1964 Lumen Gentium 32

La dignité des laïcs, membres du peuple de Dieu

32 L'Eglise sainte, de par l'institution divine, est organisée et dirigée suivant une variété merveilleuse. "Car, de même qu'en un seul corps nous avons plusieurs membres et que tous les membres n'ont pas tous même fonction, ainsi, à plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, étant chacun pour sa part, membres les uns des autres" (Rm 12,4-5).

Il n'y a donc qu'un peuple de Dieu choisi par lui: "Il n'y a qu'un Seigneur, une foi, un baptême" (Ep 4,5). Commune est la dignité des membres du fait de leur régénération dans le Christ ; commune la grâce d'adoption filiale ; commune la vocation à la perfection ; il n'y a qu'un salut, une espérance, une charité sans division. Il n'y a donc, dans le Christ et dans l'Eglise, aucune inégalité qui viendrait de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe, car "il n'y a ni homme ni femme, vous n'êtes tous qu'un dans le Christ Jésus" (Ga 3,28 grec ; cf. Col 3,11).

Si donc, dans l'Eglise, tous ne marchent pas par le même chemin, tous, cependant, sont appelés à la sainteté et ont reçu à titre égal la foi qui introduit dans la justice de Dieu (cf. 2P 1,1). Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l'activité commune à tous les fidèles dans l'édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. Car la différence même que le Seigneur a mise entre les ministres sacrés et le reste du peuple de Dieu comporte en soi union, étant donné que les pasteurs et les autres fidèles se trouvent liés les uns aux autres par une communauté de rapports: aux pasteurs de l'Eglise qui suivent l'exemple du Seigneur, d'être au service les uns des autres et au service des autres fidèles ; à ceux-ci de leur côté d'apporter aux pasteurs et aux docteurs le concours empressé de leur aide. Ainsi, dans la diversité même, tous rendent témoignage de l'admirable unité qui règne dans le Corps du Christ: en effet, la diversité même des grâces, des ministères et des opérations contribue à lier les fils de Dieu en un tout. Car "tout cela c'est l'oeuvre d'un seul et même Esprit" (1Co 12,11).

Ainsi donc, tout comme, par la bienveillance de Dieu, ils ont pour frère le Christ venu non pour être servi, mais pour servir (cf. Mt 20,28), alors qu'il est le Maître de tout ainsi les laïcs ont aussi pour frères ceux qui, appliqués au sacré ministère, font près de la famille de Dieu office de pasteurs, enseignant, sanctifiant, dirigeant par l'autorité du Christ pour que le commandement nouveau de la charité soit accompli par tous. Saint Augustin dit à ce sujet ces très belles paroles: "Si ce que je suis pour vous m'épouvante, ce que je suis avec vous me rassure. Pour vous en effet, je suis l'évêque ; avec vous je suis chrétien. Evêque, c'est le titre d'une charge qu'on assume ; chrétien, c'est le nom de la grâce (qu'on reçoit). Titre périlleux, nom salutaire"(1).

Notes:
(1) S Augustin, Serm. 340, 1 : PL 38, 1483.


La vie par rapport au salut et à l'apostolat

33 Les Laïcs, réunis dans le peuple de Dieu et organisés dans l'unique Corps du Christ sous une seule tête, sont appelés, quels qu'ils soient, à coopérer comme des membres vivants au progrès de l'Eglise et à sa sanctification permanente, en y appliquant toutes les forces qu'ils ont reçues par bienfait du Créateur et par grâce du Rédempteur.

L'apostolat des laïcs est une participation à la mission salutaire elle-même de l'Eglise: à cet apostolat, tous sont députés par le Seigneur lui-même en vertu du baptême et de la confirmation. Les sacrements, surtout la sainte Eucharistie, communiquent et entretiennent cette charité envers Dieu et les hommes, qui est l'âme de tout l'apostolat. Les laïcs sont appelés tout spécialement à assurer la présence et l'action de l'Eglise dans les lieux et les circonstances où elle ne peut devenir autrement que par eux le sel de la terre(2). Ainsi, tout laïc, en vertu des dons qui lui ont été faits, constitue un témoin et en même temps un instrument vivant de la mission de l'Eglise elle-même, "à la mesure du don du Christ" (
Ep 4,7).

