1994 La vie fraternelle en communauté - 61. La paroisse

61. La paroisse

Il s'avère difficile en certains cas de coordonner vie paroissiale et vie communautaire.

Dans certaines régions, pour les religieux prêtres, la difficulté à mener la vie de communauté en exerçant le ministère paroissial crée bien des tensions. La vaste tâche de la pastorale paroissiale est accomplie parfois au détriment du charisme de l'institut et de la vie communautaire. Et cela jusqu'à faire perdre aux fidèles et au clergé séculier, et aux religieux eux-mêmes, la perception du caractère spécifique de la vie religieuse.

La nécessité et l'urgence des tâches pastorales ne doivent pas faire oublier que le meilleur service de la communauté religieuse à l'Eglise est d'être fidèle à son charisme. Il faudrait tenir compte de cela, quand il s'agit d'accepter et de prendre la responsabilité d' une paroisse: il faudrait privilégier les paroisses qui permettent de vivre en communauté et d'exprimer le charisme propre.

La communauté religieuse féminine, souvent sollicitée de participer plus directement à la pastorale paroissiale expérimente de semblables difficultés.

Il convient de le redire, l'insertion des religieuses sera d'autant plus fructueuse que leur communauté pourra mieux manifester son caractère charismatique(75). Ceci pourra être d'un grand profit, tant pour la communauté religieuse que pour la pastorale elle-même, dans laquelle les religieuses sont normalement bien acceptées et appréciées.


62. Les mouvements ecclésiaux.

Les mouvements ecclésiaux, compris au sens le plus large du mot, sont dotés d'une spiritualité robuste et d'une grande vitalité apostolique. Ils ont attiré l'attention de certains religieux qui s'y sont engagés et qui en retirent des fruits de renouvellement spirituel, de dévouement apostolique et de réveil de leur vocation. Mais ils ont parfois introduit la division dans la communauté religieuse. Il est opportun alors d'observer ce qui suit:

a) Certains mouvements sont simplement des mouvements d'animation; d'autres, au contraire, ont des projets apostoliques qui peuvent être incompatibles avec ceux de la communauté religieuse.

De même, le degré d'engagement des personnes consacrées dans les mouvements est variable: certaines y sont simplement présentes, d'autres y participent de façon occasionnelle, d'autres en sont membres stables, mais en pleine harmonie avec leur propre communauté et leur propre spiritualité.

Ceux qui par contre manifestent une appartenance prioritaire au mouvement et un éloignement psychologique vis-à-vis de leur institut, ceux-la font problème, parce qu'ils vivent intérieurement divisés. Ils demeurent dans la communauté, mais vivent selon les plans pastoraux et les directives du mouvement.

Il convient donc de faire un discernement sérieux entre mouvement et mouvement, engagement et engagement du religieux.

b) Les mouvements peuvent constituer un défi fécond pour la communauté religieuse, pour son tonus spirituel, pour la qualité de sa prière, le mordant de ses initiatives apostoliques, sa fidélité à l'Eglise, l'intensité de sa vie fraternelle. La communauté religieuse devrait être prête à rencontrer les mouvements, dans une attitude de connaissance réciproque, de dialogue et d'échange des dons.

Par ailleurs la grande tradition spirituelle, ascétique et mystique, de la vie religieuse et de l'institut religieux peut aussi être utile aux jeunes mouvements.

c) Le problème fondamental dans la relation avec les mouvements reste l'identité de la personne consacrée: si celle-ci est solide, la relation sera fructueuse de part et d'autre.

Aux religieux et religieuses qui semblent vivre davantage dans et pour le mouvement que dans et pour la communauté religieuse, il convient de rappeler ce que déclare Potissimum institutioni: «Un institut a une cohérence interne qu'il reçoit de sa nature, de son but, de son esprit, de son caractère et de ses traditions. Tout ce patrimoine constitue l'axe autour duquel se maintient à la fois l'identité et l'unité de l'institut lui-même et l'unité de vie de chacun de ses membres. C'est un don de l'Esprit à l'Eglise qui ne peut souffrir aucune interférence, ni aucun mélange. Le dialogue et le partage au sein de l'Eglise supposent que chacun ait bien conscience de ce qu'il est.

Un candidat à la vie religieuse (...) ne peut relever en même temps d'un responsable extérieur à l'institut auquel il appartient (...) et des supérieurs de l'institut.

