1937 Pie XI, Divini Redemptoris 36
36 36. Mais les ennemis de l'Eglise, forcés de reconnaître la sagesse de sa doctrine, l'accusent cependant de n'avoir pas su confronter ses actes à ses principes et affirment en conséquence la nécessité de chercher d'autres voies. Combien cette accusation est fausse et injuste, toute l'histoire du Christianisme le démontre. Pour ne rappeler ici que quelques faits caractéristiques, c'est le Christianisme qui, le premier, proclama généreusement, avec une ardeur et une conviction inconnues aux siècles précédents, la vraie et universelle fraternité de tous les hommes, à quelque race ou condition qu'ils appartiennent; il contribua ainsi puissamment à l'abolition de l'esclavage, non par des révoltes sanguinaires, mais par la force intérieure de sa doctrine, en faisant voir à l'orgueilleuse patricienne de Rome, dans son esclave, une soeur dans le Christ. C'est le Christianisme qui adore le Fils de Dieu fait homme par amour des hommes et devenu " Fils du Charpentier ", " Charpentier " lui-même (19) ; c'est le Christianisme qui consacra la vraie dignité du travail manuel, tâche autrefois méprisée, au point que l'honnête Marcus Tullius Cicéron, résumant l'opinion générale de son temps, ne craignit pas d'écrire ces paroles qui, aujourd'hui, feraient honte à n'importe quel sociologue : " Tous les artisans s'occupent de métiers méprisables, car l'atelier ne peut rien avoir de noble (20) ".
37 37. Fidèle à ses principes, l'Eglise a régénéré l'humanité. Sous son influence, ont surgi d'admirables oeuvres de charité, des corporations puissantes d'artisans et de travailleurs de toutes catégories: le libéralisme du siècle passé s'en est moqué, parce qu'elles étaient des organisations du moyen âge; mais elles s'imposent aujourd'hui à l'admiration de nos contemporains, qui, en divers pays, cherchent à les faire revivre. Lorsque d'autres courants entravaient son oeuvre et empêchaient son influence salutaire, l'Eglise, et cela jusqu'à nos jours, ne cessait pas d'avertir les égarés. Il suffit de rappeler avec quelle fermeté, quelle énergie et quelle constance Notre Prédécesseur Léon XIII a revendiqué pour l'ouvrier le droit d'association, que le libéralisme régnant dans les plus puissants Etats s'acharne à lui refuser. Même à l'heure actuelle, la doctrine de l'Eglise exerce une influence plus grande qu'il ne paraît; car le pouvoir des idées sur les faits est certainement considérable, bien qu'il soit invisible à mesurer.
38 38. On peut dire en toute vérité que l'Eglise, à l'imitation du Christ, a passé à travers les siècles en faisant du bien à tous. Il n'y aurait ni socialisme ni communisme si les chefs des peuples n'avaient pas dédaigné ses enseignements et ses maternels avertissements. Mais ils ont voulu élever, sur les bases du libéralisme et du laïcisme, d'autres constructions sociales, qui tout d'abord paraissaient puissantes et grandioses; mais on vit bientôt qu'elles n'avaient pas de fondements solides; elles s'écroulent misérablement l'une après l'autre, comme doit s'écrouler fatalement tout ce qui ne repose pas sur l'unique pierre angulaire qui est Jésus-Christ.
39 39. Telle est, Vénérables Frères, la doctrine de l'Eglise, la seule qui puisse apporter la vraie lumière, dans les choses sociales comme dans les autres problèmes, la seule doctrine de salut en face de l'idéologie communiste. Mais il faut que cette doctrine passe dans la pratique de la vie, suivant l'avertissement de l'Apôtre saint Jacques : " Agissez d'après cet enseignement, et ne vous contentez pas de l'écouter, en vous abusant vous-même " (21) ; voilà pourquoi la tâche la plus urgente, à l'heure actuelle, c'est d'appliquer énergiquement les remèdes appropriés et efficaces pour détourner la révolution menaçante qui se prépare. Nous en avons la ferme confiance, l'acharnement avec lequel les fils de ténèbres travaillent jour et nuit à leur propagande matérialiste et athée sera du moins pour les fils de lumière un stimulant de piété, leur inspirera un zèle égal et même plus grand pour l'honneur de la Majesté divine.
