1997 De nouvelles vocations pour une nouvelle Europe 13
13 Un nouveau discours sur la vocation et sur les vocations, sur la culture et sur la pastorale des vocations s'impose donc. Le Congrès a voulu accueillir une certaine sensibilité, désormais largement diffuse sur ces thèmes, proposant toutefois en même temps un «'sursaut' idéal pour ouvrir de nouveaux printemps dans nos Eglises».(14)
a) Vocation et vocations
Tout comme la sainteté s'adresse à tous les baptisés en JésusChrist, de même il existe une vocation spécifique pour tout vivant. Et, de même que la première est enracinée dans le Baptême, la seconde est liée au simple fait d'exister. La vocation est la pensée providentielle du Créateur sur chaque créature, elle est son idée-projet, comme un rêve qui tient à coeur à Dieu parce que la créature lui tient à coeur. Dieu le Père veut qu'elle soit différente et spécifique pour chaque vivant.
L'être humain, en effet, est «appelé» à la vie et, quand il vient à la vie, il porte et retrouve en lui l'image de Celui qui l'a appelé.
La vocation est la proposition divine pour se réaliser selon cette image; elle est unique et singulière précisément parce que cette image est inépuisable. Chaque créature dit et est appelée à exprimer un aspect particulier de la pensée de Dieu. C'est là qu'elle trouve son nom et son identité, qu'elle affirme et qu'elle met en sécurité sa liberté et son originalité.
Donc, si chaque être humain possède sa propre vocation dès le moment de sa naissance, il existe dans l'Eglise et dans le monde différentes vocations qui, sur le plan théologique, expriment la ressemblance divine imprimée dans l'homme et, au niveau pastoral et ecclésial, répondent aux diverses exigences de la nouvelle évangélisation, en enrichissant la dynamique et la communion ecclésiales: «L'Eglise particulière est comme un jardin fleuri, possédant une grande variété de dons et de charismes, de mouvements et de ministères. D'où l'importance du témoignage de la communion entre eux, en laissant de côté tout esprit de 'concurrence'».(15)
Bien plus, le Congrès a explicitement affirmé qu'«il faut s'ouvrir à de nouveaux charismes et ministères, peut-être différents des charismes et ministères habituels. La place du laïcat et sa mise en valeur sont un signe des temps qu'il nous faut encore découvrir. Il se révèle toujours plus fructueux».(16)
b) Une culture de la vocation
Ces éléments pénètrent peu à peu dans la conscience des croyants mais pas encore assez pour créer une véritable culture des vocations,(17) capable de franchir les limites de la communauté des croyants. Voilà pourquoi le Saint-Père, dans son Discours aux participants au Congrès, souhaite que l'attention patiente et constante de la communauté chrétienne au mystère de l'appel divin entraîne une «nouvelle culture des vocations chez les jeunes et dans les familles».(18)
Celle-ci est un élément de la nouvelle évangélisation. Elle est culture de la vie et de l'ouverture à la vie, du sens de la vie, mais aussi de la mort.
Elle se réfère en particulier à des valeurs, peut-être un peu oubliées, d'une certaine mentalité émergente («culture de mort» selon certains), comme la gratitude, l'accueil du mystère, le sens de l'inachevé chez l'homme et en même temps de son ouverture à la transcendance, sa disponibilité à se laisser appeler par un autre (ou par un Autre) et interpeller par la vie, sa confiance en soi et dans le prochain, sa liberté de s'émouvoir face au don reçu, face à l'affection, à la compréhension, au pardon, en découvrant que ce que l'on a reçu est toujours immérité, excède toujours sa propre mesure et est source de responsabilité à l'égard de la vie.
Font encore partie de cette culture des vocations la capacité à rêver et à désirer en grand, la stupeur qui permet d'apprécier la beauté et de la choisir pour sa valeur intrinsèque, parce qu'elle rend la vie belle et vraie, l'altruisme qui n'est pas seulement solidarité dans l'urgence, mais qui naît de la découverte de la dignité de chaque frère.
A la culture de la distraction, qui risque de perdre de vue et d'annuler les interrogations sérieuses dans la surabondance des mots, il faut opposer une culture capable de retrouver le courage et le goût des grandes questions, celles qui ont trait à l'avenir: ce sont les grandes questions, en effet, qui rendent grandes aussi les petites réponses. Mais ce sont ensuite les petites réponses au quotidien qui provoquent les grandes décisions, comme celle de la foi, ou qui créent une culture, comme celle des vocations.