Ces exigences demeurent au-delà de la profession religieuse, afin d'écarter tout phénomène de pluri-appartenance, au plan de la vie personnelle du religieux et au plan de sa mission"(76).

La participation à un mouvement sera positive pour le religieux et la religieuse, si elle renforce leur identité spécifique.


63. Quelques situations actuelles.

Insertion dans les milieux populaires.

Avec tant de frères dans la foi, les membres des communautés religieuses ont été parmi les premiers à aller à la rencontre des pauvretés matérielles et spirituelles de leur temps, sous des formes sans cesse renouvelées.

La pauvreté a été, ces dernier temps, l'un des thèmes qui ont le plus passionné et touché le coeur des religieux. La vie religieuse s'est demandé avec sérieux comment se rendre disponible pour "évangéliser les pauvres" (evangelizare pauperibus). Mais aussi comment "être évangélisé par les pauvres" (evangelizari a pauperibus), comment être en mesure de se laisser évangéliser au contact du monde des pauvres.

Dans cette grande mobilisation, où les religieux ont choisi d'être "tous pour les pauvres", "beaucoup avec les pauvres", "certains comme les pauvres", il convient de signaler ici quelques-unes des réalisations de ceux qui veulent "être comme les pauvres".

Face à l'appauvrissement de grandes couches de la population, surtout dans les zones abandonnées et à la périphéries des métropoles, ou dans les zones rurales oubliées, des "communautés religieuses d'insertion" se sont constituées. Elles sont une des expressions de l'option évangélique préférentielle et solidaire pour les pauvres, afin de les accompagner dans leur processus de libération intégrale. Mais elles sont aussi le fruit du désir de découvrir le Christ pauvre dans le frère marginalisé afin de Le servir et de se conformer à Lui.

a) "L'insertion" comme idéal de vie religieuse se développe, dans le contexte du mouvement de foi et de solidarité des communautés religieuses envers les plus pauvres.

Cette réalité ne peut que susciter l'admiration, pour la somme de dévouement personnel et pour les grands sacrifices qu'elle comporte, pour un amour des pauvres qui porte à partager leur réelle et dure pauvreté, pour l'effort en vue de rendre l'Evangile présent dans des couches de population sans espérance, afin de les rapprocher de la Parole de Dieu et de leur faire sentir qu'ils sont une part vivante de l'Eglise(77). Souvent ces communautés se trouvent dans des lieux fortement marqués par un climat de violence qui engendre l'insécurité, parfois même la persécution jusqu'au péril de la vie. Le courage de ces religieux et religieuses est grand, et demeure un clair témoignage de l'espérance qu'il est possible de vivre en frères, malgré toutes les situations de souffrance et d'injustice.

Envoyées aux avant-postes de la mission, témoins parfois de la créativité apostolique des fondateurs, ces communautés religieuses doivent pouvoir compter sur la sympathie et la prière fraternelle des autres membres de l'institut, et sur la sollicitude particulière des supérieurs(78) .

b) Ces communautés ne doivent pas être abandonnées à elles-mêmes: il faut au contraire les aider, afin qu'elles parviennent à mener la vie communautaire, c'est-à-dire qu'elles aient des espaces pour la prière et pour des échanges fraternels; qu'elles ne soient pas conduites à relativiser l'originalité du charisme de leur institut au nom d'un service indistinct des pauvres; et pour que leur témoignage évangélique ne soit pas altéré par des interprétations ou des instrumentalisations partisanes(79) .

Les supérieurs auront soin de choisir les personnes adaptées et de préparer ces communautés, en sort que soit assurée la liaison avec les autres communautés de l'institut, e que soit garantie leur durée.

c) Il faut louer de même les autres communautés religieuses qui s'intéressent de manière active aux pauvres, dans les formes traditionnelles ou dans des formes nouvelles adaptées aux nouvelles pauvretés, ou par la sensibilisation de tous les milieux aux problèmes de la pauvreté, suscitant chez les laïcs la disponibilité au service, les vocations à l'engagement social et politique, l'organisation de secours, le volontariat.

Tout cela atteste que, dans l'Eglise, la foi est vive et la charité agissante vis-à-vis du Christ présent dans le pauvre: "Tout ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25,4O).