40 40. Que faut-il donc faire, quels remèdes employer pour défendre le Christ et la civilisation chrétienne contre cet ennemi pernicieux ? Comme un père au milieu du cercle de famille. Nous voudrions, pour ainsi dire dans l'intimité, vous entretenir des devoirs que le grand combat d'aujourd'hui impose à tous les fils de l'Eglise, et même aux enfants qui se sont éloignés d'elle Nous adressons ce paternel avertissement.
41 41. Comme aux époques des plus violentes tempêtes dans l'histoire de l'Eglise, aujourd'hui encore le remède fondamental consiste dans une rénovation sincère de la vie privée et publique selon les principes de l'Evangile chez tous ceux qui se glorifient d'appartenir au Christ, afin qu'ils soient vraiment le sel de la terre et préservent la société humaine de la corruption totale.
42 42. Avec un sentiment de profonde reconnaissance envers le Père des lumières, de qui descend " tout don excellent et toute grâce parfaite " (22), Nous voyons partout les signes consolants de ce renouveau spirituel, non seulement dans les âmes particulièrement choisies qui, à notre époque, se sont élevées jusqu'au sommet de la plus sublime sainteté et dans les âmes toujours plus nombreuses qui tendent généralement vers ces hauteurs de lumière, mais encore dans une renaissance de piété sentie et vécue, au sein de toutes les classes sociales, même les plus cultivées, comme Nous l'avons rappelé récemment dans Notre Motu proprio In multis solaciis du 2 octobre dernier, à l'occasion de la réorganisation de l'Académie Pontificale des Sciences (23).
43 43. Cependant, il faut avouer que dans ce travail de rénovation spirituelle il reste encore beaucoup à faire. Même dans les pays catholiques, un trop grand nombre de personnes ne sont pour ainsi dire que des catholiques de nom. Tout en observant plus ou moins fidèlement les pratiques les plus essentielles de la religion qu'ils se vantent de professer, un trop grand nombre n'ont pas le souci de perfectionner leurs connaissances religieuses, d'acquérir des convictions plus intimes et plus profondes; ils s'appliquent encore moins à vivre de telle sorte qu'à l'apparence extérieure corresponde vraiment la beauté intérieure d'une conscience droite et pure, comprenant et accomplissant tous ses devoirs sous le regard de Dieu. Cette religion de façade, vaine et trompeuse apparence, déplaît souverainement au Divin Sauveur, car Il veut que tous adorent le Père " en esprit et en vérité " (24). Celui qui ne vit pas véritablement et sincèrement la foi qu'il professe ne saurait résister longtemps au vent de persécution et à la tempête violente qui souffle aujourd'hui; il sera misérablement emporté par le nouveau déluge qui menace le monde, et, tout en se perdant lui-même, il fera du nom chrétien un objet de dérision.
44 44. Ici, Vénérables Frères, Nous voulons rappeler avec une particulière insistance deux préceptes de Notre-Seigneur, qui s'appliquent tout spécialement aux conditions présentes du genre humain: le détachement des biens de la terre et la loi de charité. " Bienheureux les pauvres en esprit ", telles furent les premières paroles tombées des lèvres du Divin Maître, dans le sermon sur la montagne (25). Cette leçon est plus nécessaire que jamais, à notre époque de matérialisme avide des biens et des jouissances terrestres. Tous les chrétiens, riches ou pauvres, doivent tenir toujours leurs regards fixés vers le ciel, et ne jamais oublier que " nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir " (26). Les riches ne doivent pas mettre leur bonheur dans les biens de la terre ni consacrer le meilleur de leur effort à la conquête de ces biens; mais qu'ils se considèrent comme de simples administrateurs tenus de rendre des comptes au Maître suprême, qu'il se servent de leurs richesses comme de moyens précieux que Dieu leur accorde pour faire du bien : qu'ils ne manquent pas de distribuer leur superflu aux pauvres, selon le précepte évangélique (27). Sinon, ils verront se réaliser pour eux-mêmes et leurs richesses le jugement sévère de l'Apôtre saint Jacques: " A vous maintenant, riches ! Pleurez, éclatez en sanglots. à la vue des misères qui vont fondre sur vous. Vos richesses sont pourries et vos vêtements sont mangés de vers. Votre or et votre argent se sont rouillés et leur rouille rendra témoignage contre vous, et comme un feu dévorera vos chairs. Vous avez amassé des trésors de colère dans les derniers jours " (28).
