1937 Pie XI, Divini Redemptoris
1 La promesse d'un Rédempteur illumine la première page de l'histoire humaine; aussi, la ferme espérance de jours meilleurs adoucit le regret du paradis perdu et soutint le genre humain cheminant au milieu des tribulations; mais, quand fut venue la plénitude des temps, le Sauveur du monde, par son apparition sur terre, combla l'attente et inaugura, dans tout l'univers, une nouvelle civilisation, la civilisation chrétienne, autrement plus parfaite que tous les progrès réalisés jusque-là, au prix de tant d'efforts, chez certains peuples privilégiés. 2. Mais, la lutte entre le bien et le mal, triste héritage de la faute originelle, continua à sévir dans le monde; l'ancien tentateur n'a jamais cessé, par ses promesses fallacieuses, de tromper le genre humain. C'est pourquoi, au cours des siècles, on a vu les bouleversements se succéder jusqu'à la révolution actuelle, qui est déjà déchaînée ou qui devient sérieusement menaçante presque partout, peut-on dire, et dépasse, par l'ampleur et la violence, ce qu'on a éprouvé dans les persécutions antérieures contre l'Église. Des peuples entiers sont exposés à retomber dans une barbarie plus affreuse que celle où se trouvait encore la plus grande partie du monde à la venue du Rédempteur. 3. Ce péril si menaçant. Vous l'avez déjà compris, Vénérables Frères, c'est le communisme bolchevique et athée, qui prétend renverser l'ordre social et saper jusque dans ses fondements la civilisation chrétienne.
4 En face d'un pareil danger, l'Eglise Catholique ne pouvait se taire et, en fait, elle n'a pas gardé le silence. Le Siège Apostolique qui a pour mission spéciale la défense de la vérité, de la justice, de tous les biens éternels niés et combattus, par le communisme, le Siège Apostolique tout particulièrement, n'a pas manqué d'élever la voix. Depuis l'époque où des groupes intellectuels prétendirent libérer la civilisation humaine des liens de la morale et de la religion, Nos prédécesseurs attirèrent l'attention du monde, d'une façon claire et explicite, sur les conséquences de la déchristianisation de la société humaine. Quant au communisme, déjà en 1846, Notre vénéré Prédécesseur, Pie IX, de sainte mémoire, portait une condamnation solennelle, confirmée plus tard dans le Syllabus, contre " cette doctrine néfaste qu'on nomme le communisme, radicalement contraire au droit naturel lui-même ; pareille doctrine, une fois admise, serait la ruine complète de tous les droits, des institutions, des propriétés et de la société humaine elle-même " (1). Plus tard. Notre Prédécesseur, Léon XIII, d'immortelle mémoire, dans son Encyclique Quod Apostolici muneris, définissait le communisme : " Une peste mortelle qui s'attaque à la moelle de la société humaine et qui l'anéantirait " (2). Avec clairvoyance Léon XIII montrait qu'à l'origine de l'athéisme des masses, en cette époque de progrès technique, se trouve une philosophie qui, depuis des siècles, tente de séparer la science et la vie de la foi et de l'Eglise.
5 Nous-même, durant Notre pontificat, Nous avons souvent dénoncé, et avec une pressante insistance, les courants d'athéisme qui croissent d'une façon alarmante. En 1924, quand Notre mission de secours revenait des pays de l'Union Soviétique, Nous avons protesté contre le communisme, dans une allocution spéciale, qui s'adressait au monde entier (3). Dans Nos Encycliques Miserentissimus Redemptor (4), Quadragesimo anno (5), Caritate Christi (6), Acerba animi (7), Dilectissima Nobis (8), Nous avons fait entendre une solennelle protestation contre les persécutions déchaînées en Russie, au Mexique et en Espagne. On n'a pas encore oublié les allocutions que Nous prononcions l'an dernier, lors de l'inauguration de l'Exposition mondiale de la Presse catholique, dans l'audience accordée aux réfugiés espagnols et dans Notre message à l'occasion de la fête de Noël. Même les ennemis les plus acharnés de l'Eglise, qui dirigent de Moscou cette lutte contre la civilisation chrétienne, témoignent, par leurs attaques incessantes en paroles et en actes, que la Papauté continue fidèlement, encore de nos jours, à défendre le sanctuaire de la religion chrétienne et qu'elle a mis en garde contre le péril communiste plus souvent et d'une manière plus persuasive que n'importe quel autre pouvoir public de ce monde.