Là où l'insertion parmi les pauvres est devenue, pour les pauvres et pour la communauté elle-même, une vraie expérience de Dieu, on a vu combien il est vrai d'affirmer que les pauvres sont évangélisés et que les pauvres évangélisent.


64. Petites communautés

a) D'autres réalités sociales ont influé sur les communautés. Dans certaines régions économiquement plus développées, l'Etat a étendu son action dans les domaines de l'enseignement, de la santé, de l'assistance, souvent de telle façon qu'aucune place n'est laissée à d'autres intervenants parmi lesquels les communautés religieuses. D'autre part, la diminution du nombre des religieux et religieuses et ici et là une vision incomplète de la présence des catholiques dans l'action sociale, comprise plus comme une suppléance que comme une manifestation originale de charité chrétienne, ont rendu difficile la gestion d'oeuvres complexes.

D'où l'abandon progressif des oeuvres traditionnelles, depuis longtemps régies par des communautés importantes et homogènes, et la multiplication de petites communautés rendant des services d'un genre nouveau, le plus souvent en harmonie avec le charisme de l'institut.

b) Les petites communautés se sont multipliées également par choix délibéré de certains instituts, dans l'intention de favoriser l'union fraternelle et la collaboration par des relations plus étroites entre les personnes, et par une répartition plus large des responsabilités.

De telles communautés, comme le reconnaît Evangelica Testificatio(80) sont certainement possibles, même si elles se révèlent plus exigeantes pour leurs membres.

c) Les petites communautés, souvent établies en étroit contact avec la vie de tous les jours et avec les problèmes des gens, mais aussi plus exposées à l'influence de la mentalité sécularisée, ont le grand devoir d'être visiblement des lieux de joyeuse fraternité, de dévouement génereux et d'espérance transcendante.

Il est donc nécessaire qu'elles se donnent un projet de vie solide, souple mais comportant des obligations, approuvé par l'autorité compétente, afin d'assurer à l'apostolat sa dimension communautaire. Ce programme sera adapté aux personnes et aux exigences de la mission, de façon à favoriser l'équilibre entre prière et activité, entre moments d'intimité communautaire et travail apostolique. En outre il prévoira des rencontres périodiques avec d'autres communautés du même institut, pour éviter le danger de l'isolement et de la marginalisation vis-à-vis de la grande communauté de l'institut.

d) Normalement il n'est pas recommandé qu'un institut soit constitué uniquement de petites communautés, même si celles-ci peuvent présenter des avantages. Les communautés plus nombreuses sont nécessaires. Elles peuvent offrir à l'institut entier aussi bien qu'aux petites communautés des services appréciables, par exemple, cultiver avec plus d'intensité et de richesse la vie de prière et les célébrations, être des lieux privilégiés pour l'étude et la réflexion, offrir la possibilité de retraite et de repos aux membres qui travaillent en des territoires plus difficiles de la mission évangélisatrice.

Cet échange d'une communauté à l'autre est rendu fécond par un climat de bienveillance et d'accueil.

Par-dessus tout, que toutes les communautés soient reconnaissables par leur fraternité, leur simplicité de vie, l'accomplissement de la mission au nom de la communauté, la fidélité tenace au charisme de l'institut, la constante diffusion de "la bonne odeur du Christ" (2 Co 2,15). À l'homme égaré et divisé de la société actuelle, elles indiqueront ainsi, dans les situations les plus diverses les "chemins de la paix".


65. Religieux et religieuses qui vivent seuls

Une réalité qu'on rencontre quelquefois est celle des religieux et religieuses qui vivent seuls. La vie commune dans une maison de l'institut est essentielle à la vie religieuse. "Les religieux doivent habiter leur propre maison religieuse, en observant la vie commune. Ils ne doivent pas vivre seuls sans motifs sérieux, surtout si une communauté de leur institut se trouve dans le voisinage"(81) .

Il y a cependant des exceptions, qui doivent être évaluées et peuvent être autorisées par le supérieur(82), pour des motifs d'apostolat au nom de l'institut (par exemple, des engagements requis par l'Eglise, des missions extraordinaires, de grandes distances en territoires de mission, la réduction progressive d'une communauté à un seul religieux dans une oeuvre de l'institut), pour des motifs de santé ou d'étude.

