. Il a voulu prouver ainsi que cette exposition de foi, donnée par le premier des Sièges et approuvée par tout l'univers chrétien, avait été composée sous son Inspiration; et en faisant ainsi concourir au même but les membres et le corps, Il nous a donné d'autant plus matière à nous réjouir, qu'Il a frappé notre ennemi avec d'autant plus de rigueur, qu'il avait sévi plus cruellement contre les ministres du Christ. Pour augmenter l'éclat du témoignage que tous les autres Sièges rendirent à celui que le Seigneur établit le premier de tous, il s'en trouva d'abord qui se laissèrent aller à de soupçons injustes et qui doutèrent de notre jugement; mais tandis que le démon, le père de la discorde, excitait quelques-uns à nous contredire, à lutter contre nous, par la Grâce du Dieu de bonté, le mal que celui-là nous faisait a été remplacé par un plus grand bien. En vérité, les présents de la Grâce divine paraissent bien plus doux toutes les fois qu'on les a acquis au prix de grandes sueurs; et la paix qui s'écoule dans le repos paraît bien moins agréable que celle qui nous est rendue après de grands travaux; et la vérité elle-même brille d'un plus vif éclat et se grave plus profondément dans les esprits, lorsque, enseignée d'abord par la foi, elle est ensuite confirmée par l'examen. Enfin, la dignité des évêques paraît plus grande, lorsque l'autorité du plus puissant est respectée de telle sorte qu'on ne voit pas qu'aucune atteinte ait été porté à la liberté des inférieurs.

L'examen tourne d'autant plus à la Gloire de Dieu, qu'on ne craint point d'arracher le masque à l'hérésie pour la vaincre, de peur que ce qui est évidemment injuste par soi-même, ne paraisse opprimé dans un injuste silence. Exulte donc, très cher frère, et exulte, vainqueur en Jésus Christ, le Fils unique de Dieu. Il a triomphé par nous, Celui dont on niait la vérité de la chair; Il a triomphé par nous et pour nous, Celui en qui nous vivons et dont l'arrivée en ce monde est un nouveau jour de gloire pour l'univers. Le divin mystère de l'Incarnation fut rendu au monde après la défaite de l'ennemi du genre humain, qui, ne pouvant l'abolir et le faire oublier, s'était efforcé de le rendre incompréhensible par ses mensonges. Bien plus, ce mystère immortel avait été banni du coeur des incrédules, car un si grand sacrement de salut ne peut servir à l'incrédule. Jésus Christ Lui-même a enseigné cette vérité à ses disciples par ces paroles: " Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné " (Mc 16,16). Les rayons du Soleil de justice, interceptés par les ténèbres épaisses de Nestorius et d'Eutychès, ont brillé d'un nouvel éclat sur l'Orient, où le Seigneur a placé de préférence le Siège des enseignements des apôtres et des docteurs; et dans ces contrées qu'il n'est pas permis de croire que le Seigneur abandonne jamais, là où Il avait placé ces illustres confesseurs, notre antique ennemi s'efforçait de nouveau, à l'aide du coeur corrompu d'un second pharaon, de détruire la race fidèle d'Abraham et les enfants de la nouvelle promesse; mais Dieu, dans sa Miséricorde, rendit vains les efforts des démons, et il ne peut nuire qu'à lui seul. Dieu, dans sa Toute-Puissance, agit d'une manière si admirable, que loin de condamner avec leur maître ceux qui s'étaient armés avec lui pour massacrer les enfants d'Israël, Il les réunit à son peuple. Et comme il était digne de Lui, Source des miséricordes et comme il était possible à Lui seul de le faire, Il réunit les vaincus avec nous pour leur faire partager notre victoire; car l'esprit de mensonge est le seul véritable ennemi du genre humain, et il n'est point douteux que tous ceux que la vérité a appelés vers elle ne puissent le terrasser. Les paroles suivantes de notre Sauveur prouvent bien qu'elles sont d'autorité divine; elles s'adressent si bien aux ennemis de la foi qu'on ne peut douter que ce ne soit d'eux qu'Il ait voulu parler: " Vous, dit-Il, vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds; car il est menteur et le père du mensonge " (Jn 8,44).

