1997 De nouvelles vocations pour une nouvelle Europe 35

Eduquer

35 «Il leur dit: «Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant?». Et ils s'arrêtèrent, le visage sombre. Prenant la parole, l'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit: «Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci!». «Quoi donc?» leur dit-il. Il lui dirent: «Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s'est montré un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. Nous espérions, nous, que c'était lui qui allait délivrer Israël; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées! Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S'étant rendues de grand matin au tombeau et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu'elles ont même eu la vision d'anges qui le disent vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit; mais lui, ils ne l'ont pas vu!». Alors il leur dit: «O coeurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé les Prophètes! Ne fallait-il pas que le Christ endurât toutes ces souffrances pour entrer dans la gloire?». Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait. Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d'aller plus loin. Mais ils le pressèrent en disant: «Reste avec nous, car le soir tombe et le jour touche déjà à son terme». Il entra donc pour rester avec eux» (Lc 24,17-29) .
Après avoir semé, au long du chemin d'accompagnement, il s'agit d'éduquer le jeune. Eduquer au sens étymologique du verbe, comme pour extraire (e-ducere)de lui sa vérité , ce qu'il a dans son coeur, même ce qu'il ne sait pas et ne connaît pas de lui-même: faiblesses et aspirations, pour encourager la liberté de la réponse à la vocation.

a) Eduquer à la connaissance de soi
Jésus s'approche des deux hommes et leur demande de quoi ils parlent. Il le sait, mais il veut que tous deux se manifestent à eux-mêmes et, en disant leur tristesse et leurs espoirs déçus, que cela les aide à prendre conscience de leur problème et de la véritable raison de leur inquiétude. Ainsi les deux hommes sont pratiquement contraints à relire l'histoire récente, en faisant transparaître le vrai motif de leur tristesse.
«Nous espérions, nous...»; mais l'histoire paraît avoir pris une direction différente de celle de leurs attentes. Bien plus, en réalité ils ont fait toutes les expériences significatives au contact de Jésus, «puissant en oeuvres et en paroles»; mais c'est comme si ce chemin de foi s'était soudain interrompu face à un événement incompréhensible comme la passion et la mort de Celui qui aurait dû libérer Israël.
«Nous espérions, nous, mais...»: comment ne pas reconnaître en cette histoire inachevée l'histoire de tant de jeunes qui semblent intéressés par un discours de vocation, qui se laissent provoquer et manifestent de bonnes dispositions, mais qui s'arrêtent ensuite face au choix à faire? D'une certaine façon, Jésus contraint les deux hommes à admettre l'abîme qui existe entre leurs espérances et le plan de Dieu tel qu'il s'est concrétisé en Jésus: entre leur façon de concevoir le Messie et sa mort sur la croix, entre leurs attentes si humaines et intéressées et le sens d'un salut qui vient d'en haut.
De même, il est important et décisif d'aider les jeunes à mettre au jour une équivoque fondamentale: cette interprétation de la vie trop terrestre et centrée sur le moi qui rend difficile ou même impossible le choix d'une vocation, ou qui fait sentir les exigences de l'appel comme excessives, comme si le projet de Dieu était l'ennemi du besoin de bonheur de l'homme.
Combien de jeunes n'ont pas accueilli l'appel à la vocation, non pas parce qu'ils n'étaient pas généreux ou parce qu'ils étaient indifférents, mais simplement parce qu'ils n'ont pas été aidés à se connaître, à découvrir la racine ambivalente et païenne de certains schémas mentaux et affectifs; et parce qu'ils n'ont pas été aidés à se libérer de leurs peurs et de leurs défenses, conscientes et inconscientes, à l'égard de la vocation même! Combien d'avortements de vocations à cause de ce vide éducatif!
Eduquer signifie avant tout faire ressortir la réalité du moi, tel qu'il est, si l'on veut ensuite le conduire à être comme il doit être: la sincérité est un passage fondamental pour parvenir à la vérité, mais en tout cas une aide extérieure est nécessaire pour voir bien l'intérieur. L'éducateur doit alors connaître les souterrains du coeur humain, pour accompagner le jeune et l'aider à construire son vrai moi.

