1963 Pacem in terris
11 avril 1963
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La paix sur la terre, objet du profond désir de l'humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s'affermir que dans le respect absolu de l'ordre établi par Dieu.
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Les progrès des sciences et les inventions de la technique nous en convainquent dans les êtres vivants et dans les forces de l'univers, il règne un ordre admirable, et c'est la grandeur de l'homme de pouvoir découvrir cet ordre et se forger les instruments par lesquels il capte les énergies naturelles et les assujettit à son service.
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Mais ce que montrent avant tout les progrès scientifiques et les inventions de la technique, c'est la grandeur infinie de Dieu, Créateur de l'univers et de l'homme lui-même. Il a créé l'univers en y déployant la munificence de sa sagesse et de sa bonté. Comme dit le Psalmiste: "Seigneur, Seigneur, que ton nom est magnifique sur la terre, Ps 8,1 que tes oeuvres sont nombreuses, Seigneur ! Tu les as toutes accomplies avec sagesse". Ps 104,24
Et il a créé l'homme intelligent et libre à son image et ressemblance, Gn 1,26 l'établissant maître de l'univers: "Tu l'as fait de peu inférieur aux anges; de gloire et d'honneur tu l'as couronné; tu lui as donné pouvoir sur les oeuvres de tes mains, tu as mis toutes choses sous ses pieds". Ps 8,5-6
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L'ordre si parfait de l'univers contraste douloureusement avec les désordres qui opposent entre eux les individus et les peuples, comme si la force seule pouvait régler leurs rapports mutuels.
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Pourtant le Créateur du monde a inscrit l'ordre au plus intime des hommes: ordre que la conscience leur révèle et leur enjoint de respecter: "Ils montrent gravé dans leur coeur le contenu même de la Loi, tandis que leur conscience y ajoute son témoignage". Rm 2,15
Comment n'en irait-il pas ainsi, puisque toutes les oeuvres de Dieu reflètent son infinie sagesse, et la reflètent d'autant plus clairement qu'elles sont plus élevées dans l'échelle des êtres. Ps 19,8-11
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Mais la pensée humaine commet fréquemment l'erreur de croire que les relations des individus avec leur communauté politique peuvent se régler selon les lois auxquelles obéissent les forces et les éléments irrationnels de l'univers. Alors que les normes de la conduite des hommes sont d'une autre essence: il faut les chercher là où Dieu les a inscrites, à savoir dans la nature humaine.
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Ce sont elles qui indiquent clairement leur conduite aux hommes, qu'il s'agisse des rapports des individus les uns envers les autres dans la vie sociale; des rapports entre citoyens et autorités publiques au sein de chaque communauté politique; des rapports entre les diverses communautés politiques; enfin des rapports entre ces dernières et la communauté mondiale, dont la création est aujourd'hui si impérieusement réclamée par les exigences du bien commun universel.
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Il faut, en premier lieu, parler de l'ordre qui doit régner entre les êtres humains.
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Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c'est le principe que tout être humain est une personne, c'est-à-dire une nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là même il est sujet de droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et immédiatement, de sa nature: aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables. (cf. Pie XII, Radio message de Noël 1942)
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Si nous considérons la dignité humaine à la lumière des vérités révélées par Dieu, nous ne pouvons que la situer bien plus haut encore. Les hommes ont été rachetés par le sang du Christ Jésus, faits par la grâce enfants et amis de Dieu et institués héritiers de la gloire éternelle.
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Tout être humain a droit à la vie, à l'intégrité physique et aux moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente, notamment en ce qui concerne l'alimentation. le vêtement, l'habitation, le repos, les soins médicaux, les services sociaux. Par conséquent, l'homme a droit à la sécurité en cas de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse, de chômage et chaque fois qu'il est privé de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté (Pie XI, Enc. Divini Redemptoris 1937).
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Tout être humain a droit au respect de sa personne, à sa bonne réputation, à la liberté dans la recherche de la vérité, dans l'expression et la diffusion de la pensée, dans la création artistique, les exigences de l'ordre moral et du bien commun étant sauvegardées; il a droit également à une information objective.
