Lettres encycliques du pape PIE X - Au peuple catholique - Appel à l'union



UNE FOIS ENCORE

LETTRE ENCYCLIQUE

DE SA SAINTETÉ LE PAPE PIE X



A Nos vénérés Frères les Cardinaux, Archevêques et Evêques de France, au Clergé et au Peuple français, Vénérables Frères, Bien-aimés Fils, Salut et bénédiction apostolique,

Une fois encore, les graves événements qui se précipitent en votre noble pays, Nous amènent à adresser la parole à l'Eglise de France pour la soutenir dans ses épreuves et pour la consoler dans sa douleur. C'est en effet, quand les fils sont dans la peine que le coeur du Père doit plus que jamais s'incliner vers eux.

C'est par conséquent, lorsque Nous vous voyons souffrir que, du fond de Notre âme paternelle, les flots de tendresse doivent jaillir avec plus d'abondance et aller vers vous plus réconfortants et plus doux.

Ces souffrances, Vénérables Frères et bien-aimés Fils, ont un écho douloureux dans toute l'Eglise catholique en ce moment; mais Nous les ressentons d'une façon bien plus vive encore et Nous y compatissons avec une tendresse qui, grandissant avec vos épreuves, semble s'accroître chaque jour.

A ces tristesses cruelles, le Maître a mêlé, il est vrai, une consolation on ne peut plus précieuse à Notre coeur. Elle Nous est venue de votre inébranlable attachement à l'Eglise, de votre fidélité indéfectible à ce Siège apostolique et de 1' union forte et profonde qui règne parmi vous. De cette fidélité et de cette union, Nous en étions sûr d'avance, car Nous connaissions trop la noblesse et la générosité du coeur français pour avoir à craindre qu'en plein champ de bataille, la désunion pût se glisser dans vos rangs. Nous n'en éprouvons pas moins une joie immense au spectacle magnifique que vous donnez actuellement, et en vous en louant hautement devant l'Eglise tout entière, Nous en bénissons du fond du coeur le Père des miséricordes, auteur de tous les biens.

Le recours à ce Dieu infiniment bon est d'autant plus nécessaire que, loin de s'apaiser, la lutte s'accentue et va sans cesse s'étendant. Ce n'est plus seulement la foi chrétienne qu'on veut à tout prix déraciner du milieu des coeurs, c'est encore toute croyance qui, élevant l'homme au-dessus des horizons de ce monde, reporte surnaturellement son regard lassé vers le ciel.

L'illusion, en effet, n'est plus possible. On a déclaré la guerre à tout ce qui est surnaturel, parce que derrière le surnaturel, Dieu se trouve et que ce que l'on veut rayer du coeur et de l'esprit de l'homme, c'est Dieu.

Cette lutte sera acharnée et sans répit de la part de ceux qui la mènent. Qu'au fur et à mesure qu'elle se déroulera, des épreuves plus dures que celles que vous avez connues jusqu'ici vous attendent, c'est possible et même probable. La sagesse commande donc à chacun de vous de s'y préparer. Vous le ferez simplement, vaillamment et avec confiance, sûrs que, quelle que soit la violence de la bataille, finalement la victoire restera entre vos mains.

Le gage de cette victoire sera votre union, union entre vous d'abord, union avec ce Siège apostolique ensuite. Cette double union vous rendra invincibles, et contre elle tous les efforts se briseront.

Nos ennemis ne s'y sont pas mépris du reste. Dès la première heure, et avec une sûreté de vue très grande, ils ont choisi leur objectif: en premier lieu, vous séparer de Nous et de la Chaire de Pierre, puis semer la division parmi vous. Depuis ce moment, ils n'ont pas changé de tactique; ils y sont revenus sans cesse et par tous les moyens: les uns avec des formules enveloppantes et pleines d'habileté, les autres avec brutalité et cynisme.

Promesses captieuses, primes déshonorantes offertes au schisme, menaces et violence, tout a été mis en jeu et employé. Mais votre clairvoyante fidélité a déjoué toutes ces tentatives. S'avisant alors que le meilleur moyen de vous séparer de Nous, c'était de vous ôter toute confiance dans le Siège apostolique, ils n'ont pas hésité du haut de la tribune et dans la presse, à jeter le discrédit sur Nos actes en méconnaissant, et parfois même en calomniant Nos intentions.

L'Eglise, a-t-on dit, cherche à susciter la guerre religieuse en France et elle y appelle la persécution violente de tous ses voeux. Etrange accusation, qu'une accusation pareille. Fondée par Celui qui est venu dans ce monde pour le pacifier et pour réconcilier l'homme avec Dieu, messagère de paix sur cette terre, l'Eglise ne pourrait vouloir la guerre religieuse qu'en répudiant sa mission sublime et en y mentant aux yeux de tous. A cette mission de douceur patiente et d'amour, elle reste au contraire et restera toujours fidèle. D'ailleurs, le monde entier sait aujourd'hui, à ne plus pouvoir s'y tromper, que si la paix des consciences est rompue en France, ce n'est pas du fait de l'Eglise, mais du fait de ses ennemis. Les esprits impartiaux, même lorsqu'ils ne partagent pas notre foi, reconnaissent que si l'on combat sur le terrain religieux dans votre patrie bien-aimée, ce n'est point parce que l'Eglise y a levé l'étendard la première, mais c'est parce qu'on lui a déclaré la guerre à elle-même. Cette guerre, depuis vingt cinq ans surtout, elle ne fait que la subir. Voilà la vérité. Les déclarations, mille fois faites et refaites dans la presse, dans les Congrès, dans les Convents maçonniques, au sein du Parlement lui-même, le prouvent aussi bien que les attaques qu'on a progressivement et méthodiquement menées contre elle. Ces faits sont indéniables et contre eux aucune parole ne pourra jamais prévaloir. L'Eglise ne veut donc pas la guerre, la guerre religieuse moins encore que les autres, et affirmer le contraire, c'est la calomnier et l'outrager.

Elle ne souhaite pas davantage la persécution violente. Cette persécution, elle la connaît pour l'avoir soufferte dans tous les temps et sous tous les cieux. Plusieurs siècles passés par elle dans le sang lui donnent donc le droit de dire avec une sainte fierté qu'elle ne la craint pas et que, toutes les fois que ce sera nécessaire, elle saura l'affronter. Mais la persécution en soi, c'est le mal, puisqu'elle est l'injustice et qu'elle empêche l'homme d'adorer Dieu en liberté. L'Eglise ne peut donc pas la souhaiter, même en vue du bien que, dans sa sagesse infinie, la Providence en tire toujours. En outre, la persécution n'est pas seulement le mal, elle est encore la souffrance, et c'est une raison nouvelle pour laquelle, par pitié pour ses enfants, l'Eglise, qui est la meilleure des mères, ne la désirera jamais.