6 Malgré ces avertissements paternels plusieurs fois renouvelés et qu'à Notre grande satisfaction Vous avez, Vénérables Frères, fidèlement communiqués et commentés à Vos fidèles, en plusieurs Lettres pastorales récentes, même en des Lettres collectives, malgré tout, propagé par d'habiles agitateurs, le danger va s'aggravant de jour en jour. C'est pourquoi il est de Notre devoir, croyons-Nous, d'élever à nouveau la voix en un document plus solennel, selon l'habitude du Siège Apostolique, Maître de vérité; du reste, un pareil document répond au désir de tout l'univers catholique. L'écho de Notre voix, Nous en avons la ferme confiance, sera entendu partout où se trouvent des esprits libres de préjugés et des coeurs sincèrement désireux du bien de l'humanité: d'autant plus que Notre parole est aujourd'hui douloureusement confirmée par le spectacle des fruits amers produits par les idées subversives. Les effets que Nous avions prévus et annoncés se multiplient terriblement; ils se réalisent dans les pays déjà dominés par le communisme ou ils menacent tous les autres pays du monde.
7 7. Nous voulons donc encore une fois, dans une brève synthèse, exposer les principes du communisme athée, tels qu'ils se manifestent surtout dans le bolchevisme, et montrer ses méthodes d'action. A ces faux principes, nous opposerons la lumineuse doctrine de l'Eglise, Nous indiquerons de nouveau, avec insistance, par quels moyens la civilisation chrétienne, la seule " Cité " vraiment " humaine ", peut échapper à ce fléau satanique et se développer encore davantage pour le véritable bien-être de l'humanité.
8 8. Le communisme d'aujourd'hui, d'une manière plus accusée que d'autres mouvements semblables du passé, renferme une idée de fausse rédemption. Un pseudo-idéal de justice, d'égalité et de fraternité dans le travail, imprègne toute sa doctrine et toute son activité d'un certain faux mysticisme qui communique aux foules, séduites par de fallacieuses promesses, un élan et un enthousiasme contagieux, spécialement en un temps comme le nôtre, où par suite d'une mauvaise répartition des biens de ce monde règne une misère anormale. On vante même ce pseudo-idéal, comme s'il avait été le principe d'un certain progrès économique: quand il est réel, ce progrès s'explique par bien d'autres causes, comme l'intensification de la production industrielle dans des pays qui en étaient presque privés, la mise en valeur d'énormes richesses naturelles, l'emploi de méthodes brutales pour faire d'immenses travaux à peu de frais.
9 9. La doctrine, que le communisme cache sous des apparences parfois si séduisantes, a aujourd'hui pour fondement les principes du matérialisme dialectique et historique déjà prônés par Marx; les théoriciens du bolchevisme prétendent en détenir l'unique interprétation authentique. Cette doctrine enseigne qu'il n'existe qu'une seule réalité, la matière, avec ses forces aveugles; la plante, l'animal, l'homme sont le résultat de son évolution. De même, la société humaine n'est pas autre chose qu'une apparence ou une forme de la matière qui évolue suivant ses lois; par une nécessité inéluctable elle tend, à travers un perpétuel conflit de forces, vers la synthèse finale : une société sans classe. Dans une telle doctrine, c'est évident, il n'y a plus de place pour l'idée de Dieu. il n'existe pas de différence entre l'esprit et la matière, ni entre l'âme et le corps: il n'y a pas de survivance de l'âme après la mort, et par conséquent nulle espérance d'une autre vie. Insistant sur l'aspect dialectique de leur matérialisme, les communistes prétendent que le conflit, qui porte le monde vers la synthèse finale, peut être précipité grâce aux efforts humains. C'est pourquoi ils s'efforcent de rendre plus aigus les antagonismes qui surgissent entre les diverses classes de la société; la lutte des classes, avec ses haines et ses destructions, prend l'allure d'une croisade pour le progrès de l'humanité. Par contre, toutes les forces qui s'opposent à ces violences systématiques, quelle qu'en soit la nature, doivent être anéanties comme ennemies du genre humain.