45 45. Quant aux pauvres, tout en cherchant selon les lois de charité et de justice à se pourvoir du nécessaire et même à améliorer leur sort, ils doivent toujours rester, eux aussi. " des pauvres en esprit " (29), plaçant dans leur estime les biens spirituels au-dessus des biens et des jouissances terrestres, qu'ils se souviennent qu'on ne réussira jamais à faire disparaître de ce monde les misères, les douleurs et les tribulations, qu'à cette loi personne n'échappe. Il faut donc à tous la patience, cette patience chrétienne qui réconforte le coeur par les promesses divines d'un bonheur éternel. " Prenez donc patience, mes frères. - dirons-Nous encore avec saint Jacques, - jusqu'à l'avènement du Seigneur. Voyez, le laboureur, dans l'espérance du précieux fruit de la terre, attend patiemment jusqu'à ce qu'il reçoive la pluie de l'automne et celle du printemps. Vous aussi, soyez patients, et affermissez vos coeurs, car l'avènement du Seigneur est proche " (30). C'est ainsi que s'accomplira la consolante promesse de Notre-Seigneur: " Bienheureux les pauvres ! " Ce n'est pas une vaine consolation ni une promesse trompeuse comme celles des communistes, mais ce sont des paroles de vie et de vérité profonde, qui se réalisent pleinement ici-bas et ensuite dans l'éternité. Dans ces paroles et dans l'espérance du royaume céleste qui déjà leur appartient, " car le royaume de Dieu est à vous " (31), a proclamé Notre-Seigneur, combien de pauvres trouvent un bonheur que des riches cherchent en vain dans leur fortune, toujours inquiets et tourmentés par le désir insatiable de posséder davantage.
46 46. Mais il y a un remède encore plus efficace, qui doit atteindre plus directement le mal actuel, c'est le précepte de la charité. Nous voulons parler de cette charité chrétienne " patiente et bonne " (32). qui sait éviter les airs de protection humiliante et toute ostentation; charité qui, depuis les débuts du Christianisme, a gagné au Christ les plus pauvres d'entre les pauvres, les esclaves. Nous remercions tous ceux qui se sont dévoués et se consacrent encore aux oeuvres de miséricorde corporelle et spirituelle, depuis les Conférences de Saint-Vincent de Paul jusqu'aux grandes organisations de service social récemment établies. A mesure que les ouvriers et les pauvres ressentiront les bienfaits de cet esprit d'amour, animé par la vertu du Christ, ils se dépouilleront de ce préjugé que le Christianisme a perdu de son efficacité et que l'Eglise est du côté de ceux qui exploitent le travail.
47 47. Mais quand Nous voyons cette foule d'indigents accablés par la misère et pour des causes dont ils ne sont pas responsables, et à côté d'eux, tant de riches qui se divertissent sans penser aux autres, qui gaspillent des sommes considérables pour des choses futiles, Nous ne pouvons Nous empêcher de constater avec douleur que non seulement la justice n'est pas suffisamment observée, mais que le commandement de la charité reste encore incompris et n'est pas vécu dans la pratique quotidienne. Aussi, Vénérables Frères, Nous désirons que, par la parole et la plume, on s'attache à faire mieux connaître ce précepte divin, signe précieux et marque distincte des vrais disciples du Christ. En nous apprenant à voir Jésus lui-même dans ceux qui souffrent, la charité nous fait un devoir d'aimer nos frères comme le Divin Sauveur nous a aimés, jusqu'au renoncement, et, s'il le faut, jusqu'au sacrifice de la vie. Que l'on médite souvent les paroles consolantes mais en même temps terribles que le Juge Suprême prononcera dans la sentence du Jugement dernier: " Venez, les bénis de mon Père: - car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire. - En vérité, je votre le dis, toutes les fois que vous l'avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait " (33). Et d'autre part: - " Retirez-vous de moi. maudits, allez au feu éternel: - car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire. - En vérité, je vous le dis, chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous ne l'avez pas fait " (34).
48 48. Ainsi donc, pour mériter la vie éternelle, pour être en mesure de secourir efficacement les pauvres, il faut revenir à une vie plus modeste, renoncer aux plaisirs, souvent coupables, que le monde actuel offre si abondamment, en un mot, s'oublier soi-même par amour du prochain. Le " commandement nouveau " (comme l'appelle Notre-Seigneur) (35), la charité chrétienne contient une puissance divine de régénération; si on l'observe fidèlement, elle fera naître dans les âmes une paix intérieure que le monde ne connaît pas: elle apportera un remède efficace aux maux qui tourmentent l'humanité.
