1964 Lumen Gentium 12
12 Le peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité, il offre à Dieu un sacrifice de louange, le fruit des lèvres qui célèbrent son Nom (cf. He 13,15). La collectivité des fidèles, ayant l'onction qui vient du Saint (cf. 1Jn 2,20 1Jn 2,27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu'elle possède, elle le manifeste par le moyen du sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque , "des évêques jusqu'aux derniers des fidèles laïcs"(8) elle apporte aux vérités concernant la foi et les moeurs un consentement universel. Grâce en effet à ce sens de la foi qui est éveillé et soutenu par l'Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, qui permet, si on obéit fidèlement, de recevoir non plus une parole humaine, mais véritablement la parole de Dieu ( cf. 1Th 2,13), le peuple de Dieu s'attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jud 1,3), il y pénètre plus profondément en l'interprétant comme il faut et dans sa vie la met plus parfaitement en oeuvre.
Mais le même Esprit Saint ne se borne pas à sanctifier le peuple de Dieu par les sacrements et les ministères, à le conduire et à lui donner l'ornement des vertus, il distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, "répartissant ses dons à son gré en chacun" (1Co 12,11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l'Eglise, suivant ce qu'il est dit: "C'est toujours pour le bien commun que le don de l'Esprit se manifeste dans un homme" (1Co 12,7). Ces grâces, des plus éclatantes aux plus simples et aux plus largement diffusées, doivent être reçues avec action de grâce et apporter consolation, étant avant tout ajustées aux nécessités de l'Eglise et destinées à y répondre. Mais les dons extraordinaires ne doivent pas être témérairement recherchés ; ce n'est pas de ce côté qu'il faut espérer présomptueusement le fruit des oeuvres apostoliques ; c'est à ceux qui ont la charge de l'Eglise de porter un jugement sur l'authenticité de ces dons et sur leur usage bien entendu. C'est à eux qu'il convient spécialement, non pas d'éteindre l'Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon (cf. 1Th 5,12 1Th 5,19-21).
Notes:
(8) Cf. S Augustin, De Praed. Sanct. 14, 27: PL 44, 980.
13 A faire partie du peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés. C'est pourquoi ce peuple, demeurant un et unique, est destiné à se dilater aux dimensions de l'univers entier et à toute la suite des siècles pour que s'accomplisse ce que s'est proposé la volonté de Dieu créant à l'origine la nature humaine dans l'unité, et décidant de rassembler enfin dans l'unité ses fils dispersés (cf. Jn 11,52). C'est dans ce but que Dieu envoya son Fils dont il fit l'héritier de l'univers (cf. He 1,2), pour être à l'égard de tous Maître, Roi et Prêtre, chef du nouveau peuple des fils de Dieu étendu à l'univers. C'est pour cela enfin que Dieu envoya l'Esprit de son Fils, Seigneur et principe de vie, qui est, pour l'Eglise entière, pour tous et chacun des croyants, le principe de leur rassemblement et de leur unité dans la doctrine des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et les prières (cf. Ac 2,42 grec).
Ainsi, l'unique peuple de Dieu est présent à tous les peuples de la terre, empruntant à tous les peuples ses propres citoyens, citoyens d'un royaume dont le caractère n'est pas terrestre mais céleste. Tous les fidèles, en effet, dispersés à travers le monde, sont, dans l'Esprit-Saint, en communion avec les autres, et, de la sorte "celui qui réside à Rome sait que ceux des Indes sont pour lui un membre"(9). Mais comme le royaume du Christ n'est pas de ce monde (cf. Jn 18,36), l'Eglise ou peuple de Dieu par qui ce royaume prend corps, ne retire rien aux richesses temporelles de quelque peuple que ce soit, au contraire, elle sert et assume toutes les richesses, les ressources et les formes de vie des peuples en ce qu'elles ont de bon ; en les assumant, elle les purifie, elle les renforce, elle les élève. Elle se souvient en effet qu'il lui faut faire office de rassembleur avec ce Roi à qui les nations ont été données en héritage ( cf. Ps 2,8) et dans la cité duquel on apporte dons présents (cf. Ps 71,10 Is 60,4-7 Ap 21,24). Ce caractère d'universalité qui brille sur le peuple de Dieu est un don du Seigneur lui-même, grâce auquel l'Eglise catholique, efficacement et perpétuellement, tend à récapituler l'humanité entière avec tout ce qu'elle comporte de biens sous le Christ chef, dans l'unité de son Esprit(10).