b) Eduquer au mystère
Le paradoxe naît ici. Lorsque le jeune est conduit aux sources de lui-même et peut voir en face ses faiblesses et ses craintes, il a la sensation de mieux comprendre certains de ses comportements et certaines de ses réactions et, en même temps, il saisit toujours davantage la réalité du mystère comme clef de lecture de la vie et de sa personne.
Il est indispensable que le jeune accepte de ne pas savoir, de ne pas se connaître à fond.
La vie n'est pas entièrement entre ses mains, parce que la vie est mystère et que, d'autre part, le mystère est vie. Ou encore: le mystère est cette partie du moi qui n'a pas encore été découverte, qui n'a pas encore été vécue, qui doit attendre d'être déchiffrée et réalisée; le mystère est cette réalité personnelle qui doit encore grandir, riche de vie et de possibilités existentielles encore intactes: c'est la partie du moi qui doit encore germer.
Dès lors, accepter le mystère est un signe d'intelligence, de liberté intérieure, de désir de futur et de nouveauté, de refus d'une conception répétitive et passive, ennuyeuse et banale de la vie. Voilà pourquoi nous avons dit au début que la pastorale des vocations doit être mystagogique et donc partir et repartir du Mystère de Dieu pour ramener au mystère de l'homme.
La perte du sens du mystère est une des principales causes de la crise des vocations.
En même temps, la catégorie du mystère devient catégorie propédeutique de la foi. Il est possible, et dans certains cas naturel, qu'à ce moment-là le jeune sente naître en lui comme un besoin de révélation, c'est-à-dire le désir que l'Auteur de la vie lui révèle le sens et la place qu'il doit occuper. Qui d'autre, en dehors du Père, peut accomplir cette révélation?
Par ailleurs, il n'est pas important que le jeune découvre tout de suite (ou que le guide ait tout de suite l'intuition de) la route qu'il doit suivre: ce qui compte c'est qu'il découvre et décide de placer en dehors de lui, en Dieu le Père, la recherche du fondement de son existence. Un authentique chemin de vocation porte toujours et dans tous les cas à la découverte de la paternité et de la maternité de Dieu!

c) Eduquer à lire la vie
Dans l'Evangile, Jésus invite en quelque sorte les deux disciples d'Emmaüs à revenir à la vie, à ces événements qui avaient causé leur tristesse à travers une méthode de lecture savante: capable non seulement de recomposer entre eux les événements autour d'une signification centrale, mais de déchiffrer, dans le tissu mystérieux de l'existence humaine, le fil conducteur d'un projet divin. C'est la méthode que l'on pourrait appeler génético-historique, qui fait chercher et trouver dans sa propre biographie les pas et les traces du passage de Dieu et donc aussi sa voix qui appelle. Cette méthode
est à la fois déductive et inductive, ou historico-biblique: elle part en effet de la vérité révélée et, avec la réalité historique, favorise ainsi le dialogue ininterrompu entre vécu subjectif (les faits cités par les deux disciples) et référence à la Parole («Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait», Lc 24,27) .
indique l'aspect normatif de la Parole et l'aspect central du mystère pascal du Christ mort et ressuscité comme des points précis d'interprétation des événements existentiels, sans refuser aucun événement, spécialement les plus difficiles et douloureux («Ne fallait-il pas que le Christ endurât toutes ces souffrances pour entrer dans la gloire?», Lc 24,26) .
La lecture de la vie devient ainsi une opération hautement spirituelle pas seulement psychologique car elle conduit à reconnaître en elle la présence lumineuse et mystérieuse de Dieu et de sa Parole. (101) Et, à l'intérieur de ce mystère, elle permet petit à petit d'apercevoir le grain de la vocation que le Père-semeur a déposé dans les sillons de la vie. Ce grain, bien que petit, commence désormais à être visible et à croître.

d) Eduquer à in-voquer
Si la lecture de la vie est une opération spirituelle, elle conduit nécessairement la personne, non seulement à reconnaître son besoin de révélation, mais à le célébrer, par la prière d'invocation. Eduquer veut dire é-voquer la vérité du moi. Cette évocation naît exactement de l'in-vocation priante, d'une prière qui est plus une prière de confiance que de demande, prière de surprise et de gratitude, mais conçue aussi comme une lutte et une tension, comme une recherche difficile de ses ambitions pour saisir les attentes, les demandes, les désirs de l'Autre: du Père qui, dans le Fils, peut parler à celui qui cherche la voie à suivre.
Alors la prière devient le lieu du discernement de la vocation, pour apprendre à écouter le Dieu qui appelle, car l'origine de toute vocation réside dans une prière d'invocation, patiente et confiante, soutenue non pas par la prétention d'une réponse immédiate, mais par la certitude ou par l'espérance que l'invocation ne peut pas être accueillie, et fera découvrir sa vocation, au moment voulu, à celui qui invoque.
Dans l'épisode d'Emmaüs, tout cela est révélé par une expression essentielle, peut-être la plus belle prière jamais prononcée par un coeur humain: «Reste avec nous, car le soir tombe et le jour touche déjà à son terme» (Lc 24,29) . C'est la supplique de ceux qui savent que sans le Seigneur il fait nuit dans notre vie, que sans sa parole, il n'y a qu'incompréhension et que confusion d'identité. La vie apparaît sans sens et sans vocation. C'est encore l'invocation de ceux qui n'ont peut-être pas découvert leur route, mais qui ont l'intuition qu'en demeurant avec lui ils se retrouvent eux-mêmes, parce que lui seul a «les paroles de la vie éternelle» (Jn 6,67-68) .
Ce type de prière d'in-vocation ne s'apprend pas spontanément, mais a besoin d'un lieu d'apprentissage. Il ne s'apprend pas tout seul, mais avec l'aide de ceux qui ont appris à écouter les silences de Dieu. De même que n'importe qui ne peut pas enseigner cette prière, mais seulement celui qui est fidèle à sa vocation.
Alors, si la prière est la voie naturelle de la recherche d'une vocation, aujourd'hui comme hier ou plus qu'hier, il est nécessaire d'avoir des éducateurs des vocations qui prient, qui enseignent à prier, qui éduquent à l'invocation.