On ne doit donc pas s'étonner de ce que ceux qui ont regardé comme un mensonge la vérité de la Chair de Jésus Christ s'accordent avec leur père, prétendant que tout ce qui a été vu, entendu, touché et palpé, comme le témoigne l'évangile, ne présente point des preuves solides de cette réalité de la nature humaine, mais que Jésus Christ était d'une seule nature coéternelle et consubstantielle au Père, comme si la Nature divine avait été attachée au bois de la croix, comme si cette Nature immuable avait pu grandir avec l'âge, comme si la Sagesse éternelle avait pu croître en sagesse, comme si l'Esprit de Dieu, qui est l'Esprit Lui-même, S'était développé et avait augmenté. Cette folie furieuse montra bien quel était son père, en s'efforçant par tous les moyens possibles de faire partager son impiété à tous les hommes. Quoiqu'elle nous eût déjà frappé dans chacun de nos frères, qui sont nos membres, elle ne voulut pas nous épargner nous-même; avec une audace nouvelle, inouïe, incroyable, elle déversa l'injure contre le chef des Églises. Mais plût à Dieu que, se repentant après tant de crimes, elle ne nous ait fait point pleurer sur sa damnation éternelle. Elle voulut mettre le comble à tous ses crimes; ceux qu'elle avait commis ne lui suffisaient pas; elle n'épargna ni les vivants ni les morts; ennemie de la vérité, protectrice de l'erreur, elle trempa ses mains déjà souillées dans le sang d'un innocent, dans le sang d'un évêque catholique. Tandis qu'il a été écrit: " Quiconque hait son frère est un meurtrier " (1Jn 3,15), l'impie qui s'était déjà rendu meurtrier en haïssant son frère, accomplit son oeuvre criminelle, comme s'il n'avait point entendu ces paroles du Seigneur: " Recevez mes instructions, car Je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger " (Mt 11,29&endash;30). Ce digne apôtre des mensonges du démon, cet Égyptien dévastateur s'éleva comme un tyran farouche. A l'aide d'une foule furieuse de séditieux, il imposait à l'Église des blasphèmes criminels qu'il faisait approuver par nos vénérables frères avec les mains sanglantes des soldats. La Voix de notre divin Rédempteur nous a assuré qu'il n'y avait qu'un seul et même auteur de l'homicide et du mensonge; eh bien, il s'est rendu coupable d'homicide et de mensonge comme s'il n'avait reçu les conseils que le Fils de Dieu nous a donnés pour notre salut, que pour faire les choses contre lesquelles Il nous mettait en garde et ainsi se damner à jamais. Il n'avait point non plus prêté une oreille attentive à ces paroles du Seigneur: " Je dis ce que J'ai vu chez mon Père; et vous, vous faites ce que vous avez entendu de la part de votre père " (Jn 8,38).

Aussi, en conspirant d'arracher la vie de ce monde à Flavien, de sainte mémoire, il se priva de la lumière de la véritable vie. En voulant vous arracher à vos Églises, il se sépara du nombre des chrétiens. En entraînant vers l'erreur un grand nombre de fidèles et en les y faisant tomber, il a percé son âme de nombreuses blessures; seul il fut criminel plus que tous, par tous et pour tous; car il fut la cause des crimes de tous. Quoique tu sois fortifié par une solide nourriture spirituelle et que tu n'aies point du tout besoin de ce conseil, cependant je te dirai de te conduire de même que l'Apôtre, comme c'est notre devoir, afin que nous puissions répéter avec lui: " Et, sans parler d'autres choses, je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises. Qui est faible, que je ne sois faible? Qui vient à tomber, que je ne brûle? " (2Co 11,28&endash;29) Je crois surtout devoir t'avertir en cette occasion, mon très cher frère, que toutes les fois que, par un effet de la Grâce divine, nous condamnons ou nous recevons à la pénitence, de vive voix ou par écrit, ceux qui sont tombés, il nous faut prendre garde de nous écarter en rien des règles de foi que la Divinité du saint Esprit a révélées au concile de Chalcédoine et avoir soin, placés entre deux ennemis comme nous le sommes, de peser toutes nos paroles avec la plus grande attention, de crainte d'une nouvelle perfidie. Il ne faut point parler comme si nous avions à traiter des sujets douteux, ce qui ne se présente pas ici, mais nous baser sur des autorités qui ont été mûrement définies. Nous savons que dans la lettre du saint Siège apostolique, confirmée par l'approbation du saint concile universel, sont réunis des témoignages d'une autorité si divine, que nul ne peut élever le moindre doute sur leur validité, à moins qu'il ne préfère se plonger dans les ténèbres de l'erreur; et les actes du concile, soit ceux qui renferment la définition de foi qui fut composée, soit ceux où se trouvent les lettres précitées du Siège apostolique, lettres que tu as défendues avec tant de zèle, et principalement l'allocution de tout le concile, à nos princes très pieux, sont appuyés par un si grand nombre de témoignages des anciens pères de l'Église, qu'ils suffisent pour convaincre un esprit, quelque imprudent et quelque opiniâtre qu'il soit, à moins qu'il ne soit déjà condamné avec le démon pour son impiété.