En vertu de cette catholicité, chacune des parties apporte aux autres et à l'Eglise tout entière, le bénéfice de ses propres dons, en sorte que le tout et chacune des parties s'accroissent par un échange mutuel universel et par un effort commun vers une plénitude dans l'unité. Ainsi donc le peuple de Dieu ne naît pas seulement du rassemblement des peuples divers, mais des fonctions diverses qui le constituent en lui-même. En effet, entre ses membres règne une diversité qui est, soit celle des charges, certains exerçant le ministère sacré pour le bien de leurs frères, soit celle de la condition et du mode de vie, beaucoup étant, de par l'état religieux qui leur fait poursuivre la sainteté par une voie plus étroite, un exemple stimulant pour leurs frères. C'est pourquoi encore il existe légitimement, au sein de la communion de l'Eglise, des Eglises particulières jouissant de leurs traditions propres - sans préjudice du primat de la Chaire de Pierre qui préside au rassemblement universel de la charité(11)garantit les légitimes diversités et veille en même temps à ce que, loin de porter préjudice à l'unité, les particularités, au contraire, lui soient profitables. De là, enfin, entre les diverses parties de l'Eglise, des liens de communion intime quant aux richesses spirituelles, aux ouvriers apostoliques et aux ressources matérielles. Les membres du peuple de Dieu sont appelés en effet à partager leurs biens et à chacune des Eglises s'appliquent également les paroles de l'Apôtre: "Que chacun mette au service des autres le don qu'il a reçu, comme il sied à de bons dispensateurs de la grâce divine qui est si diverse" (1P 4,10).
Ainsi donc, à cette unité catholique du peuple de Dieu qui préfigure et promeut la paix universelle, tous les hommes sont appelés ; à cette unité appartiennent sous diverses formes ou sont ordonné, et les fidèles catholiques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, et finalement tous les hommes sans exception que la grâce de Dieu appelle au salut.
Notes:
(9) Cf. S. io. Chrysostomus, In Hom. 65, 1 : PG 59, 361..
(10) Cf. S. Irénée, adv. Haer. III, 16, 6 ; III, 22, 1-3: PG 7, 925 A et 955 C-958 A ; Harvey 2, 87 s. et 120-123 ; Sagnard; Sources Chr. pp. 290-292 et 372 ss.
(11) Cf. S ignace MM Ad Praef.: Funk I, p. 252.
14 C'est vers les fidèles catholiques que le saint Concile tourne en premier lieu sa pensée. Appuyé sur la Sainte Ecriture et sur la Tradition, il enseigne que cette Eglise en marche sur la terre est nécessaire au salut. Seul, en effet, le Christ est médiateur et voie de salut: or, il nous devient présent en son Corps qui est l'Eglise ; et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême (cf. Mc 16,16 Jn 3,5), c'est la nécessité de l'Eglise elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du baptême, qu'il nous a confirmée en même temps. C'est pourquoi ceux qui refuseraient soit d'entrer dans l'Eglise catholique, soit d'y persévérer, alors qu'ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient pas être sauvés.
Sont incorporés pleinement à la société qu'est l'Eglise ceux qui, ayant l'Esprit du Christ, acceptent intégralement son organisation et tous les moyens de salut institués en elle, et qui, en outre, grâce aux liens constitués par la profession de foi, les sacrements, le gouvernement ecclésiastique et la communion, sont unis, dans l'ensemble visible de l'Eglise, avec le Christ qui la dirige par le Souverain Pontife et les évêques. L'incorporation à l'Eglise, cependant, n'assure pas le salut pour celui qui, faute de persévérer dans la charité, reste bien "de corps" au sein de l'Eglise, mais non "de coeur"(12). Tous les fils de l'Eglise doivent d'ailleurs se souvenir que la grandeur de leur condition doit être rapportée non à leurs mérites, mais à une grâce spéciale du Christ ; s'ils n'y correspondent pas par la pensée, la parole et l'action, ce n'est pas le salut qu'elle leur vaudra, mais un plus sévère jugement(13).
Quant aux catéchumènes qui, sous l'action de l'Esprit-Saint demandent par un acte explicite de leur volonté à être incorporés à l'Eglise, par le fait même de ce voeu, ils lui sont unis, et l'Eglise, maternelle, les enveloppe déjà comme siens dans son amour en prenant soin d'eux.