Outre cet apostolat, qui concerne tous les chrétiens sans exception, les laïcs peuvent encore, de diverses manières, être appelés à coopérer plus immédiatement avec l'apostolat hiérarchique(3), à la façon de ces hommes et de ces femmes qui étaient des auxiliaires de l'apôtre Paul dans l'Evangile, et, dans le Seigneur, dépensaient un grand labeur (cf. Ph 4,3 Rm 16,3-16 ). En outre, ils ont en eux une aptitude à être assumés par la hiérarchie en vue de certaines fonctions ecclésiastiques à but spirituel.

A tous les laïcs, par conséquent, incombe la noble charge de travailler à ce que le dessein divin de salut parvienne de plus en plus à tous les hommes de tous les temps et de toute la terre. La voie doit donc leur être ouverte de toutes parts pour que, selon leurs forces et selon les nécessités des temps, ils puissent activement participer, eux aussi, à l'oeuvre de salut qui est celle de l'Eglise.

Notes:
(2) Cf. Pie XI, encyc.Quadragesimo anno, 15 mai 1931 ; AAS (1931): pp. 221 s. Pie XII, alloc. De quelle consolation, 14 Oct. 1951: AAS 43 (1951) pp. 790 s.
(3) Cf. Pie XII, alloc. Six ans se sont écoulés, 5 Oct. 1957: AAS 49 (1957), p. 927.




Participation des laïcs au sacerdoce commun et au culte

34 Voulant poursuivre également, par le moyen des laïcs, son témoignage et son service, le Christ Jésus, prêtre suprême et éternel, leur apporte la vie par son Esprit, et les pousse inlassablement à réaliser tout bien et toute perfection.

A ceux qu'il s'unit intimement dans sa vie et dans sa mission, il accorde, en outre, une part dans sa charge sacerdotale pour l'exercice du culte spirituel en vue de la glorification de Dieu et du salut des hommes. C'est pourquoi les laïcs reçoivent, en vertu de leur consécration au Christ et de l'onction de l'Esprit-Saint, la vocation admirable et les moyens qui permettent à l'Esprit de produire en eux des fruits toujours plus abondants. En effet, toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d'esprit et de corps, s'ils sont vécus dans l'Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu'elles soient patiemment supportées, tout cela devient "offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ" (
1P 2,5) ; et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l'oblation du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C'est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la sainteté de leur vie un culte d'adoration.


Participation des laïcs à la fonction

prophétique du Christ et au témoignage

35 Le Christ, grand prophète, qui par le témoignage de sa vie et la puissance de sa parole a proclamé le royaume du Père, accomplit sa fonction prophétique jusqu'à la pleine manifestation de la gloire, non seulement par la hiérarchie qui enseigne en son nom et avec son pouvoir, mais aussi par les laïcs dont il fait pour cela également des témoins en les pourvoyant du sens de la foi et de la grâce de la parole (cf. Ac 2,17-18 Ap 19,10), afin que brille dans la vie quotidienne, familiale et sociale, la force de l'Evangile. Ils se présentent comme les fils de la promesse, lorsque, fermes dans la foi et dans l'espérance, ils mettent à profit le moment présent (cf. Ep 5,16 Col 4,5), et attendent avec constance la gloire à venir (cf. Rm 8,25). Cette espérance ils ne doivent pas la cacher dans le secret de leur coeur, mais l'exprimer aussi à travers les structures de la vie du siècle par un effort continu de conversion, en luttant "contre les souverains de ce monde des ténèbres, contre les esprits du mal" (Ep 6,12).

Tout comme les sacrements de la loi nouvelle, où s'alimentent la vie et l'apostolat des fidèles, préfigurent le ciel nouveau et la nouvelle terre (cf. Ap 21,1), ainsi les laïcs deviennent les hérauts puissants de la foi en ce qu'on espère (cf. He 11,1) quand ils unissent, sans hésitation, à une vie animée par la foi la profession de cette même foi. Cette action évangélisatrice, c'est-à-dire cette annonce du Christ faite et par le témoignage de la vie et par la parole, prend un caractère spécifique et une particulière efficacité du fait qu'elle s'accomplit dans les conditions communes du siècle.

Dans cet ordre de fonctions apparaît la haute valeur de cet état de vie que sanctifie un sacrement spécial, à savoir la vie du mariage et de la famille. Le terrain d'exercice et l'école par excellence de l'apostolat des laïcs se trouvent là, dans la famille où la religion chrétienne pénètre toute l'organisation de la vie et la transforme chaque jour davantage. Là, les époux trouvent leur vocation propre: être l'un pour l'autre et pour leurs enfants témoins de la foi et de l'amour du Christ. La famille chrétienne proclame hautement à la fois les vertus actuelles du royaume de Dieu et l'espoir de la vie bienheureuse. Ainsi, par son exemple et par son témoignage, elle est la condamnation du monde pécheur et la lumière pour ceux qui cherchent la vérité.