Du reste, cette persécution à laquelle on lui reproche de vouloir pousser et qu'on se déclare bien décidé à lui refuser, on la lui inflige en réalité. N'a-t-on pas, tout dernièrement encore, expulsé de leurs évêchés les Evêques, même les plus vénérables et par l'âge et par les vertus; chassé les séminaristes des Grands et Petits Séminaires; commencé à bannir les curés de leur presbytère? Tout l'univers catholique a vu ce spectacle avec tristesse, et sur le nom qu'il convenait de donner à de pareilles violences, il n'a pas hésité.

En ce qui concerne les biens ecclésiastiques qu'on Nous accuse d'avoir abandonnés, il importe de remarquer que ces biens étaient, pour une partie, le patrimoine des pauvres et le patrimoine plus sacré encore, des trépassés. Il n'était donc pas plus permis à l'Eglise de les abandonner que de les livrer; elle ne pouvait que se les laisser arracher par la violence. Personne ne croira du reste, qu'elle ait délibérément abandonné, sinon sous la pression des raisons les plus impérieuses, ce qui lui avait été ainsi confié et ce qui lui était si nécessaire pour l'exercice du culte, pour l'entretien des édifices sacrés, pour la formation de ses clercs et pour la subsistance de ses ministres. C'est perfidement mise en demeure de choisir entre la ruine matérielle et une atteinte consentie à sa constitution, qui est d'origine divine, qu'elle a refusé, au prix même de la pauvreté, de laisser toucher en elle à l'oeuvre de Dieu. On lui a donc pris ses biens, elle ne les a pas abandonnés. Par conséquent, déclarer les biens ecclésiastiques vacants à une époque déterminée si, à cette époque, l'Eglise n'a pas créé dans son sein un organisme nouveau; soumettre cette création à des conditions en opposition certaine avec la constitution divine de cette Eglise, mise ainsi dans l'obligation de les repousser; attribuer ensuite ces biens à des tiers, comme s'ils étaient devenus des biens sans maître, et, finalement, affirmer qu'en agissant ainsi on ne dépouille pas l'Eglise mais qu'on dispose seulement de biens abandonnés par elle, ce n'est pas simplement raisonner en sophiste, c'est ajouter la dérision à la plus cruelle des spoliations. Spoliation indéniable, du reste, et qu'on chercherait en vain à pallier en affirmant qu'il n'existait aucune personne morale à qui ces biens pussent être attribués; car l'Etat est maître de conférer la personnalité civile à qui le bien public exige qu'elle soit conférée, aux établissements catholiques comme aux autres, et, dans tous les cas, il lui aurait été facile de ne pas soumettre la formation des associations cultuelles à des conditions en opposition directe avec la constitution divine de l'Eglise qu'elles étaient censées devoir servir.

Or, c'est précisément ce que l'on a fait relativement aux associations cultuelles. La loi les a organisées de telle sorte que ses dispositions à ce sujet vont directement à l'encontre de droits qui, découlant de sa constitution, sont essentiels à l'Eglise, notamment en ce qui touche la hiérarchie ecclésiastique, base inviolable donnée à son oeuvre par le divin Maître lui-même. De plus, la loi confère à ces associations des attributions qui sont de l'exclusive compétence de l'autorité ecclésiastique, soit en ce qui concerne l'exercice du culte, soit en ce qui concerne la possession et l'administration des biens. Enfin, non seulement ces associations cultuelles sont soustraites à la juridiction ecclésiastique, mais elles sont rendues justiciables de l'autorité civile. Voilà pourquoi Nous avons été amené, dans Nos précédentes encycliques, à condamner ces associations cultuelles, malgré les sacrifices matériels que cette condamnation emportait.

On Nous a accusé encore de parti pris et d'inconséquence. Il a été dit que Nous avions refusé d'approuver en France ce qui avait été approuvé en Allemagne. Mais ce reproche manque autant de fondement que de justice. Car, quoique la loi allemande fut condamnable sur bien des points et qu'elle n'ait été que tolérée à raison de maux plus grands à écarter, cependant les situations sont tout à fait différentes, et cette loi reconnaît expressément la hiérarchie catholique, ce que la loi française ne fait point.

Quant à la déclaration annuelle exigée pour l'exercice du culte, elle n'offrait pas toute la sécurité légale qu'on était en droit de désirer. Néanmoins, bien qu'en principe, les réunions des fidèles dans les églises n'aient aucun des éléments constitutifs propres aux réunions publiques et, qu'en fait, il soit odieux de vouloir les leur assimiler, pour éviter de plus grands maux, l'Eglise aurait pu être amenée à tolérer cette déclaration. Mais en statuant que "le curé ou le desservant ne serait plus" dans son église "qu'un occupant sans titre juridique; qu'il serait sans droit pour faire aucun acte d'administration" on a imposé aux ministres du culte, dans l'exercice même de leur ministère, une situation tellement humiliée et vague que, dans de pareilles conditions, la déclaration ne pouvait plus être acceptée.

Reste la loi récemment votée par les deux Chambres.

Au point de vue des biens ecclésiastiques, cette loi est une loi de spoliation, une loi de confiscation, et elle a consommé le dépouillement de l'Eglise. Quoique son divin Fondateur soit né pauvre dans une crèche et soit mort pauvre sur une croix, quoiqu'elle ait connu elle-même la pauvreté dès son berceau, les biens qu'elle avait entre les mains ne lui appartenaient pas moins en propre, et nul n'avait le droit de l'en dépouiller. Cette propriété indiscutable à tous les points de vue, avait été encore officiellement sanctionnée par l'Etat; il ne pouvait, par conséquent, pas la violer. Au point de vue de l'exercice du culte, cette loi a organisé l'anarchie; ce qu'elle instaure surtout, en effet, c'est l'incertitude et le bon plaisir. Incertitude, si les édifices du culte, toujours susceptibles de désaffection, seront mis ou non, en attendant, à la disposition du clergé et des fidèles; incertitude, s'ils leur seront conservés ou non, et pour quel laps de temps; arbitraire administratif réglant les conditions de la jouissance rendue éminemment précaire; pour le culte, autant de situations diverses en France qu'il y a de communes; dans chaque paroisse, le prêtre mis à la discrétion de l'autorité municipale, et, par conséquent, le conflit à l'état possible organisé d'un bout à l'autre du pays. Par contre, obligation de faire face à toutes les charges, même les plus lourdes, et, en même temps, limitation draconienne en ce qui concerne les ressources destinées à y pourvoir. Aussi, née d'hier, cette loi a-t-elle déjà soulevé d'innombrables et dures critiques de la part d'hommes appartenant indistinctement à tous les partis politiques et à toutes les opinions religieuses, et ces critiques seules suffiraient à la juger.