Il appartient aux Supérieurs d'entretenir de fréquents contacts avec les confrères qui vivent hors communauté. Et ceux-ci ont la responsabilité d'entretenir en eux-mêmes le sentiment de l'appartenance à l'institut et de la communion avec ses membres, en cherchant tous les moyens aptes à favoriser le raffermissement des liens fraternels. A cette fin, on créera des "temps forts" consacrés à vivre ensemble; on organisera des rencontres périodiques avec les autres religieux, pour la formation, le dialogue fraternel, la vérification et la prière, et pour respirer un air de famille. Où qu'elle se trouve, la personne qui appartient à un institut doit être porteuse du charisme de sa famille religieuse.

Mais le religieux "seul" n'est jamais un idéal. La règle est l'insertion dans une communauté fraternelle: c'est à cette vie menée en commun que la personne s'est consacrée, c'est dans ce genre de vie qu'elle accomplit normalement son apostolat, et elle revient à cette vie par le coeur et par la présence, lorsqu'elle doit par nécessité vivre au loin durant un temps plus ou moins long.

a) Les exigences d'une même oeuvre apostolique, par exemple diocésaine, ont porté différents instituts à envoyer un de leurs membres collaborer dans une équipe de travail intercongrégationnelle. Il existe des expériences positives de religieuses qui collaborent au service de la même oeuvre dans une localité où il n'y a pas de communauté de leur institut. Plutôt que de vivre seules, elles vivent ensemble dans une même maison, prient en commun, ont des réunions pour réfléchir sur la parole de Dieu, prennent ensemble leurs repas, se partagent les travaux domestiques, etc. Bien que ce type de "vie communautaire" n'ait pas la prétention de remplacer la communication vivante de chacune avec son institut, il peut être avantageux pour l'oeuvre et pour les religieuses elles-mêmes.

Les religieux et les religieuses n'accepteront qu'avec prudence des travaux qui requièrent de vivre en dehors de leur communauté, et les supérieurs ne les leur confieront qu'avec la même prudence.

b) La demande d'aller soigner les parents âgés et malades, qui entraîne souvent de longues absences hors de la communauté, necessite un discernement consciencieux; des solutions différentes peuvent être trouvées pour éviter des absences trop prolongées du fils ou de la fille.

c) Il faut noter que le religieux qui vit seul sans envoi ou permission du supérieur, se soustrait à l'obligation de la vie commune. Il n'est pas suffisant de participer à quelques réunions ou à quelques fêtes pour être vraiment religieux. On doit agir en vue de la disparition progressive de ces situations injustifiées et inadmissibles pour des religieux et des religieuses.

d) En tout cas, il est utile de rappeler qu'une religieuse ou un religieux, même quand ils habitent hors de leur communauté, sont soumis, en ce qui concerne leur oeuvre d'apostolat(83), au pouvoir de l'Evêque: celui-ci doit être mis au courant de leur présence dans le diocèse.

e) S'il se trouvait malheureusement des instituts dans la majorité des membres ne vivait plus en communauté, ces instituts ne pourraient plus être considérés comme instituts religieux. Les Supérieurs et les religieux sont invités à réfléchir sérieusement sur cette triste éventualité et donc sur l'importance de reprendre vigoureusement la pratique de la vie fraternelle menée en communauté.


66. Dans les jeunes Eglises et les terres de mission

La vie fraternelle en commun a une valeur spéciale dans les territoires de mission ad gentes, parce qu'elle montre au monde, surtout non chrétien la nouveauté du christianisme, c'est-à-dire la charité capable de dépasser les divisions créées par la race, la couleur, la tribu. Les communautés religieuses, dans certains pays où on ne peut pas proclamer l'Evangile, restent par leur témoignage silencieux et efficace, le signe presque unique du Christ et de l'Eglise.

Mais, assez souvent, c'est justement dans ces regions qu'on rencontre des difficultés pratiques notables pour construire des communautés religieuses stables et solides, comme les distances, qui demandent une grande mobilité et une présence dispersée, l'appartenance à des races, tribus et cultures différentes, la nécessité de la formation dans des centres intercongrégationnels. Ces motifs et d'autres peuvent gêner l'idéal communautaire.

