2002 Repartir du christ
BCONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE
ET LES SOCIÉTÉS DE VIE APOSTOLIQUE
Un engagement renouvelé de la vie consacrée
au troisième millénaire
1 En contemplant le visage crucifié et glorieux1 du Christ et en témoignant de son amour dans le monde, les personnes consacrées accueillent avec joie, au début du troisième millénaire, l'invitation pressante du Pape Jean-Paul II à avancer au large: «Duc in altum!» (Lc 5,4) . Ces paroles, qui ont retenti dans toute l'Église, ont suscité de nouveau une grande espérance, ont ravivé le désir d'une vie évangélique plus intense, ont élargi les horizons du dialogue et de la mission.
Plus que jamais peut-être l'invitation de Jésus à avancer au large est aujourd'hui une réponse au drame de l'humanité, victime de la haine et de la mort. L'Esprit Saint est toujours à l'oeuvre dans l'histoire et il peut tirer des drames humains un discernement des événements qui s'ouvre au mystère de la miséricorde et de la paix entre les hommes. L'Esprit, en effet, à partir du trouble même des nations, suscite chez un grand nombre de personnes la nostalgie d'un monde différent qui est déjà présent parmi nous. C'est ce que Jean-Paul II assure aux jeunes lorsqu'il les invite à être les «sentinelles du matin» qui veillent, fortes dans l'espérance, dans l'attente de l'aurore.2
Les événements dramatiques qui ont eu lieu dans le monde ces dernières années ont certainement suscité dans les peuples de nouvelles interrogations plus profondes, qui se sont ajoutées à celles qui étaient déjà présentes, nées à propos de l'orientation d'une société mondialisée, ambivalente dans sa réalité, dans laquelle «ne se sont pas seulement mondialisées la technologie et l'économie, mais également l'insécurité et la peur, la criminalité et la violence, les injustices et les guerres».3
Face à cette situation les personnes consacrées sont appelées par l'Esprit à une conversion constante pour donner une force nouvelle à la dimension prophétique de leur vocation. Celles-ci, en effet «appelées à placer leur propre existence au service de la cause du Royaume de Dieu, quittant tout et imitant de près la forme de vie de Jésus-Christ, assument un rôle éminemment pédagogique pour le Peuple de Dieu tout entier».4
Le Saint-Père s'est fait l'interprète de cette attente dans son Message aux membres de la dernière Assemblée plénière de notre Congrégation: «L'Église - écrit-il - compte sur le dévouement constant de ce groupe élu de ses fils et de ses filles, sur leur aspiration à la sainteté et sur l'enthousiasme de leur service pour favoriser et soutenir la tension de chaque chrétien vers la perfection et renforcer l'accueil solidaire du prochain, en particulier du plus démuni. C'est de cette façon qu'est témoignée la Présence vivifiante de la charité du Christ parmi les hommes».5
2 Mais comment déchiffrer dans le miroir de l'histoire et dans celui de l'actualité les traces et les signes de l'Esprit, ainsi que les semences du Verbe, présents aujourd'hui comme toujours dans la vie et dans la culture humaine?6 Comment interpréter les signes des temps dans une réalité comme la nôtre, dans laquelle abondent les zones d'ombre et de mystère? Il faut que le Seigneur lui-même - comme avec les disciples en marche vers Emmaüs - devienne notre compagnon de voyage et qu'Il nous donne son Esprit. Lui seul, présent parmi nous, peut pleinement nous faire comprendre sa Parole et la rendre actuelle, éclairer les esprits et réchauffer les coeurs.