Aussi, est-il nécessaire, dans notre manière d'agir contre les ennemis de l'Église, de veiller à ne leur jamais laisser, en ce qui nous concerne, aucune occasion de calomnie, et dans notre lutte contre Nestorius et Eutychès, de ne jamais paraître éviter l'un ou l'autre, mais de frapper de la même lance ces deux ennemis du Christ et de les condamner. Ainsi, toutes les fois que cela peut être utile à ceux qui nous écoutent, il faut formuler contre eux et contre leurs dogmes un anathème prompt et clair, de crainte que, si nous paraissions tarder à le faire et si nous le formulions en termes obscurs, on ne croie que nous agissons malgré nous. Tu as éprouvé naguère la vérité de ce que j'avance, quoique je n'aie à adresser d'admonition qu'à ta prudence, car notre Seigneur très saint, dans sa Vérité invincible, a démontré par le jugement du saint Siège que tu étais pur de toute souillure des hérétiques. Tu Lui rendras de grandes actions de grâces pour tant d'épreuves qu'Il t'a fait subir, si tu t'es conservé tel que nous t'avons reconnu et tel que nous te reconnaissons, pour la défense de l'Église universelle. En ce que le Seigneur a confondu les mensonges de tous les calomniateurs, je reconnais que le bienheureux Pierre a intercédé pour nous tous: après avoir confirmé dans la définition de foi le jugement de son Siège, il n'a pas permis qu'on pût trouver rien de condamnable dans la personne de ceux qui avaient combattu avec nous pour la foi catholique; au jugement du saint Esprit, ceux-là ne pouvaient être que triomphants dont la foi avait déjà triomphé.

Pour terminer, je t'exhorterai à collaborer avec le Siège apostolique; car nous avons appris qu'il existait encore dans vos contrées quelques restes de l'erreur eutychéenne et nestorienne. La victoire que Jésus Christ notre Seigneur et notre Dieu a donnée à son Église, tout en nous inspirant une plus grande confiance, tant que nous restons en ce monde, ne doit pas cependant nous faire perdre toute sollicitude; elle ne nous a point été accordée pour que nous nous endormions, mais pour que nous travaillions avec plus de plaisir. D'après le rapport que tu nous as fait, nous voulons t'aider dans ta sollicitude pastorale, afin que la doctrine du Seigneur fructifie parmi ces hérétiques. Hâte-toi donc d'instruire le Siège apostolique, afin que nous puissions prêter secours, autant qu'il me sera convenable et nécessaire, aux prêtres de la religion. Sur ce qui concerne les choses illicites qui ont été tentées par un esprit d'orgueil au dernier concile, à l'encontre des vénérables canons de Nicée, nous avons écrit à notre frère et collègue, l'évêque d'Antioche, et nous avons ajouté, d'après un rapport que nous avaient fait nos vicaires sur l'iniquité de certains moines de votre Église, que nous arrêtions d'une manière toute spéciale que personne ne se permît de prêcher, à l'exception des prêtres du Seigneur, soit moine, soit laïc, et de quelque science qu'il pût se glorifier. Nous voulons que cette lettre, pour l'utilité de toute l'Église, soit rendue publique par notre frère et collègue Maxime; et comme nous ne doutons point qu'il ne s'empresse de remplir cette recommandation, nous n'avons pas voulu joindre une copie à la présente.

Que Dieu te garde intègre, très cher frère.

Fait le 4 des ides de juin, sous le consulat du très illustre Opilion.