L'important est que les membres des instituts soient conscients du caractère exceptionnel de ces situations. Qu'ils entretiennent une communication fréquente entre eux, qu'ils favorisent des rencontres communautaires périodiques, et que, dès que possible, ils forment des communautés religieuses fraternelles de forte signification missionnaire, afin que puisse être déployé le signe par excellence: "que tous soient uns (...) afin que le monde croie" (Jn 17,21).


67. La réorganisation des oeuvres

Les changements survenus dans les domaines culturel et ecclésial, les facteurs internes de développement des instituts et la variation de leurs ressources, peuvent exiger une réorganisation des oeuvres et de la présence des communautés religieuses.

Cette entreprise, qui n'est pas facile, a des répercussions concrètes de type communautaire. Il s'agit en effet généralement d'oeuvres dans lesquelles beaucoup de frères et de soeurs ont dépensé le meilleur de leurs énergies apostoliques et auxquelles ils sont liés par des liens spéciaux psychologiques et spirituels.

L'avenir de ces présences, leur signification apostolique et leur restructuration demandent étude, dialogue, discernement. Tout cela peut devenir une école où l'on apprend à rechercher la volonté de Dieu et à la suivre, mais ce peut être en même temps l'occasion de conflits douloureux peu faciles à surmonter.

Pur éclairer les communautés au moment de décisions parfois audacieuses et douloureuses, ont ne peut oublier les critères suivants: le devoir de sauvegarder l'expression du charisme propre dans un milieu déterminé, la préoccupation de maintenir vivante une authentique vie fraternelle, et l'attention aux besoins de l'Eglise particulière. Un dialogue confiant et soutenu est donc nécessaire avec l'Eglise particulière, ainsi qu'une liaison efficace avec les organismes de communion des religieux.

Attentive aux besoins de l'Eglise particulière, la communauté religieuse doit se sentir interpellée aussi par ce que le monde néglige, c'est-à-dire par les nouvelles pauvretés et misères sous les formes multiples où celles-ci se présentent, dans les différentes régions du monde.

La réorganisation sera créative et source d'indications prophétiques, si l'on se préoccupe de lancer les signaux de nouvelles présences, même numériquement modestes, prêtes à répondre aux nouveaux besoins, surtout à ceux qui proviennent des lieux les plus abandonnés et les plus oubliés.


68. Les religieux âgés

Une des situations que la vie communautaire rencontre le plus fréquemment est l'augmentation progressive de l'âge de ses membres. Le vieillessement a acquis une importance particulière, soit à cause de la diminution des nouvelles vocations, soit du fait des progrès de la médecine.

Pour les communautés, cette situation comporte d'une part la préoccupation d'accueillir et de valoriser en leur sein la présence de ces frères et soeurs âgés et les prestations qu'ils peuvent offrir, d'autre part l'attention à procurer fraternellement, et selon le style de la vie consacrée, les moyens d'assistance matérielle et spirituelle dont les anciens ont besoin.

La présence des personnes âgées dans les communautés peut être très positive. Un religieux ancien qui ne se laisse pas vaincre par les infirmités et les limites de son âge, mais garde la joie, l'amour et l'espérance est un soutien d'une incalculable valeur pour les jeunes. Son témoignage, sa sagesse, sa prière constituent un encouragement permanent dans leur cheminement spirituel et apostolique. D'autre part, un religieux qui se préoccupe de ses propres frères anciens confère une crédibilité évangélique à son institut comme «vraie famille convoquée au nom du Seigneur»(84).

Il est bon aussi que les personnes consacrées se préparent de loin à vieillir et à demeurer plus longtemps en activité. Ils apprendront à découvrir leur nouvelle façon de construire la communauté et de collaborer à la mission commune, en améliorant leur capacité de répondre positivement aux défis de l'avancée en âge, leur vivacité spirituelle et culturelle, leur prière, et en assurant leur permanence dans le travail aussi longtemps qu'il leur est possible de rendre un service, même limité. Les Supérieurs prévoiront des cours et des rencontres pour une préparation personnelle et une valorisation aussi prolongée que possible dans les milieux normaux de travail.

Quand, ensuite, les anciens perdront leur autonomie ou auront besoin de soins particuliers, même si les soins sont donnés par des laïcs, l'institut devra beaucoup se soucier de l'animation, de sorte que les personnes se sentent insérées dans la vie de l'institut, participant à sa mission, engagées dans son dynamisme apostolique, soulagées dans leur solitude, encouragées dans leur souffrance. Car, non seulement elles ne quittent pas la mission, mais elles se trouvent en son coeur même, et y participent avec une efficacité nouvelle.