«Et moi, je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la fin du monde» (Mt 28,20) . Le Seigneur ressuscité est resté fidèle à sa promesse. Au cours des 2000 ans d'histoire de l'Église, grâce à son Esprit, il s'est constamment rendu présent dans celle-ci, illuminant son chemin, l'inon dant de sa grâce, lui donnant la force pour vivre sa parole avec une intensité toujours plus grande et pour accomplir sa mission de salut comme sacrement de l'unité des hommes avec Dieu et entre eux.7
La vie consacrée, dont des formes toujours nouvelles se succèdent et s'affirment sans cesse, est déjà en elle-même une expression éloquente de sa présence, comme une sorte d'Évangile qui se déroule au cours des siècles. Elle apparaît en effet comme le «prolongement dans l'histoire d'une présence spéciale du Seigneur ressuscité».8 Les personnes consacrées doivent puiser un élan renouvelé à cette certitude, en en faisant la force inspiratrice de leur cheminement.9
La société d'aujourd'hui attend de voir en elles le reflet concret de la façon d'agir de Jésus, de son amour pour chaque personne, sans distinction ou adjectifs qualifiants. Elle veut faire l'expérience qu'il est possible de dire avec l'Apôtre Paul «Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi» (Ga 2,20) .
Cinq ans après l'Exhortation apostolique Vita consecrata
3 Pour rendre toujours plus sûre, dans le discernement, cette vocation particulière et soutenir, aujourd'hui, les choix courageux de témoignage évangélique, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique a tenu son Assemblée plénière du 25 au 28 septembre 2001.
En 1994, la IXe Assemblée ordinaire du Synode des Évêques, en complétant l'examen «des données particulières qui caractérisent les états de vie voulus par le Seigneur Jésus pour son Église»,10 après les Synodes consacrés aux laïques et aux prêtres, a étudié La vie consacrée et sa mission dans l'Église et dans le monde. Le Saint-Père Jean-Paul II, en recueillant les réflexions et les espérances de l'Assemblée synodale, a fait don à toute l'Église de l'Exhortation apostolique post-synodale Vita consecrata.
Cinq ans après la publication de ce Document fondamental du magistère ecclésial, notre Dicastère s'est interrogé, au cours de son Assemblée plénière, sur la qualité de sa réception et sa mise en oeuvre au sein des communautés et des instituts, ainsi que dans les Églises particulières.
L'Exhortation apostolique Vita consecrata a su exprimer avec clarté et profondeur la dimension christologique et ecclésiale de la vie consacrée dans une perspective théologique trinitaire qui éclaire d'une lumière nouvelle la théologie de la sequela Christi et de la consécration, de la vie fraternelle en communauté et de la mission; elle a contribué à créer une nouvelle mentalité à propos de sa mission dans le peuple de Dieu; elle a aidé les personnes consacrées elles-mêmes à prendre une plus grande conscience de la grâce de leur vocation.
Il est nécessaire que ce document-programme continue à être approfondi et mis en oeuvre. Il reste le point de référence le plus significatif et le plus nécessaire pour guider le chemin de fidélité et de renouvellement des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de vie apostolique et, en même temps, il laisse la possibilité de susciter des projets valables de nouvelles formes de vie consacrée et de vie évangélique.
4 Le grand Jubilé de l'An 2000 a profondément marqué la vie de l'Eglise et la vie consacrée tout entière s'est intensément engagée partout dans le monde. Le 2 février 2000, le Jubilé de la vie consacrée a été célébré dans toutes les Églises particulières, après avoir été précédé par une préparation adaptée.
À la fin de l'année jubilaire, afin de franchir ensemble le seuil du nouveau millénaire, le Saint-Père a voulu recueillir l'héritage des célébrations jubilaires dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte. Dans ce texte, avec une continuité extraordinaire, mais qui était prévisible, on retrouve plusieurs des thèmes fondamentaux, déjà abordés d'une certaine façon dans l'Exhortation Vita consecrata: le Christ, centre de la vie de chaque chrétien,11 la pastorale et la pédagogie de la sainteté, son caractère exigeant, son haut degré dans la vie chrétienne ordinaire,12 l'exigence diffuse de spiritualité et de prière, principalement réalisée dans la contemplation et dans l'écoute de la parole de Dieu,13 l'incidence irremplaçable de la vie sacramentelle,14 la spiritualité de communion15 et le témoignage de l'Amour qui s'exprime dans une nouvelle imagination de la charité envers ceux qui souffrent, envers le monde blessé et esclave de la haine, dans le dialogue oecuménique et interreligieux.16
Les Pères de l'Assemblée plénière, en partant des éléments déjà acquis depuis l'Exhortation apostolique et placés, à la suite de l'expérience du Jubilé, face au besoin d'un engagement renouvelé de sainteté, ont souligné les interrogations et les aspirations que les personnes consacrées manifestent dans les diverses parties du monde, en en reprenant les aspects les plus significatifs. Leur intention n'a pas été d'offrir un document doctrinal supplémentaire, mais plutôt d'aider la vie consacrée à suivre les grandes orientations pastorales du Saint-Père, grâce à la contribution de son autorité et de son service charismatique de l'unité et de la mission universelle de l'Église. C'est un don qui doit être réciproque et réalisé à travers la fidélité à la sequela Christi, selon les conseils évangéliques et avec la force de la charité vécue quotidiennement dans la communion fraternelle et dans une généreuse spiritualité apostolique.
