1984 Reconciliatio paenitentia 32

Les formes de la célébration

32 Fidèle aux indications du Concile Vatican II, l'Ordo Paenitentiae a prévu trois rites qui, les éléments essentiels étant saufs, permettent d'adapter la célébration du sacrement de Pénitence à des circonstances pastorales déterminées.
La première forme - réconciliation individuelle des pénitents - constitue l'unique manière normale et ordinaire de célébrer ce sacrement, et on ne peut ni ne doit la laisser tomber en désuétude ou la négliger. La deuxième - réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution individuelles - même si, dans sa préparation, elle permet de souligner davantage les aspects communautaires du sacrement, rejoint la première forme dans l'acte culminant du sacrement, à savoir la confession et l'absolution individuelles des péchés, et par conséquent elle peut être assimilée à la première forme en ce qui concerne la normalité du rite. Par contre, la troisième - réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution générales - revêt un caractère d'exception; elle n'est donc pas laissée au libre choix, mais elle est réglementée par une discipline spéciale.
La première forme permet la valorisation des aspects plus personnels - et essentiels - que comporte l'itinéraire pénitentiel. Le dialogue entre le pénitent et le confesseur, l'ensemble des éléments utilisés (les textes bibliques, le choix des formes de la "satisfaction", etc.) permettent à la célébration sacramentelle de mieux répondre à la situation concrète du pénitent. On voit bien la valeur de ces éléments lorsqu'on pense aux diverses raisons qui poussent un chrétien à la pénitence sacramentelle: un besoin d'être personnellement réconcilié et d'être admis à nouveau dans l'amitié de Dieu, en retrouvant la grâce perdue par suite du péché; un besoin de vérifier son cheminement spirituel et, parfois, de discerner de façon plus précise sa vocation; en beaucoup d'autres cas, un besoin et un désir de sortir d'un état d'apathie spirituelle et de crise religieuse. Par ailleurs, grâce à son caractère individuel, la première forme de célébration permet d'associer le sacrement de Pénitence à une pratique qui s'en distingue, mais qui peut bien lui être associée: je veux dire la direction spirituelle. Il est donc certain que cette première forme permet d'exprimer clairement et de promouvoir la décision et l'effort personnels.
La deuxième forme de célébration, précisément par son caractère communautaire et la façon dont elle se déroule, met en relief quelques aspects de grande importance: la Parole de Dieu, écoutée en commun, a un autre effet que la lecture faite individuellement, et elle souligne mieux le caractère ecclésial de la conversion et de la réconciliation. Elle revêt une signification particulière dans les divers moments de l'année liturgique et à l'occasion des événements présentant un intérêt pastoral spécial. Il suffit de mentionner ici qu'il importe d'avoir un nombre suffisant de confesseurs pour sa célébration.
Il est donc naturel que les critères permettant de décider à laquelle des deux formes de célébration on doit recourir soient dictés, non par des motivations conjoncturelles et subjectives, mais par la volonté d'obtenir le véritable bien spirituel des fidèles, en obéissant à la discipline pénitentielle de l'Eglise.
Il sera bon de rappeler également que, pour une orientation spirituelle et pastorale équilibrée en ce domaine, il est nécessaire, comme l'attestent une tradition doctrinale et une pratique désormais séculaires, de continuer à considérer comme très important le recours au sacrement de Pénitence même pour les seuls péchés véniels, et à y éduquer les fidèles.
Tout en sachant et en enseignant que les péchés véniels sont pardonnés aussi par d'autres voies - on peut penser aux actes de contrition, aux oeuvres de charité, à la prière, aux rites pénitentiels - , l'Eglise ne cesse de rappeler à tous la richesse singulière de l'acte sacramentel, même par rapport à de tels péchés. Le recours fréquent au sacrement - auquel sont tenus plusieurs catégories de fidèles - renforce la conscience que même les péchés moins importants offensent Dieu et blessent l'Eglise, le corps du Christ, et sa célébration fournit aux fidèles "une occasion et un stimulant pour se conformer plus intimement au Christ et pour se faire plus dociles à la voix de l'Esprit"(194). Surtout, il faut le souligner, la grâce propre de la célébration sacramentelle a une plus grande vertu thérapeutique et contribue à enlever les racines mêmes du péché.
Le soin apporté à la célébration(195), avec une attention particulière à la Parole de Dieu lue, rappelée et expliquée aux fidèles et avec les fidèles lorsque c'est possible et opportun, contribuera à vivifier la pratique du sacrement et à l'empêcher de tomber dans quelque chose de formel et de routinier. Le pénitent sera plutôt aidé à découvrir qu'il est en train de vivre un événement du salut capable de susciter en son coeur un nouvel élan de vie et une véritable paix. Ce soin apporté à la célébration amènera, entre autres, à fixer dans chacune des Eglises des moments réservés à la célébration du sacrement, et à éduquer les chrétiens, en particulier les enfants et les jeunes, à s'y conformer habituellement, sauf les cas de nécessité pour lesquels le pasteur d'âmes devra toujours se montrer prêt à accueillir volontiers ceux qui recourent à lui.