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La nature revendique aussi pour l'homme le droit d'accéder aux biens de la culture, et, par conséquent, d'acquérir une instruction de base ainsi qu'une formation technico- professionnelle correspondant au degré de développement de la communauté politique à laquelle il appartient. Il faut faire en sorte que le mérite de chacun lui permette d'accéder aux degrés supérieurs de l'instruction et d'arriver, dans la société, à des postes et à des responsabilités aussi adaptés que possible à ses talents et à sa compétence (Pie XII Radio message de Noël 1942).
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Chacun a le droit d'honorer Dieu suivant la juste règle de la conscience et de professer sa religion dans la vie privée et publique. Lactance le déclare avec clarté: "Nous recevons l'existence pour rendre à Dieu, qui nous l'accorde, le juste hommage qui lui revient, pour le connaître lui seul et ne suivre que lui. Cette obligation de piété filiale nous enchaîne a Dieu et nous relie à lui, d'où son nom de religion" (Divinae institutiones lib. IV c. 28, 2)
A ce sujet, Notre prédécesseur d'immortelle mémoire, Léon XIII, affirmait: "Cette liberté véritable, réellement digne des enfants de Dieu, qui sauvegarde comme il faut la noblesse de la personne humaine, prévaut contre toute violence et toute injuste tentative; l'Eglise l'a toujours demandée, elle n a jamais rien eu de plus cher. Constamment les apôtres ont revendiqué cette liberté-là les apologistes l'ont justifiée dans leurs écrits, les martyrs en foule l'ont consacrée de leur sang" (Enc. Libertas praestantissimum).
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Tout homme a droit à la liberté dans le choix de son état de vie. Il a par conséquent le droit de fonder un foyer, où l'époux et l'épouse interviennent à égalité de droits et de devoirs, ou bien celui de suivre la vocation au sacerdoce ou à la vie religieuse (Pie XII, Radio message de Noël 1942)
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La famille, fondée sur le mariage librement contracté, un et indissoluble, est et doit être tenue pour la cellule première et naturelle de la société. De là, l'obligation de mesures d'ordre économique, social, culturel et moral de nature à en consolider la stabilité et à lui faciliter l'accomplissement du rôle qui lui incombe.
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Aux parents en tout premier lieu, revient le droit d'assurer l'entretien et l'éducation de leurs enfants (Pie XI Enc. Casti Connubii)
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Tout homme a droit au travail et à l'initiative dans le domaine économique (Pie XII Radio message de Pentecôte 1941)
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A ces droits est lié indissolublement le droit à des conditions de travail qui ne compromettent ni la santé ni la moralité et qui n'entravent pas le développement normal de la jeunesse; et, s'il s'agit des femmes, le droit à des conditions de travail en harmonie avec les exigences de leur sexe et avec leurs devoirs d'épouses et de mères (Léon XII Enc. Rerum Novarum).
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La dignité humaine fonde également le droit de déployer l'activité économique dans des conditions normales de responsabilité personnelle MM 84-95
Il en résulte aussi - et il convient de le souligner - qu'à l'ouvrier est dû un salaire à déterminer selon les normes de la justice compte tenu des possibilités de l'employeur, cette rémunération devra permettre au travailleur et à sa famille un niveau de vie conforme à la dignité humaine. Notre prédécesseur, Pie XII, le disait: "A la loi du travail, inscrite dans la nature, répond le droit tout aussi naturel pour l'homme de tirer de son labeur de quoi vivre et faire vivre ses enfants: si profondément est ordonné en vue de la conservation de l'homme l'empire sur la nature. (Radio message de Pentecôte 1941).
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De la nature de l'homme dérive également le droit à la propriété privée des biens, y compris les moyens de production. Comme Nous l'avons enseigné ailleurs, ce droit "est une garantie efficace de la dignité de la personne humaine et une aide pour le libre exercice de ses diverses responsabilités; il contribue à la stabilité et à la tranquillité du foyer domestique, non sans profit pour la paix et la prospérité publiques. MM 113
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Par ailleurs, il n'est pas hors de propos de rappeler que la propriété privée comporte en elle-même une fonction sociale MM 120
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Du fait que l'être humain est ordonné à la vie en société découle le droit de réunion et d'association, celui de donner aux groupements les structures qui paraissent mieux servir leurs buts, le droit d'y assumer librement certaines responsabilités en vue d'atteindre ces mêmes buts. (Enc. Rerum Novarum, 1891; Quadragesimo anno, 1931; Sertum laetitiae, 1939).