Les Assemblées spéciales du Synode des Évêques, à caractère continental, qui ont rythmé la préparation au Jubilé, ont déjà abordé ce problème de l'adaptation ecclésiale et culturelle des aspirations et des défis de la vie consacrée. Les Pères de l'Assemblée plénière n'ont pas souhaité reprendre une analyse de la situation. Plus simplement, en considérant la vie consacrée d'aujourd'hui et en demeurant attentifs aux orientations du Saint-Père, ils invitent les personnes consacrées, dans leurs divers milieux et cultures, à miser tout d'abord sur la spiritualité. Leur réflexion, recueillie dans ces pages, s'est articulée en quatre parties. Après avoir reconnu la richesse de l'expérience que la vie consacrée vit actuellement dans l'Église, ils ont voulu exprimer leur reconnaissance et leur profonde estime pour ce qu'elle est et ce qu'elle fait (Ie partie). Ils n'ont pas caché les difficultés, les épreuves, les défis auxquels les personnes consacrées sont aujourd'hui confrontées, mais ils les ont interprétés comme une nouvelle occasion pour redécouvrir de manière plus approfondie le sens et la qualité de la vie consacrée (IIe partie). L'appel le plus important est celui d'un engagement renouvelé dans la vie spirituelle, en repartant du Christ dans la sequela évangélique et en vivant de façon particulière la spiritualité de la communion (IIIepartie). Pour finir, ils ont voulu accompagner les personnes consacrées sur les routes du monde, où le Christ s'est acheminé et est aujourd'hui présent, où l'Église le proclame Sauveur du monde et où le souffle trinitaire de la charité amplifie la communion dans une mission renouvelée (IVe partie).
5 En tournant le regard vers la présence des personnes consacrées et vers l'engagement multiforme qu'elles accomplissent dans tous les domaines de la vie ecclésiale et sociale, les Pères de l'Assemblée plénière ont voulu manifester leur sincère satisfaction, leur reconnaissance et leur solidarité. Tel est le sentiment de l'Église tout entière que le Pape, en s'adressant au Père, source de tout bien, exprime ainsi: «Nous Te remercions pour le don de la vie consacrée qui, dans la foi, Te cherche et, dans sa mission universelle, invite toute l'humanité à avancer vers Toi».17 A travers une existence transfigurée, celle-ci participe à la vie de la Trinité et en confesse l'amour qui sauve.18
Les personnes consacrées méritent véritablement la gratitude de la communauté ecclésiale: les moines et les moniales, les contemplatifs et les contemplatives, les religieux et les religieuses consacrés aux oeuvres d'apostolat, les membres des Instituts séculiers et des Sociétés de vie apostolique, les ermites et les vierges consacrées. Leur existence rend un témoignage d'amour au Christ lorsqu'ils marchent à sa suite selon la proposition de l'Évangile et que, avec une joie intime, ils assument le style de vie qu'Il a choisi pour lui-même.19 Cette fidélité louable, bien que ne cherchant pas d'autre approbation que celle du Seigneur, «constitue en vérité une mémoire vivante du mode d'existence et d'action de Jésus comme Verbe incarné par rapport à son Père et à ses frères».20
6 C'est précisément dans l'existence quotidienne que la vie consacrée se développe en mûrissant progressivement pour devenir l'annonce d'un mode de vie différent de celui du monde et de la culture dominante. A travers son style de vie et la recherche de l'Absolu, elle suggère une quasi-thérapie spirituelle pour les maux de notre temps. C'est pourquoi, dans le coeur de l'Église, elle représente une bénédiction et un motif d'espérance pour la vie de l'homme et pour la vie ecclésiale elle- même.21
Outre la présence active de nouvelles générations de personnes consacrées qui rendent vivante la présence du Christ dans le monde et la splendeur des charismes ecclésiaux, la présence cachée et féconde de consacrés, hommes et femmes, qui ont l'expérience de la vieillesse, de la solitude, de la maladie et de la souffrance, est également particulièrement significative. Au service déjà rendu et à leur sagesse, qu'ils peuvent partager avec d'autres, ils joignent leur précieuse contribution en s'unissant, par le don d'eux-mêmes, au Christ patient et glorifié en faveur de son Corps qui est l'Église (cf. Col 1,24) .
