2001 Novo millenio ineunte 35

L'Eucharistie dominicale

35 La plus grande attention doit donc être portée à la liturgie, « le sommet vers lequel tend l'action de l'Église et en même temps la source d'où découle toute sa force».19 Au vingtième siècle, spécialement à partir du Concile, la communauté chrétienne a beaucoup grandi dans sa façon de célébrer les sacrements, surtout l'Eucharistie. Il faut persévérer dans cette direction, en donnant une importance particulière à l'Eucharistie dominicale et au dimanche lui-même, entendu comme un jour particulier de la foi, jour du Seigneur ressuscité et du don de l'Esprit, vraie Pâque hebdomadaire.20 Depuis deux mille ans, le temps chrétien est scandé par la mémoire de ce « premier jour après le sabbat» (cf. Mc 16,2 Mc 9 Lc 24,1 Jn 20,1) , où le Christ ressuscité fit aux Apôtres le don de la paix et de l'Esprit (cf. Jn 20,19-23) . La vérité de la résurrection du Christ est le donné originel sur lequel s'appuie la foi chrétienne (cf. 1Co 15,14) , événement qui se place au centre du mystère du temps et qui préfigure le dernier jour, lorsque le Christ reviendra dans la gloire. Nous ne savons pas quels événements nous réservera le millénaire qui commence, mais nous avons la certitude qu'il demeurera solidement dans les mains du Christ, le « Roi des rois et Seigneur des seigneurs» (Ap 19,16) , et justement en célébrant sa Pâque, non seulement une fois dans l'année, mais chaque dimanche, l'Église continuera à « montrer à chaque génération ce qui constitue l'axe porteur de l'histoire, auquel se rattachent le mystère des origines et celui de la destinée finale du monde».21
19) Conc. oecum. Vat. II, Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 10.
20) Jean-Paul II, Lettre apostolique Dies Domini (31 mai 1998), : AAS 90 (1998), p. 724; La Documentation catholique 95 (1998), p. 663.
21) Ibid., : l.c., p. 714; La Documentation catholique, l.c., p. 658.

36 Je voudrais donc insister, à la suite de la lettre Dies Domini, pour que la participation à l'Eucharistie soit vraiment, pour tout baptisé, le coeur du dimanche. Il y a là un engagement auquel on ne peut renoncer et qu'il faut vivre, non seulement pour obéir à un précepte, mais parce que c'est une nécessité pour une vie chrétienne vraiment consciente et cohérente. Nous entrons dans un millénaire qui s'annonce comme caractérisé par un profond mélange de cultures et de religions, même dans les pays de christianisation ancienne. Dans beaucoup de régions, les chrétiens sont, ou sont en train de devenir, un « petit troupeau» (Lc 12,32) . Cela les met face au défi de témoigner plus fortement des aspects spécifiques de leur identité, et bien souvent dans des conditions de solitude et de difficultés. Le devoir de la participation eucharistique chaque dimanche est l'un de ces aspects. En réunissant chaque semaine les chrétiens comme famille de Dieu autour de la table de la Parole et du Pain de vie, l'Eucharistie dominicale est aussi l'antidote le plus naturel à la dispersion. Elle est le lieu privilégié où la communion est constamment annoncée et entretenue. Précisément par la participation à l'Eucharistie, le jour du Seigneur devient aussi le jour de l'Église,22 qui peut exercer ainsi de manière efficace son rôle de sacrement d'unité.
22) Cf. ibid., : l.c., p. 734; La Documentation catholique, l.c., p. 667.