Quoi qu'il en soit la culture des vocations, en tant qu'ensemble de valeurs, doit passer toujours plus d'une conscience ecclésiale à une conscience civile, de la conscience du croyant ou de la communauté croyante à la conviction universelle de ne pouvoir construire aucun futur pour l'Europe de l'an 2000 sur un modèle d'homme sans vocation. De fait, le Pape ajoute: «Le malaise qui traverse le monde des jeunes révèle, notamment chez les nouvelles générations, des questions pressantes sur le sens de l'existence, confirmant ainsi que rien ni personne ne peut étouffer la question du sens et le désir de vérité. Pour beaucoup, c'est le terrain sur lequel se joue la recherche de vocation».(19)
Ce sont précisément cette demande et ce désir qui font naître une authentique culture de la vocation. Et, si demande et désir sont au coeur de chaque homme, même de ceux qui les nient, alors cette culture pourrait devenir une sorte de terrain commun où la conscience croyante rencontre la conscience laïque et se confronte à elle. Elle lui donnera, avec générosité et transparence, cette sagesse qu'elle a reçue d'en haut.
Cette nouvelle culture deviendra ainsi un véritable terrain de nouvelle évangélisation où pourrait naître un nouveau modèle d'homme et où pourraient fleurir aussi une nouvelle sainteté et de nouvelles vocations pour l'Europe de l'an 2000. En effet, la pénurie des vocations spécifiques les vocations au pluriel est surtout absence de conscience vocationnelle de la vie la vocation au singulier , c'est-à-dire absence de culture de la vocation.
Cette culture devient probablement aujourd'hui le premier objectif de la pastorale des vocations(20) ou, peut-être, de la pastorale en général. Que serait, en effet, une pastorale qui ne cultiverait pas la liberté de se sentir appelé par Dieu et qui ne ferait pas naître une nouveauté de vie?
c) Pastorale des vocations: le «saut de qualité»
Un autre élément lie entre elles la réflexion d'avant le congrès et l'analyse faite au cours de ce dernier. C'est la conscience que la pastorale des vocations se trouve face à l'exigence d'un changement radical, d'un «'sursaut' idéal», selon le document préparatoire,(21) ou d'un «saut de qualité», comme l'a recommandé le Pape dans son Message à la fin du Congrès.(22) Encore une fois, nous nous trouvons devant une convergence évidente devant être comprise dans sa signification authentique, dans cette analyse de la situation que nous proposons.
Il ne s'agit pas seulement d'une invitation à réagir à une sensation de fatigue ou de méfiance au vu des faibles résultats. Ces mots n'entendent pas non plus provoquer un simple renouvellement de certaines méthodes ou encourager à retrouver l'énergie et l'enthousiasme, mais ils veulent indiquer, en substance, que la pastorale des vocations en Europe est arrivée à un tournant historique, à un passage décisif. Il y a eu une histoire, avec une préhistoire, puis des phases qui se sont lentement succédé, au long de ces dernières années, comme des saisons naturelles, et qui doivent désormais nécessairement évoluer vers l'état «adulte» et mûr de la pastorale des vocations.
Il ne s'agit donc ni de sous-évaluer le sens de ce passage, ni d'accuser quiconque pour ce qu'il n'aurait pas fait par le passé. Au contraire! Notre sentiment, qui est le sentiment de toute l'Eglise, est un sentiment de reconnaissance sincère envers nos frères et nos soeurs qui, dans des conditions passablement difficiles, ont généreusement aidé tant de jeunes gens et de jeunes filles à chercher et à trouver leur vocation. Mais il s'agit, en tout cas, de comprendre encore une fois la direction que Dieu, le Seigneur de l'histoire, imprime à notre histoire et notamment à la riche histoire des vocations en Europe qui se trouve à un carrefour difficile.
Si la pastorale des vocations est née comme une urgence liée à une situation de crise et d'indigence vocationnelle, il est impossible aujourd'hui de la penser avec la même précarité, motivée par une conjoncture négative, mais au contraire elle apparaît comme l'expression stable et cohérente de la maternité de l'Eglise, ouverte au plan de Dieu, que nul ne peut arrêter et qui engendre toujours la vie en elle.
