1979 Redemptor Hominis 21

La Mère de notre espérance

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Lorsque, au commencement de ce nouveau pontificat, je tourne vers le Rédempteur du monde mes pensées et mon coeur, je désire par là entrer et pénétrer dans le rythme le plus profond de la vie de l'Eglise. En effet, si l'Eglise vit de sa propre vie, ceci vient de ce qu'elle la puise dans le Christ qui n'a toujours qu'un désir: que nous ayons la vie, et que nous l'ayons en abondance (188). Cette plénitude de vie qui est en Lui est aussi pour l'homme. C'est pourquoi l'Eglise, en participant à toute la richesse du mystère de la Rédemption, devient une Eglise d'hommes vivants, vivants parce que vivifiés intérieurement par l'action de "l'Esprit de vérité" (189), parce que visités par l'amour que l'Esprit Saint répand dans nos coeurs (190). Le but de tout service dans l'Eglise, qu'il s'agisse du service apostolique, pastoral, sacerdotal, épiscopal, est de maintenir ce lien dynamique du mystère de la Rédemption avec tout homme.

188-
Jn 10,10
189- Jn 16,13
190- Rm 5,5


Si nous sommes conscients de cette tâche, alors nous pouvons mieux comprendre en quel sens l'Eglise est mère (191), et aussi en quel sens l'Eglise a toujours, et particulièrement en notre temps, besoin d'une Mère. Nous devons une gratitude spéciale aux Pères du Concile Vatican II qui ont exprimé cette vérité dans la constitution Lumen gentium et sa riche doctrine mariale (192). Puisque le Pape Paul VI, s'inspirant de cette doctrine, a proclamé la Mère du Christ "Mère de l'Eglise" (193), et que ce titre a trouvé une large résonance, qu'il soit permis aussi à son indigne successeur, au terme de ces considérations qu'il était bon de développer à l'aube de son service pontifical, de s'adresser à Marie, comme Mère de l'Eglise. Marie est Mère de l'Eglise parce que, en vertu de l'élection ineffable du Père éternel lui-même (194) et sous l'action particulière de l'Esprit d'Amour (195), elle a donné la vie humaine au Fils de Dieu, "pour qui et par qui existent toutes choses" (196), et dont le peuple de Dieu tout entier reçoit la grâce et la dignité de son élection. Son propre Fils a voulu explicitement étendre la maternité de sa Mère et l'étendre d'une manière facilement accessible à toutes les âmes et à tous les coeurs en lui donnant du haut de la croix son disciple bien-aimé pour fils (197). L'Esprit Saint lui suggéra de demeurer elle aussi au Cénacle après l'Ascension de Notre Seigneur, recueillie dans la prière et dans l'attente avec les Apôtres jusqu'au jour de la Pentecôte, jour ou l'Eglise, sortant de l'obscurité, devait naître visiblement (198). Et depuis, toutes les générations des disciples et de tous ceux qui rendent témoignage au Christ et qui l'aiment, comme l'apôtre Jean, accueillirent spirituellement dans leurs maisons (199) cette Mère qui se trouve ainsi depuis le commencement, c'est-à-dire depuis le moment de l'Annonciation, insérée dans l'histoire du salut et dans la mission de l'Eglise. C'est pourquoi nous tous qui formons la génération actuelle des disciples du Christ, nous désirons nous unir à Elle d'une manière particulière. Nous le faisons avec tout notre attachement à la tradition ancienne et, en même temps, avec beaucoup de respect et d'amour pour les membres de toutes les communautés chrétiennes.

191- LG 63-64
192- LG 52-69
193- Paul VI, Allocution pour la clôture de la troisième session du Concile oecuménique Vatican II (21/11/1964) : AAS 56 (1964) 1015.
194- LG 56
195- ibid.
196- He 2,10
197- Jn 19,26
198- Ac 1,14
199- Jn 19,27


Nous le faisons poussés par la nécessité profonde de la foi, de l'espérance et de la charité. Si en effet, dans cette période difficile et capitale de l'histoire de l'Eglise et de l'humanité, nous ressentons un besoin particulier de nous tourner vers le Christ, qui est le Seigneur de son Eglise et le Seigneur de l'histoire humaine en vertu du mystère de la Rédemption, nous croyons que personne d'autre ne peut nous introduire comme le fait Marie dans la dimension divine et humaine de ce mystère. Personne n'y a été introduit comme Marie par Dieu lui-même. C'est en cela que consiste le caractère exceptionnel de la grâce de la maternité divine. Ce n'est pas seulement la dignité de cette maternité qui est unique et absolument singulière dans l'histoire du genre humain, mais ce qui est unique aussi par sa profondeur et l'amplitude de son action, c'est la participation de Marie, en raison de cette même maternité, au dessein divin du salut de l'homme, à travers le mystère de la Rédemption.

