2002 Repartir du christ - La formation permanente

La formation permanente

15 L'époque à laquelle nous vivons nous impose de repenser globalement la formation des personnes consacrées, qui ne se limite plus à une période de la vie. Non seulement parce qu'elles doivent devenir toujours plus capables de s'insérer dans une réalité qui change selon un rythme souvent frénétique, mais aussi, et plus encore, parce que c'est la vie consacrée elle-même qui exige, de par sa nature, une disponibilité permanente chez ceux qui y sont appelés. En effet, si la vie consacrée est en elle-même «une appropriation progressive des sentiments du Christ»,50 il semble évident que ce chemin ne pourra que se poursuivre tout au long de l'existence, pour engager toute la personne, son coeur, son esprit et ses forces (cf. Mt 22,37) , et la rendre semblable au Fils qui se donne à son Père pour l'humanité. Ainsi conçue la formation n'est plus seulement un temps pédagogique de préparation aux voeux, mais elle représente une façon théologique de penser la vie consacrée, qui constitue en soi une formation jamais achevée, une «participation à l'action du Père qui, par l'Esprit, développe dans le coeur ... les sentiments du Fils».51
Il sera alors important que toute personne consacrée soit formée à la liberté d'apprendre pendant toute son existence, à tout âge et toute saison de la vie, dans tout milieu et tout contexte humain, de toute personne et de toute culture, afin de pouvoir s'instruire à partir de tout fragment de vérité et de beauté qui se trouve autour d'elle. Mais elle devra surtout apprendre à se laisser former par la vie quotidienne, par sa communauté et par ses frères et soeurs, par les choses de tous les jours, ordinaires et extraordinaires, par la prière et le travail apostolique, dans la joie et dans la souffrance, jusqu'au moment de sa mort.
C'est alors que deviennent décisifs l'ouverture à l'autre et l'altérité et, en particulier, le rapport avec le temps. Les personnes en formation continue se réapproprient le temps, elles ne le subissent pas, mais l'accueillent comme un don et elles entrent avec sagesse dans les divers rythmes (quotidien, hebdomadaire, mensuel, annuel) de la vie elle-même, en recherchant l'harmonie entre ceux-ci et le rythme fixé par Dieu immuable et éternel, qui marque les jours, les siècles et le temps. La personne consacrée apprend d'une façon toute particulière à se laisser modeler par l'année liturgique, à l'école de laquelle elle revit progressivement les mystères de la vie du Fils de Dieu avec ses mêmes sentiments, pour repartir du Christ et de sa Pâque de mort et de résurrection chaque jour de la vie.