Leur fécondité, même si elle est invisible, n'est pas inférieure à celle des communautés plus actives. Bien plus, ces dernières puisent force et fécondité dans la prière, les souffrances et l'apparente inutilité des anciens. La mission a besoin des deux: les fruits seront rendus manifestes quand le Seigneur viendra dans la gloire avec ses anges.


69. Les problèmes posés par le nombre croissant des anciens deviennent encore plus importants dans certains monastères qui ont subi l'appauvrissement des vocations. Parce qu'un monastère est normalement une communauté autonome, il lui est difficile de surmonter tout seul ces problèmes. Il importe donc de rappeler l'importance des organismes de communion, par exemple les fédérations, en vue de surmonter les situations d'excessive péneurie de personnes.

Lorsqu'une communauté monastique, en raison du nombre de ses membres, de leur âge ou du manque de vocations, prévoit sa propre extinction, la fidélité à la vie contemplative des moniales requiert l'union avec un autre monastère du même Ordre. De même, dans les cas douloureux de communautés qui ne réussissent pas à vivre conformément à leur propre vocation, fatiguées par des travaux matériels ou par la charge de membres âgés ou malades, il sera nécessaire de chercher des renforts du même Ordre ou de choisir l'union ou la fusion avec un autre monastère(85).


70. Un nouveau rapport avec les laïcs

L'ecclésiologie conciliaire a mis en lumière la complémentarité des différentes vocations dans l'Eglise, appelées à être ensemble les témoins du Seigneur ressuscité en toutes situations et en tout lieu. La rencontre et la collaboration entre religieux, religieuses et fidèles laïcs, apparaît comme un exemple spéciales de communion ecclésiale, en même temps qu'elle fortifie les énergies apostoliques pour l'évangélisation du monde.

Un contact adapté entre les valeurs propres à la vocation laïque, comme la perception plus concrète de la vie du monde, de la culture, de la politique, de l'économie, et les valeurs propres de la vie religieuse, comme la radicalité de la suite du Christ, la dimension contemplative et eschatologique de l'existence chrétienne, peut devenir un fécond échange de dons entre les fidèles laïcs et les communautés religieuses.

La collaboration et l'échange des dons deviennent plus intenses quand des groupes de laïcs, au sein de la même famille spirituelle, participent par vocation et à leur manière propre, au charisme et à la mission de l'institut. On nouera alors des relations fructueuses, basées sur des rapports de mûre corresponsabilité et soutenues par d'opportuns itinéraires de formation à la spiritualité de l'institut.

Cependant, pour atteindre un tel objectif, il est nécessaire d'avoir des communautés religieuses ayant une claire identité charismatique assimilée et vécue, capables par consequent de la communiquer aux autres et disponibles au partage; des communautés religieuses, vivant une intense spiritualité et un esprit missionnaire enthousiaste, pour transmettre le même esprit et le même élan évangélisateur; des communautés religieuses qui sachent animer et encourager les laïcs à partager le charisme de leur institut selon leur caractère séculier et leur style de vie différent, les invitant à découvrir de nouvelles formes de mise en oeuvre de ce charisme et de la mission. Ainsi la communauté religieuse peut devenir un centre d'irradiation, de force spirituelle, d'animation, de fraternité qui crée la fraternité, de communion et collaboration ecclésiale, les apports différents contribuant à la construction du Corps du Christ qui est l'Eglise.

Naturellement cette collaboration la plus étroite doit se développer, dans le respect réciproque des vocations et des styles de vie propres aux religieux et aux laïcs.

La communauté religieuse a ses exigences d'animation, d'horaire, de discipline et de réserve(86), qui rendent impensables certaines formes de collaboration comportant la cohabitation et la vie menée en commun par de religieux et des laïcs; ceux-ci ont d'ailleurs aussi des exigences propres qu'il faut respecter.

Autrement la communauté religieuse perdrait la physionomie qui est la sienne et qu'elle doit conserver en maintenant son propre style de vie commune.


CONCLUSION


71. La communauté religieuse, comme expression d'Eglise, est fruit de l'Esprit et participation à la communion trinitaire. D'où le devoir de chacun et de tous les religieux et religieuses de se sentir corresponsables de la vie fraternelle menée en commun, afin de manifester clairement l'appartenance au Christ qui choisit et appelle les frères et les soeurs à vivre ensemble en son nom.