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L'encyclique Mater et Magistra dit à bon droit que la création de bon nombre d'associations ou corps intermédiaires, capables de poursuivre des objectifs que les individus ne peuvent atteindre qu'en s'associant, apparaît comme un moyen absolument indispensable pour l'exercice de la liberté et de la responsabilité de la personne humaine. MM 98
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Tout homme a droit à la liberté de mouvement et de séjour à l'intérieur de la communauté politique dont il est citoyen; il a aussi le droit, moyennant des motifs valables, de se rendre à l'étranger et de s'y fixer. (Pie XII, Radio message de Noël 1952). Jamais, l'appartenance à telle ou telle communauté politique ne saurait empêcher qui que ce soit d'être membre de la famille humaine, citoyen de cette communauté universelle où tous les hommes sont rassemblés par des liens communs.
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A la dignité de la personne humaine est attaché le droit de prendre une part active à là vie publique et de concourir personnellement au bien commun. "L'homme comme tel, bien loin d'être l'objet et un élément passif de la vie sociale, en est et doit en être, en rester le sujet, le fondement et la fin." (Pie XII, Radio message de Noël 1944).
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Autre droit fondamental de la personne, la protection juridique de ses propres droits, protection efficace, égale pour tous et conforme aux normes objectives de la justice. "De l'ordre juridique, voulu par Dieu, découle pour les hommes ce droit inaliénable qui garantit à chacun la sécurité juridique et une sphère concrète de droits défendue contre tout empiétement arbitraire." (Pie XII, Radio message de Noël 1952).
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Jusqu'ici, Nous avons rappelé une suite de droits de nature. Chez l'homme, leur sujet, ils sont liés à autant de devoirs. La loi naturelle confère les uns, impose les autres; de cette loi ils tiennent leur origine, leur persistance et leur force indéfectible.
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Ainsi, par exemple, le droit à la vie entraîne le devoir de la conserver; le droit à une existence décente comporte le devoir de se conduire avec dignité; au droit de chercher librement le vrai répond, le devoir d'approfondir et d'élargir cette recherche.
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Dans la vie en société, tout droit conféré à une personne par la nature crée chez les autres un devoir, celui de reconnaître et de respecter ce droit. Tout droit essentiel de l'homme emprunte en effet sa force impérative à la loi naturelle qui le donne et qui impose l'obligation correspondante. Ceux qui, dans la revendication. de leurs droits, oublient leurs devoirs ou ne les remplissent qu'imparfaitement risquent de démolir d'une main ce qu'ils construisent de l'autre.
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Etres essentiellement sociables, les hommes ont à vivre les uns avec les autres et à promouvoir le bien les uns des autres. Aussi, l'harmonie d'un groupe réclame-t-elle la reconnaissance et l'accomplissement des droits et des devoirs. Mais en outre chacun est appelé à concourir généreusement à l'avènement d'un ordre collectif qui satisfasse toujours plus largement aux droits et aux obligations.
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Ainsi, il ne suffit pas de reconnaître et de respecter le droit de l'homme aux moyens d'existence; il faut s'employer, chacun selon ses forces, à les lui procurer en suffisance.
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La vie en société ne doit pas seulement assurer l'ordre; elle doit apporter des avantages à ses membres. Cela suppose la reconnaissance et le respect des droit et devoirs, mais cela demande de plus la collaboration de tous selon les multiples modalités que le développement actuel de la civilisation rend possibles, désirables ou nécessaires.
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La dignité de la personne humaine exige que chacun agisse suivant une détermination consciente et libre. Dans la vie de société, c'est surtout de décisions personnelles qu'il faut attendre le respect des droits, - l'accomplissement des obligations, la coopération à une foule d'activités. L'individu devra y être mû par conviction personnelle, de sa propre initiative, par son sens des responsabilités, et non sous l'effet de contraintes ou de pressions extérieures.
Une société fondée uniquement sur des rapports de forces n'aurait rien d'humain: elle comprimerait nécessairement la liberté des hommes, au lieu d'aider et d'encourager celle-ci à se développer et à se perfectionner.