L'animation des vocations

16 L'un des premiers fruits d'un chemin de formation permanente est la capacité quotidienne de vivre la vocation comme un don toujours nouveau, qu'il faut accueillir d'un coeur reconnaissant. Un don auquel il faut répondre par une attitude toujours plus responsable et dont il faut témoigner avec une conviction et une capacité de communication plus grandes, afin que les autres puissent également se sentir appelés par Dieu à cette vocation particulière ou bien sur d'autres voies. La personne consacrée est également, de par sa nature, animatrice de vocations; en effet, ceux et celles qui sont appelés ne peuvent qu'appeler à leur tour. Il existe donc un lien naturel entre la formation permanente et l'animation des vocations.
Le service des vocations est l'un des nouveaux défis les plus exigeants que la vie consacrée doit aujourd'hui affronter. D'une part, la mondialisation de la culture et la complexité des relations sociales rendent difficiles les choix de vie radicaux et durables; d'autre part, le monde vit une expérience croissante de souffrances matérielles et morales qui minent la dignité même de l'être humain et qui demandent, implicitement, des personnes qui annoncent avec force un message de paix et d'espérance, qui apportent le salut du Christ. Les paroles de Jésus à ses Apôtres retentissent dans nos esprits: «La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson» (Mt 9,37-38 Lc 10,2) .
Le premier engagement de la pastorale des vocations demeure la prière. Une foi renouvelée dans le Dieu qui, s'il est invoqué avec confiance, des pierres mêmes, peut faire naître des fils à Abraham (cf. Mt 3,9) et rendre fécond le sein stérile, est notamment demandée dans les lieux où les entrées dans la vie consacrée se font rares. Tous les fidèles, et en particulier les jeunes, doivent être interpellés pour participer à cette manifestation de foi en Dieu, qui est le seul à pouvoir appeler et envoyer ses ouvriers. L'Église locale tout entière - évêques, prêtres, laïcs, personnes consacrées - est appelée à assumer sa responsabilité face aux vocations à une consécration particulière.
La voie royale de la promotion des vocations à la vie consacrée est celle que le Seigneur lui-même a entamée, lorsqu'il a dit aux Apôtres Jean et André: «Venez et voyez» (Jn 1,39) . Cette rencontre, accompagnée par le partage de la vie, demande aux personnes consacrées de vivre profondément leur consécration pour devenir un signe visible de la joie que Dieu donne à celui qui accueille son appel. D'où la nécessité de communautés accueillantes et capables de partager leur idéal de vie avec les jeunes, en se laissant interpeller par les exigences d'authenticité et en étant prêtes à marcher avec eux.
L'Église locale est un milieu privilégié pour lancer cet appel aux vocations. C'est là que tous les ministères et les charismes expriment leur réciprocité52 et réalisent ensemble la communion dans l'unique Esprit du Christ et la multiplicité de ses manifestations. La présence active des personnes consacrées aidera les communautés chrétiennes à devenir des laboratoires de la foi,53 des lieux de recherche, de réflexion et de rencontre, de communion et de service apostolique, dans lesquels tous sentent qu'ils participent à l'édification du Royaume de Dieu parmi les hommes. On crée ainsi le climat caractéristique de l'Église comme famille de Dieu, un milieu qui facilite la connaissance réciproque, le partage et la contagion des valeurs qui sont à l'origine du choix de donner sa propre vie à la cause du Royaume.

17 Le soin des vocations est une tâche cruciale pour l'avenir de la vie consacrée. La diminution des vocations, en particulier dans le monde occidental, et leur croissance en Asie et en Afrique dessinent actuellement une nouvelle géographie de la présence de la vie consacrée dans l'Église et créent de nouveaux équilibres culturels dans la vie des Instituts. Cet état de vie, qui grâce à la profession des conseils évangéliques, fait devenir visibles les traits caractéristiques de Jésus au milieu du monde de manière exemplaire et permanente,54 vit aujourd'hui un temps particulier de réflexion et de recherche, à travers des modalités nouvelles et au sein de cultures nouvelles. Il s'agit assurément d'un début prometteur pour le développement des expressions inédites de ses multiples formes charismatiques.
Les transformations actuelles incitent directement les divers Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique à donner un sens profondément évangélique à leur présence dans l'Église et à leur service de l'humanité. La pastorale des vocations demande de développer des capacités de rencontresnouvelles et plus profondes; d'offrir, à travers le témoignage de la vie, des itinéraires caractéristiques pour suivre le Christ et parvenir à la sainteté; d'annoncer, avec force et clarté, la liberté qui naît d'une vie pauvre, qui a le Royaume de Dieu pour unique trésor; la profondeur de l'amour d'une existence chaste, qui désire n'avoir qu'un seul coeur: celui du Christ; la force de sanctification et de renouvellement contenue dans une vie d'obéissance, qui a un unique horizon: accomplir la volonté de Dieu pour le salut du monde.
Aujourd'hui, la promotion des vocations est une tâche qui ne peut pas être exclusivement déléguée à quelques spécialistes, ni séparée d'une véritable pastorale des jeunes qui fait surtout percevoir l'amour concret du Christ à leur égard. Chaque communauté et tous les membres de l'Institut sont appelés à prendre en charge le contact avec les jeunes, une pédagogie évangélique de la sequela Christi et la transmission du charisme; les jeunes attendent qu'on leur propose des styles de vie authentiquement évangéliques et des chemins d'initiation aux grandes valeurs spirituelles de la vie humaine et chrétienne. Ce sont donc les personnes consacrées qui doivent redécouvrir l'art pédagogique de susciter et de libérer les questions profondes, trop souvent cachées dans le coeur des êtres humains, des jeunes en particulier. En accompagnant le travail de discernement des vocations, elles seront incitées à montrer la source de leur identité. Communiquer sa propre expérience de vie est toujours la revivre en mémoire et retrouver la lumière qui a guidé le choix personnel de la vocation.