Le sacrement de la Réconciliation

37 Je viens aussi solliciter un courage pastoral renouvelé pour que la pédagogie quotidienne des communautés chrétiennes sache proposer de manière persuasive et efficace la pratique du sacrement de la Réconciliation. En 1984, vous vous en souvenez, je suis intervenu sur cette question par l'exhortation post-synodale Reconciliatio et pænitentia, qui recueillait les fruits de la réflexion d'une Assemblée du Synode des Évêques consacrée à ce problème. J'invitais alors à réaliser tous les efforts possibles pour faire face à la crise du « sens du péché» que l'on constate dans la culture contemporaine,23 mais plus encore j'invitais à faire redécouvrir le Christ comme mysterium pietatis, celui en qui Dieu nous montre son coeur compatissant et nous réconcilie pleinement avec lui. C'est ce visage du Christ qu'il faut faire redécouvrir aussi à travers le sacrement de la Pénitence, qui est pour un chrétien « la voie ordinaire pour obtenir le pardon et la rémission des péchés graves commis après le baptême».24 Quand le Synode dont je viens de parler aborda ce problème, tous avaient sous les yeux la crise du sacrement, surtout dans certaines régions du monde. Les motifs qui étaient à l'origine de cette crise n'ont pas disparu durant ce bref intervalle de temps. Mais l'Année jubilaire, qui a été particulièrement caractérisée par le recours à la Pénitence sacramentelle, nous a délivré un message encourageant qu'il ne faut pas laisser perdre: si beaucoup de fidèles, et parmi eux notamment de nombreux jeunes, ont accédé avec fruit à ce sacrement, il est probablement nécessaire que les Pasteurs s'arment d'une confiance, d'une créativité et d'une persévérance plus grandes pour le présenter et le remettre en valeur. Nous ne devons pas démissionner, chers Frères dans le sacerdoce, face à des crises temporaires! Les dons du Seigneur - et les sacrements sont parmi les plus précieux d'entre eux - viennent de Celui qui connaît bien le coeur de l'homme, et il est le Seigneur de l'histoire.
23)
RP 18: AAS 77 (1985), p. 224; La Documentation catholique 82 (1985), p. 12.
24) Ibid., RP 31: l.c., p. 258; La Documentation catholique, l.c., p. 22.


Le primat de la grâce

38 Dans la programmation qui nous attend, nous engager avec davantage de confiance dans une pastorale qui donne toute sa place à la prière, personnelle et communautaire, signifie respecter un principe essentiel de la vision chrétienne de la vie: le primat de la grâce. Il y a une tentation qui depuis toujours tend un piège à tout chemin spirituel et à l'action pastorale elle-même: celle de penser que les résultats dépendent de notre capacité de faire et de programmer. Certes, Dieu nous demande une réelle collaboration à sa grâce, et il nous invite donc à investir toutes nos ressources d'intelligence et d'action dans notre service de la cause du Royaume. Mais prenons garde d'oublier que « sans le Christ nous ne pouvons rien faire» (cf. Jn 15,5) .
La prière nous fait vivre justement dans cette vérité. Elle nous rappelle constamment le primat du Christ et, en rapport à lui, le primat de la vie intérieure et de la sainteté. Quand ce principe n'est pas respecté, faut-il s'étonner si les projets pastoraux vont au devant de l'échec et laissent dans le coeur un sentiment décourageant de frustration? Nous faisons alors l'expérience des disciples dans l'épisode évangélique de la pêche miraculeuse: « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre» ( Lc 5,5) . Tel est le moment de la foi, de la prière, du dialogue avec Dieu, qui ouvre le coeur au flot de la grâce et qui permet à la parole du Christ de passer à travers nous avec toute sa force: Duc in altum! Lors de cette pêche, il revint à Pierre de dire les mots de la foi: « Sur ton ordre, je vais jeter les filets» (ibid. Permettez au Successeur de Pierre, au début de ce millénaire, d'inviter toute l'Église à cet acte de foi, qui s'exprime dans un engagement renouvelé de prière.


L'écoute de la Parole

39 Il n'y a pas de doute que ce primat de la sainteté et de la prière n'est concevable qu'à partir d'une écoute renouvelée de la parole de Dieu. Depuis que le Concile Vatican II a souligné le rôle prééminent de la parole de Dieu dans la vie de l'Église, il est certain que de grands pas en avant ont été faits dans l'écoute assidue et dans la lecture attentive de l'Écriture Sainte. L'honneur qu'elle mérite lui est reconnu dans la prière publique de l'Église. Les fidèles et les communautés y recourent désormais dans une large mesure, et parmi les laïcs eux-mêmes, nombreux sont ceux qui s'y consacrent avec l'aide précieuse des études théologiques et bibliques. Et surtout il y a l'évangélisation et la catéchèse qui prennent une nouvelle vigueur précisément lorsqu'on est attentif à la parole de Dieu. Chers Frères et Soeurs, il faut consolider et approfondir cette perspective, en diffusant aussi le livre de la Bible dans les familles. Il est nécessaire, en particulier, que l'écoute de la Parole devienne une rencontre vitale, selon l'antique et toujours actuelle tradition de la lectio divina permettant de puiser dans le texte biblique la parole vivante qui interpelle, qui oriente, qui façonne l'existence.