Si, autrefois, la promotion des vocations se référait seulement ou surtout à certaines vocations, aujourd'hui elle devrait tendre toujours plus à la promotion de toutes les vocations, car dans l'Eglise du Seigneur tous grandissent ensemble ou personne ne grandit.
Si, à ses débuts, la pastorale des vocations pourvoyait à circonscrire son domaine d'intervention à certaines catégories de personnes («les nôtres», ceux qui étaient les plus proches des milieux d'Eglise ou ceux qui semblaient manifester tout de suite un certain intérêt, les meilleurs et les plus méritoires, ceux qui avaient déjà fait une option de foi, et ainsi de suite), aujourd'hui la nécessité se fait sentir d'étendre courageusement et à tous, au moins en théorie, l'annonce et la proposition d'une vocation, au nom de ce Dieu qui ne fait pas de préférence, qui choisit les pécheurs dans un peuple de pécheurs, qui fait d'Amos qui n'était pas fils de prophètes mais simple cueilleur de sycomores un prophète, qui appelle Lévi, qui va chez Zachée et qui est même capable de faire surgir des pierres des fils à Abraham (cf. Mt 3,9) .
Si, autrefois, l'activité vocationnelle naissait pour une bonne part de la peur (de l'extinction ou de moins compter) et du désir de maintenir les présences et les oeuvres à des niveaux déterminés, désormais la peur, qui est toujours mauvaise conseillère, cède la place à l'espérance chrétienne, qui naît de la foi et qui est projetée vers la nouveauté et le futur de Dieu.
Si une certaine animation des vocations est, ou était, éternellement incertaine et timide, jusqu'à sembler pratiquement en condition d'infériorité par rapport à une culture anti-vocationnelle, aujourd'hui seul celui qui est animé de la certitude qu'il existe en chaque personne sans exclusion un don original de Dieu qui attend d'être découvert peut faire une bonne pastorale des vocations.
Si l'objectif semblait autrefois être le recrutement, et la méthode la propagande, souvent en forçant un peu la liberté de l'individu et avec des épisodes de «concurrence», il doit toujours être clair à présent que notre but est le service à rendre àla personne, afin qu'elle sache discerner le projet de Dieu sur la vie pour l'édification de l'Eglise et qu'elle se reconnaisse en lui et réalise sa propre vérité.(23)
Si, à une époque pas très lointaine, certains s'imaginaient pouvoir résoudre la crise des vocations par des choix discutables, par exemple en «important des vocations» d'ailleurs (souvent en les déracinant de leur contexte), aujourd'hui personne ne devrait s'imaginer pouvoir résoudre la crise des vocations en la contournant, car le Seigneur continue à appeler dans chaque Eglise et en tout lieu.
Ainsi, dans la même ligne, le «cyrénéen vocationnel», improvisateur volontaire et souvent solitaire, devrait passer toujours davantage d'une animation faite d'initiatives et d'expériences épisodiques à une éducation à la vocation s'inspirant de la sagesse d'une méthode éprouvée d'accompagnement, pour pouvoir apporter une aide appropriée à ceux qui sont en recherche.
Par conséquent, l'animateur des vocations devrait devenir toujours plus un éducateur de foi et formateur de vocations et l'animation sacerdotale devenir toujours plus une action collective,(24) de toute la communauté, religieuse ou paroissiale, de tout l'institut ou de tout le diocèse, de tout prêtre ou de toute personne consacrée ou croyante, et pour toutes les vocations dans chaque phase de la vie.
Enfin, il est temps que l'on passe clairement de la «pathologie de la fatigue»(25) et de la résignation, que l'on justifie en attribuant à l'actuelle génération de jeunes la cause unique de la crise des vocations, au courage de se poser les questions justes, pour comprendre les erreurs éventuelles et les défaillances, pour parvenir à un nouvel élan créatif fervent de témoignage.
d) Petit troupeau et grande mission(26)
C'est la cohérence avec laquelle on agira dans cette voie qui aidera toujours plus à redécouvrir la dignité de la pastorale des vocations et sa position centrale et de synthèse naturelle dans le domaine pastoral.
Ici encore, nous venons d'expériences et de conceptions qui ont risqué de marginaliser, d'une façon ou d'une autre, par le passé, cette même pastorale des vocations, en la considérant comme moins importante. Elle présente parfois un visage peu triomphant de l'Eglise actuelle ou est jugée comme un secteur de la pastorale moins fondé, sur le plan théologique, par rapport à d'autres, comme un produit récent d'une situation critique et contingente.