Les parcours de formation

18 Sur la formation, notre Dicastère a publié deux documents Potissimum institutioni et La collaboration inter-instituts pour la formation. Nous sommes toutefois bien conscients des défis toujours nouveaux que les Instituts doivent affronter dans ce domaine.
Les nouvelles vocations qui frappent à la porte de la vie consacrée présentent une profonde diversité et requièrent une attention personnalisée et des méthodologies adaptées pour assumer leur situation humaine, spirituelle et culturelle concrète. C'est pourquoi il est nécessaire que soit effectué un discernement serein, libre de toute préoccupation de nombre ou d'efficacité, afin de vérifier, à la lumière de la foi et des contre-indications possibles, l'authenticité de la vocation et la rectitude des intentions. Les jeunes ont besoin d'être encouragés à suivre les idéaux élevés d'une sequela Christi radicale et les exigences profondes de la sainteté, en vue d'une vocation qui les dépasse et qui va peut-être au-delà du projet initial qui les a poussés à entrer dans un Institut déterminé. La formation devra donc posséder les caractéristiques de l'initiation à une sequela Christi radicale. Du fait que la finalité de la vie consacrée consiste à être configuré au Seigneur Jésus, il est nécessaire
de mettre en acte un itinéraire qui permet de s'approprier progressivement les sentiments du Christ envers son Père.55 Cela permettra d'intégrer des connaissances théologiques, humanistes et techniques à la vie spirituelle et apostolique de l'Institut et conservera toujours la caractéristique d'être une école de sainteté.
Les défis les plus exigeants que la formation doit affronter sont issus des valeurs qui dominent la culture mondialisée de notre époque. L'annonce chrétienne de la vie comme vocation, c'est-à-dire née d'un projet d'amour du Père et qui a besoin d'une rencontre personnelle et salvifique avec le Christ dans l'Église, doit faire face à des conceptions et à des projets dominés par des cultures et des histoires sociales extrêmement variées. Le risque existe que les choix subjectifs, les projets individuels et les orientations locales l'emportent sur la règle, le style de vie communautaire et le projet apostolique de l'Institut. Il est nécessaire de mettre en oeuvre un dialogue formateur, en mesure d'accueillir les caractéristiques humaines, sociales et spirituelles dont chacun est le détenteur, de discerner les limites humaines de celles-ci, qui demandent à être surmontées, ainsi que les invitations de l'Esprit, qui peuvent renouveler la vie de chaque individu et de l'Institut. À une époque de profondes transformations, la formation devra être attentive à enraciner dans le coeur des jeunes consacrés les valeurs humaines, spirituelles et charismatiques nécessaires pour qu'ils soient en mesure d'agir avec «fidélité et créativité»,56 dans la ligne de la tradition spirituelle et apostolique de l'Institut.
Le caractère interculturel, les différences d'âge et la diversité des projets caractérisent toujours davantage les Instituts de vie consacrée. La formation devra éduquer au dialogue communautaire dans la cordialité et la charité du Christ, en enseignant à accueillir les différences comme une richesse et à assimiler les diverses façons de voir et de sentir. Ainsi, la recherche constante de l'unité dans la charité deviendra une école de communion pour les communautés chrétiennes et une proposition de coexistence fraternelle entre les peuples.
Il faudra ensuite faire particulièrement attention à ce que la formation culturelle aille de pair avec son temps, dans un dialogue répondant à la soif de sens de l'homme d'aujourd'hui. C'est pourquoi on demande une plus grande préparation dans le domaine philosophique, théologique, psycho-pédagogique et une plus profonde orientation vers la vie spirituelle, des modèles plus adaptés, dans le respect des cultures dans lesquelles naissent les nouvelles vocations, ainsi que des itinéraires bien définis pour la formation permanente. Et l'on souhaite surtout que les meilleures énergies soient destinées à la formation, même si cela comporte des sacrifices importants. L'emploi d'un personnel qualifié, avec une préparation adaptée, constitue un engagement prioritaire.
Nous devons être profondément généreux pour consacrer notre temps et nos meilleures énergies à la formation. En effet, les personnes consacrées sont parmi les biens les plus précieux de l'Église. Sans elles tous les projets apostoliques et de formation restent lettre morte et désirs inaccomplis. Sans oublier qu'à une époque pressée comme la nôtre, il y a plus que jamais besoin de temps, de persévérance et d'attente patiente pour parvenir aux objectifs de formation. Dans un contexte où prévalent la rapidité et la superficialité, nous avons besoin de sérénité et de profondeur, car, dans la réalité, la personne humaine se construit très lentement.

