1992 Pastores Dabo Vobis 18


CHAPITRE III

L'ESPRIT DU SEIGNEUR EST SUR MOI


La vie spirituelle du prêtre


Un appel "spécifique" à la sainteté

19
"L'Esprit du Seigneur est sur moi" (
Lc 4,18). L'Esprit ne se tient pas seulement "sur" le Messie, mais il le remplit, le pénètre, le rejoint dans son être et dans son action. L'Esprit, en effet, est le principe de la "consécration" et de la "mission" du Messie: "Parce qu'il m'a consacré par l'onction et m'a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres." (Lc 4,18). Par la force de l'Esprit, Jésus appartient totalement et exclusivement à Dieu, il participe à l'infinie sainteté de Dieu qui l'appelle, le choisit et l'envoie. Ainsi, l'Esprit du Seigneur se révèle source de sainteté et appel à la sanctification.

Ce même "Esprit du Seigneur" est "sur" le peuple de Dieu tout entier, qui est constitué comme peuple "consacré" à Dieu et "envoyé" par Dieu pour annoncer l'Evangile qui sauve. De l'Esprit, les membres du peuple de Dieu sont "enivrés" et "marqués" (cf. 1Co 12,13 2Co 1,21-22 Ep 1,13 Ep 4,30) et appelés à la sainteté.

En particulier, l'Esprit nous révèle et nous communique la vocation fondamentale que le Père depuis l'éternité adresse à tous: la vocation d'être "saints et immaculés en sa présence dans l'amour", en vertu de la prédestination "à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ" (Ep 1,4-5). Non seulement il nous révèle et nous communique cette vocation, mais l'Esprit se fait en nous principe et source de sa réalisation: lui, l'Esprit du Fils (cf. Ga 4,6) , nous conforme au Christ Jésus et nous rend participants de sa vie filiale, c'est-à-dire de sa charité envers le Père et envers ses frères. "Puisque l'Esprit est notre vie, que l'Esprit nous fasse aussi agir" (Ga 5,25). Par ces paroles, l'Apôtre Paul nous rappelle que l'existence chrétienne est "vie spirituelle", c'est-à-dire vie animée et guidée par l'Esprit vers la sainteté et la perfection de la charité.

L'affirmation du Concile: "L'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s'adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur forme de vie"(40) s'applique tout spécialement aux prêtres: ils sont appelés, non seulement en tant que baptisés, mais aussi et spécifiquement en tant que prêtres, à savoir à un titre nouveau et selon des modalités propres, découlant du sacrement de l'Ordre.

40- LG 40


20 Au sujet de la "vie spirituelle" des prêtres, et du don de la sainteté et de la responsabilité de devenir "saints", le décret conciliaire sur le ministère et la vie des prêtres nous offre une synthèse riche et stimulante: " Les prêtres sont ministres du Christ Tête pour construire et édifier son Corps tout entier, l'Eglise, comme coopérateurs de l'Ordre épiscopal: c'est à ce titre que le sacrement de l'Ordre les configure au Christ Prêtre. Certes, par la consécration baptismale, ils ont déjà reçu, comme tous les chrétiens, le signe et le don d'une vocation et d'une grâce qui comporte pour eux la possibilité et l'exigence de tendre, malgré la faiblesse humaine, à la perfection dont parle le Seigneur: "Vous, donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5,48). Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l'acquérir à un titre particulier: en recevant l'Ordre, ils ont été consacrés à Dieu d'une manière nouvelle pour être les instruments vivants du Christ Prêtre éternel, habilités à poursuivre au long du temps l'action admirable par laquelle, dans sa puissance souveraine, il a restauré la communauté humaine tout entière. Dès lors qu'il tient à sa manière la place du Christ en personne, tout prêtre est, de ce fait, doté d'une grâce particulière; cette grâce lui permet de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu'il représente; c'est encore au moyen de cette grâce que sa faiblesse d'homme charnel se trouve guérie par la sainteté de Celui qui est devenu pour nous le Grand Prêtre "saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs" (He 7,26) ".(41)

41- PO 12


Le concile affirme avant tout la vocation "commune" à la sainteté. Cette vocation s'enracine dans le baptême, qui définit le prêtre comme un "fidèle" (Christifidelis) , comme "un frère parmi des frères", inséré et uni au peuple de Dieu, dans la joie de partager les dons du salut (cf. Ep 4,4-6) et dans le devoir commun de marcher "selon l'Esprit", à la suite de l'unique Maître et Seigneur. Souvenons-nous de la célèbre parole de saint Augustin: "Pour vous, je suis évêque; avec vous, je suis chrétien. Le premier nom est celui d'un office reçu; le second, de la grâce; le premier nom est celui d'un danger; le second, du salut".(42)

42- Sermo 340,1 : PL 38,1483.