L'annonce de la Parole

40 Nous nourrir de la Parole, pour que nous soyons des « serviteurs de la Parole» dans notre mission d'évangélisation, c'est assurément une priorité pour l'Église au début du nouveau millénaire. On doit considérer comme désormais dépassée, même dans les pays d'ancienne évangélisation, la situation d'une « société chrétienne», qui, en dépit des nombreuses faiblesses dont l'humain est toujours marqué, se référait explicitement aux valeurs évangéliques. Aujourd'hui, on doit affronter avec courage une situation qui se fait toujours plus diversifiée et plus prenante, dans le contexte de la mondialisation et de la mosaïque nouvelle et changeante de peuples et de cultures qui la caractérise. À maintes reprises, j'ai répété ces dernières années l'appel à la nouvelle évangélisation. Je le reprends maintenant, surtout pour montrer qu'il faut raviver en nous l'élan des origines, en nous laissant pénétrer de l'ardeur de la prédication apostolique qui a suivi la Pentecôte. Nous devons revivre en nous le sentiment enflammé de Paul qui s'exclamait: « Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile!» (1Co 9,16) .
Cette passion ne manquera pas de susciter dans l'Église un nouvel esprit missionnaire, qui ne saurait être réservé à un groupe de « spécialistes» mais qui devra engager la responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu. Celui qui a vraiment rencontré le Christ ne peut le garder pour lui-même, il doit l'annoncer. Il faut un nouvel élan apostolique qui soit vécu comme un engagement quotidien des communautés et des groupes chrétiens. Cela se fera toutefois dans le respect dû au cheminement toujours diversifié de chaque personne et dans l'attention à l'égard des différentes cultures dans lesquelles le message chrétien doit être introduit, de sorte que les valeurs spécifiques de chaque peuple ne soient pas reniées, mais purifiées et portées à leur plénitude.
Le christianisme du troisième millénaire devra répondre toujours mieux à cette exigence d'inculturation. Tout en restant pleinement lui-même, dans l'absolue fidélité à l'annonce évangélique et à la tradition ecclésiale, il revêtira aussi le visage des innombrables cultures et des innombrables peuples où il est accueilli et enraciné. Durant l'Année jubilaire, nous nous sommes particulièrement réjouis de la beauté de ce visage multiforme de l'Église. Ce n'est peut-être qu'un début, une icône à peine ébauchée de l'avenir que l'Esprit de Dieu nous prépare.
La proposition du Christ doit être faite à tous avec confiance. On s'adressera aux adultes, aux familles, aux jeunes, aux enfants, sans jamais cacher les exigences les plus radicales du message évangélique, mais en allant au-devant des exigences de chacun en ce qui concerne la sensibilité et le langage, selon l'exemple de Paul qui affirmait: « Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns» (1Co 9,22) . En faisant ces recommandations, je pense en particulier à la pastorale de la jeunesse. Précisément en ce qui concerne les jeunes, comme je l'ai rappelé plus haut, le Jubilé nous a offert un témoignage de généreuse disponibilité. Nous devons savoir valoriser cette réponse réconfortante, en investissant cet enthousiasme comme un nouveau talent (cf. Mt 25,15) que le Seigneur a mis entre nos mains pour que nous le fassions fructifier.