Le sort de la personne humaine et de la famille.
10 10. De plus, le communisme dépouille l'homme de sa liberté, principe spirituel de la conduite morale ; il enlève à la personne humaine tout ce qui constitue sa dignité, tout ce qui s'oppose moralement à l'assaut des instincts aveugles. On ne reconnaît à l'individu, en face de la collectivité, aucun des droits naturels à la personne humaine; celle-ci, dans le communisme, n'est plus qu'un rouage du système. Dans les relations des hommes entre eux, on soutient le principe de l'égalité absolue, on rejette toute hiérarchie et toute autorité établie par Dieu, y compris l'autorité des parents. Tout ce qui existe de soi-disant autorité et subordination entre les hommes dérive de la collectivité comme de sa source première et unique. On n'accorde aux individus aucun droit de propriété sur les ressources naturelles ou sur les moyens de production, parce qu'ils sont l'origine d'autres biens, et que leur possession entraînerait la domination d'un homme sur l'autre. Voilà précisément pourquoi ce genre de propriété privée devra être radicalement détruit, comme la première source de l'esclavage économique.
11 11. En refusant à la vie humaine tout caractère sacré et spirituel, une telle doctrine fait nécessairement du mariage et de la famille une institution purement conventionnelle et civile, fruit d'un système économique déterminé. On nie par conséquent l'existence d'un lien matrimonial de nature juridico-morale qui soit soustrait au bon plaisir des individus ou de la collectivité et, par suite, on rejette l'indissolubilité de ce lien. En particulier, le communisme n'admet aucun lien spécial de la femme avec la famille et le foyer. En proclamant le principe de l'émancipation de la femme, il l'enlève à la vie domestique et au soin des enfants pour la jeter dans la vie publique et dans les travaux de la production collective au même titre que l'homme; le soin du foyer et des enfants est dévolu à la collectivité. Enfin on retire aux parents le droit de l'éducation, que l'on considère comme un droit exclusif de la communauté, c'est seulement au nom de la communauté et par délégation que les parents peuvent encore l'exercer.
12 12. Que deviendrait donc la société humaine fondée sur de tels principes matérialistes ? Elle serait une collectivité sans autre hiérarchie que celle du système économique. Elle aurait pour unique mission la production des biens par le travail collectif et pour unique fin la jouissance des biens terrestres dans un paradis où chacun " donnerait selon ses forces et recevrait selon ses besoins ". C'est à la collectivité que le communisme reconnaît le droit ou plutôt le pouvoir discrétionnaire d'assujettir les individus au joug du travail collectif, sans égard à leur bien-être personnel, même contre leur propre volonté, et quand il le faut, par la violence. L'ordre moral aussi bien que l'ordre juridique ne serait plus, dès lors, qu'une émanation du système économique en vigueur; il ne serait fondé que sur des valeurs terrestres, changeantes et caduques. Bref, on prétend ouvrir une ère nouvelle, inaugurer une nouvelle civilisation résultant d'une évolution aveugle : " une humanité sans Dieu ! "
13 13. Enfin quand l'idéal collectiviste sera devenu pour tous une réalité, au terme utopique de cette évolution, où la société ne connaîtra plus les différences de classes, l'Etat politique, aujourd'hui instrument de domination des capitalistes sur les prolétaires, perdra toute sa raison d'être et " disparaîtra de lui-même ". Cependant, en attendant cet âge d'or, le communisme considère l'Etat et le pouvoir politique comme le moyen le plus efficace et le plus universel pour arriver à ses fins.
