1978 Mutuae-relationes
SACRÉE CONGRÉGATION POUR LES RELIGIEUX ET LES INSTITUTS SÉCULIERS
I. LES RAPPORTS MUTUELS entre les divers membres du Peuple de Dieu suscitent aujourd'hui une attention particulière. En effet, la doctrine conciliaire sur le mystère de l'Eglise et les changements culturels continus ont porté à un tel degré de maturation les conditions actuelles qu'ils font surgir des problèmes complètement nouveaux, dont un bon nombre représentent des résultats positifs, même s'ils sont délicats et complexes. Parmi ces problèmes, se pose précisément celui des rapports réciproques entre les Evêques et les Religieux qui réclame un intérêt particulier. On ne peut manquer d'être frappé d'un étonnement bien compréhensible, si on considère le faitdont la portée mérite vraiment d'être approfondieque le nombre des religieuses répandues dans le monde dépasse le million, soit une soeur pour 250 femmes catholiques, et que les religieux sont environ 270.000, parmi lesquels les prêtres représentent 35,6% des prêtres de l'Eglise entière, tandis que dans certaines régions, ils arrivent à dépasser la moitié du corps sacerdotal, par exemple en terre africaine et dans certaines parties de l'Amérique Latine.
II. - Les deux Sacrées Congrégations, pour les Evêques et pour les Religieux et les Instituts séculiers, dans la dixième année de la promulgation des Décrets «Christus Dominus» et «Perfectae Caritatis» (28 Octobre 1965), ont célébré une Assemblée Plénière mixte (16-18 Octobre 1975) avec la consultation et la collaboration des Conférences nationales des Evêques et des Religieux, ainsi que des Unions internationales des Supérieures et des Supérieurs généraux. Dans cette Assemblée Plénière, les questions suivantes furent examinées comme thèmes principaux:
a) qu'attendent les Evêques des Religieux;
b) qu'attendent les Religieux des Evêques;
c) quels moyens employer pour parvenir à une action organisée et féconde entre Evêques et Religieux sur le plan diocésain comme sur le plan national et international.
En outre, après avoir fixé les critères généraux et apporté des additions au texte des propositions présenté aux Pères, l'Assemblée Plénière décida l'élaboration d'un document où seraient indiquées des orientations pastorales.
C'est ce document, rédigé aussi avec la contribution des Sacrées Congrégations pour les Eglises Orientales et pour l'EvangéIisation des Peuples, qui est publié ici.
III. - Le sujet traité est compris dans des limites bien déterminées: on considère le thème des rapports entre les Evêques et les Religieux de n'importe quel rite et en tout territoire, dans l'intention primordiale d'en faciliter la réalisation pratique. Les relations qui doivent exister entre les Ordinaires locaux, les Instituts religieux et les Sociétés de vie commune ont fait l'objet de discussions directes; par contre on n'envisage pas explicitement les Instituts séculiers, sinon pour ce qui concerne les principes généraux de la vie consacrée (cf. PC 11) et leur insertion dans les Eglises particulières (cf. CD 33) .
Le texte comprend deux parties: l'une doctrinale, l'autre normative; son but est de tracer une ligne directive pour une meilleure et toujours plus efficace application des principes de renouveau indiqués par le second Concile du Vatican.
Avant de donner des normes pastorales concernant certains problèmes soulevés par les rapports entre les Evêques et les Religieux, il semble nécessaire de présenter une brève synthèse doctrinale qui pose les principes sur lesquels se fondent ces rapports. Bien qu'elle soit brève, l'exposition de ces principes suppose un ample développement doctrinal des documents conciliaires.