49 49. Mais pour être authentiquement vraie, la charité doit toujours tenir compte de la justice. L'Apôtre nous enseigne que " celui qui aime son prochain a accompli la loi "; et il en donne la raison: " ces commandements: Tu ne commettras point d'adultère ; tu ne tueras point; tu ne déroberas point, et ceux qu'on pourrait citer encore, se résument dans cette parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même " (36). Puisque selon l'Apôtre, tous les devoirs se ramènent au seul précepte de la charité, cette vertu commande aussi les obligations de stricte justice, comme le devoir de ne pas tuer et de ne pas commettre de vol. Une prétendue charité qui prive l'ouvrier du salaire auquel il a un droit strict n'a rien de la vraie charité, ce n'est qu'un titre faux, un simulacre de charité. L'ouvrier ne doit pas recevoir à titre d'aumône ce qui lui revient en justice; il n'est pas permis de se dérober aux graves obligations imposées par la justice en accordant quelques dons à titre de miséricorde. La charité et la justice imposent des devoirs, souvent par rapport au même objet, mais sous un aspect différent: lorsqu'il s'agit des obligations d'autrui envers eux, les ouvriers ont le droit de se montrer particulièrement sensibles par conscience de leur propre dignité.
50 50. Aussi Nous Nous adressons tout particulièrement à vous, patrons et industriels chrétiens, dont la tâche est souvent si difficile parce que vous portez le lourd héritage des fautes d'un régime économique injuste, qui a exercé ses ravages durant plusieurs générations; songez à vos responsabilités. Il est malheureusement trop vrai que les pratiques admises en certains milieux catholiques ont contribué à ébranler la confiance des travailleurs dans la religion de Jésus-Christ. On ne voulait pas comprendre que la charité chrétienne exige la reconnaissance de certains droits qui appartiennent à l'ouvrier et que l'Eglise lui a explicitement reconnus. Que faut-il penser des manoeuvres de quelques patrons catholiques qui, en certains endroits, ont réussi à empêcher la lecture de Notre Encyclique Quadragesimo anno, dans leur églises patronales? Que dire de ces industriels catholiques qui n'ont cessé jusqu'à présent de se montrer hostiles à un mouvement ouvrier que Nous avons Nous-même recommandé? N'est-il pas déplorable qu'on ait parfois abusé du droit de propriété, reconnu par l'Eglise, pour frustrer l'ouvrier du juste salaire et des droits sociaux qui lui reviennent ?
51 51. En effet, outre la justice commutative, il y a aussi la justice sociale, qui impose des devoirs auxquels patrons et ouvriers n'ont pas le droit de se soustraire. C'est précisément la fonction de la justice sociale d'imposer aux membres de la communauté tout ce qui est nécessaire au bien commun. Mais de même que dans l'organisme vivant on pourvoit aux besoins du corps entier en donnant à chacune des parties et à chacun des membres ce qu'il leur faut pour remplir leurs fonctions, ainsi dans l'organisme social, pour assurer le bien commun de toute la collectivité, il faut accorder à chacune des parties et à chacun des membres, c'est-à-dire à des hommes qui ont la dignité de personnes, ce qui leur est nécessaire pour l'accomplissement de leurs fonctions sociales. La réalisation de la justice sociale produira une activité intense de toute la vie économique, dans la paix et dans l'ordre, manifestant ainsi la santé du corps social, tout comme la santé du corps humain se reconnaît à l'harmonieuse et bienfaisante synergie des activités organiques.
52 52. Mais la justice sociale demande que les ouvriers puissent assurer leur propre subsistance et celle de leur famille par un salaire proportionné ; qu'on les mette en mesure d'acquérir un modeste avoir, afin de prévenir ainsi un paupérisme général qui est une véritable calamité; qu'on leur vienne en aide par un système d'assurances publiques ou privées qui les protègent au temps de la vieillesse, de la maladie ou du chômage. En résumé. Nous réitérons la déclaration que Nous avons faite dans l'Encyclique Quadragesimo anno: " L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer. Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d'aisance et de culture qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l'exercice " (37).
