1990 Directives sur la formation dans les instituts religieu
CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE
DIRECTIVES SUR LA FORMATION DANS LES INSTITUTS RELIGIEUX
* La Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, qui publie le présent document, lui donne valeur d'Instruction, selon le c. 34 du Code de Droit Canonique. Il s'agit de dispositions et d'orientations approuvées par le Saint Père et proposées par le Dicastère en vue d'expliciter les normes du Droit et d'aider à les appliquer. Ces dispositions et orientations supposent donc les prescriptions juridiques déjà en vigueur en vertu du Droit et s'y référent à l'occasion, ne dérogeant à aucune d'entre elles.
1 Le renouveau adapté des instituts religieux dépend principalement de la formation de leurs membres. La vie religieuse rassemble des disciples du Christ qu'il convient d'aider à accueillir «ce don divin que l'Eglise a reçu de son Seigneur et qu'elle conserve par sa grâce».(4) C'est pourquoi les meilleures formes d'adaptation ne porteront leurs fruits que si elles sont animées par un profond renouvellement spirituel. La formation des candidats, qui a pour but immédiat d'initier à la vie religieuse et de faire prendre conscience de sa spécificité dans l'Eglise, visera donc surtout, à travers l'harmonieuse fusion de ses éléments spirituel, apostolique, doctrinal et pratique à aider religieuses et religieux à réaliser leur unité de vie dans le Christ, par l'Esprit.(5)
2 Bien avant le Concile Vatican II, l'Eglise s'était préoccupée de la formation des religieux.(6) Le Concile, à son tour, a donné des principes doctrinaux et des normes générales dans le chapitre VI de la constitution dogmatique Lumen gentium et dans le décret Perfectae caritatis. Le Pape Paul VI, pour sa part, a rappelé aux religieux que, quelle que soit la variété des formes de vie et des charismes, tous les éléments de la vie religieuse doivent toujours être ordonnés à la construction de «l'homme intérieur».(7) Notre Saint Père Jean Paul II est souvent intervenu, depuis les débuts de son pontificat et dans de nombreux discours qu'il a prononcés, sur la formation des religieux.(8) Le Code de Droit Canonique, enfin, s'est employé à traduire dans des normes plus précises les exigences requises pour un renouveau adapté de la formation.(9)
3 La Congrégation, dès 1969, élargissait dans l'Instruction Renovationis causam, certaines dispositions canoniques alors en vigueur pour «mieux adapter l'ensemble du cycle de la formation à la mentalité des nouvelles générations, aux conditions de la vie moderne, ainsi qu'aux exigences de l'apostolat actuel, tout en demeurant fidèle à la nature et à la fin particulière de chaque Institut».(10)
D'autres documents publiés depuis lors par le Dicastère, quoique ne portant pas directement sur la formation des religieux, l'intéressent tout de même sous l'un ou l'autre aspect. Ce sont «Mutuae Relationes» en 1978,(11) «Religieux et Promotion humaine" et «Dimension Contemplative de la Vie Religieuse" en 1980,(12) «Eléments essentiels de l'enseignement de l'Eglise sur la vie religieuse" en 1983.(13) Il sera utile de recourir à ces divers documents pour que la formation des religieux soit donnée en pleine harmonie avec les orientations pastorales de l'Eglise universelle et des Eglises particulières et pour favoriser l'intégration entre «intériorité et activité» des religieuses et religieux voués à l'apostolat.(14) Ainsi l'activité «pour le Seigneur» ne cessera de les conduire au Seigneur, «source de toute activité»(15).
4 La Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique estime toutefois utile et même nécessaire de proposer aux supérieurs majeurs des instituts religieux et à leurs frères et soeurs chargés de formation, y compris les moniales et les moines, le présent document, d'autant plus que nombreux parmi eux étaient ceux qui l'avaient demandé. Elle le fait en vertu de sa mission de donner aux instituts des orientations qui pourront les aider à élaborer leur propre charte de formation (ratio) dont le droit général de l'Eglise leur fait une obligation.(16) D'autre part, religieuses et religieux ont le droit de connaître quelle est la position du Saint Siège sur les problèmes actuels de la formation et les solutions qu'il aurait à suggérer pour les résoudre. Le document s'inspire de nombreuses expériences déjà tentées depuis le Concile Vatican II et se fait l'écho de questions plusieurs fois soulevées par les supérieurs majeurs. Il rappelle à tous quelques exigences du droit en fonction des circonstances et des besoins présents. Il espère enfin rendre service surtout aux instituts naissants et à ceux qui ne disposent pour le moment que de peu de moyens de formation et d'information.