Non selon la chair, mais dans l'Esprit
(LG 9)
1 - Le Concile a mis en évidence la nature constitutive particulière de l'Eglise, la présentant comme Mystère (cf. cap. 1). Depuis le jour de la Pentecôte (cf. LG 4) , en effet, il existe dans le monde un peuple «nouveau» qui, vivifié par l'Esprit-Saint, se réunit dans le Christ pour arriver au Père (cf. Ep 2,18) . Les membres de ce Peuple sont appelés de toutes les nations et se fondent entre eux dans une unité si intime (cf. LG 9) qu'elle ne peut s'expliquer par de simples arguments de nature sociologique, car il existe en elle une réelle nouveauté qui transcende l'ordre humain. C'est donc seulement dans cette perspective transcendante qu'on peut interpréter correctement les rapports mutuels entre les divers membres de l'Eglise. L'élément sur lequel se fonde l'originalité de cette nature, est la présence même de l`Esprit-Saint. Lui seul en effet est vie et force du Peuple de Dieu, lien de sa communion, il est la vigueur de sa mission, la source de ses multiples dons, le lien de son admirable unité, la lumière et la beauté de son pouvoir créateur, la flamme de son amour (cf. LG 4 LG 7 LG 8 LG 9 LG 12 LG 18 LG 21) . Le réveil spirituel et pastoral de ces dernières années révèle en effet, en vertu de la présence de l'Esprit sur laquelle quelques abus, même inquiétants, surgis ça et là, n'ont pas jeté la plus petite ombreun moment particulier privilégié (cf. Evangelii nuntiandi, EN 75) pour une jeunesse nuptiale de l'Eglise, tendue vers le jour de son Seigneur (cf. Ap 22,17) .
«Un seul corps» dans lequel «tous sont membres les uns des autres» (Rm 12,5 cf. 1Co 12,13)
2 - Dans le mystère de l'Eglise, l'unité dans le Christ comporte une mutuelle communion de vie entre les membres. En effet, «il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément hors de tout lien mutuel, il a voulu au contraire en faire un peuple» (LG 9) . La présence vivifiante de l'Esprit-Saint (cf. LG 7) construit dans le Christ la cohésion organique: «C'est lui qui assure l'unité de l'Eglise dans la communion et le service; il l'équipe et la dirige grâce à la diversité des dons hiérarchiques et charismatiques, il l'orne de ses fruits» (LG 4 cf. Ep 4,11-12 1Co 12,4 Ga 5,22) .
Par conséquent, les éléments qui diversifient entre eux les membres de l'Eglise, les dons, c'est-à-dire les offices et les différents engagements constituent en substance une sorte de complément réciproque et ils sont vraiment ordonnés à l'unique communion et à la mission du même «corps» (cf. LG 7 AA 3) . Le fait donc que dans l'Eglise puissent coexister Pasteurs, Laïcs ou Religieux n'entraîne pas d'inégalités quant à la dignité commune des membres (cf. LG 32); il exprime plutôt l'articulation des jointures et des fonctions d'un organisme vivant.
3 - La nouveauté du Peuple de Dieu, dans ses deux aspects d'organisme social visible et de présence divine invisible, en union intime entre eux, est comparable au mystère même du Christ: en effet, «comme la nature prise par le Verbe Divin est à son service comme un organe vivant de salut, qui lui est uni indissolublement, de même, le tout social que constitue l'Eglise, est au service de l'Esprit du Christ, qui lui donne la vie en vue de la croissance du corps» (LG 8 cf. Ep 4,16) . C'est pourquoi l'intime connexion réciproque des deux éléments confère à l'Eglise sa nature «sacramentelle» spéciale, en vertu de laquelle elle transcende complètement les limites de toute perspective uniquement sociologique. Aussi le Concile a pu affirmer que le Peuple de Dieu est dans le monde comme «sacrement visible de l'unité salvifique» (LG 9 cf. LG 1 LG 8 LG 48 GS 42 AGD 1 AGD 5) pour tous les hommes.
Les évolutions sociales actuelles et les mutations culturelles auxquelles nous assistons, même si elles suscitent dans l'Eglise l'exigence de renouveler peut-être un certain nombre de ses aspects humains, ne peuvent altérer même de façon minime, sa structure particulière de «Sacrement universel de salut»; au contraire, ces mutations elles-mêmes qui doivent être encouragées, serviront en même temps à mettre davantage en lumière sa nature.
4 - Tous les membres de l'Eglise, Pasteurs, Laïcs et Religieux, participent selon leur mode propre, à sa nature sacramentelle; de même, chacun d'eux, selon sa mission, doit être signe et instrument de l'union avec Dieu et du salut du monde. Pour tous, en effet, double est l'aspect de la vocation:
a) à la sainteté: «dans l'Eglise, tous, qu'ils appartiennent à la hiérarchie ou qu'ils soient guidés par elle, sont appelés à la sainteté» (LG 39);
b) à l'apostolat: l'Eglise entière «est poussée par l'Esprit Saint à coopérer à la réalisation totale du dessein de Dieu» (LG 17 cf. AA 2 AGD 1,3) .