Notes:

(101) Propositions, 12.


Former

36 «Et il advint, comme il était à table avec eux, qu'il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux. Et ils se dirent l'un à l'autre: «Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Ecritures?» (Lc 24,30-32) .
La formation est en quelque sorte le moment culminant du processus pédagogique, parce que c'est le moment où le jeune se voit proposer une forme, une façon d'être, dans laquelle il reconnaît son identité, sa vocation, sa norme.
Le Fils, Celui qui est l'empreinte du Père, est le formateur des hommes car il représente l'image selon laquelle le Père a créé les hommes. Voilà pourquoi il invite ceux qui appellent à avoir les mêmes sentiments que lui et à partager sa vie, à avoir sa «forme». Il est à la fois le formateur et la forme.
Le formateur des vocations est ainsi en tant que médiateur de l'action divine et se place à côté du jeune pour l'aider à «reconnaître» son appel dans cette action et à se faire former en elle.

a) Reconnaître Jésus
Le moment décisif de l'épisode d'Emmaüs est sans aucun doute celui où Jésus prend le pain, le rompt et le leur donne: «Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent». Il y a ici une série d'actes de «reconnaissance» liés entre eux.
Avant tout les deux disciples reconnaissent Jésus, ils découvrent la véritable identité du voyageur qui s'est uni à eux, précisément parce que lui seul pouvait faire ce geste, comme tous deux le savaient bien.
Dans une perspective de vocation, cela souligne l'importance de poser des gestes forts, des signaux sans équivoques, des propositions élevées, des projets pour suivre totalement le Christ. (102)
Le jeune a besoin d'être stimulé par de grands idéaux, en vue de quelque chose qui le dépasse et qui est au-dessus de ses moyens, quelque chose pour laquelle il vaut la peine de donner sa vie. L'analyse psychologique le rappelle aussi: demander à un jeune quelque chose qui est en dessous de ses possibilités signifie offenser sa dignité et empêcher sa pleine réalisation. En termes positifs, il faut proposer aux jeunes le maximum de ce qu'il peut donner pour qu'il devienne et soit lui-même.
Et si Jésus est reconnu quand il rompt le pain, la dimension eucharistique devrait sous-tendre chaque chemin de vocation: comme «lieu» typique de la sollicitation de la vocation, comme mystère qui dit le sens général de l'existence humaine, comme objectif final de toute pastorale des vocations qui veuille être chrétienne.

b) Reconnaître la vérité de la vie
Mais alors, dans un processus authentique de formation pour choisir une vocation, une deuxième «reconnaissance» doit avoir lieu: la reconnaissance-découverte, à l'intérieur du signe eucharistique, de la signification de la vie. Si l'Eucharistie est sacrifice du Christ qui sauve l'humanité et si ce sacrifice est corps brisé et sang versé pour le salut de l'humanité, la vie du croyant aussi est appelée à se modeler sur la même corrélation de significations: la vie aussi est un bien reçu qui tend, par nature, à devenir bien donné, comme la vie du Verbe. C'est la vérité de la vie, de chaque vie.
Les conséquences sur le plan des vocations sont évidentes. S'il y a un don au début de l'existence de l'homme, qui le constitue dans son être, alors la vie a un chemin tracé. S'il est don, il ne sera pleinement lui-même que s'il se réalise dans la perspective qui porte à se donner; il ne sera heureux qu'à condition de respecter sa nature. Il pourra faire le choix qu'il veut, mais toujours dans la logique du don, autrement il deviendra un être en contradiction avec lui-même, une réalité «monstrueuse»; il sera libre de décider de l'orientation spécifique, mais il ne sera pas libre de se penser en dehors de la logique du don.
Toute la pastorale des vocations est construite sur cette catéchèse élémentaire du sens de la vie. Si cette vérité anthropologique passe, alors on peut faire n'importe quelle proposition de vocation. La vocation au ministère ordonné ou à la consécration religieuse ou séculière, avec tout ce qu'elle comporte de mystère et de mortification, devient alors la pleine réalisation de l'humain et du don que tout homme a et est au plus profond de lui.