Notes:
(12) Cf. S. Augustin, bapt. c. Donat. V, 28, 39: PL 43, 197: "Il est bien évident, que si l'on dit dans et hors de l'Eglise, cela doit s'entendre du coeur et non du corps" - Cf. ib. III, 19, 26: col. 152 ; V, 18, 24: col. 189 ; In. Tr. 61, 2 :: PL 35, 1800, et alibi saepe.
(13) Cf. Lc 12,48: "A qui on aura beaucoup donné, il sera beaucoup demandé" - Cf. etiam Mt 5,19-20 Mt 7,21-22 Mt 25,41-46 Jc 2,14
15 Avec ceux qui, étant baptisés, portent le beau nom de chrétiens sans professer pourtant intégralement la foi ou sans garder l'unité de la communion sous le Successeur de Pierre, l'Eglise se sait unie pour de multiples raisons(14). Il en est beaucoup, en effet, qui tiennent en honneur la Sainte Ecriture comme règle de foi et de vie, manifestent un zèle religieux sincère, croient de tout leur coeur au Dieu Père tout-puissant et au Christ Fils de Dieu et Sauveur(15), sont marqués par le baptême qui les unit au Christ, et même reconnaissent et reçoivent d'autres sacrements dans leurs propres Eglises ou dans leurs communautés ecclésiales. Plusieurs d'entre eux jouissent même d'un épiscopat, célèbrent la sainte Eucharistie et entourent de leur piété la Vierge Mère de Dieu(16). A cela s'ajoute la communion dans la prière et dans les autres bienfaits spirituels, bien mieux, une véritable union dans l'Esprit-Saint, puisque, par ses dons et ses grâces, il opère en eux aussi son action sanctifiante et qu'il a donné à certains d'entre eux la force d'aller jusqu'à verser leur sang. Ainsi, l'Esprit suscite en tous les disciples du Christ le désir et l'action qui tendent à l'union paisible de tous, suivant la manière que le Christ a voulue, en un troupeau unique sous l'unique Pasteur(17). A cette fin, l'Eglise notre Mère ne cesse de prier, d'espérer et d'agir, exhortant ses fils à se purifier et à se renouveler pour que, sur le visage de l'Eglise, le signe du Christ brille plus clair.
Notes:
(14) Cf. Léon XIII, epist. apost. Praeclara gratulationis, 20 Juin 1894: ASS 26 (1893-94), p. 707.
(15) Cf. Léon XIII, encycl. Satis cognitum, 29 juin 1896: ASS 28 (1895-96), p. 738 - Encycl. Caritatis studium, 25 Juill. 1898: ASS 31 (1898-99), p. 11. - Pie XII, nuntius radioph. Nell'alba, 24 Déc. 1941: AAS 34 (1942) p. 21.
(16) Cf. Pie XI, encyc. Rerum Orientalium, 8 Sept. 1928: AAS 20 (1928), p. 287. - Pie XII, encycl. Orientalis Ecclsiae, 9 apr. 1944: AAS 36 (1944), p. 137.
(17) Cf. instr. S.S..C.S. Offich, 20 déc. 1949: AAS 42 (1950), p. 142.
16 Enfin, quant à ceux qui n'ont pas encore reçu l'Evangile, sous des formes diverses, eux aussi sont ordonnés au peuple de Dieu(18). et, en premier lieu, ce peuple qui reçut les alliances et les promesses, et dont le Christ est issu selon la chair (cf. Rm 9,4-5), peuple très aimé du point de vue de l'élection, à cause des pères, car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel (cf. Rm 11,28-29). Mais le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d'Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour. Et même des autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu'ils ignorent, Dieu n'est pas loin, puisque c'est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses (cf. Ac 17,25-28), et puisqu'il veut, comme Sauveur, que tous les hommes soient sauvés (cf. 1Tm 2,4). En effet, ceux qui, sans qu'il y ait de leur faute, ignorent l'Evangile du Christ et son Eglise, mais cherchent pourtant Dieu d'un coeur sincère et s'efforcent, sous l'influence de sa grâce, d'agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux-là peuvent arriver au salut éternel(19). A ceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l'Eglise le considère comme une préparation évangélique(20) et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie. Bien souvent, malheureusement, les hommes, trompés par le malin, se sont égarés dans leurs raisonnements, ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, en servant la créature de préférence au Créateur (cf. Rm 1,25) ou bien vivant et mourant sans Dieu en ce monde, ils sont exposés aux extrémités du désespoir. C'est pourquoi l'Eglise, soucieuse de la gloire de Dieu et du salut de tous ces hommes, se souvenant du commandement du Seigneur: "Prêchez l'Evangile à toutes créatures" (Mc 16,16), met tout son soin à encourager et soutenir les missions.
