2002 Repartir du christ - Prière et contemplation

Prière et contemplation

25 La prière et la contemplation sont le lieu d'accueil de la Parole de Dieu et, en même temps, elles naissent de l'écoute de la Parole. Sans une vie intérieure d'amour qui attire le Verbe, le Père, l'Esprit (cf. Jn 14,23) , il ne peut pas y avoir de regard de foi; en conséquence la vie perd progressivement son sens, le visage des frères devient terne et il est impossible d'y découvrir le visage du Christ, les événements de l'histoire demeurent ambigus, voire privés d'espérance, la mission apostolique et caritative se transforme en activités qui n'aboutissent à rien.
Toute vocation à la vie consacrée est née dans la contemplation, de moments d'intense communion et d'une profonde relation d'amitié avec le Christ, de la beauté et de la lumière qui ont resplendi sur son visage. C'est de là qu'a mûri le désir de rester pour toujours avec le Seigneur -«Il est heureux que nous soyons ici!» (Mt 17,4) - et de le suivre. Toute vocation doit constamment mûrir dans cette intimité avec le Christ. «Votre premier engagement - rappelle Jean-Paul II aux personnes consacrées - ne peut donc qu'être dans la lignée de la contemplation. Chaque réalité de vie consacrée naît et se régénère chaque jour dans la contemplation incessante du visage du Christ».77
Les moines et les moniales, ainsi que les ermites sous des modalités diverses, consacrent une plus grande place à la louange de Dieu, ainsi qu'à la prière silencieuse prolongée. Les membres des Instituts séculiers, de même que les vierges consacrées dans le monde, offrent à Dieu les joies et les souffrances, les aspirations et les supplications de tous les hommes et ils contemplent le visage du Christ qu'ils reconnaissent dans le visage de leurs frères et dans les événements de l'histoire, dans l'apostolat et dans le travail quotidien. Les religieux et les religieuses qui se consacrent à l'enseignement, aux malades et aux pauvres rencontrent le visage du Seigneur dans cette activité. Les missionnaires et les membres des Sociétés de vie apostolique vivent l'annonce de l'Évangile, sur l'exemple de l'Apôtre Paul, comme un culte authentique (cf. Rm 1,6) . Toute l'Église tire profit et bénéficie de la pluralité des formes de prière et de la variété des façons de contempler l'unique visage du Christ.
En même temps on remarque que, depuis de nombreuses années désormais, la prière liturgique des Heures et la célébration de l'Eucharistie ont acquis une place centrale dans la vie de tous les types de communauté et de fraternité, leur redonnant une vigueur biblique et ecclésiale. Elles favorisent également l'édification mutuelle et peuvent devenir un témoignage pour être, devant Dieu également et avec lui, maison et école de la communion.78 Une vie spirituelle authentique demande que tous, quelle que soit la diversité des vocations, consacrent régulièrement, chaque jour, des moments appropriés pour un colloque silencieux et profond avec Celui dont ils se savent aimés, afin de partager avec lui ce qu'ils ont vécu et recevoir la lumière pour poursuivre leur chemin quotidien. Il s'agit d'un exercice auquel ils doivent être fidèles, car nous sommes constamment menacés par l'aliénation et la dissipation provenant de la société actuelle, en particulier des moyens de communication. La fidélité à la prière personnelle et liturgique demandera parfois un effort authentique pour ne pas se laisser dévorer par un activisme effréné. On ne porte pas de fruit autrement: «De même que le sarment ne peut pas de lui-même porter du fruit, sans demeurer sur le cep, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi» (Jn 15,4) .
L' Eucharistie, lieu privilégié de la rencontre avec le Seigneur