Par conséquent, les laïcs peuvent et doivent, même à travers leurs occupations et leurs soucis temporels, exercer une action précieuse pour l'évangélisation du monde. Certains d'entre eux, suivant leurs moyens, apportent un concours de suppléance pour certains offices sacrés quand manquent les ministres sacrés, ou quand ceux-ci sont réduits à l'impuissance par un régime de persécutions ; d'autres, plus nombreux, se dépensent de toutes leurs forces dans l'action apostolique ; mais, à tous, s'impose le devoir de coopérer à l'extension et au progrès du règne du Christ dans le monde. C'est pourquoi les laïcs doivent chercher à connaître toujours plus profondément la vérité révélée, et demander instamment à Dieu le don de sagesse.


Participation des laïcs au service royal

36 Le Christ s'étant fait obéissant jusqu'à la mort et pour cela même ayant été exalté par le Père (cf. Ph 2,78-9), est entré dans la gloire de son royaume ; à lui, tout est soumis, en attendant que lui-même se soumette à son Père avec toute la création, afin que Dieu soit tout en tous (cf. 1Co 15,27-28). Ce pouvoir, il l'a communiqué à ses disciples pour qu'ils soient eux aussi établis dans la liberté royale, pour qu'ils arrachent au péché son empire en eux-mêmes par leur abnégation et la sainteté de leur vie (cf. Rm 6,12), bien mieux, pour que servant le Christ également dans les autres, ils puissent, dans l'humilité et la patience, conduire leurs frères jusqu'au Roi dont les serviteurs sont eux-mêmes des rois. En effet, le Seigneur désire étendre son règne également par les fidèles laïcs , son règne qui est règne de vérité et de vie, règne de sainteté et de grâce, règne de justice, d'amour et de paix(4) règne où la création elle-même sera affranchie de l'esclavage de la corruption pour connaître la liberté glorieuse des fils de Dieu (cf. Rm 8,21). Grande vraiment est la promesse, grand le commandement donné aux disciples: "Tout est à vous, mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu" (1Co 3,23).

Les fidèles doivent donc reconnaître la nature profonde de toute la création, sa valeur et sa finalité qui est la gloire de Dieu ; ils doivent, aussi à travers les travaux du siècle, s'aider mutuellement en vue d'une vie plus sainte, afin que le monde s'imprègne de l'Esprit du Christ et atteigne plus efficacement sa fi n dans la justice, la charité et la paix. Dans l'accomplissement universel de ce devoir, les laïcs ont la première place. Par leur compétence dans les disciplines profanes et par leur activité que la grâce du Christ élève au-dedans, qu'ils s'appliquent de toutes leurs forces à obtenir que les biens créés soient cultivés dans l'intérêt d'absolument tous les hommes, selon les fins du Créateur et l'illumination de son Verbe, grâce au travail de l'homme, à la technique et à la culture dans la cité, que ces biens soient mieux distribués entre les hommes et qu'ils acheminent selon leur nature à un progrès universel dans la liberté humaine et chrétienne. Ainsi, par les membres de l'Eglise, le Christ éclairera de plus en plus la société humaine tout entière de sa lumière qui sauve.

Que les laïcs, en outre, unissant leurs forces, apportent aux institutions et aux conditions de vie dans le monde, quand elles provoquent au péché, les assainissements convenables, pour qu'elles deviennent toutes conformes aux règles de la justice et favorisent l'exercice des vertus au lieu d'y faire obstacle. En agissant ainsi, ils imprégneront de valeur morale la culture et les oeuvres humaines. Par là tout à la fois, le champ du monde se trouve mieux préparé pour accueillir la semence de la parole de Dieu, et les portes de l'Eglise s'ouvrent plus larges pour permettre au message de paix d'entrer dans le monde.