Notes:
(18) Cf. S Thomas, Summa Théol. III 8,3, ad 1.
(19) cf. epist. S.S.C.S. Offich ad Archiep. Boston.: DS 3869-3872.
(20) Cf. Eusèbe Caes, Praeparatio Evangelica, 1,1 : PG 21, 28
17 Tout comme il a été envoyé par le Père, le Fils lui-même a envoyé ses apôtres (cf. Jn 20,21) en disant: "Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des temps" (Mt 28,18-20). Ce solennel commandement du Christ d'annoncer la vérité du salut, l'Eglise l'a reçu des apôtres pour en poursuivre l'accomplissement jusqu'aux extrémités de la terre (cf. Ac 1,8). C'est pourquoi elle fait siennes les paroles de l'Apôtre: "Malheur à moi si je ne prêchais pas l'Evangile" (1Co 9,16): elle continue donc inlassablement à envoyer les hérauts de l'Evangile jusqu'à ce que les jeunes Eglises soient pleinement établies et en état de poursuivre par elles-mêmes l'oeuvre d'évangélisation. L'Esprit-Saint la pousse à coopérer à la réalisation totale du dessein de Dieu qui a fait du Christ le principe du salut pour le monde tout entier. En prêchant l'Evangile, l'Eglise dispose ceux qui l'entendent à croire et à confesser la foi, elle les prépare au baptême, les arrache à l'esclavage de l'erreur et les incorpore au Christ pour croître en lui par la charité jusqu'à ce que soit atteinte la plénitude. Son activité n'a qu'un but: tout ce qu'il y a de germes de bien dans le coeur et la pensée des hommes ou dans leurs rites propres et leur culture, non seulement ne pas le laisser perdre, mais le guérir, l'élever, l'achever pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l'homme. A tout disciple du Christ incombe pour sa part la charge de l'expansion de la foi(21). Mais si le baptême peut être donné aux croyants par n'importe qui, c'est aux prêtres cependant qu'il revient de procurer l'édification du Corps par le sacrifice eucharistique en accomplissant les paroles de Dieu qui dit par la voix du prophète: "De l'Orient jusqu'au couchant, mon Nom est grand parmi les nations, et en tous lieux est offert à mon Nom un sacrifice et une offrande pure" (Ml 1,11)(22). Ainsi, l'Eglise unit prière et travail pour que le monde entier dans tout son être soit transformé en peuple de Dieu, en Corps du Seigneur et temple du Saint-Esprit, et que soient rendus dans le Christ, chef de tous , au Créateur et Père de l'univers, tout honneur et toute gloire.
Notes:
(21) Cf. Benoit XV, epist. apost. Maximum illud: AAS 11 (19189), p. 440, praesertim, pp. 451 ss. - Pie XI, encyc. Rerum Ecclesia: AAS 18 (1926), pp. 68-69. - Pie XII, encycl. Fidei Donum, 21 apr. 1957: AAS 49 (1957), pp.236-237.
(22) Cf. Didaché, 14: Funk I, p. 32 - S. Justin, Dialo. 41: PG 6, 564 - S Irénée, adv. Haer. IV, 17, 5: PG 7, 1023 ; Harvey, 2, pp. 199 s. - Conc. Trid. sess. 22, cap. 1 : DS 939 (1742).
18 Le Christ Seigneur, pour assurer au peuple de Dieu des pasteurs et les moyens de sa croissance, a institué dans son Eglise des ministères variés qui tendent au bien de tout le corps. En effet, les ministres qui disposent du pouvoir sacré, sont au service de leurs frères, pour que tous ceux qui appartiennent au peuple de Dieu et jouissent par conséquent, en toute vérité, de la dignité chrétienne, parviennent au salut, dans leur effort commun, libre et ordonné, vers une même fin.