5 Le document ne concerne que les instituts religieux. Il porte sur ce que la vie religieuse a de plus spécifique et ne consacre qu'un chapitre aux exigences requises pour accéder aux ministères diaconal et presbytéral. Ces dernières ont fait l'objet d'instructions exhaustives de la part du Dicastère compétent, lesquelles s'appliquent aussi aux religieux candidats à ces ministères.(17) Il cherche à donner des orientations valables pour la vie religieuse dans son ensemble. Il appartiendra à chaque institut de les utiliser selon son caractère propre.
Le contenu du document vaut pareillement pour l'un et l'autre sexe, sauf s'il s'avère à partir du contexte et de la nature des choses qu'il en va autrement.(18)
6 Le but premier de la formation est de permettre aux candidats à la vie religieuse et aux jeunes profès de découvrir d'abord, d'assimiler et d'approfondir ensuite ce en quoi consiste l'identité du religieux. Dans ces conditions seulement, la personne vouée à Dieu s'insérera dans le monde comme un témoin significatif, efficace et fidèle.(19) Il convient donc de rappeler, au début d'un document sur la formation, ce que représente pour l'Eglise la grâce de la consécration religieuse.
7 «En tant que consécration de toute la personne, la vie religieuse manifeste dans l'Eglise l'admirable union sponsale établie par Dieu, signe du siècle à venir. Ainsi le religieux accomplit sa pleine donation comme un sacrifice offert à Dieu, par lequel toute son existence devient un culte continuel rendu à Dieu dans la charité».
«La vie consacrée par la profession des conseils évangéliques» dont relève la vie religieuse «est la forme de vie stable par laquelle les fidèles, suivant le Christ de plus près, sous l'action de l'Esprit Saint, se donnent totalement à Dieu aimé par dessus tout, pour que dédiés à un titre nouveau et particulier pour l'honneur de Dieu, pour la construction de l'Eglise et le salut du monde, ils parviennent à la perfection de la charité dans le service du Royaume de Dieu et, devenus signes lumineux dans l'Eglise, ils annoncent déjà la gloire céleste»(20).
«Cette forme de vie, dans les instituts de vie consacrée érigés canoniquement par l'autorité compétente de l'Eglise, les fidèles l'assument librement, qui, par des voeux ou d'autres liens sacrés selon les lois propres des instituts, font profession des conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d'obéissance et, par la charité à laquelle ceux-ci conduisent, sont unis de façon spéciale à l'Eglise et à son mystère».(21)
8 A l'origine de la consécration religieuse, il y a un appel de Dieu que rien n'explique sinon l'amour qu'il porte à la personne qu'il appelle. Cet amour est absolument gratuit, personnel et unique. Il embrasse la personne au point qu'elle ne s'appartient plus à elle-même, mais appartient au Christ.(22) Il revêt ainsi le caractère d'une alliance. Le regard que portait Jésus sur le jeune homme riche traduit ce caractère: «Posant son regard sur lui, Jésus le prit en affection» (Mc 10,21) . Le don de l'Esprit le signifie et l'exprime. Ce don engage la personne que Dieu appelle à suivre le Christ par la pratique et la profession des conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d'obéissance. C'est «un don divin que l'Eglise a reçu de son Seigneur et que, par sa grâce, elle conserve fidèlement».(23) Et c'est pourquoi «la norme ultime de la vie religieuse» sera de «suivre le Christ selon l'enseignement de l'Evangile».(24)
9 L'appel du Christ, qui est l'expression d'un amour rédempteur, «embrasse la personne entière, âme et corps, que ce soit un homme ou une femme, dans son moi personnel et absolument unique».(25) Il "prend dans le coeur de l'appelé la forme concrète de la profession des conseils évangéliques».(26) Sous cette forme, celles et ceux que Dieu appelle donnent à leur tour au Christ Rédempteur une réponse d'amour; un amour qui se livre entièrement et sans réserve et qui se perd dans l'offrande de toute la personne «en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu» (Rm 12,1) . Seul cet amour, lui aussi de caractère nuptial et qui engage toute l'affectivité de la personne, permettra de motiver et de soutenir les renoncements et les croix que rencontre nécessairement celui qui veut «perdre sa vie» à cause du Christ et de l'Evangile (cf. Mc 8,35) .(27) Cette réponse personnelle est partie intégrante de la consécration religieuse.