La pastorale des vocations vit peut-être encore dans une situation d'infériorité qui, d'un côté, peut nuire à son image et indirectement à l'efficacité de son action mais, de l'autre, peut aussi devenir un contexte favorable pour définir et expérimenter avec créativité et liberté liberté aussi de se tromper de nouveaux chemins pastoraux.
Surtout, cette situation peut rappeler cette autre «infériorité» ou pauvreté dont parlait Jésus en regardant les foules qui le suivaient: «La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux» (Mt 9,37) . Face à la moisson du Royaume de Dieu, face à la moisson de la nouvelle Europe et de la nouvelle évangélisation, les «ouvriers» sont et seront peu nombreux, «petit troupeau et grande mission», pour faire mieux ressortir que la vocation est initiative de Dieu, don du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Notes:
(14) IL, 6.
(15) Propositions, 16.
(16) Propositions,19.
(17) La «culture des vocations» fut le thème du Message pontifical pour la 30ème Journée mondiale de prière pour les vocations, célébrée le 2V1993 (cf. «L'Osservatore Romano», 18XII1992; cf. aussi Congrégation pour l'Education Catholique, O.P.V.E., Messages pontificaux pour la Journée mondiale de prière pour les vocations, Rome 1994, pp. 241-245).
(18) Jean-Paul II, Discours aux participants au Congrès sur les vocations en Europe, in «L'Osservatore Romano», 11V1997, 4.
(19) Ibidem.
(20) Cf. Propositions, 12.
(21) IL, 6.
(22) Discours du Saint-Père, in «L'Osservatore Romano», 11 mai 1997, n. 107.
(23) Cf. Propositions, 20.
(24) Cf. Jean-Paul II, Vita consecrata, 64.
(25) IL, 85.
(26) Une expression analogue a déjà été utilisée dans le Document final du IIème Congrès international des Evêques et autres responsables des vocations ecclésiastiques, cf. Sviluppi, 3. A partir de maintenant, nous citerons ce document sous le sigle DF (Document final).
(1Co 12,4)
Le but fondamental de cette partie théologique est de permettre de saisir le sens de la vie humaine par rapport à Dieu, communion trinitaire. Le mystère du Père, du Fils et du Saint-Esprit fonde la pleine existence de l'homme, en tant qu'appel à l'amour dans le don de soi et dans la sainteté et en tant que don dans l'Eglise pour le monde. Toute anthropologie détachée de Dieu est illusoire.
Il s'agit maintenant de définir les éléments structurels de la vocation chrétienne, son architecture essentielle qui, évidemment, ne peut être que théologique. Cette réalité, qui a déjà fait l'objet de multiples analyses, notamment de la part du Magistère, est riche d'une tradition spirituelle, biblico-théologique, qui a formé non seulement des générations d'appelés, mais aussi une spiritualité de l'appel.
14 A l'école de la Parole de Dieu, la communauté chrétienne accueille la réponse la plus élevée à la demande de sens qui surgit, plus ou moins clairement, dans le coeur de l'homme. C'est une réponse qui ne vient pas de la raison humaine, bien que toujours provoquée, de manière dramatique, par le problème de l'existence et du destin; mais de Dieu. C'est lui qui remet à l'homme la clef de lecture servant à éclaircir et à résoudre les grandes interrogations qui font de l'homme un sujet qui interroge: «Pourquoi sommes-nous au monde? Qu'est-ce que la vie? Quelle est la destination finale au-delà du mystère de la mort?».
Il ne faut cependant pas oublier que dans la culture de la distraction dans laquelle sont surtout plongés les jeunes de notre temps, les questions fondamentales courent le risque d'être étouffées ou d'être refoulées. Plus que cherché, aujourd'hui le sens de la vie est imposé: soit par ce que l'on vit dans l'immédiat, soit par ce qui gratifie les besoins qui, une fois satisfaits, rend la conscience toujours plus obtuse, laissant les interrogations les plus vraies non élucidées.(27)
La théologie pastorale et l'accompagnement spirituel ont donc pour tâche d'aider les jeunes à interroger la vie, pour parvenir à formuler, dans un dialogue décisif avec Dieu, la question de Marie de Nazareth: «Comment est-ce possible?» (cf. Lc 1,34) .