«Toute la fécondité de la vie religieuse dépend de la qualité de la vie fraternelle menée en commun. Plus encore, le renouvellement actuel dans l'Eglise et dans la vie religieuse est caractérisé par une recherche de communion et de communauté»(87).

Pour certaines personnes consacrées et pour certaines communautés, la reconstruction d'une vie fraternelle menée en commun peut sembler une entreprise ardue et même utopique. Face à certaines blessures du passé et aux difficultés du présent, la tâche peut sembler dépasser les pauvres forces humaines.

Il s'agit de reprendre avec foi la réflexion sur le sens théologal de la vie communautaire, de se convaincre qu'à travers elle passe le témoignage de la consécration.

«La réponse à cette invitation à édifier la communauté avec le Seigneur, avec une patience quotidienne, - dit encore le Saint-Père - passe par le chemin de la croix, suppose de fréquents renoncements à soi-même...»(88).

Unies à Marie, la Mère de Jésus, nos communautés invoquent l'Esprit, Lui qui a le pouvoir de créer des fraternités rayonnant la joie de l'Evangile, capables d'attirer de nouveaux disciples, suivant l'exemple de la communauté primitive: "ils étaient assidus à l'enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et à la prière" (Ac.2,42), "et le nombre des hommes et des femmes qui croyaient dans le Seigneur ne cessait de croître" (Ac.5,14).

Que Marie tienne unies autour d'elle les communautés religieuses et les soutienne chaque jour dans l'invocation de l'Esprit, lien, ferment et source de toute fraternité.

Le 15 janvier 1994, le Saint-Père a approuvé le présent document de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique et en a autorisé la publication.

Rome, le 2 février 1994, Fête de la Présentation du Seigneur


Eduardo Card. Martínez Somalo

Préfet


+ Francisco Javier Errázuriz Ossa

Secrétaire




NOTES

(1) PC 2.

(2) cf. PC 2-4.

(3) cf. LG 44d.

(4) cf. PC 15a; LG 44c.

(5) cf. MR, 11.

(6) LG 12.

(7) cf MR 14.

(8) cf. ET 30-39; MR 2, 3, 10, 14; EE 18-22; PI 25-28; cf. aussi can. 602.

(9) Can. 594 $ 1

(10) cf. PC 15.

(11) Can. 602; 619.

(12) can. 6O7 $ 2.

(13) can. 602.

(14) cf. can. 608, 665.

(15) cf. can. 731 $ 1.

(16) cf. can. 6O7 $ 2; et aussi can. 6O2.

(17) cf. can. 587.

(18) cf. SD 178, 18O.

(19) cf. Mulieris Dignitatem; voir aussi: GS 9,6O.

(20) cf. PC 15a; can. 602.

(21) cf. GS 3.

(22) cf. LG 7.

(23) cf. LG 4; MR 2.

(24) cf. PC 1; EE 18-22.

(25)cf. PC 1.

(26) RPH 24.

(27) cf. PI 21-22.

(28) DC 15.

(29) cf. can. 663 $ 3; et 6O8.

(30) cf. PO 6; PC 6.

(31) cf. can. 608.

(32) cf. PO 6.

(33) Cf. Can. 663 $ 4.

(34) DC 15.

(35) cf. PI 32-34, 87.

(36) cf.LG 46b.

(37) can. 602; PC 15a

(38) ET 39.

(39) PC 14.

(40) Can. 619.

(41) ET 39; EE 19.

(42) S. Hilaire, Tract.sup.Ps. I, 132; PL Suppl.I,244.

(43) cf. supra: nn. 14, 16, 28 et 31.

(44) cf. DC 14; PI 13; can. 666.

(45) LG 46.

(46) ibidem.

(47) cf. EE 45.

(48) ibidem.

(49) EE 47.

(50) cf. LG 44.

(51) PI 43.

(52) cf. PI 43, 51, 63.

(53) PI 52.

(54) PC 14c; can.618; EE 49.

(55) EE 22; voir aussi MR 12.

(56) cf. ET 4O.

(57) cf. PI 66-69.

(58) cf. RPH 25.

(59) MR 13.

(60) PC 12; cf. can. 607.