7 Au cours de ces dernières années, la vie consacrée a poursuivi des itinéraires d'approfondissement, de purification, de communion et de mission. Dans les dynamiques communautaires, les relations personnelles se sont intensifiées et, en même temps, l'échange interculturel s'est développé, ayant été reconnu comme bénéfique et stimulant pour les institutions. On apprécie l'effort louable qui a été accompli afin de parvenir à un exercice de l'autorité et de l'obéissance, s'inspirant davantage de l'Évangile, qui affermit, éclaire, convoque, intègre, réconcilie. En suivant docilement les indications du Pape, la sensibilité à l'égard des demandes des pasteurs s'accroît et la collaboration dans le domaine de la formation et de l'apostolat entre les Instituts se développe.
Les relations avec la communauté chrétienne tout entière prennent toujours plus l'aspect d'un échange de dons dans la réciprocité et la complémentarité des vocations ecclésiales.22 C'est en effet dans les Églises locales que l'on peut fixer les éléments concrets d'un programme qui permettent à l'annonce du Christ d'atteindre les personnes, de modeler les communautés, d'agir en profondeur par le témoignage des valeurs évangéliques dans la société et dans la culture.23
Des simples relations formelles on passe volontiers à une fraternité vécue dans l'enrichissement charismatique réciproque. Il s'agit d'un effort qui peut être bénéfique au Peuple de Dieu tout entier, car la spiritualité de la communion confère une âme aux éléments institutionnels avec un sens de confiance et d'ouverture qui répond pleinement à la dignité et à la responsabilité de chaque baptisé.24
8 L'appel à suivre le Christ par une consécration spéciale est un don de la Trinité pour tout un Peuple d'élus. En voyant dans le baptême l'origine sacramentelle commune, les personnes consacrées partagent avec les fidèles la vocation à la sainteté et à l'apostolat. Étant des signes de cette vocation universelle, elles manifestent la mission spécifique de la vie consacrée.25
Les personnes consacrées ont reçu, pour le bien de l'Église, l'appel à une «consécration nouvelle et spéciale»,26 qui engage à vivre avec un amour passionné le genre de vie du Christ, de la Vierge Marie et des Apôtres.27 Il existe dans le monde actuel le besoin pressant d'un témoignage prophétique qui repose «sur l'affirmation du primat de Dieu et des biens à venir, telle qu'elle se révèle dans la sequela Christi et dans l'imitation du Christ, chaste, pauvre et obéissant, totalement consacré à la gloire de son Père et à l'amour de ses frères et soeurs».28
Par les personnes consacrées se répand dans l'Église une invitation persuasive à considérer le primat de la grâce et à y répondre par un généreux engagement spirituel.29 Malgré les profonds processus de sécularisation, les fidèles ressentent une exigence diffuse de spiritualité, qui s'exprime très souvent par un besoin renouvelé de prière.30 Les événements de la vie, malgré leur caractère quotidien, se présentent comme des interrogations qui doivent être lues dans une optique de conversion. Le dévouement des personnes consacrées au service d'une qualité évangélique de la vie contribue à conserver vivante, de bien des manières, la pratique spirituelle au sein du peuple chrétien. Les communautés religieuses cherchent toujours davantage à être des lieux pour l'écoute et le partage de la parole, la célébration liturgique, la pédagogie de la prière, l'accompagnement et la direction spirituelle. Alors, sans pour autant le prétendre, l'aide donnée aux autres tourne à l'avantage mutuel.31