Avec la même clarté, le texte conciliaire parle aussi d'une vocation "spécifique" à la sainteté, plus précisément d'une vocation qui se fonde sur le sacrement de l'Ordre, comme sacrement propre du prêtre, donc en raison d'une nouvelle consécration à Dieu au moyen de l'ordination. A cette vocation spécifique, saint Augustin fait allusion également en faisant suivre l'affirmation "Pour vous, je suis évêque; avec vous, je suis chrétien", de ces autres paroles: "Si donc être avec vous comme racheté m'apporte plus de joie que d'être placé à votre tête, en suivant le commandement du Seigneur, je tâcherai de vous servir, avec le plus grand dévouement, pour ne pas être ingrat envers celui qui m'a racheté au prix de m'avoir fait votre serviteur".(43)

43- Sermo 340,1.


Le texte du Concile continue en signalant quelques éléments nécessaires pour définir le contenu spécifique de la vie spirituelle des prêtres. Ces éléments sont liés à la "consécration" propre aux prêtres qui les configure à Jésus Christ Tête et Pasteur de l'Eglise. Ils sont liés à la "mission" ou au ministère particulier des prêtres eux-mêmes, qui les habilitent et les engagent à être des "instruments vivants du Christ Prêtre éternel" et à agir "au nom et en la personne du Christ lui-même"; ils sont aussi liés à toute leur "vie", devant manifester et témoigner d'une façon originale le "radicalisme évangélique".(44)

44- Cf. Proposition 8.


La configuration à Jésus Christ Tête et Pasteur

et la charité pastorale

21
Par la consécration sacramentelle, le prêtre est configuré à Jésus Christ en tant que Tête et Pasteur de l'Eglise et reçoit le don d'un "pouvoir spirituel" qui est participation à l'autorité avec laquelle Jésus Christ, par son Esprit, guide l'Eglise.(45)
Grâce à cette consécration, opérée par l'effusion de l'Esprit dans le sacrement de l'Ordre, la vie spirituelle du prêtre est empreinte, modelée, et marquée par les comportements qui sont propres au Christ Tête et Pasteur de l'Eglise et qui se résument dans sa charité pastorale.

45-
PO 2 PO 12


Jésus Christ est Tête de l'Eglise, son Corps. Il est "Tête" dans le sens nouveau et original d'être "serviteur", selon ses paroles mêmes: "Aussi bien, le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude" (Mc 10,45). Le service de Jésus atteint sa plénitude par la mort sur la croix, c'est-à-dire par le don total de soi dans l'humilité et l'amour: "Il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix." ( Ph 2,7-8). L'autorité de Jésus Christ Tête coïncide donc avec son service, avec le don total de lui-même, humble et plein d'amour, à l'Eglise. Et cela, en parfaite obéissance au Père : il est l'unique vrai Serviteur souffrant du Seigneur, en même temps Prêtre et Victime.

La vie spirituelle de tout prêtre doit être animée et vivifiée par ce type précis d'autorité ou de service envers l'Eglise, précisément comme exigence de sa configuration à Jésus Christ Tête et serviteur de l'Eglise(46). C'est ainsi que saint Augustin s'adressait à un évêque le jour de son ordination: "Celui qui est à la tête du peuple doit avant tout se rendre compte qu'il est le serviteur de beaucoup. Et qu'il ne dédaigne pas de l'être, je le répète, qu'il ne dédaigne pas d'être serviteur de beaucoup parce que le Seigneur des seigneurs n'a pas dédaigné de se faire notre serviteur".(47)

46- Cf. Proposition 8.
47- Sermo Morin Guelferbytanus, 32,1 : PLS 2,637.