Notes:
(27) Propositions, 3.
15 A l'écoute de la Parole, non sans stupeur, nous découvrons que la catégorie biblico-théologique la plus compréhensible et la plus à même d'exprimer le mystère de la vie, à la lumière du Christ, est celle de la «vocation».(28) «Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation».(29)
Voilà pourquoi la figure biblique de la communauté de Corinthe présente les dons de l'Esprit, dans l'Eglise, comme subordonnés à la reconnaissance de Jésus comme le Seigneur. La christologie constitue véritablement le fondement de toute anthropologie et ecclésiologie. Le Christ est le projet de l'homme. Ce n'est qu'après que le croyant a reconnu que Jésus est le Seigneur «sous l'action de l'Esprit Saint» (cf. 1Co 12,3) qu'il peut accueillir le statut de la nouvelle communauté des croyants: «Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c'est le même Esprit; diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur; diversité d'opérations, mais c'est le même Dieu qui opère tout en tous» (1Co 12,4-6) .
L'image paulinienne met clairement en évidence trois aspects fondamentaux des dons de vocation dans l'Eglise, étroitement liés à leur origine au sein de la communion trinitaire et en référence spécifique avec chacune des Personnes.
A la lumière de l'Esprit, les dons sont l'expression de son infinie gratuité. Il est lui-même charisme (Ac 2,38) , source de tout don et expression de la créativité divine incompressible.
A la lumière du Christ, les dons vocationnels sont «ministères»; ils expriment la diversité multiforme du service que le Fils a vécu jusqu'au don de sa vie. En effet, il «n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie» (Mt 20,28) . Jésus est donc le modèle de tout ministère.
A la lumière du Père, les dons sont «opérations» car c'est à partir de lui, source de la vie, que tout être déploie son dynamisme de créature.
L'Eglise reflète donc, en tant qu'icône, le mystère de Dieu Père, de Dieu Fils et de Dieu Esprit Saint. Et toute vocation porte en elle les traits caractéristiques des trois Personnes de la communion trinitaire. Les personnes divines sont source et modèle de tout appel. Bien plus, la Trinité, en elle-même, est un entrelacement mystérieux d'appels et de réponses. Ce n'est que là, à l'intérieur de ce dialogue ininterrompu, que chaque vivant retrouve non seulement ses racines, mais aussi son destin et son avenir, ce qu'il est appelé à être et à devenir, dans la vérité et la liberté, dans le concret de son histoire.
En effet, les dons, dans le statut ecclésiologique de la première épître aux Corinthiens, ont une destination historique et concrète: «A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien commun» (1Co 12,7) . Il existe un bien supérieur qui dépasse naturellement le don personnel: construire le Corps du Christ dans l'unité; rendre épiphanique sa présence dans l'histoire «afin que le monde croie» (Jn 17,21) .
Par conséquent, la communauté ecclésiale est, d'une part, enveloppée par le mystère de Dieu, elle en est l'icône visible et, d'autre part, elle est totalement impliquée dans l'histoire de l'homme dans le monde, en état d'exode, vers les «cieux nouveaux».
L'Eglise et toute vocation en elle expriment un dynamisme identique: être appelé à une mission.
Notes:
(28) Paul VI, Populorum progressio, PP 15
(29) Gaudium et spes, GS 22
16 L'existence de chacun est le fruit de l'amour créateur du Père, de son désir efficace, de sa parole génératrice.
L'acte créateur du Père possède la dynamique d'un appel, d'un appel à la vie. L'homme vient à la vie parce qu'il est aimé, pensé et voulu par une Volonté bonne qui l'a préféré à la non-existence, qui l'a aimé avant même qu'il soit, connu avant même de le former dans le sein maternel, consacré avant qu'il vienne à la lumière (cf. Jr 1,5 Is 49,1 Is 49,5 Ga 1,15) .
a) «... à son image »
Dans l'«appel créateur», l'homme apparaît immédiatement dans toute la force de sa dignité en tant que sujet appelé à la relation avec Dieu, à être devant lui, avec les autres, dans le monde, avec un visage qui reflète les oeuvres divines: «Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance» (Gn 1,26) . Cette triple relation appartient au dessein originel, car le Père «nous a élus en lui le Christ dès la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour» (Ep 1,4)
Reconnaître le Père signifie que nous existons à sa manière, puisqu'il nous a créés à son image (Sg 2,23) . C'est donc en cela qu'est contenue la vocation fondamentale de l'homme: la vocation à la vie et à une vie immédiatement conçue à la ressemblance de la vie divine. Si le Père est l'éternelle source de vie, la gratuité totale, la source éternelle de l'existence et de l'amour, l'homme est appelé, à la mesure de son être, mesure petite et limitée, à être comme lui; il est donc appelé à «donner la vie», à prendre en charge la vie d'un autre.