C'est pourquoi, avant de considérer la diversité des dons, des ministères et des devoirs, il est nécessaire d'admettre fondamentalement la vocation commune à l'union avec Dieu pour le salut du monde. Cette vocation requiert de tous, comme critère de participation à la communion ecclésiale, le primat de la «vie dans l'Esprit» sur laquelle repose l'écoute de la parole, la prière intérieure, la conscience de vivre comme membre de tout le corps et le souci de l'unité, le fidèle accomplissement de la mission propre, le don de soi dans le service et l'humilité du repentir.
De cette commune vocation baptismale à la vie de l'Esprit, naissent des exigences éclairantes et des influences efficaces sur les rapports réciproques entre les Evêques et les Religieux
5 - La communion organique entre les membres de l'Eglise est de telle manière le fruit de l'Esprit-Saint, qu'elle présuppose nécessairement l'initiative historique de Jésus-Christ et son exode pascal. L'Esprit-Saint, en effet, est l'Esprit du Seigneur: Jésus-Christ «exalté à la droite de Dieu (Ac 2,33) , a répandu sur ses disciples l'Esprit promis par le Père» (LG 5) . Si donc l'Esprit est comme l'âme du Corps (LG 7) , le Christ en est objectivement le Chef (cf. LG 7); la cohésion organique des membres résulte des deux (cf. 1Co 12-13 Col 2,19) . Par conséquent, une véritable docilité envers l'Esprit ne peut exister sans fidélité au Seigneur qui L'envoie; en effet, «le corps entier (du Christ) bien uni par les ligaments et les jointures dont il est pourvu, croît selon le développement voulu de Dieu» (Col 2,19) .
C'est pourquoi la communion organique de l'Eglise n'est pas exclusivement spirituelle, à savoir de toute façon née de l'Esprit-Saint, et de soi antérieure aux fonctions ecclésiales qu'elle suscite; elle est en même temps hiérarchique», en ce que, par impulsion vitale, elle dérive du Christ-Chef. Les dons eux-mêmes, répandus par l'Esprit, sont précisément voulus du Christ et, par leur nature, ils sont orientés vers la construction du Corps pour en vivifier les fonctions et les activités. «Le Christ est la tête du Corps, le principe, le premier-né d'entre les morts afin qu'Il ait en tout la primauté» (cf. LG 7 Col 1,15-18) . Ainsi la communion organique de l'Eglise, sous son aspect spirituel comme sous son aspect hiérarchique, tire son origine et sa force à la fois du Christ et de son Esprit. C'est donc à juste titre que l'Apôtre Paul a évoqué plusieurs fois la convergence intime et vitale des formules «dans le Christ» et «dans l'Esprit» (cf. Ep 2,21-22 cf. passim dans les Epîtres).
6 - Le Seigneur lui-même «a institué dans son Eglise des ministères variés qui tendent au bien de tout le Corps» (LG 18) . Parmi ces ministères , celui de l'Episcopat est le fondement de tous les autres. C'est ainsi que les Evêques, en communion hiérarchique avec le Pontife Romain, constituent le Collège Episcopal, exprimant ainsi dans leur ensemble et effectuant dans l'Eglise-Sacrement, la fonction du Christ-Chef: «en la personne des Evêques» en effet, «assistés des prêtres, c'est le Seigneur Jésus-Christ, Pontife suprême, qui est présent au milieu des croyants... (Les Evêques) d'une façon éminente et visible, tiennent la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife, et agissent en son nom» (LG 21 cf. LG 27 LG 28 PO 1 CD 2) . Nul autre, en dehors de l'Evêque, n'exerce dans l'Eglise une fonction organique de fécondité (cf. LG 18,19) , d'unité (cf. LG 23) et de pouvoir spirituel (cf. LG 22) aussi fondamentale, qui influe sur toute l'activité ecclésiale. En effet, bien que dans le Peuple de Dieu soit répartie de façon variée la distribution des multiples tâches et initiatives, c'est au Pontife Romain et aux Evêques que revient le ministère de discerner et d'harmoniser (cf. LG 21) , ce qui entraîne l'abondance des dons spéciaux de l'Esprit et le charisme particulier de la répartition des divers rôles en intime docilité d'âme envers l'unique Esprit vivifiant (cf. LG 12 LG 24 etc.).