A L'EMPEREUR LÉON, TOUJOURS AUGUSTE

Je me souviens de vous avoir promis, vénérable empereur, de vous adresser sur la foi, dont j'ai reconnu que votre Clémence avait embrassé la cause, animé d'un pieux zèle, un sermon dicté par mon humilité. Je crois que le temps est venu de m'acquitter de cette promesse avec le secours de Dieu, et que je ne dois point laisser manquer votre sainte ardeur pour la religion, d'une instruction utile, autant que je le puis. Quoique je sache que votre Clémence est abondamment pourvue des instructions des hommes, et qu'elle a puisé la doctrine la plus pure à la source inépuisable du saint Esprit, il n'en est pas moins de mon devoir de vous démontrer ce que vous comprenez, et de vous expliquer ce que vous croyez, afin que ce feu sacré, comme par des aliments, s'échauffe et brûle, s'enflamme et brille.

L'hérésie d'Eutychès s'est efforcée d'amonceler de profondes ténèbres sur les provinces d'Orient, et elle a essayé de dérober aux yeux des ignorants l'éclat de cette lumière qui, selon l'évangile, brille dans les ténèbres, et que les ténèbres ne purent saisir. Mais après que son obscurité a causé sa ruine, voici que de nouveaux disciples viennent prêcher les erreurs du maître. À des époques très rapprochées, la foi catholique, qui est la seule vraie et à laquelle on ne peut ni rien ajouter, ni rien retrancher, eut à repousser les attaques de deux ennemis: le premier, Nestorius, donna naissance au second, Eutychès; ils voulurent introduire dans l'Église de Dieu deux hérésies contraires, et ils méritèrent ainsi d'être condamnés tous les deux par les apôtres de la vérité, car les erreurs différentes qu'ils professèrent tous deux sont par trop insensées et par trop sacrilèges. Anathème à Nestorius qui crut que la bienheureuse vierge Marie ne fut pas la mère de Dieu, mais seulement la mère de l'Homme, qui divisa la Nature humaine et la Nature divine en deux Personnes, et qui ne comprit pas que dans le Verbe de Dieu et la chair il n'y avait qu'un seul Christ. Il enseignait que le Fils de Dieu et le Fils de l'homme étaient distincts et séparés, tandis que le Verbe, conservant son essence immuable, qui de toute éternité est coéternelle au Père et au saint Esprit, Se fit Chair dans les entrailles d'une vierge et accomplit ce mystère ineffable de telle sorte que par une seule conception, un seul enfantement, et en deux natures réunies en une seule Personne, cette vierge devint à la fois la servante et la mère du Seigneur. Elisabeth, comme le rapporte l'évangéliste Luc, comprit cette vérité et dit à Marie: " Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi:? " (Lc 1,43). Qu'Eutychès soit aussi frappé du même anathème, lui qui, se roulant dans la fange des erreurs impies des anciens hérétiques, adopta le troisième dogme d'Apollinaire. Se refusant ainsi de croire à la vérité du Corps et de l'Âme humains de notre Seigneur Jésus Christ, il affirmait qu'il n'y avait en Lui qu'une seule nature, comme si la Divinité du Verbe S'était commuée en la chair et l'âme d'un homme, comme si sa conception et sa naissance, son enfance et sa croissance, son supplice et sa mort, son ensevelissement et sa résurrection, et son ascension dans les cieux où Il Se plaça à la droite de son Père, d'où Il doit venir pour juger les vivants et les morts, étaient là des actes de sa Nature divine; ces actes ne présentant aucune réalité sans l'existence véritable de la chair, car la Nature du Fils unique de Dieu est la même que celle de son Père et que celle du saint Esprit; elle est, comme elles, impassible et immuable, et toutes trois, elles forment l'unité éternelle, indivisible et consubstantielle de la sainte Trinité. Si quelque eutychéen condamne l'erreur d'Apollinaire de crainte d'être convaincu de croire que la Divinité est mortelle et soumise à la souffrance, et cependant ose proférer qu'il n'y a qu'une seule nature du Verbe incarné, c'est-à-dire du Verbe uni à la chair, alors il partage d'une manière évidente les erreurs absurdes de Valentin et de Manichée: il croit que le Médiateur de Dieu et des hommes, que l'Homme Jésus Christ n'a accompli tous ces actes qu'en apparence, qu'Il n'avait point un corps véritable et qu'Il n'a montré à ceux à qui L'ont vu que la forme fantastique d'un corps. Comment peut-on douter que ces mensonges sacrilèges que la religion catholique maudit, et que les sentences des saints pères ont déjà condamnés autrefois par tout l'univers dans les erreurs impies dont ils tirent leur naissance, ne soient contraires et hostiles à la foi que le Symbole de Nicée confirma en ces termes: " Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant, Créateur de toutes les choses visibles et invisibles, et en un seul Seigneur Jésus Christ, Fils seul-engendré de Dieu, né du Père, c'est-à dire de la substance du Père, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, non créé, consubstantiel au Père (" homoousion ", comme disent les Grecs), par qui tout a été fait au ciel et sur la terre. Qui pour nous et pour notre salut est descendu des cieux, S'est incarné et S'est fait Homme, a souffert et est ressuscité le troisième jour. Il est monté aux cieux, d'où Il viendra juger les vivants et les morts. Nous croyons aussi au saint Esprit.":?