41 Puissions-nous être soutenus et orientés, dans cet esprit missionnaire confiant, entreprenant et créatif, par l'exemple lumineux de nombreux témoins de la foi que le Jubilé nous a fait évoquer! L'Église a toujours trouvé dans ses martyrs une semence de vie. Sanguis martyrum - semen christianorum:25 cette « loi» célèbre énoncée par Tertullien s'est toujours avérée à l'épreuve de l'histoire. N'en sera-t-il pas de même pour le siècle, pour le millénaire, que nous commençons? Nous étions peut-être trop habitués à penser aux martyrs d'une manière un peu lointaine, comme s'il s'agissait d'une catégorie du passé, liée surtout aux premiers siècles de l'ère chrétienne. La mémoire jubilaire nous a ouvert un spectacle surprenant, nous montrant que notre temps est particulièrement riche de témoins qui, d'une manière ou d'une autre, ont su vivre l'Évangile dans des situations d'hostilité et de persécution, souvent jusqu'à donner le témoignage suprême du sang. En eux, la parole de Dieu, semée en bonne terre, a produit le centuple (cf. Mt 13,3-23) . Par leur exemple, ils nous ont montré et comme « aplani» la route de l'avenir. Il ne nous reste plus qu'à marcher sur leurs traces, avec la grâce de Dieu.
25) Tertullien, Apologie, 50, 13: PL 1, 534.



IV TÉMOINS DE L'AMOUR

42 « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres» ( Jn 13,35) . Si nous avons vraiment contemplé le visage du Christ, chers Frères et Soeurs, nos programmes pastoraux ne pourront pas ne pas s'inspirer du « commandement nouveau» qu'il nous a donné: « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres» (Jn 13,34) .
C'est l'autre grand domaine pour lequel il faudra manifester et programmer un engagement résolu, au niveau de l'Église universelle et des Églises particulières: celui de la communion (koinonia), qui incarne et manifeste l'essence même du mystère de l'Église. La communion est le fruit et la manifestation de l'amour qui, jaillissant du coeur du Père éternel, se déverse en nous par l'Esprit que Jésus nous donne (cf. Rm 5,5) , pour faire de nous tous « un seul coeur et une seule âme» (Ac 4,32) . C'est en réalisant cette communion d'amour que l'Église se manifeste comme « sacrement», c'est-à-dire comme « le signe et l'instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain».26
Les paroles du Seigneur à ce sujet sont trop précises pour que l'on puisse en réduire la portée. Beaucoup de choses, même dans le nouveau siècle, seront nécessaires pour le cheminement historique de l'Église; mais si la charité (l'agapè), fait défaut, tout sera inutile. C'est l'Apôtre Paul lui-même qui le rappelle dans l'hymne à la charité: nous aurions beau parler les langues des hommes et des anges et avoir une foi « à déplacer les montagnes», s'il nous manquait la charité, tout cela serait « rien» (cf. 1Co 13,2) . La charité est vraiment le « coeur» de l'Église, comme l'avait bien pressenti sainte Thérèse de Lisieux, que j'ai voulu proclamer Docteur de l'Église justement comme experte en scientia amoris: « Je compris que l'Église avait un coeur, et que ce coeur était brûlant d'amour. Je compris que l'Amour seul faisait agir les membres de l'Église (...). Je compris que l'Amour renfermait toutes les vocations, que l'Amour était tout».27
26) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 1.
27) Ms B 3,2 vo: Thérèse de Lisieux, Oeuvres complètes, Paris 1996, p. 226.


Une spiritualité de communion

43 Faire de l'Église la maison et l'école de la communion: tel est le grand défi qui se présente à nous dans le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre aussi aux attentes profondes du monde.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Ici aussi le discours pourrait se faire immédiatement opérationnel, mais ce serait une erreur de s'en tenir à une telle attitude. Avant de programmer des initiatives concrètes, il faut promouvoir une spiritualité de la communion, en la faisant ressortir comme principe éducatif partout où sont formés l'homme et le chrétien, où sont éduqués les ministres de l'autel, les personnes consacrées, les agents pastoraux, où se construisent les familles et les communautés. Une spiritualité de la communion consiste avant tout en un regard du coeur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés. Une spiritualité de la communion, cela veut dire la capacité d'être attentif, dans l'unité profonde du Corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme « l'un des nôtres», pour savoir partager ses joies et ses souffrances, pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde. Une spiritualité de la communion est aussi la capacité de voir surtout ce qu'il y a de positif dans l'autre, pour l'accueillir et le valoriser comme un don de Dieu: un « don pour moi», et pas seulement pour le frère qui l'a directement reçu. Une spiritualité de la communion, c'est enfin savoir « donner une place» à son frère, en portant « les fardeaux les uns des autres» (
Ga 6,2) et en repoussant les tentations égoïstes qui continuellement nous tendent des pièges et qui provoquent compétition, carriérisme, défiance, jalousies. Ne nous faisons pas d'illusions: sans ce cheminement spirituel, les moyens extérieurs de la communion serviraient à bien peu de chose. Ils deviendraient des façades sans âme, des masques de communion plus que ses expressions et ses chemins de croissance.