26 Accorder une place prioritaire à la spiritualité signifie repartir de la position centrale retrouvée par la célébration eucharistique, lieu privilégié de la rencontre avec le Seigneur. En ce lieu, le Seigneur se rend à nouveau présent parmi ses disciples, explique l'Écriture, réchauffe le coeur et éclaire l'esprit, ouvre les yeux et se fait reconnaître (cf. Lc 24,13-35) . L'invitation que Jean-Paul II a adressée aux personnes consacrées est particulièrement pressante: «Très chers amis, rencontrez-le et contemplez-le de façon toute particulière dans l'Eucharistie, célébrée et adorée chaque jour, comme source et sommet de l'existence et de l'action apostolique».79 Dans l'Exhortation apostolique Vita consecrata, il exhortait à participer chaque jour au sacrement de l'Eucharistie et à son «adoration assidue et prolongée».80 L'Eucharistie, mémorial du sacrifice du Seigneur, coeur de la vie de l'Église et de chaque communauté, façonne de l'intérieur l'offrande renouvelée de la propre existence, le projet de vie communautaire, la mission apostolique. Nous avons tous besoin chaque jour du viatique de la rencontre avec le Seigneur pour insérer le quotidien dans le temps de Dieu, que la célébration du mémorial de la Pâque du Seigneur rend présent.
C'est là que peut pleinement se réaliser l'intimité avec le Christ, l'identification à lui, le désir d'être totalement configurés à lui, auxquels les personnes consacrées sont appelées par vocation.81 Dans l'Eucharistie, en effet, le Seigneur Jésus nous associe à lui dans sa propre offrande pascale au Père: nous offrons et nous sommes offerts. La consécration religieuse elle-même assume une structure eucharistique: elle est un total don de soi, étroitement associé au sacrifice eucharistique.
C'est là que se concentrent toutes les formes de prière, qu'est proclamée et accueillie la Parole de Dieu, que l'on est interpellé sur les rapports avec Dieu, avec les frères, avec tous les hommes: c'est le sacrement de la filiation, de la fraternité et de la mission. Sacrement de l'unité avec le Christ, l'Eucharistie est à la fois le sacrement de l'unité ecclésiale et de l'unité de la communauté des consacrés. Elle apparaît en définitive comme «la source de la spiritualité des personnes et des Instituts».82
Afin que les fruits attendus de communion et de renouveau puissent être pleinement produits, il existe des conditions essentielles qui ne peuvent pas faire défaut, en particulier le pardon réciproque et l'engagement de l'amour réciproque. Selon l'enseignement du Seigneur, la pleine réconciliation fraternelle est nécessaire avant de présenter l'offrande à l'autel (cf. Mt 5,23) . On ne peut pas célébrer le sacrement de l'unité en restant indifférents les uns aux autres. On doit, par ailleurs, garder à l'esprit que ces conditions essentielles sont également le fruit et le signe d'une Eucharistie célébrée comme il faut. Car c'est avant tout dans la communion avec Jésus-Eucharistie que nous puisons la capacité d'aimer et de pardonner. En outre, chaque célébration doit devenir une occasion pour renouveler l'engagement de donner la vie les uns pour les autres, dans l'accueil et dans le service. Alors la promesse du Christ vaudra réellement de façon éminente pour la célébration eucharistique: «Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom, je suis là, au milieu d'eux» (Mt 18,20) , et la communauté se renouvellera chaque jour autour de cette célébration.
C'est à ces conditions que la communauté des consacrés qui vit le mystère pascal, renouvelé chaque jour dans l'Eucharistie, devient témoin de la communion et signe prophétique de fraternité pour la société divisée et blessée. En effet, de l'Eucharistie naît la spiritualité de communion qui est si nécessaire pour établir le dialogue de la charité, dont le monde a aujourd'hui besoin.83