c) La vocation comme reconnaissance
Mais si c'est dans le geste eucharistique que les deux disciples d'Emmaüs «reconnaissent» le Seigneur et chaque croyant le sens de la vie, alors la vocation naît de la «reconnaissance». Elle naît sur le terrain fécond de la gratitude, car la vocation est réponse et non pas initiative de l'individu: il s'agit d'être choisis, non pas de choisir.
C'est précisément à cette attitude intérieure de gratitude que devrait porter la lecture de toute la vie passée. La découverte d'avoir reçu, sans aucun mérite et par surcroît, devrait «contraindre» psychologiquement le jeune à concevoir l'offrande de soi, dans l'option de la vocation, comme une conséquence inévitable, comme un acte libre, certes, parce que déterminé par l'amour, mais en un certain sens aussi , car en face de l'amour reçu de Dieu il sent qu'il ne peut pas ne pas se donner. Il est bon et tout à fait logique qu'il en aille ainsi; cela n'a rien d'extraordinaire en soi.
La pastorale des vocations tend à enseigner cette logique de la reconnaissance-gratitude; une logique beaucoup plus saine et convaincante, sur le plan humain, et plus fondée sur le plan théologique que la soi-disant «logique du héros», de celui qui n'a pas assez mûri la conscience d'avoir reçu et qui se sent lui-même auteur du don et du choix. Cette logique a bien peu de prise sur la sensibilité du jeune d'aujourd'hui, car elle renverse la vérité de la vie comme bien reçu qui tend naturellement à devenir bien donné.
C'est la sagesse évangélique du «Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement» (Mt 10,8) (103) adressée par Jésus aux disciples annonciateurs de sa parole, qui dit la vérité de chaque être humain: personne ne pourrait ne pas se reconnaître en elle.
C'est de cette vérité que dérive la forme que la vie est ensuite appelée à prendre ou c'est de cette figure unique de la foi que naissent ensuite les différentes représentations vocationnelles de la foi.
Alors il devient aussi possible de demander des choix forts et radicaux, comme un appel de consécration spéciale, au sacerdoce et à la vie consacrée. Voilà pourquoi la proposition de Dieu, aussi difficile et singulière qu'elle puisse paraître (et elle l'est en réalité), devient aussi une promotion inouïe des aspirations humaines authentiques et garantit le maximum du bonheur, un bonheur, comblé de gratitude que chante Marie dans le «Magnificat».

d) Reconnaître Jésus en se reconnaissant disciple
Les yeux des disciples d'Emmaüs s'ouvrent en présence du geste eucharistique de Jésus.
C'est en présence de ce geste que Cléophas et son compagnon perçoivent aussi le sens de leur cheminement, non seulement comme un voyage qui porte à reconnaître Jésus, mais aussi à se reconnaître: «Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Ecritures?» (Lc 24,32) .
Il n'y a pas seulement une certaine émotion chez les deux pèlerins qui écoutent l'explication du Maître, mais la sensation que sa vie, son Eucharistie, sa Pâque et son mystère feront toujours plus partie de leur vie, eucharistie, pâque, mystère.
Dans le coeur brûlant, il y a la découverte de la vocation et l'histoire de toute vocation, toujours liée à une expérience de Dieu où la personne se découvre et découvre aussi son identité.
Former une personne à faire un choix de vocation veut dire faire découvrir toujours plus le lien entre expérience de Dieu et découverte du moi, entre théophanie et auto-identité. Ce qu'affirme l'Instrumentum laboris est tout à fait vrai: «Le fait de Le reconnaître Lui, comme le Seigneur de la vie et de l'histoire, comporte aussi l'auto-reconnaissance du fait d'être disciple». (104) Lorsque l'acte de foi parvient à conjuguer la «reconnaissance christologique» et la «reconnaissance anthropologique», le grain de la vocation est déjà mûr. Bien plus, il est déjà en train de fleurir.