Il est aisé de constater par ce que Nous venons de vous rappeler, Vénérables Frères et bien-aimés Fils, que cette loi aggrave la loi de Séparation, et Nous ne pouvons dés lors que la réprouver.

Le texte imprécis et ambigu de certains des articles de cette loi met dans une nouvelle lumière le but poursuivi par nos ennemis. Ils veulent détruire l'Eglise et déchristianiser la France, ainsi que Nous vous l'avons déjà dit, mais sans que le peuple y prenne trop garde et qu'il y puisse, pour ainsi dire, faire attention. Si leur entreprise était vraiment populaire, comme ils le prétendent, ils ne balanceraient pas à la poursuivre visière relevée, et à en prendre hautement toute la responsabilité. Mais cette responsabilité, loin de l'assumer, ils s'en défendent, ils la repoussent et, pour mieux y réussir, ils la rejettent sur l'Eglise, leur victime. De toutes les preuves, c'est la plus éclatante que leur oeuvre néfaste ne répond pas aux voeux du pays.

C'est en vain, du reste, qu'après Nous avoir mis dans la nécessité cruelle de repousser les lois qu'ils ont faites, voyant les maux qu'ils ont attirés sur la patrie et sentant la réprobation universelle monter comme une lente marée vers eux, ils essayent d'égarer l'opinion publique et de faire retomber la responsabilité de ces maux sur Nous. Leur tentative ne réussira pas.


Quant à Nous, Nous avons accompli Notre devoir comme tout autre Pontife romain l'aurait fait. La haute charge dont il a plu au ciel de Nous investir, malgré Notre indignité, comme du reste la foi du Christ elle-même, foi que vous professez avec Nous, Nous dictait Notre conduite. Nous n'aurions pu agir autrement sans fouler aux pieds Notre conscience, sans forfaire au serment que Nous avons prêté en montant sur la Chaire de Pierre et sans violer la hiérarchie catholique, base donnée à l'Eglise par Notre Seigneur Jésus Christ. Nous attendons sans crainte, par conséquent, le verdict de l'histoire. Elle dira que, les yeux immuablement fixés sur les droits supérieurs de Dieu à défendre, Nous n'avons pas voulu humilier le pouvoir civil ni combattre une forme de gouvernement, mais sauvegarder l'oeuvre intangible de Notre Seigneur et Maître Jésus Christ. Elle dira que Nous vous avons défendus de toute la force de Notre immense tendresse, ô bien-aimés Fils; que ce que Nous avons réclamé et réclamons pour l'Eglise, dont l'Eglise de France est la fille aînée et une partie intégrante, c'est le respect de sa hiérarchie, l'inviolabilité de ses biens et la liberté; que, si l'on avait fait droit à Notre demande, la paix religieuse n'aurait pas été troublée en France, et que, le jour où on l'écoutera, cette paix si désirable y renaîtra.

Elle dira enfin que si, sûr d'avance de votre générosité magnanime, Nous n'avons pas hésité à vous dire que l'heure des sacrifices avait sonné, c'est pour rappeler au monde, au nom du Maître de toutes choses, que l'homme doit nourrir ici-bas des préoccupations plus hautes que celles des contingences périssables de cette vie, et que la joie suprême, l'inviolable joie de l'âme humaine sur cette terre, c'est le devoir surnaturellement accompli coûte que coûte, et, par là même, Dieu honoré, servi et aimé malgré tout.Confiant que la Vierge Immaculée, Fille du Père, Mère du Verbe, Epouse du Saint Esprit, vous obtiendra de la Très Sainte et Adorable Trinité des jours meilleurs, comme présage de l'accalmie qui suivra la tempête, Nous en avons la ferme espérance, c'est du fond de l'âme que Nous vous accordons Notre bénédiction apostolique, à vous, Vénérables Frères, ainsi qu'à votre clergé et au peuple français tout entier.

Donné à Rome, près de Saint Pierre, le jour de l'Épiphanie, le 6 janvier de l'année 1907, de Notre Pontificat le quatrième.





IL FERMO PROPOSITO

LETTRE ENCYCLIQUE

DE SA SAINTETÉ LE PAPE PIE X


SUR L'ACTION CATHOLIQUE ou ACTION DES CATHOLIQUES



Aux Evêques d'ItalieVénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

Le ferme propos (1) que Nous avons formé, dès les débuts de Notre Pontificat, de consacrer à la restauration de toutes choses dans le Christ toutes les forces que Nous tenons de la bonté du Seigneur, éveille en Notre coeur une grande confiance dans la grâce puissante de Dieu, sans laquelle Nous ne pouvons ici-bas concevoir ni entreprendre rien de grand et de fécond pour le salut des âmes. En même temps, Nous sentons plus vivement que jamais, pour ce noble dessein, le besoin de votre concours unanime et constant, Vénérables Frères appelés à partager Notre charge Pastorale, du concours de chacun des clercs et des fidèles confiés à vos soins. Tous, en vérité, dans la Sainte Eglise de Dieu, nous sommes appelés à former ce corps unique dont la tête est le Christ; corps étroitement organisé, comme l'enseigne l'apôtre saint Paul (2), et bien coordonné dans toutes ses articulations, et cela en vertu de l'opération propre de chaque membre, d'où le corps tire son propre accroissement et peu à peu se perfectionne dans le lien de la charité.

Et si dans cette oeuvre d'"édification du Corps du Christ" (3) Notre premier devoir est d'enseigner, d'indiquer la méthode à suivre et les moyens à employer, d'avertir et d'exhorter paternellement, c'est également le devoir de tous Nos Fils bien-aimés, répandus dans le monde entier, d'accueillir Nos paroles, de les réaliser d'abord en eux-mêmes et de contribuer efficacement à les réaliser aussi chez les autres, chacun selon la grâce qu'il a reçue de Dieu, selon son état et ses fonctions, selon le zèle dont son coeur est enflammé.