Le visage du Christ dans l'épreuve

27 Vivre la spiritualité en repartant sans cesse du Christ signifie commencer toujours à partir du moment suprême de son amour -et l'Eucharistie en conserve le mystère-, lorsqu'il donne sa vie sur la Croix dans la totalité du don de soi. Ceux qui ont été appelés à vivre les conseils évangéliques à travers la profession ne peuvent manquer de vivre intensément la contemplation du visage du Crucifié.84 C'est le livre dans lequel ils apprennent ce qu'est l'amour et comment aimer Dieu et l'humanité, la source de tous les charismes, la synthèse de toutes les vocations.85 La consécration, sacrifice total et holocauste parfait, est la manière que leur a suggérée l'Esprit pour revivre le mystère du Christ crucifié, venu dans le monde pour donner sa vie en rachat pour une multitude (cf. Mt 20,28 Mc 10,45) , et pour répondre à son amour infini.
L'histoire de la vie consacrée a exprimé cette configuration au Christ sous de nombreuses formes ascétiques, qui «ont constitué, et constituent toujours, un soutien puissant pour un cheminement authentique vers la sainteté. L'ascèse... est vraiment indispensable pour que la personne consacrée reste fidèle à sa vocation et suive Jésus sur le chemin de la Croix».86 Aujourd'hui, les personnes consacrées, tout en conservant l'expérience des siècles, sont appelées à trouver des formes adaptées à notre époque; en premier lieu celles qui accompagnent les difficultés du travail apostolique et assurent la générosité du service. Aujourd'hui, la croix qu'il faut prendre sur soi chaque jour (cf. Lc 9,23) peut également acquérir un caractère collectif, tel que le vieillissement de l'Institut, les structures inadaptées, l'incertitude quant à l'avenir.
Face aux multiples situations de souffrance personnelles, communautaires et sociales, peut s'élever du coeur d'individus ou de celui de communautés tout entières le cri de Jésus sur la Croix: «Pourquoi m'as- tu abandonné?» (Mc 15,34) . Dans ce cri adressé au Père, Jésus fait comprendre que sa solidarité avec l'humanité est devenue radicale au point de pénétrer, de partager et d'assumer tout ce qui est négatif, jusqu'à la mort, fruit du péché. «Pour rendre à l'homme le visage de son Père, Jésus a dû non seulement assumer le visage de l'homme, mais se charger aussi du "visage" du péché».87
Repartir du Christ signifie reconnaître que le péché est encore radicalement présent dans le coeur et dans la vie de tous, et découvrir dans le visage empreint de souffrance du Christ l'offrande qui a réconcilié l'humanité avec Dieu.
Au cours de l'histoire de l'Église, les personnes consacrées ont su contempler le visage empreint de souffrance du Seigneur, également en dehors d'elles-mêmes. Elles l'ont reconnu dans les malades, les détenus, les pauvres, les pécheurs. Leur lutte a été menée en particulier contre le péché et ses funestes conséquences; l'annonce de Jésus: «Convertissez- vous et croyez à l'Évangile» (Mc 1,15) a conduit leurs pas sur les routes des hommes et a donné l'espérance d'une vie nouvelle là où régnaient le découragement et la mort. Leur service a conduit de nombreuses personnes à faire l'expérience de l'amour miséricordieux de Dieu le Père, dans le sacrement de Pénitence. Aujourd'hui aussi, il y a besoin de proposer à nouveau avec force ce ministère de la réconciliation (cf. 2Co 5,18) confié par Jésus-Christ à son Église. C'est le mysterium pietatis88 dont les personnes consacrées sont appelées à faire fréquemment l'expérience dans le sacrement de Pénitence.
De nouveaux visages apparaissent aujourd'hui, dans lesquels il faut reconnaître, aimer et servir le visage du Christ, là où il s'est rendu présent: il s'agit des nouvelles pauvretés matérielles, morales et spirituelles que la société contemporaine produit. Le cri de Jésus sur la croix révèle qu'il a pris sur lui tout ce mal, afin de le racheter. La vocation des personnes consacrées continue à être celle de Jésus et, comme lui, elles assument la souffrance et le péché du monde en les consumant dans l'amour.