44 Sur cette base, le nouveau siècle devra nous voir engagés plus que jamais à valoriser et à développer les domaines et les moyens qui, selon les grandes orientations du Concile Vatican II, servent à assurer et à garantir la communion. Comment ne pas penser, avant tout, à ces services spécifiques de la communion que sont le ministère pétrinien et, en étroite relation avec lui, la collégialité épiscopale? Il s'agit de réalités qui ont leur fondement et leur consistance dans le dessein même du Christ sur l'Église,28 mais qui, en raison de cela, ont continuellement besoin d'une vérification qui en assure l'authentique inspiration évangélique.
28) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, chap. III.

On a fait beaucoup aussi depuis le Concile Vatican II en ce qui concerne la réforme de la Curie romaine, l'organisation des Synodes, le fonctionnement des Conférences épiscopales. Mais il reste certainement beaucoup à faire pour exprimer au mieux les potentialités de ces instruments de la communion, particulièrement nécessaires aujourd'hui où il est indispensable de répondre avec rapidité et efficacité aux problèmes que l'Église doit affronter au milieu des changements si rapides de notre temps.

45 Les lieux de la communion doivent être entretenus et étendus jour après jour, à tout niveau, dans le tissu de la vie de chaque Église. La communion doit ici clairement apparaître dans les relations entre les Évêques, les prêtres et les diacres, entre les Pasteurs et le peuple de Dieu tout entier, entre le clergé et les religieux, entre les associations et les mouvements ecclésiaux. Dans ce but, les organismes de participation prévus par le droit canonique, comme les Conseils presbytéraux et pastoraux, doivent toujours être mieux mis en valeur. Ceux-ci, comme on le sait, ne s'inspirent pas des critères de la démocratie parlementaire, car ils agissent par voie consultative et non délibérative;29 toutefois, ils ne perdent pas leur signification ni leur importance à cause de cela. En effet, la théologie et la spiritualité de la communion inspirent une écoute réciproque et efficace entre les Pasteurs et les fidèles, les tenant unis a priori dans tout ce qui est essentiel, et les poussant, d'autre part, même dans ce qui est discutable, à parvenir normalement à une convergence en vue de choix réfléchis et partagés.
Dans ce but, il faut faire nôtre la sagesse antique qui, sans porter aucun préjudice au rôle d'autorité des Pasteurs, savait les encourager à la plus grande écoute de tout le peuple de Dieu. Ce que saint Benoît rappelle à l'Abbé du monastère, en l'invitant à consulter aussi les plus jeunes, est significatif: « Souvent le Seigneur inspire à un plus jeune un avis meilleur».30 Et saint Paulin de Nole exhorte: « Soyons suspendus à la bouche de tous les fidèles, car dans tous les fidèles souffle l'Esprit de Dieu».31
Si donc la sagesse juridique, en posant des règles précises à la participation, manifeste la structure hiérarchique de l'Église et repousse les tentations d'arbitraire et de prétentions injustifiées, la spiritualité de la communion donne une âme aux éléments institutionnels en proposant la confiance et l'ouverture pour répondre pleinement à la dignité et à la responsabilité de chaque membre du peuple de Dieu.
29) Cf. Congr. pour le Clergé et autres, Instruction interdicastérielle sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres Ecclesiæ de mysterio (15 août 1997): AAS 89 (1997), pp. 852-877, spécialement art. 5: « Les organismes de collaboration dans l'Église particulière»; La Documentation catholique, 94 (1997), pp. 1009-1020.
30) Règle III, 3: « Ideo autem omnes ad consilium vocari diximus, quia sæpe iuniori Dominus revelat quod melius est».
31) « De omnium fidelium ore pendeamus, quia in omnem fidelem Spiritus Dei spirat»: Lettre 23, 36 à Sulpice Sévère: CSEL 29, 193.