Dans cette profession de foi sont évidemment renfermées toutes nos croyances sur l'Incarnation de notre Seigneur, qui, pour accomplir le salut de la race humaine, n'a point apporté du ciel notre véritable chair si fragile, mais l'a prise dans le sein de la Vierge, sa mère.

Tous ceux qui sont donc aveuglés et privés des lumières de la vérité, au point de refuser de croire à l'existence réelle de la Chair que notre Seigneur prit en S'incarnant, prouvent en quoi ils usurpent le nom de chrétiens; car ils se trouvent d'accord avec la vérité de l'évangile sur quelque point, soit par exemple sur l'enfantement de la bienheureuse Vierge, alors selon eux, ou la chair naquit sans la Divinité ou la Divinité sans la chair. De même qu'on ne peut nier ces paroles de l'évangile: " Le Verbe S'est fait Chair et Il a habité parmi nous " (Jn 1,14); de même il faut croire celles-ci du bienheureux apôtre Paul: " C'est Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par Christ " (2Co 5,18). Comment cette réconciliation était-elle possible; comment Dieu pouvait-Il pardonner à la race humaine, si le Médiateur de Dieu et des hommes ne S'était chargé de défendre la cause de tous:? Comment pouvait-Il accomplir en réalité son rôle de médiateur, si Lui, qui, dans sa Nature de Dieu, est égal à son Père, n'avait participé à notre nature en revêtant la forme d'un esclave, afin de rompre les fers de la mort, dont la prévarication d'un seul homme avait chargé le monde par la mort d'un seul, qui seul ne fut pas soumis à la mort:? L'effusion du Sang du Juste pour les injustes produisit un si grand bienfait et fut une si magnifique rançon, que, si tous les esclaves du démon avaient cru en leur Rédempteur, il n'en restait pas un seul dans les fers; car, comme l'Apôtre l'a dit: " S là où le péché a abondé, la grâce a surabondé " (Rm 5,20). Les hommes nés dans l'esclavage du péché ont reçu la liberté de se régénérer, et la liberté qu'ils reçurent en présent est plus puissante que la dette de servitude qui les enchaîne. Ils abandonnent l'espérance d'être régénérés par la vertu du sacrement ceux qui refusent de croire à la réalité de la Chair de notre Seigneur Jésus Christ. Qu'ils disent donc quel sacrifice les a réconciliés, quel sang les a rachetés. Quel est Celui, comme dit l'Apôtre, " qui S'est livré Lui-même à Dieu pour nous comme une offrande et un sacrifice de bonne odeur " (Ep 5,2):? Quel sacrifice fut jamais plus sublime que celui où le véritable et immortel Pontife offrit à son Père les dépouilles de son Corps sur l'autel de la croix:? Quoique la mort de plusieurs saints ait été agréable à Dieu, cependant le supplice d'aucun de ces hommes innocents ne racheta le monde. Ces justes reçurent et ne donnèrent point de couronnes; ils naquirent pour offrir à la vertu des fidèles des exemples de patience, et non pour la justifier. La mort de chacun d'eux a servi à leur propre justification; aucun n'a payé par son supplice la dette d'autrui; entre les fils des hommes il n'y avait que notre seul Seigneur Jésus Christ qui fût vraiment l'Agneau sans tache; en Lui, tous les hommes ont été crucifiés, sont morts, ont été ensevelis, et tous sont ressuscités en Lui. Il disait Lui-même: " Et Moi, quand J'aurai été élevé de la terre, J'attirerai tous les hommes à Moi " (Jn 12,32). La vraie foi, qui justifie les impies et qui crée les justes, trouve sa source dans Celui qui participa à notre humanité, elle nous sauve par les mérites de Celui qui seul d'entre les hommes fut trouvé innocent, qui, pouvant par la