La spiritualité de communion

28 Si «la vie spirituelle doit être à la première place dans le projet des Familles de vie consacrée»,89 elle devra tout d'abord être une spiritualité de communion, comme le requiert le moment présent: «Faire de l'Église la maison et l'école de la communion: tel est le grand défi qui se présente à nous dans le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre aussi aux attentes profondes du monde».90
Sur ce chemin de l'Église tout entière, la contribution décisive de la vie consacrée est attendue, en raison de sa vocation spécifique à la vie de communion dans l'amour. «Aux personnes consacrées - lit-on dans Vita consecrata -, il est demandé d'être véritablement expertes en communion et d'en pratiquer la spiritualité, comme témoins et artisans du projet de communion qui est au sommet de l'histoire de l'homme selon Dieu».91
Nous rappelons en outre que l'une des tâches confiées aujourd'hui aux communautés de vie consacrée est celle «de développer la spiritualité de la communion d'abord à l'intérieur d'elles-mêmes, puis dans la communauté ecclésiale et au-delà de ses limites, en poursuivant constamment le dialogue de la charité, surtout là où le monde d'aujourd'hui est déchiré par la haine ethnique ou la folie homicide».92 Il s'agit d'une tâche quidemande des personnes spirituelles intérieurement forgées par le Dieu de la communion pleine d'amour et de miséricorde, et des communautés mûres où la spiritualité de communion est la règle de vie.

29 Mais qu'est-ce que la spiritualité de la communion? Par des paroles incisives, capables de renouveler les rapports et les programmes, Jean-Paul II enseigne: «Une spiritualité de la communion consiste avant tout en un regard du coeur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés». Et également: «Une spiritualité de la communion, cela veut dire la capacité d'être attentif, dans l'unité profonde du Corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme "l'un des nôtres"». De ce principe dérivent avec une logique implacable plusieurs conséquences de la façon de sentir et d'agir: partager les joies et les souffrances des frères; deviner leurs désirs et prendre soin de leurs besoins; leur offrir une amitié véritable et profonde. La spiritualité de la communion est également la capacité de voir surtout ce qu'il y a de positif dans l'autre, pour l'accueillir et le valoriser comme un don de Dieu; c'est savoir donner une place à son frère, en portant ensemble les fardeaux les uns des autres. Sans ce cheminement spirituel, les moyens extérieurs de la communion serviraient à bien peu de chose.93
La spiritualité de communion se présente comme l'atmosphère spirituelle de l'Église au début du troisième millénaire, tâche active et exemplaire de la vie consacrée à tous les niveaux. Il s'agit de la voie royale d'un avenir de vie et de témoignage. La sainteté et la mission passent par la communauté, parce que le Christ se fait présent en elle et à travers elle. Notre frère et notre soeur deviennent sacrement du Christ et de la rencontre avec Dieu, la possibilité concrète et, plus encore, la nécessité incontournable afin de pouvoir vivre le commandement de l'amour réciproque et donc la communion trinitaire.
Ces dernières années, les communautés et les divers types de fraternités de personnes consacrées ont toujours été davantage entendus comme des lieux de communion, où les relations apparaissent moins formelles et où l'accueil et la compréhension mutuelle sont facilités. On redécouvre également la valeur divine et humaine du fait d'être ensemble gratuitement, en tant que disciples, hommes et femmes, autour du Christ Maître, en toute amitié et en partageant aussi les moments de détente et de loisirs.
On remarque, en outre, une communion plus intense entre les diverses communautés au sein des Instituts. Les communautés multiculturelles et internationales, appelées à «entretenir le sens de la communion entre les peuples, les races, les cultures»,94 sont déjà une réalité positive dans bien des cas, où l'on fait l'expérience de la connaissance, du respect, de l'estime, de l'enrichissement mutuels. Elles se révèlent comme des lieux d'entraînement pour l'intégration et l'inculturation, et elles constituent en même temps un témoignage de l'universalité du message chrétien.
L'Exhortation Vita consecrata, en présentant cette forme de vie comme un signe de communion dans l'Église, a souligné toute la richesse et les exigences requises par la vie fraternelle. Notre Dicastère avait, quant à lui, précédemment promulgué le document Congregavit nos in unum Christi amor, sur la vie fraternelle en communauté. Chaque communauté devra périodiquement revenir à ces documents pour y confronter son propre chemin de foi et ses progrès dans la fraternité.