En raison de l'économie elle-même du salut, les fidèles doivent apprendre à distinguer avec soin entre les droits et les devoirs qui leur incombent en tant que membres de l'Eglise et ceux qui leur reviennent comme membres de la société humaine. Qu'ils s'efforcent d'accorder harmonieusement, les uns et les autres entre eux, se souvenant que la conscience chrétienne doit être leur guide en tous domaines temporels, car aucune activité humaine, fût-elle d'ordre temporel, ne peut être soustraite à l'empire de Dieu. Aux temps où nous sommes, il est extrêmement nécessaire que, dans la façon d'agir des fidèles, brillent à la fois très clairement et cette distinction et cette harmonie, pour que la mission de l'Eglise puisse répondre pleinement aux conditions particulières du monde d'aujourd'hui. De même, en effet, qu'il faut reconnaître à la cité terrestre légitimement appliquée aux soucis du siècle, le droit d'être régie par ses propres principes, de même, c'est à juste titre qu'est rejetée la doctrine néfaste qui prétend construire la société sans aucune considération pour la religion, s'attaque à la liberté religieuse des citoyens et l'élimine.

Notes:
(5) Cf. Léon XIII, encyc. Immortale Dei, 1 nov. nov. 1885: ASS 18 (1885), pp. 166 ss. Idem encyc. Sapientiae christiane, 10 Janv. 1890: ASS 22 (1889-90) pp. 397 ss. Pie XII, alloc. Alla vostra filiale, 23 mars 1958: AAS 5O (1958), p. 220 "la légitime saine laïcité de l'Etat".



Relation à la hiérarchie

37 Comme tous les chrétiens, les laïcs ont droit de recevoir en abondance des pasteurs sacrés les ressources qui viennent des trésors spirituels de l'Eglise, en particulier les secours de la parole de Dieu et des sacrements (6); qu'ils s'ouvrent à ces mêmes pasteurs de leurs besoins et de leurs voeux avec toute la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ. Dans la mesure de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur rang, ils ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l'Eglise(7). Cela doit se faire, le cas échéant, par le moyen des institutions que l'Eglise a établies pour cela, et toujours dans la sincérité, le courage et la prudence, avec le respect et la charité qu'on doit à ceux qui, en raison de leurs charges sacrées, tiennent la place du Christ.

Comme tous les fidèles, les laïcs doivent embrasser, dans la promptitude de l'obéissance chrétienne, ce que les pasteurs sacrés en tant que représentants du Christ, décident au nom de leur magistère et de leur autorité dans l'Eglise: en cela, c'est l'exemple du Christ qu'ils suivent, lui qui, en obéissant jusqu'à la mort, a ouvert aux hommes la voie bienheureuse de la liberté des fils de Dieu. Qu'ils ne manquent pas de recommander à Dieu, dans la prière, leurs chefs qui veillent sur nos âmes comme devant en rendre compte, afin qu'ils le fassent avec joie et non en gémissant (cf.
He 13,17).

Les pasteurs, de leur côté, doivent reconnaître et promouvoir la dignité et la responsabilité des laïcs dans l'Eglise ; ayant volontiers recours à la prudence de leurs conseils, leur remettant avec confiance des charges au service de l'Eglise, leur laissant la liberté et la marge d'action, stimulant même leur courage pour entreprendre de leur propre mouvement. Qu'avec un amour paternel ils accordent attention et considération dans le Christ aux essais, voeux et désirs proposés par les laïcs(8), qu'ils respectent et reconnaissent la juste liberté qui appartient à tous dans la cité terrestre.

De ce commerce familier entre laïcs et pasteurs il faut attendre pour l'Eglise toutes sortes de biens: par là en effet s'affirme chez les laïcs le sens de leur responsabilité propre, leur ardeur s'entretient et les forces des laïcs viennent plus facilement s'associer à l'action des pasteurs. Ceux-ci, avec l'aide de l'expérience des laïcs, sont mis en état de juger plus distinctement et plus exactement en matière spirituelle aussi bien que temporelle, et c'est toute l'Eglise qui pourra ainsi, renforcée par tous ses membres, remplir plus efficacement sa mission pour la vie du monde.

Notes:
(6) Cod. Iur. Can. CIS 682.
(7) Cf. Pie XII, alloc. De quelle consolation I.c. p. 789. "dans les batailles décisives, c'est parfois du front que partent les plus heureuses initiatives ..." - Idem, alloc. L'importance de la presse catholique, 17 Fév. 1950: AAS 42 (1950), p. 256.
(8) Cf. 1Th 5,19 cf. ; Jn 4,1



Conclusion

38 Chacun des laïcs doit être devant le monde le témoin de la résurrection et de la vie du Seigneur Jésus et signe du Dieu vivant. Tous ensemble et chacun pour sa part doivent nourrir le monde des fruits spirituels (cf. Ga 5,22) et répandre sur lui cet esprit qui anime les pauvres, les doux, les pacifiques que le Seigneur dans l'Evangile a proclamés bienheureux (cf. Mt 5,33-9). En un mot "ce que l'âme est dans le corps, il faut que les chrétiens le soient dans le monde."(9)

Notes:
(9) Epist. ad Diognetum 6: Funk I, p. 400 - Cf. S Chrysostome, In Hom. 46 (47) 2 : PG 58, 478, de fermento in massa.