La vie spirituelle des ministres du Nouveau Testament devra donc être empreinte de cette attitude primordiale de service à l'égard du peuple de Dieu (cf. Mt 20,24-28 Mc 10,43-44) , et exempte de toute présomption et de tout désir "de faire le seigneur" sur le troupeau qui leur est confié (cf. 1P 5,2-3). Un service accompli librement et de bon coeur, pour Dieu: de cette façon, les ministres - les "anciens" de la communauté, c'est-à-dire les prêtres - pourront être "forme" du troupeau qui, à son tour, est appelé à assumer au regard du monde entier cette même attitude sacerdotale de service pour le plein épanouissement de l'homme et sa libération intégrale.

22 L'image de Jésus Christ Pasteur de l'Eglise, son troupeau, reprend et présente, avec des nuances nouvelles et plus suggestives, les mêmes sens que celle de Jésus Christ Tête et Serviteur. Réalisant l'annonce prophétique du Messie Sauveur, chantée joyeusement par le psalmiste en prière et par le Prophète Ezéchiel (cf. Ps 23 Ez 34,11-16) , Jésus se présente lui-même comme "le Bon Pasteur" (Jn 10,11 Jn 10,14) non seulement d'Israël mais de tous les hommes (cf. Jn 10,16). Et sa vie est une manifestation ininterrompue, et même une réalisation quotidienne de sa "charité pastorale": il éprouve de la compassion pour les foules parce qu'elles sont fatiguées et épuisées, comme des brebis sans pasteur (cf. Mt 9,35-36) ; il cherche celles qui sont perdues et dispersées (cf. Mt 18,12-14) , et il éclate de joie quand il les a retrouvées; il les rassemble et les défend; il les connaît et les appelle une à une (cf. Jn 10,3) ; il les conduit sur des prés d'herbe fraîche et vers des eaux tranquilles (cf. Ps 23) ; pour elles, il prépare la table, les nourrissant de sa propre vie. Le Bon Pasteur offre sa vie, dans sa mort et sa résurrection, comme le chante la liturgie romaine de l'Eglise: "Il est ressuscité, Jésus, le vrai Pasteur, lui qui a donné sa vie pour son troupeau, lui qui a choisi de mourir pour nous sauver, Alleluia".(48)

48- Missel romain, Antienne de la communion du quatrième dimanche de Pâques.


Pierre appelle Jésus le "Chef des pasteurs" (1P 5,4) parce que son oeuvre et sa mission se poursuivent dans l'Eglise, par les Apôtres (cf. Jn 21,15-17) et leurs successeurs (cf. 1P 5,1-4) , par les prêtres. En vertu de leur consécration, les prêtres sont configurés à Jésus le Bon Pasteur et sont appelés à imiter et à revivre sa propre charité pastorale.

Le don que le Christ fait de lui-même à son Eglise, fruit de son amour, prend le sens original du don propre de l'époux envers son épouse, comme le suggèrent plus d'une fois les textes sacrés. Jésus est l'époux véritable, qui offre le vin du salut à l'Eglise (cf. Jn 2,11). Lui, qui est "la Tête de l'Eglise, lui le Sauveur du Corps" (Ep 5,23) , "a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d'eau qu'une parole accompagne; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée" (Ep 5,25-27). L'Eglise est certes le corps dans lequel le Christ Tête est présent et opérant, mais elle est aussi l'Epouse, qui sort comme une nouvelle Eve du côté ouvert du Rédempteur sur la Croix: c'est pourquoi le Christ se tient "devant" l'Eglise, "la nourrit et en prend soin" (cf. Ep 5,29) par le don de sa vie pour elle. Le prêtre est appelé à être l'image vivante de Jésus Christ, Epoux de l'Eglise(49): assurément, il reste toujours dans la communauté dont il fait partie, comme croyant, uni à tous ses frères et ses soeurs rassemblés par l'Esprit; mais, en vertu de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, il se trouve en cette situation sponsale, qui le place en face de la communauté. "En tant qu'il représente le Christ Tête, Pasteur et Epoux de l'Eglise, le prêtre a sa place non seulement dans l'Eglise, mais aussi en face de l'Eglise"(50). C'est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l'amour du Christ époux envers l'Eglise épouse. Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d'être témoin de l'amour sponsal du Christ; ainsi sera-t-il capable d'aimer les gens avec un coeur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une "jalousie" divine (cf. 2Co 11,2) , avec une tendresse qui se pare même des nuances de l'affection maternelle, capable de supporter les "douleurs de l'enfantement" jusqu'à ce que "le Christ soit formé" dans les fidèles (cf. Ga 4,19).