14 14. Vénérables Frères, voilà le nouvel Evangile que le communisme bolchevique et athée prétend annoncer au monde, comme un message de salut et de rédemption ! Système rempli d'erreurs et de sophismes, opposé à la raison comme à la révélation divine: doctrine subversive de l'ordre social puisqu'elle en détruit les fondements mêmes, système qui méconnaît la véritable origine, la nature et la fin de l'Etat, ainsi que les droits de la personne humaine, sa dignité et sa liberté.
1515. Mais comment se fait-il qu'un tel système, depuis longtemps dépassé scientifiquement, et démenti par la réalité des faits, puisse se répandre aussi rapidement dans toutes les parties du monde ? C'est que bien peu de personnes ont su pénétrer la vraie nature du communisme; le plus souvent on cède à la tentation habilement présentée sous les plus éblouissantes promesses. Sous prétexte de ne vouloir que l'amélioration du sort des classes laborieuses, de supprimer les abus réels provoqués par l'économie libérale et d'obtenir une réparation plus équitable des richesses (objectifs parfaitement légitimes, sans aucun doute), en profitant de la crise économique mondiale, le communisme réussit à faire pénétrer son influence même dans les milieux sociaux où par principe on rejette le matérialisme et le terrorisme. Et comme toute erreur contient une part de vrai, cet aspect de la vérité, auquel Nous avons fait allusion, a été mis habilement en relief suivant les temps et les lieux pour cacher au besoin la brutalité repoussante et inhumaine des principes et des méthodes du communisme ; on séduit ainsi des esprits distingués au point d'en faire à leur tour des apôtres auprès des jeunes intelligences trop peu averties pour découvrir les erreurs intrinsèques au système. Les fauteurs de communisme ne manquent pas non plus de mettre à profit les antagonismes de race, les divisions et les oppositions qui proviennent des différents systèmes politiques, enfin le désarroi qui règne dans le camp de la science séparée de Dieu, pour s'insinuer dans les Universités et appuyer les principes de leur doctrine sur des arguments pseudo-scientifiques.
16 16. Pour comprendre comment le communisme a réussi à se faire accepter sans examen par les masses ouvrières, il faut se rappeler que les travailleurs étaient déjà préparés à cette propagande par l'abandon religieux et moral où ils furent laissés par l'économie libérale. Le système des équipes de travail ne leur donnait même plus le temps d'accomplir les devoirs religieux les plus importants, aux jours de fête: on ne s'est pas mis en peine de construire des églises à proximité des usines ni de faciliter la tâche du prêtre ; au contraire, on a favorisé le laïcisme et continué son oeuvre. On recueille donc l'héritage des erreurs tant de fois dénoncées par Nos Prédécesseurs et par Nous-même; il n'y a pas à s'étonner qu'en un monde déjà largement déchristianisé se propage l'erreur communiste.
17 17. De plus, la diffusion si rapide des idées communistes, qui s'infiltrent dans tous les pays grands et petits, civilisés ou moins développés, au point qu'aucune partie du monde n'y échappe, cette diffusion s'explique par une propagande vraiment diabolique, telle que le monde n'en a peut-être jamais vue: propagande dirigée par un centre unique et qui s'adapte très habilement aux conditions des différents peuples; propagande qui dispose de grands moyens financiers, d'organisations gigantesques, de Congrès internationaux, de forces nombreuses et bien disciplinées; propagande qui se fait par des tracts et des revues, par le cinéma, le théâtre et la radio, dans les écoles et même dans les Universités, qui envahit peu à peu tous les milieux même les meilleurs, si bien que le poison pénètre presque insensiblement et toujours davantage les esprits et les coeurs.
18 18. Un troisième facteur contribue largement à la diffusion du communisme, c'est la conjuration du silence dans une grande partie de la presse mondiale non catholique. Nous disons conjuration, car on ne saurait expliquer autrement le fait qu'une presse aussi avide de commenter les menus incidents de la vie quotidienne ait pu si longtemps garder le silence au sujet des horreurs commises en Russie, au Mexique et dans une grande partie de l'Espagne, qu'elle parle relativement peu d'une organisation mondiale aussi vaste que le communisme dirigé par Moscou. Cette conjuration est due en partie à des raisons inspirées par une politique à courte vue; elle est favorisée par diverses organisations secrètes, qui depuis longtemps cherchent à détruire l'ordre social chrétien.