CHAPITRE V

L'APPEL UNIVERSEL A LA SAINTETE DANS L'EGLISE



Introduction

39 L'Eglise, dont le saint Concile présente le mystère, est aux yeux de la foi indéfectiblement sainte. En effet, le Christ, Fils de Dieu, qui, avec le Père et l'Esprit, est proclamé "seul Saint"(1), a aimé l'Eglise comme son épouse, il s'est livré pour elle afin de la sanctifier (cf. Ep 5,25-26), il se l'est unie comme son Corps et l'a comblée du don de l'Esprit-Saint pour la gloire de Dieu. Aussi dans l'Eglise tous, qu'ils appartiennent à la hiérarchie ou qu'ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté selon la parole de l'apôtre: "Oui, ce que Dieu veut c'est votre sanctification" (1Th 4,3 cf. Ep 1,4). Cette sainteté de l'Eglise se manifeste constamment et doit se manifester par les fruits de grâce que l'esprit produit dans les fidèles ; sous toutes sortes de formes elle s'exprime en chacun de ceux qui tendent à la charité parfaite, dans leur ligne propre de vie, en édifiant les autres ; elle apparaît d'une manière caractéristique dans la pratique des conseils qu'on a coutume d'appeler évangéliques. Cette pratique des conseils, assumée sous l'impulsion de l'Esprit-Saint par un grand nombre de chrétiens, soit à titre privé, soit dans une condition ou un état sanctionné par l'Eglise, apporte dans le monde et doit y apporter un lumineux témoignage et exemple de cette sainteté.

Notes:
(1) Missel Romain, Gloria in excelsis Cf. Lc 1,35 Mc 1,24 Lc 4,34 Jn 6,69 (ho hagios tou Theou) Ac 3,14 Ac 4,27 Ac 4,30 He 7,26 1Jn 2,20 Ap 3,7


L'appel universel à la sainteté

40 Maître divin et modèle de toute perfection, le Seigneur Jésus a enseigné à tous et chacun de ses disciples, quelle que soit leur condition, cette sainteté de vie dont il est à la fois l'initiateur et le consommateur: "Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5,48)(2). Et en effet en tous il a envoyé son Esprit pour les pousser intérieurement à aimer Dieu de tout leur coeur, de toute leur âme, de toute leur intelligence et de toutes leurs forces (cf. Mc 12,30), et aussi à s'aimer mutuellement comme le Christ les a aimés (cf. Jn 13,34 Jn 15,12). Appelés par Dieu, non au titre de leurs oeuvres mais au titre de son dessein et de sa grâce, justifiés en Jésus notre Seigneur, les disciples du Christ sont véritablement devenus dans le baptême de la foi, fils de Dieu, participants de la nature divine et, par conséquent, réellement saints. Cette sanctification qu'ils ont reçue, il leur faut donc, avec la grâce de Dieu, la conserver et l'achever par leur vie. L'apôtre les avertit de vivre "comme il convient à des saints" (Ep 5,3), de revêtir "comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, des sentiments de miséricorde, de bonté, d'humilité, de douceur, de longanimité" (Col 3,12), et de porter les fruits de l'Esprit pour leur sanctification (cf. Ga 5,22 Rm 6,22). Cependant comme nous nous rendons tous fautifs en bien des points (cf. Jc 3,2), nous avons constamment besoin de la miséricorde de Dieu et nous devons tous les jours dire dans notre prière: "Pardonne-nous nos offenses" (Mt 6,12)(3).

Il est donc bien évident pour tous que l'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s'adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang (4); dans la société terrestre elle-même cette sainteté contribue à promouvoir plus d'humanité dans les conditions d'existence. Les fidèles doivent appliquer les forces qu'ils ont reçues selon la mesure du don du Christ, à obtenir cette perfection, afin que marchant sur ses traces et devenus conformes à son image, accomplissant en tout la volonté du Père, ils soient avec toute leur âme voués à la gloire de Dieu et au service du prochain. Ainsi la sainteté du peuple de Dieu s'épanouira en fruits abondants, comme en témoigne avec éclat l'histoire de l'Eglise par la vie de tant de saints.