49- MD 26.
50- Proposition 7.


23 Le principe intérieur, la vertu qui anime et guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré au Christ Tête et Pasteur, est la charité pastorale, participation à la charité pastorale du Christ Jésus: don gratuit de l'Esprit Saint, et, en même temps, engagement et appel à une réponse libre et responsable de la part du prêtre.

Le contenu essentiel de la charité pastorale est le don de soi, le don total de soi-même à l'Eglise, à l'image du don du Christ et en partage avec lui. "La charité pastorale est la vertu par laquelle nous imitons le Christ dans son don de soi et dans son service. Ce n'est pas seulement ce que nous faisons, mais c'est le don de nous-mêmes qui manifeste l'amour du Christ pour son troupeau. La charité pastorale détermine notre façon de penser et d'agir, notre mode de relation avec les gens. Cela devient particulièrement exigeant pour nous."(51).

51- Homélie pendant l'adoration eucharistique à Séoul, 7 octobre 1989, n.2 : Insegnamenti XII/2 (1989), p. 785.


Le don de soi, racine et sommet de la charité pastorale, a comme destinataire l'Eglise. Ainsi en a-t-il été du Christ "qui a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle" (
Ep 5,25). Ainsi doit-il en être du prêtre. Avec la charité pastorale qui imprègne l'exercice du ministère sacerdotal, comme un "office d'amour"(52), "le prêtre, qui accueille la vocation au ministère, est en mesure d'en faire un choix d'amour, par lequel l'Eglise et les âmes deviennent son intérêt principal. Vivant concrètement cette spiritualité, il devient capable d'aimer l'Eglise universelle et la partie qui lui en est confiée, avec tout l'élan d'un époux pour son épouse"(53). Le don de soi n'a pas de limites, marqué qu'il est par le même élan apostolique et missionnaire que le Christ, le Bon Pasteur, qui a dit: "J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos; celles-là aussi il faut que je les mène; elles écouteront ma voix; et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur" (Jn 10,16).

52- S. Augustin, In Iohannis Evangelium Tractatus, 123,5 : CCL 36,678.
53- Aux prêtres participant à un congrès promu par la Conférence épiscopale italienne, 4 novembre 1980 : Insegnamenti III/2, 1980, p. 1055.


A l'intérieur de la communauté ecclésiale, la charité pastorale du prêtre demande et exige, d'une façon particulière et spécifique, qu'il soit en rapport personnel avec le presbyterium, en dépendance de l'évêque et avec lui, comme l'écrit explicitement le Concile: "La charité pastorale exige des prêtres, s'ils ne veulent pas courir pour rien, un travail vécu en communion permanente avec les évêques et leurs autres frères dans le sacerdoce"(54).

54- PO 14


Le don de soi à l'Eglise la concerne en tant qu'elle est le corps et l'épouse de Jésus Christ. C'est pourquoi la charité du prêtre se relie d'abord à celle de Jésus Christ. C'est seulement si elle aime et sert le Christ Tête et Epoux que la charité devient source, critère, mesure, impulsion de l'amour et du service du prêtre envers l'Eglise, corps et épouse du Christ. C'est bien ce dont l'Apôtre Paul a une conscience limpide et forte, lui qui écrit aux chrétiens de l'Eglise de Corinthe: "Nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, à cause de Jésus" ( 2Co 4,5). C'est surtout l'enseignement explicite de Jésus qui ne confie à Pierre le ministère de paître son troupeau qu'après un triple témoignage d'amour, et même d'un amour de prédilection: "Il lui dit pour la troisième fois "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?" Pierre. lui dit: "Seigneur tu sais tout ; tu sais bien que je t'aime". Jésus lui dit: "Pais mes brebis"" ( Jn 21,17).