Ce saint Concile, s'engageant sur les traces du premier Concile du Vatican, enseigne avec lui et déclare que Jésus-Christ, Pasteur éternel, a édifié la sainte Eglise en envoyant ses apôtres, comme lui-même avait été envoyé par le Père (cf. Jn 20,21) ; il a voulu que les successeurs de ces apôtres, c'est-à-dire les évêques, soient dans l'Eglise, pasteurs jusqu'à la consommation des siècles. Mais, pour que l'épiscopat lui-même fût un et indivis, il a mis saint Pierre à la tête des autres apôtres, instituant, dans sa personne, un principe et un fondement perpétuels et visibles d'unité de foi et de communion(1). Cette doctrine du primat du Pontife romain et de son infaillible magistère, quant à son institution, à sa perpétuité, à sa force et à sa conception, le saint Concile à nouveau le propose à tous les fidèles comme objet certain de foi. De plus, poursuivant la tâche commencée, il veut, devant tous, énoncer et expliciter la doctrine en ce qui concerne les évêques, successeurs des apôtres qui, avec le successeur de Pierre, vicaire du Christ(2), et chef visible de toute l'Eglise, ont charge de diriger la maison du Dieu vivant.
Notes:
(1) Cf. Conc. Vat. I, sess. 4, Const. dogm. Pastor aeternus: Denz. 1821 (DS 3050 s.).
(2) Cf. Conc. Flor., Decretum pro Graecis: Denz. 694 (1307) et Conc. Vat. I, ib: Denz. 1826 (DS 3059).
19 Le Seigneur Jésus, après avoir longuement prié son Père, appelant à lui ceux qu'il voulut, en institua douze pour en faire ses compagnons et les envoyer prêcher le royaume de Dieu (cf. Mc 3,13-19 Mt 10,1-42) il en fit ses apôtres (cf. Lc 6,13), leur donnant forme d'un collège, c'est-à-dire d'un groupe stable, et mit à leur tête Pierre, choisi parmi eux (cf. Jn 21,15-17).Il les envoya aux fils d'Israël d'abord et à toutes les nations (cf. Rm 1,16) pour que, participant à son pouvoir, ils fassent de tous les peuples ses disciples, pour qu'ils les sanctifient et les gouvernent (cf. Mt 28,16-20 Mc 16,15 Lc 24,45-48 Jn 20,21-23), propagent ainsi l'Eglise et remplissent à son égard, sous la conduite du Seigneur, le ministère pastoral tous les jours jusqu'à la consommation des siècles (cf. Mt 28,20). Le jour de Pentecôte, ils furent pleinement confirmés dans cette mission (cf. Ac 2,1-26), selon la promesse du Seigneur: "Vous recevrez une force, celle de l'Esprit-Saint qui descendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1,8). En prêchant partout l'Evangile (cf. Mc 16,20), accueilli par ceux qui l'écoutent grâce à l'action de l'Esprit-Saint, les apôtres rassemblent l'Eglise universelle que le Seigneur a fondée en ses apôtres et bâtie sur le bienheureux Pierre, leur chef, le Christ Jésus étant lui-même la pierre suprême d'assise (cf. Ap 21,1 Mt 16,18 Ep 2,20).(3)
Notes:
(3) Cf. liber sacramentorum S. grégoire, Praef. in natali S. Mathieu et S Thomas: PL 78, 51 et 152 ;cf. Cod. Vat. lat. 3548, f. 18. S. Hilaire, In Ps 67,10: pl 9, 450 ; CSEL 22, p. 286. S. Hieronymus, adv. Iovin, 1, 26: PL 23, 247 A. S Augustin, In ps. 86, 4: PL 37, 1103. S grégoire M. Mor. in XXVIII, V: PL 76, 455-456. Primasius, comm. in apoc. V: pl 68, 924 BC. Paschasius Radb. In L. VIII, cap. 16: PL 12O, 561 C. Cf. Lé&on XIII, epist. Et sane, 17 Décem. 1888: ASS 21 (1888), p. 321.
20 La mission divine confiée par le Christ aux apôtres est destinée à durer jusqu'à la fin des siècles (cf. Mt 28,20), étant donné que l'Evangile qu'ils doivent transmettre est pour l'Eglise principe de toute sa vie, pour toute la durée du temps. C'est pourquoi les apôtres prirent soin d'instituer dans cette société hiérarchiquement ordonnée, des successeurs.