Notes:
(2) cf. Origène, comm. rom. 7, 7: PG 14, 1122 B Macarius, De Oratione 11: PG 34, 861, St Thomas, Summa Theol. II-II 184,3.
(3) Cf. S Augustin, Retrac. II, 18: PL 32, 637 s. Pie XII, encyc. Mystici Corporis 29 juin 1943; AAS 35 (1943) p. 225.
(4) Cf. Pie XI, enbcyc. Rerum omminum 26 Janv. 1923: AAS 15 (1923) p. (pp. 59-60.. Pie XII Const. apost. Provida Mater 2 Févr. Févr. 1947: AAS 39 (1947) p. 117. Alloc. Annus sacer. 8 déc. 1950: AAS 43 (1951) pp. 27-28 - Alloc. Nel darvi, 1 juil juil 1956: AAS 48 (1956) pp. (574).


Les formes multiples d'exercice de la sainteté

41 Dans les formes diverses de vie et les charges différentes c'est une seule sainteté que cultivent tous ceux que conduit l'Esprit de Dieu et qui, obéissant à la voix du Père et adorant Dieu le Père en esprit et en vérité, marchent à la suite du Christ pauvre, humble et chargé de sa croix, pour mériter de devenir participants de sa gloire. Chacun doit résolument avancer, selon ses propres dons et ressources, par la voie d'une foi vivante qui stimule l'espérance et agit par la charité.

Ceux qui ont reçu la charge de pasteurs à l'égard du troupeau du Christ doivent tous les premiers, à l'image du grand Prêtre éternel, Pasteur et Evêque de nos âmes, remplir leur ministère dans la sainteté et l'empressement, l'humilité et la force: accompli dans ces conditions, il sera pour eux-mêmes un moyen puissant de sainteté. Ceux qui ont été choisis pour recevoir la plénitude du sacerdoce bénéficient de la grâce sacramentelle pour exercer en perfection la charge de la charité pastorale(5) par la prière, le sacrifice, la prédication, par le soin et le service épiscopal sous toutes ses formes, acceptant sans crainte de donner leur vie pour leurs brebis et devenant un modèle pour leur troupeau (cf.
1P 5,3), aidant enfin l'Eglise par leur exemple à avancer chaque jour en sainteté.

A la ressemblance de l'Ordre des évêques dont ils constituent la couronne spirituelle(6), et à la grâce de qui ils participent par le Christ, éternel et unique Médiateur, les prêtres doivent grandir en amour pour Dieu et le prochain par l'exercice quotidien de leur tâche, garder entre eux le lien de la communion sacerdotale, être riches de tous les biens spirituels et offrir à tous un vivant témoignage de Dieu(7), émules de ces prêtres, qui le long des temps ont laissé, par leur service souvent humble et obscur, un éclatant exemple de sainteté. L'Eglise de Dieu proclame leur louange. Offrant pour leur peuple et pour tout le peuple de Dieu, au titre même de leur charge, la prière et le sacrifice, conscients de ce qu'ils font et se conformant aux mystères qu'ils accomplissent(8), bien loin d'être entravés par les soucis apostoliques, les périls et les épreuves, ils doivent par là au contraire s'élever à une plus haute sainteté, en cherchant dans l'abondance de la contemplation de quoi nourrir et soutenir leur activité, pour apporter leur encouragement à l'Eglise entière de Dieu. Que tous les prêtres et ceux-là spécialement qui, au titre particulier de leur ordination, portent le nom de prêtres diocésains, se souviennent de ce que leur sainteté peut gagner à leur union fidèle et à leur généreuse coopération avec leur évêque.

A la mission et à la grâce du Souverain Prêtre participent aussi d'une façon spéciale les ministres de l'Ordre inférieur ; et d'abord les diacres qui doivent, en servant les mystères du Christ et de l'Eglise(9), se garder purs de tous vices, chercher à plaire à Dieu et à être devant les hommes les instruments de tout le bien possible (cf. 1Tm 3,8-10 1Tm 3,12-13).Les clercs qui, appelés par Dieu et réservés pour être la part de Dieu, se préparent aux fonctions de ministres sous la vigilance des pasteurs, ont le devoir de mettre leur esprit et leur coeur en accord avec une si haute vocation en se montrant assidus à la prière, fervents en charité, n'ayant de pensée que pour ce qui est vrai, juste et honorable, faisant tout pour la gloire et l'honneur de Dieu. Il faut y ajouter les laïcs choisis par Dieu qui, pour se livrer pleinement aux travaux de l'apostolat, sont appelés par l'évêque et travaillent dans le champ du Seigneur, en y faisant beaucoup de fruit(10).