19 19. Cependant les douloureux effets de cette propagande sont sous nos yeux. Là où le communisme a pu s'affirmer et dominer, - et ici Nous songeons avec une particulière affection paternelle aux peuples de la Russie et du Mexique,- il s'est efforcé par tous les moyens de détruire (et il le proclame ouvertement) la civilisation et la religion chrétiennes jusque dans leurs fondements, d'en effacer tout souvenir du coeur des hommes, spécialement de la jeunesse. Evêques et prêtres ont été bannis, condamnés aux travaux forcés, fusillés et mis à mort de façon inhumaine ; de simples laïques, pour avoir défendu la religion, ont été suspectés, malmenés, poursuivis et traînés en prison et devant les tribunaux.
20 20. Et là où, comme en Notre chère Espagne, le fléau communiste n'avait pas eu le temps encore de faire sentir tous les effets de ses théories, il s'est déchaîné, hélas ! avec une violence plus furieuse. Ce n'est pas l'une ou l'autre église, tel ou tel couvent qu'on a abattus, mais quand ce fut possible, ce sont toutes les églises et tous les couvents et toute trace de la religion chrétienne qu'on a voulu détruire, même quand il s'agissait des monuments les plus remarquables de l'art et de la science ! La fureur communiste ne s'est pas contentée de tuer des évêques et des milliers de prêtres, de religieux et de religieuses, s'en prenant plus particulièrement à ceux et à celles qui justement s'occupaient avec plus de zèle des ouvriers et des pauvres, mais elle fit un nombre beaucoup plus grand de victimes parmi les laïques de toute classe, qui, encore maintenant, chaque jour, peut-on dire. sont massacrés en masse pour le seul fait d'être bons chrétiens ou du moins opposés à l'athéisme communiste. Et cette épouvantable destruction est perpétrée avec une haine, une barbarie, une sauvagerie qu'on n'aurait pas cru possibles en notre temps. Aucun particulier de jugement sain, aucun homme d'Etat, conscient de sa responsabilité, ne peut, sans frémir d'horreur, penser que les événements d'Espagne pourraient se répéter demain en d'autres nations civilisées.
21 21. Or, on ne peut dire que de telles atrocités soient de ces phénomènes passagers qui accompagnent d'ordinaire toute grande révolution, des excès isolés d'exaspération comme il s'en trouve dans toutes les guerres; non, ce sont les fruits naturels d'un système qui est dépourvu de tout frein intérieur. Un frein est nécessaire à l'homme pris individuellement comme à l'homme vivant en société. Même les peuples barbares trouvèrent ce frein dans la loi naturelle gravée par Dieu dans l'âme humaine. Et quand cette loi naturelle fut mieux observée, on vit des nations anciennes monter à un niveau de grandeur qui étonne encore, plus qu'il ne conviendrait, des observateurs superficiels de l'histoire. Mais lorsque du coeur des hommes l'idée même de Dieu s'efface, leurs passions débridées les poussent à la barbarie la plus sauvage.
22 22. C'est, hélas ! le spectacle qui s'offre à nous : pour la première fois dans l'histoire nous assistons à une lutte froidement voulue et savamment préparée de l'homme contre " tout ce qui est divin " (9). Le communisme est par sa nature antireligieux et considère la religion comme " l'opium du peuple ", parce que les principes religieux qui parlent de la vie d'outre-tombe empêchent le prolétaire de poursuivre la réalisation du paradis soviétique, qui est de cette terre.