Quelques défis particuliers

19 Si la nécessité de la qualité de la vie et l'attention qui doit être portée aux exigences de la formation ont été soulignées, c'est parce qu'elles apparaissent comme les aspects les plus urgents. La Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique voudrait cependant être proche des personnes consacrées en tout ce qui les concerne et poursuivre avec elles un dialogue toujours plus sincère et plus constructif.
Les Pères de l'Assemblée plénière sont conscients de cette nécessité et ils ont manifesté le désir d'une plus grande connaissance et d'une plus grande collaboration avec les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. Leur présence dans l'Église locale, et en particulier celle des diverses congrégations de droit diocésain, des vierges consacrées et des ermites, demande une attention particulière de la part de l'Évêque et de son presbyterium.
De même, ils sont sensibles aux questions que se posent les religieux et les religieuses au sujet des grandes oeuvres qui ont jusqu'à présent permis l'accomplissement de leur service, selon leurs charismes respectifs: les hôpitaux, les collèges, les écoles, les maisons d'accueil et de retraite. Dans certaines parties du monde, ces institutions sont demandées de façon pressante, dans d'autres elles deviennent difficiles à gérer. Pour trouver les voies permettant de parvenir à une solution, il y a besoin de créativité, de prudence, de dialogue entre les membres de l'Institut, entre les Instituts possédant des oeuvres analogues et avec des responsables de l'Église particulière.
Les thèmes à propos de l'inculturation sont encore très actuels. Ils concernent la façon d'incarner la vie consacrée, l'adaptation des formes de spiritualité et d'apostolat, les modalités de gouvernement, la formation, la gestion des ressources et des biens économiques, le déroulement de la mission. Les orientations données par le Pape pour l'Église entière valent également pour la vie consacrée: «Le christianisme du troisième millénaire devra toujours mieux répondre à cette exigence d'inculturation.
Tout en restant pleinement lui-même, dans l'absolue fidélité à l'annonce évangélique et à la tradition ecclésiale, il revêtira aussi le visage des innombrables cultures et des innombrables peuples où il est accueilli et enraciné».57 Si la vie consacrée opère une véritable inculturation, on peut en attendre, comme pour l'Église tout entière, un profond enrichissement et une nouvelle saison d'élan spirituel et apostolique.
Nous pourrions passer en revue de nombreuses autres attentes de la vie consacrée au début de ce nouveau millénaire et nous n'en finirions plus, car l'Esprit nous conduit toujours en avant, toujours plus loin. C'est la parole du Maître qui doit susciter un grand enthousiasme chez tous ses disciples, hommes et femmes, pour faire mémoire avec gratitude du passé, vivre avec passion le présent, s'ouvrir avec confiance à l'avenir.58
Suivant l'invitation adressée par le Pape Jean-Paul II à toute l'Église, la vie consacrée par ses membres doit résolument repartir du Christ, en contemplant son visage, en privilégiant les voies de la spiritualité comme vie, pédagogie et pastorale: «Frères et soeurs consacrés, l'Église attend également votre contribution pour avancer sur cette nouvelle partie du chemin, selon les orientations que j'ai tracées dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte: contempler le visage du Christ, repartir de Lui, témoigner de son amour».59 Ce n'est qu'alors que la vie consacrée trouvera une nouvelle vitalité pour se placer au service de toute l'Église et de l'humanité tout entière.