9 A l'imitation de Jésus, ceux que Dieu appelle à sa suite sont eux aussi consacrés et envoyés dans le monde pour poursuivre sa mission. De plus, sous l'action de l'Esprit Saint, la vie consacrée elle-même devient mission. Plus les personnes consacrées se laissent configurer au Christ, plus elles le rendent présent et agissant dans l'histoire pour le salut des hommes.32 Ouvertes aux besoins du monde dans l'optique de Dieu, elles aspirent à un avenir ayant la saveur de la résurrection, prêtes à suivre l'exemple du Christ qui est venu parmi nous «pour donner la vie et la donner en abondance» ( Jn 10,10) .
Le zèle pour l'instauration du Royaume de Dieu et le salut des frères constitue ainsi la meilleure preuve d'un don vécu authentiquement par les personnes consacrées. Voilà pourquoi chacune de leurs tentatives de renouvellement se traduit par un nouvel élan pour la mission évangélisatrice.33 Elles apprennent à choisir, à l'aide d'une formation permanente marquée par d'intenses expériences spirituelles conduisant à des décisions courageuses.
Dans les interventions des Pères au cours de l'Assemblée plénière, ainsi que dans les rapports présentés, l'activité missionnaire multiforme des personnes consacrées a suscité une grande admiration. Aujourd'hui, on se rend compte spécialement de la valeur du travail apostolique accompli avec la générosité et la richesse particulière propre au «génie féminin» par les femmes consacrées. Ce travail mérite la plus grande reconnaissance de la part de tous, des pasteurs et des fidèles. Mais le chemin entrepris doit être approfondi et étendu. «Il est donc urgent de faire quelques pas concrets, en commençant par ouvrir aux femmes des espaces de participation dans divers secteurs et à tous les niveaux, y compris dans les processus d'élaboration des décisions».34
On doit surtout adresser un remerciement à ceux qui se trouvent aux avant-postes. La disponibilité missionnaire s'est affirmée à travers une courageuse expansion vers les peuples qui attendent la première annonce de l'Évangile. Jamais peut-être autant qu'au cours de ces dernières années on n'a enregistré d'aussi nombreuses fondations, précisément à une période éprouvée par les difficultés numériques dont souffrent les Instituts. En cherchant parmi les signes de l'histoire une réponse aux attentes de l'humanité, l'esprit d'entreprise et l'audace évangélique ont poussé les personnes consacrées à se rendre dans des lieux difficiles, allant même jusqu'à prendre des risques et à sacrifier leur vie.35
Avec une sollicitude renouvelée, de nombreuses personnes consacrées rencontrent dans l'exercice des oeuvres de miséricorde évangélique des malades à soigner, des indigents de toute sorte, atteints par des pauvretés anciennes ou nouvelles. D'autres services, comme l'éducation, reçoivent également de leur part une contribution indispensable qui fait mûrir la foi à travers la catéchèse, ou bien qui constitue un véritable apostolat intellectuel. Elles ne manquent pas non plus de soutenir, au prix de sacrifices et en étendant toujours plus leur collaboration, la voix de l'Église dans les moyens de communication qui promeuvent les transformations sociales.36 Une option convaincue et ferme a conduit à accroître le nombre de religieux et de religieuses qui vivent parmi les exclus. Au sein d'une humanité en mouvement, alors que tant de personnes sont obligées d'émigrer, ces hommes et ces femmes de l'Évangile vont jusqu'aux frontières par amour du Christ, se faisant proches des plus petits.