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Voilà pourquoi une société n'est dûment ordonnée, bienfaisante, respectueuse de la personne humaine, que si elle se fonde sur la vérité, selon l'avertissement de saint Paul: "Rejetez donc le mensonge; que chacun de vous dise la vérité à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres." Ep 4,25 Cela suppose que soient sincèrement reconnus les droits et les devoirs mutuels. Cette société doit, en outre, reposer sur la justice, c'est-à-dire sur le respect effectif de ces droits et sur l'accomplissement loyal de ces devoirs; elle doit être vivifiée par l'amour, attitude d'âme qui fait éprouver à chacun comme siens les besoins d'autrui, lui fait partager ses propres biens et incite à un échange toujours plus intense dans le domaine des valeurs spirituelles. Cette société, enfin, doit se réaliser dans la liberté, c'est-à-dire de la façon qui convient à des êtres raisonnables, faits pour assurer la responsabilité de leurs actes.
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La vie en société, vénérables frères et chers fils, doit être considérée avant tout comme une réalité d'ordre spirituel. Elle est, en effet, échange de connaissances dans la lumière de la vérité, exercice de droits et accomplissement de devoirs; émulation dans la recherche du bien moral; communion dans la noble jouissance du beau en toutes ses expressions légitimes; disposition permanente à communiquer à autrui le meilleur de soi-même et aspiration commune à un constant enrichissement spirituel. Telles sont les valeurs qui doivent animer et orienter toutes choses: activité culturelle, vie économique, organisation sociale, mouvements et régimes politiques, législation et toute autre expression de la vie sociale dans sa continuelle évolution.
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L'ordre propre aux communautés humaines est d'essence morale. En effet, c'est un ordre qui a pour base la vérité, qui se réalise dans la justice, qui demande à être vivifié par l'amour et qui trouve dans la liberté un équilibre sans cesse rétabli et toujours plus humain.
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Cet ordre moral - universel, absolu et immuable dans ses principes - a son fondement objectif dans le vrai Dieu transcendant et personnel, Vérité première et Souverain Bien, source la plus profonde de vitalité pour une société ordonnée, féconde et conforme à la dignité des personnes qui la composent. (Radio message de Noël 1942). Saint Thomas d'Aquin s'exprime clairement à ce sujet: "La volonté humaine a pour règle et pour mesure de son degré de bonté la raison de l'homme; celle-ci tient son autorité de la loi éternelle, qui n'est autre que la raison divine... Ainsi, c'est bien clair, la bonté du vouloir humain dépend bien plus de la loi éternelle que de la raison humaine". I-II 19,4
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Trois traits caractérisent notre époque.
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D'abord la promotion économique et sociale des classes laborieuses. Celles-ci ont, en premier lieu, concentré leur effort dans la revendication de droits surtout économiques et sociaux; puis elles ont élargi cet effort au plan politique; enfin au droit de participer dans les formes appropriées aux biens de la culture. Aujourd'hui, chez les travailleurs de tous les pays, l'exigence est vivement sentie d'être considérés et traités non comme des êtres sans raison ni liberté, dont on use à son gré, mais comme des personnes, dans tous les secteurs de la vie collective: secteur économico- social, culturel et politique.
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Une seconde constatation s'impose à tout observateur: l'entrée de la femme dans la vie publique, plus rapide peut- être dans les peuples de civilisation chrétienne; plus lente, mais de façon toujours ample, au sein des autres traditions ou cultures. De plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n'admet plus d'être considérée comme un instrument; elle exige qu'on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique.
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Enfin l'humanité, par rapport à un passé récent, présente une organisation sociale et politique profondément transformée. Plus de peuples dominateurs et de peuples dominés: toutes les nations ont constitué ou constituent des communautés politiques indépendantes.
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Les hommes de tout pays et continent sont aujourd'hui citoyens d'un Etat autonome et indépendant, ou ils sont sur le point de l'être. Personne ne veut être soumis à des pouvoirs politiques étrangers à sa communauté ou à son groupe ethnique. On assiste, chez beaucoup, à la disparition du complexe d'infériorité qui a régné pendant des siècles et des millénaires; chez d'autres, s'atténue et tend à disparaître, au contraire, le complexe de supériorité, issu de privilèges économiques et sociaux, du sexe ou de la situation politique.