Notes:

(102) Ainsi, la Proposition 23 affirme: «Il est important de souligner que les jeunes sont ouverts aux défis et aux propositions forts (qui sont "supérieurs à la moyenne", c'est-à-dire qui ont quelque chose "de plus"!)».
(103) Qui revient sous forme de provocation dans les paroles de Paul aux Corinthiens: "Qu'as-tu que tu n'aies reçu?" (1Co 4,7) .
(104) IL, 55.


Discerner

37 «A cette heure même, ils partirent et s'en retournèrent à Jérusalem. Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui dirent: «C'est bien vrai! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!». Et eux de raconter ce qui s'était passé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain» ( Lc 24,33-35) .
Pour que le chemin d'Emmaüs devienne un itinéraire de vocation, il faut un passage de conclusion après la série de «reconnaissances» et «auto-reconnaissances»: le choix effectif du jeune, auquel correspond, de la part de celui qui l'accompagne le long de son cheminement vocationnel, le processus de discernement. Un discernement qui ne s'achèvera certes pas au moment de l'orientation de la vocation, mais qui devra se poursuivre jusqu'à la maturation d'une décision définitive, «pour toute la vie». (105)

a) Le choix effectif de celui qui est appelé

Notes:

(105) Propositions, 27.


Capacité de décision

Dans l'épisode évangélique dont s'est inspiré notre réflexion, le choix est bien exprimé au verset 33: «A cette heure même, ils partirent...».
La note temporelle («A cette heure même») montre bien la détermination des deux hommes, provoquée par la parole et par la personne de Jésus, par la rencontre avec lui, et mise en acte par un choix qui comporte une rupture par rapport avec ce qu'ils étaient ou faisaient auparavant; elle indique donc une nouveauté de vie.
C'est précisément cette décision qui fait souvent défaut chez les jeunes d'aujourd'hui.
Pour cette raison, afin d'«aider les jeunes à surmonter l'indécision face aux engagements définitifs, il semble utile de les préparer progressivement à assumer des responsabilités personnelles, (...), leur confier des tâches appropriées à leurs capacités et à leur âge, (...) favoriser une éducation progressive qui leur enseigne à faire de petits choix quotidiens par rapport aux valeurs (gratuité, constance, sobriété, honnêteté...)». (106)
D'un autre côté, il faut rappeler que très souvent ces peurs et indécisions indiquent non seulement la faiblesse de la structure psychologique de la personne, mais aussi de l'expérience spirituelle et, en particulier, de l'expérience de la vocation comme choix qui vient de Dieu.
Lorsque cette certitude est faible, le sujet s'en remet inévitablement à lui-même et à ses ressources, et quand il constate leur précarité, il n'est pas étrange qu'il se laisse étouffer par la peur de faire un choix définitif.
L'incapacité de prendre une décision n'est pas nécessairement caractéristique de la génération des jeunes d'aujourd'hui: il n'est pas rare qu'elle soit la conséquence d'un accompagnement vocationnel qui n'a pas assez souligné la primauté de Dieu dans le choix ou qui ne lui a pas enseigné à se laisser choisir par lui. (107)

Notes:

(106) Propositions, 25.
(107) Cf. Propositions, 25.


«Retour chez soi»

Le choix d'une vocation indique la nouveauté de vie, mais en réalité c'est également le signe que l'on a retrouvé son identité, presque un «retour chez soi», aux racines du moi. Dans le passage d'Emmaüs, il est symbolisé par l'expression: «...et s'en retournèrent à Jérusalem» (cf. Mt 10,22) .
Combien de fois aussi les attitudes des adultes, y compris des parents, ont contribué à créer une image négative de la vocation, en particulier au sacerdoce et à la vie consacrée, créant notamment des obstacles à sa réalisation et décourageant ceux qui se sentaient appelés! (108)
Ce problème ne se résout pas par une banale propagande opposée, qui mettrait en relief les aspects positifs et gratifiants de la vocation, mais surtout en soulignant l'idée que la vocation est la pensée de Dieu sur la créature, que c'est le nom donné par Dieu à la personne.
Découvrir et répondre à la vocation des croyants veut dire trouver la pierre sur laquelle est écrit son nom (cf. Ap 2,17-18) ou retourner aux sources du moi.

Notes:

(108) Cf. Propositions, 14.