23 23. Mais on ne foule pas aux pieds impunément la loi naturelle et son Auteur : le communisme n'a pu et ne pourra réaliser son but, pas même sur le plan purement économique. Il est vrai qu'en Russie il a contribué à secouer hommes et choses d'une longue et séculaire inertie et à obtenir par des moyens souvent sans scrupules quelques succès matériels; mais nous savons par des témoignages non suspects, dont certains sont récents, que de fait, ce qu'il s'était promis, il ne l'a pas atteint; sans compter l'esclavage que le terrorisme a imposé à des millions d'hommes. Même sur le terrain économique, on ne peut se passer de la morale, du sentiment moral de la responsabilité, pour lequel il n'y a pas de place dans un système aussi matérialiste que le communisme. Pour en tenir lieu, il n'y a que le terrorisme, tel que précisément nous le voyons maintenant en Russie, où les anciens camarades de conspiration et de lutte se détruisent les uns les autres : un terrorisme qui. au demeurant, ne réussit pas à endiguer la corruption morale, ni même à empêcher la désorganisation de la structure sociale.
24 En parlant ainsi, Nous ne voulons aucunement condamner en masse les peuples de l'Union Soviétique, auxquels Nous portons une affection paternelle. Nous savons que beaucoup d'entre eux gémissent sous le joug qui leur est imposé de force par des hommes souvent étrangers aux véritables intérêts du pays et Nous reconnaissons que beaucoup d'autres ont été trompés par des espérances fallacieuses. Ce que Nous accusons, c'est le système, ses auteurs et ses fauteurs, qui ont considéré la Russie comme un terrain plus propice pour faire l'expérience d'une théorie élaborée depuis des dizaines d'années, et qui de là continuent à la propager dans le monde entier.
25 Après avoir exposé les erreurs et les moyens d'action violents et trompeurs du communisme bolchevique et athée, il est temps désormais, Vénérables Frères, de leur opposer brièvement la vraie notion de la " Cité humaine ", de la Société humaine, telle que Vous la connaissez, et telle que nous l'enseignent la raison et la révélation par l'intermédiaire de l'Eglise Magistra gentium.
26 Au-dessus de tous les êtres, il y a l'Etre unique, suprême, souverain, c'est-à-dire Dieu, Créateur tout-puissant de toutes choses, Juge infiniment sage et juste de tous les hommes. Cette réalité suprême de Dieu est la condamnation la plus absolue des impudents mensonges du communisme. Ce n'est point, en effet, parce que les hommes croient en Dieu que Dieu existe; mais c'est parce que Dieu existe que tout homme, ne fermant pas volontairement les yeux devant la vérité, croit en Lui et Lui adresse ses prières.
27 Ce que la raison et la foi disent de l'homme, Nous l'avons résumé, quant aux points fondamentaux, dans l'Encyclique sur l'éducation chrétienne (10). L'homme a une âme spirituelle et immortelle ; il est une personne, admirablement pourvue par le Créateur d'un corps et d'un esprit, un vrai " microcosme ", comme disaient les anciens, c'est-à-dire un petit monde, qui vaut (à lui seul) beaucoup plus que l'immense univers inanimé. En cette vie et dans l'autre, l'homme n'a qu'un Dieu pour fin dernière; par la grâce sanctifiante, il est élevé à la dignité de fils de Dieu et incorporé au royaume de Dieu dans le corps mystique du Christ. C'est pourquoi Dieu l'a doté de prérogatives nombreuses et variées : le droit à la vie, à l'intégrité du corps, aux moyens nécessaires à l'existence; le droit de tendre à sa fin dernière dans la voie tracée par Dieu; le droit d'association, de propriété, et le droit d'user de cette propriété.
28 28. Comme le mariage et le droit à son usage naturel sont d'origine divine, ainsi la constitution et les prérogatives fondamentales de la famille ont été déterminées et fixées par le Créateur lui-même, et non par les volontés humaines ni par les faits économiques. Dans l'Encyclique sur le mariage chrétien (11) et dans Notre Encyclique, mentionnée plus haut, sur l'éducation, Nous Nous sommes étendu longuement sur ces questions.