La charité pastorale, qui a sa source spécifique dans le sacrement de l'Ordre, trouve son expression plénière et son aliment principal dans l'Eucharistie: "Cette charité pastorale - lisons-nous dans le Concile - découle surtout du sacrifice eucharistique; celui-ci est donc le centre et la racine de toute la vie du prêtre, dont l'esprit sacerdotal s'efforce d'intérioriser tout ce qui se fait sur l'autel du sacrifice"(55). C'est en effet dans l'Eucharistie qu'est représenté - plus précisément rendu à nouveau présent - le sacrifice de la Croix, le don total du Christ à son Eglise, le don de son corps livré et de son sang répandu, comme témoignage suprême de sa qualité de Tête et Pasteur, Serviteur et Epoux de l'Eglise. C'est précisément pourquoi la charité pastorale du prêtre non seulement naît de l'Eucharistie, mais trouve dans la célébration de celle-ci sa plus haute réalisation. De même, c'est de l'Eucharistie que le prêtre reçoit la grâce et la responsabilité de donner un sens "sacrificiel" à toute son existence.
Cette même charité pastorale constitue le principe intérieur et dynamique capable d'unifier les diverses et multiples activités du prêtre. Grâce à elle, peut se réaliser l'exigence essentielle et permanente d'unité entre la vie intérieure et de nombreux actes et responsabilités du ministère. Or cette exigence est plus que jamais impérieuse dans un contexte socio-culturel et ecclésial fortement marqué par la complexité, la fragmentation et la dispersion. C'est seulement, en rapportant chaque instant et chaque geste au choix fondamental, celui de "donner sa vie pour le troupeau", que l'on peut assurer cette unité vitale, indispensable pour l'harmonie et l'équilibre de la vie spirituelle du prêtre: "Ce qui doit permettre aux prêtres de la construire, c'est de suivre, dans l'exercice du ministère, l'exemple du Christ Seigneur, dont la nourriture était de faire la volonté de celui qui l'a envoyé et d'accomplir son oeuvre. Menant ainsi la vie même du Bon Pasteur, ils trouveront dans l'exercice de la charité pastorale, le lien de la perfection sacerdotale qui ramènera à l'unité leur vie et leur action"(56).

55- PO 14
56- Ibid.


La vie spirituelle dans l'exercice du ministère

24
L'Esprit du Seigneur a consacré le Christ et l'a envoyé annoncer l'Evangile (cf.
Lc 4,18). La mission n'est pas un élément extérieur et parallèle à la consécration, mais elle en constitue le but intrinsèque et vital: la consécration est pour la mission. De cette façon, non seulement la consécration, mais aussi la mission se trouvent sous le signe et la force sanctificatrice de l'Esprit.

Il en a été ainsi de Jésus. Il en a été ainsi des Apôtres et de leurs successeurs. Il en est ainsi de l'Eglise entière et, en elle, des prêtres: tous reçoivent l'Esprit comme appel et comme don de sanctification dans et par l'accomplissement de leur mission(57).

57- EN 75


Il existe donc, entre la vie spirituelle du prêtre et l'exercice de son ministère, un rapport intime(58) que le Concile exprime ainsi: "C'est en exerçant le ministère d'Esprit et de justice (cf. 2Co 3,8-9) , que (les prêtres) s'enracinent dans la vie spirituelle, pourvu qu'ils soient accueillants à l'Esprit du Christ qui leur donne la vie et les conduit. Ce qui ordonne leur vie à la perfection, ce sont leurs actes liturgiques de chaque jour, c'est leur ministère tout entier exercé en communion avec l'évêque et les prêtres. Par ailleurs la sainteté des prêtres est d'un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu'ils accomplissent"(59).

58- Cf. Proposition 8.
59- PO 12


"Vivez ce que vous accomplirez et conformez-vous au mystère de la Croix du Seigneur !" Telle est l'invitation, la monition que l'Eglise adresse aux prêtres dans le rite de l'ordination quand les offrandes du peuple saint pour le sacrifice eucharistique leur sont remises. Le "mystère", dont le prêtre est le "dispensateur" (cf. 1Co 4,1) , c'est, en définitive, Jésus Christ lui-même qui dans l'Esprit, est source de sainteté et appel à la sanctification. Le "mystère" doit être au coeur de la vie quotidienne du prêtre. Il exige donc grande vigilance et vive conscience. C'est encore le rite d'ordination qui fait précéder les paroles citées plus haut de la recommandation: "Prenez bien conscience de ce que vous ferez". Déjà, Paul avertissait l'évêque Timothée: "Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi ( 1Tm 4,13 cf. ).