Grâce de Dieu Se glorifier de sa Puissance, combattit l'ennemi du genre humain avec notre chair fragile, et attribua sa Victoire à ceux dont Il avait revêtu la nature pour triompher. Donc quoiqu'il n'y ait eu en notre Seigneur Jésus Christ, vrai Fils de Dieu, vrai Fils de l'homme, qu'une seule Personne composée du Verbe et de la chair, Personne qui jouit des propriétés inséparables et indivisibles des deux natures; cependant on doit établir une distinction dans les Oeuvres de cette Personne, et admirer dans la contemplation d'une foi sincère jusqu'où s'élève la bassesse de notre nature et jusqu'où s'incline la Grandeur de la Divinité. Quoiqu'il en soit, la chair n'agit pas sans le Verbe, ni le Verbe sans la chair. Sans la Puissance du Verbe, la Vierge n'aurait ni conçu ni enfanté; sans la réalité de la chair, Jésus Christ Enfant n'aurait point été enveloppé de langes. Sans la Puissance du Verbe, les mages ne seraient point venus, guidés par la nouvelle étoile, adorer l'Enfant Dieu; et sans la réalité de la chair, l'Enfant n'aurait point été transporté en Egypte par l'Ordre de Dieu et soustrait à la persécution d'Hérode. Sans la Puissance du Verbe, Dieu le Père n'aurait point fait entendre ces paroles du haut des cieux: " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui J'ai mis toute mon Affection: écoutez- Le ! " (Mt 17,5); et sans la réalité de la chair, Jean ne se serait point écrié: " Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde " (Jn 1,29). Sans la Puissance du Verbe, la régénération de l'homme et la résurrection des morts n'auraient point eu lieu, et sans la réalité de la chair, Jésus Christ n'aurait point été soumis à la nécessité de prendre des aliments et de se livrer au sommeil. Enfin, sans la Puissance du Verbe, notre Seigneur ne Se serait point dit égal à son Père, et sans la réalité de la chair Il n'aurait point affirmé que le Père était plus grand que Lui. La foi catholique admet et enseigne les deux natures; et elle confesse, selon la profession du bienheureux apôtre Pierre, un seul Christ, Fils du Dieu vivant, à la fois Homme et Verbe. Dans le principe, quand le Verbe S'incarna dans le sein de la Vierge, il n'y eut aucune division entre la Nature divine et la nature humaine; et de tout temps l'action provint d'une seule et même Personne. Cependant, il ne faut pas établir de confusion dans les actes et les attribuer indistinctement aux deux natures, mais savoir juger par la qualité de l'acte de quelle nature il provient. Car les actes de la Nature divine ne portent point préjudice aux actes de la nature humaine, ni les actes de la nature humaine à ceux de la Nature divine. Les uns n'annihilent pas les autres, et leur simultanéité ne double pas la Personne qui agit. Qu'ils nous disent donc, ces hypocrites dont les esprits enténébrés ne veulent point s'éclairer au flambeau de la vérité, quelle Nature de Jésus Christ notre souverain Maître fut attachée au bois de la croix, quelle Nature fut couchée dans le sépulcre, quelle Chair souleva la pierre de sa tombe, ressuscita le troisième jour? Dans quelle Nature enfin, après sa Résurrection, Il convainquait certains de ses disciples qui n'y ajoutaient point foi, et Il confondait ceux qui doutaient encore, lorsqu'Il leur disait: " Touchez-Moi et voyez: un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que J'ai " (Lc 24,39); et à l'apôtre Thomas: " Avance ici ton doigt, et regarde mes Mains; avance aussi ta main, et mets-la dans mon Côté; et ne sois pas incrédule, mais crois ! " (Jn 20,27).