7 - L'Evêque, avec la collaboration des prêtres, remplit envers la communauté des fidèles un triple service, celui d'enseigner, de sanctifier, de gouverner (cf. LG 25-27 CD 12-20 PO 4-6) . Il ne s'agit pas d'ailleurs, de trois ministères, mais puisque le Christ, dans la Nouvelle Loi, a réuni entre elles les trois fonctions de Maître, de Prophète et de Pasteur, il s'agit d'un ministère unique dans son origine. C'est pourquoi le ministère épiscopal s'exerce de manière indivisible dans ses diverses fonctions.
Si donc les circonstances demandent parfois qu'un des trois aspects soit mis davantage en lumière, on ne devra jamais séparer ni négliger les deux autres, pour que l'intégrité profonde de tout le ministère ne soit jamais atteinte. En conséquence, l'Evêque, non seulement gouverne, sanctifie, enseigne, mais avec l'aide des prêtres, il paît son troupeau, l'enseignant, le sanctifiant, le gouvernant, comme une action unique et indivisible. En vertu de son ministère même, l'Evêque est responsable d'une manière particulière de l'accroissement, de la sainteté de tous les fidèles, en tant qu'il est «le principal dispensateur des mystères de Dieu et l'artisan de la perfection de son troupeau» selon la vocation propre de chacun (cf. CD 15); donc aussi et surtout, selon la vocation des Religieux.
8 - Une réflexion attentive sur les fonctions et les devoirs du Pontife Romain et des Evêques relativement à la vie pratique des religieux, conduit à découvrir d'une manière claire et concrète la dimension ecclésiale de ceux-ci, c'est-à-dire le lien indubitable de la vie religieuse avec la vie et la sainteté de l'Eglise (cf. LG 44) . Dieu, en effet, par l'action de la Hiérarchie Sacrée, consacre les Religieux à un plus haut service du Peuple de Dieu (cf. LG 44); de même, l'Eglise par le ministère de ses Pasteurs, «n'apporte pas seulement à la profession religieuse la sanction qui lui donne la dignité d'un état canonique de vie; par sa Liturgie, elle la présente encore comme un état de consécration à Dieu» (LG 45 cf. SC 80 SC 2) . En outre, les Evêques, comme membres du Collège Episcopal, en harmonie avec la volonté du Souverain Pontife, exercent ensemble certaines responsabilités. «Par des lois, ils règlent avec sagesse la pratique des conseils évangéliques» (cf. LG 45) . «Ils approuvent de façon authentique les Règles qui leur sont proposées» (cf. LG 45) , reconnaissant ainsi aux Instituts et leur conférant leur «mission» typiquement propre, les encourageant à se charger de la fondation de nouvelles Eglises (cf. AGD 18 AGD 27) , ou leur confiant, selon les circonstances, des tâches et mandats particuliers. Ils veillent avec soin à ce que les Instituts «croissent et fleurissent dans l'esprit des fondateurs, les soutenant de leur autorité vigilante et protectrice» (LG 45) . Enfin, ils déterminent «l'exemption de certains Instituts de la juridiction des Ordinaires du lieu, en vue de l'intérêt commun de l'Eglise universelle et pour mieux pourvoir à l'accroissement et au perfectionnement de la vie religieuse» (CD 35,3) .
9 - Les considérations précédentes concernant la communion hiérarchique dans l'Eglise éclairent considérablement les rapports à entretenir entre les Evêques et les Religieux:
a) Le «Chef» du Corps ecclésial est le Christ, Pasteur éternel, qui a choisi Pierre et les Apôtres avec leurs successeurs, c'est-à-dire le Pontife Romain et les Evêques, les constituant sacramentellement comme ses Vicaires (cf. LG 18 LG 22 LG 27) et leur accordant des charismes appropriés; nul n'a le pouvoir d'exercer les fonctions de Magistère, de sanctification ou de gouvernement sinon en participation et en communion avec eux.
b) L'Esprit-Saint est l'âme du corps ecclésial; aucun membre du Peuple de Dieu, quel que soit son ministère, ne résume en sa personne, dans leur totalité, les dons, les offices et les tâches; il doit entrer en communion avec les autres. Dans le Peuple de Dieu, les différences de dons ou de fonctions convergent entre elles et se complètent réciproquement par l'unique communion et une mission unique.
