1961 Mater et Magistra 68
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Notre âme est saisie de profonde amertume devant un spectacle infiniment triste: une foule de travailleurs, en de nombreux pays et sur des continents entiers, reçoivent un salaire qui les oblige, eux et leurs familles, à des conditions de vie sous-humaines. Cela est dû sans doute aussi à ce que dans ces pays et continents le processus d'industrialisation en est encore à ses débuts, ou en période insuffisamment avancée.
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Pourtant, en certains de ces pays, criant et outrageant est le contraste entre l'extrême misère des multitudes et l'abondance, le luxe effréné de quelques privilégiés. En d'autres pays, la génération actuelle est contrainte à subir des privations inhumaines, en vue d'accroître l'efficacité de l'économie nationale suivant un rythme d'accélération disproportionné avec les exigences de la justice et de l'humanité. En d'autres, une part considérable du revenu est employée à mettre en valeur ou entretenir un prestige national mal compris, des sommes immenses sont dépensées en armements.
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De plus, dans les pays économiquement développés, il n'est pas rare que des rétributions élevées, très élevées, soient accordées à des prestations peu absorbantes ou de valeur discutable, tandis que des catégories entières de citoyens honnêtes et travailleurs ne reçoivent pour leur activité assidue et féconde que des rémunérations trop infimes, insuffisantes ou, en tout état de cause, disproportionnées à leur apport au bien commun, au rendement de l'entreprise comme au revenu global de l'économie nationale.
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Aussi bien, Nous estimons être de Notre devoir d'affirmer une fois de plus que la rétribution du travail ne peut être ni entièrement abandonnée aux lois du marché ni fixée arbitrairement: elle est déterminée en justice et équité. Cela exige que soit accordée aux travailleurs une rémunération qui leur permette, avec un niveau de vie vraiment humain, de faire face avec dignité à leurs responsabilités familiales. Cela demande en outre que, pour déterminer les rétributions, on considère leur apport effectif à la production, les situations économiques des entreprises, les exigences du bien commun de la nation. On prendra en spéciale considération les répercussions sur l'emploi global du travail dans l'ensemble du pays, et aussi les exigences du bien commun universel, intéressant les communautés internationales, diverses en nature et en étendue.
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Il est clair que les principes exprimés ci-dessus valent partout et toujours. On ne saurait toutefois déterminer la mesure dans laquelle ils doivent être appliqués sans tenir compte des richesses disponibles; celles-ci peuvent varier, varient en effet en quantité et qualité de pays à pays, et, dans le même pays, d'une période à l'autre.
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Tandis que les économies des divers pays se développent rapidement, avec un rythme encore plus rapide depuis la dernière guerre, il Nous paraît opportun d'attirer l'attention sur un principe fondamental. Le progrès social doit accompagner et rejoindre le développement économique, de telle sorte que toutes les catégories sociales aient leur part des produits accrus. Il faut donc veiller avec attention, et s'employer efficacement, à ce que les déséquilibres économiques et sociaux n'augmentent pas, mais s'atténuent dans la mesure du possible.
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"L'économie nationale elle aussi, observe à bon droit Notre Prédécesseur Pie XII, de même qu'elle est le fruit de l'activité d'hommes qui travaillent unis dans la communauté politique, ne tend pas non plus à autre chose qu'à assurer sans interruption les conditions matérielles dans lesquelles pourra se développer pleinement la vie individuelle des citoyens. La où cela sera obtenu, et de façon durable, un peuple sera, en vérité, économiquement riche, parce que le bien-être général, et par conséquent le droit personnel de tous à l'usage des biens terrestres, se trouve ainsi réalisé conformément au plan voulu par le Créateur" (AAS XXXIII 1941)
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D'où il suit que la richesse économique d'un peuple ne résulte pas seulement de l'abondance globale des biens, mais aussi et plus encore de leur distribution effective suivant la justice, en vue d'assurer l'épanouissement personnel des membres de la communauté: car telle est la véritable fin de l'économie nationale.