10 Selon l'enseignement de l'Eglise, «par la profession religieuse, les membres s'engagent par voeu public à observer les trois conseils évangéliques; ils sont consacrés à Dieu par le ministère de l'Eglise, et ils sont incorporés à l'institut avec les droits et devoirs définis par le droit» (28). Dans l'acte de la profession religieuse, qui est un acte de l'Eglise à travers l'autorité de celui ou celle qui reçoit les voeux, convergent l'action de Dieu et la démarche de la personne.(29) Cet acte incorpore à un institut. Dans cet institut, les membres «mènent en commun la vie fraternelle»(30) et l'institut leur assure «les secours d'une plus grande stabilité dans leur forme de vie, d'une doctrine éprouvée pour atteindre la perfection, d'une communion fraternelle dans la milice du Christ, d'une liberté fortifiée par l'obéissance, afin de pouvoir remplir avec sécurité et garder fidèlement leur profession religieuse en avançant dans la joie spirituelle sur la route de la charité»(31). L'appartenance des religieux et des religieuses à un institut les amène à rendre au Christ et à l'Eglise un témoignage public de distance à l'égard de «l'esprit du monde» (1Co 2,12) et des comportements qu'il entraîne, en même temps que de présence au monde selon la «sagesse de Dieu» (1Co 2,7) .
11 «La profession religieuse met dans le coeur de chacun et de chacune (...) l'amour du Père, l'amour même qui est dans le coeur de Jésus Christ, le Rédempteur du monde. C'est un amour qui embrasse le monde et tout ce qui en lui vient du Père, et qui en même temps recherche la défaite de tout ce qui, dans le monde, "ne vient pas du Père"»(32) (...) «Un tel amour doit jaillir (...) de la source même de la consécration particulière qui, sur le fondement sacramentel du saint baptême, est le commencement de (la) vie nouvelle (du religieux) dans le Christ et dans l'Eglise, le commencement de la nouvelle création»(33).
12 Ce sont la foi, l'espérance et la charité qui poussent religieux et religieuses à s'engager par le moyen des voeux à pratiquer et à professer les trois conseils évangéliques et à témoigner ainsi de l'actualité et du sens des Béatitudes pour ce monde.(34) Les conseils sont comme l'axe porteur de la vie religieuse, parce qu'ils expriment de façon complète et significative le radicalisme évangélique qui la caractérise. En effet, «par la profession des conseils évangéliques faite dans l'Eglise (le religieux) veut se libérer des surcharges qui pourraient le retenir dans la recherche d'une charité fervente et d'un culte parfait à rendre à Dieu et il est consacré plus intimement au culte divin».(35) Ils atteignent la personne humaine au niveau des trois registres essentiels de son existence et de ses relations: l'affectivité, l'avoir et le pouvoir. Cet enracinement anthropologique explique que la tradition spirituelle de l'Eglise les ait fréquemment mis en relation avec les trois convoitises évoquées par St. Jean.(36) Leur pratique bien conduite favorise l'épanouissement de la personne, la liberté spirituelle, la purification du coeur, la ferveur de la charité et aide le religieux à coopérer à la construction de la cité terrestre.(37) Les conseils vécus de manière aussi authentique que possible revêtent une grande signification pour tous les hommes(38) car chaque voeu donne une réponse spécifique aux grandes tentations de notre temps. Par eux l'Eglise continue d'indiquer au monde les voies de sa transfiguration dans le Royaume de Dieu. Aussi importe-t-il qu'un soin attentif soit apporté à initier théoriquement et pratiquement les candidats à la vie religieuse aux exigences concrètes des trois voeux.
13 «Le conseil évangélique de chasteté, assumé à cause du Royaume des cieux, qui est signe du monde à venir et source d'une plus grande fécondité dans un coeur sans partage, comporte l'obligation de la continence parfaite dans le célibat"(39). Sa pratique suppose que la personne consacrée par les voeux de religion met au centre de sa vie affective une relation «plus immédiate» (ET 13) avec Dieu par le Christ, dans l'Esprit.