La contribution éminemment spirituelle offerte par les moniales à l'évangélisation est également significative. Elle est «l'âme et le ferment des initiatives apostoliques, en laissant la participation active à ceux à qui elle revient par vocation».37 «Leur vie devient ainsi une mystérieuse source de fécondité apostolique et de bénédiction pour la communauté chrétienne et pour le monde entier».38
Il faut enfin rappeler que, ces dernières années, le Martyrologe des témoins de la foi et de l'amour dans la vie consacrée s'est ultérieurement enrichi de façon importante. Les situations difficiles ont demandé à un grand nombre d'entre eux de donner la preuve d'amour extrême, en signe de fidélité authentique au Royaume. Consacrés au Christ et au service de son Royaume, ils ont donné le témoignage de leur fidélité dans la sequela Christi jusqu'à la croix. Les circonstances sont différentes, les situations variées, mais la cause du martyre est unique: la fidélité au Seigneur et à son Évangile: «car ce n'est pas la peine qui fait le martyr, mais bien la cause».39
10 Nous nous trouvons à une époque où l'Esprit fait irruption, ouvrant de nouvelles possibilités. La dimension charismatique des diverses formes de vie consacrée, toujours en marche et jamais accomplie, prépare dans l'Église, en accord avec le Paraclet, l'avent de Celui qui doit venir, de Celui qui est déjà l'avenir de l'humanité en marche. De même que la Très Sainte Vierge Marie, la première consacrée, par la force de l'Esprit Saint et par le don total d'elle-même a engendré le Christ pour racheter l'humanité par un don d'amour, de même les personnes consacrées, en demeurant ouvertes à l'Esprit créateur et en restant humblement dociles, sont aujourd'hui appelées à miser sur la charité, «dans l'engagement d'un amour actif et concret envers tout être humain».40 Il existe un lien vital et dynamique particulier entre l'Esprit Saint et la vie consacrée, c'est pourquoi les personnes consacrées doivent persévérer dans la docilité à l'Esprit Créateur. Il agit selon la volonté du Père à la louange de la grâce qui leur a été accordée dans le Fils bien-aimé. Et c'est le même Esprit qui fait rayonner la splendeur du mystère sur l'existence tout entière, donnée pour le Royaume de Dieu et le bien d'une multitude de personnes, indigentes et abandonnées. L'avenir de la vie consacrée est lui aussi confié au dynamisme de l'Esprit, auteur et dispensateur des charismes ecclésiaux, placés par Lui au service de la plénitude de la connaissance et de la réalisation de l'Évangile de Jésus Christ.
11 Un regard réaliste porté sur la situation de l'Église et du monde nous oblige à saisir aussi les difficultés que la vie consacrée doit affronter. Nous sommes tous conscients des épreuves et des purifications auxquelles celle-ci est aujourd'hui soumise. Le grand trésor du don de Dieu est conservé dans des vases d'argile (cf. 2Co 4,7) et le mystère du mal poursuit également ceux qui consacrent toute leur vie à Dieu. Si l'on prête une certaine attention aux souffrances et aux défis qui travaillent aujourd'hui la vie consacrée ce n'est pas pour porter un jugement critique ou pour condamner, mais pour montrer, une fois encore, toute la solidarité et la proximité pleine d'amour de ceux et celles qui veulent partager non seulement les joies mais également les souffrances. En considérant certaines difficultés particulières, on cherchera à avoir le regard de celui qui sait que l'histoire de l'Église est conduite par Dieu et que tout concourt au bien de ceux qui l'aiment (cf. Rm 8,28) . Dans cette vision de foi, les éléments négatifs peuvent également être l'occasion de prendre un nouveau départ, si l'on y reconnaît le visage du Christ, crucifié et abandonné, qui a choisi d'être solidaire de nos limites, «lui qui, sur le bois, a porté lui-même nos fautes dans son corps» (1P 2,24) .41 La grâce de Dieu se manifeste pleinement dans la faiblesse (cf. 2Co 12,9) .