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Nous ne saurions ici négliger le fait que de nos jours les grandes et moyennes entreprises obtiennent fréquemment, en de nombreuses économies, une capacité de production rapidement et considérablement accrue grâce à l'autofinancement. En ce cas, Nous estimons pouvoir affirmer que l'entreprise doit reconnaître un titre de crédit aux travailleurs qu'elle emploie, surtout s'ils reçoivent une rémunération qui ne dépasse pas le salaire minimum.
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Nous rappelons à ce sujet le principe exprimé par Notre Prédécesseur Pie XI dans l'encyclique Quadragesimo anno: "Il serait donc radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effort combiné; c'est bien injustement que l'une des parties, contestant à l'autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit (AAS XXIII 1931 Par. 59).
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Il peut être satisfait à cette exigence de justice en bien des manières que suggère l'expérience. L'une d'elles, et des plus désirables, consiste à faire en sorte que les travailleurs arrivent à participer à la propriété des entreprises, dans les formes et les mesures les plus convenables. Aussi bien, de nos jours plus qu'au temps de Notre Prédécesseur, "il faut donc tout mettre en oeuvre afin que, dans l'avenir du moins, la part des biens qui s'accumule aux mains des capitalistes soit réduite à une plus équitable mesure et qu'il s'en répande une suffisante abondance parmi les ouvriers (AAS XXIII, 1931 Par 68).
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Il Nous faut en outre rappeler que l'équilibre entre la rémunération du travail et le revenu doit être atteint en harmonie avec les exigences du bien commun, soit de la communauté nationale, soit de la famille humaine dans son ensemble.
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Il faut considérer les exigences du bien commun sur le plan national: donner un emploi au plus grand nombre possible de travailleurs; éviter la formation de catégories privilégiées, même parmi ces derniers; maintenir une proportion équitable entre salaires et prix; donner accès aux biens et services au plus grand nombre possible de citoyens; éliminer ou réduire les déséquilibres entre secteurs: agriculture, industrie, services; équilibrer expansion économique et développement des services publics essentiels; adapter, dans la mesure du possible, les structures de production aux progrès des sciences et des techniques; tempérer le niveau de vie amélioré des générations présentes par l'intention de préparer un avenir meilleur aux générations futures.
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Le bien commun a en outre des exigences sur le plan mondial: éviter toute forme de concurrence déloyale entre les économies des divers pays; favoriser, par des ententes fécondes, la collaboration entre économies nationales; collaborer au développement économique des communautés politiques moins avancées.
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Il va de soi que ces exigences du bien commun, national ou mondial, entrent aussi en considération quand il s'agit de fixer la part de revenu à attribuer sous forme de profits aux responsables de la direction des entreprises, et sous forme d'intérêts ou dividendes à ceux qui fournissent les capitaux.
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La justice doit être observée non seulement dans la répartition des richesses, mais aussi au regard des entreprises où se développent les processus de production. Il est inscrit, en effet, dans la nature des hommes qu'ils aient la possibilité d'engager leur responsabilité et de se perfectionner eux-mêmes, là où ils exercent leur activité productrice.
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C'est pourquoi si les structures, le fonctionnement, les ambiances d'un système économique sont de nature à compromettre la dignité humaine de ceux qui s'y emploient, à émousser systématiquement leur sens des responsabilités, à faire obstacle à l'expression de leur initiative personnelle, pareil système économique est injuste, même si, par hypothèse, les richesses qu'il produit atteignent un niveau élevé, et sont réparties suivant les règles de la justice et de l'équité.
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Il n'est pas possible de fixer dans leur détail les structures d'un système économique qui répondent le mieux à la dignité de l'homme et soient le plus aptes à développer en lui le sens des responsabilités. Toutefois Notre Prédécesseur Pie XII donne opportunément cette consigne "La petite et moyenne propriété agricole, artisanale et professionnelle, commerciale, industrielle, doit être garantie et favorisée; les unions coopératives devront leur assurer les avantages de la grande exploitation. Et là où la grande exploitation continue de se montrer plus heureusement productive, elle doit offrir la possibilité de tempérer le contrat de travail par un contrat de société" (AAS XXXVI 1944)
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Il faut conserver et promouvoir, en harmonie avec le bien commun, et dans le cadre des possibilités techniques, l'entreprise artisanale, l'exploitation agricole à dimensions familiales et aussi l'entreprise coopérative, comme intégration des deux précédentes.