La variété des vocations

46 Cette perspective de communion est étroitement liée à la capacité de la communauté chrétienne de donner une place à tous les dons de l'Esprit. L'unité de l'Église n'est pas uniformité, mais intégration organique des légitimes diversités. C'est la réalité des nombreux membres réunis en un seul corps, l'unique Corps du Christ (cf. 1Co 12,12). Il est donc nécessaire que l'Église du troisième millénaire stimule tous les baptisés et les confirmés à prendre conscience de leur responsabilité active dans la vie ecclésiale. À côté du ministère ordonné, d'autres ministères, institués ou simplement reconnus, peuvent fleurir au bénéfice de toute la communauté, la soutenant dans ses multiples besoins: de la catéchèse à l'animation liturgique, de l'éducation des jeunes aux expressions les plus diverses de la charité.
À n'en pas douter, il faut réaliser un généreux effort - surtout par la prière insistante au Maître de la moisson (cf. Mt 9,38) - pour la promotion des vocations au sacerdoce et des vocations à une consécration spéciale. C'est là un problème de grande importance pour la vie de l'Église dans toutes les parties du monde. Et dans certains pays d'ancienne évangélisation, il est devenu réellement dramatique en raison des mutations du contexte social et du dessèchement religieux qui découle du consumérisme et du sécularisme. Il est nécessaire et urgent de mettre en oeuvre une pastorale des vocations largement diffusée, qui atteigne les paroisses, les lieux éducatifs, les familles, suscitant une réflexion plus attentive sur les valeurs essentielles de la vie, qui trouvent leur aboutissement dans la réponse que chacun est invité à donner à l'appel de Dieu, spécialement quand cet appel invite au don total de soi et de ses énergies pour la cause du Royaume.
Dans ce contexte, toutes les autres vocations, enracinées en définitive dans la richesse de la vie nouvelle reçue dans le sacrement du Baptême, prennent aussi leur propre relief. En particulier, il faudra découvrir toujours mieux la vocation qui est propre aux laïcs, appelés comme tels à « chercher le Royaume de Dieu en gérant les affaires temporelles et en les ordonnant selon Dieu»,32 et aussi à assumer « leur part de la mission (...) dans l'Église et dans le monde (...) par leurs activités en vue d'assurer l'évangélisation et la sanctification des hommes».33
Dans cette même ligne, le devoir de promouvoir les divers types d'association revêt une grande importance pour la communion, que ce soient les formes plus traditionnelles ou celles plus nouvelles des mouvements ecclésiaux; ces formes continuent à donner à l'Église une vivacité qui est un don de Dieu et qui constitue un authentique « printemps de l'Esprit». Il faut bien sûr que les associations et les mouvements, aussi bien dans l'Église universelle que dans les Églises particulières, oeuvrent dans en pleine harmonie ecclésiale et en obéissance aux directives émanant de l'autorité des Pasteurs. Mais l'avertissement de l'Apôtre, exigeant et péremptoire, s'adresse aussi à tous: « N'éteignez pas l'Esprit, ne repoussez pas les prophètes, mais discernez la valeur de toute chose. Ce qui est bien, gardez-le» (1Th 5,19-21) .
32) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 31.
33) Conc. oecum. Vat. II, Décret sur l'apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. 2.