12 Les difficultés que les personnes consacrées doivent aujourd'hui affronter présentent des visages multiples, en particulier si nous tenons compte des différents contextes culturels dans lesquels elles vivent. La diminution du nombre de membres de nombreux Instituts et leur vieillissement, évidents dans certaines parties du monde, conduisent à se demander si la vie consacrée donne encore un témoignage visible, en mesure d'attirer les jeunes. Si, comme on l'affirme en certains endroits, le troisième millénaire sera le temps de l'action des laïcs, des associations et des mouvements ecclésiaux, nous pouvons nous demander: quelle sera la place réservée aux formes traditionnelles de vie consacrée? Cette dernière, nous rappelle Jean-Paul II, doit encore construire une grande histoire avec tous les fidèles.42
Nous ne pouvons cependant pas ignorer que l'on n'accorde pas toujours à la vie consacrée la considération qui lui est due; il existe même parfois une certaine méfiance à son égard. Face à la crise religieuse progressive qui touche une grande partie de nos sociétés, les personnes consacrées sont obligées, aujourd'hui de façon particulière, à chercher de nouvelles formes de présence, et à se poser de nombreuses interrogations sur le sens de leur identité et de leur avenir.
A côté de l'élan vital, capable de témoignage et de don de soi jusqu'au martyre, la vie consacrée connaît également la menace de la médiocrité dans la vie spirituelle, de l'embourgeoisement progressif et de la mentalité consumériste. La direction des oeuvres aujourd'hui complexe, bien qu'elle soit requise par les nouvelles exigences sociales et par les législations des États, ainsi que la tentation de l'efficacité et de l'activisme, risquent de faire disparaître l'originalité évangélique et d'affaiblir les motivations spirituelles. La prédominance de projets personnels sur les projets communautaires peut profondément porter atteinte à la communion de la fraternité.
Il s'agit de problèmes réels, qui ne doivent toutefois pas être généralisés. Les personnes consacrées ne sont pas les seules à vivre la tension entre le sécularisme et une vie de foi authentique, entre la fragilité de leur propre humanité et la force de la grâce; telle est la condition de tous les membres de l'Église.
13 Les difficultés et les interrogations que la vie consacrée affronte aujourd'hui peuvent conduire à un nouveau kairòs, un temps de grâce. Il s'y cache un authentique appel de l'Esprit Saint à redécouvrir les richesses et les potentialités de cette forme de vie.
Devoir coexister, par exemple, avec une société dans laquelle règne souvent une culture de mort, peut devenir un défi qui incite à se faire avec plus de force témoins, porteurs et serviteurs de la vie. Les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, vécus par le Christ dans la plénitude de son humanité de Fils de Dieu, et embrassés par amour pour lui, apparaissent comme un chemin pour la réalisation de la personne en plénitude, en opposition à la déshumanisation, comme un puissant antidote à la pollution de l'esprit, de la vie, de la culture; ils proclament la liberté des fils de Dieu, la joie de vivre selon les béatitudes évangéliques.
L'impression éprouvée par d'aucuns d'une perte d'estime de certains secteurs de l'Église à l'égard de la vie consacrée peut être vécue comme une invitation à une purification libératrice. La vie consacrée ne cherche pas les louanges ni les éloges des hommes; elle est récompensée par la joie de poursuivre effectivement son travail au service du Royaume de Dieu, afin d'être un germe de vie qui grandit dans le secret, sans attendre d'autre récompense que celle que le Père donnera à la fin (cf. Mt 6,6) . Elle trouve son identité dans l'appel du Seigneur, dans la sequela Christi, amour et service inconditionnés, capables de remplir une vie et de lui conférer pleinement son sens.
Si dans certains endroits les personnes consacrées deviennent un petit troupeau en raison de leur diminution numérique, on peut interpréter ce fait comme un signe providentiel qui invite à reprendre la tâche essentielle d'être levain, ferment, signe et prophétie. Plus la pâte à faire lever est grande, plus la qualité du ferment évangélique doit être grande, et plus aussi le témoignage de vie et le service charismatique des personnes consacrées doivent être forts.