Alors l'acte créateur du Père est ce qui permet de prendre conscience que la vie est consignée à la liberté de l'homme appelé à donner une réponse tout à fait personnelle et originale, responsable et pleine de gratitude.
b) L'amour, sens plénier de la vie
Dans cette perspective de l'appel à la vie, il nous faut exclure quelque chose: que l'homme puisse considérer l'existence comme une chose évidente, due et casuelle.
Il n'est peut-être pas facile, dans la culture contemporaine, de s'émerveiller devant le don de la vie.(30)
Alors qu'il est plus facile de percevoir le sens d'une vie donnée, celle qui déborde vers les autres, il faut en revanche une conscience plus mûre, une certaine formation spirituelle, pour percevoir que la vie de chacun, dans tous les cas et avant tout autre choix, est amour reçu et qu'en conséquence un projet de vocation est déjà caché dans cet amour.
Le simple fait d'exister devrait avant tout nous émerveiller et nous remplir d'une immense gratitude envers Celui qui, d'une façon entièrement gratuite, nous a tirés du néant en prononçant notre nom.
Dès lors la perception que la vie est un don ne devrait pas seulement susciter une attitude de reconnaissance, mais elle devrait lentement suggérer la première grande réponse à la demande fondamentale de sens: la vie est le chef-d'oeuvre de l'amour créateur de Dieu et est en soi un appel à aimer: don reçu qui tend par nature à devenir bien donné.
c) L'amour, vocation de tout homme
L'amour est le sens plénier de la vie. Dieu a tant aimé l'homme qu'il lui a donné sa propre vie et l'a rendu capable de vivre et d'aimer à la manière divine. C'est dans cet excès d'amour, l'amour du commencement, que l'homme trouve sa vocation radicale, qui est «vocation sainte» (2Tm 1,9) , et découvre son identité unique qui le rend immédiatement semblable à Dieu, «à l'image du Saint» qui l'a aimé (1P 1,15) . «En créant l'humanité de l'homme et de la femme à son image et en la conservant continuellement dans l'être commente JeanPaul II Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsabilité correspondantes, à l'amour et à la communion. L'amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain».(31)
d) Le Père éducateur
Grâce à cet amour qui l'a créé, personne ne peut se sentir «superflu», car chacun est appelé à répondre selon un projet de Dieu pensé expressément pour lui.
L'homme sera donc heureux et pleinement réalisé en étant à sa place, en accueillant la proposition éducative de Dieu, avec toute la crainte qu'une telle intention suscite dans un coeur de chair. Dieu créateur qui donne la vie est également le Père qui «éduque», qui tire du néant ce qui n'est pas encore pour le faire être; il tire du coeur de l'homme ce qu'il y a placé, afin qu'il soit pleinement lui-même, et ce qu'il l'a appelé à être, à sa manière.
D'où la nostalgie d'infini que Dieu a mis dans le monde intérieur de chacun, comme un sceau divin.
e) L'appel du Baptême
Cette vocation à la vie et à la vie divine est célébrée dans le Baptême. Dans ce sacrement, le Père se penche avec une tendresse attentionnée sur la créature, fils ou fille de l'amour d'un homme et d'une femme, pour bénir le fruit de cet amour et faire en sorte qu'il devienne pleinement son fils. A partir de ce moment-là, la créature est appelée à la sainteté des enfants de Dieu. Rien ni personne ne pourra jamais effacer cette vocation.
Avec la grâce du Baptême, Dieu le Père intervient pour manifester que lui, et lui seul, est l'auteur du plan du salut, à l'intérieur duquel chaque être humain joue un rôle personnel. Son acte est sans précédent, antérieur; il n'attend pas l'initiative de l'homme, ne dépend pas de ses mérites, ni ne se modèle à partir de ses capacités ou dispositions. C'est le Père qui connaît, désigne, imprime une impulsion, met un sceau, appelle encore «dès la fondation du monde» (Ep 1,4) . Puis il donne la force, chemine près de nous, soutient les efforts, est Père et Mère pour toujours...