Ici, Nous voulons seulement rappeler ces multiples oeuvres de zèle, entreprises pour le bien de l'Eglise, de la société et des individus, communément désignées sous le nom d'Action Catholique, qui, par la grâce de Dieu, fleurissent en tout lieu et abondent pareillement en notre Italie.

Vous comprenez bien, Vénérables Frères, à quel point elles doivent Nous être chères, et quel est Notre intime désir de les voir affermies et favorisées. Non seulement, à maintes reprises, Nous en avons traité de vive voix au moins avec quelques-uns d'entre vous et avec vos principaux représentants en Italie quand ils Nous présentaient en personne l'hommage de leur dévouement et de leur affection filiale, mais de plus Nous avons, sur cette question, publié, ou fait publier par Notre autorité, certains actes que vous connaissez tous déjà. Il est vrai que certains de ces actes, comme l'exigeaient des circonstances douloureuses pour Nous, étaient plutôt destinés à écarter les obstacles qui entravaient la marche de l'action catholique et à condamner certaines tendances indisciplinées, qui allaient s'insinuant, au grave détriment de la cause commune.

Il tardait donc à Notre coeur d'envoyer à tous une parole de réconfort et de paternel encouragement, afin que, sur le terrain débarrassé autant qu'il dépend de Nous de tout obstacle, on continue à édifier le bien et à l'accroître largement. Nous sommes donc très heureux de le faire à présent par cette lettre, pour la consolation commune, avec la certitude que Notre parole sera de tous docilement écoutée et obéie.

Immense est le champ de l'action catholique; par elle-même, elle n'exclut absolument rien de ce qui, d'une manière quelconque, directement ou indirectement, appartient à la mission divine de l'Eglise.

On reconnaît sans peine la nécessité de concourir individuellement à une oeuvre si importante non seulement pour la sanctification de nos âmes, mais encore pour répandre et toujours mieux développer le règne de Dieu dans les individus, les familles et la société, chacun procurant selon ses propres forces le bien du prochain, par la diffusion de la vérité révélée, l'exercice des vertus chrétiennes et les oeuvres de charité ou de miséricorde spirituelle et corporelle. Telle est la conduite digne de Dieu à laquelle nous exhorte saint Paul, de façon à lui plaire en toutes choses en produisant les fruits de toutes les bonnes oeuvres et en progressant dans la science de Dieu: "Ut ambuletis digne Deo placentes: in omni opere bono fructificantes, et crescentes in scientia Dei" (4).

Outre ces biens, il en est un grand nombre de l'ordre naturel, qui, sans être directement l'objet de la mission de l'Eglise, en découlent cependant comme une de ses conséquences naturelles. La lumière de la Révélation catholique est telle qu'elle se répand très vive sur toute science; si grande est la force des maximes évangéliques que les préceptes de la loi naturelle y trouvent un fondement plus sûr et une plus puissante vigueur; telle est enfin l'efficacité de la vérité et de la morale enseignées par Jésus-Christ, que même le bien-être matériel des individus, de la famille et de la société humaine en reçoit providentiellement soutien et protection.

L'Eglise, tout en prêchant Jésus crucifié, scandale et folie pour le monde (5), est devenue la première inspiratrice et la promotrice de la civilisation. Elle l'a répandue partout où ont prêché ses apôtres, conservant et perfectionnant les bons éléments des antiques civilisations païennes, arrachant à la barbarie et élevant jusqu'à une forme de société civilisée les peuples nouveaux qui se réfugiaient dans son sein maternel, et donnant à la société entière, peu à peu sans doute, mais d'une marche sûre et toujours progressive, cette empreinte si caractéristique qu'encore aujourd'hui elle conserve partout.

La civilisation du monde est une civilisation chrétienne; elle est d'autant plus vraie, plus durable, plus féconde en fruits précieux, qu'elle est plus nettement chrétienne; d'autant plus décadente, pour le grand malheur de la société, qu'elle se soustrait davantage à l'idée chrétienne.

Aussi, par la force intrinsèque des choses, l'Eglise devient-elle encore en fait la gardienne et la protectrice de la civilisation chrétienne. Et ce fait fut reconnu et admis dans d'autres siècles de l'histoire; il forme encore le fondement inébranlable des législations civiles. Sur ce fait reposèrent les relations de l'Eglise et des Etats, la reconnaissance publique de l'autorité de l'Eglise dans toutes les matières qui touchent de quelque façon à la conscience, la subordination de toutes les lois de l'Etat aux divines lois de l'Evangile, l'accord des deux pouvoirs, civil et ecclésiastique, pour procurer le bien temporel des peuples de telle manière que le bien éternel n'en eût pas à souffrir.

Nous n'avons pas besoin de vous dire, Vénérables Frères, la prospérité et le bien-être, la paix et la concorde, la respectueuse soumission à l'autorité et l'excellent gouvernement qui s'établiraient et se maintiendraient dans ce monde si l'on pouvait réaliser partout le parfait idéal de la civilisation chrétienne. Mais, étant donnée la lutte continuelle de la chair contre l'Esprit, des ténèbres contre la lumière, de Satan contre Dieu, Nous ne pouvons espérer un si grand bien, au moins dans sa pleine mesure. De là, contre les pacifiques conquêtes de l'Eglise, d'incessantes attaques, d'autant plus douloureuses et funestes que la société humaine tend davantage à se gouverner d'après des principes opposés au concept chrétien et à se séparer entièrement de Dieu.

Ce n'est pas une raison pour perdre courage. L'Eglise sait que les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle; mais elle sait aussi que dans ce monde elle trouvera l'oppression, que ses apôtres sont envoyés comme des agneaux au milieu des loups, que ses fidèles seront toujours couverts de haine et de mépris, comme fut rassasié de haine et de mépris son divin Fondateur. L'Eglise va néanmoins en avant sans crainte, et, tandis qu'elle étend le règne de Dieu dans les régions où il n'a pas encore été prêché, elle s'efforce par tous les moyens de réparer les pertes éprouvées dans le royaume déjà conquis.

Tout restaurer dans le Christ a toujours été la devise de l'Eglise, et c'est particulièrement la Nôtre, dans les temps périlleux que Nous traversons. Restaurer toutes choses, non d'une manière quelconque, mais dans le Christ; "ce qui est sur la terre et ce qui est dans le ciel en lui" (6), ajoute l'Apôtre; restaurer dans le Christ non seulement ce qui incombe directement à l'Église en vertu de sa divine mission qui est de conduire les âmes à Dieu, mais encore, comme Nous l'avons expliqué, ce qui découle spontanément de cette divine mission, la civilisation chrétienne dans l'ensemble de tous et de chacun des éléments qui la constituent.