Le rapport entre vie spirituelle et exercice du ministère sacerdotal peut aussi trouver son explication à partir de la charité pastorale donnée par le sacrement de l'Ordre. Le ministère du prêtre, précisément parce qu'il est une participation au ministère salvifique de Jésus Christ Tête et Pasteur, ne peut manquer de rendre présente sa charité pastorale qui est à la fois source et esprit de son service et du don de lui-même. Dans sa réalité objective, le ministère sacerdotal est "amoris officium", selon l'expression déjà citée de saint Augustin; cette réalité objective se présente justement comme un fondement et comme l'appel d'un ethos correspondant, qui ne peut être que celui de l'amour, ainsi que le dit saint Augustin: "Sit amoris officium pascere dominicum gregem"(60). Cet ethos, et donc la vie spirituelle du prêtre, n'est autre que l'accueil de la "vérité" du ministère sacerdotal, comme amoris officium, dans la conscience et dans la liberté, et donc dans l'esprit et le coeur, dans les décisions et dans les actions.

60- In Iohannis Evangelium Tractatus 123,5 : l.c.


25 Il est essentiel, pour une vie spirituelle qui se développe dans l'exercice du ministère, que le prêtre renouvelle sans cesse et approfondisse toujours plus sa conscience d'être ministre de Jésus Christ en vertu de sa consécration sacramentelle et de la configuration au Christ Tête et Pasteur de l'Eglise. Cette conscience ne correspond pas seulement à la vraie nature de la mission que le prêtre accomplit en faveur de l'Eglise et de l'humanité, mais elle détermine aussi la vie spirituelle du prêtre qui accomplit cette mission. En effet, le prêtre est choisi par le Christ, non pas comme un "objet" mais comme une "personne"; il n'est pas un instrument inerte et passif, mais un "instrument vivant", comme dit le Concile, là ou il parle de l'obligation de tendre à la perfection(61). Et c'est encore le Concile qui présente les prêtres comme "associés et collaborateurs" d'un Dieu "saint et sanctificateur"(62).

61-
PO 12
62- PO 5


En ce sens, la personne du prêtre, consciente, libre et responsable, est profondément engagée dans l'exercice du ministère. Le lien avec Jésus Christ, assuré par la consécration et la configuration qui découlent du sacrement de l'Ordre, fonde et exige de la part du prêtre un autre lien, qui est celui de "l'intention", celui de la volonté consciente et libre de faire, par l'acte ministériel, ce que l'Eglise entend faire. Ce lien tend par sa nature à devenir le plus ample et le plus profond possible, engageant l'esprit, les sentiments, la vie, en un mot une série de dispositions morales et spirituelles correspondant aux actes ministériels que le prêtre accomplit.

Il n'y a pas de doute que le ministère sacerdotal, en particulier la célébration des sacrements, reçoit son efficacité salutaire de l'action même de Jésus Christ, présente dans les sacrements. Mais, par un dessein divin qui veut exalter l'absolue gratuité du salut, en faisant de l'homme à la fois un "sauvé" et un "sauveur" - toujours et seulement avec Jésus Christ -, l'efficacité de l'exercice du ministère est aussi fonction de la participation humaine et de l'accueil plus ou moins grands(63). En particulier, la sainteté plus ou moins réelle du ministre a une véritable influence sur sa façon d'annoncer la parole, de célébrer les sacrements et de conduire la communauté dans la charité. Et c'est bien ce qu'affirme avec clarté le Concile: "La sainteté elle-même des prêtres est d'un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu'ils accomplissent; la grâce de Dieu, certes, peut accomplir l'oeuvre du salut même par des ministres indignes, mais, à l'ordinaire, Dieu préfère manifester ses hauts faits par des hommes accueillants à l'impulsion et à la conduite du Saint-Esprit, par des hommes que leur intime union avec le Christ et la sainteté de leur vie rend capables de dire avec l'Apôtre: "Si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi" (Ga 2,20) "(64).