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Sur l'exploitation agricole à dimensions familiales, Nous reviendrons plus loin. Nous estimons opportun de faire ici quelques remarques au sujet de l'entreprise artisanale et des coopératives.
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Il faut noter tout d'abord que ces deux formes d'entreprises doivent, pour être viables, s'adapter constamment aux structures, au fonctionnement, aux productions, aux situations toujours nouvelles, déterminées par les progrès de la science et des techniques, et aussi par les exigences mouvantes et les préférences des consommateurs. Cette adaptation doit être réalisée en premier lieu par les artisans et les coopérateurs eux-mêmes.
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A cette fin, il est nécessaire que les uns et les autres aient une bonne formation technique et humaine et soient organisés professionnellement. Il est non moins indispensable que soit appliquée une politique économique idoine, en ce qui regarde surtout l'instruction, le régime fiscal, le crédit, les assurances sociales.
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Au reste, l'action des pouvoirs publics en faveur des artisans et coopérateurs trouve sa justification dans ce fait aussi que leurs catégories sont porteuses de valeurs humaines authentiques et contribuent au progrès de la civilisation.
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Pour ces raisons, Nous invitons en esprit paternel Nos très chers fils, les artisans et coopérateurs dispersés dans le monde entier à prendre conscience de la noblesse de leur profession, de leur contribution importante à l'éveil du sens des responsabilités, de l'esprit de collaboration, pour que demeure vif, dans la nation, le goût d'un travail fin et original.
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De plus, avançant sur les traces de Nos Prédécesseurs, Nous estimons légitime l'aspiration des ouvriers à prendre part active à la vie des entreprises où ils sont enrôlés et travaillent. On ne peut déterminer à l'avance le genre et le degré de cette participation, car ils sont en rapport avec la situation concrète de chaque entreprise. Cette situation peut varier d'entreprise à entreprise; à l'intérieur de chacune d'elles elle est sujette à des changements souvent rapides et substantiels. Nous estimons toutefois opportun d'attirer l'attention sur le fait que le problème de la présence active des travailleurs existe toujours dans l'entreprise, soit privée soit publique. Il faut tendre, en tout cas, à ce que l'entreprise devienne une communauté de personnes, dans les relations, les fonctions et les situations de tout son personnel.
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Cela requiert que les relations entre entrepreneurs et dirigeants d'une part, apporteurs de travail d'autre part, soient imprégnées de respect, d'estime, de compréhension, de collaboration active et loyale, d'intérêt à l'oeuvre commune; que le travail soit conçu et vécu par tous les membres de l'entreprise, non seulement comme source de revenus, mais aussi comme accomplissement d'un devoir et prestation d'un service. Cela comporte encore que les ouvriers puissent faire entendre leur voix, présenter leur apport au fonctionnement efficace de l'entreprise et à son développement. Notre Prédécesseur Pie XII fait observer "La fonction économique et sociale que tout homme désire accomplir exige que l'activité de chacun ne soit pas totalement soumise à l'autorité d'autrui" (AAS XLVIII,1956). Une conception humaine de l'entreprise doit sans doute sauvegarder l'autorité et l'efficacité nécessaire de l'unité de direction; mais elle ne saurait réduire ses collaborateurs quotidiens au rang de simples exécutants silencieux, sans aucune possibilité de faire valoir leur expérience, entièrement passifs au regard des décisions qui dirigent leur activité.
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Il faut noter enfin que l'exercice de la responsabilité, de la part des ouvriers, dans les organismes de production, en même temps qu'il répond aux exigences légitimes inscrites au coeur de l'homme, est aussi en harmonie avec le déroulement de l'histoire en matière économique, sociale et politique.