«Etant donné que l'observance de la continence parfaite intéresse intimement les inclinations particulièrement profondes de la nature humaine, les candidats à la profession de la chasteté ne doivent s'y décider ou y être admis qu'après une probation vraiment suffisante et s'ils ont la maturité psychologique et affective nécessaire. On ne se contentera pas de les prévenir des dangers qui menacent cette vertu, mais on les formera de manière qu'ils assument le célibat consacré à Dieu en l'intégrant au développement de leur personnalité»(40). Une tendance instinctive de la personne humaine la porte à absolutiser l'amour humain. Tendance caractérisée par l'égoïsme affectif qui s'affirme par une domination sur la personne aimée, comme si de cette possession pouvait naître le bonheur. D'autre part, l'homme a beaucoup de peine à comprendre,et surtout à réaliser, que l'amour puisse être vécu dans le dévouement entier de soi-même, sans exiger nécessairement l'expression sexuelle. L'éducation de la chasteté visera donc à aider chacun et chacune à contrôler et à maîtriser ses pulsions sexuelles, tout en se gardant en même temps d'un égoïsme affectif orgueilleusement satisfait de sa fidélité dans la pureté. Ce n'est pas un hasard si les Pères anciens donnaient à l'humilité une priorité sur la chasteté, cette dernière pouvant s'accommoder, l'expérience le prouve, de la dureté de coeur.
La chasteté libère singulièrement le coeur de l'homme (1Co 7,32-35) , pour qu'il brûle d'amour de Dieu et de tous les hommes. L'une des plus grandes contributions que le religieux puisse apporter aux hommes, aujourd'hui, est certainement de leur révéler par sa vie plus que par ses paroles, la possibilité d'un véritable dévouement et d'une ouverture aux autres, en partageant leurs joies, en étant fidèle et constant dans l'amour, sans attitude de domination ni d'exclusivité.
En conséquence, la pédagogie de la chasteté consacrée veillera à:
entretenir la joie et l'action de grâces pour l'amour personnel avec lequel chacun est regardé et choisi par le Christ;
-encourager la réception fréquente du sacrement de réconciliation, le recours à une direction spirituelle régulière et le partage d'un véritable amour fraternel en communauté, concrétisé en des relations franches et cordiales;
-expliquer la valeur du corps et sa signification, former à une hygiène corporelle élémentaire (sommeil, sport, détentes, nourriture, etc.);
-donner des notions fondamentales sur la sexualité masculine et féminine, avec ses connotations physiques, psychologiques, spirituelles;
-aider au contrôle de soi, au plan sexuel et affectif, mais aussi en ce qui concerne d'autres besoins instinctifs ou acquis (friandises, tabac, alcool);
-aider chacun à assumer ses expériences passées, soit positives pour en rendre grâces, soit négatives pour repérer les points faibles, s'humilier paisiblement devant Dieu et demeurer vigilant à l'avenir;
-mettre en lumière la fécondité de la chasteté, l'enfantement spirituel (Ga 4,19) qui est générateur de vie pour l'Eglise;
-créer un climat de confiance entre les religieux et leurs éducateurs, qui doivent être prêts à tout entendre et à écouter avec affection pour éclairer et soutenir;
-se comporter avec la prudence voulue dans l'usage des moyens de communication sociale et dans les relations personnelles qui pourraient faire obstacle à une pratique cohérente du conseil de chasteté (cf. cc. CIC 277,et CIC 666). Il revient, non seulement aux religieux d'exercer cette prudence, mais aussi à leurs supérieurs.
14 «Le conseil évangélique de pauvreté à l'imitation du Christ qui, de riche qu'il était s'est fait pauvre pour nous, comporte en plus d'une vie pauvre en fait et en esprit, laborieuse et sobre, étrangère aux richesses de la terre, la dépendance et la limitation dans l'usage et la disposition des biens selon le droit propre de chaque institut»(41).
La sensibilité à la pauvreté n'est pas nouvelle, ni dans l'Eglise, ni dans la vie religieuse. Ce qui est peut-être nouveau, c'est qu'une sensibilité particulière aux pauvres et à la pauvreté dans le monde caractérise aujourd'hui la vie religieuse. Il existe aujourd'hui des formes de pauvreté à grande échelle, vécues par les individus ou supportées par des sociétés entières: la faim, l'ignorance, la maladie, le chômage, la répression de libertés fondamentales, la dépendance économique et politique, la corruption dans le fonctionnement des administrations, le fait surtout que la société humaine semble organisée de manière à produire et à reproduire ces diverses pauvretés, etc.