53 53. Comme il arrive de plus en plus dans le salariat, la justice ne peut être observée par chacun que si tous s'accordent à la pratiquer ensemble moyennant des institutions qui relient les uns aux autres les employeurs afin d'éviter une concurrence incompatible avec la justice due aux travailleurs; alors, le devoir des entrepreneurs et des patrons est de promouvoir, de soutenir ces institutions nécessaires qui deviennent le moyen normal par lequel la justice peut être satisfaite. Mais que les travailleurs se souviennent aussi de leurs devoirs de charité et de justice, c'est en respectant ces obligations qu'il pourront mieux sauvegarder leurs propres intérêts.
54 54. Et si l'on considère l'ensemble de la vie économique. - Nous l'avons dit déjà dans Notre Encyclique Quadragesimo anno, - ce n'est que par un corps d'institutions professionnelles et interprofessionnelles, fondées sur des bases solidement Chrétiennes, reliées entre elles et formant sous des formes diverses, adaptées aux régions et aux circonstances, ce qu'on appelait la Corporation, ce n'est que par ces institutions que l'on pourra faire régner dans les relations économiques et sociales l'entraide mutuelle de la justice et de la charité.
55 Pour donner à cette action sociale une plus grande efficacité, il est indispensable d'étudier et de faire connaître toujours davantage les problèmes sociaux à la lumière de la doctrine de l'Église, et sous l'égide de l'Autorité établie par Dieu dans l'Eglise. Si la conduite de certains catholiques a laissé à désirer dans le domaine économique et social, la cause en fut souvent que ces catholiques ne connaissaient pas assez, n'avaient pas assez médité les enseignements des Souverains Pontifes sur ce sujet. Aussi est-il absolument nécessaire de développer dans toutes les classes de la société une formation sociale plus intense, en rapport avec les degrés divers de la culture intellectuelle, et de n'épargner aucun soin, aucune industrie pour assurer aux enseignements de l'Eglise la plus large diffusion, surtout parmi la classe ouvrière. Que les esprits soient éclairés par la sûre lumière de la doctrine catholique; que les volontés soient inclinées à la suivre et à l'appliquer, comme norme de la vie morale, par l'accomplissement consciencieux des multiples devoirs sociaux. On combattra ainsi cette incohérence, cette discontinuité dans la vie chrétienne, que Nous avons déplorée tant de fois, et qui fait que certains hommes, apparemment fidèles à remplir leurs devoirs religieux, mènent, avec cela, par un déplorable dédoublement de conscience, dans le domaine du travail, de l'industrie ou de la profession, dans leur commerce ou leur emploi, une vie trop peu conforme aux exigences de la justice et de la charité chrétienne; d'où scandale pour les faibles, et facile prétexte offert aux méchants de jeter sur l'Eglise elle-même le discrédit.
56 56. A cette oeuvre de rénovation, la presse catholique peut largement contribuer. La presse peut et doit, tout d'abord, s'efforcer sous des formes variées et attrayantes, de faire toujours mieux connaître la doctrine sociale: donner des informations exactes, mais suffisamment abondantes, sur l'activité des ennemis, et des indications sur les moyens de combat qui se sont révélés plus efficaces dans les divers pays; enfin, proposer des suggestions utiles et mettre en garde contre les ruses et les tromperies avec lesquelles les communistes s'appliquent et sont déjà parvenus à gagner à leur cause des hommes qui sont pourtant de bonne foi.
57 57. Sur ce dernier point, Nous avons déjà insisté dans Notre allocution du 12 mai de l'année dernière, mais Nous croyons nécessaire, Vénérables Frères, d'attirer de nouveau, d'une façon spéciale, votre attention. Le communisme athée s'est montré au début, tel qu'il était, dans toute sa perversité, mais bien vite il s'est aperçu que de cette façon il éloignait de lui les peuples: aussi a-t-il changé de tactique et s'efforce-t-il d'attirer les foules par toutes sortes de tromperies, en dissimulant ses propres desseins sous des idées en elles-mêmes bonnes et attrayantes. Ainsi, voyant le commun désir de paix, les chefs du communisme feignent d'être les plus zélés fauteurs et propagateurs du mouvement pour la paix mondiale; mais, en même temps, ils excitent à une lutte de classes qui fait couler des fleuves de sang, et sentant le manque d'une garantie intérieure de paix, ils recourent à des armements illimités. Ainsi encore, sous divers noms qui ne font pas même allusion au communisme, ils fondent des associations franchement catholiques et religieuses. Ainsi, sans rien abandonner de leurs principes pervers, ils invitent les catholiques à collaborer avec eux sur le terrain humanitaire et charitable comme on dit, en proposant parfois même des choses entièrement conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Eglise. Ailleurs, ils poussent l'hypocrisie jusqu'à faire croire que le communisme, dans les pays de plus grande foi et de civilisation plus avancée, revêtira un aspect plus doux, n'empêchera pas le culte religieux et respectera la liberté de conscience. Il y en a même qui, s'en rapportant à certaines modifications introduites depuis peu dans la législation soviétique, en concluent que le communisme est près d'abandonner son programme de lutte contre Dieu.