Témoignage personnel

A Jérusalem, les deux «trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui dirent: «C'est bien vrai! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!». Et eux de raconter ce qui s'était passé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain» (Lc 24,33-35) .
L'élément le plus significatif de ce passage, en relation au choix de vocation, est le témoignage des deux hommes, un témoignage particulier, parce qu'il survient dans un contexte communautaire et revêt un sens vocationnel précis.
De fait, lorsque les deux disciples arrivent, l'assemblée est en train de proclamer sa foi par une formule («C'est bien vrai! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!».) dont nous savons qu'elle figure parmi les témoignages les plus anciens de la foi objective. Cléophas et son compagnon ajoutent, en quelque sorte, leur expérience subjective, qui confirme ce que la communauté était en train de proclamer et qui confirme aussi leur cheminement personnel de croyants et leur cheminement vocationnel.
C'est comme si ce témoignage était le premier fruit de la vocation découverte et retrouvée, qui est tout de suite mise au service de la communauté ecclésiale, comme le veut la nature même de la vocation chrétienne.
Nous retrouvons par ailleurs ce que nous avons déjà dit quant au rapport entre itinéraires ecclésiaux objectifs et itinéraire personnel subjectif, dans un rapport de synergie et de complémentarité: le témoignage de l'individu aide et fait croître la foi de l'Eglise, la foi et le témoignage de l'Eglise suscitent et encouragent le choix de vocation de l'individu.

b) Le discernement effectué par le guide
Dans l'Exhortation Apostolique post-synodale Pastores dabo vobis, Jean-Paul II affirme: «La connaissance de la nature et de la mission du sacerdoce ministériel est le présupposé nécessaire et en même temps le guide le plus sûr et le stimulant le plus fort pour développer dans l'Eglise l'action pastorale, en vue de la promotion et du discernement des vocations sacerdotales et de la formation de ceux qui sont appelés au ministère ordonné». (109)
Par analogie, on pourrait en dire de même lorsqu'il s'agit du discernement de toute vocation à la vie consacrée. Le présupposé incontournable pour discerner ces vocations consiste, avant tout, à tenir compte de la nature et de la mission de cet état de vie dans l'Eglise. (110)
Ce présupposé dérive directement de la certitude que c'est Dieu qui appelle et donc de la recherche des signes qui indiquent l'appel divin.
Nous indiquons maintenant quelques critères de discernement, que l'on peut répartir selon quatre catégories.

Notes:

(109) Pastores dabo vobis, PDV 11
(110) Cf. Jurado, Il discernimento, 262. Cf. aussi L. R. Moran, «Orientaciones doctrinales para una pastoral eclesial de las vocaciones», in Seminarium, 4 (1991), 697-725.


L'ouverture au mystère

Si la fermeture au mystère, caractéristique d'une certaine mentalité moderne, empêche d'être disponible à la vocation, son contraire, c'est-à-dire l'ouverture au mystère, est non seulement une condition positive pour la découverte de sa vocation, mais elle constitue le signe d'une saine option vocationnelle.

a) La certitude subjective authentique d'une vocation est celle qui laisse une place au mystère et à la sensation que sa décision, bien qu'étant ferme, devra continuer à scruter le mystère.
La certitude non authentique, en revanche, est une certitude non seulement faible et incapable d'engendrer une décision, mais aussi son contraire, à savoir la prétention d'avoir déjà tout compris, d'avoir exploré les profondeurs du mystère personnel, prétention qui ne peut que créer des raideurs et une certitude qui, bien souvent, est démentie dans la suite de la vie.

b) L'attitude typiquement d'une vocation est l'expression de la vertu de prudence, plus que l'exhibition d'une capacité personnelle. C'est la raison pour laquelle la sécurité de cette lecture de son propre avenir est celle de l'espérance qui naît de la confiance placée dans un Autre, dont on peut se fier; elle n'est pas le résultat d'une garantie basée sur la certitude que ses propres capacités correspondent aux exigences du rôle choisi.

c) Les capacités d'accueillir et d'intégrer les polarités opposées qui constituent la dialectique naturelle du moi et de la vie humaine sont aussi un bon indice de vocation. Par exemple, un jeune qui est suffisamment conscient de ses aspects positifs et négatifs, de ses idéaux et de ses contradictions, de la partie saine et moins saine de son projet de vocation, et qui ne présume ni ne désespère face à ses aspects négatifs, possède cette capacité.

d) Le jeune qui découvre les signes de l'appel de Dieu, non seulement dans des événements extraordinaires, mais dans son histoire, dans les événements qu'il a appris à lire en tant que croyant, dans ses interrogations, ses angoisses et ses aspirations, entretient une bonne familiarité avec le mystère de la vie comme lieu où il peut percevoir une présence et un appel.

e) Une autre caractéristique fondamentale de celui qui est authentiquement appelé rentre dans cette catégorie: celle de lagratitude. La vocation naît sur le terrain fécond de la gratitude et doit être interprétée avec un élan de générosité et de radicalisme, précisément parce qu'elle naît de la conscience de l'amour reçu.