Dans ces conditions, les religieux sont poussés à une plus grande proximité vis à vis des plus appauvris et des plus nécessiteux, ceux mêmes que Jésus depuis toujours a préférés, auxquels il s'est dit envoyé(42) et auxquels il s'est identifié(43). Cette proximité les conduit à adopter un style de vie personnel et communautaire plus cohérent avec leur engagement à suivre de plus près le Christ pauvre et humilié. Ce «choix préférentiel»(44) et évangélique des religieux pour les pauvres implique le détachement intérieur, une austérité de vie communautaire, parfois le partage de leur propre vie et de leurs luttes, sans oublier toutefois que la mission spécifique des religieux est de «témoigner de façon éclatante et éminente que le monde ne peut être transformé et offert à Dieu en dehors de l'esprit des Béatitudes»(45). Dieu aime tous les hommes et veut les rassembler tous sans exclusive(46). C'est aussi, pour les religieux une forme de pauvreté que de ne pas se laisser enfermer dans un milieu ou une classe sociale. L'étude de l'enseignement social de l'Eglise, en particulier celle de l'encyclique «Sollicitudo rei socialis» et de l'Instruction sur la liberté chrétienne et la libération(47) aidera à opérer les discernements requis pour une pratique actualisée de la pauvreté apostolique.
L'éducation à la pauvreté évangélique sera attentive aux points suivants:
Avant d'entrer dans la vie religieuse, des jeunes ont joui d'une certaine autonomie au plan financier et ont été habitués à se procurer tout ce dont ils avaient envie. D'autres trouvent dans la communauté religieuse un niveau de vie plus élevé que celui de leur enfance ou de leurs années d'études ou de travail. La pédagogie de la pauvreté tiendra compte de l'histoire de chacun. On se souviendra aussi que dans certaines cultures les familles s'attendent à profiter de ce qui apparaît comme une promotion pour leurs enfants;
Il ressortit à la vertu de pauvreté de s'engager en une vie laborieuse, en des actes concrets et humbles de désappropriation, de dépouillement, qui rendent plus libre pour la mission; d'admirer et de respecter la création et les objets matériels mis à disposition; de s'en remettre à la communauté pour le niveau de vie; de vouloir loyalement que «tout soit en commun» et «que l'on donne à chacun selon les besoins» (Ac 4,32 Ac 4,35) .
Tout cela, en vue de centrer sa vie sur Jésus pauvre, contemplé, aimé et suivi. Sans quoi, la pauvreté religieuse, sous la forme de la solidarité et du partage, devient facilement idéologique et politique. Seul un coeur de pauvre, qui se met à suivre le Christ pauvre, peut être la source d'une authentique solidarité et d'un vrai détachement.
15 «Le conseil évangélique d'obéissance, assumé en esprit de foi et d'amour à la suite du Christ obéissant jusqu'à la mort, oblige à la soumission de la volonté aux supérieurs légitimes qui tiennent la place de Dieu, lorsqu'ils commandent suivant leurs propres constitutions»(48). De plus, tous les religieux «sont soumis d'une manière particulière à l'autorité suprême de l'Eglise (...) (et) tenus d'obéir au Pontife Suprême comme à leur Supérieur le plus élevé, même en raison du lien sacré d'obéissance»(49). «Loin de diminuer la dignité de la personne humaine (l'obéissance) la conduit à la maturité en faisant grandir la liberté des enfants de Dieu»(50).
L'obéissance religieuse est en même temps imitation du Christ et participation à sa mission. Elle se préoccupe de faire ce que Jésus a fait et, en même temps, de ce qu'il ferait dans la situation concrète dans laquelle le religieux se trouve aujourd'hui. Que, dans un Institut, le religieux exerce l'autorité ou non, il ne peut ni commander, ni obéir sans se référer à la mission. Lorsque le religieux obéit, il met son obéissance en continuité avec l'obéissance de Jésus pour sauver le monde. C'est pourquoi, tout ce qui dans l'exercice de l'autorité ou celui de l'obéissance relève d'un compromis, d'une solution diplomatique ou d'une pression, ou de tout autre type de combinaison humaine, trahit l'inspiration fondamentale de l'obéissance religieuse qui est de s'accorder avec la mission de Jésus et de l'actualiser dans le temps, même si cet engagement est onéreux.
Un supérieur qui favorise le dialogue éduque à une obéissance responsable et active. Il lui revint toutefois «d'user de (son) autorité quand il faut décider et commander ce qui doit être fait»(51).