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Malheureusement, comme Nous l'avons déjà noté et comme on le verra plus abondamment par la suite, nombreux sont, de notre temps, les déséquilibres économiques et sociaux qui blessent la justice et l'humanité. Des erreurs profondes affectent les activités, les buts, les structures, le fonctionnement du monde économique. C'est toutefois un fait incontestable que les régimes économiques, sous la poussée du progrès scientifique et technique, se modernisent sous nos yeux, deviennent plus efficients avec des rythmes bien plus rapides qu'autrefois. Cela demande aux travailleurs des aptitudes et des qualifications professionnelles plus relevées. En même temps et par voie de conséquence, des moyens supérieurs, des marges de temps plus étendues, sont mis à leur disposition pour leur instruction et leur tenue à jour, pour leur culture et leur formation morale et religieuse. Une prolongation des années destinées à l'instruction de base et à la formation professionnelle est aussi devenue réalisable.
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De la sorte, une ambiance humaine est créée, qui favorise pour les classes laborieuses la prise de plus grandes responsabilités, même à l'intérieur de l'entreprise. Les communautés politiques, de leur part, ont de plus en plus intérêt à ce que tout citoyen se sente responsable de la réalisation du bien commun, dans tous les secteurs de la vie sociale.
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De notre temps, le mouvement vers l'association des travailleurs s'est largement développé; il a été généralement reconnu dans les dispositions juridiques des Etats et sur le plan international, spécialement en vue de la collaboration, surtout grâce au contrat collectif. Nous ne saurions toutefois omettre de dire à quel point il est opportun, voire nécessaire, que la voix des travailleurs ait la possibilité de se faire entendre et écouter hors des limites de chaque organisme de production, à tous les échelons.
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La raison en est que les organismes particuliers de production, si larges que soient leurs dimensions, si élevées que soient leur efficacité et leur incidence, demeurent toutefois inscrits vitalement dans le contexte économique et social de leur communauté politique, et sont conditionnés par lui.
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Néanmoins, les choix qui influent davantage sur ce contexte ne sont pas décidés à l'intérieur de chaque organisme productif, mais bien par les pouvoirs publics, ou des institutions à compétence mondiale, régionale ou nationale, ou bien qui relèvent soit du secteur économique, soit de la catégorie de production. D'où l'opportunité - la nécessité - de voir présents dans ces pouvoirs ou ces institutions, outre les apporteurs de capitaux et ceux qui représentent leurs intérêts, aussi les travailleurs et ceux qui représentent leurs droits, leurs exigences, leurs aspirations.
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Notre pensée affectueuse, Notre encouragement paternel se tournent vers les associations professionnelles et les mouvements syndicaux d'inspiration chrétienne présents et agissant sur plusieurs continents. Malgré des difficultés souvent graves, ils ont su agir, et agissent, pour la poursuite efficace des intérêts des classes laborieuses, pour leur relèvement matériel et moral, aussi bien à l'intérieur de chaque Etat que sur le plan mondial.
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Nous remarquons avec satisfaction que leur action n'est pas mesurée seulement par ses résultats directs et immédiats, faciles à constater, mais aussi par ses répercussions positives sur l'ensemble du monde du travail, où ils répandent des idées correctement orientées et exercent une impulsion chrétiennement novatrice.
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Nous observons aussi qu'il faut prendre en considération l'action exercée dans un esprit chrétien par Nos chers fils dans les autres associations professionnelles et syndicales qu'animent les principes naturels de la vie commune, et qui respectent la liberté de conscience.
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Nous sommes heureux d'exprimer Notre cordiale estime envers l'Organisation internationale du travail (O.I.T.). Depuis plusieurs décennies elle apporte sa contribution valide et précieuse à l'instauration dans le monde d'un ordre économique et social imprégné de justice et d'humanité, où les requêtes légitimes des travailleurs trouvent leur expression.
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Durant ces dernières décennies, on le sait, la brèche entre propriété des biens de production et responsabilités de direction dans les grands organismes économiques est allée s'élargissant. Nous savons que cela pose des problèmes difficiles de contrôle aux pouvoirs publics. Comment s'assurer que les objectifs poursuivis par les dirigeants des grandes entreprises, celles surtout qui ont plus grande incidence sur l'ensemble de la vie économique dans la communauté politique, ne s'opposent pas aux exigences du bien commun? Ces problèmes surgissent aussi bien, l'expérience le prouve, quand les capitaux qui alimentent les grandes entreprises sont d'origine privée, et quand ils proviennent d'établissements publics.