Troisième Partie

LA PREMIÈRE PLACE À LA VIE SPIRITUELLE

20 La vie consacrée, comme toute forme de vie chrétienne, est par nature dynamique et ceux qui sont appelés par l'Esprit à l'embrasser ont besoin de se renouveler constamment dans la croissance vers la stature parfaite du Corps du Christ (cf. Ep 4,13) . Elle est née de l'impulsion créatrice de l'Esprit qui a conduit les fondateurs et les fondatrices sur la voie de l'Évangile, en suscitant une merveilleuse variété de charismes. Disponibles et dociles à sa direction, ils ont suivi le Christ de plus près, ont pénétré dans son intimité et ont pleinement partagé sa mission.
Leur expérience de l'Esprit demande non seulement à être conservée par ceux qui les ont suivis, mais également à être approfondie et développée.60 Aujourd'hui encore, l'Esprit Saint demande que l'on soit disponible et docile à son action toujours nouvelle et créatrice. Lui seul peut conserver de façon permanente la fraîcheur et l'authenticité des débuts et, dans le même temps, insuffler le courage de l'esprit d'entreprise et de l'inventivité pour répondre aux signes des temps.
Il faut donc se laisser conduire par l'Esprit à la découverte toujours renouvelée de Dieu et de sa Parole, à un amour ardent pour lui et pour l'humanité, à une nouvelle compréhension du charisme donné. Il s'agit de viser à une spiritualité entendue dans le sens le plus fort du terme, c'est-à-dire la vie selon l'Esprit. Aujourd'hui, la vie consacrée a surtout besoin d'une relance spirituelle, aidant à faire passer dans la vie concrète le sens évangélique et spirituel de la consécration baptismale et de sa consécration nouvelle et spéciale.
«La vie spirituelle doit donc être en première place dans les projets des Familles de vie consacrée, en sorte que tous les Instituts et que toutes les communautés se présentent comme des écoles de spiritualité évangélique authentique».61 Nous devons laisser l'Esprit ouvrir les sources d'eau vive qui jaillissent du Christ de façon surabondante. C'est l'Esprit qui nous fait reconnaître le Seigneur en Jésus de Nazareth (cf. 1Co 12,3) , qui nous fait entendre son appel à le suivre et qui fait que nous nous identifions à lui: «Qui n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas» (Rm 8,9) . C'est lui qui, en nous faisant devenir des fils dans le Fils, témoigne de la paternité de Dieu, nous rend conscients de notre filiation et nous donne l'audace de l'appeler «Abbà, Père!» (Rm 8,15) . C'est lui qui infuse l'amour et qui engendre la communion. La vie consacrée exige en définitive une tension renouvelée vers la sainteté qui, dans la simplicité de la vie de chaque jour, ait pour objectif le caractère radical du discours sur la montagne,62 de l'amour exigeant, vécu dans la relation personnelle avec le Seigneur, dans la vie de communion fraternelle, dans le service de tout homme et de toute femme. Cette nouveauté intérieure, entièrement animée par la force de l'Esprit et tendue vers le Père dans la recherche de son Royaume, permettra aux personnes consacrées de repartir du Christ et d'être les témoins de son amour.
L'appel à retrouver ses propres racines et ses propres choix dans la spiritualité ouvre des chemins vers l'avenir. Il s'agit, tout d'abord, de vivre en plénitude la théologie des conseils évangéliques à partir du modèle de vie trinitaire, selon les enseignements de Vita consecrata,63 en ayant à nouveau l'occasion d'une confrontation avec les sources des charismes et des textes constitutionnels, toujours ouverts à de nouvelles interprétations plus exigeantes. Le caractère dynamique de la spiritualité offre l'occasion d'approfondir, en cette saison de l'Église, une spiritualité plus ecclésiale et plus communautaire, plus exigeante et plus mûre dans l'aide réciproque pour parvenir à la sainteté, plus généreuse dans les choix apostoliques. Il s'agit, en fin de compte, d'une spiritualité qui a une plus grande propension à devenir pédagogie et pastorale de la sainteté au sein de la vie consacrée et dans son rayonnement au profit de tout le peuple de Dieu. L'Esprit Saint est l'âme et l'animateur de la spiritualité chrétienne, c'est pourquoi il faut se confier à son action qui part du plus profond des coeurs, qui se manifeste dans la communion, qui se développe dans la mission.