63- Cf Decretum de iustificatione, chap. 7 ; Decretum de sacramentis, can. 6 (DS 1529 DS 1606).
64- PO 12


La conscience d'être ministre de Jésus Christ Tête et Pasteur porte aussi en elle la joie d'avoir reçu de Jésus Christ une grâce particulière: la grâce d'avoir été choisi par le Seigneur comme "instrument vivant" de l'oeuvre du salut. Ce choix témoigne de l'amour de Jésus Christ pour le prêtre. Cet amour qui, plus grand que tout autre amour, exige qu'on y réponde. Après sa résurrection, Jésus pose à Pierre la question fondamentale sur l'amour: "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?". C'est après la réponse de Pierre que la mission est conférée: "Pais mes agneaux" (Jn 21,15). Pour pouvoir lui confier son troupeau, Jésus demande auparavant à Pierre s'il l'aime. Mais en réalité, c'est l'amour libre et prévenant de Jésus lui-même qui le pousse à adresser cette demande à l'Apôtre et à lui confier "ses" brebis. Ainsi, tout acte ministériel, en même temps qu'il conduit à aimer et à servir l'Eglise, pousse à mûrir toujours davantage dans l'amour et dans le service du Christ Tête, Pasteur et Epoux de l'Eglise; cet amour se présente toujours comme une réponse à l'amour prévenant, libre et gratuit de Dieu dans le Christ. A son tour, la croissance de l'amour envers Jésus Christ détermine la croissance de l'amour envers l'Eglise: "Nous sommes vos pasteurs (pascimus vobis); avec vous, nous sommes nourris (pascimur vobiscum). Que le Seigneur nous donne la force de vous aimer au point de pouvoir mourir pour vous, ou effectivement ou par le coeur (aut effectu aut affectu)"(65).

65- S. Augustin, Sermo de Nat. Sanct. Apost. Petri et Pauli ex Evangelio in quo ait : Simon Iohannis diligis me ? : Bibliotheca Casinensis, in " Miscellanea Augustiniana ", Vol I ; publié par G. Morin, OSB, Rome Typ. Polygl. Vat., 1930, p. 404.


26 Grâce au précieux enseignement du Concile Vatican II(66), nous pouvons saisir les conditions, les exigences, les modalités et les fruits du rapport intime qui existe entre la vie spirituelle du prêtre et l'exercice de son triple ministère: de la Parole, des Sacrements et du service de la Charité.

66-
PO 4-6 PO 13


Le prêtre est avant tout ministre de la Parole de Dieu. Il est consacré et envoyé pour annoncer à tous l'Evangile du Royaume, appelant tout homme à l'obéissance de la foi et conduisant les croyants à une connaissance et à une communion toujours plus profondes du mystère de Dieu, à nous révélé et communiqué par le Christ. C'est pourquoi le prêtre lui-même doit tout d'abord acquérir une grande familiarité personnelle avec la Parole de Dieu. Il ne lui suffit pas d'en connaître l'aspect linguistique ou exégétique, ce qui est cependant nécessaire. Il lui faut accueillir la Parole avec un coeur docile et priant, pour qu'elle pénètre à fond dans ses pensées et ses sentiments et engendre en lui un esprit nouveau, "la pensée du Seigneur" (1Co 2,16). Ainsi, ses paroles et plus encore ses choix et ses attitudes seront toujours plus transparents à l'Evangile, l'annonceront et en rendront témoignage. C'est seulement en "demeurant" dans la Parole que le prêtre deviendra parfait disciple du Seigneur, connaîtra la vérité et sera vraiment libre, dépassant tout conditionnement contraire ou étranger à l'Evangile (cf. Jn 8,31-32). Le prêtre devra être le premier à croire à la Parole dans la pleine conscience que les paroles de son ministère ne sont pas "siennes", mais de Celui qui l'a envoyé. De cette Parole, il n'est pas maître: il en est le serviteur. De cette Parole, il n'est pas l'unique possesseur: il en est le débiteur à l'égard du peuple de Dieu. C'est justement parce qu'il évangélise, et pour qu'il puisse évangéliser, que le prêtre, comme l'Eglise, doit prendre de plus en plus conscience du besoin permanent qu'il a d'être évangélisé(67). Il annonce la Parole, en sa qualité de "ministre", il participe à l'autorité prophétique du Christ et de l'Eglise. A cette fin, pour avoir en lui-même et pour donner aux fidèles la garantie de transmettre l'Evangile dans son intégrité, le prêtre est appelé à cultiver en lui une sensibilité, une disponibilité et un attachement particuliers à l'égard de la Tradition vivante de l'Eglise et de son Magistère. Tout cela n'est pas étranger à la Parole, mais contribue à son interprétation correcte et en protège le sens authentique.(68)