Et pour Nous arrêter à cette seule dernière partie de la restauration désirée, vous voyez bien, Vénérables Frères, quel appui apportent à l'Eglise ces troupes choisies de catholiques qui se proposent précisément de réunir ensemble toutes leurs forces vives dans le but de combattre par tous les moyens justes et légaux la civilisation antichrétienne; réparer par tous les moyens les désordres si graves qui en dérivent; replacer Jésus-Christ dans la famille, dans l'école, dans la société; rétablir le principe de l'autorité humaine comme représentant celle de Dieu; prendre souverainement à coeur les intérêts du peuple et particulièrement ceux de la classe ouvrière et agricole, non seulement en inculquant au coeur de tous le principe religieux, seule source vraie de consolation dans les angoisses de la vie, mais en s'efforçant de sécher leurs larmes, d'adoucir leurs peines, d'améliorer leur condition économique par de sages mesures; s'employer, par conséquent, à rendre les lois publiques conformes à la justice, à corriger ou supprimer celles qui ne le sont pas; défendre enfin et soutenir avec un esprit vraiment catholique les droits de Dieu en toutes choses et les droits non moins sacrés de l'Eglise.

L'ensemble de toutes ces oeuvres, dont les principaux soutiens et promoteurs sont des laïques catholiques, et dont la conception varie suivant les besoins propres de chaque nation et les circonstances particulières de chaque pays, constitue précisément ce que l'on a coutume de désigner par un terme spécial et assurément très noble: Action catholique ou Action des catholiques. Elle est toujours venue en aide à l'Eglise, et l'Eglise l'a toujours accueillie favorablement et bénie, bien qu'elle se soit diversement exercée selon les époques.

Et ici, il faut remarquer tout de suite qu'il est aujourd'hui impossible de rétablir sous la même forme toutes les institutions qui ont pu être utiles et même les seules efficaces dans les siècles passés, si nombreuses sont les modifications radicales que le cours des temps introduit dans la société et dans la vie publique, et si multiples les besoins nouveaux que les circonstances changeantes ne cessent de susciter. Mais l'Eglise, en sa longue histoire, a toujours et en toute occasion lumineusement démontré qu'elle possède une vertu merveilleuse d'adaptation aux conditions variables de la société civile: sans jamais porter atteinte à l'intégrité ou l'immutabilité de la foi, de la morale, et en sauvegardant toujours ses droits sacrés, elle se plie et s'accommode facilement, en tout ce qui est contingent et accidentel, aux vicissitudes des temps et aux nouvelles exigences de la société.

La piété, dit saint Paul, se prête à tout, possédant les promesses divines pour les biens de la vie présente comme pour ceux de la vie future: "Pietas autem ad omnia utilis est, promissionem habens vitae, quae nunc est et futurae" (7). Et donc aussi, l'action catholique, tout en variant, quand il est opportun, ses formes extérieures et ses moyens d'action, reste toujours la même dans les principes qui la dirigent et le but très noble qu'elle poursuit. Et pour qu'en même temps elle soit vraiment efficace, il conviendra d'indiquer avec soin les conditions qu'elle exige elle-même si l'on considère bien sa nature et sa fin.

Avant tout, il faut être profondément convaincu que l'instrument est inutile s'il n'est approprié au travail que l'on veut exécuter. L'action catholique (comme il ressort jusqu'à l'évidence de ce qui vient d'être dit), se proposant de restaurer toutes choses dans le Christ, constitue un véritable apostolat à l'honneur et la gloire du Christ lui-même. Pour bien l'accomplir, il nous faut la grâce divine, et l'apôtre ne la reçoit point s'il n'est uni au Christ. C'est seulement quand nous aurons formé Jésus-Christ en nous que nous pourrons plus facilement le rendre aux familles, à la société. Tous ceux donc qui sont appelés à diriger ou qui se consacrent à promouvoir le mouvement catholique, doivent être des catholiques à toute épreuve, convaincus de leur foi, solidement instruits des choses de la religion, sincèrement soumis à l'Eglise et en particulier à cette suprême Chaire apostolique et au Vicaire de Jésus-Christ sur la terre; ils doivent être des hommes d'une piété véritable, de mâles vertus, de moeurs pures et d'une vie tellement sans tache qu'ils servent à tous d'exemple efficace.

Si l'esprit n'est pas ainsi réglé, il sera non seulement difficile de promouvoir les autres au bien, mais presque impossible d'agir avec une intention droite, et les forces manqueront pour supporter avec persévérance les ennuis qu'entraîne avec lui tout apostolat, les calomnies des adversaires, la froideur et le peu de concours des hommes de bien eux-mêmes, parfois enfin les jalousies des amis et des compagnons d'armes, excusables sans doute, étant donnée la faiblesse de la nature humaine, mais grandement préjudiciables et causes de discordes, de heurts et de querelles intestines. Seule, une vertu patiente et affermie dans le bien, et en même temps suave et délicate, est capable d'écarter ou de diminuer ces difficultés de façon que l'oeuvre à laquelle sont consacrées les forces catholiques ne soit pas compromise. La volonté de Dieu, disait saint Pierre aux premiers chrétiens, est qu'en faisant le bien vous fermiez la bouche aux insensés: "Sic est voluntas Dei, ut bene facientes obmutescere faciatis imprudentium hominum ignorantiam" (8).

Il importe, en outre, de bien définir les oeuvres pour lesquelles les forces catholiques se doivent dépenser avec toute énergie et constance. Ces oeuvres doivent être d'une importance si évidente, répondre de telle sorte aux besoins de la société actuelle, s'adapter si bien aux intérêts moraux et matériels, surtout ceux du peuple et des classes déshéritées, que, tout en excitant la meilleure activité chez les promoteurs de l'action catholique pour les résultats importants et certains qu'elles font espérer d'elles-mêmes, elles soient aussi par tous facilement comprises et volontiers accueillies.Précisément parce que les graves problèmes de la vie sociale d'aujourd'hui exigent une solution prompte et sûre, tout le monde a le plus vif intérêt à savoir et connaître les divers modes sous lesquels ces solutions se présentent en pratique. Les discussions dans un sens ou dans l'autre se multiplient de plus en plus et se répandent facilement au moyen de la presse. Il est donc souverainement nécessaire que l'action catholique saisisse le moment opportun, marche en avant avec courage, propose elle aussi sa solution et la fasse valoir par une propagande ferme, active, intelligente, disciplinée, capable de s'opposer directement à la propagande adverse.