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Maintenant, en effet, s'est propagée largement l'idée de l'égalité naturelle de tous les hommes. Aussi, du moins en théorie, ne trouve-t-on plus de justification aux discriminations raciales. Voilà qui représente une étape importante sur la route conduisant à une communauté humaine établie sur la base des principes que Nous avons rappelés. Maintenant, à mesure que l'homme devient conscient de ses droits, germe comme nécessairement en lui la conscience d'obligations correspondantes: ses propres droits, c'est avant tout comme autant d'expressions de sa dignité qu'il devra les faire valoir, et à tous les autres incombera l'obligation de reconnaître ces droits et de les respecter.
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Et une fois que les normes de la vie collective se formulent en termes de droits et de devoirs, les hommes s'ouvrent aux valeurs spirituelles et comprennent ce qu'est la vérité, la justice, l'amour, la liberté; ils se rendent compte qu'ils appartiennent à une société de cet ordre. Davantage: ils sont portés à mieux connaître le Dieu véritable, transcendant et personnel. Alors leurs rapports avec Dieu leur apparaissent comme le fond même de la vie, de la vie intime vécue au secret de l'âme et de celle qu'ils mènent en communauté avec les autres.
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A la vie en société manqueraient l'ordre et la fécondité sans la présence d'hommes légitimement investis de l'autorité et qui assurent la sauvegarde des institutions et pourvoient dans une mesure suffisante au bien commun. Leur autorité, ils la tiennent tout entière de Dieu, comme l'enseigne saint Paul: "Il n'est pas d'autorité qui ne vienne de Dieu". Rm 13,1-6 La doctrine de l'Apôtre est ainsi expliquée par saint Jean Chrysostome: "Que voulez-vous dire? Chacun des gouvernants serait-il établi par Dieu dans sa jonction? Ce n'est pas ce que j'affirme, répondra Paul; je ne parle pas des individus revêtus du pouvoir, mais proprement de leur mandat. Qu'il y ait des pouvoirs publics, que des hommes commandent, que d'autres soient subordonnés et que tout n arrive pas au hasard, voilà, dis-je, ce qui est le fait de la sagesse divine." (Ep aux Romains c 13, v. 1-2 hom XXIII). En d'autres termes: puisque Dieu a doté de sociabilité la créature humaine; mais puisque nulle société "n'a de consistance sans un chef dont l'action efficace et unifiante mobilise tous les membres au service des buts communs, toute communauté humaine a besoin d'une autorité qui la régisse. Celle-ci, tout comme la société, a donc pour auteur la nature et du même coup Dieu lui-même." (Léon XIII, Enc. Immotale Dei 1885)
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Pour autant l'autorité n'échappe point à toute loi. Elle consiste précisément dans le pouvoir de commander selon la droite raison. Dès lors toute sa force impérative lui vient de l'ordre moral, lequel à son tour repose sur Dieu, son principe et sa fin. "L'ordre absolu des vivants et la fin même de l'homme - de l'homme libre, sujet de devoirs et de droits inviolables, de l'homme origine et fin de la société -, regardent aussi la cité comme communauté nécessaire et dotée de l'autorité; sans celle-ci pas d'existence, pas de vie pour le groupe... Suivant la droite raison et surtout la foi chrétienne, cet ordre universel trouve nécessairement son origine en Dieu, être personnel et notre Créateur a tous; par conséquent, les titres des pouvoirs publics se ramènent à une certaine participation de l'autorité divine elle-même." (Radio message de Noël 1944)
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Aussi bien, si le pouvoir s'appuie exclusivement ou principalement sur la menace et la crainte des sanctions pénales ou sur la promesse des récompenses, son action ne réussit aucunement à susciter la recherche du bien commun; y parviendrait-il, ce serait d'une façon étrangère à la dignité de l'homme, être libre et raisonnable. L'autorité est avant tout une force morale. Ses détenteurs doivent donc faire appel, en premier lieu, à la conscience, au devoir qui incombe à tous de servir avec empressement les intérêts communs. Mais les hommes sont tous égaux en dignité naturelle; aucun n'a le pouvoir de déterminer chez un autre le consentement intime; ce pouvoir est réservé à Dieu, le seul qui scrute et qui juge les décisions secrètes de chacun.