La prise de conscience croissante, de la part de tous les chrétiens, de l'universalité de la vocation à la sainteté,43 loin de faire considérer comme superflue l'appartenance à un état particulièrement adapté pour atteindre la perfection évangélique, peut devenir un motif de joie supplémentaire pour les personnes consacrées; elles sont à présent plus proches des autres membres du Peuple de Dieu, avec lesquels ellespartagent un chemin commun à la suite du Christ, dans une communion plus authentique, dans l'émulation et dans la réciprocité, dans l'aide mutuelle de la communion ecclésiale, sans sentiment d'infériorité ou de supériorité. En même temps, cette prise de conscience est un appel à comprendre la valeur de signe de la vie consacrée pour la sainteté de tous les membres de l'Église.
En effet, s'il est vrai que tous les chrétiens sont appelés «à la sainteté et à la perfection de leur état»,44 les personnes consacrées, grâce à une «consécration nouvelle et spéciale»,45 ont pour mission de faire resplendir la forme de vie du Christ, à travers le témoignage des conseils évangéliques, afin de soutenir la fidélité de tout le Corps du Christ. Il ne s'agit pas d'une difficulté, mais plutôt d'une incitation à l'originalité et à la contribution spécifique des charismes de la vie consacrée, qui sont en même temps des charismes de spiritualité partagée et de mission en faveur de la sainteté de l'Église.
En définitive, les défis actuels peuvent constituer un puissant appel à approfondir le vécu de la vie consacrée, dont le témoignage est aujourd'hui plus nécessaire que jamais. Il est opportun de rappeler que les saints fondateurs et fondatrices ont su répondre par une créativité charismatique authentique aux défis et aux difficultés de leur temps.
14 Pour retrouver le sens et la qualité de la vie consacrée, une tâche fondamentale revient aux supérieurs et aux supérieures, auxquels a été confié le service de l'autorité, une tâche exigeante et parfois difficile. Elle requiert une présence constante, capable d'animer et de proposer, de rappeler la raison d'être de la vie consacrée, d'aider les personnes qui leur sont confiées à vivre dans une fidélité toujours renouvelée à l'appel de l'Esprit. Aucun supérieur ne peut renoncer à sa mission d'animation, d'aide fraternelle, de proposition, d'écoute, de dialogue. Ce n'est qu'ainsi que la communauté tout entière pourra se retrouver unie dans un esprit pleinement fraternel et dans le service apostolique et ministériel. Les orientations offertes par le document de notre Congrégation, La vie fraternelle en communauté, demeurent d'une grande actualité lorsque, traitant des aspects de l'autorité qu'il faut aujourd'hui valoriser, celui-ci rappelle le devoir d'autorité spirituelle, d'autorité en tant qu'agent d'unité, d'autorité qui sait prendre la décision finale et qui en assure l'exécution.46
On demande à chacun des membres d'une communauté une participation convaincue et personnelle à la vie et à la mission de la communauté. Même si, en dernière instance, et selon le droit propre, il appartient à l'autorité de prendre les décisions et d'effectuer les choix, la marche quotidienne de la vie fraternelle en communauté demande une participation qui permet l'exercice du dialogue et du discernement. Toute la communauté et chacun de ses membres peuvent ainsi confronter leur propre vie avec le projet de Dieu, en accomplissant ensemble sa volonté.47 La coresponsabilité et la participation sont également exercées dans les divers types de conseils aux différents niveaux: ce sont des lieux dans lesquels doit tout d'abord régner la pleine communion, de façon à ce que le Seigneur qui illumine et qui guide soit constamment présent. Le Saint-Père n'a pas hésité à rappeler l'antique sagesse de la tradition monastique pour une juste manière de vivre concrètement la spiritualité de communion qui promeut et assure la participation effective de tous.48
Tout cela sera facilité par une sérieuse formation permanente, dans le cadre d'une prise en considération nouvelle et radicale du problème de la formation dans les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, pour un authentique chemin de renouvellement: celui-ci, en effet, «dépend principalement de la formation de leurs membres».49
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