La vie chrétienne acquiert ainsi une signification d'expérience de réponse: elle devient réponse responsable pour faire grandir un rapport filial avec le Père et un rapport fraternel dans la grande famille des enfants de Dieu. Le chrétien est appelé à favoriser, à travers l'amour, ce processus de ressemblance au Père qui s'appelle vie théologale.
Aussi la fidélité au Baptême conduit-elle à poser à la vie, et à soi-même, des questions toujours plus précises; surtout pour se disposer à vivre l'existence non seulement en vertu d'aptitudes humaines, qui sont autant de dons de Dieu, mais en vertu de sa volonté; non pas selon des perspectives mondaines, trop souvent de petit cabotage, mais selon les désirs et les projets de Dieu.
La fidélité au Baptême signifie dès lors regarder vers le haut, en tant que fils, pour discerner sa volonté sur notre vie et sur notre avenir.
Notes:
(30) A ce propos, une thèse finale du Congrès affirmait: "Dans le contexte européen, il est important de faire ressortir le premier moment vocationnel, celui de la naissance. L'accueil de la vie montre que l'on croit en ce Dieu qui 'voit' et qui 'appelle' dès le sein maternel" (Propositions, 34).
(31) Jean-Paul II, Familiaris consortio, FC 11
17 «Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit» (Jn 14,8)
C'est ce que demande Philippe à Jésus, la veille de la passion.C'est la nostalgie poignante de Dieu, présente dans le coeur de tout homme: connaître ses racines, connaître Dieu. L'homme n'est pas infini, il est immergé dans la finitude; mais son désir gravite autour de l'infini.
La réponse de Jésus surprend les disciples: «Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe? Qui m'a vu a vu le Père» (Jn 14,9) .
a) Envoyé par le Père pour appeler l'homme
Le Père nous a créés dans le Fils, «resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance» (He 1,3) , nous destinant à être conformes à son image (cf. Rm 8,29) . Le Verbe est l'image parfaite du Père. Il est Celui dans lequel le Père s'est rendu visible, le Logos par lequel il «nous a parlé» (He 1,2) . Tout son être est d'«être envoyé», pour rendre Dieu, en tant que Père, proche des hommes, pour dévoiler son visage et son nom aux hommes (Jn 17,6) .
Si l'homme est appelé à être fils de Dieu, en conséquence personne mieux que le Verbe Incarné ne peut «parler» de Dieu à l'homme et représenter l'image réussie du fils. Voilà pourquoi le Fils de Dieu, en venant sur cette terre, a appelé à Le suivre, à être comme lui, à partager sa vie, sa parole, sa pâque de mort et de résurrection; et même ses sentiments.
Le Fils, envoyé de Dieu s'est fait homme pour appeler l'homme: l'envoyé du Père est celui qui appelle les hommes.
Voilà pourquoi il n'existe aucun passage de l'Evangile ou une rencontre ou un dialogue qui n'ait une signification vocationnelle, qui n'exprime, directement ou indirectement, un appel de la part de Jésus. C'est comme si ses rendez-vous humains, provoqués par les circonstances les plus diverses, étaient d'une manière ou d'une autre une occasion pour lui de placer la personne face à la question stratégique: «Que dois-je faire de ma vie?», «Quel est mon chemin?».
b) Le plus grand amour: donner la vie
A quoi Jésus appelle-t-il? A le suivre pour être et agir comme lui. Plus particulièrement, à vivre la même relation qu'il entretient avec le Père et avec les hommes: à accueillir la vie comme un don venant des mains du Père pour «perdre» et reverser ce don sur ceux que le Père lui a confiés.(32)
Il existe un trait unificateur dans l'identité de Jésus qui constitue le sens plénier de l'amour: la mission. Celle-ci exprime l'abnégation, qui atteint son épiphanie suprême sur la croix. «Nul n'a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis» (Jn 15,13) .