c) Les Evêques, en union avec le Pontife Romain, reçoivent du Christ-Chef la charge (cf. LG 21 de discerner les dons et les compétences, de coordonner les énergies multiples et de diriger tout le Peuple pour vivre dans le monde comme signe et instrument de salut. C'est donc à eux qu'est confié également l'office de prendre soin des charismes religieux d'autant plus que l'indivisibilité même du ministère pastoral les rend responsables de la perfection de tout le troupeau. De la sorte, en promouvant la vie religieuse, en la protégeant conformément à son caractère propre, les Evêques accomplissent un véritable devoir pastoral.
d) Que les Pasteurs se rappellent l'avertissement apostolique de «ne pas exercer leur domination sur ceux qui leur sont échus en partage mais en se montrant les modèles du troupeau» (1P 5,3) , qu'ils soient conscients du primat de «la vie dans l'Esprit», réclamant d'eux qu'ils soient à la fois «guides et membres», vraiment «pères», mais aussi «frères»; «maîtres» de la foi, mais surtout «condisciples» devant le Christ; «maîtres de perfection» pour les fidèles, mais aussi «témoins» de leur sanctification personnelle.
10 - L'état religieux «ne se situe pas entre la condition du clerc et celle du laïc», mais il provient de l'une et de l'autre comme un «don spécial» pour toute l'Eglise (cf. LG 43) .
Il consiste dans la suite du Christ, par la profession publique des conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, avec l'engagement d'écarter tous les obstacles susceptibles de s'opposer à la ferveur de la charité et à la perfection du culte divin. Le Religieux, en effet, «se livre totalement à Dieu, aimé par-dessus tout, pour être ordonné au service du Seigneur et à son honneur, à titre nouveau et particulier»; cette donation «l'unit à l'Eglise et à son mystère de manière spéciale», le poussant à agir avec un dévouement total pour le bien de tout le corps (cf. LG 44) .
Il en résulte clairement que la vie religieuse est une manière particulière de participer à la nature «sacramentelle» du Peuple de Dieu. En effet, la consécration de ceux qui professent les voeux religieux tend par-dessus tout à offrir au monde un témoignage visible de l'insondable mystère du Christ en tant qu'ils le représentent «soit dans sa contemplation sur la montagne, soit dans son annonce du Royaume de Dieu aux foules, soit encore quand il guérit les malades et les infirmes et convertit les pécheurs à une vie féconde, quand il bénit les enfants et répand sur tous ses bienfaits, accomplissant en tout cela dans l'obéissance, la volonté du Père qui l'a envoyé»: (LG 46) .
11 - Les Instituts religieux sont nombreux dans l'Eglise et différents les uns des autres selon le caractère de chacun (cf PC 7,8); mais chacun d'eux, avec la collaboration «d'hommes et de femmes remarquables», apporte sa vocation particulière comme un don suscité par l'Esprit (cf. LG 45 PC 1,2) , et reconnu authentiquement par la hiérarchie.
Le «charisme des Fondateurs» (Evang. Nunt. 11) se révèle comme une «expérience de l'Esprit», transmise à leurs disciples, pour être vécue par ceux-ci gardée, approfondie, développée constamment en harmonie avec le Corps du Christ en croissance perpétuelle. «C'est pourquoi l'Eglise défend et soutient le caractère propre des divers Instituts Religieux» (LG 44 cf. CD 33 CD 35,1 CD 35,2, etc.).
Ce «caractère propre» comporte également un style particulier de sanctification et d'apostolat qui crée une tradition déterminée, de telle sorte qu'il est possible d'en analyser convenablement les éléments objectifs.
En cette période d'évolution culturelle et de rénovation ecclésiale, il est donc nécessaire que chaque Institut conserve son identité avec une assurance telle qu'on puisse éviter le péril d'une situation insuffisamment définie qui porterait les Religieux à s'insérer dans la vie de l'Eglise d'une manière vague et ambiguë, sans se référer suffisamment à leur caractère propre.
12 - Tout charisme authentique porte en lui une certaine dose de vraie nouveauté, dans la vie spirituelle de l'Eglise, et d'initiative dans l'action, qui peut parfois sembler incommode et même soulever des difficultés parce qu'il n'est pas toujours aisé de reconnaître immédiatement l'action de l'Esprit Saint.