La bonté et la justice des principes chrétiens, la droite morale que professent les catholiques, leur entier désintéressement pour ce qui leur est personnel, la franchise et la sincérité avec laquelle ils recherchent uniquement le vrai, le solide, le suprême bien d'autrui, enfin leur évidente aptitude à servir mieux encore que les autres les vrais intérêts économiques du peuple, tout cela ne peut manquer de faire impression sur l'esprit et le coeur de tous ceux qui les écoutent, d'en grossir les rangs de manière à faire d'eux un corps solide et compact, capable de résister vigoureusement au courant contraire et de tenir les adversaires en respect.

Ce besoin suprême, Notre prédécesseur Léon XIII, de sainte mémoire, le perçut pleinement en indiquant, surtout dans la mémorable Encyclique Rerum Novarum et dans d'autres documents postérieurs, l'objet autour duquel doit principalement se déployer l'action catholique, à savoir la solution pratique de la question sociale selon les principes chrétiens. Et Nous-même, suivant ces règles si sages, Nous avons, dans Notre Motu proprio du 18 décembre 1903, donné à l'action populaire chrétienne, qui comprend en elle tout le mouvement catholique social, une constitution fondamentale qui pût être comme la règle pratique du travail commun et le lien de la concorde et de la charité. Sur ce terrain donc, et dans ce but très saint et très nécessaire, doivent avant tout se grouper et s'affermir les oeuvres catholiques, variées et multiples de forme, mais toutes également destinées à promouvoir efficacement le même bien social.

Mais pour que cette action sociale se maintienne et prospère avec la nécessaire cohésion des oeuvres diverses qui la composent, il importe par-dessus tout que les catholiques observent entre eux une concorde exemplaire; et, par ailleurs, on ne l'obtiendra jamais s'il n'y a en tous unité de vues. Sur une telle nécessité il ne peut y avoir aucune sorte de doute, tant sont clairs et évidents les enseignements donnés par cette Chaire apostolique, tant est vive la lumière qu'ont répandue, sur ce sujet, par leurs écrits, les plus remarquables catholiques de tous les pays, tant est louable l'exemple - plusieurs fois proposé par Nous-même - des catholiques d'autres nations, qui, précisément par cette concorde et unité de vues, ont, en peu de temps, obtenu des fruits féconds et très consolants!

Pour assurer ce résultat, parmi les diverses oeuvres également dignes d'éloge on a constaté ailleurs la singulière efficacité d'une institution de caractère général, qui, sous le nom d'"Union populaire", est destinée à réunir les catholiques de toutes les classes sociales, mais spécialement les grandes masses du peuple, autour d'un centre unique et commun de doctrine, de propagande et d'organisation sociale.

Elle répond à un besoin également senti presque dans tous les pays; la simplicité de sa constitution résulte de la nature même des choses, qui se rencontre également partout; aussi ne peut-on dire qu'elle soit propre à une nation plutôt qu'à une autre, mais elle convient à toutes celles où se manifestent les mêmes besoins et surgissent les mêmes périls. Son caractère éminemment populaire la fait facilement aimer et accepter; elle ne trouble ni ne gêne aucune autre institution, mais elle donne plutôt aux autres institutions force et cohésion, car son organisation strictement personnelle pousse les individus à entrer dans les institutions particulières, les forme à un travail pratique et vraiment profitable, et unit tous les esprits dans une même pensée et une même volonté.

Ce centre social ainsi établi, toutes les autres institutions de caractère économique destinées à résoudre pratiquement et sous ses aspects variés le problème social se trouvent comme spontanément groupées ensemble pour le but général qui les unit; ce qui ne les empêche pas de prendre, suivant les divers besoins auxquels elles pourvoient, des formes diverses et des moyens d'action différents, comme le réclame le but particulier de chacune d'elles.

Et ici il Nous est fort agréable d'exprimer, avec Notre satisfaction pour le grand progrès qui sur ce point a déjà été fait en Italie, la ferme espérance que, Dieu aidant, on fera encore beaucoup plus à l'avenir en affermissant le bien obtenu et en l'étendant avec un zèle toujours croissant.

C'est cette ligne de conduite qui a mérité les plus grands éloges à l'Œuvre des Congrès et Comités catholiques, grâce à l'activité intelligente des hommes excellents qui la dirigeaient et qui ont été préposés à ses diverses institutions particulières ou les dirigent encore actuellement.

C'est pourquoi, de même que, en vertu de Notre propre volonté, un pareil centre ou union d'oeuvres de caractère économique a été expressément maintenu lors de la dissolution de la susdite Œuvre des Congrès, ainsi il devra fonctionner encore dans l'avenir sous la diligente direction de ceux qui lui sont préposés.

En outre, pour que l'action catholique soit de tous points efficace, il ne suffit pas qu'elle soit proportionnée aux nécessités sociales actuelles; il convient encore qu'elle soit mise en valeur par tous les moyens pratiques que lui fournissent aujourd'hui le progrès des études sociales et économiques, les expériences déjà faites ailleurs, les conditions de la société civile, la vie publique même des États.

Autrement l'on s'expose à marcher longtemps à tâtons, à la recherche de choses nouvelles et hasardées, alors que l'on en a sous la main de bonnes et certaines qui ont déjà fait excellemment leurs preuves; ou bien l'on court encore le danger de proposer des institutions et des méthodes qui convenaient peut-être à d'autres époques, mais qui aujourd'hui ne sont pas comprises par le peuple; on risque enfin de s'arrêter à mi-chemin parce qu'on n'use pas, même dans la mesure légitime, de ces droits de citoyen que les constitutions civiles modernes offrent à tous et par conséquent même aux catholiques.

Et, pour Nous arrêter à ce dernier point, il est certain que les constitutions actuelles des Etats donnent indistinctement à tous la faculté d'exercer une influence sur la chose publique, et les catholiques, tout en respectant les obligations imposées par la loi de Dieu et les prescriptions de l'Eglise, peuvent en user en toute sûreté de conscience pour se montrer, tout autant et même mieux que les autres, capables de coopérer au bien-être matériel et civil du peuple, et acquérir ainsi une autorité et une considération qui leur permettent aussi de défendre et de promouvoir les biens d'un ordre plus élevé, qui sont les biens de l'âme.