67- EN 15
68- DV 8 DV 10


C'est surtout dans la célébration des sacrements, ainsi que dans la célébration de la liturgie des heures, que le prêtre est appelé à vivre et à manifester l'unité profonde entre l'exercice de son ministère et sa vie spirituelle. Par le don de la grâce fait à l'Eglise, l'Eucharistie est principe de sainteté et appel à la sanctification. Pour le prêtre, elle occupe une place vraiment centrale, dans son ministère comme dans sa vie spirituelle. "Car la sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l'Eglise, c'est-à-dire le Christ lui-même, lui notre Pâque, lui le pain vivant, dont la chair vivifiée par l'Esprit Saint, et vivifiante, donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir en union avec lui, leur propre vie, leur travail, toute la création".(69)

69- PO 5


Des divers sacrements, et en particulier de la grâce spécifique et propre à chacun d'eux, la vie spirituelle du prêtre reçoit des connotations particulières: en effet, elle est structurée et modelée par les multiples caractéristiques et exigences des sacrements célébrés et vécus.

Je voudrais faire une mention spéciale du sacrement de la Pénitence dont les prêtres sont les ministres, mais dont ils doivent également être les bénéficiaires, devenant témoins de la compassion de Dieu pour les pécheurs. Je propose à nouveau ce que j'ai écrit dans l'exhortation Reconciliatio et poenitentia: "La vie spirituelle et pastorale du prêtre, comme celle de ses frères laïcs et religieux, dépend, pour sa qualité et sa ferveur, de la pratique personnelle, assidue et consciencieuse, du sacrement de Pénitence. La célébration de l'Eucharistie et le ministère des autres sacrements, le zèle pastoral, les relations avec les fidèles, la communion avec ses frères prêtres, la collaboration avec l'évêque, la vie de prière, en un mot toute la vie du prêtre subit un déclin inévitable si lui-même, par négligence ou pour tout autre motif, ne recourt pas de façon régulière et avec une foi et une piété authentiques au sacrement de Pénitence. Chez un prêtre qui ne se confesserait plus ou se confesserait mal, son être sacerdotal et son action sacerdotale s'en ressentiraient vite, et la communauté elle-même dont il est pasteur ne manquerait pas de s'en rendre compte".(70)

70- RP 31


Enfin, les prêtres sont appelés à exercer l'autorité et le service de Jésus Christ Tête et Pasteur de l'Eglise en animant et en conduisant la communauté ecclésiale, c'est-à-dire en rassemblant "la famille de Dieu, fraternité qui n'a qu'une âme, et, par le Christ dans l'Esprit, ils la conduisent à Dieu le Père"(71). Ce "munus regendi" est une tâche très délicate et complexe qui inclut, outre l'attention à chacune des personnes et aux vocations diverses, la capacité de coordonner tous les dons et charismes que l'Esprit suscite dans la communauté, en les vérifiant et en les valorisant pour l'édification de l'Eglise, toujours en union avec les évêques. Il s'agit d'un ministère qui demande au prêtre d'a voir une vie spirituelle intense, riche des qualités et des vertus propres à la personne qui "préside" et qui "guide" une communauté, à l'"ancien", dans le sens le plus fort et le plus noble du terme, comme sont la fidélité, la cohérence, la sagesse, la faculté d'accueil de tous, l'affabilité, la fermeté sur les choses essentielles, le détachement des points de vue trop subjectifs, le désintéressement personnel, la patience, le goût de l'engagement quotidien, la confiance dans le travail caché de la grâce qui se manifeste chez les gens simples et chez les pauvres (cf. Tt 1,7-8).

71- PO 6



1992 Pastores Dabo Vobis 18