En vérité, cette preuve de l'existence de sa Chair détruisait déjà les mensonges des hérétiques, et l'Église universelle, qui devait graver dans son sein les doctrines du Christ, ne pouvait hésiter à croire ces vérités que les apôtres avaient apprises pour les lui enseigner. Si les lumières éclatantes de la vérité n'ont point dissipé les ténèbres de l'hérésie, que les insensés qui la défendent nous disent dans leur endurcissement comment ils ont pu concevoir l'espérance de la vie éternelle que l'on ne peut obtenir que par le Médiateur de Dieu et des hommes, par l'Homme Jésus Christ. Comme l'a dit le bienheureux apôtre Pierre: " Il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés " (Ac 4,12). L'homme n'a pu être racheté de sa captivité que par le Sang de Celui qui fut livré Lui-même pour être le prix de la rédemption de tous; et comme l'enseigne le bienheureux apôtre Paul: " Lui qui, existant en forme de Dieu, n'a point regardé comme une proie à arracher d'être égal avec Dieu, mais S'est dépouillé Lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple homme, Il S'est humilié Lui-même, Se rendant obéissant jusqu'à la mort, même jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu L'a souverainement élevé, et Lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au Nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la Gloire de Dieu le Père " (Ph 2,6-11). Ainsi, quoique notre Seigneur Jésus Christ soit un, que la véritable nature humaine et la véritable Nature divine soient réunies dans sa seule et même Personne, et que la solidité de cette union ne puisse être rompue en rien, nous comprenons cependant que cette perfection, dont Il était doté par Dieu, qui, selon l'expression du Docteur des nations, Lui a donné un Nom qui est au-dessus de tout autre nom, appartient bien à cette nature qui devait être glorifiée par un présent si magnifique. En effet, dans sa Nature de Dieu, Il était Fils égal au Père, et il n'y avait aucune différence en nature et en puissance entre le Père et le Fils unique, et par le mystère de l'incarnation le Verbe ne perdait rien de cette nature et de cette puissance que le Père eut la faculté de Lui rendre en présent. Mais la forme d'esclave, dans laquelle la Divinité impassible accomplit son Oeuvre de miséricorde, était cette humanité incomplète que Dieu glorifia par sa Puissance, quand Il lia la Divinité et cette humanité par la conception de la Vierge, de telle sorte que l'humanité participa aux actes de la Divinité, et la Divinité à ceux de l'humanité. Aussi dit-on que le Seigneur fut crucifié dans sa Majesté, de même qu'on dit qu'Il fut glorifié, Lui égal à Dieu dans son Éternité, parce que, sous le rapport de l'unité de sa Personne, Il ne forme qu'un seul et même être, et Il est tout entier le Fils de l'homme selon la chair, et tout entier le Fils de Dieu selon sa Divinité qui est celle de son Père. Tout ce que Jésus Christ reçut dans le temps, Il le reçut comme Homme; car, comme tel, Il pouvait recevoir ce qui Lui manquait; comme Dieu, Il possède tout ce que son Père possède, et tout ce qu'Il reçut de son Père dans sa Nature d'esclave, Il Se le donne Lui-même dans sa Nature de Dieu. Comme Dieu, Lui et le Père ne sont qu'un; mais comme Homme, Il n'est point venu faire sa Volonté, mais celle de Celui qui L'a envoyé. Comme Dieu, son Père, qui possède la vie en Lui- même, Lui donne de même à Lui, son Fils, de posséder la vie en Lui-même, et comme homme, son âme est triste jusqu'à la mort. Comme dit l'Apôtre, Il est à la fois riche et pauvre. Riche, parce que, selon le Théologien, " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui " (Jn 1,1&endash;3). Pauvre, parce que pour notre salut le Verbe Se fit chair et habita parmi nous. D'où Lui vient cette faiblesse et cette pauvreté, si ce n'est de la forme d'esclave qu'Il a prise :? La Majesté du Verbe, voilée par cette forme, accomplit le mystère de notre rédemption. Les fers de l'esclavage originel ne pouvaient être rompus que par un Homme de notre race et de notre nature, que le péché ne souillerait point, et qui effacerait avec son Sang immaculé notre contrat de mort; et, comme la Divinité l'avait ordonné dans sa Sagesse dès le commencement, ces choses s'accomplirent aux temps prescrits par Elle, afin que cette promesse, qui nous avait été faite de plusieurs manières, fût remplie après une longue attente, et que l'on ne pût conserver de doute sur ce qui nous avait été annoncé par des témoignages continuels. L'impiété des hérétiques prouve combien elle est sacrilège, lorsque, sous prétexte d'honorer la Divinité, elle se refuse à croire à la réalité de la Chair humaine de Jésus Christ, et qu'elle pense faire preuve de piété en disant que cette chair qu'Il sauve n'existe point en Lui d'une manière véritable. Tandis que, selon les promesses répétées dans tous les siècles, Dieu S'est réconcilié avec le monde en la Personne de Jésus Christ, et qu'aucune chair ne pouvait être sauvée si le Verbe n'avait daigné revêtir la nature de la chair.