194 Ordo Paenitentiae, n. 7 b.
195 Cf. Ordo Paenitentiae, n. 17.




La célébration du sacrement avec absolution générale

33 Dans les nouvelles règles liturgiques et, plus récemment, dans le nouveau Code de droit canonique (CIC 961-963) se trouvent précisées les conditions qui légitiment le recours au "rite de la réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution générales". Les normes et les dispositions établies sur ce point, fruit d'une réflexion mûrie et équilibrée, doivent être accueillies et appliquées en évitant toute interprétation arbitraire.
Il convient de réfléchir de manière plus approfondie aux motivations qui imposent la célébration de la Pénitence selon l'une des deux premières formes et qui permettent le recours à la troisième forme. Il y a, avant tout, une motivation de fidélité à la volonté du Seigneur Jésus, transmise par l'Eglise dans sa doctrine et également d'obéissance aux lois de l'Eglise. Le Synode a rappelé dans l'une de ses Propositions l'enseignement inchangé que l'Eglise a puisé dans la Tradition la plus ancienne, et la loi dans laquelle elle a codifié l'ancienne pratique pénitentielle: la confession individuelle et intégrale des péchés avec absolution également individuelle constitue l'unique moyen ordinaire qui permet au fidèle, conscient de péché grave, d'être réconcilié avec Dieu et avec l'Eglise. De cette confirmation nouvelle de l'enseignement de l'Eglise il ressort clairement que tout péché grave doit être toujours avoué, avec ses circonstances déterminantes, dans une confession individuelle.
Il y a ensuite une motivation d'ordre pastoral. S'il est vrai que, lorsque se vérifient les conditions requises par la discipline canonique, on peut faire usage de la troisième forme de célébration, on ne saurait pourtant oublier que cette forme ne peut devenir une forme ordinaire et qu'elle ne peut ni ne doit être employée, comme l'a répété le Synode, si ce n'est "en cas de grave nécessité", restant ferme l'obligation de confesser individuellement les péchés graves avant de recourir de nouveau à une autre absolution générale. Par conséquent l'Evêque, auquel seul il appartient, dans le cadre de son diocèse, de juger si les conditions établies par la loi canonique pour l'usage de la troisième forme existent concrètement, donnera ce jugement - sa conscience étant gravement engagée - dans le plein respect de la loi et de la pratique de l'Eglise et en tenant compte, par ailleurs, des critères et des orientations sur lesquels les autres membres de la Conférence épiscopale se seront mis d'accord en se fondant sur les considérations doctrinales et pastorales exposées ci-dessus. Pareillement, on devra avoir la préoccupation pastorale authentique de poser et de garantir les conditions qui permettent à la pratique de la troisième forme de donner les fruits spirituels pour lesquels elle a été prévue. Et l'usage exceptionnel de la troisième forme de célébration ne devra jamais conduire à une moindre estime des formes ordinaires, encore moins à leur abandon, ni à considérer cette troisième forme comme une possibilité équivalente à chacune des deux autres; car la faculté de choisir parmi les formes de célébration ci-dessus mentionnées n'est pas laissée à la liberté des Pasteurs et des fidèles. Les Pasteurs gardent l'obligation de faciliter aux fidèles la pratique de la confession intégrale et individuelle des péchés: elle constitue pour les chrétiens non seulement un devoir, mais un droit inviolable et inaliénable, en plus d'un besoin spirituel. Pour les fidèles, l'usage de la troisième forme de célébration comporte l'obligation de s'en tenir à toutes les normes qui en réglementent l'exercice, y compris celle de ne pas recourir à nouveau à l'absolution générale avant de faire une confession régulière, intégrale et individuelle, des péchés, qui doit être accomplie le plus tôt possible. De cette norme et de l'obligation de l'observer, les fidèles doivent être avertis et instruits par le prêtre avant l'absolution.
Par ce rappel de la doctrine et de la loi de l'Eglise, je désire convaincre tous les esprits du vif sentiment de responsabilité qui doit nous guider lorsque nous traitons les choses sacrées dont nous ne sommes pas propriétaires, comme les sacrements, ou qui ont le droit de ne pas être laissées dans l'incertitude et dans la confusion, comme les consciences. Oui, je le répète, les sacrements et les consciences sont les uns et les autres des choses sacrées qui exigent de notre part d'être servies dans la vérité.
Telle est la raison de la loi de l'Eglise.