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Par suite, l'autorité humaine ne peut lier les consciences que dans la mesure où elle se relie à l'autorité de Dieu et en constitue une participation. (Léon XIII, Enc. Diuturnum illud 1881)
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Ainsi se trouve garantie la dignité même des citoyens, car l'obéissance qu'ils rendent aux détenteurs de l'autorité ne va pas à des hommes comme tels; elle est un hommage adressé à Dieu, Créateur et Providence, qui a soumis les rapports humains à l'ordre qu'il a lui-même établi. Et, bien loin de nous abaisser en rendant à Dieu le respect qui lui est dû, nous ne faisons en cela que nous élever et nous ennoblir, puisque c'est régner que servir Dieu. (Léon XIII, Enc. Diuturnum illud 1881)
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L'autorité exigée par l'ordre moral émane de Dieu. Si donc il arrive aux dirigeants d'édicter des lois ou de prendre des mesures contraires à cet ordre moral et par conséquent, à la volonté divine, ces dispositions ne peuvent obliger les consciences, car "il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes." Ac 5,29 Bien plus, en pareil cas, l'autorité cesse d'être elle-même et dégénère en oppression. "La législation humaine ne revêt le caractère de loi qu'autant qu'elle se conforme à la juste raison; d'où il appert qu'elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Mais dans la mesure où elle s'écarte de la raison, on la déclare injuste, elle ne vérifie pas la notion de loi, elle est plutôt une forme de la violence." I-II 93,3 (Radio message de Noël 1944)
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L'origine divine de l'autorité n'enlève aucunement aux hommes le pouvoir d'élire leurs gouvernants, de définir la forme de l'Etat ou d'imposer des règles et des bornes à l'exercice de l'autorité. Ainsi la doctrine que Nous venons d'exposer convient à toute espèce de régime vraiment démocratique. (Léon XIII, Enc. Diuturnum illud 1881; Radio message de Noël 1944)
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Tous les individus et tons les corps intermédiaires sont tenus de concourir, chacun dans sa sphère, au bien de l'ensemble. Et c'est en harmonie avec celui-ci qu'ils doivent poursuivre leurs propres intérêts et suivre, dans leurs apports - en biens et en services - les orientations que fixent les pouvoirs publics selon les normes de la justice et dans les formes et limites de leur compétence. Les actes commandés par l'autorité devront être parfaitement corrects en eux-mêmes, d'un contenu moralement bon, ou tout au moins susceptible d'être orienté au bien.
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Toutefois, la fonction gouvernementale n'ayant de sens qu'en vue du bien commun, les dispositions prises par ses titulaires doivent à la fois respecter la véritable nature de ce bien et tenir compte de la situation du moment. (Radio message de Noël 1942; Léon XIII, Enc. Immotale Dei 1885)
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Les particularités ethniques qui distinguent les différents groupes humains s'inscrivent dans l'aire du bien commun, sans suffire pour autant à sa définition complète (Pie XII Enc Summi Pontificatus 1939). Ce bien commun ne peut être défini doctrinalement dans ses aspects essentiels et les plus profonds, ni non plus être déterminé historiquement qu'en référence à l'homme; il est, en effet, un élément essentiellement relatif à la nature humaine. (Pie XI Mit Brennender Sorge 1937 - Divini Redemptoris 1937)
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Ensuite, la nature même de ce bien impose que tous les citoyens y aient leur part, sous des modalités diverses d'après l'emploi, le mérite et la condition de chacun. C'est pourquoi l'effort des pouvoirs publics doit tendre à servir les intérêts de tous sans favoritisme à l'égard de tel particulier ou de telle classe de la société. Notre prédécesseur Léon XIII le disait en ces termes: "On ne saurait en aucune façon permettre que l'autorité civile tourne au profit d'un seul ou d'un petit nombre, car elle a été instituée pour le bien commun de tous". (Enc Immortale Dei 1885) Mais des considérations de justice et d'équité dicteront parfois aux responsables de l'Etat une sollicitude particulière pour les membres les plus faibles du corps social, moins armés pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts légitimes. (Léon XIII Enc Rerum Novarum 1891)
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Ici Nous devons attirer l'attention sur le fait que le bien commun concerne l'homme tout entier, avec ses besoins tant spirituels que matériels. Conçu de la sorte, le bien commun réclame des gouvernements une politique appropriée, respectueuse de la hiérarchie des valeurs, ménageant en juste proportion au corps et à l'âme les ressources qui leur conviennent. (Pie XII Enc Summi Pontificatus 1939)
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Ces principes sont en parfaite harmonie avec ce que Nous avons exposé dans Notre encyclique Mater et Magistra: le bien commun "embrasse l'ensemble des conditions de vie en société qui permettent à l'homme d'atteindre sa perfection propre de façon plus complète et plus aisée."