47 Une attention spéciale doit être portée à la pastorale de la famille, d'autant plus nécessaire dans un moment historique comme le nôtre, où l'on enregistre une crise diffuse et radicale de cette institution fondamentale. Dans la vision chrétienne du mariage, la relation entre un homme et une femme - relation réciproque et totale, unique et indissoluble - répond au dessein originel de Dieu, qui s'est obscurci dans l'histoire par la « dureté du coeur», mais que le Christ est venu restaurer dans sa splendeur originelle, en révélant ce que Dieu a voulu depuis « le commencement» (Mt 19,8) . Dans le mariage, élevé à la dignité de sacrement, est aussi exprimé le « grand mystère» de l'amour sponsal du Christ pour son Église (cf. Ep 5,32) .
Sur ce point, l'Église ne peut céder aux pressions d'une certaine culture, même si celle-ci est répandue et parfois militante. Il faut plutôt faire en sorte que, par une éducation évangélique toujours plus complète, les familles chrétiennes donnent un exemple convaincant de la possibilité d'un mariage vécu de manière pleinement conforme au dessein de Dieu et aux vraies exigences de la personne humaine: de la personne des conjoints et surtout de celle, plus fragile, des enfants. Les familles elles-mêmes doivent être toujours plus conscientes de l'attention due à leurs enfants et se faire les sujets actifs d'une présence ecclésiale et sociale efficace pour la sauvegarde de leurs droits.


L'engagement oecuménique

48 Et que dire de l'urgence de promouvoir la communion dans le domaine délicat de l'engagement oecuménique? Malheureusement, le triste héritage du passé nous suit encore au-delà du seuil du nouveau millénaire. La célébration jubilaire a enregistré quelques signaux réellement prophétiques et émouvants, mais un long chemin reste encore à parcourir.
En réalité, parce qu'il nous a permis de fixer notre regard sur le Christ, le grand Jubilé nous a fait prendre une conscience plus vive de l'Église comme mystère d'unité. « Je crois en l'Église une»: ce que nous exprimons dans la profession de foi a son fondement ultime dans le Christ, en qui l'Église n'est pas divisée (cf.
1Co 1,11-13) . Étant son Corps, dans l'unité qui vient du don de l'Esprit, elle est indivisible. La réalité des divisions se déploie sur le terrain de l'histoire, dans les relations entre les fils de l'Église; c'est une conséquence de la fragilité humaine dans la façon d'accueillir le don qui provient continuellement du Christ-Tête dans son Corps mystique. La prière de Jésus au Cénacle - « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi» (Jn 17,21) - est en même temps révélation et invocation. Elle nous révèle l'unité du Christ avec son Père, qui est la source de l'unité de l'Église et le don permanent qu'elle recevra mystérieusement en lui jusqu'à la fin des temps. Cette unité, qui ne manque pas de se réaliser concrètement dans l'Église catholique, malgré les limites propres à l'humain, agit aussi à des degrés divers dans les nombreux éléments de sanctification et de vérité qui se trouvent au sein des autres Églises et Communautés ecclésiales; ces éléments, en tant que dons propres de l'Église du Christ, les poussent sans cesse vers sa pleine unité.34
34) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 8.

La prière du Christ nous rappelle qu'il est nécessaire d'accueillir ce don et de le développer de manière toujours plus profonde. L'invocation « ut unum sint» est à la fois un impératif qui nous oblige, une force qui nous soutient, un reproche salutaire face à nos paresses et à nos étroitesses de coeur. C'est sur la prière de Jésus, et non sur nos capacités, que s'appuie notre confiance de pouvoir atteindre aussi dans l'histoire la communion pleine et visible de tous les chrétiens.
Dans cette perspective d'un chemin post-jubilaire renouvelé, je me tourne avec une grande espérance vers les Églises de l'Orient, souhaitant que l'échange de dons qui a enrichi l'Église du premier millénaire reprenne en plénitude. Puisse le souvenir du temps où l'Église respirait avec « deux poumons» pousser les chrétiens d'Orient et d'Occident à marcher ensemble, dans l'unité de la foi et dans le respect des légitimes diversités, en s'accueillant et en se soutenant mutuellement comme membres de l'unique Corps du Christ.
C'est avec un engagement analogue que doit être entretenu le dialogue oecuménique avec les frères et les soeurs de la Communion anglicane et des Communautés ecclésiales nées de la Réforme. La confrontation théologique sur des points essentiels de la foi et de la morale chrétienne, la collaboration dans la charité et surtout le grand oecuménisme de la sainteté, ne pourront pas à l'avenir, avec l'aide de Dieu, ne pas produire leurs fruits. Poursuivons donc avec confiance notre route, aspirant au moment où, avec tous les disciples du Christ, sans exception, nous pourrons chanter ensemble à pleine voix: « Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble» (Ps 133,1) .