(61) EE 18; cf. MR 11-12.

(62) cf. MR 11.

(63) cf. MR 11-12; EE 11, 41.

(64) can. 619.

(65) can. 618.

(66) cf. ibid.

(67) can. 619.

(68) cf. PC 14; EE 49.

(69) Jean-Paul II à la Plenaria de la CIVCSVA (le 2O.11.1992), in OR 21.11.1992, n.3.

(70)cf. LG 1.

(71) Jean-Paul II à la Plenaria de la CIVCSVA (le 2O.11.1992), n.4.

(72) ChL 32; cf. PO 2.

(73) LG 46a .

(74) cf. MR 30b, 47.

(75) MR 49-50.

(76) PI 93.

(77) cf. SD 85.

(78) cf. RPH 6; EN 69; SD 92.

(79) cf PI 28.

(80) cf. ET 40.

(81) EE III, 12.

(82) cf. can. 665 $ 1.

(83) cf. can. 678 $ 1.

(84) PC 15a.

(85) cf PC 21 et 22.

(86) cf. cann. 667, 6O7 $ 3.

(87) Jean-Paul II à la Plenaria de la CIVCSVA (le 2O.11.1992), n.3.

(88) ibid, n. 2 .



SIGLES

DOCUMENTS DU CONCILE VATICAN II

DV Constitution dogmatique Dei Verbum, 1965.

GS Constitution pastorale Gaudium et Spes, 1965.

LG Constitution dogmatique Lumen Gentium, 1964.

PC Décret Perfectae Caritatis, 1965.

PO Décret Presbyterorum Ordinis, 1965.

SC Constitution Sacrosanctum Concilium, 1963.

DOCUMENTS DES PAPES

ChL Exhortation Apostolique Christifideles Laici, Jean-Paul II, 1989.

EN Exhortation Apostolique Evangelii Nuntiandi, Paul VI, 1975.

ET Exhortation Apostolique Evangelica Testificatio, Paul VI, 1971.

MD Lettre Apostolique Mulieris Dignitatem, Jean-Paul II, 1988.

MM Encyclique Mater et Magistra, Jean XXIII, 1961.

DOCUMENTS DU SAINT-SIEGE

can. canon du Code de droit canonique, 1983.

DC Dimension Contemplative de la vie religieuse, Congrégation pour les Religieux et Instituts séculiers (CRIS) 1980.

EE Éléments essentiels de la doctrine de l'Église sur la vie consacrée (CRIS), 1980.

MR Document Mutuae Relationes, Congrégation pour le Evêques et CRIS,1978.

PI Document Potissimum Institutioni (CIVCSVA),1990, Directives sur la formation dans les Instituts religieux.

RPH Religieux et Promotion humaine (CRIS), 1980.

AUTRES SIGLES

CIVCSVA Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique.

OR L'Osservatore Romano.

SD Saint-Domingue, Conclusions de la IVe Assemblée générale de l'Episcopat Latino-américain, 1992.



TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

Évolution théologique

Évolution canonique

Évolution dans la société

Changements dans la vie religieuse

Objectifs du document

Chapitre I

LE DON DE LA COMMUNION ET DE LA COMMUNAUTÉ

L'Eglise comme communion

La communauté religieuse, expression de la communion ecclésiale

Chapitre II

LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE, LIEU OÙ L'ON DEVIENT FRERES ET SURS

Spiritualité et prière commune

Liberté personnelle et construction de la fraternité

Communiquer pour croître ensemble

Communauté religieuse et maturation de la personne

L'identité

L'affectivité

Les difficultés

Du "je" au "nous"

Etre une communauté en formation permanente

La dimension communautaire des conseils évangéliques

Le charisme

L'autorité au service de la fraternité

La fraternité comme signe

Chapitre III

LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE, LIEU ET SUJET DE LA MISSION

Communauté religieuse et Mission

Dans l'Eglise particulière

La paroisse

Les mouvements ecclésiaux

Quelques situations actuelles

Insertion dans les milieux populaires

Petites communautés

Religieux et religieuses qui vivent seuls

Dans les jeunes Eglises et les terres de mission

La réorganisation des oeuvres

Les religieux agés

Un nouveau rapport avec avec les laïcs

CONCLUSION
1994 La vie fraternelle en communauté - 61. La paroisse