L'identité dans la vocation

Le second ordre de critères tourne autour du concept d'«identité». L'option vocationnelle indique et implique en effet la définition de son identité; elle est choix et réalisation du moi idéal, plus que du moi actuel, et devrait conduire la personne à avoir un sens substantiellement positif et stable de son moi.

a) La première condition est que la personne montre qu'elle est en mesure de se détacher de la logique de l'identification aux niveaux corporel (= le corps comme source d'identité positive) et psychique (= ses talents comme garantie unique et prédominante d'estime personnelle) et qu'elle découvre en revanche la positivité radicale liée de manière stable à l'être reçu en don de Dieu (c'est le niveau ontologique), et non pas à la précarité de l'avoir ou du paraître. La vocation chrétienne est ce qui permet à cette positivité de s'accomplir en réalisant au plus haut degré les possibilités du sujet, selon un projet qui normalement le dépasse car il est pensé par Dieu.

b) «Vocation» veut dire fondamentalement «appel»: il y a donc un sujet extérieur, un appel objectif et une disponibilité intérieure à se laisser appeler et à se reconnaître dans un modèle qui n'a pas été créé par l'appelé.

c) Quant à la motivation ou à la modalité du choix de vocation, le critère fondamental est celui de la totalité (ou loi de la totalité), à savoir que la décision est l'expression d'une implication totale des fonctions psychiques (coeur-esprit-volonté) et décision en même temps mentale, éthique et émotive.

d) En particulier, il existe une maturité vocationnelle lorsque la vocation est vécue et interprétée comme un don, mais aussi comme un appel exigeant: à vivre pour les autres, non seulement pour sa propre perfection, et avec les autres, dans l'Eglise mère de toutes les vocations, dans un «sequela Christi» spécifique.

Un projet de vocation riche de mémoire de foi

La troisième dimension sur laquelle l'attention de celui qui discerne devrait se concentrer est relative à la qualité du rapport entre passé et présent, entre mémoire et projet.

a) Avant tout, il est important que le jeune soit substantiellement réconcilié avec son passé: avec l'inévitable partie négative de celui-ci, quelle qu'elle soit, qui fait partie de lui, et avec la partie positive, qu'il devrait être en mesure de reconnaître avec gratitude; réconcilié aussi avec les figures significatives de son passé, avec leurs richesses et leurs faiblesses.

b) Il faut alors considérer avec attention le type de mémoire de son histoire que le jeune entretient, quelle interprétation il donne à sa vie: en termes de remerciements ou de lamentation? S'il se sent consciemment ou inconsciemment encore en attente de recevoir ou ouvert pour donner?

c) L'attitude du jeune face aux traumatismes, plus ou moins graves, de sa vie passée, est particulièrement significative. Projeter de se consacrer à Dieu veut dire, dans tous les cas, se réapproprier de la vie que l'on veut donner, sous tous ses aspects; tendre à intégrer ces éléments moins positifs, en les reconnaissant avec réalisme, en adoptant une attitude responsable et non pas d'autocommisération par rapport à eux. Un jeune «responsable» est un jeune qui s'engage à adopter une attitude active et créative par rapport à un événement négatif ou qui cherche à exploiter de façon intelligente une expérience négative personnelle.
Il faut accorder beaucoup d'attention aux vocations qui naissent des souffrances, des déceptions ou d'incidents variés qui ne sont pas encore bien intégrés. Dans ce cas, un discernement plus attentif est nécessaire, notamment en ayant recours à des spécialistes, pour ne pas faire porter des fardeaux trop lourds sur des épaules trop faibles.

La docilité à la vocation

La dernière phase de l'itinéraire d'une vocation est celle de la décision. Pour cette phase, les critères de maturité d'une vocation semblent être les suivants:

a) la qualité fondamentale est le degré de docibilitas de la personne, c'est-à-dire la liberté intérieure de se laisser conduire par un(e) frèresoeur aîné(e); en particulier lors des phases stratégiques de la ré-élaboration et de la ré-appropriation de son passé, surtout celui qui pose le plus de problèmes et, par conséquent, la liberté d'apprendre et de savoir changer.

b) La docilité est au fond la qualité de la jeunesse, non pas tant sur le plan de l'état civil que comme attitude existentielle globale. Il est important que celui qui demande à entrer au séminaire ou dans la vie consacrée soit vraiment «jeune», avec les vertus et les vulnérabilités typiques de cette période de la vie, avec le désir de faire et le désir de donner le maximum de soi, capable d'établir des rapports sociaux et d'apprécier la beauté de la vie, conscient de ses défauts et de ses potentialités, conscient du don d'avoir été choisi.