Quant aux époux et aux parents chrétiens il leur faut, en suivant leur propre route, s'aider mutuellement dans la fidélité de l'amour avec l'aide de la grâce tout le long de leur vie et inculquer les vérités chrétiennes et les vertus de l'Evangile aux enfants qu'avec amour ils ont reçus de Dieu. Par là, en effet, ils donnent à tous l'exemple d'un amour inlassable et généreux, ils contribuent à l'édification de la charité fraternelle et apportent leur témoignage et leur coopération à la fécondité de l'Eglise, notre Mère, en signe et participation de l'amour que le Christ a eu pour son Epouse et qui l'a fait se livrer pour elle(11). Un exemple semblable est donné par les veuves et les célibataires dont le concours peut être de grande valeur pour la sainteté et l'activité dans l'Eglise. Quant à ceux qui se livrent à des travaux souvent pénibles, leur activité d'homme doit les enrichir personnellement, leur permettre d'aider leurs concitoyens et de contribuer à élever le niveau de la société tout entière et de la création, d'imiter enfin, par une charité active, le Christ qui a voulu pratiquer le travail manuel et qui, avec son Père, ne cesse d'agir pour le salut de tous ; qu'ils soient en cela dans une joyeuse espérance, s'aidant mutuellement à porter leurs fardeaux, montant par leur travail quotidien à une sainteté toujours plus haute, sainteté qui sera aussi apostolique.

Qu'ils se sachent eux aussi unis tout spécialement au Christ souffrant pour le salut du monde, ceux sur qui pèsent la pauvreté, l'infirmité, la maladie, les épreuves diverses, ou qui souffrent persécution pour la justice: le Seigneur dans l'Evangile les a déclarés bienheureux et "le Dieu de toute grâce qui nous a appelés dans le Christ à sa gloire éternelle, après une courte épreuve les rétablira lui-même, les affermira et les rendra inébranlables" (1P 5,10).

Ainsi donc tous ceux qui croient au Christ iront en se sanctifiant toujours plus dans les conditions, les charges et les circonstances qui sont celles de leur vie et grâce à elles, si cependant ils reçoivent avec foi toutes choses de la main du Père céleste et coopèrent à l'accomplissement de la volonté de Dieu, en faisant paraître aux yeux de tous, dans leur service temporel lui-même, la charité avec laquelle Dieu a aimé le monde.

Notes:
(5) Cf. S Thomas Summa Theol. II-II 184,5-6 ; De perf. vitae spir. c. 18 - Origène, in Hom. 6, 1 PG 13, 239.
(6) Cf. S. Ignace M. Magn. 13,1 : Funk I, p. 241.
(7) Cf. S Pie X, exhort. Haeren animo 4 aug. 1908: ASS 41 (1908) pp. 560 s. - Cod. Iur. can. CIS 124 - Pie XII ENCYCL. Ad catholici sacerdotii, 20 déc. 1935: AAS 28 (1936)pp. 22 s.
(8) Ordo consecrationis sacerdotalis, in exhortatione initiali.
(9) Cf. S Ignace M Trall. 2, 3 : Funk I, p. 244.
(10) Cf. Pie XII, alloc. Sous la maternelle protection, 9 Déc. 1957: AAS 5O (1958), p. 36.
(11) passim. Cf. S. Chrysostome, in Ephes. hom. 20, 2 : PG 62, 136 ss.


Voies et moyens de la sainteté

42 "Dieu est charité et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui" (1Jn 4,16). Sa charité, Dieu l'a répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (cf. Rm 5,5). La charité qui nous fait aimer Dieu par-dessus tout et le prochain à cause de lui, est par conséquent le don premier et le plus nécessaire. Mais pour que la charité, comme un bon grain, croisse dans l'âme et fructifie, chaque fidèle doit s'ouvrir volontiers à la parole de Dieu et, avec l'aide de sa grâce, mettre en oeuvre sa volonté, participer fréquemment aux sacrements, surtout à l'Eucharistie, et aux actions liturgiques, s'appliquer avec persévérance à la prière, à l'abnégation de soi-même, au service actif de ses frères et à l'exercice de toutes les vertus. La charité en effet, étant le lien de la perfection et de la plénitude de la loi (cf. Col 3,14 Rm 13,10), dirige tous les moyens de sanctification, leur donne leur âme et les conduit à leur fin (12). C'est donc la charité envers Dieu et envers le prochain qui marque le véritable disciple du Christ.