En effet, ils n'eurent pas seulement dans leur ministère des auxiliaires divers(4), mais, pour que la mission qui leur avait été confiée pût se continuer après leur mort, ils donnèrent mandat, comme par testament, à leurs coopérateurs immédiats d'achever leur tâche et d'affermir l'oeuvre commencée par eux (5) , leur recommandant de prendre garde à tout le troupeau dans lequel l'Esprit-Saint les avait institués pour paître l'Eglise de Dieu (cf. Ac 20,28). Ils instituèrent donc des hommes de ce genre, et disposèrent par la suite qu'après leur mort d'autres hommes éprouvés recueilleraient leur ministère(6). Parmi les différents ministères qui s'exercent dans l'Eglise depuis les premiers temps, la première place, au témoignage de la Tradition, appartient à la fonction de ceux qui, établis dans l'épiscopat, dont la ligne se continue depuis les origines(7), sont les sarments* par lesquels se transmet la semence apostolique(8). Ainsi, selon le témoignage de saint Irénée, la Tradition apostolique se manifeste(9) et se conserve dans le monde entier par ceux que les apôtres ont faits évêques et par leurs successeurs jusqu'à nous(10).
Ainsi donc, les évêques ont reçu, pour l'exercer avec l'aide des prêtres et des diacres, le ministère de la communauté(11). Ils président au nom et en place de Dieu le troupeau(12), dont ils sont les pasteurs, par le magistère doctrinal, le sacerdoce du culte sacré, le ministère du gouvernement(13). De même que la charge confiée personnellement par le Seigneur à Pierre, le premier des apôtres, et destinée à être transmise à ses successeurs, constitue une charge permanente, permanente est également la charge confiée aux apôtres d'être les pasteurs de l'Eglise, charge dont l'ordre sacré des évêques doit assurer la pérennité(14). C'est pourquoi le saint Concile enseigne que les évêques, en vertu de l'institution divine, succèdent aux apôtres(15), comme pasteurs de l'Eglise, en sorte que, qui les écoute, écoute le Christ, qui les rejette, rejette le Christ et celui qui a envoyé le Christ (cf. Lc 10,16)(16).
Notes:
(4) Cf. Ac 6,2-6 Ac 11,30 Ac 13,1 Ac 14,23 Ac 20,17 1Th 5,12-13 Ph 1,1 Col 4,11 cf. passim.
(5) Cf. Ac 20,25-27 2Tm 4,6 s. coll. c. 1Tm 5,22 ; 2Tm 2,2 I,5 - S Clem. Ad Cotr 44, 3: Funk I, p. 156.
* le latin évoque l'image du marcottage.
(6) S. Clem. Ad Cor. 44, 2 ; Funk I, pp. 154 s.
(7) Cf. Tertullianus, Praescr. Haer. 32: PL 2, 52 s. S Ignace M. passim.
(8) " " " " " " " 32, PL 2, 53.
(9) Cf. S Irénée, adv. Haer.III, 3, 1 : PG 7, 848 A ; Hzarvey 2, 8 ; Sagnard, Sources chrét. pp. 100 s.: "manifestatam".
(10) Cf. Cf. S. Irénée, adv. Haer. III, 2, 2 : PG 7, 847; harvey 2, 7 ; Sagnard ibid. p. 100: "custoditur" ; cf. ibid. IV, 26, 2 : col. 1053 ; harvey 2, 236 necnon IV, 33, 8 ; col. 1077 ; Harvey 2, 262.
(11) S. Ignace M. Philad. Praef.: Funk I, p. 264.
(12) " " " " " 1, 1 ;; Magn. 6, 1 : Funk I, 264 et 234.
(13) S Clem. l.c. 42, 3-4 ; 44, 3-4 ; 57, 1-2: Funk I, 152, 156, 171 s. - S Ignace M. philad. 2 ;; smyrn.8, magn. 3 ;; Trall. 7: Funk I, pp. 265 ; 282 ; 232 ; 246 s. etc. - S. Justin, Apol. 1, -( PG 6 428 6 S. Cyprien, Epist. passim.
(14) Cf. Léon XIII, encycl. Satis cognitum, 29 juin 1896: ASS 28 (1895-96), p. 732.
(15) Cf. Conc. Trid. sess. 23, Decre. de sacr. Ordinis, cap. 4: Denz. 1828 (DS 3061). Pie XII, encyc. Mystici corporis, 29 juin 1943, AAS 35 (1943), pp. 209 et 212. Cod. iur. CIS 329 # 1.
(16) Cf. Léon XIII, epist. Et sane, 17 déc. 1888: ASS 21 (1888), pp. 321.