Quelques cas plus délicats

34 J'estime devoir mentionner à cet endroit, même très brièvement, un cas pastoral que le Synode a voulu traiter, autant qu'il lui était possible de le faire, en l'examinant aussi dans l'une des Propositions. Je veux parler de certaines situations, qui ne sont pas rares aujourd'hui, ou se trouvent des chrétiens désireux de continuer la pratique religieuse sacramentelle, mais qui en sont empêchés par leur condition personnelle en opposition avec les engagements qu'ils ont librement assumés devant Dieu et devant l'Eglise. Ce sont des situations qui apparaissent particulièrement délicates et quasi inextricables.
Un certain nombre d'interventions, au cours du Synode, exprimant la pensée générale des Pères, ont mis en lumière la coexistence et l'interférence de deux principes, également importants, au regard de ces cas. Le premier est le principe de la compassion et de la miséricorde, en vertu duquel l'Eglise - qui prolonge dans l'histoire la présence et l'oeuvre du Christ - , ne voulant pas la mort du pécheur mais qu'il se convertisse et qu 'il vive (197), attentive à ne pas briser le roseau froissé et à ne pas éteindre la mèche qui fume encore(198), cherche toujours à offrir, autant qu'il lui est possible, la voie du retour à Dieu et de la réconciliation avec lui. L'autre principe est celui de la vérité et de la cohérence, en vertu duquel l'Eglise n'accepte pas d'appeler bien ce qui est mal et mal ce qui est bien. En se fondant sur ces deux principes complémentaires, l'Eglise ne peut qu'inviter ses fils qui se trouvent dans ces situations douloureuses à s'approcher de la miséricorde divine par d'autres chemins, sans que ce soit cependant celui des sacrements de la Pénitence et de l'Eucharistie, tant qu'ils ne remplissent pas les conditions requises.
En ce domaine, qui, il est certain, afflige aussi, et profondément, nos coeurs de pasteurs, il m'a semblé qu'il était de mon strict devoir de dire des paroles claires dans l'exhortation apostolique Familiaris consortio, en ce qui concerne le cas des divorcés remariés(199), ou des chrétiens qui cohabitent d'une manière irrégulière.
En même temps, je me sens le devoir d'exhorter, avec le Synode, les communautés ecclésiales et surtout les évêques à apporter toute l'aide possible aux prêtres qui, manquant aux graves obligations assumées à leur ordination, se trouvent dans des situations irrégulières. Aucun de ces frères ne doit se sentir abandonné de l'Eglise.
Pour tous ceux qui ne se trouvent pas actuellement dans les conditions objectives requises par le sacrement de Pénitence, les manifestations de bonté maternelle de la part de l'Eglise, le soutien des actes de piété en dehors des actes sacramentels, l'effort sincère de se maintenir en contact avec le Seigneur, la participation à la Messe, la répétition fréquente d'actes de foi, d'espérance, de charité, de contrition les plus parfaits possible, pourront préparer le chemin pour une pleine réconciliation à l'heure que seule la Providence connaît.