Ainsi, tous les mystères de la foi catholique sont enveloppés de l'obscurité la plus profonde, comme le veulent les hérétiques, si on pense que la Lumière de la Vérité se soit cachée sous les apparences mensongères d'un fantôme. Aucun chrétien ne doit avoir honte de confesser la réalité de notre chair dans la Personne de Jésus Christ, puisque tous les apôtres et tous les disciples des apôtres, ainsi que les cinq illustres docteurs des Églises, qui méritèrent la couronne du martyre ou la gloire de la confession, resplendissants des lumières de la foi, prêchèrent en accord par tout l'univers qu'il fallait confesser dans notre Seigneur Jésus Christ une seule Personne composée de la chair et de la Divinité. Sur quelle apparence de raison, sur quel passage des saintes Écritures l'impiété des hérétiques pense-t-elle donc de s'appuyer pour nier la vérité du Corps de Jésus Christ, que la Loi n'a cessé de témoigner, les prophéties d'annoncer, les évangiles d'enseigner et que Jésus Christ Lui-même n'a point cessé de montrer:? Qu'ils cherchent dans tous les Livres saints de quoi justifier leurs erreurs, sans tenter d'obscurcir les lumières de la vérité, et ils trouveront cette vérité qui brille sur tous les siècles; ils verront accrédité dès le commencement ce grand et admirable mystère qui a été accompli dans sa fin. Comme aucune partie des Livres saints ne gardent le silence sur cette vérité, il suffit d'avoir choisi certains passages où elle est exposée pour servir de guide à la foi dans ses régions sublimes, et pour que l'intelligence sincère puisse comprendre avec clarté que les chrétiens ne doivent pas rougir, mais se glorifier sans cesse de ce que le Fils de Dieu a toujours confessé qu'Il était Fils de l'homme et Homme Lui- même. Afin que votre piété reconnaisse que nous sommes entièrement d'accord avec les enseignements des vénérables Pères, j'ai cru qu'il était convenable de joindre à cette lettre quelques passages de leurs écrits. Si vous daignez les examiner avec soin, vous verrez que nous ne prêchons rien d'autre que ce que nos saints Pères ont enseigné par tout l'univers, et que personne n'est en opposition avec eux que les seuls hérétiques impies. Dans ces passages que j'ai résumés le plus possible, reconnaissez donc, très glorieux et vénérable empereur, que nous enseignons cette même foi que vous avez reçue par l'inspiration du ciel, et que nous ne différons en rien ni des doctrines de l'évangile et des apôtres, ni du Symbole de la foi catholique; car nous disons, comme l'enseigne le bienheureux Paul: " Sans contredit, le mystère de la piété est grand: celui qui a été manifesté en chair, justifié par l'Esprit, vu des anges, prêché aux gentils, cru dans le monde, élevé dans la gloire " (1Tm 3,16). Quoi de plus utile à votre salut, quoi de plus digne de votre puissance, que de maintenir par des lois la paix des Églises du Seigneur, de défendre les Dons du Seigneur dans les coeurs de tous vos sujets, et de ne point souffrir pour aucune raison que l'envie du démon ne cause, par ses ministres, la perte d'aucun d'eux. Ainsi, vous qui brillez sur le trône dans ce siècle qui doit finir, vous mériterez de régner avec le Christ dans le royaume éternel.




S. Léon, textes choisis - A L'IMPÉRATRICE PULCHERIE