La communion entre les charismes anciens et nouveaux

30 La communion que les personnes consacrées sont appelées à vivre va bien au-delà de leur famille religieuse ou de leur Institut. En s'ouvrant à la communion avec les autres Instituts et les autres formes de consécration, elles peuvent élargir la communion, redécouvrir les racines évangéliques communes et saisir ensemble avec une plus grande clarté la beauté de leur identité dans la variété des charismes, comme des sarments de l'unique vigne. Elles devraient rivaliser dans l'affection réciproque (cf. Rm 12,10) pour parvenir au charisme le plus élevé, la charité (cf. 1Co 12,31) .
La rencontre et la solidarité entre les Instituts de vie consacrée doivent donc être encouragées, sachant que la communion est «étroitement liée à la capacité de la communauté chrétienne de donner une place à tous les dons de l'Esprit. L'unité de l'Église n'est pas uniformité, mais intégration organique des légitimes diversités. C'est la réalité des nombreux membres réunis en un seul corps, l'unique Corps du Christ (cf. 1Co 12,12)».95
Cela pourrait être le début d'une recherche solidaire de voies communes pour le service de l'Église. Des facteurs externes, comme le devoir de s'adapter aux nouvelles exigences des États, et des causes internes aux Instituts, comme la diminution de leurs membres, incitent déjà à coordonner les efforts dans le domaine de la formation, de la gestion des biens, de l'éducation, de l'évangélisation. Dans cette situation aussi, nous pouvons saisir l'invitation de l'Esprit à une communion toujours plus intense. Dans cette action, les Conférences des Supérieurs et des Supérieures majeurs, ainsi que les Conférences des Instituts séculiers doivent être soutenues, à tous les niveaux.
On ne peut plus affronter l'avenir dans la dispersion. Nous ressentons le besoin d'être Église, de vivre ensemble l'aventure de l'Esprit et de la sequela Christi, de communiquer les expériences de l'Évangile, en apprenant à aimer la communauté et la famille religieuse de l'autre comme la sienne. Les joies et les peines, les inquiétudes et les soucis peuvent être partagés et appartiennent à tous.
Le dialogue et la communion sont également nécessaires en ce qui concerne les nouvelles formes de vie évangélique. Ces nouvelles associations de vie évangélique, rappelle Vita consecrata, «ne remplacent pas les institutions antérieures, qui continuent à occuper la place éminente que la tradition leur a assignée. (...) Les Instituts anciens, dont beaucoup sont passés par le crible d'épreuves très dures, supportées avec courage au long des siècles, peuvent s'enrichir grâce au dialogue et à l'échange de dons avec les fondations qui naissent en notre temps».96
Enfin, de la rencontre et de la communion avec les charismes des mouvements ecclésiaux peut naître un enrichissement réciproque. Les mouvements peuvent souvent offrir un exemple de fraîcheur évangélique et charismatique, ainsi qu'une impulsion généreuse et créative à l'évangélisation. Pour leur part, les mouvements et les nouvelles formes de vie évangélique peuvent beaucoup apprendre du témoignage joyeux, fidèle et charismatique de la vie consacrée, qui conserve un très riche patrimoine spirituel, de multiples trésors de sagesse et d'expérience et une grande variété de formes d'apostolat et d'engagement missionnaire.
Notre Dicastère a déjà offert des critères et des orientations qui sont encore valables pour l'insertion de religieux et de religieuses dans les mouvements ecclésiaux.97 Ce que nous voudrions plutôt souligner est le rapport de connaissance et de collaboration, d'incitation et de partage qui pourrait s'instaurer non seulement entre les personnes mais aussi entre les Instituts, les mouvements ecclésiaux et les nouvelles formes de vie consacrée, en vue d'une croissance dans la vie de l'Esprit et de l'accomplissement de l'unique mission de l'Église. Il s'agit de charismes nés de l'impulsion de l'Esprit lui-même, en vue de la plénitude de la vie évangélique dans le monde, qui sont appelés à réaliser ensemble le même dessein de Dieu pour le salut de l'humanité. La spiritualité de la communion se réalise précisément aussi dans ce vaste dialogue de la fraternité évangélique entre tous les membres du Peuple de Dieu.98