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Composé d'un corps et d'une âme immortelle, l'homme ne peut, au cours de cette existence mortelle, satisfaire à toutes les requêtes de sa nature ni atteindre le bonheur parfait. Aussi les moyens mis en oeuvre au profit du bien commun ne peuvent-ils faire obstacle au salut éternel des hommes, mais encore doivent-ils y aider positivement. (Pie XI Quadragesimo Anno 1931)
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Pour la pensée contemporaine, le bien commun réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine; dès lors le rôle des gouvernants consiste surtout à garantir la reconnaissance et le respect des droits, leur conciliation mutuelle, leur défense et leur expansion, et en conséquence à faciliter à chaque citoyen l'accomplissement de ses devoirs. Car "la mission essentielle de toute autorité politique est de protéger les droits inviolables de l'être humain et de faire en sorte que chacun s'acquitte plus aisément de sa fonction particulière" (Radio message de la Pentecôte 1941).
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C'est pourquoi si les pouvoirs publics viennent à méconnaître ou à violer les droits de l'homme, non seulement ils manquent au devoir de leur charge, mais leurs dispositions sont dépourvues de toute valeur juridique. (Pie XI Mit Brennender Sorge 1937 - Divini Redemptoris 1937 - Radio message de Noël 1942)
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C'est donc là un devoir fondamental des pouvoirs publics d'ordonner les rapports juridiques des citoyens entre eux, de ma- nière que l'exercice des droits chez les uns n'empêche ou ne compromette pas chez les autres le même usage et s'accompagne de l'accomplissement des devoirs correspondants. Il s'agit enfin de maintenir l'intégrité des droits pour tout le monde et de la rétablir en cas de violation. (Divini Redemptoris 1937 - Radio message de Noël 1942)
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Il incombe encore aux pouvoirs publics de contribuer à la création d'un état de choses qui facilite à chacun la défense de ses droits et l'accomplissement de ses devoirs. Car l'expérience nous montre que si l'autorité n'agit pas opportunément en matière économique, sociale ou culturelle, des inégalités s'accentuent entre les citoyens, surtout à notre époque, au point que les droits fondamentaux de la personne restent sans portée efficace et que soit compromis l'accomplissement des devoirs correspondants.
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Il est donc indispensable que les pouvoirs publics se préoccupent de favoriser l'aménagement social parallèlement au progrès économique; ainsi veilleront-ils à développer dans la mesure de la productivité nationale des services essentiels tels que le réseau routier, les moyens de transport et de communication, la distribution d'eau potable, l'habitat, l'assistance sanitaire, l'instruction, les conditions propices à la pratique religieuse, les loisirs. Ils s'appliqueront à organiser des systèmes d'assurances pour les cas d'événements malheureux et d'accroissement de charges familiales, de sorte qu'aucun être humain ne vienne à manquer des ressources indispensables pour mener une vie décente. Ils auront soin que les ouvriers en état de travailler trouvent un emploi proportionné à leurs capacités; que chacun d'eux reçoive le salaire conforme à la justice et à l'équité; que les travailleurs puissent se sentir responsables dans les entreprises; qu'on puisse constituer opportunément des corps intermédiaires qui ajoutent à l'aisance et à la fécondité des rapports sociaux; qu'à tous enfin les biens de la culture soient accessibles sous la forme et au niveau appropriés.
1963 Pacem in terris