Repartir du Christ

21 Il est donc nécessaire d'adhérer toujours plus au Christ, centre de la vie consacrée, et reprendre avec vigueur un chemin de conversion et de renouveau qui, comme dans l'expérience primitive des Apôtres, avant et après sa résurrection, a été une manière de repartir du Christ. Oui, il faut repartir du Christ, car c'est de lui que sont partis les premiers disciples en Galilée; c'est de lui que sont partis, au cours de l'histoire de l'Église, des hommes et des femmes de toute condition et de toute culture qui, consacrés dans l'Esprit en vertu de leur appel, ont quitté pour lui leur famille et leur patrie et l'ont suivi sans condition, se rendant disponibles pour annoncer le Royaume et faire du bien à tous (cf. Ac 10,38) .
La conscience de leur pauvreté et de leur fragilité et, en même temps, de la grandeur de l'appel, a souvent conduit à redire avec l'Apôtre Pierre: «Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un pécheur» (Lc 5,8) . Le don de Dieu a pourtant été plus fort que l'incapacité humaine. En effet, c'est le Christ lui-même qui s'est rendu présent dans les communautés de ceux qui, au cours des siècles, se sont réunis en son nom, qui leur a parlé de lui et de son Esprit, qui les a orientés vers le Père, qui les a guidés sur les routes du monde à la rencontre de leurs frères et de leurs soeurs, qui les a fait devenir les instruments de son amour et les constructeurs du Royaume en communion avec toutes les autres vocations dans l'Église.
Les personnes consacrées peuvent et doivent repartir du Christ car c'est lui qui, le premier, est venu à leur rencontre et qui les accompagne sur le chemin (cf. Lc 24,13-22) . Leur vie est la proclamation du primat de la grâce;64 sans le Christ elles ne peuvent rien faire (cf. Jn 15,5); elles peuvent tout, en revanche, en celui qui donne la force (cf. Ph 4,13) .