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Il est vrai que de nos jours, nombreux sont les citoyens - et leur nombre va croissant - qui, du fait qu'ils appartiennent à des organismes d'assurances ou de sécurité sociale, en tirent argument pour considérer l'avenir avec sérénité; sérénité qui s'appuyait autrefois sur la possession d'un patrimoine, fût-il modeste.
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On note enfin qu'aujourd'hui on aspire à conquérir une capacité professionnelle plus qu'à posséder des biens; on a confiance en des ressources qui prennent leur origine dans le travail ou des droits fondés sur le travail, plus qu'en des revenus qui auraient leur source dans le capital, ou des droits fondés sur le capital.
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Cela, en vérité, s'accorde parfaitement avec le caractère originel du travail qui, procédant immédiatement de la personne, doit prendre le pas sur l'abondance des biens extérieurs; ceux ci, par leur nature même doivent être considérés comme des instruments, et c est la, assurément, l'indice d'un progrès de l'humanité.
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Ces aspects du monde économique ont certainement contribué à répandre le doute suivant: est-ce que dans la conjoncture présente, un principe d ordre économique et social fermement enseigné et défendu par Nos Prédécesseurs à savoir le principe de droit naturel de la propriété privée y compris celle des biens de production, n'aurait pas perdu sa force, ou ne serait pas de moindre importance ?
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Ce doute n'est pas fondé. Le droit de propriété, même des biens de production, a valeur permanente, pour cette raison précise qu'il est un droit naturel, fondé sur la priorité, ontologique et téléologique, des individus sur la société. Au reste, il serait vain de revendiquer l'initiative personnelle et autonome en matière économique, si n'était pas reconnue à cette initiative la libre disposition des moyens indispensables à son affirmation. L'histoire et l'expérience attestent, de plus, que sous les régimes politiques qui ne reconnaissent pas le droit de propriété privée des biens de production, les expressions fondamentales de la liberté sont comprimées ou étouffées. Il est, par suite, légitime d'en déduire qu'elles trouvent en ce droit garantie et stimulant.
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Cela explique pourquoi des mouvements sociaux et politiques, qui se proposent de concilier dans la vie commune justice et liberté, hier encore nettement opposés à la propriété privée des biens de production, aujourd'hui mieux instruits de la réalité sociale, reconsidèrent leur position et prennent à l'égard de ce droit une attitude substantiellement positive.
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Aussi bien, Nous faisons Nôtres, en cette matière, les remarques de Notre Prédécesseur Pie XII: "En défendant le principe de la propriété privée, l'Eglise poursuit un haut objectif tout à la fois moral et social. Ce n'est pas qu'elle prétende soutenir purement et simplement l'état actuel des choses, comme si elle y voyait l'expression de la volonté divine, ni protéger par principe le riche et le ploutocrate contre le pauvre et le prolétaire... L'Eglise vise plutôt à faire en sorte que l'institution de la propriété devienne ce qu'elle doit être, selon les plans de la sagesse divine et selon le voeu de la nature (AAS XXXVI 1944, 253). C'est dire qu'elle doit être à la fois garantie de la liberté essentielle de la personne humaine et élément indispensable de l'ordre social.
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Nous avons noté en outre que les économies, de nos jours, accroissent rapidement leur efficacité productive en de nombreux pays. Toutefois, tandis que s'élève le revenu, justice et équité requièrent, Nous l'avons vu, que s'élève aussi la rémunération du travail, dans les limites consenties par le bien commun. Cela donnerait aux travailleurs plus grande opportunité d'épargner, et par suite de se constituer un patrimoine. On ne voit pas alors comment pourrait être contesté le caractère naturel d'un droit qui trouve sa source principale et son aliment perpétuel dans la fécondité du travail; qui constitue un moyen idoine pour l'affirmation de la personne et l'exercice de la responsabilité en tous domaines; qui est élément de stabilité sereine pour la famille, d'expansion pacifique et ordonnée dans l'existence commune.