Jésus, le Fils de Dieu, ayant manifesté sa charité en donnant sa vie pour nous, personne ne peut aimer davantage qu'en donnant sa vie pour lui et pour ses frères (cf. 1Jn 3,16 Jn 15,13). A rendre ce témoignage suprême d'amour devant tous et surtout devant les persécuteurs, quelques-uns parmi les chrétiens ont été appelés depuis la première heure, et d'autres y seront sans cesse appelés. C'est pourquoi le martyre dans lequel le disciple est assimilé à son maître, acceptant librement la mort pour le salut du monde, et dans lequel il devient semblable à lui dans l'effusion de son sang, est considéré par l'Eglise comme une grâce éminente et la preuve de la charité. Que si cela n'est donné qu'à un petit nombre, tous cependant doivent être prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la croix, au milieu des persécutions qui ne manquent jamais à l'Eglise.

La sainteté de l'Eglise est entretenue spécialement par les conseils multiples que le Seigneur a proposés à l'observation de ses disciples dans l'Evangile(13). Parmi ces conseils il y a en première place ce don précieux de grâce fait par le Père à certains (cf. Mt 19,11 1Co 7,7) de se consacrer plus facilement et sans partage du coeur à Dieu seul dans la virginité ou le célibat (cf. 1Co 7,32-34)(14). Cette continence parfaite à cause du règne de Dieu a toujours été l'objet de la part de l'Eglise d'un honneur spécial, comme signe et stimulant de la charité et comme une source particulière de fécondité spirituelle dans le monde.

L'Eglise se remémore l'avertissement de l'apôtre qui provoque les fidèles à la charité et les exhorte à éprouver en eux cela même qui fut dans le Christ, lequel "s'anéantit lui-même prenant condition d'esclave ... se faisant obéissant jusqu'à la mort" ((Ph 2,7-8), et se faisant pour nous "pauvre, de riche qu'il était" (2Co 8,9). L'imitation et le témoignage de cette charité et humilité du Christ s'imposent en vérité aux disciples en permanence ; c'est pourquoi l'Eglise notre Mère se réjouit de ce qu'il se trouve dans son sein en grand nombre des hommes et des femmes pour vouloir suivre de plus près et manifester plus clairement l'anéantissement du Sauveur, en assumant, dans la liberté des fils de Dieu, la pauvreté et en renonçant à leur propre volonté: c'est-à-dire que ces hommes et ces femmes se soumettent en matière de perfection à une créature humaine à cause de Dieu au-delà de la mesure du précepte, afin de se conformer plus pleinement au Christ obéissant(15).

Tous les fidèles du Christ sont donc invités et obligés à poursuivre la sainteté et la perfection de leur état. Qu'ils veillent tous à régler comme il faut leurs affections pour que l'usage des choses du monde et un attachement aux richesses contraire à l'esprit de pauvreté évangélique ne les détournent pas de poursuivre la perfection de la charité ; c'est l'avertissement de l'Apôtre: ceux qui usent de ce monde, qu'ils ne s'y arrêtent pas, car la figure de ce monde passe (cf. 1Co 7,31 grec)(16)

Notes:
(12) Cf. S Augustin, enrich. 121, 32: PL 4O, 288. S Thomas, Summa theol. II-II 184,1. Pie XII, adhort. apost. Menti nostrae, 23 Sept. 1950: AAS 42 (1950) p. 660.
(13) "sur les conseils en général), cf. Origène, comm. X, 14: PG 14, 1275 B S Augustin, De S Virginitate, 15, 15:PL 40, 403.S Thomas Summa Theol. I-II 100,2 (in fine) II-II 44,4 ad.3.
(14) "sur l'excellence de la virginité consacrée" cf. Tertullien, Exhort. Cast. 10: PL 2,925 c. St Cyprien,Hab. Virg. 3 et et 22: PL 4, 4423 B et 461 A s. St Athanase (?) De Virg. PG 28,252 ss. S Chrysostome, De Virg. PG 48, 533 ss.
(15) "sur la pauvreté spirituelle" cf. Mt 5,3 cf. Mt 19,21 Mc 10,21 Lc 18,22 "sur l'obéissance l'exemple du Christ est donné en " Jn 4,34 cf. Jn 6,38 Ph 2,8-10 He 10,5-7 "les Pères et les fondateurs d'Ordres en parlent très souvent".






1964 Lumen Gentium 32