22 Repartir du Christ signifie proclamer que la vie consacrée est une sequela Christi spéciale, «mémoire vivante du mode d'existence et d'action de Jésus comme Verbe incarné par rapport à son Père et à ses frères».65 Cela comporte une communion d'amour particulière avec lui, qui est devenu le centre de la vie et source permanente de toute initiative. Il s'agit, comme le rappelle l'Exhortation apostolique Vita consecrata, d'une expérience de partage, d'«une grâce spéciale d'intimité»,66 il s'agit de «s'identifier à lui, en ayant les mêmes sentiments et la même forme de vie»;67 il s'agit d'une vie «saisie par le Christ»,68 «que la main du Christ touche, que sa voix rejoint, que sa grâce soutient».69
Toute la vie de consécration ne peut être comprise que de ce point de départ: les conseils évangéliques ont un sens dans la mesure où ils aident à conserver et à favoriser l'amour pour le Seigneur dans la pleine docilité à sa volonté; la vie fraternelle est motivée par le Christ,qui rassemble autour de lui, et son objectif est de jouir de sa présence constante; la mission est son mandat et elle incite à rechercher son visage dans le visage de ceux à qui on est envoyé, afin de partager avec eux l'expérience du Christ.
Telles ont été les intentions des fondateurs et des fondatrices des différentes communautés et instituts de vie consacrée. Tels sont les idéaux qui ont animé des générations de femmes et d'hommes consacrés.
Repartir du Christ signifie donc retrouver le premier amour, l'étincelle inspiratrice à partir de laquelle a commencé la sequela Christi. Le primat de l'amour lui revient. La sequela Christi est une réponse d'amour à l'amour de Dieu. Si «nous aimons» c'est «parce qu'il nous a aimés le premier» (1Jn 4,10 1Jn 4,19) . Cela signifie reconnaître son amour personnel avec cette profonde conscience qui faisait dire à l'Apôtre Paul: «Le Fils de Dieu m'a aimé et s'est livré pour moi» (Ga 2,20) .
Seule la conscience d'être l'objet d'un amour infini peut aider à surmonter toute difficulté personnelle et de l'Institut. Les personnes consacrées ne pourront pas être créatives, capables de renouveler l'Institut et d'ouvrir de nouvelles voies de pastorale, si elles ne se sentent pas animées par cet amour. C'est cet amour qui rend forts et courageux, qui donne de l'audace et qui fait tout oser.
Les voeux par lesquels les personnes consacrées s'engagent à vivre les conseils évangéliques confèrent tout leur caractère radical à la réponse d'amour. La virginité élargit le coeur à la mesure de celui du Christ et rend capable d'aimer comme il a aimé. La pauvreté rend libre de l'esclavage des choses matérielles et des besoins artificiels auxquels pousse la société de consommation, et elle fait redécouvrir le Christ, l'unique trésor pour lequel il vaut vraiment la peine de vivre. L'obéissance place entièrement la vie entre ses mains, afin qu'il la réalise selon le dessein de Dieu et en fasse un chef-d'oeuvre. Il faut avoir le courage d'entreprendre une sequela Christi généreuse et joyeuse.

Contempler les visages du Christ

23 Le chemin que la vie consacrée est appelée à entreprendre au début de ce nouveau millénaire est guidé par la contemplation du Christ, notre regard étant «plus que jamais fixé sur le visage du Seigneur».70 Mais où contempler concrètement le visage du Christ? Il existe une multiplicité de présences qu'il faut redécouvrir de manière toujours nouvelle.
Il est réellement présent dans sa Parole et dans les sacrements, de façon très particulière dans l'Eucharistie. Il vit dans son Église, il se rend présent dans la communauté de ceux qui sont réunis en son nom. Il est face à nous dans chaque personne, s'identifiant de manière particulière avec les petits, les pauvres, ceux qui souffrent et sont les plus démunis. Il vient à notre rencontre dans chaque événement, qu'il soit heureux ou triste, dans l'épreuve et dans la joie, dans la souffrance et dans la maladie.
La sainteté est le fruit de la rencontre avec Lui, dans les nombreuses présences où nous pouvons redécouvrir son visage de Fils de Dieu, qui est à la fois un visage empreint de souffrance et le visage du Ressuscité. De même qu'il s'est rendu présent dans le quotidien de la vie, aujourd'hui encore il est présent dans la vie quotidienne, où il continue à révéler son visage. Un regard de foi est nécessaire pour le reconnaître, un regard qui naît de la familiarité avec la Parole de Dieu, de la vie sacramentelle, de la prière et surtout de l'exercice de la charité, car seul l'amour permet de connaître pleinement le Mystère.
Nous pouvons rappeler certains lieux privilégiés dans lesquels il est possible de contempler le visage du Christ, pour un engagement renouvelé dans la vie de l'Esprit. Ce sont les parcours d'une spiritualité vécue, engagement prioritaire de notre époque, occasion de relire dans la vie et dans l'expérience quotidienne les richesses spirituelles du propre charisme, à travers un contact renouvelé avec les sources qui ont fait naître, de l'expérience de l'Esprit des fondateurs et des fondatrices, l'étincelle de la vie nouvelle et des oeuvres nouvelles, les relectures spécifiques de l'Évangile qui se trouvent dans chaque charisme.