58 58. Veillez, Vénérables Frères, à ce que les fidèles ne se laissent pas tromper. Le communisme est intrinsèquement pervers, et l'on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne. Si quelques-uns, induits en erreur, coopéraient à la victoire du communisme dans leur pays, ils tomberaient les premiers, victimes de leur égarement; et plus les régions où le communisme réussit à pénétrer se distinguent par l'antiquité et la grandeur de leur civilisation chrétienne, plus la haine des " sans-Dieu " se montrera dévastatrice.
59 Mais " si le Seigneur ne garde la cité, c'est en vain que veille son gardien " (38). Aussi, comme dernier et très puissant remède, Nous vous recommandons, Vénérables Frères, de promouvoir et d'intensifier, le plus efficacement possible, dans vos diocèses, le double esprit de prière et de pénitence chrétienne. Quand les Apôtres demandèrent au Sauveur pourquoi ils n'avaient pu, eux, délivrer de l'esprit malin un démoniaque, le Seigneur répondit: " De pareils démons ne se chassent que par la prière et par le jeûne " (39). Le mal qui aujourd'hui ravage l'humanité ne pourra de même être vaincu que par une sainte et universelle croisade de prière et de pénitence. Et Nous recommandons tout spécialement aux Ordres contemplatifs d'hommes et de femmes de redoubler leurs supplications et leurs sacrifices, pour obtenir du Ciel en faveur de l'Eglise un vigoureux appui dans les luttes présentes, grâce à la puissante intercession de la Vierge Immaculée, elle qui écrasa jadis la tête de l'antique serpent et reste toujours depuis lors, la sûre défense et l'invincible " Secours des Chrétiens ".
60 Pour l'oeuvre mondiale de salut dont Nous venons de tracer les grandes lignes, pour l'application des remèdes que Nous avons indiqués brièvement, les ministres et ouvriers évangéliques désignés par le divin Roi Jésus-Christ, ce sont en premier lieu les prêtres. Par vocation spéciale, sous la conduite de la hiérarchie et dans une union de filiale obéissance au Vicaire du Christ sur la terre, les prêtres ont reçu la mission de garder allumé dans le monde le flambeau de la foi, et d'infuser aux fidèles cette surnaturelle confiance avec laquelle l'Eglise, au nom du Christ, a combattu, victorieusement, tant d'autres combats: " la victoire qui vainc le monde, c'est notre loi " (40).
61 61. Et en particulier, Nous rappelons aux prêtres l'exhortation si souvent répétée, de Notre Prédécesseur Léon XIII,. d'aller à l'ouvrier. Cette exhortation, Nous la faisons Nôtre et la complétons: " Allez à l'ouvrier, spécialement à l'ouvrier pauvre, et en général allez aux pauvres ", suivant en cela les enseignements de Jésus et de son Eglise. Les pauvres, en effet, sont les plus exposés aux pièges des fauteurs de troubles, qui exploitent leur condition misérable pour allumer en eux l'envie contre les riches et les exciter à s'emparer de vive force de ce qui leur semble injustement refusé par la fortune. Et si le prêtre ne va pas vers les ouvriers pour les mettre en garde contre les préjugés et les fausses doctrines ou pour les en détromper, ils deviendront une proie facile pour les apôtres du communisme.