En communion avec les laïcs

31 La communion vécue entre les personnes consacrées conduit à une ouverture encore plus grande, l'ouverture à tous les autres membres de l'Église. Le commandement de s'aimer les uns les autres, vécu au sein de la communauté, exige de passer du plan personnel au plan des différentes réalités ecclésiales. Ce n'est que dans une ecclésiologie intégrale, où les diverses vocations sont perçues au sein de l'unique Peuple des appelés, que la vocation à la vie consacrée peut retrouver son identité spécifique de signe et de témoignage. Aujourd'hui, on redécouvre toujours davantage le fait que les charismes des fondateurs et des fondatrices, qui ont été suscités par l'Esprit pour le bien de tous, doivent à nouveau être replacés au centre même de l'Église, ouverts à la communion et à la participation de tous les membres du peuple de Dieu.
Dans cette ligne, nous pouvons constater qu'est en train de s'instaurer un nouveau type de communion et de collaboration au sein des diverses vocations et des différents états de vie, en particulier entre les personnes consacrées et les laïcs.99 Les Instituts monastiques et contemplatifs peuvent offrir aux laïcs une relation essentiellement spirituelle et les espaces de silence et de prière nécessaires. Les Instituts engagés sur le front de l'apostolat peuvent les faire participer sous forme de collaboration pastorale. Les membres des Instituts séculiers, laïcs ou clercs, entretiennent des relations avec les autres fidèles sous les formes ordinaires de la vie quotidienne.100
La nouveauté de ces dernières années est surtout la demande, venant de certains laïcs, de participer aux idéaux charismatiques des Instituts. Des initiatives intéressantes et de nouvelles formes institutionnelles d'association aux Instituts en sont nées. Nous assistons à une nouvelle floraison authentique d'anciennes institutions, tels que les Ordres séculiers ou Tiers Ordres, et à la naissance de nouvelles associations de laïcs et de mouvements autour des Familles religieuses et des Instituts séculiers. Si la collaboration a eu lieu, parfois même dans un passé récent, sous forme de suppléance en raison de la carence des personnes consacrées nécessaires au déroulement des activités, elle naît à présent de l'exigence de partager les responsabilités non seulement dans la gestion des oeuvres de l'Institut, mais surtout dans l'aspiration à vivre des aspects et des moments spécifiques de la spiritualité et de la mission de l'Institut. On demande donc une formation appropriée des personnes consacrées et des laïcs pour une collaboration réciproque et enrichissante.
Si, à d'autres époques, ce sont surtout les religieux et les religieuses qui créèrent, qui nourrirent spirituellement et qui dirigèrent des regroupements de laïques, aujourd'hui, grâce à une formation toujours plus grande du laïcat, il peut exister une aide réciproque qui favorise la compréhension de la spécificité et de la beauté de chaque état de vie. La communion et la réciprocité dans l'Église ne sont jamais à sens unique. Dans ce nouveau climat de communion ecclésiale les prêtres, les religieux et les laïcs, loin de s'ignorer réciproquement ou de s'organiser uniquement en vue d'activités communes, peuvent retrouver le juste rapport de communion et une expérience renouvelée de fraternité évangélique et d'émulation charismatique mutuelle, dans une complémentarité toujours respectueuse de la diversité.
Une telle dynamique ecclésiale sera entièrement au bénéfice du renouvellement même et de l'identité de la vie consacrée. Lorsque la compréhension du charisme s'approfondit, on découvre toujours de nouvelles possibilités de réalisation.