Ces droits civils sont multiples et de différente nature, jusqu'à celui de participer directement à la vie politique du pays par la représentation du peuple dans les Assemblées législatives. De très graves raisons Nous dissuadent, Vénérables Frères, de Nous écarter de la règle jadis établie par Notre Prédécesseur Pie IX, de sainte mémoire, et suivie ensuite, durant son long pontificat, par Notre autre Prédécesseur Léon XIII, de sainte mémoire; selon cette règle il reste en général interdit aux catholiques d'Italie de participer au pouvoir législatif.

Toutefois, d'autres raisons pareillement très graves, tirées du bien suprême de la société, qu'il faut sauver à tout prix, peuvent réclamer que dans des cas particuliers on dispense de la loi, spécialement dans le cas où Vous, Vénérables Frères, vous en reconnaissiez la stricte nécessité pour le bien des âmes et les intérêts suprêmes de vos Églises, et que vous en fassiez la demande.

Or, la possibilité de cette bienveillante concession de Notre part entraîne pour tous les catholiques le devoir de se préparer prudemment et sérieusement à la vie politique, pour le moment où ils y seraient appelés.

D'où il importe beaucoup que cette même activité, déjà louablement déployée par les catholiques pour se préparer, par une bonne organisation électorale, à la vie administrative des Communes et des Conseils provinciaux, s'étende encore à la préparation convenable et à l'organisation pour la vie politique, comme la recommandation en fut faite opportunément par la Présidence générale des Œuvres économiques en Italie dans sa Circulaire du 3 décembre 1904.

En même temps, il faudra inculquer et suivre en pratique les principes élevés qui règlent la conscience de tout vrai catholique: il doit se souvenir avant tout d'être en toute circonstance et de se montrer vraiment catholique, assumant et exerçant les charges publiques avec la ferme et constante résolution de promouvoir autant qu'il le peut le bien social et économique de la patrie et particulièrement du peuple, suivant les principes de la civilisation nettement chrétienne, et de défendre en même temps les intérêts suprêmes de l'Eglise, qui sont ceux de la religion et de la justice.

Tels sont, Vénérables Frères, les caractères, l'objet et les conditions de l'action catholique considérée dans sa partie la plus importante, qui est la solution de la question sociale, et qui, à ce titre, mérite l'application la plus énergique et la plus constante de toutes les forces catholiques.

Cela n'exclut pas que l'on favorise et développe aussi d'autres oeuvres de genre différent, d'organisation variée, mais qui visent toutes également tel ou tel bien particulier de la société et du peuple et une nouvelle efflorescence de la civilisation chrétienne, sous divers aspects déterminés.

Ces oeuvres surgissent la plupart grâce au zèle de quelques particuliers, se répandent dans chaque diocèse, et quelquefois se groupent en fédérations plus étendues. Or, toutes les fois que le but en est louable, que les principes chrétiens sont fermement suivis et que les moyens employés sont justes, il faut les louer elles aussi et les encourager de toute façon.

Il faudra aussi leur laisser une certaine liberté d'organisation, car il n'est pas possible que là où plusieurs personnes se rencontrent elles se modèlent toutes sur le même type, ou se concentrent sous une direction unique. Quant à l'organisation, elle doit surgir spontanément des oeuvres mêmes; sinon l'on aurait des édifices de belle architecture mais privés de fondement réel, et partant tout à fait éphémères.

Il convient aussi de tenir compte du caractère de chaque population; les usages, les tendances varient suivant les lieux. Ce qui importe, c'est que l'on édifie sur un bon fondement, avec de solides principes, avec zèle et constance; et, si cela est obtenu, la manière et la forme que prennent les différentes oeuvres sont et demeurent accidentelles.

Pour renouveler enfin et pour accroître la vigueur nécessaire dans toutes les oeuvres catholiques indistinctement, pour offrir à leurs promoteurs et à leurs membres l'occasion de se voir et de se connaître mutuellement, de resserrer toujours plus étroitement entre eux les liens de la charité fraternelle, de s'animer les uns les autres d'un zèle toujours plus ardent à l'action efficace, et de pourvoir à une meilleure solidité et à une diffusion des oeuvres mêmes, il sera d'une merveilleuse utilité d'organiser de temps en temps, selon les instructions déjà données par ce Saint-Siège apostolique, des Congrès généraux ou particuliers de catholiques italiens, qui doivent être la solennelle manifestation de la foi catholique et la fête commune de la concorde et de la paix.

Il Nous reste, Vénérables Frères, à traiter un autre point de la plus grande importance: les relations que toutes les oeuvres de l'action catholique doivent avoir avec l'autorité ecclésiastique.

Si l'on considère bien les doctrines que Nous avons développées dans la première partie de Notre Lettre, l'on conclura facilement que toutes les oeuvres qui viennent directement en aide au ministère spirituel et pastoral de l'Eglise, et qui par suite se proposent une fin religieuse visant directement le bien des âmes, doivent dans tous leurs détails être subordonnées à l'autorité de l'Eglise et, partant, également à l'autorité des évêques, établis par l'Esprit-Saint pour gouverner l'Eglise de Dieu dans les diocèses qui leur ont été assignés.

Mais, même les autres oeuvres qui, comme Nous l'avons dit, sont principalement fondées pour restaurer et promouvoir dans le Christ la vraie civilisation chrétienne, et qui constituent, dans le sens donné plus haut, l'action catholique, ne peuvent nullement se concevoir indépendantes du conseil et de la haute direction de l'autorité ecclésiastique, d'autant plus d'ailleurs qu'elles doivent toutes se conformer aux principes de la doctrine et de la morale chrétiennes; il est bien moins possible encore de les concevoir en opposition plus ou moins ouverte avec cette même autorité.

Il est certain que de telles oeuvres, étant donnée leur nature, doivent se mouvoir avec la liberté qui leur convient raisonnablement, puisque c'est sur elles-mêmes que retombe la responsabilité de leur action, surtout dans les affaires temporelles et économiques ainsi que dans celles de la vie publique, administrative ou politique, toutes choses étrangères au ministère purement spirituel. Mais puisque les catholiques portent toujours la bannière du Christ, par cela même ils portent la bannière de l'Eglise; et il est donc raisonnable qu'ils la reçoivent des mains de l'Eglise, que l'Eglise veille à ce que l'honneur en soit toujours sans tache, et qu'à l'action de cette vigilance maternelle les catholiques se soumettent en fils dociles et affectueux.