Ce mystère s'est formé pour ainsi dire, dans le coeur de la Vierge de Nazareth lorsqu'elle a prononcé son "fiat". A partir de ce moment, ce coeur à la fois virginal et maternel, soumis à l'action particulière de l'Esprit Saint, suit continuellement l'oeuvre de son Fils et va vers tous ceux que le Christ a embrassés et embrasse continuellement dans son amour inépuisable. Et c'est pourquoi ce coeur doit être lui aussi maternellement inépuisable. La caractéristique de cet amour maternel que la Mère de Dieu fait passer dans le mystère de la Rédemption et dans la vie de l'Eglise, s'exprime dans le fait qu'elle est singulièrement proche de l'homme et de toute sa vie. C'est en ceci que consiste le mystère de la Mère. L'Eglise, qui la considère avec une affection et une espérance toutes particulières, désire s'approprier ce mystère d'une manière toujours plus profonde. Là encore, l'Eglise reconnaît le chemin de sa vie quotidienne, que constitue tout homme.

L'amour éternel du Père, qui s'est manifesté dans l'histoire de l'humanité par le Fils que le Père a donné "afin que celui qui croit en lui ne meure pas, mais qu'il ait la vie éternelle" (200), cet amour se fait proche de chacun d'entre nous grâce à cette Mère, et il se manifeste ainsi de manière plus compréhensible et plus accessible à chaque homme. En conséquence, Marie doit se trouver sur tous les chemins de la vie quotidienne de l'Eglise. Grâce à sa présence maternelle, l'Eglise acquiert la certitude qu'elle vit vraiment de la vie de son Maître et Seigneur, qu'elle vit le mystère de la Rédemption dans toute sa profondeur et sa plénitude vivifiante. C'est également la même Eglise qui, enracinée dans des secteurs nombreux et variés de la vie de toute l'humanité contemporaine, acquiert aussi la certitude et on dirait même l'expérience qu'elle est proche de l'homme, de chaque homme, qu'elle est son Eglise, l'Eglise du peuple de Dieu.

200- Jn 3,16


En face de ces tâches qui se présentent le long des chemins de l'Eglise, le long de ces chemins que le Pape Paul VI nous a clairement indiqués dans la première encyclique de son pontificat, nous-mêmes, conscients de l'absolue nécessité de toutes ces voies et en même temps des difficultés qui s'y amoncellent, nous sentons d'autant plus le besoin d'un lien profond avec le Christ. Ses paroles résonnent en nous comme un écho sonore: "Sans moi, vous ne pouvez rien faire" (201). Nous sentons non seulement le besoin mais davantage encore l'obligation impérieuse d'une prière plus large, intense et croissante de toute l'Eglise. La prière seule peut faire que toutes ces grandes tâches et les difficultés qui s'ensuivent ne deviennent pas des sources de crises, mais soient l'occasion et comme le point de départ de conquêtes toujours plus profondes sur le chemin du peuple de Dieu vers la Terre Promise, en cette étape de l'histoire qui nous achemine vers la fin du second millénaire. Cependant, en achevant cette méditation par un appel humble et chaleureux à la prière, je voudrais que l'on persévère dans cette prière en union avec Marie, Mère de Jésus (202), comme persévéraient autrefois les Apôtres et les disciples du Seigneur, après son Ascension, au Cénacle de Jérusalem (203). Je supplie surtout Marie, Mère céleste de l'Eglise, qu'elle daigne persévérer avec nous dans cette prière du nouvel Avent de l'humanité, afin que nous formions l'Eglise, le Corps mystique de son Fils unique. J'espère que, grâce à cette prière, nous serons capables de recevoir l'Esprit Saint qui descend sur nous (204) et de devenir ainsi témoins du Christ "jusqu'aux extrémités de la terre" (205), comme ceux qui sortirent du Cénacle de Jérusalem au jour de la Pentecôte.

201- Jn 15,5
202- Ac 1,14
203- Ac 1,13
204- Ac 1,8
205- ibid.


Avec ma Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 4 mars 1979, premier dimanche du Carême, en la première année de mon pontificat.



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