En communion avec les Pasteurs

32 Dans ce rapport de communion ecclésiale avec toutes les vocations et les états de vie, un aspect tout à fait particulier est celui de l'unité avec les Pasteurs. Il serait vain de prétendre cultiver une spiritualité de communion sans un rapport effectif et affectif avec les Pasteurs, avant tout avec le Pape, centre de l'unité de l'Église, et avec son Magistère.
Il s'agit de l'application concrète du sentire cum Ecclesia, propre à tous les fidèles,101 qui brille en particulier chez les fondateurs et les fondatrices de la vie consacrée, et qui devient un engagement charismatique pour tous les Instituts. On ne peut pas contempler le visage du Christ sans le voir resplendir sur celui de son Église. Aimer le Christ signifie aimer l'Église dans ses personnes et ses institutions.
Aujourd'hui plus que jamais, face à des forces centrifuges récurrentes qui mettent en doute les principes fondamentaux de la foi et de la morale catholiques, les personnes consacrées et leurs institutions sont appelées à faire preuve d'une unité sans faille autour du Magistère de l'Église, en devenant des porte-parole convaincus et joyeux face au monde.
Il est opportun de souligner ce que le Pape affirmait déjà dans l'Exhortation Vita consecrata: «L'adhésion d'esprit et de coeur au magistère (du Pape et) des Évêques est un aspect déterminant de cette communion ecclésiale; elle doit être vécue avec loyauté et clairement manifestée devant le Peuple de Dieu par toutes les personnes consacrées, particulièrement celles qui sont engagées dans la recherche théologique, dans l'enseignement, dans les publications, dans la catéchèse, dans l'usage des moyens de communication sociale».102 En même temps, on reconnaît que de nombreux théologiens sont des religieux et que de nombreux instituts de recherche sont dirigés par des Institutsde vie consacrée. Ils exercent cette responsabilité dans le monde de la culture d'une façon digne d'éloges. L'Église considère avec une attention pleine de confiance leur engagement intellectuel face aux problématiques délicates de frontière que le Magistère doit aujourd'hui affronter.103
Les documents ecclésiaux des dernières décennies ont constamment repris la disposition conciliaire qui invitait les pasteurs à valoriser les charismes spécifiques dans la pastorale d'ensemble. En même temps, ils encouragent les personnes consacrées à faire connaître et à offrir avec clarté et confiance leurs propositions de présence et d'action, conformément à leur vocation spécifique.
Cela vaut également, d'une certaine façon, dans la relation avec le clergé diocésain. La majeure partie des religieux et de religieuses collaborent chaque jour avec les prêtres dans la pastorale. Il est donc indispensable de lancer toutes les initiatives possibles afin de parvenir à une connaissance et à une estime réciproques toujours plus grandes.
Ce n'est qu'en harmonie avec la spiritualité de communion et avec la pédagogie esquissée dans Novo millennio ineunte que pourra être reconnu le don que l'Esprit Saint fait à l'Église à travers les charismes de la vie consacrée. Dans la vie de l'Église le caractère essentiel commun de l'élément charismatique et de l'élément hiérarchique, que Jean-Paul II a maintes fois mentionné en s'adressant aux nouveaux mouvements ecclésiaux,104 vaut de manière spécifique pour la vie consacrée. L'amour et le service dans l'Église demandent à être toujours vécus dans la réciprocité d'une charité mutuelle.



Quatrième Partie

TÉMOINS DE L'AMOUR

Reconnaître et servir le Christ

33 Une existence transfigurée par les conseils évangéliques devient un témoignage prophétique et silencieux, et en même temps une protestation éloquente contre un monde inhumain. Elle engage à la promotion de la personne et réveille une nouvelle imagination de la charité. Nous l'avons vu chez les saints fondateurs. Cela se manifeste non seulement dans l'efficacité du service, mais surtout dans la capacité de se rendre solidaire avec ceux qui souffrent, de manière que le geste d'aide soit ressenti comme un partage fraternel. Cette forme d'évangélisation, accomplie à travers l'amour et le dévouement dans les oeuvres, assure un témoignage sans équivoque à la charité des paroles.105
À son tour, la vie de communion représente la première annonce de la vie consacrée, car elle est un signe efficace et une force d'attraction qui conduit à croire au Christ. La communion se fait alors elle-même mission, bien plus «la communion engendre la communion et se présente essentiellement comme communion missionnaire».106 Les communautés sont alors désireuses de suivre le Christ sur les chemins de l'histoire de l'homme,107 avec un engagement apostolique et un témoignage de vie en harmonie avec leur charisme.108 «Celui qui a vraiment rencontré le Christ ne peut le garder pour lui-même, il doit l'annoncer. Il faut un nouvel élan apostolique qui soit vécu comme un engagement quotidien des communautés et des groupes chrétiens».109