197 Cf.
Ez 18,23
198 Cf. Is 42,3 Mt 12,20
199 Cf. Exhort. ap. Familiaris consortio, FC 84: AAS 74 (1982), pp. 184-186.




SOUHAIT FINAL

35 Au terme de ce document, je sens résonner en moi et je désire vous redire à tous l'exhortation que le premier Evêque de Rome, à un moment critique des commencements de l'Eglise, voulut adresser "aux étrangers de la Dispersion, élus selon la prescience de Dieu le Père: Vivez tous en esprit d'union, dans la compassion, l'amour fraternel, la miséricorde, l'esprit d'humilité"(200). L'Apôtre recommandait de vivre "en esprit d'union..."; mais aussitôt après, il signalait les péchés contraires à l'union et à la paix qu'il importe d'éviter: "Ne rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte. Bénissez, au contraire, car c'est à cela que vous avez été appelés, afin d'hériter la bénédiction". Et il concluait par un mot d'encouragement et d'espérance: "Qui vous ferait du mal, si vous devenez zélés pour le bien?"(201).
A une époque non moins critique de l'histoire, j'ose rattacher mon exhortation à celle du Prince des Apôtres, qui fut le premier à occuper ce Siège de Rome, comme témoin du Christ et pasteur de l'Eglise, et qui "présida à la charité" au regard du monde entier. Moi aussi, en union avec les évêques successeurs des Apôtres et aidé par la réflexion collégiale que beaucoup d'entre eux, réunis en Synode, ont consacrée aux thèmes et aux problèmes de la réconciliation, j'ai tenu à vous communiquer dans l'esprit même du pécheur de Galilée ce qu'il disait à nos frères dans la foi, loin de nous dans le temps, mais si proches par le coeur: "Vivez tous en esprit d'union... ne rendez pas mal pour mal... devenez zélés pour le bien"(202). Et il ajoutait: "Mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si telle était la volonté de Dieu, qu'en faisant le mal"(203).

200 Cf.
1P 1,1-2 1P 3,8
201 1P 3,9 1P 3,13
202 1P 3,8 1P 3,9 1P 3,13
203 1P 3,17


Cette consigne est toute imprégnée des paroles que Pierre avait entendues de Jésus en personne et d'idées qui faisaient partie de sa "Bonne Nouvelle": le commandement nouveau de l'amour mutuel; le désir ardent de l'unité et l'engagement en sa faveur; les béatitudes de la miséricorde et de la patience dans la persécution pour la justice; le bien rendu pour le mal; le pardon des offenses; l'amour des ennemis. Ces paroles et ces idées constituent la synthèse originale et transcendante de l'éthique chrétienne, ou, mieux et plus profondément, de la spiritualité de la Nouvelle Alliance en Jésus Christ.

Je confie au Père, riche en miséricorde, je confie au Fils de Dieu, devenu homme pour être notre Rédempteur et Réconciliateur, je confie à l'Esprit Saint, source d'unité et de paix, mon appel paternel et pastoral à la pénitence et à la réconciliation. Que la très sainte et adorable Trinité fasse germer dans l'Eglise et dans le monde cette petite semence qu'en ce moment je remets à la terre généreuse de tant de coeurs humains.
Afin qu'il en résulte sans tarder des fruits abondants, je vous invite tous à vous tourner avec moi vers le Coeur du Christ, signe éloquent de la miséricorde divine, "propitiation pour nos péchés", "notre paix et notre réconciliation"(204), afin d'y puiser la force intérieure pour nous détourner du péché et nous convertir à Dieu, et d'y trouver la bienveillance divine comme réponse aimante au repentir humain.
Je vous invite aussi à vous tourner avec moi vers le Coeur immaculé de Marie, Mère de Jésus, en qui "s'est effectuée la réconciliation de Dieu avec l'humanité..., s'est achevée l'oeuvre de la réconciliation, parce qu'elle a reçu de Dieu la plénitude de la grâce en vertu du sacrifice rédempteur du Christ"(205). En vérité, Marie est devenue, par sa maternité divine, "l'alliée de Dieu" dans l'oeuvre de la réconciliation(206).
Son "Fiat" a marqué le commencement de la "plénitude des temps" qui a vu se réaliser par le Christ la réconciliation de l'homme avec Dieu. C'est entre les mains de cette Mère, c'est à son Coeur immaculé - auquel nous avons confié plusieurs fois l'humanité entière perturbée par le péché et déchirée par tant de tensions et de conflits - que je remets spécialement cette intention: que par son intercession, l'humanité découvre et parcoure le chemin de la pénitence, l'unique chemin capable de la conduire à une totale réconciliation!
A vous tous qui, dans un esprit de communion ecclésiale, dans l'obéissance et dans la foi(207), voudrez bien accueillir les indications, les suggestions et les directives contenues dans ce document, en vous efforçant de les traduire dans une pratique pastorale vivante, j'accorde très volontiers ma Bénédiction Apostolique.


204 Litanies du Sacré-Coeur; cf. 1Jn 2,2 Ep 2,14 Rm 3,25 Rm 5,11
205 JEAN-PAUL II, Discours à l'audience générale du 7 décembre 1983, n. 2: Insegnamenti VI, (1983), 1264.
206 Cf JEAN-PAUL II, Discours à l'audience générale du 4 janvier 1984 : Insegnamenti VII, (1984), 16-18.
207 Cf. Rm 1,5 Rm 16,26


Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 2 décembre 1984, premier dimanche de l'Avent, en la septième année de mon pontificat.





1984 Reconciliatio paenitentia 32