Le caractère charismatique propre de tout Institut exige, du fondateur comme de ses disciples, une vérification continuelle de la fidélité au Seigneur, de la docilité à son Esprit, de l'attention intelligente aux circonstances et aux signes des temps, de la volonté d'insertion dans l'Eglise, de la disposition de subordination à la Hiérarchie, de l'audace dans les initiatives, de la constance dans le don, de l'humilité pour supporter les contretemps; le juste rapport entre charisme véritable, prospective de nouveauté et souffrance comporte une constante historique: c'est la liaison entre le charisme et la croix. En dehors de tout autre motif justifiant les incompréhensions, celle-ci est souverainement utile pour permettre de discerner l'authenticité d'une vocation.
Les simples religieux eux-mêmes ne manquent certainement pas de dons personnels, provenant aussi de l'Esprit pour enrichir, développer et rajeunir la vie de l'Institut dans l'union de la communauté et le souci de rénovation. Toutefois, le discernement de ces dons et leur juste exercice s'apprécieront à l'harmonie qu'ils présenteront avec le projet communautaire de l'Institut et avec les nécessités de l'Eglise au jugement de l'autorité légitime.
13 - Les «supérieurs» accomplissent leur devoir de service et de guide à l'intérieur de l'Institut religieux, en conformité avec le caractère propre de celui-ci. Leur autorité procède de l'Esprit du Seigneur, en lien avec la Hiérarchie, qui a érigé canoniquement l'Institut et approuvé authentiquement sa mission spéciale.
En conséquence, étant donné que la condition prophétique, sacerdotale et royale est commune à tout le Peuple de Dieu (cf. LG 8 LG 10 LG 34 LG 35 LG 36) , il paraît utile de déterminer la compétence de l'autorité religieuse, la comparant par analogie à la triple fonction du ministère pastoral, à savoir d'enseigner, de sanctifier et de gouverner, sans pour autant confondre ou égaler les deux autorités.
a) Quant au «ministère d'enseignement», les Supérieurs religieux ont la compétence et l'autorité de «maîtres spirituels» selon le projet évangélique de leur Institut; dans cette sphère, ils doivent donner à leur congrégation et à chacune des communautés une véritable «direction spirituelle», en accord avec le magistère authentique de la Hiérarchie, conscients d'accomplir un mandat de grave responsabilité dans le champ du plan évangélique voulu par le fondateur.
b) En ce qui concerne le «ministère de sanctification», les supérieurs possèdent une compétence spéciale et portent la responsabilité de «perfectionner» de diverses manières la vie de charité selon le projet de l'Institut, soit par la formation initiale et continue de leurs confrères, soit en veillant à la fidélité communautaire et personnelle dans la pratique des conseils évangéliques selon la Règle. Cette tâche, accomplie consciencieusement, sera considérée par le Souverain Pontife et les Evêques comme une aide précieuse dans l'accomplissement de leur ministère fondamental de sanctification.
c) Quant au «service de gouvernement», les supérieurs doivent organiser la vie de leur communauté, distribuer les offices à ses membres, prendre soin de la mission particulière de l'Institut, la développer et s'employer à l'insérer efficacement dans l'activité ecclésiale sous la direction de l'Evêque.
Il existe donc un «ordre interne des Instituts» (cf. CD 35,3) , qui possède son champ propre de compétence, auquel revient une «autonomie» véritable, même si dans l'Eglise cette autonomie ne peut jamais devenir «indépendance» (cf. CD 35,3 cf. et4). La juste mesure de l'autonomie et sa détermination concrète de compétence sont contenues dans le droit commun et dans les Règles ou Constitutions de chaque Institut.
14 - Des réflexions précédentes sur la vie religieuse on peut déduire quelques indications:
a) Les Religieux et leurs Communautés sont appelés à donner dans l'Eglise un témoignage visible de consécration totale à Dieu; cette option fondamentale de leur existence chrétienne est la première tâche à réaliser dans la forme de vie qui leur est propre. Quel que soit le caractère particulier de leur Institut, les Religieux sont en effet consacrés pour témoigner publiquement dans l'Eglise-Sacrement «que le monde ne peut être transfiguré et offert à Dieu sans l'esprit des béatitudes» (LG 31) .