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Affirmer que le caractère naturel du droit de propriété privée concerne aussi les biens de production ne suffit pas: il faut insister, en outre, pour qu'elle soit effectivement diffusée parmi toutes les classes sociales.
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Comme le déclare Notre Prédécesseur Pie XII "La dignité de la personne humaine exige normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l'usage des biens de la terre; à ce droit correspond l'obligation fondamentale d'accorder une propriété privée autant que possible à tous".(AAS XXXV 1943 17) D'autre part, il faut placer parmi les exigences qui résultent de la noblesse du travail " ... la conservation et le perfectionnement d'un ordre social qui rende possible et assurée, si modeste qu'elle soit, une propriété privée à toutes les classes du peuple" (AAS XXXV, 1943, 20).
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Il faut d'autant plus urger cette diffusion de la propriété en notre époque où, Nous l'avons remarqué, les structures économiques de pays de plus en plus nombreux se développent rapidement. C'est pourquoi, si on recourt avec prudence aux techniques qui ont fait preuve d'efficacité, il ne sera pas difficile de susciter des initiatives, de mettre en branle une politique économique et sociale qui encourage et facilite une plus ample accession à la propriété privée des biens durables: une maison, une terre, un outillage artisanal, l'équipement d'une ferme familiale, quelques actions d'entreprises moyennes ou grandes. Certains pays, économiquement développés et socialement avancés, en ont fait l'heureuse expérience.
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Ce qui vient d'être exposé n'exclut évidemment pas que l'Etat et les établissements publics détiennent, eux aussi, en propriété légitime, des biens de production, et spécialement lorsque ceux-ci "en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées" (Encycl. Quadragesimo Anno Par. 123)
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Notre temps marque une tendance à l'expansion de la propriété publique: Etat et collectivités. Le fait s'explique par les attributions plus étendues que le bien commun confère aux pouvoirs publics. Cependant, il convient, ici encore, de se conformer au principe de subsidiarité sus-énoncé. Aussi bien, l'Etat et les établissements de droit public ne doivent étendre leur domaine que dans les limites évidemment exigées par des raisons de bien commun, nullement à seule fin de réduire, pire encore, de supprimer la propriété privée.
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Il convient de retenir que les initiatives d'ordre économique, qui appartiennent à l'Etat ou aux établissements publics, doivent être confiées à des personnes qui unissent à une compétence éprouvée un sens aigu de leur responsabilité devant le pays. De plus, leur activité doit être objet d'un contrôle attentif et constant, ne serait-ce que pour éviter la formation, au sein de l'Etat, de noyaux de puissance économique au préjudice du bien de la communauté, qui est pourtant leur raison d'être.
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Voici un autre point de doctrine, constamment enseigné par Nos Prédécesseurs: au droit de propriété est intrinsèquement rattachée une fonction sociale. Dans les plans du Créateur, en effet, les biens de la terre sont avant tout destinés à la subsistance décente de tous les hommes, comme l'enseigne avec sagesse Notre Prédécesseur Léon XIII dans l'encyclique Rerum novarum: "Quiconque a reçu de la divine bonté une plus grande abondance, soit des biens externes et du corps, soit des biens de l'âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son propre perfectionnement, et tout ensemble, comme ministre de la Providence, au soulagement des autres. C'est pourquoi quelqu'un a-t-il le don de la parole, qu'il prenne garde de se taire; une surabondance de biens, qu'il ne laisse pas la miséricorde s'engourdir au fond de son coeur; l'art de gouverner, qu'il s'applique avec soin à en partager avec son frère et l'exercice et les fruits" (Rerum novarum Par. 19).
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De nos jours, l'Etat et les établissements publics ne cessent d'étendre le domaine de leur initiative. La fonction sociale de la propriété privée n'en est pas pour autant désuète, comme certains auraient tendance à le croire par erreur: elle a sa racine dans la nature même du droit de propriété. Il y a toujours une multitude de situations douloureuses, d'indigences lancinantes et délicates, auxquelles l'assistance publique ne saurait atteindre ni porter remède. C'est pourquoi un vaste champ reste ouvert à la sensibilité humaine, à la charité chrétienne et privée. Notons, enfin, que souvent les initiatives variées des individus et des groupes ont plus d'efficacité que les pouvoirs publics pour susciter les valeurs spirituelles.