D'où il apparaît manifestement combien furent mal avisés ceux-là, peu nombreux à la vérité, qui, ici en Italie et sous Nos yeux, voulurent se charger d'une mission qu'ils n'avaient reçue ni de Nous ni d'aucun de nos Frères dans l'épiscopat, et qui se mirent à la remplir non seulement sans le respect dû à l'autorité, mais même en allant ouvertement contre ce qu'elle voulait, cherchant à légitimer leur désobéissance par de futiles distinctions. Ils disaient eux aussi, qu'ils levaient une bannière au nom du Christ; mais une telle bannière ne pouvait pas être du Christ parce qu'elle ne portait point dans ses plis la doctrine du divin Rédempteur qui, encore ici, a son application: "Celui qui vous écoute, m'écoute; et celui qui vous méprise, me méprise" (9); "celui qui n'est pas avec moi, est contre moi, et celui qui n'amasse pas avec moi, dissipe" (10); doctrine donc d'humilité, de soumission, de filial respect.

Avec une extrême amertume de coeur Nous avons dû condamner une pareille tendance et arrêter avec autorité le mouvement pernicieux qui déjà se dessinait. Et Notre douleur était d'autant plus vive que Nous voyions imprudemment entraînés par une voix aussi fausse bon nombre de jeunes gens qui Nous sont très chers, dont beaucoup ont une intelligence d'élite, un zèle ardent, et qui sont capables d'opérer efficacement le bien pourvu qu'ils soient bien dirigés.

Et, pendant que Nous montrons à tous la ligne de conduite que doit suivre l'action catholique, Nous ne pouvons dissimuler, Vénérables Frères, le sérieux péril auquel la condition des temps expose aujourd'hui le clergé: c'est de donner une excessive importance aux intérêts matériels du peuple en négligeant les intérêts bien plus graves de son ministère sacré.

Le prêtre, élevé au-dessus des autres hommes pour remplir la mission qu'il tient de Dieu, doit se maintenir également au-dessus de tous les intérêts humains, de tous les conflits, de toutes les classes de la société. Son propre champ d'action est l'Eglise, où, ambassadeur de Dieu, il prêche la vérité et inculque, avec le respect des droits de Dieu, le respect aux droits de toutes les créatures. En agissant ainsi, il ne s'expose à aucune opposition, il n'apparaît pas homme de parti, soutien des uns, adversaire des autres; et, pour éviter de heurter certaines tendances ou pour ne pas exciter sur beaucoup de sujets les esprits aigris, il ne se met pas dans le péril de dissimuler la vérité ou de la taire, manquant dans l'un et dans l'autre cas à ses devoirs; sans ajouter que, amené à traiter bien souvent de choses matérielles, il pourrait se trouver impliqué solidairement dans des obligations nuisibles à sa personne et à la dignité de son ministère. Il ne devra donc prendre part à des Associations de ce genre qu'après mûre délibération, d'accord avec son évêque, et dans les cas seulement où sa collaboration est à l'abri de tout danger et d'une évidente utilité.

On ne met pas, de cette façon, un frein à son zèle. Le véritable apôtre doit "se faire tout à tous, pour les sauver tous" (11): comme autrefois le divin Rédempteur, il doit se sentir ému d'une profonde pitié en "contemplant les foules ainsi tourmentées, gisant comme des brebis sans pasteur" (12).

Que, par la propagande efficace de la presse, les exhortations vivantes de la parole, le concours direct dans les cas indiqués plus haut, chacun s'emploie donc à améliorer, dans les limites de la justice et de la charité, la condition économique du peuple en favorisant et propageant les institutions qui conduisent à ce résultat, celles surtout qui se proposent de bien discipliner les multitudes en les prémunissant contre la tyrannie envahissante du socialisme, et qui les sauvent à la fois de la ruine économique et de la désorganisation morale et religieuse. De cette façon, la participation du clergé aux oeuvres de l'action catholique a un but hautement religieux; elle ne sera jamais pour lui un obstacle, mais, au contraire, une aide dans son ministère spirituel, dont elle élargira le champ d'action et multipliera les fruits.

Voilà, Vénérables Frères, ce que Nous avions à coeur d'exposer et d'inculquer relativement à l'action catholique telle qu'il faut la soutenir et la promouvoir dans notre Italie.

Montrer le bien ne suffit pas; il faut le réaliser dans la pratique. A cela aideront beaucoup vos encouragements et Nos exhortations paternelles et immédiates à bien faire. Les débuts pourront être humbles; pourvu que l'on commence réellement, la grâce divine les fera croître en peu de temps et prospérer. Que tous Nos fils chéris qui se dévouent à l'action catholique, écoutent à nouveau la parole qui jaillit si spontanément de Notre coeur. Au milieu des amertumes qui Nous environnent chaque jour, si Nous avons quelque consolation dans le Christ, s'il Nous vient quelque réconfort de votre charité, s'il y a communion d'esprit et compassion de coeur, vous dirons-Nous avec l'apôtre saint Paul (13), rendez complète Notre joie par votre concorde, votre charité mutuelle, votre unanimité de sentiments, l'humilité et la soumission due, en cherchant non pas l'intérêt propre mais le bien commun, et en faisant passer dans vos coeurs les sentiments mêmes qui étaient ceux de Jésus-Christ Notre Sauveur. Qu'il soit le principe de toutes vos entreprises: "Tout ce que vous dites ou faites, que tout soit au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ" (14), qu'il soit le terme de toute votre activité: "Que tout absolument soit de Lui, pour Lui, à Lui; à Lui gloire dans les siècles" (15)! En ce jour, très heureux, qui rappelle le moment où les Apôtres, remplis de l'Esprit-Saint, sortirent du Cénacle pour prêcher au monde le règne du Christ, que descende pareillement sur vous tous la vertu du même Esprit; qu'Il adoucisse toute dureté, qu'Il réchauffe les âmes froides, et qu'Il remette dans les droits sentiers tout ce qui est dévoyé: "Flecte quod est rigidum, fove quod est frigidum, rege quod est devium".

Comme signe de la faveur divine, et gage de Notre très spéciale affection, Nous vous accordons du fond du coeur, Vénérables Frères, à vous, à votre clergé et au peuple italien, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de la Pentecôte, le 11 juin 1905, l'an II de Notre Pontificat.


Lettres encycliques du pape PIE X - Au peuple catholique - Appel à l'union