La Parole de Dieu

24 Vivre la spiritualité signifie tout d'abord repartir de la personne du Christ, vrai Dieu et vrai homme, présent dans sa Parole, «première source de toute spiritualité», comme le rappelle Jean-Paul II aux personnes consacrées.71 La sainteté n'est concevable qu'à partir d'une écoute renouvelée de la Parole de Dieu. «Il est nécessaire, en particulier - lisons-nous dans Novo millennio ineunte - , que l'écoute de la Parole devienne une rencontre vitale... permettant de puiser dans le texte biblique la parole vivante qui interpelle, qui oriente, qui façonne l'existence».72 C'est là, en effet, que le Maître se révèle, éduque le coeur et l'esprit. C'est là que mûrit la vision de foi, en apprenant à regarder la réalité et les événements avec le regard même de Dieu, jusqu'à avoir «la pensée du Christ» (1Co 2,16) .
Pour les fondateurs et les fondatrices c'est l'Esprit Saint qui a donné à la Parole de Dieu un éclairage nouveau . Tout charisme vient de là, toute Règle veut en être l'expression. En continuité avec les fondateurs et les fondatrices, leurs disciples sont aujourd'hui aussi appelés à accueillir et à garder dans leur coeur la Parole de Dieu, afin qu'elle continue à être une lampe pour éclairer leurs pas et la lumière sur leur chemin (cf. Ps 118,105) . L'Esprit Saint pourra alors les conduire à la vérité tout entière (cf. Jn 16,13) .
La Parole de Dieu nourrit la vie, la prière et la marche quotidienne, elle est le principe d'unification de la communauté dans une unité de pensée, l'inspiration pour un renouvellement constant et pour la créativité apostolique. Le Concile Vatican II avait déjà indiqué dans le retour à l'Évangile le premier grand principe du renouvellement.73
Comme dans toute l'Église, au sein des communautés et des groupes de personnes consacrées, s'est également développé ces dernières années un contact plus vivant et plus immédiat avec la Parole de Dieu. C'est une voie qu'il faut continuer à parcourir avec une intensité toujours nouvelle. «Il est nécessaire - a dit le Pape -, que vous ne vous lassiez pas de méditer sur l'Écriture Sainte et, en particulier, sur les saints Évangiles, afin que se gravent en vous les traits du Verbe incarné».74
La vie fraternelle en commun favorise également la redécouverte de la dimension ecclésiale de la Parole: il faut l'accueillir, la méditer, la vivre ensemble, communiquer les expériences qui en sont le fruit et avancer ainsi dans une authentique spiritualité de communion.
Dans ce contexte, il convient de rappeler la nécessité d'une référence constante à la Règle, car dans la Règle et dans les Constitutions «un itinéraire est tracé pour la sequela Christi, correspondant à un charisme propre authentifié par l'Église».75 Cet itinéraire traduit l'interprétation particulière de l'Évangile donnée par les fondateurs et les fondatrices, dociles au souffle de l'Esprit, et il aide les membres de l'Institut à vivre concrètement selon la Parole de Dieu.
Nourris par la Parole, devenus des femmes et des hommes nouveaux, libres, évangéliques, les consacrés pourront être d'authentiques serviteurs de la Parole dans l'engagement de l'évangélisation. Ils accomplissent ainsi une priorité pour l'Église au début du nouveau millénaire: «Il faut raviver en nous l'élan des origines, en nous laissant pénétrer de l'ardeur de la prédication apostolique qui a suivi la Pentecôte».76


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