62 62. Nous reconnaissons qu'un grand effort a été fait dans ce sens, surtout depuis les Encycliques Rerum novarum et Quadragesimo anno, et c'est avec une paternelle complaisance que Nous saluons le zèle industrieux de tant d'Evêques et de prêtres, qui inventent, qui essayent (toujours avec les précautions voulues) de nouvelles méthodes d'apostolat mieux adaptées aux exigences modernes. Mais tout cela est encore trop peu pour les besoins de l'heure présente. Quand la patrie est en danger, tout ce qui n'est pas strictement indispensable ou directement ordonné à la pressante nécessité de la défense commune passe au second plan. Ainsi, dans le cas présent, toute autre oeuvre, si belle, si bonne qu'elle soit, doit céder la place devant la nécessité vitale de sauver les bases mêmes de la foi et de la civilisation chrétienne. Que les prêtres donc, dans les paroisses, sans préjudice bien entendu de ce que réclame le soin ordinaire des fidèles, que les prêtres réservent la plus grande et la meilleure partie de leurs forces et de leur activité pour regagner les masses ouvrières au Christ et à l'Église et pour faire pénétrer l'esprit chrétien dans les milieux qui y sont le plus étrangers. Ils trouveront dans les masses populaires une correspondance, une abondance de fruits inattendue, qui les récompensera du pénible labeur des premiers défrichements. C'est ce que Nous avons vu et ce que Nous voyons à Rome et en bien d'autres grandes villes, où, sitôt bâties de nouvelles églises dans les quartiers périphériques, on voit se constituer des communautés paroissiales pleines de zèle et s'accomplir de vrais miracles de conversions parmi des foules qui n'étaient hostiles à la religion que faute de la bien connaître.
63 63. Mais le plus efficace moyen d'apostolat auprès des pauvres et des humbles est l'exemple du prêtre, l'exemple de toutes les vertus sacerdotales, telles que Nous les avons décrites dans Notre Encyclique Ad catholici sacerdotii (41); dans le cas présent, ce qu'il faut surtout, c'est un exemple lumineux de vie humble, pauvre, désintéressée, copie fidèle de la vie du divin Maître, qui pouvait proclamer avec une franchise divine: " Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête " (42). Un prêtre qui est vraiment, évangéliquement pauvre et désintéressé fait des miracles de bien au milieu du peuple : tel un saint Vincent de Paul, un Curé d'Ars, un Cottolengo, un Don Bosco et tant d'autres. Au contraire, un prêtre avare et intéressé, comme Nous l'avons rappelé dans l'Encyclique citée plus haut, même s'il ne se jette pas, comme Judas, dans l'abîme de la trahison, sera tout au moins un vain " airain sonore " et une inutile " cymbale retentissante " (43), trop souvent même un obstacle au bien plutôt qu'un instrument de grâce parmi le peuple. Et si le prêtre séculier ou régulier a par office l'administration de biens temporels, qu'il se souvienne que non seulement il doit scrupuleusement observer les prescriptions de la charité et de la justice, mais encore se montrer, d'une façon toute spéciale, un vrai père des pauvres.
64 Après cet appel au clergé, Nous adressons Notre invitation paternelle à Nos très chers fils du laïcat, qui militent dans les rangs de cette Action catholique qui Nous est si chère, et que Nous avons appelée, en une autre occasion (44) " une aide particulièrement providentielle " à l'oeuvre de l'Eglise, en ces circonstances si difficiles. L'Action catholique, en effet, est bien un apostolat social, puisqu'elle vise à étendre le règne de Jésus-Christ non seulement chez les individus, mais encore dans les familles et dans la société. Aussi doit-elle s'appliquer d'abord avec un soin spécial à former ses membres et à les préparer aux saints combats du Seigneur. A ce travail de formation, d'une nécessité plus que jamais urgente, préliminaire obligé de l'action directe et effective, serviront certainement les cercles d'étude, les Semaines sociales, les cours méthodiques de conférences et toutes autres semblables initiatives, aptes à faire connaître la solution chrétienne des problèmes sociaux.
65 65. Des militants de l'Action catholique ainsi bien préparés et exercés seront immédiatement les premiers apôtres de leurs compagnons de travail, et deviendront les précieux auxiliaires du prêtre pour porter la lumière de .la vérité et soulager les détresses matérielles et spirituelles en d'innombrables zones que des préjugés invétérés contre le clergé ou une déplorable apathie religieuse ont rendues réfractaires à l'action des ministres de Dieu. On coopérera ainsi, sous la conduite de prêtres particulièrement expérimentés, à cette assistance religieuse à la classe ouvrière, qui Nous tient tant à coeur, comme étant le moyen le plus apte pour préserver des embûches communistes ces fils bien-aimés.
66 66. Outre cet apostolat individuel, bien souvent caché, mais extrêmement utile et efficace, c'est le rôle de l'Action catholique de répandre largement, par la parole et par la plume, tels qu'ils émanent des documents pontificaux, les principes fondamentaux qui doivent servir à la construction d'un ordre social chrétien.
1937 Pie XI, Divini Redemptoris 36