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Il Nous est agréable de rappeler ici comment l'Evangile reconnaît fondé le droit de propriété privée. Mais, en même temps, le Divin Maître adresse fréquemment aux riches de pressants appels, afin qu'ils convertissent leurs biens temporels en biens spirituels que le voleur ne prend pas, que la mite ou la rouille ne rongent pas, qui s'accumulent dans les greniers du Père céleste: "Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs perforent et cambriolent" Mt 6,19-20. Et le Seigneur tiendra pour faite ou refusée à lui-même l'aumône faite ou refusée au pauvre: "En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" Mt 25,40
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Le déroulement de l'histoire met en plus grand relief les exigences de la justice et de l'équité. Elles n'interviennent pas seulement dans les relations entre ouvriers et entreprises ou direction. Elles concernent encore les rapports entre les divers secteurs économiques, entre zones développées et zones déprimées à l'intérieur de l'économie nationale, et, sur le plan mondial, elles intéressent les relations entre pays diversement développés en matière économique et sociale.
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A l'échelle mondiale, il ne semble pas, en chiffres absolus, que la population rurale ait diminué. On ne saurait toutefois contester un exode des populations rurales vers les agglomérations et les centres urbains. Il se constate en presque tous les pays; il prend parfois des proportions massives; il pose des problèmes complexes, difficiles à résoudre.
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C'est un fait connu: à mesure qu'une économie se développe, se résorbe la main-d'oeuvre employée en agriculture, croît le pourcentage de main-d'oeuvre occupée par l'industrie et les services. Nous estimons toutefois que l'exode de populations du secteur agricole vers les autres secteurs productifs n'est pas provoqué seulement par le développement économique. Souvent aussi il est dû à de multiples raisons, où nous rencontrons l'angoisse d'échapper à un milieu fermé et sans avenir; la soif de nouveauté et d'aventure qui étreint la génération présente; l'attrait d'une fortune rapide; le mirage d'une vie plus libre, avec la jouissance de facilités qu'offrent les agglomérations urbaines. Il est à noter cependant - et cela ne fait aucun doute - que cet exode est aussi provoqué par ce fait que le secteur agricole, à peu près partout, est un secteur déprimé: qu'il s'agisse de l'indice de productivité, de la main- d'oeuvre, ou du niveau de vie des populations rurales.
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D'où un problème de fond qui se pose à tous les Etats: Comment faire pour comprimer le déséquilibre de la productivité entre secteur agricole d'une part, secteur industriel et des services d'autre part; pour que le niveau de vie des populations rurales s'écarte le moins possible du niveau de vie des citadins; pour que les agriculteurs n'aient pas un complexe d'infériorité; qu'ils soient convaincus au contraire que, dans le milieu rural aussi, ils peuvent développer leur personnalité par leur travail et considérer l'avenir avec confiance ?
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C'est pourquoi il Nous paraît à propos d'indiquer quelques directives qui pourront contribuer à résoudre le problème. Elles valent, pensons-Nous, quelle que soit la donnée historique, à cette condition évidente d'être appliquées dans la manière et la mesure que le milieu permet.
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En premier lieu, chacun doit s'employer, et d'abord les pouvoirs publics, à ce que les milieux ruraux disposent, comme il convient, des services essentiels: routes, transports, communications, eau potable, logement, soins médicaux, instruction élémentaire et formation professionnelle, service religieux, loisirs; et tout ce que requiert la maison rurale pour son ameublement et sa modernisation. Que de tels services, qui de nos jours constituent les éléments essentiels d'un niveau de vie décent, viennent à manquer dans les milieux ruraux, le développement économique et le progrès social y deviennent quasi impossibles ou trop lents. Il en résulte que l'exode des populations rurales devient à peu près irrésistible et difficilement contrôlable.
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