Aussi chaque disciple est-il appelé à répéter et à revivre les sentiments du Fils, qui trouvent une synthèse dans l'amour, motivation décisive de tout appel. Mais surtout chaque disciple est appelé à rendre visible la mission de Jésus, il est appelé pour la mission: «Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie» (Jn 20,21) . La structure de toute vocation, et même sa maturité, consiste à continuer Jésus dans le monde, pour faire, comme lui, de la vie un don. L'envoi en mission est en effet la consigne du soir de Pâques (Jn 20,21) et la dernière parole avant de monter vers le Père (Mt 28,16-20) .
c) Jésus, le formateur
Chaque appelé est signe de Jésus: en quelque sorte son coeur et ses mains continuent à embrasser les petits, à guérir les malades, à réconcilier les pécheurs et à se laisser clouer en croix par amour pour tous. Le fait d'être pour les autres, avec le coeur du Christ, est le visage mûr de toute vocation. Voilà pourquoi le Seigneur Jésus est le formateur de ceux qu'il appelle, le seul qui puisse modeler en eux ses sentiments.
Chaque disciple, en répondant à son appel et en se laissant former par lui, exprime les traits les plus vrais de son choix. C'est pourquoi «le fait de Le reconnaître lui, comme le Seigneur de la vie et de l'histoire, comporte aussi l'auto-reconnaissance du fait d'être disciple (...) L'acte de foi allie nécessairement la reconnaissance christologique et l'auto-reconnaissance anthropologique».(33)
D'où la pédagogie de l'expérience vocationnelle chrétienne évoquée par la Parole de Dieu: Jésus «en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher» (Mc 3,14) . Pour être vécue en plénitude, dans la dimension du don et de la mission, la vie chrétienne a besoin de motivations fortes et surtout de communion profonde avec le Seigneur: dans l'écoute, dans le dialogue, dans la prière, dans l'intériorisation des sentiments, en se laissant former par lui chaque jour et surtout dans le désir ardent de communiquer au monde la vie du Père.
d) L'Eucharistie: l'investiture pour la mission
Dans toutes les catéchèses de la communauté chrétienne primitive, la place centrale du mystère pascal est évidente. Le message central du mystère pascal: annoncer le Christ mort et ressuscité. Dans le mystère du pain partagé et du sang versé pour la vie du monde, la communauté croyante contemple l'épiphanie suprême de l'amour, la vie du Fils de Dieu offerte.
Voilà pourquoi dans la célébration de l'Eucharistie, «sommet et source»(34) de la vie chrétienne, est célébrée la révélation la plus haute de la mission de Jésus-Christ dans le monde; mais l'Eucharistie célèbre aussi l'identité de la communauté ecclésiale convoquée pour être envoyée, appelée à la mission.
Dans la communauté qui célèbre le mystère pascal, chaque chrétien entre et prend part au style du don de Jésus, en devenant comme lui pain rompu pour l'offrande faite au Père et pour la vie du monde.
L'Eucharistie devient ainsi la source de toute vocation chrétienne; en elle, tout croyant est appelé à se conformer au Christ Ressuscité totalement offert et donné. Il devient icône de toute réponse de vocation; comme en Jésus, en toute vie et en toute vocation il existe une fidélité difficile à vivre jusqu'à la mesure de la croix.
Celui qui y prend part accueille l'invitation-appel de Jésus à «faire mémoire» de lui, dans le sacrement et dans la vie, à vivre «en rappelant» dans la vérité et la liberté des choix quotidiens le mémorial de la croix, à remplir l'existence de gratitude et de gratuité, à briser son corps et à verser son sang. Comme le Fils.
L'Eucharistie engendre enfin le témoignage et prépare à la mission: «Allez dans la paix». On passe de la rencontre avec le Christ sous le signe du Pain à la rencontre avec le Christ sous le signe de chaque homme. L'engagement du croyant ne s'éteint pas à l'entrée, mais à la sortie de l'église. La réponse à l'appel rencontre l'histoire de la mission. La fidélité à sa vocation puise aux sources de l'Eucharistie et se mesure dans l'Eucharistie de la vie.
Notes:
(32) C'est pourquoi, comme l'affirme une thèse du Congrès, "ce n'est qu'au contact vivant de Jésus-Christ Sauveur que les jeunes peuvent développer la capacité de communion, faire mûrir leur personnalité et décider de Le suivre" (Propositions, 13).
(33) IL, 55.
(34) Sacrosanctum Concilium, SC 10
1997 De nouvelles vocations pour une nouvelle Europe 13