b) Tout Institut est né pour l'Eglise, il est tenu de l'enrichir par ses caractéristiques propres selon son esprit particulier et sa mission spécifique. En conséquence, les Religieux doivent cultiver une conscience ecclésiale renouvelée, prêtant leur activité pour l'édification du Corps du Christ, persévérant dans la fidélité à la Règle et l'obéissance à leurs supérieurs (cf. PC 14 CD 35,2) .
c) Les Supérieurs des Religieux ont le grave devoir et la responsabilité primordiale de veiller avec soin à la fidélité de leurs confrères envers le charisme du fondateur, favorisant la rénovation prescrite par le Concile et réclamée par les circonstances. Ils feront donc tous leurs efforts pour orienter efficacement leurs confrères et les animer incessamment dans cette voie. Ils considéreront donc comme tâche privilégiée le devoir de veiller à une formation convenable des religieux et à leur rénovation (PC 2,4) .
Enfin, conscients que la vie religieuse par sa nature même réclame une participation spéciale de ses membres, les supérieurs veilleront à l'animation des religieux, puisqu'une «rénovation efficace et une juste mise à jour ne peuvent se réaliser sans la collaboration de tous les membres de l'Institut» (PC 4) .
La mission ecclésiale découle de la source de l'amour (AGD 2)
15 - Unique est la mission du Peuple de Dieu, qui constitue en quelque sorte le coeur de tout le mystère ecclésial. En effet le Père «a sanctifié le Fils et l'a envoyé dans le monde» (Jn 10,36) comme médiateur entre Dieu et les hommes (cf. AGD 3); au jour de la Pentecôte, «le Christ a envoyé d'auprès du Père le Saint Esprit pour accomplir son oeuvre de salut et pousser l'Eglise à s'étendre» (AGD 4) . Ainsi l'Eglise dans tout le cours de son histoire est «de sa nature, missionnaire» (AGD 2 cf. LG 17) dans le Christ et par la force de l'Esprit. Tous, Pasteurs, Laïcs et Religieux chacun selon sa vocation particulière, sont appelés à un engagement apostolique (cf. n. 4), qui jaillit de la charité du Père; l'Esprit-Saint l'alimente ensuite «vivifiant à la façon d'une âme, les institutions ecclésiastiques et insinuant dans le coeur des fidèles le même esprit missionnaire qui avait poussé le Christ lui-même» (AGD 4) . Par conséquent, la mission du Peuple de Dieu ne peut jamais consister uniquement dans une activité extérieure, parce que l'engagement apostolique ne peut jamais se réduire à la simple promotion humaine, même valide, du moment que toute initiative pastorale et missionnaire est fondée radicalement sur la participation au mystère de l'Eglise. En effet, par sa nature, la mission de l'Eglise n'est autre que la mission du Christ continuée dans l'histoire du monde; elle consiste donc principalement dans la participation à l'obéissance de Celui qui s'est offert lui-même au Père pour la vie du monde (cf. Hbr. 5, 8).
16 - La mission qui tire son origine du Père, exige de tous ceux qui sont envoyés de perfectionner leur charité dans le dialogue de la prière. C'est pourquoi dans cette période de renouveau de l'apostolat, comme toujours dans tout engagement missionnaire, une place privilégiée doit être donnée à la contemplation de Dieu, à la méditation de son plan de salut et à la réflexion sur les signes des temps à la lumière de l'Evangile, afin que la prière puisse s'alimenter et grandir en qualité et en fréquence.
La nécessité d'apprécier la prière et d'y recourir est donc très urgente pour tous. Les Evêques et les Prêtres leurs collaborateurs (cf LG 25 LG 27 LG 28 LG 41) «dispensateurs des mystères de Dieu (1Co 4,1) , doivent travailler à obtenir que tous ceux dont ils ont reçu la charge soient unanimes dans la prière et que, par la réception des Sacrements, ils croissent dans la grâce et soient pour le Seigneur, des témoins fidèles» (CD 15) . Les Religieux, en tant qu'appelés à être en quelque sorte des «spécialistes de la Prière» (Paul VI, 28.X.1966)... «cherchent Dieu et l'aiment par-dessus tout; en toutes circonstances, ils s'appliquent à se tenir dans la vie cachée en Dieu avec le Christ (Col 3,3) , d'où s'épanche et se fait pressante la dilection pour le prochain» (PC 6) .