29 29. En même temps Dieu destina l'homme à vivre en société comme sa nature le demande. Dans le plan du Créateur, la société est un moyen naturel, dont l'homme peut et doit se servir pour atteindre sa fin, car la société est faite pour l'homme et non l'homme pour la société. Ce qui ne veut point dire, comme le comprend le libéralisme individualiste, que la société est subordonnée à l'utilité égoïste de l'individu, mais que, par le moyen de l'union organique avec la société, la collaboration mutuelle rend possible à tous de réaliser la vraie félicité sur terre: cela veut dire encore que c'est dans la société que se développent toutes les aptitudes individuelles et sociales données à l'homme par la nature, aptitudes qui, dépassant l'intérêt immédiat du moment, reflètent dans la société la perfection de Dieu, ce qui est impossible, si l'homme reste isolé. Ce dernier but de la société est lui-même, en dernière analyse, ordonné à l'homme, afin que, reconnaissant ce reflet des perfections divines, par la louange et l'adoration, il le fasse remonter à son Créateur. Seul l'homme, seule la personne humaine, et non la collectivité en soi, est doué de raison et de volonté moralement libre.
30 30. Ainsi de même que l'homme ne peut se soustraire aux devoirs qui, selon la volonté de Dieu, le lient envers la société civile, et que les représentants de l'autorité ont le droit, dans les cas où l'individu s'y refuserait sans raison légitime, de le contraindre à l'accomplissement de son devoir; de même la société ne peut frustrer l'homme des droits personnels que le Créateur lui a concédés et dont Nous avons signalé plus haut les plus importants; elle ne peut lui en rendre, par principe, l'usage impossible. Il est donc conforme à la raison et à ses exigences qu'en dernier lieu toutes les choses de la terre soient ordonnées à la personne humaine, afin que, par son intermédiaire, elles retournent au Créateur. A l'homme, à la personne humaine s'applique vraiment ce que l'Apôtre des Gentils écrit aux Corinthiens sur l'économie du salut: " Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu " (12). Tandis que le communisme, renversant l'ordre des relations entre l'homme et la société, appauvrit la personne humaine, voilà les hauteurs où s'élèvent la raison et la révélation !
31 31. De l'ordre économique et social Léon XIII a exposé les principes directeurs dans l'Encyclique sur la question du travail (13), ces principes, dans Notre Encyclique sur la reconstruction de l'ordre social (14). Nous les avons adaptés aux exigences du temps présent. De plus, insistant encore sur la doctrine séculaire de l'Eglise touchant le caractère individuel et social de la propriété privée, Nous avons précisé le droit et la dignité du travail, les rapports de collaboration qui doivent exister entre ceux qui possèdent le capital et les travailleurs, le salaire dû en stricte justice à l'ouvrier pour lui et pour sa famille.
32 32. Dans cette même Encyclique, Nous avons montré que les moyens de sauver le monde actuel de la ruine dans laquelle le libéralisme amoral nous a plongés, ne consistent ni dans la lutte des classes ni dans la terreur, beaucoup moins encore dans l'abus autocratique du pouvoir de l'Etat, mais dans l'instauration d'un ordre économique inspiré par la justice sociale et les sentiments de la charité chrétienne. Nous avons montré comment une saine prospérité doit se baser sur les vrais principes d'un corporatisme sain qui respecte la hiérarchie sociale nécessaire, et comment toutes les corporations doivent s'organiser dans une harmonieuse unité, en s'inspirant du bien commun de la société. La mission principale et la plus authentique du pouvoir civil est précisément de promouvoir efficacement cette harmonie et la coordination de toutes les forces sociales.
33 33. Afin d'assurer cette collaboration organique et cette tranquille harmonie, la doctrine catholique revendique pour l'Etat la dignité et l'autorité d'un vigilant et prévoyant défenseur des droits divins et humains, dont les Saintes Ecritures et les Pères de l'Eglise parlent si souvent. Il est faux que tous les hommes aient les mêmes droits dans la société civile et qu'il n'existe aucune hiérarchie légitime. Qu'il nous suffise de rappeler les Encycliques de Léon XIII, indiquées plus haut, en particulier celle qui concerne le pouvoir de l'Etat (15) et celle qui traite de la constitution chrétienne de l'Etat (16). Ces Encycliques exposent clairement au catholique les principes de la raison et de la foi qui le rendront capable de se prémunir contre les erreurs et les dangers de la conception bolchevique de l'Etat. La spoliation des droits et l'asservissement de l'homme, la négation de l'origine première et transcendante de l'Etat et de son pouvoir, l'horrible abus de l'autorité publique au service du terrorisme collectiviste, tout cela est précisément le contraire de ce qu'exigent la morale naturelle et la volonté du Créateur. La société civile et la personne humaine tirent leur origine de Dieu et sont par lui mutuellement ordonnées l'une à l'autre; aucune des deux, par conséquent, ne peut se soustraire à ses devoirs envers l'autre, ni renier ou diminuer les droits de l'autre. C'est Dieu qui a réglé ces rapports mutuels dans leurs lignes essentielles; le communisme commet une usurpation injuste quand il impose, au lieu de la loi divine basée sur les principes immuables de la vérité et de la charité, un programme politique de parti, provenant de l'arbitraire humain et tout rempli de haine.