34 Quand on repart du Christ, la spiritualité de communion devient une solide et robuste spiritualité de l'action des disciples et des apôtres de son Royaume. Pour la vie consacrée, cela signifie s'engager dans le service de ses frères, dans lesquels on reconnaît le visage du Christ. Dans l'exercice de cette mission apostolique, être et faire sont inséparables car le mystère du Christ constitue le fondement absolu de toute action pastorale.110 La contribution des personnes consacrées à l'évangélisation réside «avant tout dans le témoignage d'une vie totalement donnée à Dieu et à leurs frères, par l'imitation du Sauveur qui, par amour de l'homme, s'est fait esclave».111 En participant à la mission de l'Église, les personnes consacrées ne se limitent pas à donner une partie de leur temps: elles donnent toute leur vie.
Dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, il semble que le Pape veuille entraîner toujours plus loin dans l'amour concret pour les pauvres: «Le siècle et le millénaire qui commencent devront encore voir, et il est même souhaitable qu'ils le voient avec une plus grande force, à quel degré de dévouement peut parvenir la charité envers les plus pauvres. Si nous sommes vraiment repartis de la contemplation du Christ, nous devrons savoir le découvrir surtout dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s'identifier: ``J'avais faim, et vous m'avez donné à manger; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli; j'étais nu, et vous m'avez habillé; j'étais malade et vous m'avez visité; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi'' (Mt 25,35-36) . Cette page n'est pas une simple invitation à la charité; c'est une page de christologie qui projette un rayon de lumière sur le mystère du Christ. C'est sur cette page, tout autant que sur la question de son orthodoxie, que l'Église mesure sa fidélité d'Épouse du Christ».112 Le Pape offre aussi une orientation concrète de spiritualité quand il invite à reconnaître dans la personne des pauvres une présence spéciale du Christ qui impose à l'Église une option préférentielle pour eux. C'est à travers cette option que les personnes consacrées113 doivent, elles aussi, témoigner «du style de l'amour de Dieu, de sa providence, de sa miséricorde».114

35 Le domaine dans lequel le Saint-Père invite à travailler est aussi vaste que le monde. En regardant ce panorama, la vie consacrée «doit apprendre à faire un acte de foi dans le Christ et à déchiffrer l'appel qu'il lance à partir de ce monde de la pauvreté».115 Harmoniser le souffle universel d'une vocation missionnaire avec l'insertion concrète dans un contexte précis et dans une Église particulière sera une exigence primordiale de toute activité apostolique.
Aux anciennes formes de pauvreté s'en sont ajoutées de nouvelles: la désespérance du non-sens, le piège de la drogue, la solitude du grand âge ou de la maladie, la mise à l'écart ou la discrimination sociale.116 Dans ses formes anciennes et nouvelles, la mission est avant tout un service de la dignité de la personne dans une société déshumanisée, car la première et la plus grave des pauvretés de notre temps, c'est de fouler au pied avec indifférence les droits de la personne humaine. Avec le dynamisme de la charité, du pardon et de la réconciliation, les personnes consacrées s'emploient à construire dans la justice un monde qui offre de nouvelles et meilleures possibilités à la vie ainsi que le développement des personnes. Pour que cette intervention soit efficace, il faut avoir un esprit de pauvre, purifié des intérêts égoïstes, prêt à assurer un service de paix et de non-violence, dans une attitude solidaire et pleine de compassion pour la souffrance d'autrui. Une façon de proclamer les paroles et de réaliser les oeuvres de Dieu, inaugurée par Jésus (cf. Lc 4,15-21) et vécue par l'Église primitive, que l'on ne peut oublier avec la conclusion du Jubilé ou au passage d'un millénaire, mais qui invite avec la plus grande urgence à concrétiser dans la charité un avenir différent. Il faut être prêt à payer le prix de la persécution, car en notre temps la cause la plus fréquente du martyre est le combat pour la justice par fidélité à l'Évangile. Jean-PaulII affirme que ce témoignage, «récemment encore, a conduit au martyre certains de vos frères et soeurs dans différentes parties du monde».117


2002 Repartir du christ - Prière et contemplation