Pour la pédagogie de l'obéissance, on retiendra:
que pour se donner dans l'obéissance, il faut d'abord exister. Les candidats ont besoin de sortir de l'anonymat du monde technique, de se reconnaître et d'être reconnus comme personnes, d'être estimés et aimés;
que ces mêmes candidats ont besoin de trouver la vraie liberté, afin de passer personnellement de «ce qui leur plaît» à «ce qui plaît au Père». Pour cela, les structures de la communauté de formation, tout en étant suffisamment claires et fermes, laisseront une large place aux initiatives et aux décisions responsables;
que la volonté de Dieu s'exprime le plus souvent et éminemment par la médiation de l'Eglise et de son Magistère et spécifiquement, pour les religieux, par leurs propres constitutions;
qu'en fait d'obéissance, le témoignage des aînés en communauté a plus de poids sur les jeunes que toute autre considération théorique. Toutefois, le jeune qui s efforce à obéir comme le Christ et dans le Christ peut parvenir à passer outre à des exemples moins édifiants. L'éducation à l'obéissance religieuse se fera donc avec toute la lucidité et l'exigence requises pour qu'on ne s égare pas hors du «chemin» qu'est le Christ en mission(52).
16 La variété des instituts ressemble à «un arbre qui se ramifie de façons admirables et multiples dans le champ du Seigneur à partir d'un germe semé par Dieu»(53). Par eux, l'«Eglise manifeste le Christ aux fidèles comme aux infidèles: soit dans sa contemplation sur la montagne, soit dans son annonce du Royaume de Dieu aux foules, soit encore quand il guérit les malades et les infirmes et convertit les pécheurs à une vie féconde, quand il bénit les enfants et répand sur tous ses bienfaits, accomplissant en tout cela la volonté du Père qui l'envoya»(54). Cette variété s'explique par la variété du «charisme des fondateurs»(55) qui «se révèle comme une "expérience de l'Esprit", transmise à leurs disciples pour être vécue par ceux-ci, gardée, approfondie, développée constamment en harmonie avec le Corps du Christ en croissance perpétuelle. "C'est pourquoi l'Eglise défend et soutient le caractère propre des divers instituts religieux"»(56). Aussi, n'y a-t-il pas de manière uniforme d'observer les conseils évangéliques, mais chaque institut doit définir sa propre manière «en tenant compte de son caractère et de ses fins propres»(57). Il en est ainsi non seulement de la seule pratique des conseils, mais de tout ce qui touche au style de vie de ses membres, en vue de tendre à la perfection de leur état(58).
17 «Que ceux qui professent les conseils évangéliques cherchent Dieu et l'aiment avant tout, lui qui nous a aimés le premier (1Jn 4,10) , et qu'en toutes circonstances, ils s'appliquent à se tenir dans la vie cachée en Dieu avec le Christ (cf. Col 3,3) , d'où s'épanche et se fait pressante la dilection du prochain pour le salut du monde et l'édification de l'Eglise»(59). Cette charité, qui commande et vivifie la pratique elle-même des conseils évangéliques, est répandue dans les coeurs par l'Esprit de Dieu qui est un Esprit d'unité, d'harmonie et de réconciliation, non seulement entre les personnes, mais aussi à l'intérieur de chaque personne elle-même. C'est pourquoi la vie personnelle d'un religieux ou d'une religieuse ne devrait pouvoir souffrir de division ni entre le but générique de sa vie religieuse et le but spécifique de son institut, ni entre la consécration à Dieu et l'envoi au monde, ni entre la vie religieuse en tant que telle d'une part et les activités apostoliques d'autre part. Il n'existe pas concrètement de vie religieuse «en soi» sur laquelle viendrait se greffer, comme un ajout subsidiaire, le but spécifique et le charisme particulier de chaque institut. Il n'existe pas, dans les instituts voués à l'apostolat, de poursuite de la sainteté ni de profession des conseils évangéliques, ni de vie vouée à Dieu et à son service qui ne soient intrinsèquement liées au service de l'Eglise et du monde(60). Bien mieux «l'action apostolique et bienfaisante appartient à la nature de la vie religieuse» au point que «toute la vie religieuse (...) doit être pénétrée d'esprit apostolique et toute l'action apostolique doit être animée par l'esprit religieux»(61). Le service du prochain ne divise ni ne sépare le religieux d'avec Dieu. S'il est mu par une charité vraiment théologale, ce service prend valeur de service de Dieu(62).