Le pari de la charité

49 À partir de la communion intra-ecclésiale, la charité s'ouvre par nature au service universel, nous lançant dans l'engagement d'un amour actif et concret envers tout être humain. C'est un domaine qui qualifie de manière tout aussi décisive la vie chrétienne, le style ecclésial et les programmes pastoraux. Le siècle et le millénaire qui commencent devront encore voir, et il est même souhaitable qu'ils le voient avec une plus grande force, à quel degré de dévouement peut parvenir la charité envers les plus pauvres. Si nous sommes vraiment repartis de la contemplation du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s'identifier: « J'avais faim, et vous m'avez donné à manger; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli; j'étais nu, et vous m'avez habillé; j'étais malade et vous m'avez visité; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi» (Mt 25,35-36) . Cette page n'est pas une simple invitation à la charité; c'est une page de christologie qui projette un rayon de lumière sur le mystère du Christ. C'est sur cette page, tout autant que sur la question de son orthodoxie, que l'Église mesure sa fidélité d'Épouse du Christ.
On ne doit certes pas oublier que personne ne peut être exclu de notre amour, à partir du moment où, « par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni à tout homme».35 Mais en en restant aux paroles non équivoques de l'Évangile, dans la personne des pauvres il y a une présence spéciale du Fils de Dieu qui impose à l'Église une option préférentielle pour eux. Par une telle option, on témoigne du style de l'amour de Dieu, de sa providence, de sa miséricorde, et d'une certaine manière on sème encore dans l'histoire les semences du Règne de Dieu que Jésus lui-même y a déposées au cours de sa vie terrestre en allant à la rencontre de ceux qui recouraient à lui pour tous leurs besoins spirituels et matériels.
35) Conc. oecum. Vat. II, Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 22.


50 En effet, à notre époque, nombreux sont les besoins qui interpellent la sensibilité chrétienne. Notre monde entre dans le nouveau millénaire chargé des contradictions d'une croissance économique, culturelle, technologique, qui offre de grandes possibilités à quelques privilégiés, laissant des millions et des millions de personnes non seulement en marge du progrès, mais aux prises avec des conditions de vie bien inférieures au minimum qui leur est dû en raison de leur dignité humaine. Est-il possible que dans notre temps il y ait encore des personnes qui meurent de faim, qui restent condamnées à l'analphabétisme, qui manquent des soins médicaux les plus élémentaires, qui n'aient pas de maison où s'abriter?
Le tableau de la pauvreté peut être étendu indéfiniment, si nous ajoutons les nouvelles pauvretés aux anciennes, nouvelles pauvretés que l'on rencontre souvent dans des secteurs et des catégories non dépourvus de ressources économiques, mais exposés à la désespérance du non-sens, au piège de la drogue, à la solitude du grand âge ou de la maladie, à la mise à l'écart ou à la discrimination sociale. Les chrétiens qui regardent ce tableau doivent apprendre à faire un acte de foi dans le Christ et à déchiffrer l'appel qu'il lance à partir de ce monde de la pauvreté. Il s'agit de poursuivre une tradition de charité qui a déjà revêtu de multiples expressions au cours des deux millénaires passés, mais qui aujourd'hui requiert sans doute encore une plus grande inventivité. C'est l'heure d'une nouvelle « imagination de la charité», qui se déploierait non seulement à travers les secours prodigués avec efficacité, mais aussi dans la capacité de se faire proche, d'être solidaire de ceux qui souffrent, de manière que le geste d'aide soit ressenti non comme une aumône humiliante, mais comme un partage fraternel.
Pour cela, nous devons faire en sorte que, dans toutes les communautés chrétiennes, les pauvres se sentent « chez eux». Ce style ne serait-il pas la présentation la plus grande et la plus efficace de la bonne nouvelle du Royaume? Sans cette forme d'évangélisation, accomplie au moyen de la charité et du témoignage de la pauvreté chrétienne, l'annonce de l'Évangile, qui demeure la première des charités, risque d'être incomprise ou de se noyer dans un flot de paroles auquel la société actuelle de la communication nous expose quotidiennement. La charité des oeuvres donne une force incomparable à la charité des mots.



2001 Novo millenio ineunte 35