21 Ainsi donc en la personne des évêques assistés des prêtres, c'est le Seigneur Jésus-Christ, Pontife suprême, qui est présent au milieu des croyants. Assis à la droite de Dieu le Père, il ne cesse d'être présent à la communauté de ses pontifes(17). C'est par eux en tout premier lieu, par leur service éminent, qu'il prêche la Parole de Dieu à toutes les nations et administre continuellement aux croyants les sacrements de la foi ; c'est par leur paternelle fonction (cf. 1Co 4,15) qu'il intègre à son Corps par la régénération surnaturelle des membres nouveaux ; c'est enfin par leur sagesse et leur prudence qu'il dirige et oriente le peuple du Nouveau Testament dans son pèlerinage vers l'éternelle béatitude. Ces pasteurs, choisis pour paître le troupeau du Seigneur, sont les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu (cf. 1Co 4,1). A eux a été confiée la charge de rendre témoignage de l'Evangile de la grâce de Dieu (cf. Rm 15,16 Ac 20,24) et d'exercer le ministère glorieux de l'Esprit et de la justice (cf. 2Co 3,8-9).
Pour remplir de si hautes charges, les apôtres furent enrichis par le Christ d'une effusion de l'Esprit-Saint descendant sur eux (cf. Ac 1,8 Ac 2,4 Jn 20,22-23) ; eux-mêmes, par l'imposition des mains, transmirent à leurs collaborateurs le don spirituel (cf. 1Tm 4,14 2Tm 1,6-7) qui s'est communiqué jusqu'à nous à travers la consécration épiscopale. Le saint Concile enseigne que, par la consécration épiscopale,(18) est conférée la plénitude du sacrement de l'Ordre, que la coutume liturgique de l'Eglise et la voix des saints Pères désignent en effet sous le nom de sacerdoce suprême, de réalité totale du ministère sacré(19). La consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctifier, confère aussi des charges d'enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s'exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres. En effet, la Tradition qui s'exprime surtout par les rites liturgiques et par l'usage de l'Eglise, tant orientale qu'occidentale, montre à l'évidence que par l'imposition des mains et les paroles de la consécration, la grâce de l'Esprit-Saint est donnée(20) et le caractère sacré imprimé(21), de telle sorte que les évêques, d'une façon éminente et visible, tiennent la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife et jouent son rôle(22). Aux évêques, il revient d'introduire, par le sacrement de l'Ordre, de nouveaux élus dans le corps épiscopal.
Notes: (17) S. Léon M. Serm. 5, 3 : PL 54, 154. (18) Conc. Trid. sess. 23 cap. 3 citat verba 2Tm 1,6-7 le concile de Trente, session 23, chap. 3 cite les paroles de 1Tm 1,6-7 pour prouver que l'Ordre est un véritable sacrement): Denz 959 (DS 1766). (19) In Trad. Apost. 3: Botte, Sources chr. pp. 27-30, Episcopo tribuitur "primatus sacerdotii". cf. Sacramentarium Leonianum : C. Mohlberg, Sacramentarium Veronense, Romae 1955, p. 119 [au ministère du sacerdoce suprême... Accomplis dans les prêtres la réalité totale de ton mystère=ministère]. Idem, Liber Sacramentorum Romanae Ecclesiae, Romae, 1960, pp. 121-122 :
Donne leur, Seigneur, la chaire épiscopale pour qu'ils dirigent l'Eglise et tout le peuple]: Cf. PL 78, 224. (20) Trad. apost. 2 ; Botte, p. 27. (21) Conc. Trid. sess. 23, cap. 4
le Concile de Trente enseigne que le sacrement de l'Ordre imprime un caractère indélébile): Denz. 960 (DS 1767). Cf. Jean XXIII, alloc. Jubilate Deo, 8 mai 1960 : AAS 52 (1960), p. 466. Paul VI, hom. in Bas. vatic. 20 Oct. 1963: AAS 55 (1963), p. 1014. (22) S Cyprien, epist. 63, 14 : PL 4, 386 ; CSEL (Hartel) III B, p. 713. [le prêtre agit véritablement à la place du Christ]. S Io. Chrysostome,In 2 Tim. Hom. 2, 4 : PG 62, 612 : Sacerdos est "symbolon" Christi. S Ambroise, In Ps. 38, 25-26 : PL 14, 1051-52 ; CSEL 64, 203-204 Ambrosiaster, In 1 Tim. 5, 19 PL 17, 479 C et i n Eph. 4, 11-12 : col. 387 C - Theodorus mops. Hom. Cate. XV, 21 et 24 : Tonneau pp. 497 et 503. Hesychius Hieros, In Lev. L. 2, 9, 23 : PG 93, 894 B
22 De même que saint Pierre et les autres apôtres constituent, de par l'institution du Seigneur, un seul collège apostolique, semblablement le Pontife romain, successeur de Pierre et les évêques successeurs des apôtres, forment entre eux un tout. Déjà la plus antique discipline en vertu de laquelle les évêques établis dans le monde entier vivaient en communion entre eux et avec l'évêque de Rome par le lien de l'unité, de la charité et de la paix(23), et de même la réunion de Conciles(24), où l'on décidait en commun de toutes les questions les plus importantes(25), par une décision que l'avis de l'ensemble permettait d'équilibrer(26), tout cela signifie le caractère et la nature collégiale de l'Ordre épiscopal ; elle se trouve manifestement confirmée par le fait des Conciles oecuméniques tenus tout le long des siècles. On la trouve évoquée dans l'usage qui s'est introduit de très bonne heure d'appeler plusieurs évêques pour coopérer à l'élévation d'un nouvel élu au ministère sacerdotal le plus élevé. C'est en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres que quelqu'un est fait membre du corps épiscopal.