Et l'on peut aussi affirmer à juste titre que «l'apostolat des religieux consiste en premier lieu dans le témoignage de leur vie consacrée»(63).
18 Il restera à chaque personne de vérifier de quelle manière dans sa propre vie l'activité dérive de son union intime avec Dieu et, simultanément, resserre et fortifie cette union(64). De ce point de vue, l'obéissance à la volonté de Dieu manifestée ici et maintenant dans la mission reçue, est le moyen immédiat par lequel peut se réaliser une certaine unité de vie, patiemment recherchée mais jamais atteinte. Cette obéissance ne s'explique que par la volonté de suivre le Christ de plus près, elle même vivifiée et stimulée par un amour personnel du Christ. Cet amour est le principe d'unité intérieure de toute vie consacrée. La vérification de l'unité de vie se fera opportunément en fonction de quatre grandes fidélités: fidélité au Christ et à l'Evangile, fidélité à l'Eglise et à sa mission dans le monde, fidélité à la vie religieuse et au charisme propre de l'institut, fidélité à l'homme et à notre temps(65).
19 C'est Dieu lui-même qui appelle à la vie consacrée au sein de l'Eglise. C'est lui qui, tout au long de la vie du religieux, garde l'initiative: «II est fidèle celui qui vous appelle: c'est encore lui qui fera cela»(66). De même que Jésus ne s'est pas contenté d'appeler ses disciples mais les a patiemment éduqués durant la vie publique, de même, après sa résurrection, il a continué par son Esprit de les conduire à la vérité tout entière»(67). Cet Esprit, dont l'action est d'un autre ordre que les données de la psychologie ou de l'histoire visible mais qui opère aussi à travers elles, agit au plus secret du coeur de chacun de nous pour se manifester ensuite en fruits bien visibles: Il est l'Esprit de vérité qui «enseigne», «rappelle», «guide»(68). Il est «l'Onction» qui «fait goûter», apprécier, juger, choisir(69). Il est l'avocat-consolateur qui "vient en aide à notre faiblesse», soutient et donne l'esprit filial(70). Cette présence discrète mais décisive de l'Esprit de Dieu exige deux attitudes fondamentales: l'humilité qui s'en remet à la sagesse de Dieu, la science et la pratique du discernement spirituel. II importe en effet de pouvoir reconnaître la présence de l'Esprit en tous les aspects de la vie et de l'histoire et à travers les médiations humaines. Parmi ces dernières, il faut retenir l'ouverture à un guide spirituel, suscitée par le désir de voir clair en soi-même et par la disponibilité à se laisser conseiller et orienter en vue de discerner correctement la volonté de Dieu.
20 A l'oeuvre de l'Esprit a toujours été associée la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de tous les membres du Peuple de Dieu. C'est par Lui qu'elle a conçu dans son sein le Verbe de Dieu et c'est Lui qu'elle attendait avec les Apôtres, persévérant dans la prière (cf. LG 52 LG 59) , au lendemain de l'Ascension du Seigneur. C'est pourquoi, du début au terme d'un itinéraire de formation, religieuses et religieux rencontrent la présence de la Vierge Marie.
«Parmi toutes les personnes consacrées sans réserve à Dieu, elle est la première. Elle, la Vierge de Nazareth, est aussi la plus totalement consacrée à Dieu, consacrée de la façon la plus parfaite. Son amour nuptial atteint son sommet dans la maternité divine par la puissance de l'Esprit Saint. Mère, elle porte le Christ dans ses bras, et en même temps elle répond de la manière la plus parfaite à son appel: "Suis-moi". Et elle, sa Mère, le suit comme son Maître en chasteté, en pauvreté et en obéissance (...) Si Marie est le premier modèle pour l'Eglise entière, elle l'est à plus forte raison pour (les) personnes et communautés consacrées à l'intérieur de l'Eglise». Chaque religieux est «invité à raviver (sa) consécration religieuse sur le modèle de la consécration de la Mère de Dieu»(71). Non seulement le religieux rencontre Marie à titre exemplaire, mais aussi à titre maternel. «Elle est la Mère des religieux puisqu'elle est la Mère de celui qui fut consacré et envoyé. La vie religieuse trouve dans son Fiat et son Magnificat la totalité de son abandon à l'action consacrante de Dieu et le tressaillement de la joie qui en découle»(72).
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