c) Un domaine particulièrement digne d'attention, aujourd'hui plus qu'hier est le secteur affectif et sexuel. (111) Il est important que le jeune manifeste les dispositions nécessaires pour acquérir les deux certitudes qui rendent la personne libre sur le plan affectif, c'est-à-dire la certitude qui vient de l'expérience d'avoir déjà été aimé et la certitude, toujours acquise par l'expérience, de se savoir aimé. Concrètement, le jeune devrait faire preuve d'un équilibre humain qui lui permette de savoir rester debout tout seul; il devrait posséder une assurance et une autonomie qui lui facilitent les rapports sociaux et l'amitié cordiale, ainsi qu'un sens de responsabilité qui lui permette de vivre les rapports sociaux en adulte, libre de donner et de recevoir.

d) En ce qui concerne les inconsistances, toujours dans le domaine affectif et sexuel, un discernement circonspect devrait tenir compte du caractère central de ce domaine dans l'évolution générale du jeune et dans la culture (ou sous-culture) actuelle. Il n'est pas si étrange ou si rare que le jeune manifeste des faiblesses spécifiques dans ce secteur.
A quelles conditions peut-on accueillir prudemment la requête de vocation de jeunes présentant ce type de problèmes? La condition est de rencontrer en même temps chez lui trois autres qualités:

1) Que le jeune soit conscient de la racine de son problème, qui très souvent n'est pas sexuel à l'origine.

2) La seconde condition est que le jeune ressente sa faiblesse comme un corps étranger à sa personnalité, comme quelque chose qu'il ne voudrait pas, qui jure avec son idéal et contre lequel il lutte de toutes ses forces.

3) Enfin, il est important de vérifier si le sujet est en mesure de contrôler cette faiblesse, en vue de la dépasser, soit parce que, de fait, il tombe moins souvent, soit parce que ces inclinations perturbent de moins en moins sa vie (notamment psychique) et lui permettent d'accomplir ses devoirs normaux sans créer de tension excessive ni occuper indûment son attention. (112) Ces trois critères doivent tous êtres présents pour permettre un discernement positif.

e) Enfin, la maturité d'une vocation est déterminée par un élément essentiel qui donne véritablement son sens à tout: l'acte de foi. L'option vocationnelle authentique est de tout point de vue l'expression d'une adhésion de foi, et est d'autant plus authentique qu'elle fait partie et constitue l'épilogue d'un cheminement de formation vers la maturité de la foi. A l'intérieur de la logique qui fait une place au mystère, l'acte de foi représente précisément le point central qui permet de maintenir un équilibre entre les polarités parfois opposées de la vie, éternellement en tension entre la certitude de l'appel et la conscience de son inaptitude, entre la sensation de se perdre et de se trouver, entre la grandeur des aspirations et la pesanteur des limites, entre la grâce et la nature,entre Dieu qui appel et l'homme qui répond. Le jeune authentiquement appelé devrait faire preuve de la solidité de l'acte de foi en parvenant à vivre de manière équilibrée avec ces différents pôles d'attraction.

Notes:

(111) Nous parlons ici d'une maturité affectivo-sexuelle de base, comme condition préalable à l'admission aux voeux religieux et au ministère ordonné, selon les deux voies des Eglises catholiques d'Europe, au ministère comportant le célibat (Eglise occidentale) et au ministère marié (Eglises orientales). Il est important que de la pastorale des vocations à la formation proprement dite les programmes pédagogiques soient cohérents et précis, pour que la préparation au ministère ordonné soit adaptée dans un cas comme dans l'autre, en particulier sur le plan de la solidité affective, et que l'exercice du ministère puisse ainsi atteindre l'objectif de l'annonce de l'amour de Dieu comme origine et terme de l'amour humain.
(112) Voir en ce sens la recommandation du Potissimum Institutioni d'écarter, en ce qui concerne l'homosexualité, non pas ceux qui ont cette tendance, mais "ceux qui ne parviendront pas à maîtriser ces tendances" (39), même si le verbe "maîtriser" doit être compris selon nous au sens plénier, non pas simplement comme effort de la volonté, mais avec la liberté progressive à l'égard des tendances elles-mêmes, dans le coeur et en esprit, au niveau de la volonté et des désirs.





CONCLUSION

Vers le Jubilé


1997 De nouvelles vocations pour une nouvelle Europe 35