A l'heure actuelle, par disposition de la Providence, bon nombre de fidèles sont portés à se réunir en petits groupes, à écouter l'Evangile, à méditer en profondeur et à accroître leur contemplation. En conséquence, pour l'efficacité même de la mission, il est indispensable de veiller à ce que tous, surtout les Pasteurs, vaquent à la prière et que, de la même manière, les Instituts religieux conservent intacte leur forme de consécration à Dieu, soit en favorisant le «rôle éminent» détenu dans ce champ par les communautés de vie contemplative (cf PC 7 cf. AGD 18) , soit en veillant à ce que les religieux dédiés à l'action apostolique alimentent leur union intime avec le Christ et en donnent un témoignage visible (cf. PC 8) .
17 - Les situations culturelles dans lesquelles doit s'exercer l'activité apostolique sont diverses; par conséquent, l'unité de la mission présente des différences «qui... ne dérivent pas de la nature intime de la mission mais uniquement des circonstances dans lesquelles elle est réalisée. Ces conditions dépendent soit de l'Eglise, soit des peuples, des groupes, ou des hommes auxquels s'adresse la mission» (AGD 6) . Ces différences réelles, bien que contingentes, influencent sensiblement non seulement l'exercice du ministère pastoral des Evêques et des prêtres, mais aussi le style de vie des religieux et leurs tâches, exigeant des adaptations parfois difficiles surtout pour les Instituts dédiés à l'action apostolique dans un rayon international.
C'est pourquoi dans les relations entre les Evêques et les Religieux, on devra considérer soigneusement non seulement les diversités de fonctions (cf. AA 2) et de charisme (cf. LG 2) , mais aussi les différences concrètes liées aux diverses nations.
Influence réciproque entre les valeurs universelles et particulières
18 - De l'exigence d'insertion du mystère de l'Eglise dans le milieu propre à chaque région surgit le problème de l'influence réciproque entre les valeurs de caractère universel et celles de caractère particulier dans le peuple de Dieu.
Le second Concile du Vatican a traité non seulement de l'Eglise universelle, mais aussi des Eglises particulières et locales qu'il a présentées comme un des aspects rénovateurs de la vie ecclésiale (cf. LG 13 LG 23 LG 26 CD 3 CD 11 CD 15 AD, 22; PC 20) . Un certain processus de décentralisation peut ainsi présenter un sens positif qui amène assurément des conséquences sur les rapports mutuels entre les Evêques et les Religieux (cf. Evang. nunt., 61-64).
Chaque Eglise particulière s'enrichit d'éléments humains valables, propres au génie et à la nature de chaque nation. De tels éléments ne représentent pas toutefois des indices de division, de particularisme ou de nationalisme; ils sont des expressions de la variété dans la même unité et de plénitude dans l'incarnation, qui enrichit tout le Corps du Christ (cf. UR 14-17) . En effet, l'Eglise universelle n'est ni une «somme», ni une «Fédération» d'Eglises particulières (cf. Evang. nunt., 62), mais elle réalise la présence totale et accrue de l'unique Sacrement universel de salut (cf. Evang. nunt., 54). Cette unité multiforme comporte cependant des exigences variées et concrètes de la part des Evêques et des Religieux dans l'accomplissement de leur tâche:
a) Les Evêques et les Prêtres leurs collaborateurs sont les premiers à devoir répondre à la fois du juste discernement des valeurs culturelles du lieu dans la vie de leur Eglise, et de la perspective d'universalité dérivant du rôle missionnaire des successeurs des apôtres, qui furent envoyés au monde entier (cf. CD 6 LG 20 LG 23 LG 24 AGD 5 AGD 38) .
b) De leur côté, les Religieux, même s'ils appartiennent à un Institut de droit pontifical, doivent se sentir vraiment participants de la «famille diocésaine» (cf. CD 34) et assumer la charge de l'adaptation nécessaire; ils doivent également favoriser les vocations locales, tant pour le clergé diocésain que pour la vie consacrée. D'autre part, pour les candidats à leur propre Institut, ils doivent les former de telle sorte qu'ils vivent vraiment selon la véritable culture locale, et qu'ils soient en même temps attentifs à ce que nul ne s'écarte de l'impulsion missionnaire inhérente à la vocation religieuse, ni de l'unité et du caractère propre de chaque Institut.
1978 Mutuae-relationes