Mais le collège ou corps épiscopal n'a d'autorité que si on l'entend comme uni au Pontife romain a sur l'Eglise, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l'Eglise, un pouvoir plénier, suprême et universel qu'il peut toujours exercer librement. L'Ordre des évêques qui succède au collège apostolique dans le magistère et le gouvernement pastoral, bien mieux dans lequel se perpétue le corps apostolique, constitue, lui aussi, en union avec le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef, le sujet d'un pouvoir suprême et plénier sur toute l'Eglise(27), pouvoir cependant qui ne peut s'exercer qu'avec le consentement du Pontife romain. Le Seigneur a fait du seul Simoun la pierre de son Eglise, à lui seul il en a remis les clés (cf. Mt 16,18-19) ; il l'a institué pasteur de tout son troupeau (cf. Jn 21,15 s.), mais cette charge de lier et de délier qui a été donnée à Pierre (Mt 16,19) a été aussi donnée, sans aucun doute, au collège des apôtres unis à leur chef (Mt 18,18 Mt 28,16-20)(28). Par sa composition multiple, ce collège exprime, par son rassemblement sous un seul chef, l'unité du troupeau du Christ. Dans ce collège, les évêques fidèles à observer le primat et l'autorité de leur chef jouissent d'un pouvoir propre, pour le bien de leurs fidèles et même de toute l'Eglise, dont l'Esprit-Saint assure par l'action continue de sa force la structure organique et la concorde. Le pouvoir suprême dont jouit ce collège à l'égard de l'Eglise universelle s'exerce solennellement dans le Concile oecuménique. Il n'y a point de Concile oecuménique s'il n'est comme tel confirmé ou tout au moins accepté par le successeur de Pierre: au Pontife romain appartient comme une prérogative de convoquer ces Conciles, de les présider et de les confirmer(29). Le pouvoir collégial peut être exercé en union avec le pape par les évêques résidant sur la surface de la terre, pourvu que le chef du collège les appelle à agir collégialement ou du moins qu'il donne à cette action commune des évêques dispersés son approbation ou sa libre acceptation pour en faire un véritable acte collégial.
Notes:
(23) Cf. Eusebius, Hist. Eccl. V, 24, 10: GCS II, I, p. 495 ; Bardy, Sources Chr. ii, p. 69. - Dionysius, apud Eusebium, ib. VII, 5, 2 : GCS II, 2, pp. 638 s. Bardy II, pp. 168 s.
(24) Cf. de anriquis Conciliis, Eusebius, Hist. Ecll. V, 23-24: GCS II, I, pp. 488 ss. Bardy, II, pp. 66 ss. et passim. Conc. Nicaenum, Can. 5: Conc. Oec. Decr. p. 7.
(25) Tertullien, De Ieiunio, 13: PL 2, 972 B ; CSEL 2O, p. 292, lin. 13-16.
(26) S Cyprien, Epis. 56, 3 ::; CSEL (Hartel) III B, p. 650 ; Bayard p.154.
(27) Cf. Relatio officialis Zinelli, in Conc. Vat. I: Mansi 52, 1109 C.
(28) Cf. Conc. Vat. I, Schema Const. dogm. II, de Ecclesia Christi, c.4: Mansi 53, 310. Cf. relatio Kleutgen de schemate reformato: Mansi 53, 321 B, 322 B et declaratio Zinelli: Mansi 52, 1110 A. Vide etiam S. Leon M., Serm. 4, 3 : PL 54, 151 A
(29) Cf. Cod. Iur. CIS 227.
1964 Lumen Gentium 12