34 34. Quand elle enseigne cette lumineuse doctrine, l'Eglise n'a pas d'autre but que de réaliser l'heureux message chanté par les anges sur la grotte de Bethléem, à la naissance du Rédempteur: " Gloire à Dieu... et paix aux hommes... " (17); paix véritable et vraie félicité, même ici-bas, autant qu'il est possible, en vue de préparer la félicité éternelle, mais paix réservée aux hommes de bonne volonté. Cette doctrine se tient à égale distance des erreurs extrêmes comme des exagérations des partis ou des systèmes qui s'y rattachent: elle garde toujours l'équilibre de la justice et de la vérité; elle proclame la juste mesure dans la théorie et en assure la réalisation progressive dans la pratique, s'efforçant de concilier les droits et les devoirs de tous, l'autorité avec la liberté, la dignité de l'individu avec celle de l'Etat, la personnalité humaine du subordonné avec l'origine divine du pouvoir; la juste soumission, l'amour ordonné de soi-même, de sa famille et de sa propre patrie avec l'amour des autres familles et des autres peuples, sentiment fondé sur l'amour de Dieu, père, premier principe et fin dernière de tous les hommes. Elle ne sépare pas le souci modéré des biens temporels de la sollicitude pour les biens éternels. Si elle subordonne les premiers aux autres, suivant la parole de son divin fondateur: " Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît " (18), elle est bien loin toutefois de se désintéresser des choses humaines et d'entraver le progrès et les avantages matériels: au contraire, elle les aide et les favorise de la manière la plus raisonnable et la plus efficace. Ainsi, bien que l'Eglise n'ait jamais, sur le terrain économique et social, présenté de système technique déterminé, ce qui d'ailleurs ne lui appartient pas, elle a pourtant clairement indiqué, sur certains points, des directives qui, tout en s'adaptant dans le concret à des applications diverses selon les différentes conditions de temps, de lieux et de peuples, montrent la bonne voie pour assurer l'heureux progrès de la société.
35 35. La sagesse, la valeur de cette doctrine est admise par tous ceux qui la connaissent véritablement. Avec raison, des hommes d'Etat éminents ont pu affirmer qu'après avoir étudié les divers systèmes sociaux, ils n'avaient rien trouvé de plus sage que les principes exposés dans les Encycliques Rerum novarum et Quadragesimo anno. Jusque dans les pays non catholiques, et même non chrétiens, on reconnaît la grande valeur sociale des doctrines de l'Eglise. C'est ainsi qu'un homme politique éminent, non chrétien, de l'Extrême-Orient, n'hésitait pas à proclamer, il y a un mois à peine, que l'Eglise avec sa doctrine de paix et de fraternité chrétienne apporte une très précieuse contribution à l'établissement et au maintien si laborieux de la paix entre les nations. Enfin, des rapports authentiques arrivant au Centre de la Chrétienté affirment que les communistes eux-mêmes, s'ils ne sont pas totalement corrompus, lorsqu'on leur expose la doctrine sociale de l'Eglise, en reconnaissent la supériorité sur les doctrines de leurs chefs et de leurs maîtres. Ceux que la passion aveugle et à qui la haine ferme les yeux devant la lumière de la vérité, ceux-là seuls la combattent obstinément.
1937 Pie XI, Divini Redemptoris